M. le président. Le sous-amendement n° 110, présenté par M. Vera, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après le deuxième alinéa du II de l'amendement n° 74 rectifié bis, insérer un alinéa ainsi rédigé :

Les conventions prévoient que les éléments variables de la rémunération mentionnés à l'alinéa précédent ne sont pas attribués ou versés si la situation de l'entreprise la conduit à procéder à des licenciements économiques ou des plans de restructuration.

La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Comme vient de l’indiquer notre collègue Jean Arthuis, la rédaction de l’amendement n° 74 a été modifiée pour étendre le champ d’application.

En effet, alors que l’article 11 ne visait que les établissements de crédit, voilà que, au terme de deux rectifications de l’amendement, les entreprises du secteur automobile et celles qui bénéficient des aides directes ou indirectes du Fonds stratégique d’investissement sont également concernées par le principe de suspension de la distribution de stock-options et d’actions gratuites prévues.

Il y a par conséquent un moratoire sur les stock-options, mais le maintien des autres éléments variables de rémunération ou encore des conventions particulières visant notamment à permettre à quelques dirigeants d’entreprise de bénéficier d’un confortable parachute doré ou d’un prêt personnel à taux privilégié destiné à tout usage par le souscripteur ! Dans la pratique, pour ne donner qu’un exemple, une banque peut aujourd’hui continuer d’attribuer à l’un de ses dirigeants un prêt à faible taux d’intérêt, prêt dont il peut profiter ainsi pour acquérir des actions de sa propre entreprise au moment même où le cours de l’action s’avère déprimé.

Toutefois, le texte de l’amendement n° 74 rectifié bis appelle quelques observations supplémentaires.

Comme chacun d’entre vous, nous avons lu avec intérêt le texte du décret promulgué hier au Journal officiel, en particulier la dernière phrase de l’article 2, laquelle précise ceci : « Les conventions prévoient que les éléments variables de la rémunération mentionnés au 2 ne sont pas attribués ou versés si la situation de l’entreprise la conduit à procéder à des licenciements de forte ampleur. »

Ces éléments du décret ne figurant pas dans l’amendement n° 74 rectifié bis de M. Arthuis, il nous semble difficile, en adoptant cet amendement, de faire d’un article de loi un élément législatif de moindre portée que le décret qu’il est censé remplacer !

Par conséquent, nous proposons que l’attribution des stock-options et actions gratuites soit effectivement suspendue dans les entreprises visées par l’amendement et procédant à des licenciements économiques ou à des plans de restructuration. Tel est le sens du sous-amendement n° 110.

M. le président. Le sous-amendement n° 111, présenté par M. Vera, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Compléter l'amendement n° 74 rectifié bis par un paragraphe ainsi rédigé :

... - L'article L. 2323-11 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Il est également informé des conventions conclues en application des dispositions des articles L. 225-38 à L. 225-53, L. 225-177 à L. 225-186-1, L. 225-197-1 à L. 225-197-6 du code de commerce. »

La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Le sous-amendement n° 111 porte sur la question des autres entreprises, là où rien n’est encore prévu, en tout cas pas dans le décret. Encore que... Le fait que nombre d’entreprises soient largement bénéficiaires des aides publiques que constituent les allégements de cotisations sociales ou la défiscalisation des heures supplémentaires pourrait lui-même justifier de telles dispositions.

Par conséquent, nous proposons que les comités d’entreprise soient informés, comme c’est déjà le cas dans d’autres procédures, de la passation de conventions entre dirigeants salariés et conseils d’administration, et de la mise en œuvre de plans de stock-options et de distribution d’actions gratuites.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Le sous-amendement n° 111 reprend une disposition qui a été mise en discussion dans la proposition de loi débattue la semaine dernière et repoussée. Par conséquent, la commission des finances ne peut que réaffirmer son opposition à cet égard.

Le texte du sous-amendement n° 110 me semble inopérant et peut clair. En effet, il vise à insérer, au sein du II de l’amendement n° 74 rectifié bis, un alinéa comportant le terme « conventions » qui, en réalité, ne fait référence à aucune convention. Par conséquent, cela ne permet pas de connaître la cible visée dans ce sous-amendement. Cela s’explique sans doute par la reprise d’une phrase du décret qui s’insère mal dans l’amendement préparé par M. Arthuis.

En tout état de cause, le décret publié hier « relatif aux conditions de rémunération des dirigeants des entreprises aidées par l’État ou bénéficiant du soutien de l’État du fait de la crise économique et des responsables des entreprises publiques », précise ceci : « Les conventions prévoient que les éléments variables de la rémunération mentionnés au 2 ne sont pas attribués ou versés si la situation de l’entreprise la conduit à procéder à des licenciements de forte ampleur. » De ce point de vue, le sous-amendement n° 110 est au moins partiellement satisfait, et ces remarques conjuguées me conduisent à exprimer un avis défavorable.

J’en viens à l’amendement n° 74 rectifié bis.

De même que le décret, il se situe clairement dans le contexte de la crise et ses effets sont bornés dans le temps. De plus, le dispositif précise une conditionnalité pour les aides publiques qui sont apportées, notamment dans le secteur bancaire et dans le secteur automobile. C’est un raisonnement auquel, naturellement, on ne peut pas ne pas adhérer.

Le champ couvert par l’amendement n° 74 rectifié bis est très voisin de celui du décret. Les quelques variantes s’expliquent, mais ne me paraissent pas essentielles.

Toutefois, je relève que l’interdiction en cas de licenciements de forte ampleur figure dans le décret, mais pas dans l’amendement n° 74 rectifié bis.

Mes chers collègues, sachant que les dispositions du décret et de l’amendement sont très voisines, la question principale que nous devons arbitrer est de savoir s’il est absolument indispensable de légiférer pour confirmer dans le droit positif ce qui a déjà été fait par le pouvoir réglementaire grâce au décret publié hier. Autrement dit, le décret autonome que le pouvoir réglementaire est, à mon sens, parfaitement en droit de prendre se suffit-il à lui-même ? Convient-il de lui apporter plus de solennité par une insertion dans la législation ? C’est la seule question qu’il nous appartient de trancher.

Je rappelle, par souci de précision notariale bien qu’Alain Lambert ne soit pas parmi nous ce soir, que la commission des finances, dans sa majorité, n’a pas voté cet amendement dont la rédaction a été quelque peu perfectionnée depuis.

Voilà, mes chers collègues, ce que je puis dire pour rendre compte de l’analyse qui a été faite de l’amendement n° 74 rectifié bis ainsi que des sous-amendements nos 110 et 111.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. S’agissant du sous-amendement n° 111, dont nous avons déjà discuté, le Gouvernement a le même avis négatif que tout à l’heure.

Le sous-amendement n° 110 me paraît satisfait par le décret du 30 mars qui interdit de verser des rémunérations variables si la société procède à des licenciements de forte ampleur. Les termes que vous utilisez, monsieur le sénateur, sont quelque peu différents, mais l’état d’esprit est le même. Par conséquent, ce sous-amendement pourrait être retiré ; à défaut, j’appellerai à voter contre.

Monsieur Arthuis, le Gouvernement partage l’objectif qui est le vôtre avec l’amendement n° 74 rectifié bis, à savoir la même idée de justice sociale dans cette période de crise. Il partage bien évidemment les préoccupations qui s’expriment sur l’ensemble de ces travées, au-delà des différences politiques, pour combattre et interdire, ou réglementer selon les cas de figure, les rémunérations excessives, sous quelque forme que ce soit, versées à des dirigeants, des mandataires sociaux, dans des conditions que l’opinion publique ne peut supporter.

Vous l’avez noté, monsieur Arthuis, le Gouvernement a rapidement réagi aux nombreux et vifs débats sur le fond qui ont eu lieu dans les médias comme dans l’opinion publique, en publiant le décret n° 2009-348 du 30 mars 2009 dont le texte est très proche de la rédaction de votre propre amendement.

Notre débat est donc quelque peu étonnant, car les mesures auxquelles vous avez beaucoup contribué sur le fond sont d’ores et déjà entrées en application et devraient donc vous donner satisfaction !

Le décret vise en effet à interdire l’attribution de stock-options et d’actions gratuites aux dirigeants des entreprises qui sont aidées par l’État et qui obtiennent un soutien exceptionnel pendant la crise.

Il tend également à interdire le versement de rémunérations variables quand celles-ci ne sont pas la contrepartie de performances réelles.

Il vise aussi à préciser qu’il ne peut pas s’agir de performances boursières. Or, en réalité, ce qui a choqué, ce sont bien les performances boursières, lesquelles ont assez peu à voir avec les performances économiques de l’entreprise qui sont soumises à d’autres tensions !

Enfin, le décret a pour objet d’interdire le versement de rémunérations variables si l’entreprise procède à des licenciements de forte ampleur.

Le Gouvernement devait réagir très vite pour mettre un terme à ce débat dans l’opinion publique et ne pas laisser prospérer dans l’esprit des Français l’idée que les décisions prises sont injustes. Il a donc rapidement établi les règles du jeu et indiqué qu’il ne tolérerait aucun écart de comportement. La parole politique, tout comme le texte du décret pris, a été forte.

Nous avons donc une discussion de forme, mais en aucun cas un débat de fond. Non seulement votre amendement est satisfait, mais son adoption susciterait un certain nombre de difficultés.

En effet, cet amendement renvoie à un décret en Conseil d’État, procédure particulièrement longue qui ferait grosso modo perdre un mois compte tenu des délais de promulgation de la loi puis de l’analyse en Conseil d’État. Pourquoi attendre un mois de plus pour prendre les mêmes décisions sur les mêmes sujets ? Ce serait difficile à expliquer à l’opinion publique ! De plus, si l’amendement n° 74 rectifié bis était adopté, la loi renverrait alors à un décret déjà en application, situation pour le moins étonnante.

Le Gouvernement ayant choisi la voie réglementaire, je vous demande, monsieur Arthuis, de bien vouloir retirer votre amendement. Ce choix est lié à la puissance de la demande de l’opinion publique et de nombre de parlementaires – je pense notamment à M. Henri de Raincourt –, qui réclamaient que nous agissions au plus vite pour ne pas laisser la situation dériver, déraper, pourrir même. Nous ne pouvions pas en arriver là. La parole politique de ceux qui prenaient les décisions pour aider les entreprises à résister à la crise, notamment le Gouvernement grâce au Parlement, devait être très forte et rapide.

Voilà pourquoi nous avons choisi la voie du décret. En période de crise, inutile de s’interroger plus longuement sur la méthode : voie législative ou réglementaire. Si, juridiquement, la voie réglementaire est possible, ce qui en l’occurrence est le cas, choisissons la voie la plus rapide, car c’est ce qu’attendent les Français !

Encore une fois, monsieur Arthuis, le mieux serait que vous acceptiez de retirer votre amendement, après avoir déclenché ce débat, afin que le décret s’applique dans un climat apaisé. Les Français ne supporteraient pas que la prise de telles mesures soit retardée.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Depuis le mois d’octobre dernier, le groupe socialiste a défendu à trois reprises des propositions de nature notamment fiscale visant à encadrer les rémunérations des dirigeants et des mandataires sociaux.

Nous l’avons fait dès après la première loi de finances rectificative qui accordait des aides de l’État, soit en fonds propres, soit en garanties, aux banques.

Nous l’avons fait le 4 novembre, au travers de notre proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations, nous l’avons fait jeudi dernier en soutenant des amendements allant dans le même sens et en votant la proposition de loi, déposée par le groupe CRC-SPC, tendant à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus, nous l’avons fait lors de la discussion générale du présent texte et en défendant toute une série d’amendements visant à insérer des articles additionnels avant l’article 1er afin de réformer la gouvernance d’entreprise et à encadrer ces rémunérations.

Et puis, le secrétaire général de l’Élysée a annoncé la parution d’un décret qui devait avoir l’avantage d’être plus facile et plus rapide que la voie parlementaire. Mais plus nous lisons ce décret, plus nous l’estimons insatisfaisant : son périmètre est extrêmement limité ; il fait référence à des critères de performance que nous n’avons pas bien identifiés, puisque le soin de les établir est confié au conseil d’administration ; aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de ses dispositions.

Or je vous rappelle que les attentes de l’opinion publique sont fortes. En effet, 80 % des lecteurs du Figaro se déclarent non seulement choqués, mais aussi partisans de la manière forte, notamment de la prise de mesures par la voie législative.

Mes chers collègues, j’ai comparé l’amendement déposé par notre collègue Jean Arthuis avec le décret du 30 mars 2009. Bien que cet amendement soit très en retrait par rapport à tout ce que nous avons pu proposer, bien qu’il n’en atteigne même pas la première marche, il permet toutefois d’aller plus loin que le décret sur deux ou trois points.

Il vise en effet à étendre la mesure aux dirigeants et aux mandataires sociaux. Les dirigeants sont ceux qui participent aux décisions stratégiques, ce sont les membres du comité exécutif.

Il tend également à étendre légèrement le champ d’application du décret dans la mesure où il précise, notamment, que les entreprises qui bénéficieront, directement ou indirectement, du fonds stratégique d’investissement seront concernées par les mesures proposées.

Par ailleurs, cet amendement fait explicitement référence à la révision des conventions qui ont pu être signées avec l’État à la suite de l’adoption de la loi de finances rectificative du 16 octobre 2008.

Son adoption permettrait ainsi d’enregistrer un progrès, même s’il est extrêmement léger et ne comble pas notre attente, loin s’en faut !

En tout cas, la proposition de M. Arthuis présente un énorme avantage, celui de sauver l’honneur du Parlement face à la vilaine manière de faire du Gouvernement. Au moment même où nos collègues députés, toutes tendances confondues, dans le cadre de la mission d’information sur les nouvelles régulations de l’économie saluent le rapport d’étape de M. Philippe Houillon, député UMP, sur la rémunération des dirigeants d’entreprises, lequel en appelle très clairement à la loi pour trouver des solutions, comment imaginer que nous, sénateurs, resterions en retrait en nous en remettant à un décret ?

Nous croyons que la loi est essentielle dans cette affaire et que l’argument de la rapidité d’action, auquel vous venez encore une fois d’avoir recours, n’est pas fondé, et je vais de nouveau le démontrer.

Je rappelle que le Président de la République lui-même, lors du discours qu’il a prononcé à Toulon en septembre dernier, a fustigé ces rémunérations, notamment les bonus. Vous pouviez donc, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès le mois d’octobre, à l’occasion de l’examen de l’article 6 de la loi de finances rectificative pour 2008, préciser ce que vous attendiez des conventions qui seraient signées par les entreprises susceptibles de recevoir l’aide de l’État.

Vous auriez également pu introduire de telles précisions à l’occasion de la deuxième loi de finances rectificative pour 2008, adoptée en décembre dernier, à l’occasion de la loi de finances initiale pour 2009 et de la première loi de finances rectificative pour 2009. Et, précisément au moment où nous disposons d’un véhicule législatif idoine, le présent projet de loi de finances rectificative, le secrétaire général de l’Élysée se permet d’annoncer la publication d’un décret, au motif que ce serait plus facile et plus rapide. Autant dire que l’exécutif « s’assoit » sur le Parlement. Ce n’est pas acceptable ! Nous devons donc adopter cet amendement dès ce soir.

Bien évidemment, je ne prétendrai pas qu’il est extraordinaire ! Je viens justement de vous démontrer qu’il ne l’était pas. Mais si nous ne voulons pas que ce débat échappe au Parlement, il faut que nous puissions débattre de cet amendement avec nos collègues députés en commission mixte paritaire. Si nous ne nous prononçons clairement ce soir, cela reviendra à donner acte à l’exécutif. Dès lors, conformément à la stratégie de communication qui est la sienne, le Président de la République pourra mettre en avant sa réactivité face aux problèmes. Pour notre part, nous n’entendons pas marcher dans cette opération de communication ! Nous voulons que la loi se prononce sur cette question ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Sur le fond, je partage naturellement l’émotion de nos compatriotes, qui a conduit M. Arthuis à nous présenter l’amendement n° 74 rectifié bis. Comme Mme Bricq, j’ai l’impression d’être pris dans une course de vitesse.

La vérité, c’est que les décisions réglementaires ou législatives ne permettent pas de diriger les entreprises, même en période de crise, fût-ce avec le soutien de l’État, avec la plasticité nécessaire pour s’adapter à chaque situation.

À ce propos, je voudrais rappeler que la réforme de la Constitution que nous avons votée récemment nous offre un outil qui, je le déplore, n’a pas été utilisé jusqu’à présent. Je veux parler des motions, grâce auxquelles une assemblée, par un acte politique fort, peut exprimer sa conviction, tout en laissant à ceux qui gèrent le pays au quotidien la responsabilité d’en tenir compte dans leurs décisions.

Le soutien de l’État aux entreprises recouvre une infinité de situations. Le vote d’une motion de principe tendant à reconnaître que le contribuable n’a pas à venir au secours de dirigeants défaillants recueillerait sans nul doute l’unanimité du Sénat et de l’Assemblée nationale. En revanche, quand il s’agit d’entrer dans les détails de la gestion des entreprises, on est obligé de se demander jusqu’où on peut aller, jusqu’où on doit aller, quels sont les cas qui méritent d’être retenus.

Je voudrais vous rendre attentifs à cette distinction entre une orientation de principe, qui aurait pu être définie par une motion, et la responsabilité du Gouvernement dans l’adoption de clauses contractuelles de soutien aux entreprises privées, ou publiques, qui aurait permis à l’État partenaire et, d’une certaine façon, à l’État créancier de fixer des règles adaptées à la situation de telle ou telle entreprise en tenant compte de l’esprit de ladite motion.

Permettez-moi de vous donner deux exemples extrêmement concrets tirés de l’actualité.

Un grand groupe automobile français vient, en pleine crise, de changer de président. À écouter les déclarations du président sortant, on mesure que cette décision, qui l’a surpris, ne recueille pas son assentiment. Les actionnaires ont donc pris leurs responsabilités.

Cette entreprise reçoit-elle une aide de l’État ? L’a-t-elle demandée ? En tout état de cause, lorsque des actionnaires, par l’intermédiaire de leur conseil d’administration, recrutent un nouveau président, ils lui font naturellement des propositions. Or il est vraisemblable qu’un président de qualité demandera à être associé au succès éventuel de l’entreprise dont il prendra la charge. S’il ne relève pas l’entreprise, il ne bénéficiera de rien. Si son action est couronnée de succès, il en recueillera certains avantages, puisqu’il aura, au moment de son entrée dans l’entreprise, négocié en ce sens.

Doit-on se priver de la possibilité de renouveler dans certaines conditions les dirigeants ? Doit-on traiter tous les dirigeants d’une même entreprise de la même façon, sans distinguer entre ceux qui gagnent en termes de productivité ou de parts de marché et ceux qui perdent, sur le terrain financier, ce que les autres ont gagné grâce à leur démarche commerciale ou industrielle ?

Selon moi, lorsque l’État intervient comme créancier, il faut lui laisser la liberté, comme à n’importe quel banquier ou actionnaire, de fixer ses règles, dans le cadre d’un esprit général qu’une motion aurait pu fixer.

Prenons un deuxième cas de figure. Pour sauver certaines entreprises, on sera amené à accepter des fusions, qui reposeront sur la valorisation de l’entreprise aidée. Il serait tout de même anormal qu’une entreprise extérieure puisse bénéficier d’une valorisation et prendre une part importante du capital de la société cible, alors que les nouveaux cadres qui participeraient au redressement de l’entreprise ou ceux qui auraient prouvé leur capacité dans l’entreprise seraient pénalisés, parce que l’État serait intervenu et qu’on appliquerait une règle générale.

Madame Bricq, vous avez raison, et je le dis très clairement, la course de vitesse n’a peut-être pas permis d’appréhender la complexité de certaines situations. À aucun moment l’État ne doit oublier que, s’il gère l’argent des contribuables, la meilleure manière de le faire est encore celle qui tient compte de chaque situation particulière.

C’est la raison pour laquelle, cher collègue Jean Arthuis, je ne voterai pas votre amendement, non pas que j’en réprouve l’esprit, mais je pense qu’un article de loi destiné à encadrer l’intervention de l’État est beaucoup trop rigide pour pouvoir épouser la multiplicité des situations.

Cela dit, la Haute Assemblée, portée par l’émotion générale, va certainement adopter cet amendement, car il faut en effet condamner ceux qui ont failli. Le drame, c’est qu’un grand nombre de dirigeants d’entreprise n’ont pas manqué à leurs obligations : ils se sont battus dans un environnement conflictuel et concurrentiel extraordinairement difficile, affrontant des difficultés parfaitement imprévisibles.

Aujourd’hui, ces dirigeants demandent l’aide de l’État. Qu’ils renoncent à certaines rémunérations ou qu’ils suspendent leur versement, chacun le comprend. Mais, s’il faut renouveler des équipes dirigeantes ou fusionner des entreprises, ne nous privons pas de la possibilité de recruter les meilleurs. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.

M. Nicolas Alfonsi. Je me dispenserai de considérations techniques et subalternes, qui ont été évoquées pour m’en tenir à l’essentiel.

Au moment où M. le rapporteur général a pris la parole, je me suis tourné vers notre collègue François Zocchetto, pour lui dire confidentiellement : « Il finira par nous faire croire que le décret a une portée plus importante que la loi ! »

Alors que le Président de la République déclarait aujourd’hui, à Londres, qu’il fallait faire la guerre aux traders et supprimer les stock-options, nous, sénateurs, nous nous contenterions d’un décret !

Même si le règlement présente l’avantage d’être immédiatement applicable, contrairement à la loi, nous jouerions vraiment petit bras en nous contentant d’un décret pour résoudre ce problème éminemment politique et symbolique, qui interpelle la nation tout entière.

Le groupe RDSE votera donc en faveur de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.

M. Jean Arthuis. J’ai bien entendu tous les points de vue qui se sont exprimés, notamment le vôtre, monsieur le ministre.

Il ne s’agit pas d’engager une quelconque course de vitesse entre le Gouvernement et le Parlement. Je salue d’ailleurs la promptitude avec laquelle le Gouvernement a réagi : le décret du 30 mars 2009 relatif aux conditions de rémunération des dirigeants des entreprises aidées par l’État s’applique d’ores et déjà, et il a des vertus conservatoires.

Toutefois, dans de telles circonstances, il est important que le législateur fixe les règles. Si cet amendement est adopté, un autre décret viendra le compléter et remplacer le premier : autant que je sache, il n’y a pas péril en la demeure.

Il m’est reproché de ne pas avoir repris la disposition du décret selon laquelle les éléments variables de la rémunération ne sont pas attribués si la situation de l’entreprise la conduit à procéder à des « licenciements de forte ampleur ». J’ai été tenté de le faire, mais je me suis interrogé sur la réelle signification de cette expression.

Mme Nicole Bricq. Absolument !

M. Jean Arthuis. Si le Sénat vote cet amendement, j’espère que nous parviendrons à trouver une rédaction satisfaisante sur le plan formel d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire.

Enfin, monsieur le ministre, le décret du 30 mars 2009 vise « le recours aux émissions d’actions, d’actions de préférence ou de titres super-subordonnés souscrits par la Société de prise de participation de l’État, ainsi que le bénéfice des prêts accordés par l’État aux constructeurs automobiles », ce qui ne concerne que six groupes bancaires et deux constructeurs automobiles. En englobant les sous-traitants, ma proposition permet d’aller un peu plus loin. Récemment, un important sous-traitant du secteur automobile a défrayé la chronique du fait du versement d’indemnités de départ. Il va vraisemblablement bénéficier d’une aide de l’État mais ne sera pas concerné par le décret.

Ce soir, nous avons adopté un amendement, présenté par le Gouvernement, qui majore de 100 millions d’euros le montant des prêts et avances accordés à des projets de réindustrialisation. J’ai la faiblesse de penser que le dispositif que je propose permettrait de veiller à ce que les règles de bonne gouvernance soient respectées dans les entreprises qui bénéficieront de ces fonds.

Il ne s’agit que de cela : le Parlement doit assumer ses prérogatives et il peut le faire en toute confiance avec le Gouvernement.

Les circonstances que nous traversons ne dispensent pas les parlementaires d’exprimer par leur vote les règles qu’ils entendent voir appliquer.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. J’espère en effet qu’une course de vitesse ne s’est pas engagée entre les pouvoirs réglementaire et législatif. La situation est suffisamment grave pour que nous n’entrions pas dans ce type d’engrenage.

Le Gouvernement devait réagir vite. Il a agi de manière appropriée, par le biais du règlement, comme il l’avait indiqué. Le décret du 30 mars 2009 ne fixe pas des règles générales, il se contente d’être strictement opérationnel et de répondre aux questions posées par l’opinion publique.

À travers cet amendement, vous voulez finalement, monsieur Arthuis, que la loi vienne redire ce que le décret du 30 mars 2009 a déjà dit : il faudra donc qu’un nouveau décret soit publié, qui reprendra peu ou prou celui d’hier. C’est un peu étrange…

La principale différence entre le décret et cet amendement tient au rôle dévolu au fonds stratégique d’investissement. Nous considérons que la vocation de cet outil spécifique n’est pas de répondre aux difficultés passagères des entreprises, mais d’investir durablement dans celles-ci, notamment durant leur phase de développement. Dans ces circonstances, la distribution de stock-options est une bonne politique.