Mme Muguette Dini. Peut-on espérer, madame la secrétaire d’État, qu’une partie des crédits affectés aux personnels de l’éducation nationale, en charge des enfants de deux ans, soit, d’une manière ou d’une autre, versée aux communes qui mettraient en place des jardins d’éveil ? (M. Serge Lagauche sourit.)

J’avais déjà posé cette question à M.  Xavier Darcos, l’an dernier, dans le cadre du vote du budget. Ce dernier m’avait simplement répondu par la négative, sans autre développement.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je suis favorable à ces jardins d’éveil,…

M. Nicolas About. Très bien !

M. René-Pierre Signé. Effectivement, nous l’avions compris !

Mme Muguette Dini. … et je souhaite que nous puissions favoriser leur mise en place.

Toutefois, madame la secrétaire d’État, je vous rejoins sur le fait que les jardins d’éveil ne constituent qu’une réponse parmi d’autres aux besoins de garde des enfants.

Il manque, à ce jour, environ 400 000 places d’accueil pour satisfaire la demande des parents. Ce ne sont pas les 8 000 places de garde en jardin d’éveil planifiées d’ici à 2012 qui combleront ce déficit.

Si l’on ne veut plus contraindre des parents, particulièrement les mères, à quitter leur emploi pour garder leurs enfants, il faut continuer à développer les crèches, mais, surtout, investir sur la garde par les assistantes maternelles.

C’est une des conclusions que mon collègue Jean-Marc Juilhard a tirées dans son excellent rapport sur l’accueil des jeunes enfants en milieu rural et une position que je partage entièrement.

L’assistante maternelle représente, tous financeurs compris, le mode de garde le moins onéreux.

M. René-Pierre Signé. Il n’est pas incompatible avec les autres !

Mme Muguette Dini. Surtout, la véritable innovation est celle du regroupement des assistantes maternelles. Notre collègue Jean Arthuis l’a expérimenté de manière très concluante dans son département de la Mayenne.

Jean-Marc Juilhard la reprend et la développe dans son rapport précité. C’est un dispositif également encadré sur un plan juridique, par l’article 108 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Ces projets de regroupements d’assistantes maternelles se multiplient dans plusieurs départements, parmi lesquels le Rhône et l’Orne. Il faut rappeler qu’ils répondent en particulier à la demande des parents travaillant à temps partiel ou en horaires décalés. (M. René-Pierre Signé s’impatiente.)

Toutefois, ces regroupements, madame la secrétaire d’État, sont mis en grande difficulté par la convention type élaborée par la Caisse nationale d’allocations familiales et validée par vos services.

Ce cadre conventionnel préalable à l’accueil d’enfants par des assistantes maternelles hors de leur domicile est un véritable carcan assorti d’excès normatifs et de formalisme administratif, qui rend impossible tout projet de regroupements d’assistantes maternelles et qui risque de tuer ceux qui existent déjà.

M. René-Pierre Signé. Dix minutes !

Mme Muguette Dini. En période de restriction budgétaire, ces solutions d’accueil, accessibles aux collectivités locales sur un plan financier et répondant aux besoins des parents et de leurs jeunes enfants, doivent être encouragées.

M. René-Pierre Signé. Votre temps de parole est limité à dix minutes !

M. Nicolas About. Qu’il est dur et long d’entendre la vérité ! N’est-ce pas, monsieur Signé ?

Mme Muguette Dini. Nos collègues Jean-Marc Juilhard et Jean Arthuis vous ont déjà très clairement alertée sur cette dérive, madame la secrétaire d’État.

Dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, la commission des affaires sociales de notre Haute Assemblée proposera, par le biais de son rapporteur André Lardeux, une modification législative autorisant la délégation de l’accueil des jeunes enfants au sein de regroupements d’assistantes maternelles. MM. Jean Arthuis, Jean-Marc Juilhard, Alain Lambert ainsi que plusieurs membres du groupe Union centriste et moi-même soutiendrons cet amendement.

Je compte sur vous, madame la secrétaire d’État, pour que ces modes de garde innovants que sont les jardins d’éveil et les regroupements d’assistantes maternelles se mettent en place et vous remercie, par avance, de vos réponses.

Mon cher collègue Signé, j’ai parlé neuf minutes et vingt-quatre secondes ! (Rires et applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Nicolas About. Cela a paru beaucoup plus court !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais vous parler des jardins d’éveil, une idée lumineuse qui, sous prétexte de prendre en charge nos bambins, consiste en réalité à transférer des charges d’investissement aux communes, lesquelles sont, de l’aveu de tous, déjà exsangues.

C’est la loi du 16 juin 1881, proposée et défendue par Jules Ferry, qui définit l’école maternelle publique comme une école gratuite et laïque. La loi du 30 octobre 1886, pour sa part, confirme la place de l’école maternelle comme premier niveau de l’école primaire.

Tels sont les premiers textes qui scellent la naissance d’une école destinée à nos plus jeunes.

Pourquoi ce bref rappel historique ? Parce que ce débat sur les jardins d’éveil et certaines des instructions du ministère de l’éducation nationale marquent un véritable tournant historique : la suppression de l’école maternelle, telle que nous la connaissons, est en marche !

Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Au niveau national, le taux de scolarisation des enfants de deux ans est passé de 35,4 % en 2000 à 20,9 % en 2008. Cette chute est due à l’insuffisance des créations de poste depuis six ans et à la suppression, depuis deux ans, dans le premier degré, de 670 emplois stagiaires et 3 000 emplois d’enseignants RASED, le réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté. Les enfants sont régulièrement entre 30 et 40 par classe.

Dans l’académie de Rennes, pour la rentrée scolaire de 2009, les écoles maternelles ont accueilli 1 145 élèves de moins que l’année dernière. Près de la moitié de cette baisse touche mon département, le Finistère, qui enregistre une diminution de ses effectifs en maternelle de 458 enfants. Les enfants de deux ans, dont l’accueil est volontairement limité, sont les principaux concernés par cette baisse.

Dans le Finistère, pour la première fois, les enfants de moins de trois ans n’ont pas été comptabilisés dans les effectifs des écoles maternelles. Ces dernières années, le rectorat faisait savoir que les augmentations d’effectifs en petite section ne conduiraient pas à l’ouverture de classes... Désormais, on craint que le refus de prendre en compte des enfants présents ne conduise à des fermetures de classes !

Tout le monde est inquiet de cette situation, madame la secrétaire d’État !

Les parents sont inquiets, comme en témoignent la création et le succès du collectif « Maternelles en danger ». (M. Dominique de Legge sourit.) En Bretagne, ce collectif multiplie les actions et relaie des informations glanées sur le terrain.

Les syndicats d’enseignants sont également inquiets. La Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques, ou FCPE, a, de son côté, entamé une campagne autour du slogan « Touche pas à ma maternelle ! », qui rencontre un très large succès.

Parlons aussi des élus, de leur très grande incompréhension et de leur inquiétude ! Près de 700 communes ont voté, en conseil municipal, la motion de soutien du collectif « Maternelles en danger ». Cette inquiétude est particulièrement ressentie dans les milieux ruraux et le Finistère n’échappe pas à la règle. Les zones rurales sont, par définition, moins bien pourvues en établissements d’accueil collectif et c’est pourquoi l’école maternelle apparaît comme la solution idéale pour les enfants et les familles.

Pourtant, les maires ne baissent pas les bras et des initiatives naissent un peu partout. Ainsi, la mairie de Brest organise, le 28 octobre prochain, avec l’ensemble des acteurs, une journée sur la scolarisation des enfants de moins de trois ans.

Il est grand temps que le Gouvernement entende ces voix !

Ce débat est, d’abord, essentiel pour les enfants. Je le dis de nouveau dans cet hémicycle : la scolarisation précoce favorise la réussite scolaire.

Mme Monique Papon. Mais non !

M. Dominique de Legge. C’est faux !

M. Jean-Luc Fichet. Par exemple, comme j’aime à le rappeler, le taux élevé de réussite scolaire en Bretagne correspond à une présence très forte des enfants de moins de trois ans en maternelle. C’est parfaitement prouvé !

M. Nicolas About. C’est une affirmation gratuite !

M. Serge Lagauche. Enfin ! On vous dit que c’est prouvé !

M. Jean-Luc Fichet. Ce débat est, ensuite, essentiel pour les parents, qui expriment une demande de pédagogie et d’appréhension du « vivre ensemble ». Obtenir une place en maternelle, c’est également, pour les mères, la possibilité de travailler. En outre, l’école maternelle représente un moindre coût pour les familles.

Un sénateur UMP. Nous y voilà !

M. Jean-Luc Fichet. La Cour des comptes, auditionnée par la commission des finances sur ce sujet le 18 novembre 2008, reconnaît elle-même que « le coût par enfant est moindre s’il est accueilli en maternelle plutôt qu’en équipement d’accueil du jeune enfant ».

Ce débat est, enfin, important pour les collectivités locales, notamment en milieu rural. Malgré tous les arguments que vous pourrez nous fournir, madame la secrétaire d’État, les élus des petites communes, tout particulièrement rurales, ne peuvent pas créer de jardins d’éveil. Ce n’est pas de la mauvaise volonté : c’est juste la réalité !

M. Jean-Luc Fichet. Je ne comprends pas que vous restiez indifférente à ce qui s’exprime sur le terrain. Il y aura bientôt un an, lors de l’assemblée générale de l’Association des maires de France, l’AMF, la colère des élus s’était déjà fortement exprimée sur la question de l’école. Je vous mets en garde, madame la secrétaire d’État, à propos de l’assemblée qui doit se tenir dans les jours prochains : la colère n’est pas retombée et je dirais même que votre entêtement l’accroît.

Et pour cause ! Le premier souci des élus municipaux, c’est de garder leurs enfants sur leur territoire. Le vôtre, c’est, sans aucune précaution, de les mettre face à un mur en leur imposant des investissements impossibles et un doublement des coûts moyens par enfant, 8 000 euros contre 4 500 euros pour un coût normal en école maternelle.

Une nouvelle fois, madame la secrétaire d’État, votre politique mène à l’étranglement des collectivités territoriales ! La suppression des places dans les écoles maternelles pour les enfants de moins de trois ans et l’obligation de création de jardins d’éveil forment, je le répète, un dispositif permettant à l’État de se décharger, une fois encore, sur les communes.

M. René-Pierre Signé. Eh oui ! Et sur les ménages !

M. Jean-Luc Fichet. En effet !

Le premier bilan des jardins d’éveil ne fait que confirmer la réalité du terrain.

Cette structure a été mise en place dans la précipitation : aucun bilan des classes-passerelles n’a été établi. Elle est payante, et les enfants qui en ont le plus besoin ne pourront donc pas y accéder. Faut-il rappeler que, au contraire, l’école est gratuite ? Ce que vous mettez en place, madame la secrétaire d’État, c’est un système concurrentiel, qui ne sera pas universel.

Que dire des personnels des jardins d’éveil, qui ne disposent que d’une formation a minima pour encadrer les enfants ? Quelle est leur mission ? Quel est leur projet éducatif ? Qui en définit le contenu ? À ce sujet, rien !

Mes collègues du groupe socialiste et moi-même demandons une véritable concertation, faisant ainsi écho à la demande de tous les acteurs concernés par ce sujet, mais aussi à celle de la Cour des comptes. D’ailleurs, cette dernière, jugeant très durement la gestion de ce dossier par le Gouvernement, estime que la politique du ministère de l’éducation nationale est « peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l’argent public ».

Madame la secrétaire d’État, si vous n’êtes pas guidée par de simples soucis d’économies, expliquez-nous quels sont les fondements de ce jardin d’éveil et quel avantage qualitatif il peut apporter aux enfants, aux familles et à la dynamique de nos territoires, dont, on le sait, nos enfants sont l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Françoise Cartron et M. René-Pierre Signé. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mi-chemin entre la crèche et l’école maternelle, les jardins d’éveil constituent une nouvelle approche en matière de politique d’accueil de la petite enfance, destinée à diversifier l’offre de garde proposée aux parents d’enfants âgés de deux à trois ans.

Les avantages de cette formule paraissent indéniables : un coût inférieur à celui d’une crèche ou d’une assistante maternelle, une structure d’accueil qui favorise la socialisation.

Certes, le jardin d’éveil est revendiqué comme une transition éducative qui facilite l’éveil de l’enfant. Il s’agit non pas de scolariser, mais de préparer les enfants à la vie en société, en leur donnant le choix des activités et en leur apprenant des règles de vie.

Mais il me semble, madame la secrétaire d’État, que ces missions sont précisément celles qui sont dévolues aux crèches municipales et aux crèches familiales.

Vous prévoyez très rapidement la création, à titre expérimental, de 8 000 places d’accueil en jardins d’éveil. Ce projet s’inscrit dans l’objectif du Gouvernement de créer au moins 200 000 offres de gardes supplémentaires d’ici à 2012, pour répondre aux besoins de l’ensemble des familles. Or 2012, c’est demain ! On ne peut que se féliciter d’une telle annonce si l’État consacre à ce projet les moyens nécessaires.

La France est aujourd’hui championne d’Europe de la natalité. Force est cependant de constater qu’il est difficile, pour les parents, de trouver un mode de garde pour leurs plus jeunes enfants et de concilier vie privée et vie professionnelle.

Cette difficulté est d’ailleurs sensible en milieu rural tout comme dans les zones urbaines. Elle touche l’ensemble des ménages et, en particulier, les plus modestes qui doivent arbitrer entre préserver les deux revenus ou sacrifier l’un des emplois, le plus souvent celui de la femme, pour assurer la garde de l’enfant en bas âge.

Notre pays manque d’équipements collectifs destinés aux enfants de moins de trois ans. Je citerai simplement quelques chiffres pour illustrer mon propos.

En 2005, en France, seuls 32 % des enfants de moins de deux ans étaient accueillis dans des établissements collectifs, contre 73 % au Danemark, 53 % en Suède, 42 % en Belgique ou 39 % en Espagne. Il manquerait donc dans notre pays entre 300 000 et 400 000 places d’accueil.

Cette pénurie de places contraint les parents qui optent pour un congé parental à utiliser ce dernier dans sa durée maximale de trois ans, alors que ces trois années sont souvent ressenties, dans le monde de l’entreprise, comme un obstacle au retour à l’emploi en termes de carrière et considérées comme trop longues, par les intéressés eux-mêmes, en termes d’épanouissement personnel.

Créé à l’origine pour favoriser l’épanouissement familial, le congé parental est désormais vécu comme un choix forcé, voire une contrainte.

D’ailleurs, les chiffres du ministère de la santé l’attestent : un tiers des 580 000 bénéficiaires s’arrêtent de travailler non par choix, mais parce qu’ils ne trouvent pas de mode de garde.

Le jardin d’éveil apparaît, dès lors, comme une structure intermédiaire entre la famille, la crèche ou l’assistante maternelle et l’école.

Dans ce contexte, elle semble tout particulièrement adaptée pour l’accueil des classes d’âges intermédiaires, après deux ans et avant les trois ans de l’enfant. En effet, la question de l’accueil des tout-petits, dès deux ans, en école maternelle reste encore très conflictuelle, en partie par manque de postes d’enseignants et donc de classes nécessaires à un accueil de bonne qualité pour les enfants.

Aussi, madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous faire part de mes inquiétudes et de mes interrogations, partagées tant par les parents que par les collectivités locales, quant aux modalités de mise en œuvre à grande échelle des jardins d’éveil.

Pourquoi favoriser une offre d’accueil concurrente à celle des crèches municipales alors qu’il faudrait déployer davantage de moyens pour accroître l’offre dans les structures existantes, par exemple dans la section des plus grands, qui ont fait leurs preuves, et dont le personnel est particulièrement bien formé ?

La question du personnel d’encadrement se pose, en effet, en termes non seulement qualitatifs mais aussi quantitatifs. Ainsi, le mieux-disant supposé du jardin d’éveil est très relatif. Un adulte pour douze enfants, c’est presque le même chiffre qu’à l’école maternelle, car il y a souvent une ATSEM – agent territorial spécialisé des écoles maternelles – en petite section, alors qu’à la crèche le rapport est de un pour cinq ou de un pour huit selon l’âge de l’enfant.

Les conditions de mise en œuvre du cahier des charges des jardins d’éveil sont un autre motif d’inquiétude, entraînant de grandes disparités selon que le jardin d’éveil sera rattaché à un centre de loisirs, à une crèche ou à une école maternelle. Dans ce dernier cas, il y aura forcément continuité du projet pédagogique entre les deux établissements, et il ne serait pas surprenant qu’insidieusement une forme de préscolarisation se mette en place dans les faits et dans les esprits, notamment celui des parents, créant ainsi une nouvelle forme d’élitisme.

Enfin, et c’est le plus alarmant, il est à craindre que la généralisation des jardins d’éveil ne remette en cause la gratuité de la scolarisation précoce, mise en place pour améliorer la réussite scolaire des enfants issus de milieux défavorisés, et qui concerne quand même 21 % des enfants de deux à trois ans.

Or il est impératif de préserver cette possibilité, car, si le tarif est certes plus attractif que celui d’une crèche, il n’en reste pas moins que les jardins d’éveil seront financés, en partie, par les familles.

La mise en place de cette nouvelle structure est donc, à mes yeux, ni plus ni moins qu’une forme de privatisation de l’école maternelle, un nouveau transfert de compétences vers les collectivités territoriales et, en définitive, un désengagement de l’État, ayant pour conséquence directe le renforcement des inégalités territoriales.

En cette période de crise, la mise en place d’un service public d’accueil de la petite enfance, gratuit et de qualité, serait plus que jamais nécessaire.

La question que je voudrais vous poser, madame la secrétaire d’État, est simple : comment comptez-vous garantir que les jardins d’éveil ne s’étendront pas aux plus de trois ans et qu’ils ne concurrenceront pas l’école maternelle ? Qui plus est, les enfants y seront accueillis à partir de deux ans pour une durée de neuf à dix-huit mois, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de trois ans et demi, le jardin d’éveil empiétant ainsi sur la petite section d’école maternelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Papon.

M. René-Pierre Signé. Le discours va changer !

Mme Monique Papon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que nous ayons aujourd’hui l’occasion de débattre de la création des jardins d’éveil. Je souhaite que ce débat ait lieu dans la sérénité avec pour seule motivation l’intérêt de l’enfant et celui des familles. (Très bien ! sur plusieurs travées de lUMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Je salue la mise en œuvre – sur votre initiative, madame Morano – de ce projet, qui connaît déjà ses premières réalisations…

M. René-Pierre Signé. Réalisation ne veut pas dire réussite !

Mme Monique Papon. … et qui fait l’objet de nombreux dossiers en cours d’instruction auprès des caisses d’allocations familiales, d’après les informations que j’ai recueillies.

D’ailleurs, je dois vous indiquer, mes chers collègues, que je continue à être sollicitée par différents acteurs sur le terrain qui souhaitent mettre à disposition des familles cette nouvelle structure d’accueil pour les jeunes enfants, laquelle ne relève pas d’une « solution hasardeuse », pour reprendre l’expression que vous avez employée, madame Cartron,...

Mme Françoise Cartron. Je n’ai pas dit cela !

Mme Monique Papon. … au regard de l’intérêt de l’enfant et des besoins des familles.

Pourquoi le groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants avait-il été amené à proposer la création de jardins d’éveil pour les enfants âgés de deux à trois ans ?

Je me contenterai, en ce qui me concerne, de rappeler les considérations qui ont conduit notre groupe de travail à réfléchir à cette question controversée de la scolarisation des enfants de moins de trois.

Je souhaiterais vous faire part de certains constats auxquels nous sommes parvenus au terme de nombreuses auditions de professionnels de la petite enfance, de l’éducation, notamment de l’école maternelle, de chercheurs, de médecins, de représentants des familles et des parents d’élèves.

Dans un contexte de pénurie de modes de garde, marqué en France par un taux de fécondité élevé et un fort taux d’activité féminine, l’école maternelle fournit notamment un service aux parents avec la prise en charge des jeunes enfants.

Elle est d’ailleurs en situation de quasi-monopole pour l’accueil spécifique des enfants de deux à six ans. La découverte de la vie en société dans une structure collective s’effectue pour le plus grand nombre d’enfants lors de l’entrée à l’école maternelle.

Or les travaux de notre groupe de travail ont permis de dresser un bilan mitigé de la scolarisation des moins de trois ans, tant sur le plan des conditions d’accueil qu’au regard de l’intérêt de l’enfant, qui renvoie davantage à un trait historique lié au développement de l’école maternelle dans les années 1970-1980, dans un contexte de baisse démographique, qu’à une véritable politique volontariste en la matière.

Notre pays a très tôt fait le choix d’une structure préscolaire placée à la fois sous le contrôle de l’État et sous l’égide du ministère en charge de l’instruction. Ce trait historique est une clef d’analyse des enjeux qui se nouent aujourd’hui autour de l’école maternelle et de la scolarisation des jeunes enfants. L’école maternelle exerce un rôle emblématique de passerelle entre la famille et l’école élémentaire.

La possibilité ouverte depuis la création de l’école maternelle de scolariser les enfants dès l’âge de deux ans commence à être utilisée significativement à partir des années soixante. C’est la décennie 1970-1980 qui connaît la plus forte progression du pourcentage d’enfants scolarisés à deux ans.

Force est de constater que le développement de la scolarisation précoce au cours de ces années s’est réalisé en l’absence d’une démarche politique globale et de toute obligation légale. Elle semble être le fruit de circonstances extérieures au sujet même.

Il faudra attendre la loi de 1989 d’orientation sur l’éducation pour que ce mouvement trouve une traduction législative, toutefois très limitée. En effet, les travaux législatifs rejettent alors le principe d’une généralisation de l’entrée à l’école maternelle dès deux ans pour affirmer un droit à la scolarisation à partir de trois ans.

Il apparaît ainsi que l’éducation nationale, dans une conjoncture particulière, a pu répondre à une demande sociale et a offert aux familles une opportunité nouvelle.

Ce constat fait, le groupe de travail a été amené à se poser la question suivante : l’école maternelle s’adresse-t-elle vraiment aux enfants de deux ans ?

Il faut reconnaître que les personnes que nous avons rencontrées ont plutôt formulé des critiques à l’égard d’une scolarisation aussi précoce. Les critiques ont été plus nombreuses que les approbations !

Le plus souvent qualifiée de « variable d’ajustement des inscriptions en école maternelle », la scolarisation précoce apparaît peu adaptée à la tranche d’âge des deux à trois ans, marquée par une grande hétérogénéité physiologique et psychique : l’enfant doit passer du stade de « grand bébé » à celui de « petit écolier ».

L’enfant de deux ans a ses propres rythmes, des besoins particuliers. Souvent, il doit dormir à deux moments de la journée.

M. René-Pierre Signé. C’est possible en maternelle !

Mme Monique Papon. Il doit trouver un adulte attentif pour bénéficier d’une relation privilégiée avec lui ; il a besoin d’un espace individuel pour se mettre à l’écart mais aussi pour se mouvoir en toute liberté. Certes, cet enfant est curieux mais sa capacité de concentration est faible.

Très souvent, la condition première pour entrer à l’école maternelle est d’être « propre ». Or cette acquisition ne doit pas se faire sous la contrainte, il faut lui laisser le temps de l’acquérir.

M. Nicolas About. Bien sûr !

Mme Monique Papon. J’ai été, comme mes collègues, particulièrement sensible aux analyses qui portent une attention particulière au respect des rythmes et des besoins du jeune enfant. Il faut « respecter le temps du bébé », nous a dit Mme Claire Brisset, ancienne défenseure des enfants.

Il a en outre été indiqué au groupe de travail que le milieu scolaire ne favorisait pas l’acquisition du langage pour les tout-petits,…

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Exact !

Mme Monique Papon. … qui ont besoin d’une relation privilégiée avec un adulte pour entrer dans ce champ d’apprentissage, indispensable à une réussite scolaire ultérieure.

Ainsi, les nombreuses auditions réalisées par notre groupe de travail ont permis de constater que les conditions actuelles de la scolarisation des jeunes enfants étaient l’objet de critiques émanant de l’ensemble des acteurs, au sens large, du système éducatif. Le fonctionnement de l’école maternelle ne semble pas adapté à cette tranche d’âge.

Les critiques portent surtout sur les effectifs des classes, l’adaptation des locaux, la souplesse des horaires, le niveau d’encadrement ou l’adéquation de la formation des personnels.

Par ailleurs, le groupe de travail s’est demandé si les enfants scolarisés à deux ans en tiraient un bénéfice sur le plan de leur scolarité ultérieure. Or, d’après les études les plus récentes, qui proviennent des services du ministère de l’éducation nationale, cette scolarisation précoce ne semble contribuer que très marginalement à la réduction des inégalités sociales et à la prévention de l’échec scolaire.

En réalité, entrer à l’école maternelle à deux ans au lieu de trois ans a très peu d’incidence sur le devenir scolaire de l’enfant. Une scolarité maternelle en trois ans ou en quatre ans est équivalente pour le parcours scolaire ultérieur de l’enfant. (Mme Françoise Cartron s’exclame.)

Voilà les quelques éléments que je voulais vous livrer, axés sur l’intérêt de l’enfant, et qui militent pour la création de cette structure adaptée aux enfants de deux à trois ans qu’est le jardin d’éveil, que nous avions suggérée et que vous proposez aux différents acteurs de la petite enfance de mettre en place, madame la secrétaire d’État.

Il s’agit aussi d’accroître l’offre de garde pour s’adapter aux évolutions de notre société. Cette proposition est un élément de réponse aux promesses du Président de la République en matière de droit à la garde d’enfants.

En effet, le premier mode de garde pour les enfants de moins de trois ans non scolarisés est familial : près des deux tiers des enfants sont gardés à la maison, essentiellement par leur mère.

Le deuxième mode de garde est l’assistante maternelle. La fréquentation d’un établissement d’accueil de jeunes enfants ne concerne que 8 % des enfants.

Le déficit actuel du nombre de places d’accueil proposées pour les enfants de moins de trois ans pèse sur le choix des parents et sur la satisfaction de leurs attentes. Leur positionnement à l’égard d’une entrée précoce à l’école maternelle semble nuancé.

D’ailleurs, une enquête SOFRES, menée pour le magazine Parents en 2006 sur cette question de la scolarisation précoce, réalisée auprès de mères d’enfants de moins de deux ans, indique que seules 35 % des mères sont favorables à une généralisation de l’accueil des enfants de deux ans à l’école.

Les motivations qui conduisent certains parents à choisir l’école maternelle dès deux ans sont diverses : objectif de socialisation, bien sûr, perspective d’un bénéfice purement scolaire, insuffisance et coût élevé des modes de garde. Mais l’école maternelle ne saurait pallier un déficit de structures d’accueil en assurant la garde des enfants nécessitée par la double activité professionnelle des parents.

Il demeure que ces derniers sont avant tout attachés à une offre diversifiée, alliant structures de garde collective et gardes individuelles. Les jardins d’éveil, proposés par notre groupe de travail, contribuent en ce sens à élargir cette offre dans notre pays.

Dans ses conclusions, le groupe de travail avait proposé de constituer un pôle autour de l’accueil de la petite enfance reposant sur un ensemble de structures éducatives, qui s’articulerait en un triptyque fondé sur une approche chronologique du temps de l’enfance : tout d’abord, destiner en priorité les établissements d’accueil de type crèche collective et familiale aux seuls bébés ; ensuite, promouvoir de nouvelles structures d’accueil éducatif pour les jeunes enfants âgés de deux à trois ans ; enfin, assurer une scolarisation réussie des enfants à partir de trois ans.

En tant que rapporteur de ce groupe de travail, je ne puis que me féliciter de l’expérimentation que vous conduisez, madame la secrétaire d’État, et on ne peut que souhaiter son développement sur l’ensemble du territoire national. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Nicolas About applaudit également.)