Mme Catherine Dumas. Très bien !

M. David Assouline. J’ai dit l’inverse !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Venant d’un parlementaire, passez-moi l’expression, c’est un peu fort de café !

Mme Catherine Dumas. Tout à fait !

M. Michel Thiollière, rapporteur. J’entends tous les jours des Français émettre des critiques, qui n’épargnent pas le pouvoir en place, non plus d’ailleurs que l’opposition, qui en prend aussi pour son grade, rassurez-vous !

Croyez-le, chacun se fait son propre jugement. C’est si vrai que votre caricature insistante du pouvoir du Président de la République, censé souffler tous les jours aux médias ce qu’ils doivent dire ne reflète absolument pas ce que j’entends à la radio, ce que je lis dans les journaux ou ce que je vois à la télévision

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Exactement !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Mais après tout, c’est affaire d’appréciation personnelle !

Ce qui est sûr, c’est que nos concitoyens ne sont ni crédules ni stupides. Ils méritent notre considération, notre respect et nous devons leur faire confiance pour être des citoyens libres et justes dans leurs appréciations.

Vous allez me rétorquer que ces citoyens reçoivent tellement d’images, sont confrontés à tellement de bruit et de fureur qu’ils ne savent plus où ils en sont.

C’est la raison pour laquelle il faut accentuer la formation aux médias dans nos écoles. C’est ce à quoi s’attache régulièrement notre commission lorsqu’elle adopte des mesures ou qu’elle procède à des évaluations. Les jeunes doivent être formés à la lecture critique des messages diffusés par les médias, à leur décryptage.

M. David Assouline. C’est moi qui ai fait le rapport sur ce sujet, et vous me donnez des leçons !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Croyez-le, dans les écoles de notre pays, cela se fait. Là encore, faisons confiance aux enseignants.

M. David Assouline. C’est trop fort !

M. Michel Thiollière, rapporteur. De la défiance, vous en éprouvez apparemment aussi envers les professionnels des médias.

À longueur d’année, dans le cadre de notre mandat de parlementaire, nous rencontrons beaucoup de journalistes. Comment peut-on imaginer une seule seconde que ceux-ci sont totalement corsetés, dépourvus de tout jugement critique et que ne s’élève jamais une voix pour dire que la rédaction est une chose et l’actionnaire une autre. Nous ne devons pas fréquenter les mêmes personnes ! Les nombreux journalistes que je croise sont non seulement soucieux de leur indépendance, mais ils la font également respecter.

M. David Assouline. Moi, je vais vous en faire rencontrer d’autres !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Je regrette, cher David Assouline, que vous ayez des contre-exemples. Cela signifie simplement que vous fréquentez des gens qui ont peur.

M. David Assouline. Des aigris, dites-le !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Aidons-les à ne plus avoir peur.

M. David Assouline. Oui, en faisant des lois !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Après cet ensemble de considérations, je voudrais revenir sur un point sur lequel nous sommes tous unanimes. Je crois pouvoir dire qu’il faut franchir quelques obstacles dans cette société des écrans qui s’impose désormais.

Le temps s’accélère et celui des médias, aussi bien que celui de la société, est « compacté ». Tant les professionnels que les téléspectateurs manquent certainement de recul, de distance, de réflexion. Eh bien, faisons en sorte de ne pas toujours céder à la tyrannie de l’instantanéité et du dernier scoop ! Faisons en sorte que le recul soit la règle, et notre assemblée est sans doute particulièrement bien placée pour mettre en valeur la nécessité de ce recul comme facteur de lucidité.

C’est à nous, parlementaires, à nous, citoyens, de faire cet effort. Les médias ne doivent pas être en reste et éviter de « sucer la roue », comme on dit dans le vélo, de celui qui est devant pour le doubler ou ne pas être distancé.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Tout cela est affaire de professionnalisme, de formation et, pour nous, citoyens et parlementaires, de jugement éclairé sur notre société.

Si nous voulons construire une société fondée sur le respect, ayons des valeurs. Nous en avons tous reçu. Nous sentons bien que les journalistes ont besoin que nous fassions confiance à leurs valeurs, qui sont aussi les nôtres.

Nous devons respecter, je le répète, les téléspectateurs, qui ont le droit d’avoir leur propre jugement. Pourquoi le choix majoritaire serait-il, ici, dans le cadre du suffrage universel, une règle absolue, et, là, dans le domaine des médias, objet de dénigrement. Médiamétrie montre tous les jours qu’en zappant nos concitoyens votent pour ou contre une émission. Faisons-leur confiance !

M. David Assouline. Pas de problème !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Ayons également confiance dans la diversité.

M. David Assouline. Il n’y a pas de diversité !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Il n’est pire pays ou pire régime que celui qui réduit la diversité. C’est pourquoi les groupes de presse et les médias doivent être nombreux.

Il y a des moyens à mettre en place pour que ces différents principes sur lesquels nous sommes majoritairement d’accord s’appliquent.

M. David Assouline. Nous ne sommes pas d’accord !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Il faut un grand service public de l’information. Nous l’avons encore amélioré cette année.

Il faut des médias privés, libres, indépendants et nombreux. Nous les aidons, et le CSA, notamment, leur permet d’exister à travers sa mission de régulation.

Il faut former les professionnels, mais aussi les jeunes à l’école, afin d’éveiller leur sens critique.

Il faut que nous, parlementaires, nous agissions et que nous exercions une forme de vigilance républicaine afin que les médias soient toujours libres et indépendants.

Il faut, enfin, de la transparence et la confrontation des idées.

Sachant que nous partageons tous ces objectifs d’indépendance, de liberté et de diversité, je voudrais rappeler que nous, législateur, avons fait œuvre utile pour aller dans le sens de l’indépendance, de la liberté, de la diversité : la TNT partout sur le territoire, le groupe France Télévisions, Radio France, Arte, la radio numérique, sans oublier une presse, dont les états généraux se sont déroulés cette année, qui va elle aussi se réformer pour être encore plus proche des souhaits de nos concitoyens et des valeurs que nous défendons.

La question que vous posez est certes légitime, mais vous y apportez une réponse réductrice, qui détruirait ce à quoi nous sommes attachés. C’est la raison pour laquelle, à cette société de défiance et de raréfaction de l’offre que vous appelez, je voudrais répondre par la confiance, une offre élargie et le respect envers les professionnels ainsi qu’envers nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. David Assouline. À charge de revanche !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, cher Jacques Legendre, monsieur le rapporteur, cher Michel Thiollière, monsieur le sénateur David Assouline, mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez tous la fable de La Fontaine l’Ours et l’Amateur des jardins. Un vieil homme solitaire se lie d’amitié avec un ours - ces choses-là sont possibles chez La Fontaine. L’animal, pour témoigner son amitié au vieillard, chasse les mouches de son visage pendant qu’il dort. Seulement, il y met tant de zèle qu’un jour il finit par lancer une pierre et « casse la tête à l’homme en écrasant la mouche ». C’est de cette fable qu’est tirée l’expression le « pavé de l’ours ».

La Fontaine, par cette fable, nous rappelle qu’il est des amis quelque peu maladroits, souvent d’ailleurs les plus démonstratifs, qui s’avèrent parfois plus dangereux que des adversaires. Aujourd'hui, je crois que les grands amis de la liberté de la presse lui préparent, en voulant bien faire, un vrai pavé de l’ours.

Sur les principes, nous sommes d’accord : la nécessité de sauvegarder le pluralisme des courants de pensée et d’opinion est clairement une des conditions de notre démocratie. C’est, en droit, un objectif de valeur constitutionnelle, comme le rappelle régulièrement le Conseil constitutionnel.

C’est pourquoi le législateur a défini, dans les lois relatives à la presse et à la liberté de communication, un ensemble de règles qui visent à limiter la concentration des médias et à en assurer l’indépendance. Ces règles sont d’ailleurs largement issues de décisions du Conseil constitutionnel, qui a guidé le législateur dans la détermination de normes pertinentes.

Or, comme si ces garanties n’étaient déjà pas savamment construites par nos plus hautes législations, David Assouline et le groupe socialiste nous proposent aujourd’hui de compléter ce dispositif. Un désir d’amélioration toujours légitime, après tout…

Il conviendrait donc, selon vous, d’empêcher tout acteur privé qui entretient des relations économiques avec la puissance publique de bénéficier d’une nouvelle autorisation de diffusion par voie hertzienne terrestre ou d’acquérir une publication imprimée d’information politique et générale.

Je ne vous cache pas que je suis en total désaccord avec cette proposition. Je le suis pour des raisons techniques et économiques que je vais vous exposer, mais aussi et surtout, je dois le dire, pour des raisons éthiques.

Permettez-moi de vous expliquer pourquoi ce pavé dans la mare que vous croyez jeter au Gouvernement est, à mon sens, un « pavé de l’ours » à la presse et à la liberté d’expression.

Techniquement, votre proposition soulèverait d’importantes difficultés liées en particulier à la collecte de l’information, qui nécessiterait des investigations approfondies. Pour l’audiovisuel, cela impliquerait un alourdissement de la tâche du Conseil supérieur de l’audiovisuel, au détriment de ses autres missions. Pour le secteur de la presse, lequel n’est pas doté d’une instance de régulation similaire, qui devrait se charger de ces lourdes recherches ? Votre proposition de loi est muette à ce sujet.

En outre, il ne faut pas occulter les difficultés liées au contrôle du respect du dispositif. Pour l’audiovisuel, il appartiendrait au CSA d’y veiller ; mais, pour la presse, cela devrait-il relever du juge pénal ? La proposition de loi ne comporte, là non plus, aucune précision satisfaisante.

Je note que, s’agissant de la presse écrite, votre proposition ne concerne que la presse imprimée sur support papier, à l’exclusion de la presse sur support numérique, aujourd’hui pourtant en pleine expansion.

Mais ces obstacles techniques ne sont peut-être pas essentiels, et votre grande amitié pour la presse trouverait sans doute tous les moyens de les lever. L’essentiel, c’est que votre proposition soulève, à mes yeux, plusieurs difficultés d’ordre économique, éthique et politique.

Je ne partage pas votre idée selon laquelle les liens financiers entre un actionnaire et une collectivité publique porteraient atteinte, en eux-mêmes, à l’indépendance d’un média. On ne saurait considérer, par exemple, que les télévisions locales, qui sont nombreuses à bénéficier de financements publics pour compenser leur sujétion particulière de service public, soient dépendantes des collectivités.

La procédure actuelle, traditionnelle, a fait ses preuves. C’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel qu’il appartient d’adopter les garanties qui s’imposent dans le cadre des conventions qu’il conclut avec ces chaînes.

D’ailleurs, à supposer que votre approche soit la bonne, pourquoi refuser à une télévision ce que vous admettriez en radio avec les aides du fonds de soutien à l’expression radiophonique locale,…

M. David Assouline. Cela n’a rien à voir !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. … qui n’entrent pas dans votre dispositif puisque celui-ci ne concerne pas les associations ? Par principe, les associations seraient-elles toutes indépendantes à vos yeux ?

De même, devrait-on mettre fin au groupement d’intérêt public France Télé numérique, qui associe l’État et les chaînes analogiques pour gérer au mieux la transition vers le numérique, au simple motif que ses membres pourraient être regardés comme bénéficiaires des campagnes d’information diffusées par ce même groupement ? Ce serait, reconnaissez-le, assez absurde.

M. David Assouline. Il ne s’agit pas de groupes privés !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. La presse, vous le savez, bénéficie d’aides directes et indirectes de l’État, réparties selon des critères objectifs ; un système qui permet à la fois de répondre aux nécessités économiques du secteur et de préserver l’indépendance et le pluralisme de la presse.

Enfin, en admettant même que la présence dans les médias d’actionnaires entretenant des relations économiques significatives avec la puissance publique puisse constituer un risque pour l’indépendance desdits médias, la proposition de loi ne réglerait cette difficulté qu’à très long terme puisqu’elle ne permettrait pas de remettre en cause les situations existantes.

Il est, en effet, très probablement inévitable, au regard des exigences du Conseil constitutionnel, que votre proposition de loi ne pourrait prendre en compte que les opérations à venir. Elle a donc pour conséquence de la rendre sans portée réelle sur les situations qui vous choquent et qu’elle entend combattre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Sans préjuger de vos intentions, il me semble que votre pavé n’arrivera pas jusqu’aux destinataires souhaités.

Soyons réalistes, qu’on le veuille ou non, les grandes entreprises vivent nécessairement pour partie de commandes publiques. Faut-il pour autant leur faire une sorte de procès en sorcellerie ? Elles doivent obéir à des règles de transparence et de libre concurrence qui sauvegardent l’équilibre général.

Dans cette affaire comme dans toutes, que ce soit la loi HADOPI ou l’affaire Google-BNF, notre maître mot est encore et toujours la régulation, c’est-à-dire une manière respectueuse et efficace d’être vraiment à l’écoute de la société et de son dynamisme économique et culturel, comme l’a d’ailleurs rappelé le rapporteur, Michel Thiollière.

De fait, les outils de régulation propres à chaque type de média permettent de veiller au respect de leur indépendance. En vertu de l’article 19 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA dispose de pouvoirs d’enquêtes étendus aux actionnaires des diffuseurs pour « toutes les informations sur les marchés publics et délégations de service public pour l’attribution desquels cette personne ou une société qu’elle contrôle ont présenté une offre au cours des vingt-quatre derniers mois ».

La loi fait obligation au CSA de tenir compte, dans les autorisations qu’il délivre, des dispositions envisagées par le candidat en vue de garantir le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, l’honnêteté de l’information et son indépendance à l’égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public.

Dans les conventions qu’il conclut avec les chaînes, le CSA doit ensuite prendre toutes dispositions pour garantir l’indépendance des éditeurs à l’égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public. Cela vaut d’ailleurs également pour les chaînes du câble et du satellite.

En matière de presse, la loi du 1er août 1986 soumet les entreprises éditrices à des règles de transparence, notamment en ce qui concerne leur actionnariat. Ces règles doivent être prochainement renforcées, conformément aux orientations arrêtées par le Président de la République à l’issue des états généraux de la presse écrite.

Enfin, la plupart des entreprises de presse disposent de chartes internes dites « de déontologie » qui garantissent l’indépendance des rédactions à l’égard des actionnaires. Les travaux du comité des sages dirigé par Bruno Frappat ont d’ailleurs abouti, le 27 octobre dernier, à l’élaboration d’un projet de code de déontologie des journalistes. Ce texte, attendu, rappelle notamment que l’indépendance du journaliste est la condition essentielle d’une information libre, honnête et pluraliste. Les partenaires sociaux du secteur doivent maintenant se saisir de ce projet de code et lui réserver les suites appropriées.

Dans un contexte technologique et économique particulièrement difficile et instable, les entreprises du secteur des médias doivent pouvoir s’appuyer sur des actionnaires solides, bénéficier de la plus grande souplesse et d’une totale sécurité juridique dans leurs opérations capitalistiques.

La France a besoin d’entreprises de médias économiquement fortes si nous voulons qu’elle puisse peser sur un marché mondial très ouvert, très concurrentiel et largement dominé par des acteurs anglo-saxons.

Les groupes français de l’audiovisuel ou de la presse sont nettement sous-dimensionnés face aux géants News Corporation, NBC Universal – qui est en train de fusionner avec le premier opérateur du câble américain, Comcast –, Time Warner et, bien entendu, Google. Nos entreprises doivent être confortées sur le marché national pour pouvoir conquérir des positions ailleurs, en Europe et dans le reste du monde. Car s’il est vrai que l’on a toujours besoin d’un plus petit que soi, nous savons aussi que, malheureusement, la raison du plus fort est souvent la meilleure.

Avec des mesures aussi contraignantes que celles que vous nous proposez aujourd’hui, nous n’avons qu’une seule assurance, c’est qu’aucune entreprise française de médias ne pourra plus financer son développement grâce aux fonds investis par les actionnaires industriels. Le résultat ne fait aucun doute : elles s’en trouveront marginalisées au niveau mondial.

M. David Assouline. Comment fait M6 ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Si votre intention est réellement de garantir le pluralisme des médias et de défendre la liberté d’expression, laissez-moi vous dire, David Assouline, que vos actes auraient exactement l’effet contraire de celui que vous prétendez rechercher ici. Si vos propositions étaient retenues, elles feraient le lit de l’opacité et nous ramèneraient à l’ère du soupçon, celle de l’influence politique. Pardonnez-moi de le dire ainsi, mais il s’agirait d’une démagogie mal dissimulée.

Qui pourrait alors investir dans les médias ?

M. David Assouline. C’est le régime qui a cours en Grande-Bretagne !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Vous voulez Murdoch ?

Qui pourrait alors investir dans les médias ? Les collectivités territoriales ? L’État ? Est-ce cela dont vous rêvez, le retour à un paysage audiovisuel nationalisé, totalement contrôlé par l’État ? Avec cette proposition de loi, vous dites vouloir défendre la démocratie alors que vous ne feriez que porter atteinte à la liberté.

Je vous le dis : le texte que vous proposez est finalement plutôt liberticide. Il organise un retour en arrière de plus de vingt-cinq ans. Il nous renverrait à cette période que nous avons connue, celle d’avant les radios libres, celle d’avant la première chaîne à péage, celle d’avant les chaînes privées gratuites. À l’heure de la TNT, vous voulez nous renvoyer à l’âge de l’ORTF !

Mme Catherine Dumas. Quelle régression !

M. Jean-Marc Todeschini. Parce qu’on n’y est pas ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Le gouvernement auquel j’ai l’honneur d’appartenir est celui qui a garanti l’avenir de la télévision publique en la libérant de la course à l’audimat immédiat et de la recherche compulsive de recettes publicitaires. C’est ce même gouvernement qui a permis la consolidation de la production et de la création audiovisuelles patrimoniales en renforçant les obligations de financement des chaînes de télévision instituées par Catherine Tasca, votre collègue, qui occupa voilà quelques années les fonctions qui sont aujourd'hui les miennes.

C’est aussi cette majorité qui a lancé la télévision numérique terrestre accessible à chacun, multipliant ainsi par trois l’offre de chaînes gratuites pour tous les Français.

Je n’ose vous rappeler enfin que, suivant les conclusions des états généraux de la presse écrite voulus par le Président de la République,…

M. Jean-Marc Todeschini. Ah oui ! Il ne faudrait pas l’oublier ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Frédéric Mitterrand, ministre. … nous avons consacré des moyens sans précédents pour assurer l’avenir de la presse française.

Le budget de mon ministère pour 2010 l’atteste : les aides à la presse écrite y sont en hausse de 51 %. Cela étant dit, une politique ne se mesure pas uniquement à l’aune des moyens consentis, elle s’incarne aussi dans le cadre juridique et économique mis en place.

Pour la presse, par exemple, je pense à la création d’un statut d’éditeur de presse en ligne afin de favoriser le développement de ces nouveaux acteurs qui sont nés sur internet et qui contribuent pleinement aujourd'hui au pluralisme des expressions. C’est aussi le code de déontologie dont je parlais tout à l’heure et que doivent désormais s’approprier journalistes et éditeurs. C’est enfin l’avenir du lectorat de presse que nous voulons garantir en initiant les plus jeunes à la lecture de la presse d’information politique et générale. À cet égard, permettez-moi de vous rappeler le succès de l’opération « Mon journal offert ». Nous avons eu raison d’investir pour offrir à 200 000 jeunes âgés de dix-huit ans à vingt-quatre ans un abonnement d’un an à l’un des soixante quotidiens qui participent à cette opération.

Dans le secteur des médias, nous avons fait le choix de conforter les acteurs par un cadre juridique adapté au développement de leurs économies. Le dispositif que vous nous proposez va à l’encontre de cet objectif. Il gênerait la vie des entreprises sans apporter de réelles avancées en termes d’indépendance, car il faut le rappeler ici : la première des garanties d’indépendance des médias, c’est un bilan sain et un compte de résultat positif.

Votre proposition de loi est donc idéologique et, pour tout dire, anachronique. Regardez le monde autour de vous ! Considérez nos entreprises de médias dans l’univers numérique mondialisé. Pensez-vous franchement que ceux qui les menacent le plus, ce sont des actionnaires entrepreneurs ou je ne sais quel grand patronat ressuscité pour l’occasion par une opposition en mal de programme ?

À l’heure d’internet, ce qui fait peur, c’est de voir l’ensemble de notre économie des contenus et de l’information piraté, formaté, dévalué, par le leurre d’une gratuité fondamentalement marchande.

M. David Assouline. Vous êtes réactionnaire !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Mon engagement et la politique que j’entends mener visent à préserver la valeur des biens culturels que la France produit, qu’il s’agisse de la musique, du cinéma, de la création audiovisuelle ou des livres. Il en va de même pour les expressions et les opinions que transmettent et défendent les médias.

Pour toutes ces raisons, David Assouline, je suis défavorable à la proposition de loi que vous présentez aujourd'hui, car elle ne ferait qu’affaiblir les entreprises qui participent à la vitalité du débat démocratique et à la défense de la diversité culturelle.

Je pense que, en faisant mine de lutter contre la société du spectacle, vous en faites un peu vous-même le jeu, et que cette proposition de loi n’est, à bien des égards, qu’une opération de communication qui vise à diffuser le soupçon et à décrédibiliser le Gouvernement en prétendant aider la presse et l’audiovisuel.

Mme Catherine Dumas. Très bien !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Or c’est non pas le Gouvernement que cette proposition de loi mettrait en danger, mais l’économie des médias français et leur place dans la mondialisation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis Gutenberg, l’humanité n’a jamais connu une mutation aussi spectaculaire que l’avènement du Net. Ce profond bouleversement conduit les médias à des évolutions majeures, dans un monde où le flux incessant de l’information et des images n’en finit pas de s’accélérer. Les médias, omniprésents dans notre vie sociale et culturelle, constituent plus que jamais un enjeu déterminant pour les libertés, le pluralisme et la démocratie.

Réguler les concentrations dans ce secteur stratégique est une nécessité, d’autant que celles-ci ne cessent de s’accentuer, avec, de surcroît, des prises de contrôle des médias par des groupes d’intérêt complètement étrangers au monde de la presse. Ce phénomène contribue à réduire l’information à une simple marchandise au service d’actionnaires dont la seule préoccupation n’est certes pas la qualité des contenus.

Il s’agit de renouer avec la lettre et l’esprit visionnaires du programme du Conseil national de la Résistance, qui, préparant la Libération, avait pris la précaution de libérer l’information de la toute-puissance des monopoles économiques en prenant soin de la soustraire à une pensée ou à une idéologie unique. C’est d’autant plus nécessaire que la crise structurelle des médias, renforcée par la crise conjoncturelle qui touche l’ensemble de l’économie, conduit à de nouvelles poussées de restructurations et de concentrations dans le secteur des médias.

Il est vital pour la démocratie de prendre des mesures nouvelles afin de remédier à la collusion des pouvoirs médiatique, économique et politique. Ce mélange des genres contribue largement à conforter la méfiance de nos concitoyens à l’égard de la presse écrite, des chaînes de télévision ou des radios.

La vigilance démocratique conduit donc à proposer de nouveaux verrous anti-concentration afin que la pensée unique ne s’impose pas – et je sais de quoi je parle ! – dans le nécessaire débat contradictoire et que les intérêts des puissances financières ne l’emportent pas sur l’intérêt général.

On peut tout de même être inquiet. Et je relève au passage, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, cher Michel Thiollière, que vous vous êtes vraiment mobilisés sur la question ! Reconnaissez que vous avez « fait très fort », ce soir !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Eh oui !

M. Ivan Renar. Je ne pense pas que l’arsenal législatif actuel soit suffisant pour réguler le secteur des médias et garantir leur pluralisme et leur indépendance. Je pense au contraire que la loi a même fâcheusement régressé, comme en atteste par exemple le fait que les présidents de France Télévisions, de Radio France et de l’audiovisuel extérieur soient désormais nommés et révoqués par le Président de la République.

Les chaînes privées, c’est un fait, sont dirigées par les amis du Président de la République, et la télévision et la radio publiques le seront dorénavant par des responsables qu’il a lui-même choisis !

Nos concitoyens ne veulent pas que le service public, qui est un bien commun, soit subordonné au pouvoir en place, quel qu’il soit. Il ne faut pas confondre télévision publique et télévision d’État. Après avoir instauré la nomination et la révocation des responsables de France Télévisions, de Radio France et de l’audiovisuel extérieur par le Président de la République, pour faire bonne mesure, on met en place une vassalité financière en remplaçant la ressource publicitaire par des crédits budgétaires aléatoires.

Le Gouvernement ne respecte même pas la parole donnée puisque les 450 millions d’euros promis pour compenser la suppression de la publicité après vingt heures, pourtant gravés dans le marbre de la loi, se réduisent finalement à 415 millions d’euros !

Alors que le sous-financement de France Télévisions est chronique depuis des années, que la Cour des comptes s’inquiète à juste titre de la fragilisation du groupe public, cette mise sous tutelle économique, politique et éditoriale ne constitue-t-elle pas les prémices d’une réduction de son périmètre et d’une future privatisation de l’une de ses antennes ? On peut légitimement se poser la question.

Les médias, dans leur diversité, sont des outils extrêmement prégnants dans la vie quotidienne et intellectuelle de notre pays.

On nous dit que nous n’aurions rien à redouter de Bouygues, de Lagardère, de Bolloré, de Dassault, qui sont de petits groupes à l’échelon européen et des fourmis à l’échelle planétaire. Certes, nous assistons à la montée en puissance de groupes de télécommunication de plus en plus puissants et, avec Google, à l’avènement d’un nouveau monopole extravagant. Ce n’est pas une raison pour accepter la connivence malsaine entre ces groupes et les pouvoirs publics.

Tout citoyen éclairé ne peut tolérer l’uniformisation et l’aseptisation de l’information, lesquelles deviennent inévitables dès lors que les médias appartiennent à une poignée de groupes qui dictent ce que l’on peut dire et montrer et incitent insidieusement à l’autocensure afin de ne pas rendre la censure trop visible. Un devoir de réserve permanent en quelque sorte !

Cela dit, il est vrai que les recettes publicitaires, qui constituent un apport déterminant pour l’équilibre financier des médias, sont aujourd’hui vampirisées par internet et par les moteurs de recherche, en particulier Google news, site d’information sans journalistes qui puise gratuitement dans 5 000 sites d’information et qui ne partage que très marginalement ses gains, pourtant phénoménaux, avec les éditeurs de journaux qui lui fournissent les contenus.

En ce qui concerne Google, on peut vraiment parler de nouveau monopole et d’abus de position dominante tout à fait condamnable. Nous en avons débattu hier de façon passionnée et passionnante. D’où l’importance de légiférer tant à l’échelon national qu’à l’échelon européen afin d’assurer l’existence de médias pluriels et indépendants capables de produire une information fiable. Celle-ci ne saurait être qu’un simple copier-coller n’ayant fait l’objet d’aucune vérification et ne respectant pas les droits d’auteur.

Nous devons nous emparer résolument de ces enjeux et en faire une véritable priorité politique. Il y va de la bonne santé de la démocratie, du pluralisme des pensées et des opinions, ainsi que de la liberté d’expression et de diffusion.

Je saisis cette occasion pour saluer le dynamisme de nombre de radios associatives, aujourd’hui mises en danger par le passage au numérique, dont les coûts de diffusion sont prohibitifs Or le Gouvernement n’a rien prévu pour les aider financièrement. Le virage numérique risque de leur être fatal et ne peut que conduire à un terrible retour en arrière.

On le constate, la concentration des médias ne fait que se renforcer au détriment des petites entreprises indépendantes, qui n’ont guère les moyens d’investir pour leur indispensable modernisation. C’est particulièrement le cas pour la presse d’information à faibles ressources publicitaires et pour la presse quotidienne et hebdomadaire d’information régionale. On assiste à l’émergence de nouveaux empires et à une vague de fusions-acquisitions contraire à la diversité des titres de presse, qui disparaissent les uns après les autres, faisant reculer dangereusement le pluralisme.

Comment ne pas évoquer, enfin, la situation de l’Agence France-Presse ? Son statut, qui relève du Parlement, lui assure une véritable indépendance, ainsi qu’une solide crédibilité, et constitue une réelle garantie pour que l’Agence échappe en toutes circonstances au contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique. Ce statut lui a permis de devenir la troisième agence de presse mondiale.

Or, sous prétexte de modernisation, la direction de l’entreprise et le Gouvernement tentent de réformer ce statut et d’ouvrir le capital de l’Agence.

On ne soulignera jamais assez à quel point l’existence et l’indépendance de l’AFP, seule agence mondiale non anglo-saxonne, sont d’une importance capitale dans le paysage médiatique planétaire. Alors que la maîtrise des sources d’information est de plus en plus stratégique dans notre société, quelle chance pour notre pays de bénéficier de ce remarquable fleuron et quelle valeur ajoutée pour l’ensemble de nos médias, alors que l’information certifiée, précise, rapide et fiable devient une valeur rare ! Si le statut de l’AFP n’existait pas, il faudrait l’inventer !

Monsieur le ministre, le règne de l’argent ne fait pas bon ménage avec la liberté et le pluralisme des médias. Nous ne pouvons assister sans réagir à la prolifération d’un modèle d’information à bas coût, qui condamne le journalisme d’investigation. Pas un jour ne passe sans que de nouveaux licenciements de journalistes soient annoncés. Les journalistes et les photographes, qui sont de plus en plus précarisés, deviennent de simples variables d’ajustement, comme en témoigne l’ampleur des licenciements. La qualité de l’information et l’indépendance éditoriale sont en danger !

Au-delà de principes déontologiques exigeants, auxquels les professionnels adhèrent avec conviction, les journalistes doivent bénéficier de garanties renforcées, afin d’exercer leur métier en toute liberté. Il devient urgent que la loi consacre enfin l’indépendance des rédactions face aux pressions des groupes industriels, tout comme il est urgent de se conformer enfin à la loi et à la justice européennes, afin d’assurer la protection des sources des journalistes.

Parallèlement, il est important de former des citoyens éclairés et vigilants. Alors que la culture de l’écran, où se côtoient le pire et le meilleur, se développe chez les jeunes, l’éducation à l’image et l’appréhension critique de l’information doivent devenir une des priorités de l’éducation nationale. Hélas, nous en sommes loin ! C’est d’autant plus regrettable, que nous baignons dans une forme de présent perpétuel, qui pousse à l’amnésie généralisée, en flattant l’ignorance et la déculturation.

Je dois dire, monsieur le ministre, que le vif succès des abonnements gratuits à la presse quotidienne dans la campagne que vous menez démontre que l’imprimé n’est pas un « vieux média pour vieux » et qu’il n’y a pas de fatalité. De ce point de vue, je suis d'accord avec Umberto Eco, invité d’honneur au Louvre, quand il déclare que la lecture quotidienne du journal est la « prière laïque de l’homme moderne ».

Les défis auxquels sont confrontés les médias sont bien l’affaire de toute la société et conditionnent son avenir. Nous soutenons donc cette proposition de loi, qui vise à promouvoir des médias pluriels, indépendants des forces politiques et économiques, bref des médias au service de l’intelligence collective et de l’émancipation humaine. Au moins, ce soir, nous en aurons discuté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)