M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Il s’agit ici de l’un des articles phares de la présente proposition de loi.

Le phénomène des bandes n’est pas sociologiquement connu depuis très longtemps. Toutes les personnes que nous avons interrogées nous ont parlé de la spécificité des bandes actuelles et de cette forme de délinquance.

Ainsi, M. Alain Bauer, sociologue qui préside l’Observatoire national de la délinquance, a tenu les propos suivants à cet égard : « La criminalité change et évolue. Les outils pour la combattre sont multiples, mais souvent lents à mettre en place. Dans un État de droit, la loi doit être utilisée de plus en plus pour s’adapter au mode opératoire. »

En s’exprimant ainsi, ce sociologue fait du droit pénal, parce qu’à l’inverse de toutes les autres branches du droit, exception faite du droit fiscal, le droit pénal s’interprète restrictivement, et il n’appartient pas à un magistrat de déterminer quels sont les éléments constitutifs d’une infraction.

Dès lors qu’une forme de délinquance n’est pas envisagée par les textes existants, les juges ne peuvent y répondre. L’article 1er de la proposition de loi tend à combler une telle lacune. Vous craignez, mes chers collègues, que les magistrats ne fassent une interprétation large de sa rédaction, or c’est juridiquement impossible, puisque, en droit pénal, ils doivent en rester à une interprétation stricte.

Pour le reste, nous devons maintenant nous concentrer non pas sur le texte de l’Assemblée nationale, mais sur celui de la commission des lois du Sénat, qui a considérablement modifié la rédaction de l’article 1er, sur trois points.

Premièrement, la définition de l’infraction a été revue afin de viser la personne qui participe à une bande dans le but de préparer des violences ou des dégradations. Dans cette rédaction, le groupement est non pas le sujet de l’action, mais seulement le moyen de préparer des violences. Il s’agit bien ici de viser la responsabilité personnelle de l’individu, et non d’instaurer une forme de responsabilité collective. La lecture du texte permet de l’établir très nettement.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas toujours très clair !

M. François Pillet, rapporteur. Deuxièmement, la nouvelle rédaction a substitué la notion d’acte préparatoire à celle de buts poursuivis, laquelle me paraissait effectivement assez floue. Cette notion d’acte préparatoire est plus objective, et figure d’ailleurs déjà dans notre droit, au sein de la définition du délit d’association de malfaiteurs, qualification sur laquelle nous ne pouvions cependant pas nous appuyer, parce qu’un groupement ou une bande se constitue fugacement, ex nihilo.

M. Jean-Pierre Sueur. Des gens qui se trouvent sur le même trottoir !

M. François Pillet, rapporteur. Ne faites pas dire au texte ce qu’il ne dit pas, monsieur Sueur, et surtout ne faites pas dire aux magistrats qui l’interpréteront ce qu’ils ne diront jamais !

La préparation de violences volontaires contre les personnes ou d’atteintes aux biens devra en outre être caractérisée par des faits matériels, comme par exemple des annonces sur un blog, en effet. Voilà qui nous rapproche d’autres infractions, telles les menaces contre les biens ou les personnes, qu’elles soient verbales ou écrites.

M. Jacques Mézard. Justement !

M. François Pillet, rapporteur. Troisièmement et surtout, nous avons souhaité abaisser les peines encourues, afin que la préparation de l’infraction ne soit pas punie à la même hauteur, voire plus sévèrement, que l’infraction elle-même.

En conclusion, je considère que la commission est parvenue à un équilibre entre la nécessaire poursuite des infractions visées et le respect des principes généraux du droit. Les poursuites sur le fondement de ce texte ne seront d’ailleurs peut-être pas nombreuses, et je m’en réjouis à l’avance. En effet, quelque 222 bandes et 2 500 personnes seulement peuvent potentiellement être concernées par le dispositif.

La commission émet un avis défavorable.

M. René Garrec. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. L’argumentation que vient de développer M. le rapporteur est à la fois précise, complète et convaincante. Je ne vais pas la paraphraser, et me bornerai à revenir sur la définition du nouveau délit, qui a été améliorée par la commission des lois du Sénat. Elle est désormais suffisamment précise pour ne créer aucune responsabilité collective : nous le martèlerons autant que nécessaire ! Il s’agit bien d’une infraction dite « obstacle », comme il en existe d’autres aujourd’hui dans notre droit pénal, et non d’une infraction qui serait fondée sur des éléments virtuels.

Émettre un avis défavorable est vraiment la seule réponse possible à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.

M. Charles Gautier. Mes chers collègues, on ne cesse de nous répéter qu’il faut moderniser notre législation et l’adapter à la délinquance d’aujourd’hui, qui prendrait des formes auparavant inconnues, au nombre desquelles le phénomène des bandes. À qui fera-t-on croire cela ? Les bandes existent depuis que la société existe ! La mémoire collective aura retenu la bande à Bonnot, voilà un siècle, les « J3 » ou les bandes de West Side Story, qui nous ramènent plus de cinquante ans en arrière… Il s’agit donc d’un phénomène ancien.

Par ailleurs, M. le rapporteur a cité un sociologue qui ne l’a jamais été, mais passons… Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État, vous essayez de nous rassurer en affirmant qu’il ne s’agit pas de fonder l’infraction sur des éléments virtuels. Cependant, vous avez vous-même reconnu, parce que c’est l’évidence, qu’une manifestation peut être détournée de son objet et mal se terminer, par des bris de vitres, des attaques contre les forces de l’ordre ou d’autres dérapages du même type. Les participants à la manifestation étaient venus avec des intentions diverses, celles des fauteurs de troubles n’étant pas les mêmes que celles des organisateurs. Or distribuer des tracts pour appeler à une manifestation constitue un fait préparatoire, qui pourra servir à fonder ultérieurement des poursuites si la dispersion donne lieu à la commission de faits délictueux ! N’importe quel manifestant pourra être incriminé ! Si c’est ce que vous voulez, dites-le, mais il est inconcevable de faire porter à quelqu’un la responsabilité d’un acte commis par une personne venue se mêler à la manifestation uniquement pour la détourner de son objet.

M. René Garrec. Il ne s’agit pas uniquement des manifestations !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, je voudrais rendre hommage à M. le rapporteur : monsieur Pillet, vous êtes vraiment un bon soldat, et on en a souvent besoin en politique, dans tous les partis, d’ailleurs…

M. Charles Revet. Faut-il le prendre comme un compliment ?

M. Jean-Pierre Sueur. Mais oui, c’est un vrai compliment ! Et il vous revient, monsieur le rapporteur, parce que vous avez fourni de grands efforts pour rendre le texte plus acceptable – ou moins inacceptable. Cependant, votre argumentation confine à l’argutie.

M. Charles Revet. Je me doutais bien que cela allait tourner…

M. Jean-Pierre Sueur. Vous le sentiez venir, mon cher collègue ! (Sourires.)

M. Charles Revet. Le début était trop gentil ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Il ne s’agit pas d’être méchant, il s’agit d’être concret !

Imaginez que vous vous teniez sur le trottoir avec d’autres collègues. C’est là votre droit le plus strict, et vous pouvez même vous aventurer sur la chaussée si vous participez à une manifestation, ce qui est tout à fait estimable. Cependant, le simple fait de côtoyer des personnes ayant des intentions violentes fait de vous un membre d’un de ces groupements temporaires visés à l’article 1er.

Or vous nous expliquez, monsieur le rapporteur – et c’est là que j’admire votre dialectique –, que le groupement ne saurait être considéré comme l’auteur des faits s’il y a passage à l’acte, car ce serait inconstitutionnel, mais qu’il est un moyen. Une personne est présente, par hasard, au milieu d’un groupement conjoncturel, de surcroît temporaire, et ce groupement devient le moyen par lequel un individu est censé accomplir un acte répréhensible… Pour prendre une comparaison que tout le monde comprendra, une pierre sera considérée comme une arme par destination si elle sert à commettre un acte de violence.

En définitive, le groupement conjoncturel, temporaire et aléatoire, par vous qualifié de moyen, monsieur le rapporteur, permettrait d’exclure la responsabilité collective, puisque la personne en question agit individuellement au moyen dudit groupement… Vous déployez de grands efforts pour nous convaincre, mais je suis au regret de vous dire que vous n’y êtes pas parvenu.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 35 et 52.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public
(Supprimé)

Article 1er bis

Article 1er bis
Dossier législatif : proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public
Article 2

(Supprimé)

M. le président. Je rappelle que l’article 1er bis a été supprimé par la commission.

(Supprimé)
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(Supprimé)

Article 2

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public
Article 2 bis

(Supprimé)

M. le président. Je rappelle que l’article 2 a été supprimé par la commission.

(Supprimé)
Dossier législatif : proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public
Article 3 (Texte non modifié par la commission)

Article 2 bis

Après l’article 11-4 de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité, sont insérés trois articles 11-5, 11-6 et 11-7 ainsi rédigés :

« Art. 11-5. – Les propriétaires, exploitants ou affectataires d’immeubles ou groupes d’immeubles collectifs à usage d’habitation peuvent constituer une personne morale dont l’objet est l’exercice, pour le compte de ses membres, de l’activité mentionnée au 1° de l’article 1er, dans les conditions prévues par l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation.

« Les agents de cette personne morale peuvent être nominativement autorisés par l’autorité préfectorale à porter une arme de sixième catégorie dans l’exercice de leurs missions.

« Un décret en Conseil d’État précise les types d’armes susceptibles d’être autorisés, leurs conditions d’acquisition et de conservation par la personne morale, les modalités selon lesquelles cette dernière les remet à ses agents, les conditions dans lesquelles ces armes sont portées pendant l’exercice des fonctions de gardiennage ou de surveillance et remisées en dehors de l’exercice de ces fonctions, les modalités d’agrément des personnes dispensant la formation à ces agents ainsi que le contenu de cette formation.

« Art. 11-6. – Les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation à une peine correctionnelle ou à une peine criminelle inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire ou, pour les ressortissants étrangers, dans un document équivalent, ne peuvent exercer les fonctions prévues à l’article 11-5. Il en va de même :

« 1° Si l’agent a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion non abrogé ou d’une interdiction du territoire français non entièrement exécutée ;

« 2° S’il a commis des actes, éventuellement mentionnés dans les traitements automatisés et autorisés de données personnelles gérés par les autorités de police, contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs ou de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État.

« L’embauche d’un agent par la personne morale constituée en application de l’article 11-5 est subordonnée à la transmission par le préfet de ses observations relatives aux obligations mentionnées aux alinéas précédents. 

« Art. 11-7. – La tenue et la carte professionnelle, dont les agents des personnes morales prévues à l’article 11-5 sont obligatoirement porteurs dans l’exercice de leurs fonctions, ne doivent entraîner aucune confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police.

« Dans des cas exceptionnels définis par décret en Conseil d’État, ils peuvent être dispensés du port de la tenue. »

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet article est important, car il témoigne de manière frappante de la volonté du Gouvernement de privatiser une des missions régaliennes de l’État : le maintien de la sécurité publique.

En donnant la possibilité à des agents de surveillance et de sécurité non seulement de se comporter comme des agents de police, mais en plus de porter une arme, ce texte pousse le désengagement de l’État à son paroxysme.

La situation de la police nationale est catastrophique : j’en veux pour preuve la journée nationale d’action du 3 décembre prochain. Nous connaissons les raisons de ce malaise : pertes d’effectifs, quotas imposés, conditions de travail qui se dégradent.

À ces problèmes, que répond le Gouvernement ? La solution est simple : transformer des gardiens d’immeuble en policiers. Tel est en effet l’objet de cet article, inspiré par des préoccupations avant tout budgétaires : les problèmes d’effectifs dans la police et la gendarmerie sont résolus par le recours à la sous-traitance en matière de sécurité publique. Employer cette méthode est grave, puisqu’elle vise finalement à une privatisation rampante des missions de service public. Après La Poste, il semble que le tour de la police soit venu !

J’attire votre attention, mes chers collègues, sur les dangers d’une telle démarche. Les agents de police reçoivent une formation complète, alliant la maîtrise des armes et le respect de la déontologie. Ne peut s’improviser policier qui veut. Or c’est pourtant exactement ce que cet article prévoit : les agents de sécurité pourront porter des armes, et pas seulement des bâtons de défense comme les tonfas, mais également des couteaux ou des armes de poing. L’ironie est poussée à son maximum, puisqu’il est même prévu que les agents de sécurité pourront ne pas porter de tenue identifiable !

Monsieur le secrétaire d’État, ce mélange des genres est grave et dangereux. L’autorité de la police repose sur son unicité, sur sa cohésion, sur sa compétence exclusive pour assurer les missions de sécurité. Nous refusons que des agents de sécurité, dont la formation est rudimentaire et dont le recrutement ne repose sur aucun concours, puissent se substituer à la police. C’est la raison pour laquelle nous demanderons la suppression de cet article.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 2 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 36 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Charles Gautier, pour présenter l’amendement n° 2.

M. Charles Gautier. Selon les députés qui l’ont introduit par voie d’amendement, l’article 2 bis est censé faire suite au constat selon lequel « les parties communes de certains immeubles d’habitation gérés par les bailleurs sociaux sont régulièrement occupées par des bandes. Pour répondre à cette situation, de nombreux bailleurs ont constitué des groupements d’intérêt économique afin d’assurer la surveillance des immeubles telle qu’elle est prévue par l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation. À Paris, par exemple, les agents de ce groupement d’intérêt économique, dénommé GPIS, effectuent des rondes dans le patrimoine privé des bailleurs sociaux, assurant ainsi la sécurité de presque 70 000 logements et les interventions sur appel des locataires.

« Afin de sécuriser des sites particulièrement problématiques, ils procèdent à des visites approfondies du patrimoine, à des rondes renforcées et mènent des opérations conjointes ou coordonnées avec les services de police. »

Le présent article prévoit donc que les agents de la personne morale ainsi constituée seront nominativement autorisés par l’autorité préfectorale à porter une arme de sixième catégorie.

Mes chers collègues, nous ne pouvons que nous étonner d’une telle disposition ! En effet, aux termes de l’article 10 de la loi n° 83-629 réglementant les activités privées de sécurité, les transporteurs de fonds se voient refuser ce même port d’armes s’il existe un dispositif de destruction des billets et si les fonds sont transportés dans des véhicules banalisés, de même que les agents exerçant des activités de protection de l’intégrité physique des personnes. Ces professionnels sont pourtant autrement plus exposés aux agressions que les agents de personnes morales que je viens d’évoquer !

Le port d’armes ne doit être autorisé que dans des circonstances très particulières. L’autoriser trop largement risquerait d’entraîner une généralisation de l’usage des armes qui n’est pas souhaitable. La sécurité doit être assurée par l’État, et le manque de fonctionnaires de police dans certains quartiers ou cités ne doit pas être pallié par la création de « milices » privées.

Dans le rapport de la commission, la mention selon laquelle « la tenue et la carte professionnelle » de ces agents « ne doivent pas entraîner une confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police » en dit long sur le mélange des genres qui est à l’œuvre…

Nous demandons donc la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 36.

Mme Éliane Assassi. Notre groupe, lui aussi, souhaite la suppression de cet article, qui tend à permettre aux propriétaires et aux exploitants d’immeubles d’armer leurs agents chargés de la sécurité. Ainsi, pour lutter contre les bandes violentes, on nous propose rien de moins que d’armer les agents qui surveillent les immeubles !

On peut d’ailleurs trouver étrange qu’une telle disposition figure dans un texte qui vise à lutter contre les bandes violentes, car cela donne à entendre que les membres de ces groupes sévissent tous dans des immeubles. Un raccourci facile est ainsi établi entre les quartiers populaires et la délinquance et, de la sorte, on stigmatise encore plus les jeunes de ces quartiers.

Outre qu’elle est dangereuse, bien entendu, cette disposition est irresponsable : ce n’est pas en élargissant la détention d’armes que l’on réglera le problème de l’occupation des entrées d’immeubles, par exemple. Au pis, elle risque fort de susciter une grave augmentation des « bavures », sinon des homicides.

Sans vouloir être désobligeante à leur égard, je rappellerai que les agents concernés n’ont qu’une vague notion de l’usage de ces armes. Ce ne sont pas des membres des forces de l’ordre et, comme je le soulignais tout à l'heure, ils ne peuvent pallier la réduction du nombre de policiers sur le terrain.

Pour reprendre les théories de Max Weber, seul l’État doit disposer du droit à l’usage de la violence légitime ; seule la puissance publique doit être habilitée à user de la force quand la situation l’exige.

Cette quasi-police privée pourra donc se doter d’armes de sixième catégorie, c'est-à-dire, pour être précis, de bombes lacrymogènes, de poings américains, de matraques, de couteaux – bref, un véritable arsenal !

Non seulement vous ouvrez ainsi la porte à la privatisation de la sécurité, mais vous mettez en place un dispositif extrêmement dangereux, qui ne fera qu’envenimer des situations déjà tendues. En effet, on n’a jamais vu une situation violente se régler durablement par un recours à cette même violence, or c’est exactement ce que vous proposez !

Cette disposition s’inscrit dans une logique d’ouverture croissante des missions de service public au secteur privé. Or la sécurité des citoyens doit rester l’apanage de la seule puissance publique. C’est pourquoi nous nous opposons farouchement à cette mesure, qui sera contre-productive car elle ne fera que favoriser l’usage de la violence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Je puis comprendre que l’on s’oppose à ce type de dispositions, mais on aurait pu le faire plus tôt, puisque la loi du 12 juillet 1983 – cette date n’est pas anodine ! –, qui réglemente les activités de sécurité privées, autorise déjà des agents de sécurité ou de gardiennage à porter une arme, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État…

Le dispositif présenté à l’article 2 bis de la proposition de loi est beaucoup plus précis, dans la mesure où il limitera cette autorisation aux armes de sixième catégorie et où un décret en Conseil d'État, qui sera spécifiquement dédié à ce type d’activités, viendra réglementer ses conditions d’application.

Ce décret précisera que seules les matraques, du type des bâtons de défense ou des tonfas, seront autorisées. Sur le modèle du décret relatif aux agents de surveillance de la RATP et de la SNCF, il précisera également que l’arme ne peut être utilisée qu’en cas de légitime défense : ce ne sera pas un moyen d’agression. Enfin, le décret prévoira une formation professionnelle obligatoire aux techniques de défense avec ce type d’armes de sixième catégorie.

Pour toutes ces raisons, et surtout eu égard au fait que certains agents de sécurité ou de gardiennage sont déjà autorisés à porter une arme qui, grâce à ce texte, sera exclusivement de sixième catégorie, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Comme ce point semble sensible, je me permettrai de m’y attarder quelque peu, quitte à reprendre parfois certains des arguments excellemment développés par M. le rapporteur.

Tout d'abord, je le répète, nous précisons des possibilités qui existent déjà, et pour cause : le personnel qui travaille dans des immeubles ou des groupes d’immeubles est confronté à des agressions. Rien qu’à Paris, en 2007, 63 agents de sécurité du groupement parisien inter-bailleurs de surveillance, une société honorable et qui a pignon sur rue, ont été victimes de violences verbales ou physiques dans l’exécution de leurs fonctions ; en 2008, ce nombre s’élevait à 112, sur un effectif de 300 agents. Il s'agit donc d’un problème réel, et non d’un phantasme.

Si certaines des questions posées par les auteurs des amendements sont légitimes, ce texte apporte toutes les garanties nécessaires.

Mme Boumediene-Thiery indiquait à l’instant que les armes de sixième catégorie comprenaient les couteaux : je souligne tout de même que la référence aux armes de sixième catégorie se trouve complétée par un renvoi à un décret en Conseil d'État, qui précisera les choses. Les armes de sixième catégorie dont il s’agit ici seront plutôt des bombes lacrymogènes ou autres matériels qui sont habituellement affectés à ces personnels. Aucun risque ne sera pris.

Outre cette garantie, que M. le rapporteur a déjà rappelée, seuls les agents des personnes morales créées spécifiquement par les bailleurs pour exercer exclusivement une mission de gardiennage et de surveillance de leurs immeubles seront autorisés à porter ces armes. Cette disposition restrictive évitera, notamment, que des agents travaillant pour une entreprise de sécurité privée prestataire d’un bailleur social ne bénéficient de cet armement.

L’embauche des agents en question sera subordonnée à la transmission par le préfet de ses observations. Les armes ne leur seront remises qu’à l’issue d’une formation.

Enfin, ces agents, qui ne pourront bien sûr user de leur arme qu’en cas de légitime défense, n’ont évidemment pas vocation à se substituer aux forces de l’ordre. Cet argument ne tient pas ! Les agents de sécurité existent déjà, ils font partie de notre société, mais ils n’ont ni les mêmes missions, ni les mêmes armements, ni les mêmes moyens d’action que les forces de l’ordre, dont ils ne constituent pas une variable d’ajustement !

Il ne faut donc pas intenter de procès d’intention. Il s’agit de répondre à un besoin très concret, en faisant preuve de prudence et en restant fidèles à l’esprit de l’État de droit.

Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué 1983 : à cette époque, certains d’entre nous étaient de jeunes députés. Aujourd'hui, nous sommes de jeunes sénateurs. (Sourires.)

M. Charles Revet. L’essentiel, c’est d’être jeune !

M. Jean-Pierre Sueur. Il est permis d’évoluer, même s’il n’est pas nécessaire de le faire autant que M. le secrétaire d'État...

Comme vous, monsieur le secrétaire d'État, nous n’acceptons pas que des personnes soient agressées. Pour autant, et c’est là que la confusion demeure, il est impossible de soutenir que toute personne susceptible d’être agressée puisse de facto revendiquer un port d’arme. Vous voyez où nous conduirait sinon le raisonnement !

M. Charles Gautier. Ce serait le Far West !

M. Jean-Pierre Sueur. La police républicaine veille à la sécurité publique : elle est là pour prévenir et réprimer les agressions et c’est à ce titre que ses agents bénéficient d’un port d’arme. Étendre cette autorisation remettrait en cause l’existence même de cette institution républicaine qui est chargée de la sécurité publique.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous pose une nouvelle fois la question, car vous ne m’avez pas répondu. Ce matin, en commission, M. le ministre de l’intérieur, que j’ai interrogé sur l'article 2 bis, a fait part de ses critiques et s’est dit « réservé ». Cela figurera au compte rendu des travaux de la commission. Ces propos témoignent donc d’une divergence d’appréciation entre le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice.

Certes, ce n’est pas la première fois, mais, si vous demandiez que le vote de ces amendements identiques n’intervienne qu’après la suspension de nos travaux, vous pourriez mettre à profit le délai pour vous concerter avec le ministre de l’intérieur. (M. le secrétaire d'État fait des signes de dénégation.) Ainsi pourrions-nous savoir ce que pense le Gouvernement.

J’ai appris à l’école que le Gouvernement était un.

M. René Garrec. C’était une bonne école ! Cela n’a pas changé !

M. Jean-Pierre Sueur. Si le ministre de l’intérieur a émis des réticences, ce n’est pas pour rien : il a bien senti les risques de dérives que recelait cet article.

Monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'État, vos efforts pour défendre cet article sont méritoires, mais vous avez bien conscience de ce qui arrivera si un port d’arme peut être accordé à tous les salariés, à tous les employés, à tous les agents d’organismes « propriétaires, exploitants ou affectataires d'immeubles ou groupes d'immeubles collectifs à usage d'habitation ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. N’importe quoi !