M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission est évidemment tout à fait hostile à cette disposition, qui figurait d’ailleurs déjà dans la proposition de loi du groupe socialiste fort bien rapportée par M. Arthuis voilà quelques mois et dont M. Rebsamen était le premier signataire.

Mis à part l’Estonie, seul pays de l’Union européenne à différencier, en matière d’imposition des bénéfices, les taux selon l’affectation du résultat, tous les pays de l’OCDE pratiquent un seul et même taux d’imposition des profits, qu’ils soient distribués ou réinvestis. L’Allemagne opérait autrefois une telle distinction, mais celle-ci a été abolie, madame Bricq, en 2000 ou en 2001, et je ne suis pas certain que ce n’ait pas été sur l’initiative d’un ministre social démocrate.

Mme Nicole Bricq. Je vais vérifier.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il est même vraisemblable que les choses se sont passées ainsi ! En tout cas, le taux de l’impôt sur les sociétés en Allemagne, quelle que soit l’affectation du profit, est désormais de 25 %. La référence que vous utilisez est donc fausse, ou en tout cas obsolète depuis déjà de longues années.

Mme Nicole Bricq. Je ne le crois pas !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Vous pouvez vérifier, ce sont des données législatives à la disposition de tous !

Mme Nicole Bricq. Je vais le faire !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Différencier les taux d’imposition est une mauvaise idée sur le fond, car les actionnaires ont besoin d’être rémunérés, lorsque les résultats sont bons, pour participer à une heureuse évolution de l’entreprise, et, lorsque les résultats sont mauvais, pour être remerciés de rester au capital alors qu’ils devraient se retirer. (M. Jean Desessard s’exclame.)

Mme Nicole Bricq. N’en rajoutez pas !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Votre vision des choses est totalement erronée ; elle reflète une méconnaissance complète de l’économie de marché. Par conséquent, la commission émet un avis très défavorable sur ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.

La disposition que vous préconisez, madame Bricq, a déjà été mise en œuvre, avant d’être supprimée au début de la décennie parce que trop complexe. Il faut notamment vérifier que les fonds mis en réserve ne sont pas affectés par la suite. En ce qui concerne le capital, il faut certes privilégier son renforcement, mais, d’un autre côté, les entreprises n’ont pas forcément besoin d’augmenter leurs fonds propres. Il peut alors être souhaitable de distribuer des dividendes aux actionnaires, afin qu’ils les réinvestissent dans d’autres entreprises.

Du reste, l’investissement dans les entreprises est déjà assorti d’avantages. Par exemple, le crédit d’impôt recherche est une forme de défiscalisation qui vise à inciter l’entreprise à investir plutôt qu’à distribuer ses bénéfices.

M. le président. La parole est à Mme Michèle André, pour explication de vote sur l’amendement n° I-187.

Mme Michèle André. Cet amendement vise en fait à moduler le taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’affection du bénéfice réalisé.

En mai dernier, M. de Montesquiou évoquait, en présentant sa proposition de loi, deux solutions pour obtenir de la part des grands groupes français des contributions significatives : l’une, contraignante, résidait dans l’établissement d’une contribution additionnelle exceptionnelle – nous en discuterons en examinant un amendement à venir ; l’autre, plus partenariale, consistait en une incitation fiscale – tel est l’objet du présent amendement.

La création d’un tel système de « bonus-malus » a déjà été envisagée au Sénat, par voie d’amendement, lors de la discussion du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2009. Vous aviez alors relevé, monsieur le ministre, qu’un tel débat méritait d’être approfondi – vous venez de le redire –et vous vous étiez engagé à interroger le Trésor public et la direction de la législation fiscale pour bénéficier de leur expertise, en précisant que nous pourrions peut-être en reparler lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Aujourd’hui, nous y sommes : où en êtes-vous, monsieur le ministre ?

Il est impératif de donner des marques de justice aux citoyens, aux consommateurs, aux ménages, aux contribuables, aux PME. En effet, nos compatriotes subissent lourdement les conséquences de la crise, que ce soit la hausse des prix ou le chômage, quand ce n’est pas les deux, alors qu’ils assistent, parallèlement, à la distribution de parachutes dorés, de retraites chapeau, de dividendes mirifiques. Pourquoi devraient-ils subir une double peine tout en étant régulièrement nargués par l’annonce de dividendes et autres super-revenus qui se chiffrent en millions d’euros ?

Certaines entreprises persistent dans une logique très peu vertueuse en temps de crise, poursuivant leur politique de maximisation du retour aux actionnaires, jumelée à une politique des prix que supportent seuls les consommateurs, que ce soit les ménages ou les PME.

Les stratégies d’optimisation fiscale développées par les grandes firmes et leurs armadas d’experts financiers font feu de tout bois, plus encore en France que dans des pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni. Les pratiques d’optimisation fiscale sont favorisées par la complexité de notre système fiscal et social, en particulier par la multiplication des régimes et dispositions dérogatoires. Le Conseil des impôts relevait, dans son rapport de 2007, les difficultés méthodologiques auxquelles étaient confrontés les États pour les évaluer. En France, ces difficultés demeurent, car notre pays a accumulé, en matière d’évaluation, des retards qu’elle n’a pas résorbés. Aux États-Unis, le seul tax gap, c’est-à-dire l’insuffisance des rentrées fiscales par rapport à la situation normale où tous les contribuables respecteraient pleinement la législation, a été chiffré sur dix ans à 210 milliards de dollars.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé une réforme destinée à améliorer le rendement de l’impôt sur les sociétés. Il s’agissait de lutter contre les ingénieux montages fiscaux que les juristes de la direction générale des impôts qualifient d’abus de droit et qui consistent à exploiter toutes les finesses des procédures légales pour réduire l’addition payée par l’entreprise, contribution pourtant juste et nécessaire.

Osons enfin mettre en œuvre un dispositif vertueux qui incite les entreprises à réinvestir une fraction importante de leur bénéfice imposable ! Je ne peux manquer de rappeler, à cet instant, les propos suivants, tenus par le Président de la République lui-même : « Il faut que chacun comprenne que si l’on demande aux salariés de porter une partie du fardeau dans la crise, il est normal que les mêmes salariés bénéficient du fruit de leur travail quand cela va bien. »

Or on a constaté que, souvent, l’explosion des profits financiers s’est faite au détriment de l’investissement dans le capital productif et s’est accompagnée d’une croissance exponentielle des plus hautes rémunérations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. Je ne paraphraserai pas l’excellente argumentation de Michèle André, mais je voudrais revenir sur des propos tenus tout à l’heure par M. le rapporteur général, que je trouve tout à fait inappropriés, pour ne pas dire inadmissibles.

Selon lui, il y aurait ceux qui comprennent l’économie de marché et les autres.

Mme Nicole Bricq. C’est vexant !

M. François Marc. Mes chers collègues, nous avions déjà entendu ce genre de discours avant le déclenchement de la crise économique, notamment, depuis 2003, à l’occasion de différents débats sur les marchés financiers et la nécessaire régulation de la sphère économique. Chaque fois que nous avons argumenté en faveur d’une amélioration de celle-ci, on nous a opposé notre incompréhension supposée de l’économie de marché : tous ces mécanismes financiers, tous ces dispositifs spéculatifs étaient nécessaires, car c’était grâce à eux que l’on allait pouvoir créer de la richesse… Et puis est survenue cette crise terrible, qui illustre à quel point nos propos étaient fondés quand nous réclamions, alors qu’il était encore temps, une anticipation suffisante et la mise en place de garde-fous.

Aujourd’hui, nous constatons les dégâts. Devant cette situation, nous avons le sentiment qu’il existe deux catégories d’investisseurs : d’un côté, les entrepreneurs, de l’autre, les spéculateurs, je dirais même les prédateurs. Les premiers sont prêts à réinvestir les bénéfices dans l’entreprise au lieu de percevoir des dividendes, dont la part dans la répartition des résultats est en très forte augmentation depuis plusieurs années. Il faut donc favoriser une économie d’entrepreneurs plutôt qu’une économie de spéculateurs et de prédateurs. L’argument essentiel qui motive cet amendement est bien le suivant : il s’agit de donner la primauté à l’esprit d’entreprise en faisant en sorte que l’argent reste au service de l’entreprise au lieu d’alimenter une spéculation toujours plus intense.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Je partage l’analyse de mes collègues, mais je crois que la question n’est même plus celle de l’économie de marché : nous sommes véritablement face à une politique de classe, qui donne tout aux uns et rien aux autres.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Thierry Foucaud. Pour répondre aux propos de M. le rapporteur général et de M. le ministre sur le versement de dividendes aux actionnaires, je me bornerai à citer l’exemple de Renault, dont les salariés ont été mis au chômage technique en début d’année, alors qu’il aurait suffi de garder dans l’entreprise 1 % des dividendes distribués aux actionnaires pour l’éviter ! Voilà qui est tout de même éloquent !

De surcroît, l’État a prêté de l’argent à Renault mais laisse maintenant cette entreprise établir des plans sociaux et détruire des milliers d’emplois. J’ai d’ailleurs rappelé, au cours de la discussion générale, que M. Ghosn a déclaré au mois d’avril dernier dans le Financial Times qu’il fallait profiter de la situation de crise pour dégraisser les entreprises… Bientôt, il en ira de même chez Peugeot.

Pour toutes ces raisons, il ne me paraît pas abusif d’affirmer que nous sommes véritablement face à une politique de classe, qui vise à tout donner aux uns et à tout retirer aux autres, politique qui a notamment conduit à supprimer la taxe professionnelle.

M. Jean Desessard. C’est toujours pareil !

M. Thierry Foucaud. Mais nous savons bien que, jusqu’à la fin de l’examen de ce projet de loi de finances, nous entendrons les mêmes arguments de la part tant de la commission des finances que du Gouvernement. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mes chers collègues, cette discussion, tout à fait intéressante, se fonde sur des arguments que l’on retrouve dans le compte rendu des débats sur la proposition de loi de notre collègue M. Rebsamen. Le sujet est de première importance, mais il reste encore 240 amendements à examiner et nous progressons à un rythme de 7 amendements à l’heure. Dans ces conditions, il faudrait que nous changions de braquet pour avoir quelque chance de tenir le rendez-vous du vote sur la première partie du projet de loi de finances, fixé à mercredi soir…

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-187.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-302.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° I-203 rectifié bis, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l’article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les deuxième et troisième alinéas du a. du I de l’article 219 du code général des impôts sont supprimés.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. J’ai bien entendu l’exhortation du président de la commission des finances : je vais essayer de lui donner satisfaction pour ce qui concerne les temps de parole, mais pour ce qui est du fond, en revanche, je ne bougerai pas tant que le Gouvernement ne bougera pas !

Cet amendement a pour objet de revenir sur l’amendement, déposé par M. Marini, qui a permis à 6 200 entreprises de bénéficier d’une exonération quasiment totale de l’impôt sur les sociétés, et ce en pleine crise financière, c’est-à-dire précisément au moment où notre pays ne pouvait se priver d’aucune recette fiscale.

Cette mesure doit impérativement être abrogée, car ce n’est pas d’une explosion des dépenses dont souffre notre pays, mais d’un manque de financement, qu’il s’agisse des comptes de l’État ou des comptes sociaux.

M. le président. L’amendement n° I-427 rectifié, présenté par MM. Collin, Mézard, Vall, Charasse et Tropeano, est ainsi libellé :

Après l’article 4, insérer un article additionnel rédigé comme suit :

Le I de l’article 219 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa du a. est supprimé.

2° Le a quinquies est ainsi rédigé :

« a quinquies Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2010, le montant net des plus-values à long terme afférentes à des titres de participation fait l’objet d’une imposition séparée au taux de 10 %.

« Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011, une quote-part de frais et charges égale à 5 % du résultat net des plus-values de cession est prise en compte pour la détermination du résultat imposable.

« Les titres de participation mentionnés au premier alinéa sont les titres de participation revêtant ce caractère sur le plan comptable, les actions acquises en exécution d’une offre publique d’achat ou d’échange par l’entreprise qui en est l’initiatrice et les titres ouvrant droit au régime des sociétés mères si ces actions ou titres sont inscrits en comptabilité au compte titres de participation ou à une subdivision spéciale d’un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable, à l’exception des titres des sociétés à prépondérance immobilière définis au troisième alinéa du a.

« La fraction des moins-values à long terme existant à l’ouverture du premier des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2010 afférente à des éléments exclus du bénéfice des taux définis au premier alinéa demeure imputable sur les plus-values à long terme imposées au taux visé au a, sous réserve de justifier la ou les cessions de ces éléments. Elle est majorée, le cas échéant, des provisions dotées au titre de ces mêmes éléments et non réintégrées à cette date, dans la limite des moins-values à long terme reportables à l’ouverture du premier des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2010.

« La fraction des moins-values à long terme existant à l’ouverture du premier des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2010, non imputable en vertu des dispositions du quatrième alinéa, peut être déduite des plus-values à long terme afférentes aux titres de participation définis au troisième alinéa imposables au titre des seuls exercices ouverts en 2010. Le solde de cette fraction et l’excédent éventuel des moins-values à long terme afférentes aux titres de participation définis au troisième alinéa constaté au titre des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2010 ne sont plus imputables ou reportables à partir des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011. »

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Il s’agit de limiter les effets de la disposition votée en 2004, sur proposition de la commission des finances, concernant le taux d’imposition à l’impôt sur les sociétés des plus-values à long terme.

Il est apparu en effet que les intentions manifestées au moment où cette disposition a été adoptée ont été tellement au-delà des espérances que la perte de recettes pour le Trésor public tournerait autour de 20 milliards d’euros, dans une situation de totale impécuniosité de l’État.

Ce résultat n’a manifestement pas été voulu par les auteurs de la disposition en cause, et le président du groupe du RDSE, mon ami Yvon Collin, a donc souhaité que nous proposions, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi de finances, un aménagement du système pour en limiter quelque peu la portée pour les finances publiques.

M. le président. L’amendement n° I-419 rectifié bis, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le a quinquies du I de l’article 219 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, après le mot : « participation » sont insérés les mots : « détenus depuis plus de cinq ans ».

2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011, une quote-part de frais et charges égale à 20 % du résultat net des plus-values de cession est prise en compte pour la détermination du résultat imposable. »

3° À la première phrase du dernier alinéa, le mot : « quatrième » est remplacé par le mot : « cinquième ».

4° Aux première et dernière phrases du dernier alinéa, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ».

II. - Après le a quinquies du I du même article, il est inséré un a quinquies A ainsi rédigé :

« a quinquies A. Le montant net des plus-values à long terme mentionnées au a quinquies est soumis aux dispositions du deuxième alinéa du I lorsque celui-ci porte sur les titres d’une entreprise ou d’une entité juridique établie ou constituée hors de France et que cette entreprise ou entité juridique est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A, ou que cette entreprise ou entité juridique est établie ou constituée dans un État ou un territoire qui n’a pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales permettant l’accès aux renseignements bancaires. »

III. - Le I s’applique aux cessions réalisées à compter du 1er janvier 2011.

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Cet amendement est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je voudrais apporter une réponse argumentée à ces trois amendements,…

M. Michel Charasse. Une réponse à 20 milliards !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous allons en parler, monsieur Charasse, car ce chiffre de 20 milliards d’euros est vraiment sujet à caution, c’est le moins que l’on puisse en dire !

L’objet du premier amendement est de supprimer le régime dont bénéficient les plus-values à long terme sur titres de participation et de revenir au régime antérieur à 2005, soit à un taux de taxation de 19 %. L’amendement qu’a défendu M. Charasse tend à fixer ce taux à 10 %, cependant que l’amendement n° I-419 rectifié bis présente un dispositif plus complexe mais de même esprit.

Je voudrais rappeler, mes chers collègues, pourquoi il est inopportun de revenir sur la réforme du régime fiscal des plus-values à long terme. Compte tenu de l’exploitation qui a été faite de ce sujet, en particulier, récemment, par le magazine Marianne,…

M. Jean Desessard. Saine lecture !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … je voudrais d’abord revenir sur les conditions dans lesquelles nous avons réalisé cette réforme à l’époque.

La mesure dont il s’agit avait été préconisée par le Conseil des impôts dans son rapport de 2004. Outre qu’elle facilitait la restructuration du capital des grands groupes, elle constituait avant tout – et avait d’ailleurs été présentée comme telle – une mesure d’alignement sur ce que faisaient déjà nos principaux partenaires européens : l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède. La France était isolée dans la compétition fiscale, et il fallait bien en tirer les conséquences.

Au demeurant, le Conseil des prélèvements obligatoires, qui a succédé au Conseil des impôts, a rappelé, en octobre 2009, dans son rapport intitulé Les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée, que ce régime d’exonération est aujourd’hui appliqué dans quelque vingt et un pays de l’OCDE sur vingt-neuf.

De plus, le régime français n’est clairement pas le plus favorable, puisqu’une quote-part de 5 % est imposée au taux normal de l’impôt sur les sociétés, soit un taux d’imposition effectif de 1,67 % sur la plus-value. Il prévoit un niveau minimal de participation de 5 %, alors que l’Allemagne, la Belgique et l’Italie n’en imposent pas, ainsi qu’une condition de durée de détention de deux ans, plus contraignante que dans la plupart des autres pays, où elle est en général d’un an, l’Allemagne et la Belgique n’en prévoyant même aucune.

Le dispositif a été conçu par la commission des finances du Sénat en étroite concertation avec le gouvernement de l’époque avant d’être consacré, après plusieurs aller-retour, dans un collectif budgétaire. Je m’inscris donc en faux contre les assertions selon lesquelles il aurait été porté par un parlementaire pour le compte du Gouvernement : ce fut un travail conjoint, voulu comme tel ; tous les documents de l’époque en attestent.

Ce dispositif était assorti d’une période de transition entre 2005 et 2007 et d’une taxe libératoire exceptionnelle, ou exit tax, qui a rapporté environ 1,5 milliard d’euros à l’État en 2006-2007. Je relève que les sommes exonérées représentent davantage un manque à gagner qu’une perte nette de recettes. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

D’ailleurs, la manière dont on a jeté en pâture le chiffre de 21 milliards d’euros à l’opinion publique est tout à fait critiquable, car il n’est pas du tout certain que toutes les transactions réellement constatées auraient eu lieu sous le régime fiscal antérieur ; l’assiette de l’imposition aurait très vraisemblablement été inférieure. Il est en effet très probable que si le régime antérieur d’imposition à 19 % avait perduré, les plus-values n’auraient été que partiellement réalisées et n’auraient donc pas engendré de recettes d’un tel montant.

Enfin, il faut bien avoir à l’esprit que revenir dès à présent au régime antérieur aboutirait, en fait, à créer un double avantage. En effet, sur les stocks de plus-values existantes, qui se reconstituent notamment du fait de la remontée des cours de bourse, viendraient s’imputer les moins-values – sur ce plan, un encadrement existe dans le régime actuel –, ce qui permettrait d’échapper en partie à l’impôt.

Le régime en question constitue non pas un cadeau accordé aux groupes financiers, mais bien la mise en œuvre d’une mesure de compétitivité rendue indispensable pour éviter que les sièges des holdings ne désertent encore davantage notre territoire.

En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement a également émis un avis défavorable sur ces trois amendements, pour les raisons que M. le rapporteur général a très bien exposées.

Tout d’abord, les modalités du calcul qui permet à certains d’aboutir au chiffre de 20 milliards d’euros doivent être examinées. Le document sur l’évaluation des voies et moyens rédigé par le ministère en fait état. Ce calcul est fondé sur des conventions à mon sens hautement discutables : on applique à une base le taux de l’impôt sur les sociétés, soit 33 %, mais les plus-values à long terme sur cessions de titres de participation étaient taxées au taux de 8 %, ce qui réduit déjà considérablement l’ordre de grandeur.

Par ailleurs, quand on parle de haute fiabilité, c’est de l’assiette qu’il s’agit, et non des modalités de calcul. Peut-être devra-t-on d’ailleurs faire évoluer celles-ci, maintenant que vous avez attiré notre attention sur ce point.

M. Éric Woerth, ministre. En tout état de cause, pour en revenir aux 20 milliards d’euros – 12,5 milliards d’euros en 2008 et 8 milliards d’euros en 2009 – qui ont été évoqués dans la presse, notamment dans le magazine Marianne,…

Mme Nicole Bricq. Pas seulement dans la presse !

M. Éric Woerth, ministre. … je ne crois pas une seconde que l’État aurait encaissé, d’une façon ou d’une autre, une telle somme s’il avait maintenu le régime de taxation antérieur : d’une part, je le redis, le taux appliqué était de 8 %, et non de 33 % ; d’autre part, ainsi que l’a expliqué M. le rapporteur général, une bonne partie de l’assiette aurait probablement disparu, puisque dans tous les autres pays les plus-values à long terme de cessions de titres de participation sont exonérées. On peut toujours jouer à se faire peur… Le régime d’exonération est soumis à des conditions bien précises, en termes notamment de durée de détention des titres, souvent plus sévères que dans d’autres pays européens et qui excluent de son bénéfice les entreprises se livrant à des jeux de trésorerie ou de spéculation.

L’ancien Conseil des impôts avait fortement incité les gouvernements de l’époque à modifier le régime d’imposition des plus-values à long terme. La Cour des comptes a d’ailleurs indiqué que si le nouveau régime choisi par la France la plaçait parmi les pays compétitifs sur ce plan, il n’était cependant pas hors norme. À ma connaissance, seuls un ou deux pays ne l’ont pas adopté. Dans ce domaine, nous avons, à mon sens, fait ce que nous devions faire, en suivant les recommandations de la Cour des comptes. Le rapport remis en 2000 par le sénateur Charzat comportait la même préconisation, motivée par des considérations d’attractivité : les holdings, en particulier, sont extraordinairement mobiles, et peuvent se déplacer assez aisément d’un pays à un autre. Il s’agissait donc vraiment de défendre l’attractivité de la France.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si cette mesure fiscale coûtait 20 milliards d’euros, vous auriez devant vous un ministre du budget autrement plus énervé qu’il ne l’est ! Ces 20 milliards d’euros, c’est de la fausse monnaie ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Si le régime d’imposition antérieur avait été maintenu, jamais l’État n’aurait perçu une telle somme ! (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)