M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La conclusion me surprend !

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite commencer mon propos par deux remarques liminaires.

La première est relative à ce que vous appelez dans votre rapport, monsieur le président de la commission des lois, le respect de « la traditionnelle réserve du Sénat sur les textes concernant exclusivement les députés ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Bernard Frimat. La seconde concerne la nécessité d’une nouvelle répartition des sièges de députés et de la délimitation de leurs circonscriptions.

Je reconnais volontiers que chaque assemblée a le droit d’être maîtresse de son existence propre et de ses règles de fonctionnement. C’est ainsi que, à la différence de l’Assemblée nationale, le Sénat a manifesté, dans l’adaptation de son règlement – nous sommes vous et moi, monsieur le président de la commission des lois, particulièrement bien placés pour en témoigner – son attachement au maintien d’un réel débat parlementaire…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Bernard Frimat. … et au respect du droit d’amendement de chaque sénateur. C’est, me semble-t-il, plus valorisant aujourd’hui pour le Sénat d’être reconnu comme la chambre des débats et non comme la chambre d’enregistrement.

En revanche, l’ordonnance dont nous discutons en ce moment la ratification ne peut, en aucune façon, être un domaine réservé à la seule Assemblée nationale. Plus important que le respect dû à la chambre élue au suffrage universel direct est le respect que nous devons aux conditions d’expression du suffrage universel direct lui-même, donc en un mot à la démocratie.

Aussi, il nous revient à nous, sénateurs de l’opposition, d’expliquer ici à l’intention du Conseil constitutionnel, lecteur attentif de nos débats, en quoi votre ordonnance contrevient aux règles élémentaires de l’égalité de suffrage et ne peut donc recueillir notre accord.

Ma seconde remarque liminaire concerne la nécessité de réviser la carte électorale législative fondée, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, sur le recensement de 1982. Cette révision a été réclamée à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel ; elle était devenue une obligation à laquelle le Gouvernement ne pouvait se soustraire. Personne, dans les rangs de l’opposition, ne le conteste.

Il devenait, en effet, urgent de rendre à la représentation nationale une légitimité qui était devenue très contestable, compte tenu du non-respect flagrant de la règle constitutionnelle fondamentale de l’égalité devant le suffrage. Que la voix de chaque citoyen pèse le même poids dans la composition de l’Assemblée nationale, tel est l’idéal vers lequel doit tendre tout système électoral !

Nous sommes, hélas ! monsieur le secrétaire d’État, et sans surprise au demeurant, très loin de cet idéal et l’ordonnance soumise à la ratification du Sénat est avant tout l’expression d’une démarche partisane dont le but inavoué – car inavouable – est de permettre à l’UMP de conserver, avec une minorité de suffrages, sur le plan national, la majorité de l’Assemblée nationale.

Le fait que vous ayez quitté, le temps de la confection de l’ordonnance, vos fonctions, au sein de l’UMP, de secrétaire national chargé des élections, pour les reprendre ensuite, n’assure pas pour autant l’objectivité que les citoyens étaient en droit d’attendre.

Je n’en fais grief ni à vous-même personnellement, ni à vos collaborateurs. Vous étiez en service commandé avec pour stricte consigne d’utiliser le découpage comme une arme dirigée de manière privilégiée contre l’opposition, mais aussi accessoirement – parce qu’il n’y a pas de petits profits – contre des députés UMP sortants considérés comme hérétiques ou renégats.

M. Richard Yung. Des noms !

M. Nicolas About. Quel programme !

M. Bernard Frimat. Dans ce premier exercice, qui n’est que le prélude à un redécoupage de tous les cantons du pays, vous avez démontré, monsieur le secrétaire d’État, votre capacité de virtuose des ciseaux et de la simulation informatique. Que ce soit pour s’en réjouir ou pour s’en plaindre, qui oserait vous contester la reconnaissance de ce talent ?

Il doit d’ailleurs être bien cruel pour vous d’être dans l’impossibilité de revendiquer publiquement la finesse du trait (M. le secrétaire d’État sourit) et la perfection de votre art. (M. Jean-Pierre Bel s’esclaffe.)

Vous avez accompli votre tâche avec cordialité et, nous dit-on, avec une très grande disponibilité pour satisfaire, quand cela vous semblait possible, les députés en place, fussent-ils de gauche,…

M. Jean-Pierre Bel. Bravo l’artiste !

M. Bernard Frimat. … le statu quo coïncidant pour la droite avec son intérêt bien compris quand l’on compte dans l’Assemblée nationale actuelle 340 députés de droite et 230 de gauche. Pourquoi alors refuser des petits plaisirs individuels quand ils servent, en définitive, les intérêts de l’UMP ?

La loi d’habilitation confiait au Gouvernement une double mission : répartir les sièges et délimiter les circonscriptions.

Pour répartir les sièges entre les départements, vous avez choisi, monsieur le secrétaire d’État, la méthode Adams dite méthode de la « tranche commencée », marquant sans doute, inconsciemment, déjà votre affection pour la découpe.

Cette méthode, qui n’est utilisée dans le monde qu’en France, a eu sa pertinence quand la tranche était fine, c’est-à-dire quand elle correspondait à une population peu nombreuse. Elle ne l’est plus avec une tranche fixée à 125 000 habitants.

Elle est, vous le savez, la méthode qui engendre les inégalités les plus profondes entre les départements et qui, en conséquence, s’écarte le plus du respect de l’égalité de suffrage entre les électeurs de départements différents.

Je ne reprendrai pas dans le détail la pertinente analyse que mon ami le député Bruno Le Roux a développée à la tribune de l’Assemblée nationale, en se référant à des travaux de recherche effectués sous la direction du professeur Jean-Claude Colliard, ancien membre du Conseil constitutionnel. Ceux-ci démontrent les méfaits de la méthode Adams en ce qui concerne l’égalité démographique et concluent à un déni total de justice électorale.

Ce fut néanmoins votre choix, faut-il vraiment se demander pourquoi ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Elle est utilisée pour les sénateurs !

M. Bernard Frimat. Connaissant leur nature serviable et leur sens de la solidarité, vous avez l’habitude d’appeler les socialistes à votre secours. Pour la méthode de la tranche – vous l’avez fait tout à l’heure –, c’est Pierre Joxe ; pour le conseiller territorial que vous appelez de vos vœux c’est, en remontant le temps, Léon Blum et Étienne Weil-Raynal.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On appelle qui on peut !

M. Bernard Frimat. Je suppose que vous-même ou vos collaborateurs avez, pour vos futurs changements de mode de scrutin, entrepris la lecture exhaustive de Blanqui, Fourier, Proudhon,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Proudhon, ce serait bien !

M. Bernard Frimat. … des premiers socialistes afin d’y rechercher non pas le temps perdu, mais l’alibi intellectuel qui vous permettra de justifier votre décision. (M. Jean-Pierre Bel applaudit.)

Sans doute serait-il plus simple, monsieur le secrétaire d’État, d’assumer ce choix partisan et de reconnaître qu’entre les méthodes de répartition des sièges à votre disposition vous avez retenu celle qui vous semble la plus favorable aux intérêts de votre camp.

Venons-en maintenant à la délimitation proprement dite des circonscriptions. Je vous donne acte qu’une fois répartis les sièges à pourvoir dans chaque département il existe une impossibilité mathématique de réaliser, sur le plan national, la parfaite égalité démographique entre toutes les circonscriptions.

Il n’en reste pas moins qu’au sein d’un département le respect du principe de l’égalité de suffrage doit conduire à ce que la population de chaque circonscription soit la plus proche possible de la moyenne départementale.

Dans sa décision du 8 janvier 2009, le Conseil constitutionnel a été on ne peut plus clair. Il reconnaît que les trois dispositions qui ont été mises en place par la loi d’habilitation pour procéder au découpage, à savoir la continuité territoriale, l’obligation d’inclure dans la même circonscription toute commune de moins de 5 000 habitants ainsi que tout canton de moins de 40 000 habitants, et la limitation des écarts de population à 20 % de la moyenne départementale, ne méconnaissent pas la Constitution.

Cependant, – sur ce point, vous êtes, me semble-t-il, frappé d’une amnésie permanente – il affirme en même temps, dans son considérant 26, que ces trois dispositions « pourraient, […] par leur cumul ou par les conditions de leur application, donner lieu à des délimitations arbitraires […] ou aboutir à créer des situations où le principe d’égalité serait méconnu ». Tel est le cas, et mes collègues le démontreront lorsqu’ils présenteront leurs amendements. Le Conseil constitutionnel ajoute que le non-respect de ces dispositions doit être réservé « à des cas exceptionnels et dûment justifiés ; qu’il ne pourra y être recouru que dans une mesure limitée et en s’appuyant, au cas par cas, sur des impératifs précis d’intérêt général ; […] que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution ».

Il est regrettable, monsieur le secrétaire d’État, que vous vous soyez souvent affranchi de la lettre et de l’esprit de ce considérant 26 pour privilégier la manipulation électorale.

Un moyen très simple d’écarter toute critique aurait été de produire une étude d’impact – mais il n’y a pas d’étude d’impact lorsqu’on procède par ordonnance ! – projetant les résultats électoraux des élections législatives de 2007 sur les nouvelles circonscriptions. Vous aurez beaucoup de mal à nous faire croire que vous n’avez pas effectué cet exercice. Pourquoi ne pas l’avoir publié ? Aurait-il fait apparaître de manière trop voyante le caractère partisan de votre découpage ?

Mme Nathalie Goulet. Que Nenni !

M. Bernard Frimat. Quelques éléments chiffrés auraient suffi pour éclairer ce caractère par référence à 2007.

En effet, trente-trois circonscriptions sont supprimées : vingt-trois de gauche, dix de droite ; trente-trois circonscriptions sont créées : neuf de gauche, vingt-quatre de droite. In fine, un seul gagnant : l’UMP.

Les analyses auxquelles mes amis députés ont procédé ont certainement leurs limites, mais elles démontrent que c’est le mécanisme de l’alternance démocratique que vous tentez de bloquer.

Or on est en droit d’attendre d’un découpage qu’il respecte l’égalité de suffrage et que la majorité des voix permette de récolter la majorité des sièges. Tel ne sera pas le cas avec votre découpage, monsieur le secrétaire d’État. La gauche, avec 50 % des voix, obtiendrait 260 sièges, alors que, avec le même score, la droite en détiendrait 317 !

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Cela ne veut rien dire !

M. Bernard Frimat. Pour avoir la majorité au Palais-Bourbon, la gauche devra réunir 51,4 % des électeurs.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Vous l’avez déjà dit en 1986 !

M. Bernard Frimat. Pour arriver à une telle situation, la méthode est simple : elle consiste à constituer, partout où cela est possible, des circonscriptions très favorables à la gauche. C’est la technique du confinement ou de la réserve indienne ! Vous pouvez ensuite créer un nombre accru – certes, avec des marges moindres ! – de circonscriptions destinées à la droite.

Permettez-moi d’illustrer mon propos en prenant un exemple de mon département.

Dans le nouveau découpage, le territoire couvert par les 20e et 21e circonscriptions du Nord reste inchangé, mais, en son sein, il y a eu remodelage.

Monsieur le secrétaire d'État, vous m’avez indiqué devant la commission des lois que le canton de Valenciennes-Nord comptant en 2006 moins de 40 000 habitants, vous aviez été obligé de procéder à ce remodelage. Je vous en donne acte. Vous rattachez donc logiquement la totalité de ce canton à la 21e circonscription et à Valenciennes.

Pour compenser cette perte démographique, vous pouviez intégrer à la 20e circonscription la commune de Saint-Saulve, seule commune du canton à ne pas y appartenir. Mais vous avez préféré ajouter la commune de Vieux-Condé dirigée par un maire conseiller général communiste.

Ainsi, vous n’apportez aucun avantage significatif à un député communiste déjà élu au second tour avec 67 % des voix ! En revanche, vous consolidez la 21e circonscription à droite, en lui conservant, avec Saint-Saulve, un réservoir de voix.

Choisir, pour favoriser l’UMP, de scinder des cantons,…

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. On l’a réunifié, celui-là !

M. Bernard Frimat. … alors que vous pouviez l’éviter, doit-il être considéré, monsieur le secrétaire d'État, comme un impératif précis d’intérêt général ? Le Conseil constitutionnel appréciera.

À la technique du confinement des voix de gauche, vous joignez, pour assurer un découpage favorable à l’UMP, celle qui consiste à jouer sur les écarts démographiques.

Le département du Pas-de-Calais, voisin à mon département, compte, dans la législature actuelle, 12 députés de gauche et 2 de droite. Avec la nouvelle répartition, il perdra 2 députés ! Pour conserver le député UMP de la 9e circonscription,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est normal ! Il faut en conserver un, sinon ce n’est pas démocratique !

M. Bernard Frimat. … il est impératif, vu l’environnement politiquement difficile, de limiter l’importance numérique de la circonscription. Votre technique est si voyante que la commission prévue à l’article 25 de la Constitution, qui ne s’est pourtant pas fait remarquer par son audace, a été conduite à émettre un avis défavorable pour déficit de population significatif.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Cela va faire plaisir à Michel Lefait !

M. Bernard Frimat. Moi, je ne cherche pas à faire plaisir, je cherche la vérité ! C’est peut-être ce qui nous sépare…

En conclusion, vous nous demandez, monsieur le secrétaire d’État, de ratifier une ordonnance qui privilégie l’esprit partisan, contourne avec grande habileté les règles imposées par le Conseil constitutionnel et présente un découpage inacceptable. Aussi, nous ne le ferons pas !

Il vous reste maintenant à échapper à la malédiction qui finit toujours par s’abattre sur ceux qui manipulent les modes de scrutin !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Bernard Frimat. Ce n’est, à notre avis, qu’une question de temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’élection au suffrage universel des représentants de la nation est l’acte fondateur de toute démocratie parlementaire. C’est sur elle que s’appuie la légitimité des lois qui régissent la vie en société et donnent corps à la citoyenneté. C’est donc à ce titre que la délimitation des circonscriptions électorales et la répartition des sièges de députés revêtent une importance singulière au regard de ce qui participe de l’essence d’un État de droit, l’alternance des majorités.

La ratification de l’ordonnance du 29 juillet 2009 sur laquelle nous sommes aujourd’hui conduits à nous prononcer intervient au terme d’un long – trop long même ! – processus.

Comme cela a déjà été évoqué, la délimitation actuelle des circonscriptions législatives remonte à la loi du 24 novembre 1986, adoptée au début de la première cohabitation et après le bref intermède du scrutin de liste proportionnel institué en 1985. Le découpage actuel s’appuie donc sur les données issues du recensement général de la population de 1982, lesquelles ne correspondent naturellement plus à la réalité démographique d’aujourd’hui.

Or, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, le Conseil constitutionnel a posé le principe intangible selon lequel l’égalité du suffrage, instituée par l’article 3 de la Constitution, ne peut être garantie que si la délimitation des circonscriptions se fait « sur des bases essentiellement démographiques ».

Cela signifie qu’il faut prendre en compte non pas le nombre d’électeurs d’une circonscription, mais bien sa population, ce qui prend tout son sens pour un département jeune et dynamique comme le mien, la Haute-Garonne.

Mme Nathalie Goulet. Quelle chance !

Mme Françoise Laborde. Nous sommes parvenus à des situations ubuesques où le poids du vote d’un électeur, pour ne parler que de la métropole, n’a pas la même valeur selon son lieu d’habitation.

En prenant les deux extrêmes, le vote d’un électeur de la 2circonscription de la Lozère, qui compte 35 000 habitants, pèse six fois plus que celui d’un électeur de la 1re circonscription du Val-d’Oise, qui totalise 188 000 habitants. Lorsqu’on sait que des élections se jouent parfois à quelques voix, et qu’une majorité parlementaire peut être ténue, on comprend aisément où se situe le problème.

Un nouveau redécoupage des circonscriptions était donc devenu indispensable, d’autant plus que deux recensements généraux sont intervenus depuis lors, en 1990 et en 1999.

Le Conseil constitutionnel, par ailleurs, juge de l’élection des députés, n’avait pas manqué d’attirer solennellement l’attention du Gouvernement sur ce point, d’abord en 2005, puis, de nouveau, en 2007, lors de l’examen du projet de loi organique visant à créer les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Sans nécessairement remonter aux rotten boroughs britanniques ou faire référence au gerrymandering qui se pratique encore parfois aux États-Unis, force est de constater qu’il est difficile de procéder à une nouvelle délimitation de façon absolument neutre et objective.

À cet égard, la méthodologie choisie revêt toute son importance.

On peut ainsi s’interroger, monsieur le secrétaire d'État, sur le choix de la méthode par tranches, dite méthode Adams, qui n’est utilisée qu’en France, ou encore sur le choix d’une tranche de 125 000 habitants, alors que, en divisant le total de la population française par le nombre de circonscriptions, la tranche type est plus proche de 113 000 habitants.

J’ai toutefois conscience que les déséquilibres démographiques en métropole et la nécessité d’assurer une représentation correcte de l’Outre-mer ne permettent pas de garantir une tranche optimale. Mais la différence reste tout de même de 11 % !

En outre, pourquoi avoir choisi un écart de 20 % entre circonscriptions d’un même département, alors que le Conseil de l’Europe recommande, dans son Code de bonne conduite en matière électorale, un écart de 10 % ?

Pourquoi ne pas avoir saisi l’occasion de cette ordonnance pour réduire l’écart et renforcer les conditions d’une réelle égalité des suffrages ?

Certes, le Conseil constitutionnel a validé cet écart de 20 %, mais en rappelant qu’il ne devait être qu’un ultime recours fondé sur des raisons d’intérêt général particulièrement circonstanciées.

En tout état de cause, la difficulté de procéder à la révision des circonscriptions résulte aussi de la révision constitutionnelle de 2008 et de la disposition qui a fixé à 577 le nombre maximal de députés.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

Mme Françoise Laborde. Je ne suis pas convaincue de l’utilité de cette disposition,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Moi non plus !

Mme Françoise Laborde. … même si je conçois que le pouvoir constituant ait voulu empêcher toute inflation d’élus.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

Mme Françoise Laborde. Néanmoins, ce plafond complexifie, de fait, la tâche, et explique notamment la raison pour laquelle a été censurée la vieille tradition républicaine selon laquelle tout département métropolitain disposait au moins de deux sièges.

Parallèlement, la révision constitutionnelle et la loi organique du 13 janvier 2009 ont permis de créer onze sièges de députés représentant les Français de l’étranger. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que leur répartition géographique est surprenante.

Mme Nathalie Goulet. Très surprenante !

Mme Françoise Laborde. L’un d’entre eux sera élu par nos compatriotes qui résident en Suisse et au Liechtenstein, tandis qu’un autre devra, pour faire campagne, courir l’Asie et l’Océanie dans leur ensemble, soit 51 millions de kilomètres carrés !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui, mais comment peut-on faire ?

Mme Françoise Laborde. Voilà un découpage bien saugrenu, dont on se doute qu’il n’est pas tout à fait innocent, au vu de la sociologie des expatriés vivant ici ou là !

M. Guy Fischer. Eh oui !

Mme Françoise Laborde. La commission prévue à l’article 25 de la Constitution, présidée par Yves Guéna, a été saisie à deux reprises par le Gouvernement, lequel n’a pourtant pas suivi l’ensemble de ces recommandations. Ces dernières tendaient à renforcer le principe d’égalité du suffrage ou la continuité et la cohérence territoriales des découpages retenus. Or nombreuses sont les circonscriptions affichant un déficit démographique qui ont été pointées du doigt par la commission. Mais le Gouvernement est passé outre, comme c’est le cas pour les Alpes-Maritimes, le Cher, la Loire, le Tarn, les Yvelines, ou encore la 5circonscription des Français de l’étranger, pour ne citer que ces territoires.

Je vous l’accorde, monsieur le secrétaire d'État, le redécoupage des circonscriptions est une tâche complexe,…

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. C’est vrai !

Mme Françoise Laborde. … et s’en acquitter avec impartialité est une gageure. Les deux camps qui structurent la vie politique de notre pays sont touchés, certes de façon inégale, par ce remodelage. Insatisfaits et satisfaits se retrouvent dans les deux camps politiques.

L’ancien redécoupage a été, lui aussi, très critiqué en son temps, et pour les mêmes raisons. Mais il n’a jamais empêché l’alternance des majorités, pour la plus grande vitalité de notre démocratie.

La discussion de ce projet de loi de ratification a été l’occasion pour certains de nos collègues députés de se livrer à de savants calculs, assortis de coefficients ou d’extrapolations ou de projections électorales. On a ainsi pu entendre que le bloc de gauche devrait désormais obtenir 51,4 % des suffrages exprimés pour obtenir la majorité à l’Assemblée nationale !

Tous ces calculs sont brillamment étayés et très intéressants, mais omettent un point essentiel : le vote des électeurs n’est pas figé. L’évolution sociologique est, par définition, un phénomène contingent, qui empêche d’enfermer l’arithmétique électorale dans des formules toutes faites et reproductibles à l’infini. L’humeur et l’opinion de nos compatriotes fluctuent : les calculs politiciens d’aujourd’hui ne seront certainement pas valables demain.

Ce projet de loi concerne avant tout, et par définition, les députés. Pour cette raison, mais également en cohérence avec nos collègues radicaux de gauche de l’Assemblée nationale, la grande majorité des membres du groupe RDSE ne prendra part à aucun vote sur ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors des débats parlementaires relatifs à la loi d’habilitation, le Gouvernement s’était engagé à ce que l’ordonnance de redécoupage des circonscriptions législatives soit prise en toute honnêteté et sur la base de critères objectifs.

En particulier, il avait lourdement insisté sur les garanties supplémentaires qui seraient apportées par rapport à la procédure suivie en 1986, indiquant notamment qu’il tiendrait le plus grand compte de l’avis de la Commission de contrôle du redécoupage électoral, la CCRE, puis de l’avis du Conseil d’État.

Selon le Gouvernement, ces deux avis devaient constituer des garde-fous, garantissant une totale transparence et évitant tout risque de charcutage électoral.

Or, contrairement aux propos lénifiants et aux statistiques trompeuses, force est de constater l’existence d’importantes anomalies.

Qui plus est, le Gouvernement a lui-même indiqué à la presse, notamment dans Le Figaro du 29 juillet 2009, qu’il était passé outre à la fois à l’avis de la CCRE et du Conseil d’État dans vingt et un cas !

Ainsi, l’ordonnance viole délibérément l’esprit de la loi d’habilitation tel qu’il ressortait des débats préparatoires et des engagements que le Gouvernement avait lui-même pris.

Pour ces raisons, j’espère que le Conseil constitutionnel ne se bornera pas à formuler une approbation globale, mais examinera, au contraire, le détail géographique des charcutages et dressera le bilan des opérations ainsi faites.

Cela sera d’autant plus facile pour lui que les avis de la CCRE et du Conseil d’État constituent une base de travail mettant en évidence les anomalies les plus flagrantes.

En effet, l’ampleur des charcutages qui ont été réalisés est, à mon avis, sans précédent.

En tant que député, j’ai vécu le découpage de 1986. Or, malgré tout ce qui a pu être dit contre le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Pasqua, je peux vous dire que le découpage était globalement satisfaisant, car, dans son ensemble, il tenait compte des problèmes des uns et des autres et témoignait d’un certain équilibre, ce qui n’est pas du tout le cas cette fois-ci.

En matière d’honnêteté, le découpage de 1986 et celui de 2009 sont véritablement le jour et la nuit !

Ainsi, dans mon département, la Moselle, si des remarques avaient, certes, pu être formulées en 1986, ni la droite ni la gauche n’avaient été véritablement spoliées. En revanche, cette fois-ci, vous faites coup double, monsieur le secrétaire d’État ! En effet, vous essayez de vous débarrasser des deux femmes élues, l’une socialiste, l’autre UMP !

Je déplore que vous ayez fait le maximum pour liquider Mme Aurélie Filippetti. Même si je n’ai pas ses idées politiques, je reconnais que c’est une bonne députée...

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Moi aussi !

M. Jean Louis Masson. ... qui représente la jeune génération et une parlementaire pleine d’avenir.

Vous liquidez également la députée UMP qui m’a remplacé à l’Assemblée nationale...

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. C’est une plaisanterie !

M. Jean Louis Masson. ... dans une circonscription qui ne vous demandait rien,…

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. N’importe quoi !

M. Jean Louis Masson. … et cela pour différentes raisons qui ont été explicitées aussi bien dans Le Monde que dans Le Canard enchaîné...

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Quelle référence !