M. François Patriat. Du cynisme et du mépris !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le voyez, le projet de loi qu’il vous est proposé d’adopter organise une fusion souhaitable des deux renouvellements partiels des conseils généraux et leur regroupement avec l’élection des conseils régionaux.

Bien entendu, c’est au moment de la discussion du projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, et à ce moment-là seulement, que nous débattrons en détail du conseiller territorial, et en particulier des modalités de son élection. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Pour l’instant, le Gouvernement demande au Parlement, et en premier lieu au Sénat, de permettre l’élection simultanée en 2014 de tous les conseillers généraux et des conseillers régionaux.

Il vous le demande sous le régime de la procédure accélérée, qui est une nécessité technique justifiée par la proximité des élections régionales qui se tiendront les 14 et 21 mars prochains. Il convient, en effet, pour respecter l’exigence constitutionnelle de sincérité du scrutin, de voter la réduction des futurs mandats avant la tenue des élections destinées à y pourvoir : les électeurs qui seront convoqués aux urnes en mars 2010 doivent être pleinement informés, au moment de leur vote, de la durée du mandat des personnes qu’ils s’apprêtent à élire. Pour cela, la loi organisant la concomitance doit être promulguée avant les élections régionales du mois de mars prochain.

Ce projet de loi a fait l’objet d’un avis favorable du Conseil d’État et la commission des lois du Sénat l’a adopté sans modification. Je propose donc à votre assemblée de faire de même. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, malgré son apparente modestie, est partie intégrante de la réforme des collectivités territoriales engagée par le Gouvernement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est bien le problème !

M. Guy Fischer. Il dit la vérité !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. En effet, il vise à réduire de deux ans les mandats des conseillers régionaux et des membres de l’assemblée de Corse qui seront élus en mars 2010, et de trois ans les mandats des conseillers généraux qui seront élus mars en 2011. Il constitue donc un préalable indispensable à la création des conseillers territoriaux.

Ces nouveaux élus, qui siégeront à la fois au département et à la région, ne sont toutefois pas directement institués par le présent projet de loi. Leur création est contenue dans un autre projet de loi : le projet de loi, no 60, de réforme des collectivités territoriales, qui viendra en discussion devant le Sénat au cours du mois de janvier.

Avant d’aborder le fond de ce projet de loi, permettez-moi d’évoquer le contexte dans lequel il est présenté.

Tout d’abord, il est important de rappeler que ce texte est le seul des quatre projets déposés devant le Sénat à être soumis à la procédure accélérée.

Le recours à cette procédure est justifié par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, bien que l’article 34 de la Constitution donne au législateur toute compétence pour déterminer le « régime électoral des assemblées locales », et bien que le Conseil se refuse à contrôler l’opportunité des choix qui sont à l’origine d’une modification de la durée des mandats, ce pouvoir est doublement limité.

Premièrement, il ne saurait être utilisé de manière arbitraire. Dans ce cadre, le respect du principe de sincérité du scrutin impose au Parlement de décider d’une éventuelle réduction de la durée d’un mandat électif avant que celui-ci ne soit confié à un élu. Il s’agit de garantir que les électeurs connaissent, au moment de leur vote, les caractéristiques des mandats sur lesquels ils se prononcent.

Il est donc impératif que la réduction des mandats des conseillers régionaux désignés lors des prochaines élections soit décidée avant le déclenchement des opérations électorales, c’est-à-dire avant le mois de février 2010.

Deuxièmement, le pouvoir du législateur de modifier la durée des mandats des élus locaux se heurte au principe de libre administration des collectivités territoriales. La réduction de la durée de mandats locaux en cours s’apparenterait en effet à l’exercice, par le Parlement, d’un pouvoir de dissolution des organes délibérants des collectivités. On peut légitimement douter de la constitutionnalité d’un tel procédé.

Il y a donc une urgence objective à l’adoption de ce texte, puisque la loi ne pourra être considérée comme conforme à la Constitution que si le processus législatif est assez rapide pour permettre sa promulgation dans moins de trois mois.

Ensuite, je tiens à préciser que ce n’est pas la première fois que le Parlement est invité à modifier la durée des mandats électifs pour répondre à des objectifs d’intérêt général. Ainsi, le législateur a déjà été amené à proroger ou à réduire la durée de certains mandats à neuf reprises sous la Ve République.

Je vous rappelle d’ailleurs que, avec la loi du 11 décembre 1990, le Parlement avait modifié la durée des mandats des conseillers généraux et des conseillers régionaux afin d’instaurer, pour les élections de 1992, un renouvellement simultané des assemblées délibérantes départementales et régionales.

Toujours à titre liminaire, je tiens à préciser que, même si ce projet de loi est, comme je l’ai déjà dit, le « préalable indispensable » à la création des conseillers territoriaux, il n’implique pas nécessairement cette création. Il s’agit d’une condition nécessaire, mais non suffisante. Les termes de « conseiller territorial » ne figurent d’ailleurs dans aucun des articles du projet de loi.

M. François Rebsamen. C’est bien sa faiblesse !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Il n’est pas non plus question ici du mode de scrutin des conseillers territoriaux. Les modalités concrètes de leur élection figurent, en effet, dans un troisième texte, le projet de loi no 61, relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, qui devrait être soumis au Sénat dans le courant de l’année 2010.

Il va sans dire que, là encore, le législateur aura toute latitude pour modifier ce texte et pour prévoir, s’il le souhaite, un mode de scrutin différent de celui qui est proposé, en l’état, par le projet de loi déposé par le Gouvernement.

M. François Patriat. Il est inique !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Je rappelle donc que le Parlement ne saurait être lié par des textes qui ne sont encore que de simples projets loi. Adopter le texte sur la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux n’implique pas de faire un vote conforme sur les trois autres projets de loi qui ont été déposés devant le Sénat.

Dès lors, ce texte n’est pas un blanc-seing donné au pouvoir exécutif. Ce que la loi a fait, elle peut le défaire. Voter le présent projet de loi ne préjuge en rien de nos débats futurs. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Si les deux assemblées décidaient finalement de renoncer à créer des conseillers territoriaux, aucun de leurs travaux préalables ne pourrait être invoqué pour les y contraindre.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous ne parlez que pour le Conseil constitutionnel !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le Parlement conservera donc, en tout état de cause, une entière souveraineté et pourra se prononcer librement sur le reste de la réforme territoriale.

J’estime que l’adoption du présent projet de loi est de nature à préserver la pleine souveraineté des assemblées. En effet, si nous adoptons ce texte, nous ne serons pas pour autant obligés, dans quelques semaines, d’avaliser la mise en place des conseillers territoriaux.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela, c’est sûr !

M. François Patriat. Signez-moi cela !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. À l’inverse, si ce texte n’était pas approuvé dans les plus brefs délais, il serait de facto impossible que les conseillers territoriaux soient effectivement créés en mars 2014. Nous nous priverions ainsi de la possibilité d’adopter l’article 1er du projet de loi de réforme des collectivités territoriales dans sa rédaction actuelle, ce qui reviendrait à nous lier les mains nous-mêmes.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous parlez toujours pour le Conseil constitutionnel !

M. Jean-Patrick Courtois. Après ces observations générales, j’en viens au contenu du texte qui nous est soumis aujourd’hui.

L’objet principal de ce projet de loi est de permettre l’expiration simultanée, en mars 2014, des mandats de l’ensemble des conseillers généraux, c'est-à-dire de ceux qui ont été élus en mars 2008, dont le mandat arrive naturellement à son terme en mars 2014, et de ceux qui seront élus en mars 2011, et naturellement des mandats des conseillers régionaux. Par cohérence, il réduit également de deux ans la durée des mandats des membres de l’Assemblée de Corse élus en mars 2010.

Conformément aux dispositions du code général des collectivités territoriales, l’Assemblée de Corse a été consultée par le Gouvernement et a rendu un avis favorable sur le présent projet de loi par une délibération du 12 octobre dernier.

On voit donc que le texte se borne, comme son titre l’indique, à organiser la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est redondant !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Comme en 1992, les conseillers généraux et les conseillers régionaux seraient donc élus simultanément. Le précédent de 1992 a bien démontré que la concomitance des élections locales, même détachée de toute réforme annexe, présentait en elle-même des avantages considérables.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Premièrement, la concomitance des élections cantonales et régionales permettra de dynamiser la démocratie locale.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous en dites trop !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. En effet, les élections territoriales sont actuellement éclatées en trois opérations séparées, c'est-à-dire une pour chaque série de conseillers généraux et une pour les conseillers régionaux, qui s’enchaînent à un rythme irrégulier. Cette situation n’est pas lisible pour les électrices et les électeurs et nuit à la bonne identification des enjeux locaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

La concomitance apparaît également comme un facteur de renforcement de la visibilité et de la légitimité des élus locaux, dans la mesure où elle favorise la participation électorale.

Ce constat est étayé par les statistiques : des records de mobilisation ont été atteints lors des élections de 1992, où le taux d’abstention au premier tour des élections cantonales est passé sous la barre des 30 %, ce qui correspond à une chute de plus de 20 points par rapport aux élections cantonales de 1988.

Deuxièmement, la mise en place de la concomitance sera l’occasion de mettre fin au renouvellement triennal par moitié des conseils généraux.

Il est en effet nécessaire, au vu des larges compétences qui sont aujourd’hui dévolues aux départements, de renforcer la continuité de l’action publique à leur niveau et de donner aux présidents de conseils généraux la stabilité et la longévité dont ils ont besoin pour conduire leur programme.

M. François Rebsamen. C’est vous qui avez changé les textes ! Avant, leur mandat était de six ans !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cette réforme fait l’objet d’un consensus parmi les élus locaux. Elle est soutenue, notamment, par l’Assemblée des départements de France et a été préconisée par la mission présidée par notre collègue Claude Belot.

Troisièmement, même en l’absence de conseillers territoriaux exerçant à la fois les fonctions de conseillers généraux et celles de conseillers régionaux, …

M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi cette restriction ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. … la mise en place d’élections territoriales concomitantes renforcera la complémentarité et la solidarité entre les élus locaux.

En effet, les élus départementaux et les élus régionaux sont actuellement désignés pour une même durée de six ans, mais selon une périodicité désynchronisée. Dans ce contexte, il est naturellement difficile d’articuler efficacement les politiques publiques de chaque niveau de collectivités.

La suppression de ce décalage temporel favorisera le renforcement des liens entre les départements et les régions et, en conséquence, leur permettra de mieux coordonner leurs actions.

Quatrièmement, ce projet de loi favorise la mise en place d’une déconnexion des enjeux électoraux locaux par rapport aux enjeux électoraux nationaux. En effet, si ce nouveau calendrier était mis en œuvre, il éviterait, pendant près de vingt ans, c’est-à-dire jusqu’en 2032, tout « télescopage » entre des échéances locales et des échéances nationales.

M. Pierre-Yves Collombat. Le Président de la République se mêle aussi des élections locales !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cette nécessité avait déjà été rappelée par la commission des lois en 2005, à l’occasion des discussions sur le texte prorogeant la durée des mandats des conseillers municipaux et des conseillers généraux renouvelables en 2007, et qui visait à éviter que les élus locaux ne soient désignés pendant les campagnes présidentielles et législatives.

M. Jean-Jacques Hyest, en qualité de rapporteur de ce texte, avait alors souligné que la confusion provoquée par une trop grande proximité dans le temps de scrutins nationaux et de scrutins locaux était « susceptible de favoriser l’abstention électorale » et de « brouiller les enjeux respectifs de chaque élection ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je maintiens !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Enfin, cette réforme est en cohérence avec la mission constitutionnelle du Sénat. Ce nouveau calendrier électoral permettra en effet aux sénateurs de continuer à être, comme ils le sont depuis 1963, désignés par des conseillers municipaux, généraux et régionaux nouvellement élus. Ce faisant, il conforte la légitimité de la Haute Assemblée et réaffirme sa vocation de représentation des collectivités territoriales.

En conclusion, ce texte peut légitimement être adopté tant par ceux qui s’opposent à la création des conseillers territoriaux que par ceux qui la soutiennent. Dans les deux cas, il est un gage de modernisation de la vie publique locale.

Compte tenu de ces observations, la commission des lois vous propose d’adopter le présent projet de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Sueur. Votre intervention manque d’enthousiasme, monsieur le rapporteur !

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est important à plus d’un titre.

D’abord, il est symbolique. C’est le premier texte portant réforme des collectivités territoriales dont est saisie notre Haute Assemblée.

M. François Patriat. Cela commence mal !

M. Jean-Léonce Dupont. Même si la réflexion a déjà été engagée, notamment lors du débat d’orientation générale organisé sur l’initiative de la commission des lois, ou encore lors de la deuxième séance de questions cribles du Sénat, c’est la première fois que nous somme réunis dans cet hémicycle pour l’examen et le vote d’un texte de la réforme.

Mais ce projet de loi n’a évidemment pas seulement un aspect symbolique, car outre le fait qu’il est le premier texte de la réforme, il en est aussi un maillon essentiel.

En effet, il va au-delà d’une simple modification du calendrier électoral, puisque, sans lui, il n’y a pas de concomitance entre les élections cantonales et régionales, donc pas de mise en place possible des futurs conseillers territoriaux. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mes chers collègues, veillons à ne pas donner à ce texte un objet qu’il n’a pas.

M. François Patriat. C’est un OVNI !

M. Jean-Léonce Dupont. Certes, il s’agit d’un des textes de la réforme des collectivités, mais, dans ces deux articles, aucune disposition portant sur le fond de la réforme n’est prévue.

M. Jean-Pierre Sueur. Encore des restrictions !

M. Jean-Léonce Dupont. Il n’est question ici, mes chers collègues, ni de la création des conseillers territoriaux ou de leur mode d’élection ni de la création des métropoles.

Il est important de rappeler que l’acceptation de ce texte ne nous engage pas sur le fond, puisque rien n’empêcherait que, en mars 2014, on élise à nouveau des conseillers généraux et régionaux.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela a déjà été dit !

M. François Patriat. Vous y croyez ?

M. Jean-Léonce Dupont. La modification opérée par le texte serait simplement devenue sans objet.

Je suis donc favorable au principe même de la concomitance d’élections qui nous est proposé aujourd’hui et donc au futur renouvellement en une seule fois de l’ensemble des élus gérant le département.

En revanche, sur les moyens mis en œuvre pour parvenir à cette concomitance, je souhaite émettre une réserve importante.

Le projet de loi prévoit, en 2011, d’élire de nouveaux conseillers généraux pour seulement trois ans. Cette disposition mérite d’être examinée attentivement, car elle aura des conséquences importantes.

En effet, le renouvellement prévu en 2011 ne constitue pas une simplification au regard des évolutions fondamentales introduites par le projet de réforme des collectivités territoriales, notamment en ce qui concerne la réduction du nombre d’élus locaux.

De jeunes élus désignés en 2011 auront légitimement à l’esprit de continuer leur parcours d’élus et seront particulièrement confrontés aux difficultés liées à la réduction du nombre d’élus résultant de la création des conseillers territoriaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Ce constat étant fait, on peut en conclure que les modalités prévues par le projet de loi ne feront qu’accentuer les difficultés liées à la réduction annoncée du nombre d’élus siégeant au conseil général.

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Jean-Léonce Dupont. C’est pour ces raisons que j’ai déposé un amendement visant à prolonger jusqu’en 2014 le mandat des conseillers généraux actuellement en exercice. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Éric Doligé. C’est une bonne idée !

M. Jean-Léonce Dupont. Le changement de paradigme électoral justifie cette mesure exceptionnelle, qui n’est pas plus illégitime qu’un mandat réduit de trois ans. Je ne suis pas convaincu, monsieur le secrétaire d’État, par l’avis « très probable » – je vous cite – du Conseil constitutionnel. Rappelons que, lors du passage de neuf à six ans du mandat sénatorial, une partie de nos collègues ont fait un mandat de six ans, plus trois ans. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Quatre ans !

M. Jean-Léonce Dupont. Mon amendement vise à préparer au mieux la transition importante qui sera opérée lors de l’entrée en vigueur du projet de réforme des collectivités territoriales.

Enfin, permettez-moi de conclure ces propos avec quelques considérations générales sur la réforme des collectivités, même si j’ai parfaitement conscience, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, que ce n’est pas strictement l’objet du présent projet de loi.

Je ferai une première remarque sur le mode de scrutin prévu pour l’élection des conseillers territoriaux.

Ce point est particulièrement sensible, surtout pour l’ensemble des formations centristes ! Ce qui nous est proposé aujourd’hui, le scrutin uninominal à un tour, est à ma connaissance désapprouvé par la quasi-totalité des sénateurs de mon groupe (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.),…

M. François Patriat. Et des Français !

M. Jean-Léonce Dupont. … et la « dose de proportionnelle » qui nous est proposée s’apparente plus à une « dosette » !

Les critiques seront tout aussi vives concernant le principe de la réutilisation des voix à l’échelon départemental. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

M. François Patriat. C’est la magouille !

M. Jean-Léonce Dupont. Il faudra, monsieur le secrétaire d’État, que des modifications importantes soient trouvées sur ces points.

Ma seconde remarque concerne le risque, très important à mon sens, de « professionnalisation » du futur conseiller territorial.

Nul n’ignore, surtout au sein de notre Haute Assemblée, les contraintes et le volume de travail qui seront ceux de cet élu qui siégera au sein de deux assemblées locales. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste.)

Le risque est le suivant : ce mandat ne sera-t-il pas, dans les faits, réservé à des personnes n’exerçant pas, ou plus, d’activité professionnelle ou à celles qui bénéficient d’un statut leur garantissant un retour à l’emploi à l’issue de leur mandat ?

Cette réforme soulèvera de vraies questions en termes non seulement d’accessibilité au mandat électif, mais surtout de sociologie de la représentation au sein des conseils régionaux et généraux ! Il y a donc lieu de réfléchir dès maintenant à l’approfondissement du statut des futurs élus territoriaux. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à quoi donc a bien pu servir la « mission sénatoriale temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales », dite mission Belot, créée sous l’impulsion de notre président et qui devait être le mécano dans lequel le Sénat devait puiser pour établir sa doctrine en toute indépendance par rapport à la mission Balladur ?

MM. Didier Boulaud et François Patriat. À rien !

M. Jean-Claude Peyronnet. Vous avez raison, mes chers collègues, même s’il faut attendre, pour faire un bilan complet, que nous traitions des compétences, cette mission ne sert à rien, sinon à entretenir pendant des mois la fausse illusion d’un possible consensus qui faisait fi de la logique majoritaire.

Il fallait d’ailleurs une forte dose de naïveté pour croire que, en dehors des propositions mineures soutenues par les associations d’élus – je pense, notamment, à la disparition du panachage pour les élections municipales dans les petites communes, au fléchage, à l’achèvement de l’intercommunalité, à l’élection des conseillers généraux en une seule fois –, les sénateurs ne se diviseraient pas sur l’essentiel, l’essentiel étant ce qu’a voulu le Président de la République, autrement dit la création du conseiller territorial.

C’est le sujet quasi unique du débat qui commence aujourd’hui. On ne le dirait pas, puisque le projet de loi, dit de « concomitance », est un OLNI, un objet législatif non identifié, qui réussit le tour de force d’aborder la question du conseiller territorial sans le nommer, sauf dans l’exposé des motifs. (Mme Odette Herviaux et M. Jean-Jacques Mirassou applaudissent.)

M. Jean-Pierre Sueur. C’est l’Arlésienne !

M. Jean-Claude Peyronnet. On a ainsi une illustration de la procédure contournée et baroque, dont la constitutionnalité est à démontrer et qui consiste à nous faire voter les ressources avant les compétences, décider des conseillers territoriaux sans en connaître le nombre et même sans les avoir formellement créés,…

M. Guy Fischer. On marche sur la tête !

M. Jean-Claude Peyronnet. … et prétendre simplifier la pyramide administrative sans rien supprimer, mais au contraire en créant de nouvelles institutions comme les métropoles ou les pôles métropolitains.

C’est la même procédure obscure qui saucissonne la réforme en quatre projets de loi, tous assortis de la même étude d’impact, celui que nous examinons aujourd’hui se voyant attribuer trois heures de discussion générale, alors que, pour un texte comportant seulement deux articles, une heure aurait dû suffire. C’est une invitation à parler de l’ensemble, et c’est ce que nous allons faire !

Monsieur le rapporteur, vous pouvez bien jouer, vous aussi, les naïfs…

M. François Rebsamen. Faussement naïf !

M. Jean-Claude Peyronnet. … et dire que, même sans un vote positif sur la création des conseillers territoriaux, le présent projet de loi pourrait s’appliquer aux conseillers généraux et régionaux maintenus. Pour autant, le conseiller territorial, tout masqué qu’il soit, est présent partout ; c’est comme l’Arlésienne, que l’on ne voit pas, mais qui est omniprésente !

Premier élément, on a commencé par la réforme fiscale. Le résultat est lumineux. Au motif, exposé à de nombreuses reprises, de limiter leurs dépenses, on réduit de façon drastique l’autonomie fiscale des collectivités : autour de 30 % pour les communes, 12 % pour les départements et moins de 10 % pour les régions.

Outre le fait que les dotations d’État ne seront jamais assurées dans leur volume, c’est désormais le Parlement, c’est-à-dire l’État central, qui décidera de l’ampleur des investissements des collectivités.

Ce n’est pas une réforme, c’est la Restauration ! Sarkozy-Louis XVIII rétablit l’ordre ancien, disparu depuis près de trente ans, celui qui existait avant la décentralisation ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.)

M. Didier Boulaud. Vive le petit Napoléon !

M. Jean-Claude Peyronnet. Tout en conservant l’apparence d’assemblées autonomes, les conseils régionaux et généraux retombent sous la tutelle de l’État central, et cette nouvelle forme de centralisation sera beaucoup plus contraignante pour elles qu’avant 1982, car l’État ne dispose plus, et sans doute pour longtemps, de la marge financière qu’il avait alors, ce qui interdira toute générosité dans l’attribution des dotations.

Par ailleurs, à l’époque, les assemblées locales avaient une aisance qu’elles trouvaient dans le vote des taux – d’autant que c’était une période d’inflation –, ce qui ne sera plus possible désormais.

Ce retour en arrière est l’élément premier de ce qui est présenté comme une réforme et qui n’est en réalité qu’un recul. Les effets désastreux de cette recentralisation sur le confort de vie de nos concitoyens s’en feront très vite sentir.

Le second élément est la création du conseiller territorial.

Il résulte, là encore, d’une rupture et d’une autre logique que celle qui prévalait depuis 1982 et qui avait vu s’établir deux couples fonctionnels : le couple département et communes et le couple État et régions.

Désormais, ce qui est privilégié, ce sont les couples communes et communautés de communes, avec une forte volonté d’absorption des premières par les secondes, et le couple départements et régions, avec une tout aussi forte volonté d’absorption des premiers par les secondes.

Le lien entre communes et communautés de communes est tellement évident qu’il est inutile d’y insister. Le lien entre le département et la région fait fi des différences majeures consubstantielles à ces deux assemblées, la première étant une instance de proximité, la seconde, de programmation.

Le but inavoué, mais qui transpire en permanence dans les discours, de cette évolution constitutionnelle, c’est la disparition des communes et des départements ou, pour employer les termes délicats d’Édouard Balladur, leur « évaporation ».

Certes, le projet gouvernemental, s’il donne au préfet des pouvoirs temporaires mais exorbitants, établit des garde-fous, tels que le référendum, qui rendent a priori la fusion des communes difficiles.

Mais observons ce qui s’est passé pour la loi de 1999 : une forte incitation financière, appuyée sur le coefficient d’intégration fiscale, le CIF, que nous connaissons tous, a conduit massivement les conseils municipaux à déléguer leurs compétences aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI.

Rien n’indique qu’il n’en sera pas de même avec ce projet. Les communes financièrement exsangues, privées de l’aide des conseils généraux et régionaux, eux-mêmes dépouillés de la compétence générale et financièrement asphyxiés, ne devront-elles pas, contraintes et forcées, voter leur propre disparition ?