compte rendu intégral

Présidence de M. Guy Fischer

vice-président

Secrétaires :

Mme Monique Cerisier-ben Guiga,

Mme Michelle Demessine.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 février 2010 d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution, par plus de soixante députés, de la loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

3

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 18 février 2010, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés.

Acte est donné de cette communication.

4

Candidatures à un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de l’Agence nationale de l’habitat.

La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Dominique Braye, en qualité de titulaire, et de M. Thierry Repentin, en qualité de suppléant, pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

5

Aménagement horaire d'une séance

M. le président. Mes chers collègues, par lettre du 18 février, M. le président du Sénat vous a informés de la possibilité de poursuivre dans la nuit de demain, mardi 23 février, sans toutefois dépasser deux heures du matin, l’examen du projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne qui a fait l’objet de 162 amendements.

Cet aménagement horaire nous permettrait de terminer ce débat le mercredi 24 février à une heure raisonnable.

M. Robert del Picchia. C’est un pari !

M. le président. Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

6

Organisation des travaux

M. le président. Mes chers collègues, nous allons examiner onze projets de loi relatifs à des conventions internationales qui devaient faire l’objet de la procédure simplifiée, c’est-à-dire d’un vote sans débat.

Le groupe socialiste ayant demandé le retour à la procédure normale sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord international de 2006 sur les bois tropicaux, nous entendrons, sur ce projet de loi, le secrétaire d'État, le rapporteur et un orateur qui s’est inscrit dans la discussion générale.

7

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord international de 2006 sur les bois tropicaux
Discussion générale (suite)

Accord international de 2006 sur les bois tropicaux

Adoption d'un projet de loi

(Texte de la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord international de 2006 sur les bois tropicaux (projet n° 112, texte de la commission n° 255, rapport n° 254)

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord international de 2006 sur les bois tropicaux
Article unique (début)

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’accord international de 2006 sur les bois tropicaux, aujourd’hui soumis à votre approbation, pose des principes et des règles déterminants pour l’avenir de notre planète et pour une grande partie de l’humanité.

En effet, les forêts, notamment tropicales, abritent plus de la moitié des espèces animales et végétales. Elles jouent donc un rôle essentiel dans la protection de la biodiversité. Par ailleurs, l’Organisation des Nations unies évalue le nombre de personnes qui dépendent de la forêt pour leur survie à 1,5 milliard. Or 13 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année dans le monde, soit presque la surface totale des forêts situées en France métropolitaine.

Les deux causes principales de cette déforestation sont connues : la conversion des forêts en terres agricoles et la surexploitation des forêts pour le bois de chauffe. Or l’exploitation des forêts n’est pas toujours encadrée par des règles précises, ce qui constitue souvent un facteur aggravant de l’exploitation illégale.

Au-delà de l’incidence financière – elle est estimée à 10  milliards de dollars par an –, ces pratiques entraînent la dégradation, voire la destruction des forêts. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’accord international sur les bois tropicaux qui vous est aujourd’hui soumis.

Cet accord, adopté le 27 janvier 2006 dans le cadre de la conférence des Nations unies, a vocation à remplacer l’accord international sur les bois tropicaux signé à Genève le 26 juin 1994, lui-même en vigueur à la suite de l’accord de 1983. Il a pour objet d’actualiser les mécanismes internationaux en place depuis plus de vingt-cinq ans.

Les objectifs et le mode de fonctionnement de l’Organisation internationale des bois tropicaux, l’OIBT, et du Conseil international des bois tropicaux, le CIBT, sont clarifiés, ainsi que leurs procédures de vote et le mode d’élection de leurs dirigeants. L’accord prévoit le maintien de l’Organisation internationale des bois tropicaux, dont le siège se trouve à Yokohama, au Japon. L’OIBT compte actuellement 59 membres qui représentent, à eux seuls, 95 % du commerce mondial des bois tropicaux et 80 % des forêts tropicales de la planète.

Sur le plan financier, les contributions obligatoires restent calculées en fonction du nombre de votes détenus par chaque membre. Au sein de l’Union européenne, le Royaume-Uni et la France, pays qui disposent de trente-trois votes chacun, détiennent le plus grand nombre de votes.

Les contributions volontaires permettent d’alimenter le Compte spécial et le Fonds pour le partenariat de Bali, pour aider les membres producteurs à atteindre une gestion durable des forêts productrices de bois tropicaux.

Le texte encourage également le reboisement en bois tropicaux et la restauration des terres forestières dégradées, en lien avec les communautés locales qui en dépendent.

La certification est défendue pour une gestion plus durable des forêts tropicales, par le biais de la labellisation de produits forestiers.

Enfin, cet accord vise à promouvoir la diversification du commerce international des bois tropicaux. Il encadre cette démarche par deux exigences fortes et complémentaires l’une de l’autre : une exploitation légale et une gestion durable de la forêt.

Avec l’instrument juridiquement non contraignant relatif à tous les types de forêts adopté lors du Forum des Nations unies sur les forêts, au mois d’avril 2007, l’accord international sur les bois tropicaux de 2006 est le seul texte de portée universelle spécifiquement consacré aux forêts et aux bois. Il est donc l’un des rares instruments internationaux qui pourront être utilisés pour accompagner et améliorer la gouvernance mondiale des forêts.

La participation de la France au nouvel accord international se justifie par trois raisons principales.

La première est la lutte contre le déboisement illégal, sujet qui a fait l’objet de discussions approfondies lors du Grenelle de l’environnement.

La deuxième raison tient au fait que les bois tropicaux constituent une ressource essentielle pour de nombreux pays d’Afrique francophone, comme le Cameroun, le Gabon, la Côte d’Ivoire, le Congo, la République centrafricaine, la Guinée, avec lesquels la France entretient des relations étroites et anciennes. À cet égard, la France a développé, de longue date, une action de lutte contre la dégradation forestière, notamment au Congo.

La troisième raison de cette participation est l’existence d’environ 8 millions d’hectares de forêts tropicales dans nos départements d’outre-mer. Cela représente près du tiers des forêts françaises.

À compter de la date de son entrée en vigueur, l’accord de 2006 aura une validité de dix ans, cette durée pouvant être étendue à dix-huit ans si les possibilités de prolongement, prévues par l’accord lui-même, sont utilisées.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales remarques qu’appelle l’accord international de 2006 relatif aux bois tropicaux, dont l’approbation fait l’objet du projet de loi qui vous est aujourd’hui soumis. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. René Beaumont, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le couvert forestier contribue à la préservation du sol, au maintien des nappes phréatiques, à la régulation du climat, comme à la protection de la biodiversité.

Paradoxalement, ce rôle essentiel est mis en valeur au moment où, en raison de son ampleur, le déboisement devient une menace pour la population mondiale et pour le climat.

La protection des espaces forestiers constitue, en effet, un enjeu conflictuel entre pays en développement et pays développés. On estime par exemple que, entre 1980 et 1990, la surface des forêts tropicales a régressé de 3,6 %, alors que celle des forêts tempérées progressait de 0,1 %. Mais nos forêts sont elles-mêmes menacées par l’extension de l’urbanisation. À cet égard, un récent rapport de l’Office national des forêts, l’ONF, a souligné que la superficie de la forêt française avait diminué en 2008, pour la première fois depuis un siècle, alors qu’elle avait progressé de 17 % pendant le siècle précédent.

Les forêts de bois tropicaux, quant à elles, sont soumises de façon croissante à la forte pression des cultures d’exportation, que ces dernières soient consacrées aux agrocarburants, comme le palmier à huile ou la canne à sucre, ou à l’alimentation humaine et animale, comme les céréales ou le soja.

À cette réduction des surfaces forestières s’ajoutent les destructions inhérentes à l’exploitation anarchique dont elles font souvent l’objet, afin d’en diminuer le coût ou par méconnaissance totale des méthodes de gestion forestière.

Dès 1983, la communauté internationale a adopté un accord international sur les bois tropicaux, visant à établir une gestion durable des forêts humides. Ce premier texte a été actualisé en 1994 ; la validité du nouvel accord conclu courait jusqu’en 2006.

Le présent texte, conclu pour une durée de dix ans à compter de sa future entrée en vigueur, a été adopté le 27 janvier 2006 dans le cadre de la conférence des Nations unies réunie spécifiquement sur ce point à Genève par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, la CNUCED, et prolonge donc, en le précisant, l’accord de 2006.

Ce texte prévoit des dispositions en matière de gestion durable des forêts tropicales, sujet primordial puisque ces forêts continuent de disparaître au rythme de 15 millions d’hectares par an, selon la CNUCED, alors que la végétation tropicale contribue à limiter le réchauffement planétaire.

Le texte encourage les États parties à l’accord à développer des activités de reboisement en bois tropicaux, de remise en état et de restauration des terres forestières dégradées, en tenant compte des intérêts des communautés locales qui dépendent des ressources forestières, et à promouvoir la certification, afin d’améliorer la gestion durable des forêts tropicales.

Cette certification consiste dans la labellisation des produits forestiers garantissant aux consommateurs que ces produits proviennent de forêts gérées de façon durable.

La conclusion de l’accord de 2006 a permis également de préciser la répartition des droits de vote au sein de l’OIBT, dont le siège est à Yokohama et qui administre l’accord. L’OIBT accueille 33 pays producteurs et 26 pays consommateurs, qui représentent globalement 90 % du commerce mondial de bois tropicaux.

Le présent accord clarifie les objectifs, le mode de fonctionnement de l’OIBT et du CIBT, leurs procédures de vote et le mode d’élection de leurs dirigeants. Il précise le contenu du rapport annuel établi par l’OIBT, ainsi que les obligations de ses membres.

Cet accord positif se heurte à deux limites principales : l’OIBT ne dispose pas, hélas ! d’instruments contraignants pour faire respecter ses recommandations et, surtout, les surfaces forestières tropicales sont souvent menacées par la pression qu’exerce l’extension des cultures, beaucoup plus que par l’abattage illégal.

Sous le bénéfice de ces observations, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande l’adoption de cet accord. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette.

M. Jean-Etienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons qu’approuver une convention visant à concilier le commerce des bois tropicaux avec la préservation des forêts, qui jouent un rôle majeur dans l’équilibre écologique de la planète.

Pour cela même, nous ne pouvons nous contenter d’un geste de bonne conscience, sans prendre la mesure de notre responsabilité quant aux conditions de réussite des objectifs visés dans cette convention.

J’ai donc souhaité intervenir ici pour souligner quelques réalités qui doivent nous engager à une certaine humilité et à plus de volontarisme dans l’action.

Par ailleurs, en tant que sénateur de la Guyane, vous me permettrez, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, d’apporter une rectification essentielle sur ce qui a été dit durant l’examen du texte en commission, concernant la gestion de la forêt guyanaise.

Je voudrais, par la même occasion, éclairer mes collègues sur la position particulière de la France en tant que pays à la fois consommateur et producteur de bois tropicaux – le seul de toute l’Union européenne, grâce à la Guyane.

Nous évoluons aujourd’hui dans un contexte où les contradictions entre les intérêts économiques des pays du Nord et les enjeux écologiques de toute la planète se heurtent, comme nous l’avons vu pour le paquet « énergie-climat », et, encore récemment, à Copenhague.

Dans ce contexte, force est de le constater, pour sauver la planète et, partant, pour préserver les intérêts des pays industrialisés qui peinent à transformer leurs pratiques, les pays du Sud reçoivent l’injonction d’épargner leurs ressources.

Ce faisant, ils limitent leur croissance économique et endossent la fonction de variable d’ajustement des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Ces contraintes semblent inévitables. Mais nous ne pouvons ignorer l’insupportable servitude par laquelle un continent comme l’Afrique, par exemple, tout en étant le moins pollueur de la planète, est aussi le plus affecté par les changements climatiques et le plus contraint dans ses stratégies de développement économique. Au départ, il était contraint à la déforestation au profit de cultures à grande échelle répondant aux besoins des pays industriels. Désormais, il doit reboiser pour limiter les dégâts perçus toujours trop tard.

Chaque fois, on agite le spectre d’un retrait des aides au développement, des sanctions financières du FMI, ou des embargos sur les produits. Cela n’est pas très satisfaisant.

Aujourd’hui, un dispositif alléchant se met en place avec les marchés internationaux de CO2, mais ce dispositif est utilisé par certaines compagnies comme un droit de polluer, perpétuant ainsi la perversion des rapports entre le Nord et le Sud.

Nous devons donc véritablement agir sur deux plans : légiférer avec rigueur et aider avec justesse les pays concernés.

Ce n’est pas tout de le dire. Certes, l’accord de 2006 instaure un fonds pour financer des projets forestiers durables. Le Parlement européen, à l’occasion de sa propre signature de l’accord, a demandé aux États membres de l’Union d’accroître les ressources financières consacrées à l’exploitation écologiquement responsable des forêts tropicales. Toutefois, l’alimentation de ce fonds, de même que l’aide au développement restent aléatoires en temps de crise.

Par ailleurs, sur le terrain, les situations à gérer sont complexes.

Par exemple, il y a quelque chose d’anachronique dans le parcours des grumes du Brésil, exportées en Chine afin d’être transformées, puis en Europe sous forme de produits finis.

Certains pays ont des difficultés réelles à répondre à toutes les exigences d’une gestion durable des forêts ou d’une chaîne de production complète du bois.

Ainsi, des États qui s’y sont efforcés, comme le Ghana, passent par des périodes de surcapacité, de mise à mal des petits exploitants et de surendettement. Tout récemment, le Congo a décidé d’interdire l’exportation de bois illégal, créant ainsi une grande panique chez tous les professionnels du secteur.

Il ne suffit donc pas d’imposer des labels et des certifications, de contraindre les marchés publics, ou d’inciter à la transformation sur place des grumes pour obtenir des résultats satisfaisants.

Je conclus sur ce premier point, en espérant avoir été compris : j’approuve pleinement cet accord international dans la mesure où il est assorti d’une action concrète des États consommateurs, dans l’accompagnement du développement des pays producteurs aux économies les plus fragiles. C’est ainsi qu’il faut faire disparaître cette part de production illégale, avec, en perspective, la seconde étape du protocole de Kyoto, après 2012.

J’en viens tout naturellement au second point, la gestion de la forêt guyanaise.

Tout d’abord, monsieur le rapporteur, permettez-moi de rectifier ce qui est écrit en toutes lettres dans le compte rendu de la commission des affaires étrangères du 3 février dernier. Je ne peux pas laisser dire et encore moins écrire une telle phrase : « La forêt guyanaise est de faible qualité, difficile à exploiter, ce qui n’empêche pas sa dévastation par les clandestins brésiliens. »

Ces propos sont d’un autre temps, monsieur Beaumont, et témoignent, sinon d’une ignorance incompréhensible, du moins d’un préjugé hautement nuisible pour la Guyane, s’agissant de déclarations mises à la disposition du public.

N’étant pas expert en bois tropicaux, je me suis adressé au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD. Je tiens de M. Jacques Beauchêne, chercheur et responsable du laboratoire de sciences du bois au CIRAD de Guyane, les précisions suivantes : « Pour la plupart des gens qui connaissent le sujet, la forêt guyanaise est bien supérieure à n’importe laquelle des forêts tempérées. Il est aussi maintenant admis que la diversité interspécifique – en Guyane, elle est de 200 à 300 espèces à l’hectare – est de loin le potentiel le plus important de la mise en valeur des forêts tropicales. L’exploitation de la forêt guyanaise n’est ni plus ni moins difficile que celle des autres forêts tropicales. »

Les forêts du Brésil, du Surinam, du Guyana ou du Venezuela ne sont pas affublées de ce qualificatif de « faible qualité » ; celui-ci n’échoit qu’à la forêt de la Guyane française, située pourtant sur le même plateau morpho-géologique que les autres, avec la même géographie, le même relief et le même climat. Ne trouvez-vous pas cela étrange, chers collègues ?

Toujours d’après le CIRAD, la forêt guyanaise relève d’une gestion exemplaire et unique en zone tropicale. C’est un organisme de renom, l’Office national des forêts, qui a en charge 5,5 millions d’hectares sur les 8 millions d’hectares de forêt du département, et qui, d’ailleurs, travaille actuellement sur les deux grandes certifications forestières existantes, le PEFC, ou programme de reconnaissance des certifications forestières, et le FSC, le conseil de bonne gestion des forêts.

S’agissant de l’exploitation, en Guyane, le prélèvement par hectare est faible – de deux à trois arbres par hectare – et se situe en deçà des limites admises pour un renouvellement naturel de la forêt – de quatre à cinq arbres par hectare. Les rotations sont longues, la pause dure au minimum soixante-cinq ans. Les zones d’exploitation sont sélectionnées avec soin et il existe désormais d’importantes zones protégées.

En revanche, si la destruction de la forêt est bien réelle et grave, cela est dû non pas à une exploitation illégale du bois mais à l’orpaillage clandestin, comme vous devez le savoir.

Ces rectifications étant faites – il était essentiel qu’elles le soient de façon officielle –, je souhaiterais maintenant m’adresser à vous, monsieur le secrétaire d’État.

La Guyane représente 8 millions d’hectares de forêt primaire, certifiée d’un seul tenant, 1 200 espèces d’arbustes recensées – pour 130 en métropole – et un potentiel de prélèvement allant jusqu’à 5 tonnes de bois par hectare, sans impact négatif sur l’environnement.

La gestion forestière en Guyane est irréprochable sur le plan écologique. Vous en comprenez tout l’intérêt face aux enjeux de ce projet de loi.

Sur le plan économique et humain, en revanche, son exploitation ne suffit même pas à couvrir les besoins locaux. Or ce n’est pas à cause d’une faible qualité ni de difficultés insurmontables d’exploitation, que la filière forêt-bois en Guyane est à peine développée, c’est en raison de freins technologiques, c’est-à-dire financiers, d’obstacles réglementaires et d’un manque de formations adaptées de la ressource humaine aux particularités de cette forêt.

La filière – le bout de la filière – mobilise aujourd’hui de 700 à 800 emplois et produit 65 000 mètres cubes de bois par an.

Or des études scientifiques ont établi, sur la base de scénarios réalistes, que la Guyane pourrait porter l’ambition, d’ici à 2030, de créer 10 000 emplois supportés par une filière forêt-bois performante.

À titre d’exemple, Bernard Thibaut, directeur de recherche au CNRS, a montré, en 2009, que, sur la base d’une exploitation écologiquement responsable d’un million d’hectares étalée sur soixante-cinq ans, en zone Nord de la Guyane, proche des concentrations d’habitat, soit 15 000 hectares parcourus par an pendant soixante-cinq ans, on pourrait produire 700 000 tonnes par an de bois, lui-même fournissant 200 000 mètres cubes de matériaux –  poteaux, sciages et placages –, 400 000 tonnes de combustible et 1 000 tonnes de molécules.

Sur le plan réglementaire, le bois commercialisé de Guyane répond à l’exigence du marquage « Communauté européenne » ou marquage « CE », comme des autres certifications.

Il est cependant handicapé par le non-référencement de certaines essences et la non-adaptation des normes de construction aux conditions climatiques locales.

Cependant, ces contraintes ouvrent des perspectives à terme pour les bois de Guyane, qui ont toutes les chances, face aux bois tropicaux étrangers, de mieux répondre aux garanties exigées par la Communauté européenne.

Dans le cadre des négociations internationales concernant l’accord sur le climat pour l’après-2012, la Commission européenne ambitionne de stopper la diminution de la couverture forestière de la planète en 2030, au plus tard, et de réduire la déforestation tropicale brute d’au moins 50 % d’ici à 2020.

Il est important que ces démarches prennent en compte la situation de la forêt guyanaise. Il est vital que les bois guyanais parviennent non seulement à couvrir les besoins internes mais aussi à trouver des débouchés naturels dans les départements d’outre-mer, l’Hexagone, l’Europe, ou ailleurs.

Monsieur le secrétaire d’État, la France ne peut pas faire moins pour sa propre forêt tropicale que ce qu’elle s’engage à faire pour les bois tropicaux étrangers.

Quel avenir espérer pour la filière forêt-bois en Guyane ? Quelles mesures concrètes seront prises pour favoriser ce modèle de développement responsable, qui peut faire de la France, grâce à sa forêt guyanaise, un exemple pour la planète ?

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Beaumont, rapporteur. Monsieur Antoinette, lors de la discussion en commission, on m’a interrogé sur la situation de la forêt guyanaise. Certes, les qualificatifs que j’ai utilisés étaient peut-être un peu outranciers. Je n’ai pas la prétention de connaître la forêt guyanaise mieux que vous, même si je m’y suis rendu à de nombreuses reprises – au moins une huitaine de fois – et parfois durant plusieurs jours.

Par ailleurs, en tant que représentant de l’un des premiers départements forestiers français, j’ai également quelques contacts avec des importateurs français de bois tropicaux, qui se servent très peu en Guyane.

J’ai donc pu me rendre compte que les forêts amazoniennes dans leur ensemble – celle de la Guyane n’est pas différente des autres à cet égard – étaient plus souvent exploitées de façon illégale que mises en valeur économiquement.

Ainsi, au Brésil – ce n’est pas le cas en Guyane –, les habitants ou les personnes intéressées par la forêt préféreront faire pousser de la canne à sucre pour la transformer ensuite en carburant plutôt que replanter des arbres, dont l’exploitation illégale est courante mais la mise en valeur économique quasi absente.

Comme vous l’avez souligné vous-même, mon cher collègue, le bois guyanais ne suffit même pas aux besoins de la population de la région. C’est bien la preuve que se pose un problème d’exploitation !

Je me félicite donc de la réflexion que nous avons menée. Les propos que j’ai tenus étaient peut-être quelque peu outranciers – puissiez-vous m’en excuser ! –, mais ils ont suscité un débat et vous ont permis de vous exprimer devant M. le secrétaire d'État. Ainsi trouverons-nous, peut-être, des solutions permettant d’améliorer l’exploitation du bois guyanais, qui, aujourd'hui, débute à peine, cette production ne parvenant pratiquement pas jusqu’en métropole du fait de son absorption par les populations locales.

Il s'agit là d’un problème réel, qui est tout à fait particulier car la forêt guyanaise est domaniale, c'est-à-dire qu’elle appartient à l’État, auquel il revient donc de prendre des décisions en la matière. Je suis mal placé, hélas ! pour me prononcer à cet égard, mais peut-être M. le secrétaire d'État vous en dira-t-il davantage.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.