M. François Zocchetto, rapporteur. Mais la machine s’est emballée et nous avons assisté à un dévoiement de la procédure.

Comme l’a dit tout à l'heure Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi, on peut estimer à 800 000 le nombre de gardes à vue opérées en 2009 en France, dont 150 000 pour des infractions routières.

Je ne reviendrai pas longuement sur l’utilisation du nombre de gardes à vue comme indicateur statistique. Il serait heureux que le ministère de l’intérieur abandonne cette pratique qui a conduit à une certaine perversion de la mesure, mais, notamment pour les personnes ayant fait l’objet d’une garde à vue, et chacun ici en connaît, le mal est fait.

Je ne reviendrai pas plus longuement sur les conditions de détention, qui, nous en sommes tous convaincus – du moins je l’espère ! –, sont souvent déplorables. La responsabilité n’en incombe d’ailleurs pas toujours, loin s’en faut, aux personnels de police et de gendarmerie. Il n’est qu’à constater tout simplement l’état des locaux pour comprendre que toute personne se retrouvant en garde à vue voit, d’un seul coup, son quotidien basculer.

En matière de garde à vue, la Cour européenne des droits de l’homme accentue sa jurisprudence.

Ainsi, aux termes de l’arrêt Salduz c. Turquie, du 27 novembre 2008, la personne gardée à vue doit bénéficier de l’assistance d’un avocat « dès le premier interrogatoire […] par la police ».

Puis, dans l’arrêt Dayanan c. Turquie, du 13 octobre 2009, la Cour exige que l’action des avocats s’exerce librement, pour permettre à l’intéressé d’obtenir « la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. »

D’autres arrêts rendus plus récemment sont venus compléter cette jurisprudence, M. Mézard l’a évoqué à l’instant.

Autre point important pour appréhender le problème de la garde à vue dans son exhaustivité, la Cour de Strasbourg entend désormais limiter strictement les exceptions au principe de la présence de l’avocat. Aucune dérogation n’est ainsi possible, « sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

La législation française est visée, pour ce qui concerne non seulement, bien sûr, les infractions en matière de terrorisme, mais aussi la criminalité organisée.

Je tiens néanmoins à le rappeler, pour rassurer celles et ceux qui pourraient nourrir quelques inquiétudes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne s’applique qu’aux États parties aux affaires jugées, la Turquie et la Pologne en l’occurrence. Il n’est toutefois pas certain que nous souhaitions être longtemps comparés à ces deux pays sous cet angle-là…

Il reste que la jurisprudence de la CEDH est difficile à interpréter, tant et si bien qu’un certain nombre de tribunaux français, semaine après semaine, n’hésitent pas à annuler, non pas forcément l’intégralité des gardes à vue, mais des actes accomplis au cours de celles-ci. Des premiers présidents de cours d’appel m’ont ainsi personnellement indiqué qu’ils seraient particulièrement sensibles aux thèses exposées par ceux qui se référeraient à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme…

Dans ce contexte, mes chers collègues, je suis, comme vous tous sans doute, extrêmement préoccupé par l’insécurité juridique dans laquelle nous risquons de nous trouver.

On a vu récemment des tribunaux correctionnels annuler des actes de garde à vue et, en conséquence de cette annulation, ordonner la remise en liberté de personnes pourtant loin d’être « innocentes », au sens commun du terme, dans la mesure où elles avaient été reconnues coupables à l’occasion de précédentes affaires. Nul doute que ces personnes ne tarderont pas à être de nouveau jugées !

Mes chers collègues, quelles sont les solutions envisageables ?

Il importe de nous pencher sur l’avant-projet de loi présenté par le Gouvernement, dont le texte, comme l’a rappelé Mme le garde des sceaux, a été mis en ligne il y a trois semaines environ. Il s’inspire en partie des suggestions du comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger.

Par ce biais, le Gouvernement entend tout d’abord limiter la garde à vue aux strictes nécessités de l’enquête. Cela peut paraître évident, mais encore faut-il le rappeler, ne serait-ce que pour « guider » la jurisprudence de la Cour de cassation.

Ensuite, le texte du Gouvernement prévoit un second entretien à la douzième heure de garde à vue. Celle-ci, aujourd'hui, dure en principe vingt-quatre heures, mais peut-être prolongée sur autorisation écrite du procureur. Proposition supplémentaire, en cas de prolongation au-delà de vingt-quatre heures, le mis en cause pourrait être assisté, lors des auditions, d’un avocat, qui aurait alors eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés.

Enfin, aux termes de l’avant-projet de loi, pour les infractions passibles de moins de cinq ans d’emprisonnement, les personnes pourraient être entendues dans le cadre d’une audition libre, au commissariat ou à la gendarmerie, sans contrainte et pour un maximum de quatre heures.

Ces propositions me paraissent intéressantes et méritent d’être discutées, tout comme celles qui sont contenues dans la présente proposition de loi.

M. François Zocchetto, rapporteur. Cette dernière repose, si j’ai bien compris, sur un principe simple : une personne gardée à vue ne saurait, en théorie, être entendue sans être assistée de son avocat.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez très bien compris ! Ne soyez pas si « contourné », monsieur le rapporteur ! (M. le président de la commission des lois s’offusque.)

M. François Zocchetto, rapporteur. Par conséquent, si la personne gardée à vue demande à être assistée d’un avocat, il faudrait retarder la première audition jusqu’à l’arrivée du conseil. À l’issue de cette audition, bien évidemment, la personne ne pourrait être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête hors la présence de l’avocat, sauf si elle renonçait expressément à ce droit.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est le bon sens !

M. François Zocchetto, rapporteur. M. Mézard et certains de ses collègues du RDSE souhaitent également supprimer le régime dérogatoire pour la grande criminalité, tout en le maintenant pour les actes de terrorisme présumés.

Je note aussi que, contrairement à ce qui nous a été proposé par d’autres groupes politiques, l’extension du rôle de l’avocat ne va pas, dans l’esprit de nos collègues du RDSE, jusqu’à l’accès immédiat au dossier.

En outre, nos collègues prévoient expressément que l’avocat « ne peut faire état auprès de quiconque du ou des entretiens avec la personne placée en garde à vue pendant la durée de cette dernière ». Voilà un point important, de nature à préciser les règles de déontologie applicables aux avocats.

Nous en avons débattu en commission, mais je dois dire, à titre personnel, que ce texte suscite quelques réserves de ma part. Ainsi me paraît-il contestable de supprimer les dispositifs dérogatoires pour tous les actes relevant de la criminalité organisée. Selon moi, pour ce qui concerne, par exemple, la traite des êtres humains, le blanchiment à grande échelle ou le trafic de stupéfiants de très grande ampleur, soit autant d’actes visant à saper les fondements de notre société et à détruire notre organisation démocratique, le maintien de telles dérogations relève de l’évidence.

M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi n’avez-vous pas proposé d’amendements ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Malgré ces réserves, comme je l’indique dans mon rapport, cité par Jacques Mézard tout à l’heure, les dispositions de cette proposition de loi « n’en constituent pas moins une base cohérente d’évolution du régime de la garde à vue ».

M. Jean-Pierre Sueur. Vous allez donc soutenir la cohérence !

M. François Zocchetto, rapporteur. Je le répète, si la commission des lois dans son ensemble estime cette réforme nécessaire, elle considère que celle-ci doit être d’ampleur et acceptée par une grande majorité d’entre nous. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

M. Jean-Pierre Sueur. « Nécessaire » et « cohérente », dites-vous, monsieur le rapporteur ? Apportez donc votre soutien à ce texte !

M. Pierre Fauchon. Cela suffit, monsieur Sueur !

M. le président. Mes chers collègues, laissez M. le rapporteur s’exprimer, je vous prie !

M. François Zocchetto, rapporteur. En guise de conclusion, je soulèverai quatre interrogations.

Premièrement, l’intervention de l’avocat est-elle nécessaire dès le début de la garde à vue, c'est-à-dire dès le premier interrogatoire ? Personnellement, je suis assez favorable à une telle proposition,…

M. François Zocchetto, rapporteur. … même si elle mérite discussion. Tous nos voisins, à l’exception, me semble-t-il, de la Belgique, accordent la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue.

Deuxièmement, faut-il que l’avocat ait accès au dossier pénal ? C’est un point très compliqué et lourd de conséquences. (M. Jacques Mézard en convient.) Même au sein du groupe socialiste, certains sénateurs y sont opposés.

Troisièmement, quid des régimes dérogatoires ? À mon avis, ceux-ci doivent être étudiés un par un. Un certain consensus se dégage pour les infractions en matière de terrorisme. Pour les autres, nous devons encore discuter, car il ne s’agit pas pour nous de prendre des mesures sans être allés au fond du sujet.

Enfin, quatrièmement, les avocats, qui ont voulu cette réforme, ont-ils les moyens, du jour au lendemain, d’assumer les nouvelles responsabilités qu’elle met à leur charge ? La question est capitale, car, d’un point de vue technique, en termes d’organisation matérielle et d’encadrement des plus jeunes, la réforme aura des effets indéniables. Rappelons-le, la France compte plus de 50 000 avocats, mais nous ne pouvons ignorer le comportement de certains, fort heureusement peu nombreux, une extrême minorité, pour ne pas dire quelques-uns. Mon collègue Pierre Fauchon y reviendra sans doute.

Mes chers collègues, vous le voyez, le sujet n’est pas simple !

M. François Zocchetto, rapporteur. Si la commission des lois s’est donné comme objectif de parvenir à une réforme en ce domaine d’ici à quelques mois, c’est parce qu’aujourd'hui nous ne sommes pas encore prêts à statuer définitivement.

Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est proposé d’adopter une motion tendant au renvoi à la commission de la présente proposition de loi. Moins encore que dans d’autres cas similaires où le Sénat a voté une telle motion il ne s’agit de refermer le dossier. Nous entendons le garder au contraire grand ouvert et y ajouter de nombreuses pages ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous n’êtes pas crédible : vous vous donnez beaucoup de mal pour justifier votre position !

M. Pierre Fauchon. Monsieur Sueur, cessez de prendre la parole à tout bout de champ !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !

La parole est à Mme le ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la chose est suffisamment rare pour que je me plaise à le souligner, nous sommes d’accord sur le constat.

Tout d’abord, le recours à la garde à vue est trop systématique, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. En d’autres termes, il y a trop de gardes à vue.

Ensuite, et ce malgré les efforts qui ont pu être faits, les conditions de garde à vue sont trop souvent indignes, sans d’ailleurs que cela mette en cause les policiers ou les gendarmes. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Ne me dites pas, madame, que vous ne partagez pas ce constat !

M. Jean-Claude Gaudin. Mme le ministre d’État a fait beaucoup d’efforts dans ce domaine. Saluons-les !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Enfin, l’avocat n’a pas les moyens de jouer totalement son rôle au cours de la garde à vue.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà le constat. Je tiens donc à saluer la contribution de M. Mézard, qui tend à apporter un certain nombre de solutions aux problèmes identifiés.

M. Jean-Pierre Sueur. Bravo, monsieur Mézard !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je veux lui dire que j’entends bien tenir compte de ses travaux, de ceux, extrêmement intéressants eux aussi, de la commission des lois, dans le cadre de la concertation très ouverte que je mène sur la réforme de la procédure pénale. Je n’oublie pas les autres propositions faites sur le même sujet : elles ne prévoient pas forcément les mêmes dispositions, mais toutes résultent de réflexions dignes d’intérêt et dont il est indispensable de tirer ce qui peut être le plus positif.

M. Jean-Pierre Sueur. En somme, toutes ces propositions de loi sont bonnes, mais il ne faut surtout pas les voter !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Pour autant, monsieur Mézard, la méthode que vous avez retenue me paraît parcellaire.

Voilà maintenant trente ans qu’en matière de procédure pénale la succession des réformes parcellaires se fait au détriment de la cohérence et de la lisibilité des textes, qui deviennent incompatibles dans un certain nombre de cas.

C’est bien la raison pour laquelle j’ai choisi, pour la réforme de la procédure pénale, une réflexion et des propositions globales, couvrant un champ très vaste, depuis le moment où les faits sont commis, depuis le début de l’enquête, jusqu’aux voies d’exécution.

C’est ma conviction, toute réflexion sur la garde à vue, qui n’est que l’un des éléments de l’enquête, doit s’inscrire dans cette approche globale de la procédure pénale. La question particulière de la présence de l’avocat lors de la garde à vue doit bien être placée dans ce cadre et prendre en compte tous les paramètres de l’enquête judiciaire.

Je cherche à avoir une démarche globale et équilibrée, et la question de la garde à vue s’inscrit pleinement dans cette ambition.

La réforme que j’ai l’honneur de conduire à la demande du Président de la République représente une véritable refondation de la procédure pénale. Elle est essentielle pour nos institutions et pour la République. Ne l’oublions pas, l’unité de la nation repose sur le fait que les mêmes règles s’appliquent à tous les Français, lesquels reconnaîtront que la justice joue auprès de l’ensemble des justiciables un rôle semblable.

Parce que nous sommes donc au cœur de ce qui fait l’unité de notre nation, je pense qu’il faut privilégier une démarche de clarification. C’est la raison pour laquelle nous élaborons un projet d’ensemble, animés par la volonté de produire le texte le plus lisible.

Cette démarche, je la souhaite la plus consensuelle possible. Bien entendu, je connais les limites du consensus au sein des assemblées, mais je souhaite au moins que nous y travaillions. Nous verrons bien quels seront les votes à l’issue du débat. Commençons dans la perspective de rédiger le meilleur texte possible. Et puis, chacun assumera sa position sur l’échiquier national.

Consciente de l’importance du consensus, j’ai entamé une longue concertation, sans doute la plus longue qui ait jamais été ménagée sur un texte. Elle a duré deux mois et j’ai même accepté de la prolonger d’une semaine supplémentaire en cas de besoin. Je l’ai voulue aussi la plus large possible : elle implique les syndicats de magistrats, les représentants des avocats, des policiers, des gendarmes, et les parlementaires.

Commencé voilà maintenant plus de quinze jours, le processus va se poursuivre jusqu’au début du mois de mai. Après quoi, le groupe de travail diversifié que j’ai constitué s’emploiera à intégrer le plus possible de suggestions et de propositions pour parvenir à rédiger le meilleur texte.

Nous ne sommes pas pour autant certains de satisfaire tout le monde ! En effet, nous le savons d’ores et déjà, un certain nombre de positions sont incompatibles. Je le dis d’emblée, j’assumerai mes propres responsabilités. Autant je reconnais que le texte tel qu’il est peut faire l’objet d’amendements sur chacun de ses articles, autant je sais qu’il viendra un moment où j’aurai à présenter, au nom du Gouvernement, un projet de loi. J’en assumerai alors la totale responsabilité. C’est ainsi que je conçois la méthode de travail.

La réforme de la garde à vue sera l’un des volets importants de la réforme plus générale de notre procédure pénale. Je peux vous dire, monsieur Mézard, qu’elle sera conduite en totale cohérence et en totale harmonie avec les propos que j’ai tenus le 9 février. Sur ce point, je ne changerai pas parce qu’il s’agit de trouver un point d’équilibre entre les libertés et les nécessités de la sécurité dans le cadre d’enquêtes menées pour découvrir la vérité dans des affaires de délinquance dont un certain nombre de nos concitoyens subissent les conséquences.

Bien entendu, dans ce cadre, nous nous posons et il faudra poser la question de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue.

À ce propos, je tiens à préciser à l’intention de ceux, magistrats et autres, qui ont pris certaines positions en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il ne faut ni lui faire dire plus que ce qu’elle dit ni aller au-delà de ses règles.

La Cour européenne, nous le savons bien, statue selon un mode assez proche des principes du droit anglo-saxon, qui n’est pas le nôtre, et procède au cas par cas. La Cour européenne n’a jamais condamné la France pour sa pratique de la garde à vue. Lorsqu’elle dit qu’il faut que la personne mise en cause ait accès à un avocat, elle vise la totalité de la garde à vue et de la procédure d’enquête. Or la France a d’ores et déjà autorisé l’intervention d’un avocat pour une demi-heure au cours de la première heure. C’est dire que notre pays satisfait totalement les exigences de la Cour européenne.

Je tenais à le rappeler et pourrais, à l’appui de mes propos, vous relire l’intégralité de l’arrêt Adamkiewicz c. Pologne : les choses sont extrêmement claires en la matière.

La France aurait été condamnée s’il y avait eu le moindre problème dans ce domaine, mais, en prévoyant la possibilité de la présence de l’avocat dès la première demi-heure de la garde à vue, nous nous sommes, en effet, conformés aux exigences de la Cour européenne. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

M. le rapporteur l’a très bien dit : dans notre texte, nous avons prévu, au-delà de cette présence possible de l’avocat au cours de la première demi-heure, la possibilité d’un entretien avec son client à la douzième heure. Nous avons tenu compte d’un certain nombre de remarques assez justifiées qui nous ont été faites, comprenant notamment que, pendant la première demi-heure, le rôle de l’avocat s’apparente plus à celui d’une assistante sociale qu’à celui d’un réel conseil juridique. Au bout de la douzième heure, on est passé à autre chose.

C’est aussi parce que je souhaite que l’avocat puisse travailler de façon utile qu’il est prévu d’autoriser à son profit la communication des procès-verbaux des interrogatoires au fur et à mesure de leur établissement : c’est, en effet, sur cette base que le conseil va pouvoir commencer à fonder une défense.

Les avocats m’ont fait part de leur désarroi fréquent faute de savoir, jusqu’à présent, ce qu’avaient réellement dit ou tu leurs clients. À ce propos, j’ai le sentiment que nous sommes bien d’accord sur ce qui doit être visé. Pour autant, les réponses apportées à un certain nombre de questions devront s’inscrire dans une logique d’ensemble.

Je souhaite que cette logique d’ensemble soit dépourvue d’arrière-pensées et que toute suspicion pesant sur la procédure soit écartée. Il importe que les choses soient extrêmement claires.

Je commencerai par la question du rôle réel de la garde à vue : elle doit être limitée à ce pour quoi elle est faite, c’est-à-dire faire avancer l’enquête en entendant directement une personne pour obtenir des informations indispensables à la poursuite de ladite enquête.

Cela veut dire que le recours à la garde à vue doit être limité à des cas relativement graves, c’est-à-dire les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement. Et même si, dans la plupart des cas, ce principe est déjà appliqué, il est bon que cela soit dit et redit.

Il est important, en outre, de distinguer nettement la garde à vue des autres situations et d’éviter les confusions avec les cas de dégrisement. Il faudrait disposer de locaux séparés, ce qui n’est pas toujours le cas. Lorsque l’on mélange les deux situations, les conditions matérielles de la garde à vue sont absolument épouvantables !

Il faut également que la question des critères établissant la nécessité de certaines gardes à vue soit davantage précisée. Dans le texte que nous préparons, nous avons prévu que, pour des affaires qui ne présentent pas un caractère de gravité particulière – même si elles sont susceptibles d’être punies d’une peine d’emprisonnement – la personne concernée pourra, sous réserve de son accord, être entendue librement. Je précise bien que cette audition libre n’est possible, contrairement à ce qui a été dit, que si la personne en est d’accord. Si en revanche elle souhaite bénéficier des garanties attachées à la garde à vue, la personne pourra faire l’objet d’un placement en garde à vue.

Honnêtement, dans le cas d’une gamine qui a volé un tube de rouge à lèvres dans un Prisunic, je ne vois pas l’intérêt de la garde à vue ! Je préfère que l’on prenne son nom et son adresse et que le processus se déroule dans les conditions de la liberté, ce qui sera un peu moins traumatisant qu’une garde à vue !

C’est pourquoi, après avoir beaucoup hésité, nous avons finalement inscrit cette idée de l’audition libre pendant quatre heures. Elle me paraît correspondre à nombre d’affaires mineures que l’on peut régler d’une façon relativement simple, lorsque l’on ne craint ni que la personne disparaisse, ni qu’elle fasse disparaître des preuves, ni enfin qu’elle prévienne des complices. Là, nous approchons d’une plus juste proportionnalité de la garde à vue avec les nécessités de l’enquête.

Si cependant on réclame la présence de l’avocat, c’est souvent, soyons clairs, par crainte, exprimée par certains, que les policiers ou les gendarmes n’obtiennent un aveu en exerçant une pression sur la personne gardée à vue…

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité travailler non sur des généralités mais sur un projet de loi dont je signale qu’il est totalement publié et qu’il est consultable sur Internet. Et il y est écrit que l’aveu en garde à vue hors la présence de l’avocat ne peut être retenu comme seule cause d’une condamnation. Cela devrait dissiper tout problème en la matière !

Bien entendu, je sais aussi que les conditions de la garde à vue ne peuvent être détachées du sujet. Et vous avez eu raison de rappeler que certaines pratiques ont besoin d’être mieux encadrées. Parce que ce n’est pas du niveau législatif, les textes réglementaires rappelleront que les conditions de la garde à vue doivent préserver la nécessaire dignité des personnes. Je pense, par exemple, au retrait du soutien-gorge ou des lunettes. Ces mentions figureront explicitement dans les textes.

Vos propositions soulèvent un certain nombre de questions. Je devine vos soupçons, mais je me dois de dire que certains points devront être clarifiés, notamment quant à la demande de présence continue d’un avocat.

D’abord, qu’en sera-t-il en matière de terrorisme ou de crime organisé ? J’ai besoin de le savoir. Ce sera l’un des cas sur lesquels la plus grande clarté s’imposera.

En la matière, la jurisprudence européenne admet parfaitement qu’il y ait un régime spécial pour le terrorisme et le crime organisé. Je suis pour le régime spécial et ne souhaite pas que soit modifié le régime actuel prévalant pour le terrorisme et le crime organisé. Mais je souhaite changer tout le reste.

Ensuite, je vous demande de penser aux situations d’enlèvement et de séquestration. Si nous vous suivons sur le fait qu’il ne puisse pas être procédé à l’audition d’une personne gardée à vue hors la présence de l’avocat dès le départ, faudra-t-il attendre, alors qu’il peut y avoir urgence et que la vie d’une personne est en jeu ?

Et que se passe-t-il si l’avocat ne se présente pas au bout de vingt-quatre heures ? En effet, on nous signale, d’ores et déjà, un certain nombre de cas où les avocats sont demandés et ne se présentent pas. Il faut cesser de raisonner exclusivement en citadins. Imaginons la situation d’une gendarmerie dans le fin fond du Cantal ou du Queyras en plein hiver ! Et vous connaissez bien ces situations, madame Escoffier. (Mme Anne-Marie Escoffier le confirme.)

Dans le cas où la gendarmerie procède à une arrestation et que les routes sont bloquées, que se passe-t-il ? Et si l’avocat ne veut pas se déplacer ? La personne est retenue pendant vingt-quatre heures sans être interrogée, mais que se passe-t-il une fois ce délai écoulé ?

Si vous faites des propositions, vous devez aussi envisager de telles hypothèses. Que faire si l’avocat ne se présente jamais ? Faut-il bloquer l’enquête ?

Je me contente simplement ici de poser les questions, mais il faudra y réfléchir dans le cadre de la concertation.

Certes, il faut veiller à préserver les libertés, mais nous devons prendre garde à ne pas instaurer un système dont la rigidité aboutirait non seulement à empêcher toute réponse aux situations d’urgence mais aussi et surtout à bloquer l’enquête et, ce faisant, à entraver la lutte contre la délinquance.

Le régime juridique que vous proposez me semble par trop rigide et paraît inadapté à certaines procédures indispensables à la manifestation de la vérité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’insisterai pas davantage sur le sujet, car j’aurai l’occasion de répondre à vos questions ou d’enregistrer vos réactions. Mon objectif est simplement de parvenir avec vous, et avec l’ensemble des acteurs concernés, à une réforme qui soit la plus cohérente et la plus claire possible et qui protège au mieux les droits de la défense comme ceux des victimes.

Le travail de refondation – car il s’agit bien d’une refondation de la procédure pénale – ne saurait incomber à une seule administration, à un seul ministre ou au seul Gouvernement. Une telle tâche doit être celle du plus grand nombre. C’est dans cet esprit que je travaille depuis plusieurs mois avec des praticiens du droit, des universitaires, des parlementaires de toute tendance.

Ma méthode est non pas celle du report indéfini des réformes, mais celle de l’écoute et du dialogue. Le calendrier que j’ai annoncé est d’ailleurs maintenu : après que tout un chacun aura été écouté et que le texte présenté aura été amendé, le projet de loi sera déposé sur le bureau des assemblées, à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, pour une discussion qui interviendra au dernier trimestre de cette année.

Nous avons là les moyens d’effectuer un travail de qualité, utile et pragmatique, qui représentera une véritable avancée. C’est la méthode que je vous propose.

Je ne rejette pas d’un revers de main le contenu de votre proposition de loi, monsieur Mézard. Il me semble cependant que celui-ci doit être envisagé dans une perspective plus vaste pour que la démarche conserve une cohérence globale, et ce dans un esprit de participation avec, comme objectif, l’amélioration de la législation. Une telle méthode me semble également constituer un bon moyen et pour le Gouvernement et pour le législateur de fournir un travail de qualité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.