Sommaire

Présidence de M. Roland du Luart

Secrétaires :

Mme Sylvie Desmarescaux, M. Jean-Paul Virapoullé.

1. Procès-verbal

2. Rappel au règlement

MM.  Pierre Fauchon, le président.

3. Garde à vue. – Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Discussion générale : M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi ; François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois ; Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Jean Louis Masson, François-Noël Buffet, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Pierre Michel.

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

MM. Pierre Fauchon, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Jean-Pierre Sueur.

Mme la ministre d’État.

Clôture de la discussion générale.

Demande de renvoi à la commission

Motion no 1 de la commission. – MM. le rapporteur, Jacques Mézard, Mme la ministre d’État. – Adoption, par scrutin public.

Renvoi à la commission de la proposition de loi.

4. Rappel au règlement

MM. Jean Louis Masson, le président.

5. Interdiction du Bisphénol A. – Adoption d'une proposition de loi

Discussion générale : MM. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi ; Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.

MM. Jean Louis Masson, Guy Fischer, Mme Patricia Schillinger, MM. François Fortassin, Alain Milon, Jean Desessard.

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

M. Antoine Lefèvre.

Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l'article unique

Amendement no 1 rectifié de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.

Article unique

Amendement no 7 de la commission. – M. le rapporteur.

Amendements nos 3 à 6 de M.  Jean Desessard. – M. Jean Desessard.

M. le rapporteur, Mmes la ministre, Patricia Schillinger, M. Guy Fischer, Mme Catherine Procaccia, M. Jean Desessard. – Adoption de l'amendement no 7 rédigeant l'article unique, les autres amendements devenant sans objet.

Articles additionnels après l'article unique

Amendements nos 2 rectifié bis de M. Guy Fischer et 8 de la commission. – MM. Guy Fischer, le rapporteur, Mme la ministre, M. Jean-Louis Carrère, Mme Patricia Schillinger. – Retrait de l’amendement no 2 rectifié bis ; adoption de l'amendement no 8 insérant un article additionnel.

Vote sur l'ensemble

Mmes Françoise Laborde, Patricia Schillinger, M. Jean Desessard.

Adoption de la proposition de loi.

6. Dépôt d'une question orale avec débat

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

Mme Sylvie Desmarescaux,

M. Jean-Paul Virapoullé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Rappel au règlement

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. Je vous la donne, mon cher collègue. Tout ce que vous demandez vous est accordé. (Sourires.)

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, voilà une formule qui peut vous engager très au-delà de ce que vous souhaitez. Méfiez-vous ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Je vous connais depuis trop longtemps !

M. Pierre Fauchon. Avec moi, il faut s’attendre à tout… Pas à n’importe quoi, bien entendu ! (Rires.)

M. Nicolas About. Excellent !

M. Pierre Fauchon. Bien que nous soyons encore peu nombreux dans cet hémicycle, je crois utile de répéter le rappel au règlement auquel j’ai procédé hier soir, lorsque, aux alentours de minuit, nous avons enfin trouvé un moment pour aborder ces questions – sans doute assez banales et de faible portée – relatives au destin de l’Europe qui se joue cette semaine. En effet, au cours du débat européen qui se tiendra prochainement sera examiné – excusez du peu ! – le problème de la gouvernance économique de l’Europe.

Je me suis permis de signaler hier qu’il était déplorable qu’un sujet de cette importance soit discuté à une heure aussi tardive. J’ai en particulier fait observer qu’il ne fallait pas que les questions qui ne sont pas décisionnelles fassent l’objet d’un débat en séance de nuit. En effet, lorsqu’il s’agit d’un texte qu’il faut adopter ou rejeter, un certain nombre de parlementaires se trouvent en séance, ne serait-ce que pour le vote des amendements ou le vote sur l’ensemble. En revanche, dès lors qu’il n’y a pas de décision à prendre et qu’il s’agit d’une simple délibération, on comprend que, passé minuit, ne se trouvent plus en séance que ceux qui sont absolument obligés d’être là.

Et encore ! Nous avons assisté hier à un spectacle qui rappelait d’une manière touchante la Symphonie des adieux de Haydn, où chacun des musiciens, lorsqu’il a terminé sa partition, souffle sa bougie et s’en va, au prétexte qu’il n’a plus aucune raison de rester. (Sourires.)

Certes, c’est très joli quand il s’agit de la musique de Haydn, mais nettement moins réjouissant quand il s’agit de l’image que peut donner le Sénat. Et si j’avais un tempérament à dramatiser les choses, je ne pourrais pas ne pas m’interroger sur l’état d’une nation dans laquelle, quelques jours à peine après des élections importantes auxquelles la moitié des citoyens n’a pas participé, le Parlement trouve le moyen de traiter, la nuit, à une heure tardive, d’une question aussi capitale que celle du destin de l’Europe.

Mais comme je n’ai pas le goût de la dramatisation, ...

M. Pierre Fauchon. ... je veux bien admettre qu’il s’agisse d’une circonstance fortuite.

J’exprime toutefois le souhait que la prochaine conférence des présidents veille à ce que l’examen des questions de cette nature ne soit pas fixé à des heures aussi inappropriées. (MM. Nicolas About, Laurent Béteille et François-Noël Buffet applaudissent.)

M. le président. Monsieur Fauchon, je vous donne acte de ce rappel au règlement.

Je suis certain que, ce soir, lorsque se tiendra la conférence des présidents, M. About sera le meilleur avocat pour présenter le vœu que vous avez formulé…

M. Nicolas About. Avec votre aide, monsieur le président !

M. le président. … et je le soutiendrai.

Néanmoins, je rappelle que Hubert Haenel, alors qu’il était encore président de la commission des affaires européennes, avait demandé une séance publique ainsi qu’une réunion de commission sur ce sujet. Entretemps, je le rappelle, il a été nommé président du Conseil constitutionnel (Exclamations amusées) – membre du Conseil constitutionnel, veux-je dire, je suis allé un peu vite en besogne ! (Sourire.) –, ce qui a perturbé l’organisation des débats.

M. Pierre Fauchon. C’est bien pour cela que j’ai parlé de circonstance fortuite !

3

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue
Discussion générale (suite)

Garde à vue

Renvoi à la commission d'une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion d’une proposition de loi tendant à assurer l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues du groupe du RDSE (proposition n° 208, rapport n° 327).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue
Demande de renvoi à la commission (début)

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Madame le garde des sceaux, je vous remercie d’être parmi nous pour traiter du sujet de la garde à vue qui nous réunit de nouveau aujourd'hui. Ce ne sera d’ailleurs pas la dernière fois, je pense. En la matière, la persévérance du groupe du RDSE n’est pas diabolique ; c’est l’erreur dans laquelle le système pénal est maintenu qui l’est. Le problème de la garde à vue aujourd'hui n’est pas un objet de polémique ; c’est un sujet de révolte.

La situation actuelle constitue, comme l’a dit Robert Badinter, « un véritable scandale », décrié de tous bords, une lèpre défigurant le visage de notre justice pénale, de notre justice tout court, dont il ne faut pas seulement arrêter la progression – j’ai eu le sentiment en vous écoutant récemment que vous vous y étiez engagée, madame le garde des sceaux – mais qu’il convient de guérir. Cela ne pourra se faire à l’aide de placebos ou d’incantations vertueuses, mais exigera un changement radical, au sens premier du terme.

Madame le ministre d'État, lors du débat du 9 février dernier, vous avez bien voulu me remercier d’avoir adopté « un ton exempt de polémique ». Toutefois, vous en avez profité pour envoyer une salve contre Mmes Guigou et Lebranchu, qui n’en méritaient peut-être point tant.

La garde à vue, c’est une dérive sécuritaire aux antipodes de la sécurité et du maintien de l’ordre, une machine à produire du chiffre devenue incontrôlée, une machine qui n’impressionne plus les vrais délinquants mais qui terrorise le citoyen lambda, une machine qui fait qu’aujourd’hui nombre de nos citoyens ont perdu confiance en leur police – il n’est qu’à lire les récentes enquêtes d’opinion pour constater la dégradation de l’image de notre police et de notre gendarmerie auprès de la population, ce qui est tout à fait regrettable –, une procédure qui amène conflits entre policiers, d’une part, magistrats et avocats, d’autre part, pas toujours unis pourtant, et rupture entre citoyens et forces de l’ordre.

Tous les ingrédients sont réunis pour, non pas promouvoir plus de sécurité et de lien social, mais bien au contraire mettre en évidence le délitement de l’État dans sa puissance régalienne. On n’assure pas l’ordre républicain en humiliant 800 000 Français chaque année, alors que plusieurs centaines de milliers d’entre eux ne feront l’objet d’aucune poursuite, et ce pendant que des zones de non-droit se développent dans tout le pays au fil des ans.

Il ne convient point de faire – et le groupe du RDSE ne l’a jamais fait – le procès de la police et de la gendarmerie, lesquelles appliquent une politique dans des conditions souvent très difficiles et qui, si elles l’appliquent mal dans certains cas, doivent recevoir les consignes adéquates.

Nous savons combien le travail des forces de l’ordre est difficile et souvent ingrat. Nous pouvons comprendre qu’elles soient excédées par la répétition de comportements impunis. Cela ne justifie cependant point la situation actuelle.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là, en une dizaine d’années à peine ? Peuvent être invoqués sans doute une responsabilité diversifiée, collective, des interprétations jurisprudentielles contraignantes, une médiatisation exacerbée des faits divers, mais surtout, à notre sens, l’excès de discours, de lois et de règlements sécuritaires, la culture du chiffre, de la statistique, avec le rejet malheureux et dommageable de la police de proximité. Il suffit d’ailleurs de lire le récent communiqué de presse de notre collègue Charles Pasqua, ancien ministre de l’intérieur, dans lequel il rappelle la nécessité du travail sur le terrain et le caractère intolérable de l’actuelle garde à vue.

J’ai pu noter, à l’occasion du débat auquel j’ai participé dans « le 18 h » de Public Sénat avec M. Danio, délégué national du syndicat SGP Unité Police, une assez grande convergence de vues entre nous. Je le répète, il s’agit de faire non pas le procès de la police mais celui de la dérive d’une procédure qui mobilise le temps des policiers, qui est inefficace en matière de prévention de la délinquance, et indigne d’un pays démocratique tel que le nôtre.

Tenter de faire accroire que l’augmentation exponentielle des gardes à vue participe d’une diminution de la délinquance est une faribole. Comment la délinquance pourrait-elle baisser si les gardes à vue sont multipliées par deux ou par trois ?

Comment sommes-nous parvenus à ce constat d’échec et, dans certains cas, au dévoiement de nos principes de droit les plus élémentaires ? Était-il raisonnable, comme l’a souligné le rapport d’activité du contrôleur général des lieux de privation de liberté, de retenir le nombre de placements en garde à vue comme l’un des indicateurs de performance de la police ? Je remercie François Zocchetto d’avoir rappelé ce point important dans le rapport qu’il a rédigé, au nom de la commission des lois, sur le texte que je vous présente aujourd'hui. Certes, le ministère de l’intérieur, reconnaissant ce fait, a promis que, pour 2010, le nombre de gardes à vue ne figurerait même plus comme simple information de l’activité des services. Il a tout de même fallu attendre ce débordement, cette exaspération pour en arriver là !

Oui, l’exécutif reconnaît objectivement les errements existants. Ainsi, le Premier ministre s’est déclaré choqué par le nombre des gardes à vue. Vous-même, madame le ministre d'État, avez réaffirmé le 9 février dernier le caractère exceptionnel de la garde à vue et la nécessité d’« accroître les droits de la personne gardée à vue et la latitude d’intervention de l’avocat ». Il s’agit là de bons objectifs dont nous craignons que le projet de loi que vous nous soumettrez prochainement ne soit aux antipodes.

Nous avions tellement raison que, sept jours après le débat qui s’est tenu au Sénat le 9 février dernier, M. Jacques Fournier, directeur central de la sécurité publique, ouvrait le parapluie et adressait aux directeurs départementaux et aux fonctionnaires de police une note de service qui constitue le plus net aveu et dont l’objet se suffit à lui-même. Je détiens une copie de cet excellent document dont je conseille la lecture extrêmement intéressante à tous mes collègues. Elle commence ainsi : « L’actualité récente m’amène à vous rappeler les principes fondamentaux régissant la mise en œuvre des mesures de garde à vue qui doivent impérativement garantir la dignité des personnes qui en font l’objet. Elle ne saurait être systématique sans être considérée comme attentatoire à la dignité de la personne gardée à vue si en plus elle s’accompagne d’un déshabillage systématique. »

Les trois pages suivantes sont de la même veine.

Mes chers collègues, l’urgence est manifeste.

Tout d’abord, les conditions de rétention – il s’agit, rappelons-le, de mesures de privation de liberté – sont déplorables. La responsabilité n’en est pas imputable à l’exécutif actuel. C’est une situation qui résulte de l’accumulation, depuis de nombreuses années, de pratiques souvent dégradantes, y compris pour nombre de policiers : la promiscuité, les fouilles, le déshabillage, le retrait des lunettes, des soutiens-gorge, le tutoiement systématique sont intolérables.

L’illustration en a été donnée récemment par certains reportages télévisés, sans doute destinés à valoriser l’action de la police, qui en donnaient au contraire une très mauvaise image en montrant des comportements empreints d’une certaine brutalité, il faut bien le dire.

Ensuite, les gardes à vue sont utilisées pour tout et n’importe quoi. Il y a incohérence entre mise en garde à vue, poursuite et sanction pénale. Curieusement, sont introuvables les statistiques relatives aux suites des gardes à vue, de même que le nombre de gardes à vue pour « alcoolémie » parmi celles résultant des « infractions routières » ; la cellule de dégrisement a parfois bon dos !

Par ailleurs, je le souligne, madame le ministre d’État, le contrôle du parquet est devenu symbolique, pour ne pas dire inexistant, dans la majorité des cas. L’information du parquet par fax la nuit est une réalité, et ce dernier, avec la meilleure volonté du monde, est dans la stricte incapacité de contrôler 800 000 gardes à vue par an.

En outre, l’article 63 du code de procédure pénale a fait l’objet d’une pratique viciée, polluant toute la chaîne judiciaire.

De ce fait, les règles procédurales sont souvent transgressées, s’agissant tant de l’information de la nature de l’infraction, des droits de la personne, que de l’entretien avec l’avocat, celui-ci n’étant, dans la pratique, prévenu par l’officier de police judiciaire que plusieurs heures après le début de la garde à vue. Affirmer le contraire ne correspond pas à la réalité du terrain.

Nous sommes à la croisée des chemins. Quel discours doit-on croire ? Où est l’habeas corpus à la française promis par le Président de la République ?

Le chemin que nous vous proposons, ce n’est pas celui de la rupture, ce n’est pas celui des débats malsains sur l’identité nationale, c’est celui de la réconciliation dans l’État de droit, là où la règle n’est pas dictée par la prochaine échéance électorale, mais a pour objet l’organisation de la vie en société en fonction de l’évolution de cette dernière, dans le respect constant des principes de la République, là où l’ordre est au service des libertés.

Lors de la discussion dans notre assemblée de la question orale sur le renforcement des droits des personnes placées en garde à vue, le 9 février dernier, j’avais déjà relevé, me fondant sur l’excellent rapport du service des études comparées du Sénat, daté de décembre 2009, les deux axes essentiels de nature à nous ramener dans le droit chemin des principes.

Premièrement, la plupart de nos voisins européens subordonnent le placement en garde à vue à l’existence d’une infraction d’une gravité certaine, alors qu’en France, aujourd’hui, dans des dizaines de milliers de cas, on « place en garde à vue » sans infraction caractérisée, avec comme seule conséquence l’humiliation et l’introduction de la personne gardée à vue dans les fichiers informatiques, ce qui dénie tout droit véritable à l’oubli.

Deuxièmement, chez tous nos voisins, à l’exception de la Belgique, les personnes en garde à vue peuvent bénéficier de l’assistance d’un avocat dès qu’elles sont privées de liberté.

Les errements de cette politique mènent aujourd’hui à une insécurité juridique incompatible avec le fonctionnement d’une grande démocratie.

La France est en contradiction frontale avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, devenue univoque avec les arrêts Dayanan, Kolesnik et Savas du dernier trimestre 2009. S’est ajouté l’arrêt du 2 mars 2010 Adamkiewicz c. Pologne, dont le paragraphe 84 affirme clairement : « L’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale, aux fins de l’article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire [...], l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil [...] ».

On ne peut être plus clair. Et soutenir que les arrêts de la Cour européenne relatifs à la Turquie et à la Pologne ne nous sont pas opposables relève de l’argutie.

Ces derniers mois, nombre de tribunaux français – pas tous : nous sommes dans la contradiction ! – ont annulé des procédures en se fondant sur la jurisprudence européenne. Et, au début de ce mois de mars, la vingt-troisième chambre du tribunal correctionnel de Paris utilisant la question préjudicielle de constitutionnalité, et ce dans plusieurs dossiers sous des présidences différentes, a saisi la Cour de cassation qui décidera de la saisine du Conseil constitutionnel. C’est la confusion.

Cette situation ne saurait perdurer, dans l’intérêt de la justice, de l’ordre et de la République.

Si l’on y ajoute le projet de suppression du juge d’instruction, qui pourrait intervenir dès demain, la paralysie, temporaire – espérons-le ! –, de l’institution judiciaire s’annonce.

Madame le ministre d’État, vous ne pouvez plus attendre. Il n’est point besoin de rapports multiples d’éminentes personnalités, qui ont peu fréquenté les commissariats ou les dépôts, pour prendre des décisions salutaires.

En harmonie avec les avocats du barreau de Paris et, en particulier, le bâtonnier Charnière-Bournazel à la fin de son mandat, ainsi qu’avec l’association « Je ne parlerai qu’en présence de mon Avocat », nous portons aujourd'hui une proposition de loi rendant notre code de procédure pénale compatible avec la norme européenne, mais aussi, à l’évidence, avec les principes fondamentaux de notre République.

Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, revenons-en aux « fondamentaux ; la garde à vue est une mesure privative de liberté, qui est contraire à la présomption d’innocence et ne se justifie que dans les trois cas suivants : risque de disparition de preuves ; risque de pression sur les témoins ; risque que le suspect ne se dérobe à la justice.

Si ces conditions sont respectées, le nombre de 800 000 gardes à vue s’effondrera immédiatement.

De toute manière, il faudra aller vers les solutions préconisées par notre proposition de loi sous peine de multiplication des recours et d’insécurité juridique chronique.

Que proposons-nous ? Il s’agit simplement de l’adéquation de l’article 63-4 du code de procédure pénale avec les principes que je viens de rappeler.

« Toute personne placée en garde à vue fait immédiatement l’objet d’une audition, assistée d’un avocat si elle en fait la demande. Son audition est alors différée jusqu’à l’arrivée de l’avocat. »

« À l’issue de cette audition, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête hors la présence de son avocat. »

Les dispositions sont les mêmes en cas de prolongation.

Le dispositif est simple et il fonctionne dans de nombreux pays démocratiques.

Il faut balayer les objections caricaturales, comme celle qui consiste à dire que l’avocat est une entrave à la bonne marche de l’enquête. Combien d’incidents découlent de l’entretien actuel, qui est de courtoisie, entre l’avocat et le gardé à vue ? On en dénombre quelques dizaines tout au plus ! En revanche, combien de bavures sécuritaires ?

Quel serait le coût pour l’État du dispositif proposé ? Le retour à la norme réduira considérablement le nombre de gardes à vue. Mes chers collègues, compte tenu de la rémunération de l’avocat pour les gardes à vue, de grâce, épargnez-nous les discours de l’appât du gain ! Utilisons les rentes des compagnies d’assurance sur la protection juridique pour rétablir les droits de la défense. Écoutons également les conclusions de notre excellent président Roland du Luart, qui a beaucoup travaillé sur la question de l’aide juridictionnelle.

Je remercie M. le rapporteur, François Zocchetto, non pas des trois dernières lignes de conclusion de son rapport proposant le renvoi en commission de la présente proposition de loi (Sourires), mais pour les dix-huit pages et demie précédentes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. On ne peut pas tout avoir !

M. Jacques Mézard. Je le remercie de ses développements sur les modalités d’application critiquables et les bases juridiques contestées, sur les risques de dévoiement de la procédure, sur les conditions de rétention souvent déplorables. Je lui sais gré également de relever in fine que nos propositions constituent une base cohérente d’évolution du régime de la garde à vue, inscrite dans une démarche constructive.

Madame le ministre d’État, votre avant-projet de loi ne nous rassure pas, compte tenu de ce que nous avons pu lire ici ou là, notamment dans la presse.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Le texte est en ligne intégralement, monsieur le sénateur !

M. Jacques Mézard. Le nouvel article 327-2 limitant la garde à vue aux infractions punies d’une peine d’emprisonnement constitue, à nos yeux, un leurre, puisque l’immense majorité des infractions est dès lors concernée.

La création de l’audition libre pendant quatre heures avec une liberté de choix éminemment contestable entraînera de fait une privation de liberté pendant quatre heures sans aucune garantie et, souvent, le placement en garde à vue après ces quatre heures.

Quant au nouvel article 327-17, il n’améliorera le statut actuel que sur un point : la communication des procès-verbaux d’audition qui ont déjà été réalisés, ce qui constituera la preuve que le suspect aura déjà été entendu avant l’entretien, même de courtoisie, avec l’avocat.

En outre, quid du silence du texte sur le droit au silence et sur l’aggravation des conditions de la garde à vue pour les infractions les plus graves ?

Il me tarde de lire les réactions des parlementaires de la majorité sur cet avant-projet de loi.

Madame le ministre d’État, si l’objet de votre projet de réforme du code de procédure pénale est de répondre aux conditions posées par le ministre de l’intérieur, le droit n’en sortira pas grandi.

Il ne s’agit pas de victoire des magistrats et des avocats sur les policiers ; il ne s’agit pas de nuire à l’efficacité de l’enquête ni d’aboutir à protéger plus les délinquants que les victimes.

Il s’agit tout simplement d’utiliser les mesures de privation de liberté pour des infractions les justifiant, dans le respect des droits de la personne ; il s’agit de ramener la confiance entre les citoyens et les forces de l’ordre, d’exiger que l’État de droit fasse de l’ordre et de la liberté un couple indissociable ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUnion centriste, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, l’examen du texte qui nous est proposé par Jacques Mézard et certains de ses collègues du groupe du RDSE nous permet de prolonger le débat qui a été lancé au Sénat le 9 février dernier.

Je précise, à l’intention de tous nos collègues intéressés, que nous aurons encore l’occasion d’évoquer ce sujet important. C’est une bonne chose, mais on peut s’interroger sur l’organisation de nos travaux. En effet, le dépôt répété de propositions de loi, toutes intéressantes, mais portant sur le même sujet, nous conduira à multiplier des travaux quasi identiques en commission et en séance.

M. Yvon Collin. Nous serons rodés !

M. François Zocchetto, rapporteur. En dix ans, le nombre de gardes à vue a doublé. Les conditions dans lesquelles elles ont lieu restent trop souvent déplorables, comme l’a souligné le premier rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en 2009.

Enfin, les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme nous montrent que nous sommes dans un climat d’insécurité juridique préoccupant.

Il s’agit pour nous, législateurs, si nous prenons des dispositions tendant à modifier le droit actuel, de concilier les exigences de sécurité et le respect des droits de la personne.

J’ai cru comprendre que le débat du 9 février dernier avait montré que le sujet dépassait les clivages partisans, ce qui me paraît une bonne chose.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. François Zocchetto, rapporteur. En effet, une réforme est indispensable. Mais elle se doit d’être ambitieuse.

M. Jean-Pierre Sueur. M. Mézard est ambitieux !

M. François Zocchetto, rapporteur. C’est pourquoi il me semble qu’elle a vocation à s’inscrire dans une réforme d’ensemble de la procédure pénale.

Pourquoi réformer la garde à vue ? Pendant trente-cinq ans, le régime de la garde à vue a été marqué par une grande stabilité.

En revanche, depuis 1993, plus d’une dizaine de lois d’une portée variable ont modifié le régime de la garde à vue en tendant à en faire, au début, un dispositif protecteur de droits.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. François Zocchetto, rapporteur. Mais la machine s’est emballée et nous avons assisté à un dévoiement de la procédure.

Comme l’a dit tout à l'heure Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi, on peut estimer à 800 000 le nombre de gardes à vue opérées en 2009 en France, dont 150 000 pour des infractions routières.

Je ne reviendrai pas longuement sur l’utilisation du nombre de gardes à vue comme indicateur statistique. Il serait heureux que le ministère de l’intérieur abandonne cette pratique qui a conduit à une certaine perversion de la mesure, mais, notamment pour les personnes ayant fait l’objet d’une garde à vue, et chacun ici en connaît, le mal est fait.

Je ne reviendrai pas plus longuement sur les conditions de détention, qui, nous en sommes tous convaincus – du moins je l’espère ! –, sont souvent déplorables. La responsabilité n’en incombe d’ailleurs pas toujours, loin s’en faut, aux personnels de police et de gendarmerie. Il n’est qu’à constater tout simplement l’état des locaux pour comprendre que toute personne se retrouvant en garde à vue voit, d’un seul coup, son quotidien basculer.

En matière de garde à vue, la Cour européenne des droits de l’homme accentue sa jurisprudence.

Ainsi, aux termes de l’arrêt Salduz c. Turquie, du 27 novembre 2008, la personne gardée à vue doit bénéficier de l’assistance d’un avocat « dès le premier interrogatoire […] par la police ».

Puis, dans l’arrêt Dayanan c. Turquie, du 13 octobre 2009, la Cour exige que l’action des avocats s’exerce librement, pour permettre à l’intéressé d’obtenir « la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. »

D’autres arrêts rendus plus récemment sont venus compléter cette jurisprudence, M. Mézard l’a évoqué à l’instant.

Autre point important pour appréhender le problème de la garde à vue dans son exhaustivité, la Cour de Strasbourg entend désormais limiter strictement les exceptions au principe de la présence de l’avocat. Aucune dérogation n’est ainsi possible, « sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

La législation française est visée, pour ce qui concerne non seulement, bien sûr, les infractions en matière de terrorisme, mais aussi la criminalité organisée.

Je tiens néanmoins à le rappeler, pour rassurer celles et ceux qui pourraient nourrir quelques inquiétudes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne s’applique qu’aux États parties aux affaires jugées, la Turquie et la Pologne en l’occurrence. Il n’est toutefois pas certain que nous souhaitions être longtemps comparés à ces deux pays sous cet angle-là…

Il reste que la jurisprudence de la CEDH est difficile à interpréter, tant et si bien qu’un certain nombre de tribunaux français, semaine après semaine, n’hésitent pas à annuler, non pas forcément l’intégralité des gardes à vue, mais des actes accomplis au cours de celles-ci. Des premiers présidents de cours d’appel m’ont ainsi personnellement indiqué qu’ils seraient particulièrement sensibles aux thèses exposées par ceux qui se référeraient à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme…

Dans ce contexte, mes chers collègues, je suis, comme vous tous sans doute, extrêmement préoccupé par l’insécurité juridique dans laquelle nous risquons de nous trouver.

On a vu récemment des tribunaux correctionnels annuler des actes de garde à vue et, en conséquence de cette annulation, ordonner la remise en liberté de personnes pourtant loin d’être « innocentes », au sens commun du terme, dans la mesure où elles avaient été reconnues coupables à l’occasion de précédentes affaires. Nul doute que ces personnes ne tarderont pas à être de nouveau jugées !

Mes chers collègues, quelles sont les solutions envisageables ?

Il importe de nous pencher sur l’avant-projet de loi présenté par le Gouvernement, dont le texte, comme l’a rappelé Mme le garde des sceaux, a été mis en ligne il y a trois semaines environ. Il s’inspire en partie des suggestions du comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger.

Par ce biais, le Gouvernement entend tout d’abord limiter la garde à vue aux strictes nécessités de l’enquête. Cela peut paraître évident, mais encore faut-il le rappeler, ne serait-ce que pour « guider » la jurisprudence de la Cour de cassation.

Ensuite, le texte du Gouvernement prévoit un second entretien à la douzième heure de garde à vue. Celle-ci, aujourd'hui, dure en principe vingt-quatre heures, mais peut-être prolongée sur autorisation écrite du procureur. Proposition supplémentaire, en cas de prolongation au-delà de vingt-quatre heures, le mis en cause pourrait être assisté, lors des auditions, d’un avocat, qui aurait alors eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés.

Enfin, aux termes de l’avant-projet de loi, pour les infractions passibles de moins de cinq ans d’emprisonnement, les personnes pourraient être entendues dans le cadre d’une audition libre, au commissariat ou à la gendarmerie, sans contrainte et pour un maximum de quatre heures.

Ces propositions me paraissent intéressantes et méritent d’être discutées, tout comme celles qui sont contenues dans la présente proposition de loi.

M. François Zocchetto, rapporteur. Cette dernière repose, si j’ai bien compris, sur un principe simple : une personne gardée à vue ne saurait, en théorie, être entendue sans être assistée de son avocat.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez très bien compris ! Ne soyez pas si « contourné », monsieur le rapporteur ! (M. le président de la commission des lois s’offusque.)

M. François Zocchetto, rapporteur. Par conséquent, si la personne gardée à vue demande à être assistée d’un avocat, il faudrait retarder la première audition jusqu’à l’arrivée du conseil. À l’issue de cette audition, bien évidemment, la personne ne pourrait être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête hors la présence de l’avocat, sauf si elle renonçait expressément à ce droit.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est le bon sens !

M. François Zocchetto, rapporteur. M. Mézard et certains de ses collègues du RDSE souhaitent également supprimer le régime dérogatoire pour la grande criminalité, tout en le maintenant pour les actes de terrorisme présumés.

Je note aussi que, contrairement à ce qui nous a été proposé par d’autres groupes politiques, l’extension du rôle de l’avocat ne va pas, dans l’esprit de nos collègues du RDSE, jusqu’à l’accès immédiat au dossier.

En outre, nos collègues prévoient expressément que l’avocat « ne peut faire état auprès de quiconque du ou des entretiens avec la personne placée en garde à vue pendant la durée de cette dernière ». Voilà un point important, de nature à préciser les règles de déontologie applicables aux avocats.

Nous en avons débattu en commission, mais je dois dire, à titre personnel, que ce texte suscite quelques réserves de ma part. Ainsi me paraît-il contestable de supprimer les dispositifs dérogatoires pour tous les actes relevant de la criminalité organisée. Selon moi, pour ce qui concerne, par exemple, la traite des êtres humains, le blanchiment à grande échelle ou le trafic de stupéfiants de très grande ampleur, soit autant d’actes visant à saper les fondements de notre société et à détruire notre organisation démocratique, le maintien de telles dérogations relève de l’évidence.

M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi n’avez-vous pas proposé d’amendements ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Malgré ces réserves, comme je l’indique dans mon rapport, cité par Jacques Mézard tout à l’heure, les dispositions de cette proposition de loi « n’en constituent pas moins une base cohérente d’évolution du régime de la garde à vue ».

M. Jean-Pierre Sueur. Vous allez donc soutenir la cohérence !

M. François Zocchetto, rapporteur. Je le répète, si la commission des lois dans son ensemble estime cette réforme nécessaire, elle considère que celle-ci doit être d’ampleur et acceptée par une grande majorité d’entre nous. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

M. Jean-Pierre Sueur. « Nécessaire » et « cohérente », dites-vous, monsieur le rapporteur ? Apportez donc votre soutien à ce texte !

M. Pierre Fauchon. Cela suffit, monsieur Sueur !

M. le président. Mes chers collègues, laissez M. le rapporteur s’exprimer, je vous prie !

M. François Zocchetto, rapporteur. En guise de conclusion, je soulèverai quatre interrogations.

Premièrement, l’intervention de l’avocat est-elle nécessaire dès le début de la garde à vue, c'est-à-dire dès le premier interrogatoire ? Personnellement, je suis assez favorable à une telle proposition,…

M. François Zocchetto, rapporteur. … même si elle mérite discussion. Tous nos voisins, à l’exception, me semble-t-il, de la Belgique, accordent la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue.

Deuxièmement, faut-il que l’avocat ait accès au dossier pénal ? C’est un point très compliqué et lourd de conséquences. (M. Jacques Mézard en convient.) Même au sein du groupe socialiste, certains sénateurs y sont opposés.

Troisièmement, quid des régimes dérogatoires ? À mon avis, ceux-ci doivent être étudiés un par un. Un certain consensus se dégage pour les infractions en matière de terrorisme. Pour les autres, nous devons encore discuter, car il ne s’agit pas pour nous de prendre des mesures sans être allés au fond du sujet.

Enfin, quatrièmement, les avocats, qui ont voulu cette réforme, ont-ils les moyens, du jour au lendemain, d’assumer les nouvelles responsabilités qu’elle met à leur charge ? La question est capitale, car, d’un point de vue technique, en termes d’organisation matérielle et d’encadrement des plus jeunes, la réforme aura des effets indéniables. Rappelons-le, la France compte plus de 50 000 avocats, mais nous ne pouvons ignorer le comportement de certains, fort heureusement peu nombreux, une extrême minorité, pour ne pas dire quelques-uns. Mon collègue Pierre Fauchon y reviendra sans doute.

Mes chers collègues, vous le voyez, le sujet n’est pas simple !

M. François Zocchetto, rapporteur. Si la commission des lois s’est donné comme objectif de parvenir à une réforme en ce domaine d’ici à quelques mois, c’est parce qu’aujourd'hui nous ne sommes pas encore prêts à statuer définitivement.

Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est proposé d’adopter une motion tendant au renvoi à la commission de la présente proposition de loi. Moins encore que dans d’autres cas similaires où le Sénat a voté une telle motion il ne s’agit de refermer le dossier. Nous entendons le garder au contraire grand ouvert et y ajouter de nombreuses pages ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous n’êtes pas crédible : vous vous donnez beaucoup de mal pour justifier votre position !

M. Pierre Fauchon. Monsieur Sueur, cessez de prendre la parole à tout bout de champ !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !

La parole est à Mme le ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la chose est suffisamment rare pour que je me plaise à le souligner, nous sommes d’accord sur le constat.

Tout d’abord, le recours à la garde à vue est trop systématique, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. En d’autres termes, il y a trop de gardes à vue.

Ensuite, et ce malgré les efforts qui ont pu être faits, les conditions de garde à vue sont trop souvent indignes, sans d’ailleurs que cela mette en cause les policiers ou les gendarmes. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Ne me dites pas, madame, que vous ne partagez pas ce constat !

M. Jean-Claude Gaudin. Mme le ministre d’État a fait beaucoup d’efforts dans ce domaine. Saluons-les !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Enfin, l’avocat n’a pas les moyens de jouer totalement son rôle au cours de la garde à vue.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà le constat. Je tiens donc à saluer la contribution de M. Mézard, qui tend à apporter un certain nombre de solutions aux problèmes identifiés.

M. Jean-Pierre Sueur. Bravo, monsieur Mézard !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je veux lui dire que j’entends bien tenir compte de ses travaux, de ceux, extrêmement intéressants eux aussi, de la commission des lois, dans le cadre de la concertation très ouverte que je mène sur la réforme de la procédure pénale. Je n’oublie pas les autres propositions faites sur le même sujet : elles ne prévoient pas forcément les mêmes dispositions, mais toutes résultent de réflexions dignes d’intérêt et dont il est indispensable de tirer ce qui peut être le plus positif.

M. Jean-Pierre Sueur. En somme, toutes ces propositions de loi sont bonnes, mais il ne faut surtout pas les voter !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Pour autant, monsieur Mézard, la méthode que vous avez retenue me paraît parcellaire.

Voilà maintenant trente ans qu’en matière de procédure pénale la succession des réformes parcellaires se fait au détriment de la cohérence et de la lisibilité des textes, qui deviennent incompatibles dans un certain nombre de cas.

C’est bien la raison pour laquelle j’ai choisi, pour la réforme de la procédure pénale, une réflexion et des propositions globales, couvrant un champ très vaste, depuis le moment où les faits sont commis, depuis le début de l’enquête, jusqu’aux voies d’exécution.

C’est ma conviction, toute réflexion sur la garde à vue, qui n’est que l’un des éléments de l’enquête, doit s’inscrire dans cette approche globale de la procédure pénale. La question particulière de la présence de l’avocat lors de la garde à vue doit bien être placée dans ce cadre et prendre en compte tous les paramètres de l’enquête judiciaire.

Je cherche à avoir une démarche globale et équilibrée, et la question de la garde à vue s’inscrit pleinement dans cette ambition.

La réforme que j’ai l’honneur de conduire à la demande du Président de la République représente une véritable refondation de la procédure pénale. Elle est essentielle pour nos institutions et pour la République. Ne l’oublions pas, l’unité de la nation repose sur le fait que les mêmes règles s’appliquent à tous les Français, lesquels reconnaîtront que la justice joue auprès de l’ensemble des justiciables un rôle semblable.

Parce que nous sommes donc au cœur de ce qui fait l’unité de notre nation, je pense qu’il faut privilégier une démarche de clarification. C’est la raison pour laquelle nous élaborons un projet d’ensemble, animés par la volonté de produire le texte le plus lisible.

Cette démarche, je la souhaite la plus consensuelle possible. Bien entendu, je connais les limites du consensus au sein des assemblées, mais je souhaite au moins que nous y travaillions. Nous verrons bien quels seront les votes à l’issue du débat. Commençons dans la perspective de rédiger le meilleur texte possible. Et puis, chacun assumera sa position sur l’échiquier national.

Consciente de l’importance du consensus, j’ai entamé une longue concertation, sans doute la plus longue qui ait jamais été ménagée sur un texte. Elle a duré deux mois et j’ai même accepté de la prolonger d’une semaine supplémentaire en cas de besoin. Je l’ai voulue aussi la plus large possible : elle implique les syndicats de magistrats, les représentants des avocats, des policiers, des gendarmes, et les parlementaires.

Commencé voilà maintenant plus de quinze jours, le processus va se poursuivre jusqu’au début du mois de mai. Après quoi, le groupe de travail diversifié que j’ai constitué s’emploiera à intégrer le plus possible de suggestions et de propositions pour parvenir à rédiger le meilleur texte.

Nous ne sommes pas pour autant certains de satisfaire tout le monde ! En effet, nous le savons d’ores et déjà, un certain nombre de positions sont incompatibles. Je le dis d’emblée, j’assumerai mes propres responsabilités. Autant je reconnais que le texte tel qu’il est peut faire l’objet d’amendements sur chacun de ses articles, autant je sais qu’il viendra un moment où j’aurai à présenter, au nom du Gouvernement, un projet de loi. J’en assumerai alors la totale responsabilité. C’est ainsi que je conçois la méthode de travail.

La réforme de la garde à vue sera l’un des volets importants de la réforme plus générale de notre procédure pénale. Je peux vous dire, monsieur Mézard, qu’elle sera conduite en totale cohérence et en totale harmonie avec les propos que j’ai tenus le 9 février. Sur ce point, je ne changerai pas parce qu’il s’agit de trouver un point d’équilibre entre les libertés et les nécessités de la sécurité dans le cadre d’enquêtes menées pour découvrir la vérité dans des affaires de délinquance dont un certain nombre de nos concitoyens subissent les conséquences.

Bien entendu, dans ce cadre, nous nous posons et il faudra poser la question de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue.

À ce propos, je tiens à préciser à l’intention de ceux, magistrats et autres, qui ont pris certaines positions en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il ne faut ni lui faire dire plus que ce qu’elle dit ni aller au-delà de ses règles.

La Cour européenne, nous le savons bien, statue selon un mode assez proche des principes du droit anglo-saxon, qui n’est pas le nôtre, et procède au cas par cas. La Cour européenne n’a jamais condamné la France pour sa pratique de la garde à vue. Lorsqu’elle dit qu’il faut que la personne mise en cause ait accès à un avocat, elle vise la totalité de la garde à vue et de la procédure d’enquête. Or la France a d’ores et déjà autorisé l’intervention d’un avocat pour une demi-heure au cours de la première heure. C’est dire que notre pays satisfait totalement les exigences de la Cour européenne.

Je tenais à le rappeler et pourrais, à l’appui de mes propos, vous relire l’intégralité de l’arrêt Adamkiewicz c. Pologne : les choses sont extrêmement claires en la matière.

La France aurait été condamnée s’il y avait eu le moindre problème dans ce domaine, mais, en prévoyant la possibilité de la présence de l’avocat dès la première demi-heure de la garde à vue, nous nous sommes, en effet, conformés aux exigences de la Cour européenne. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

M. le rapporteur l’a très bien dit : dans notre texte, nous avons prévu, au-delà de cette présence possible de l’avocat au cours de la première demi-heure, la possibilité d’un entretien avec son client à la douzième heure. Nous avons tenu compte d’un certain nombre de remarques assez justifiées qui nous ont été faites, comprenant notamment que, pendant la première demi-heure, le rôle de l’avocat s’apparente plus à celui d’une assistante sociale qu’à celui d’un réel conseil juridique. Au bout de la douzième heure, on est passé à autre chose.

C’est aussi parce que je souhaite que l’avocat puisse travailler de façon utile qu’il est prévu d’autoriser à son profit la communication des procès-verbaux des interrogatoires au fur et à mesure de leur établissement : c’est, en effet, sur cette base que le conseil va pouvoir commencer à fonder une défense.

Les avocats m’ont fait part de leur désarroi fréquent faute de savoir, jusqu’à présent, ce qu’avaient réellement dit ou tu leurs clients. À ce propos, j’ai le sentiment que nous sommes bien d’accord sur ce qui doit être visé. Pour autant, les réponses apportées à un certain nombre de questions devront s’inscrire dans une logique d’ensemble.

Je souhaite que cette logique d’ensemble soit dépourvue d’arrière-pensées et que toute suspicion pesant sur la procédure soit écartée. Il importe que les choses soient extrêmement claires.

Je commencerai par la question du rôle réel de la garde à vue : elle doit être limitée à ce pour quoi elle est faite, c’est-à-dire faire avancer l’enquête en entendant directement une personne pour obtenir des informations indispensables à la poursuite de ladite enquête.

Cela veut dire que le recours à la garde à vue doit être limité à des cas relativement graves, c’est-à-dire les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement. Et même si, dans la plupart des cas, ce principe est déjà appliqué, il est bon que cela soit dit et redit.

Il est important, en outre, de distinguer nettement la garde à vue des autres situations et d’éviter les confusions avec les cas de dégrisement. Il faudrait disposer de locaux séparés, ce qui n’est pas toujours le cas. Lorsque l’on mélange les deux situations, les conditions matérielles de la garde à vue sont absolument épouvantables !

Il faut également que la question des critères établissant la nécessité de certaines gardes à vue soit davantage précisée. Dans le texte que nous préparons, nous avons prévu que, pour des affaires qui ne présentent pas un caractère de gravité particulière – même si elles sont susceptibles d’être punies d’une peine d’emprisonnement – la personne concernée pourra, sous réserve de son accord, être entendue librement. Je précise bien que cette audition libre n’est possible, contrairement à ce qui a été dit, que si la personne en est d’accord. Si en revanche elle souhaite bénéficier des garanties attachées à la garde à vue, la personne pourra faire l’objet d’un placement en garde à vue.

Honnêtement, dans le cas d’une gamine qui a volé un tube de rouge à lèvres dans un Prisunic, je ne vois pas l’intérêt de la garde à vue ! Je préfère que l’on prenne son nom et son adresse et que le processus se déroule dans les conditions de la liberté, ce qui sera un peu moins traumatisant qu’une garde à vue !

C’est pourquoi, après avoir beaucoup hésité, nous avons finalement inscrit cette idée de l’audition libre pendant quatre heures. Elle me paraît correspondre à nombre d’affaires mineures que l’on peut régler d’une façon relativement simple, lorsque l’on ne craint ni que la personne disparaisse, ni qu’elle fasse disparaître des preuves, ni enfin qu’elle prévienne des complices. Là, nous approchons d’une plus juste proportionnalité de la garde à vue avec les nécessités de l’enquête.

Si cependant on réclame la présence de l’avocat, c’est souvent, soyons clairs, par crainte, exprimée par certains, que les policiers ou les gendarmes n’obtiennent un aveu en exerçant une pression sur la personne gardée à vue…

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité travailler non sur des généralités mais sur un projet de loi dont je signale qu’il est totalement publié et qu’il est consultable sur Internet. Et il y est écrit que l’aveu en garde à vue hors la présence de l’avocat ne peut être retenu comme seule cause d’une condamnation. Cela devrait dissiper tout problème en la matière !

Bien entendu, je sais aussi que les conditions de la garde à vue ne peuvent être détachées du sujet. Et vous avez eu raison de rappeler que certaines pratiques ont besoin d’être mieux encadrées. Parce que ce n’est pas du niveau législatif, les textes réglementaires rappelleront que les conditions de la garde à vue doivent préserver la nécessaire dignité des personnes. Je pense, par exemple, au retrait du soutien-gorge ou des lunettes. Ces mentions figureront explicitement dans les textes.

Vos propositions soulèvent un certain nombre de questions. Je devine vos soupçons, mais je me dois de dire que certains points devront être clarifiés, notamment quant à la demande de présence continue d’un avocat.

D’abord, qu’en sera-t-il en matière de terrorisme ou de crime organisé ? J’ai besoin de le savoir. Ce sera l’un des cas sur lesquels la plus grande clarté s’imposera.

En la matière, la jurisprudence européenne admet parfaitement qu’il y ait un régime spécial pour le terrorisme et le crime organisé. Je suis pour le régime spécial et ne souhaite pas que soit modifié le régime actuel prévalant pour le terrorisme et le crime organisé. Mais je souhaite changer tout le reste.

Ensuite, je vous demande de penser aux situations d’enlèvement et de séquestration. Si nous vous suivons sur le fait qu’il ne puisse pas être procédé à l’audition d’une personne gardée à vue hors la présence de l’avocat dès le départ, faudra-t-il attendre, alors qu’il peut y avoir urgence et que la vie d’une personne est en jeu ?

Et que se passe-t-il si l’avocat ne se présente pas au bout de vingt-quatre heures ? En effet, on nous signale, d’ores et déjà, un certain nombre de cas où les avocats sont demandés et ne se présentent pas. Il faut cesser de raisonner exclusivement en citadins. Imaginons la situation d’une gendarmerie dans le fin fond du Cantal ou du Queyras en plein hiver ! Et vous connaissez bien ces situations, madame Escoffier. (Mme Anne-Marie Escoffier le confirme.)

Dans le cas où la gendarmerie procède à une arrestation et que les routes sont bloquées, que se passe-t-il ? Et si l’avocat ne veut pas se déplacer ? La personne est retenue pendant vingt-quatre heures sans être interrogée, mais que se passe-t-il une fois ce délai écoulé ?

Si vous faites des propositions, vous devez aussi envisager de telles hypothèses. Que faire si l’avocat ne se présente jamais ? Faut-il bloquer l’enquête ?

Je me contente simplement ici de poser les questions, mais il faudra y réfléchir dans le cadre de la concertation.

Certes, il faut veiller à préserver les libertés, mais nous devons prendre garde à ne pas instaurer un système dont la rigidité aboutirait non seulement à empêcher toute réponse aux situations d’urgence mais aussi et surtout à bloquer l’enquête et, ce faisant, à entraver la lutte contre la délinquance.

Le régime juridique que vous proposez me semble par trop rigide et paraît inadapté à certaines procédures indispensables à la manifestation de la vérité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’insisterai pas davantage sur le sujet, car j’aurai l’occasion de répondre à vos questions ou d’enregistrer vos réactions. Mon objectif est simplement de parvenir avec vous, et avec l’ensemble des acteurs concernés, à une réforme qui soit la plus cohérente et la plus claire possible et qui protège au mieux les droits de la défense comme ceux des victimes.

Le travail de refondation – car il s’agit bien d’une refondation de la procédure pénale – ne saurait incomber à une seule administration, à un seul ministre ou au seul Gouvernement. Une telle tâche doit être celle du plus grand nombre. C’est dans cet esprit que je travaille depuis plusieurs mois avec des praticiens du droit, des universitaires, des parlementaires de toute tendance.

Ma méthode est non pas celle du report indéfini des réformes, mais celle de l’écoute et du dialogue. Le calendrier que j’ai annoncé est d’ailleurs maintenu : après que tout un chacun aura été écouté et que le texte présenté aura été amendé, le projet de loi sera déposé sur le bureau des assemblées, à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, pour une discussion qui interviendra au dernier trimestre de cette année.

Nous avons là les moyens d’effectuer un travail de qualité, utile et pragmatique, qui représentera une véritable avancée. C’est la méthode que je vous propose.

Je ne rejette pas d’un revers de main le contenu de votre proposition de loi, monsieur Mézard. Il me semble cependant que celui-ci doit être envisagé dans une perspective plus vaste pour que la démarche conserve une cohérence globale, et ce dans un esprit de participation avec, comme objectif, l’amélioration de la législation. Une telle méthode me semble également constituer un bon moyen et pour le Gouvernement et pour le législateur de fournir un travail de qualité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à assurer l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue, déposée par des membres du groupe RDSE et dont je suis cosignataire, peut apporter des éléments de solution, voire mettre un terme à un débat récurrent qui s’est subitement accéléré ces derniers temps.

En effet, certains d’entre nous ont remarqué que la presse a multiplié les titres les plus « aguicheurs » ces dernières semaines pour porter sur la place publique la problématique de la garde à vue afin d’en dénoncer tout à la fois le nombre et la nature pour en réclamer in fine la suppression.

Le 3 février dernier, le Premier ministre lui-même a annoncé un texte visant à encadrer la garde à vue en France, concluant ainsi son propos : « On ne doit pas utiliser la garde à vue à tout va ». Madame le ministre d’État, vous avez vous-même relayé ces paroles en déclarant que « les gardes à vue seront limitées aux réelles nécessités de l’enquête, garantissant la liberté de chacun en assurant la sécurité de tous », et affirmé ce faisant le caractère protecteur de la garde à vue.

Je constate donc, et je ne peux que m’en réjouir, qu’un consensus assez général semble se dégager autour de ce sujet important qui mérite sans doute mieux que les considérations émotionnelles dont certains ont usé et abusé.

Selon les sources officielles, un peu plus de 580 000 personnes ont été placées en garde à vue en métropole en 2009. Cela fait beaucoup, d’autant que, comme nous le savons tous ici, la culture de l’aveu qui prévaut largement dans notre droit pénal engendre un certain nombre d’abus, lesquels aboutissent à vicier l’ensemble de la procédure, dont l’essence même, à savoir la sanction des atteintes à l’ordre public, s’en trouve affaiblie.

Doit-on imputer ce nombre à l’échec d’une politique de lutte contre la délinquance ou est-il le résultat de la culture du chiffre née de l’application inconsidérée de la LOLF, qui a conduit à faire des mauvais choix en matière pénale ?

Je ne voudrais pas ranimer ici la bataille des chiffres. Le principe de la garde à vue, né en 1958 par inscription au code de procédure pénale, a en effet connu des évolutions au gré du contexte événementiel et sociétal qui, encadrées par le Conseil Constitutionnel, ont eu pour objectif permanent de mieux protéger le mis en cause.

Il n’en demeure pas moins que la multiplication des dérives de la garde à vue porte également atteinte, en elle-même, aux principes fondateurs de l’État de droit, à commencer par celui de la sûreté des personnes. Si en effet la garde à vue peut constituer une mesure adaptée, tel n’est pas le cas lorsqu’il est difficile de définir le chef d’inculpation, ce qui arrive souvent.

En effet, les mots ne sont pas trop forts pour dénoncer les attitudes d’humiliation morale et physique auxquelles sont trop souvent soumis les gardés à vue, comme tous les orateurs l’ont reconnu : fouilles au corps, parfois indécentes lorsqu’il s’agit de femmes, locaux sordides, manque d’eau et de sanitaires, admonestations non compatibles avec les règles les plus élémentaires de l’humanisme – le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne laisse aucun doute sur la question ! –, tandis que la garde à vue tend à devenir une « banalité ».

Tel n’est pas le cas partout, puisque dans un certain nombre de pays d’Europe – Danemark, Espagne, Italie, Grande-Bretagne – les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de l’assistance effective d’un avocat dès qu’elles sont privées de liberté. Il en va de même en Allemagne si la personne gardée à vue en fait la demande.

Cette possibilité, au reste, est parfaitement conforme à la philosophie du droit européen, comme l’a récemment montré la Cour européenne des droits de l’homme qui, à deux reprises – vous l’indiquiez tout à l’heure, madame le ministre d’État  –, s’est prononcée très clairement sur cette question, en énonçant, d’une part, que la condamnation d’un prévenu sur la base d’aveux obtenus en l’absence d’un avocat viole le paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention, et, d’autre part, qu’un accusé privé de liberté, ne pouvant avoir accès à un avocat, y compris commis d’office, durant sa garde à vue, était victime d’une violation du droit à un procès équitable.

De ce fait, le droit français n’est plus en conformité avec le droit européen : contrairement à ce qui a pu être soutenu, il n’existe pas de compatibilité de la garde à vue française avec les jurisprudences, nonobstant la circulaire du 17 novembre 2009 de la Chancellerie, qui s’est bornée à affirmer le principe de l’accès à un défenseur lors de la garde à vue.

Cette constatation a conduit le groupe du RDSE, au nom à la fois de la logique la plus élémentaire et des valeurs humanistes dont il se réclame traditionnellement, à élaborer la proposition de loi que nous vous soumettons aujourd’hui. Celle-ci vise à assurer l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue, à leur demande, y compris sur commission d’office si nécessaire, et cela quels que soient les crimes et délits constatés, à l’exception, naturellement, des actes de terrorisme, pour lesquels le dispositif actuel serait maintenu.

En effet, aujourd’hui, en France, si un avocat, qu’il agisse dans le cadre de sa permanence pénale ou soit commis d’office, est avisé de la garde à vue d’une personne mise en cause, les délais qui lui sont nécessaires pour rejoindre son client sont très variables et dépendent de divers facteurs, comme la géographie locale – vous l’avez souligné s’agissant du département dont je suis l’élue, madame le ministre d’État – ou la propre disponibilité de l’avocat.

À plusieurs reprises, j’ai discuté avec des avocats de ce problème, en particulier de la difficulté qu’ils éprouvent, sinon à disposer du dossier de la personne mise en cause, du moins à connaître exactement le grief qui est formulé contre leur client et à recevoir les informations les plus élémentaires le concernant avant de le rencontrer.

L’objet du présent texte est donc de régler définitivement le problème, tout en garantissant la sécurité juridique de la procédure judiciaire, au bénéfice, non pas seulement des personnes placées en garde à vue, mais encore des forces de l’ordre qui, ainsi, exerceront leurs missions dans les meilleures conditions possibles.

Il s’agit en outre, j’en suis convaincue, d’éviter les oppositions inutiles entre police et justice, de même qu’entre magistrats du siège et magistrats du parquet.

Mes chers collègues, nous savons combien le Sénat est traditionnellement le garant des libertés individuelles.

Mme Anne-Marie Escoffier. Je vous invite, en examinant ce texte, aujourd’hui ou demain, à confirmer cette tradition qui fait toute la noblesse de notre Haute Assemblée, plus particulièrement dans le domaine judiciaire, qui est l’un des plus sensibles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise traite d’un vrai problème, mais elle est un peu restrictive, car le dossier de la garde à vue, au sens large, aurait mérité d’être considéré dans sa globalité.

En fait, le principe de la garde à vue, s’il n’était pas dévoyé, serait tout à fait admissible. Le vrai problème, c’est que, trop souvent, la police, la justice, notamment les procureurs de la République, se servent de cette procédure comme d’un moyen de pression sur les personnes interrogées. La finalité de la garde à vue est donc complètement détournée.

Ce fait est d’autant plus grave que, dans certains cas, les modalités de la garde à vue, les conditions « d’accueil », de prise en charge des personnes dans le cadre de cette procédure sont tout à fait scandaleuses ! On ne parle pas suffisamment de ces conditions, qui sont honteuses pour un pays démocratique censé être « évolué ». Or tel est, me semble-t-il, le véritable problème que pose la garde à vue. C’est tout à fait indécent !

Certains considèrent avec condescendance les systèmes judiciaires de pays se trouvant sur d’autres continents ; je crois que nous devrions d’abord mettre de l’ordre dans notre propre pays, car cette situation est véritablement une honte !

M. Jean Louis Masson. De plus, il s’agit d’une forme de chantage car, régulièrement, la police et la justice exercent une pression sur les personnes qui sont arrêtées, en les menaçant de les mettre en garde à vue si elles refusent d’avouer. C’est tout à fait inadmissible !

Je pense que l’humanisation de la garde à vue, le fait de traiter correctement les gens placés dans cette situation sont encore plus importants que l’accès à un avocat. Cela dit, ce dernier droit est également fondamental, et j’y suis tout à fait favorable.

La commission des lois conclut que le texte doit lui être renvoyé. Je ne prétends pas que la proposition de loi qui nous est soumise soit parfaite – elle aurait mérité d’être plus consistante –, mais le mécanisme qui consiste à toujours renvoyer à plus tard, ou encore à botter en touche, me semble affligeant.

On nous affirme à présent qu’un projet de loi sera présenté, mais voilà cinquante ans que cela aurait dû être fait !

M. Jean Louis Masson. Là, on se réveille tout à coup et on nous annonce un projet de loi !

Sans remonter très loin, je rappelle que M. Sarkozy est élu depuis 2007. Gesticulant dans tous les sens, il a voulu tout réformer, mais il aurait pu réagir avant s’agissant de la garde à vue, au lieu de faire des réformes dont personne ne veut et qui lui ont valu d’être massivement désavoué lors des dernières élections régionales !

Je considère qu’il n’est pas logique de botter systématiquement en touche ; je ne voterai donc pas la motion de renvoi à la commission. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. –M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a constaté dans son rapport d’activité, en se référant aux registres des gardes à vue, principaux outils de contrôle de cette procédure, « l’augmentation constante depuis quinze ans » du nombre de gardes à vue.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre de personnes placées en garde à vue a presque doublé, passant de 276 000 environ en 1994 à 580 000 en 2009. Cette augmentation est d’autant plus éloquente que le chiffre de 2009 ne prend en compte ni les 37 500 personnes gardées à vue dans nos territoires ultramarins ni les 150 000 placements consécutifs à des infractions routières. Ce sont donc environ 800 000 personnes qui ont été gardées à vue l’année dernière.

Ce constat fait état d’une évidence et pose, en même temps, une question essentielle sur l’usage de ce dispositif. En effet, le taux d’élucidation des crimes et délits, dont vous nous avez fait part le 9 février dernier, madame le ministre d’État, est passé de 25 % à 40 % depuis 2002. Sans établir un lien direct entre ces deux séries de statistiques, et sans vouloir en tirer de conclusion hâtive, je note que l’action menée par la police et la gendarmerie dans le cadre des placements en garde à vue a permis aux services d’élucider un grand nombre d’affaires. Nous ne devons donc pas confondre le principe de la garde à vue, qui est un dispositif nécessaire, et les conditions dans lesquelles elle se déroule.

Toutefois, il est encore plus certain, aux yeux de tous, que cette procédure s’est banalisée au cours des années. Comme le rappelait le Premier ministre, le 21 novembre dernier, « la garde à vue est un acte “ grave ” qui ne doit pas être envisagé comme un élément de “ routine ” par les enquêteurs ».

C’est pourquoi il nous faut désormais contrôler qualitativement cette procédure en termes tant de respect des droits de l’individu que d’assistance des personnes par l’intervention d’un avocat.

À la suite du débat sur une question orale organisé par notre Haute Assemblée le 9 février dernier, la proposition de loi présentée par Jacques Mézard et nos collègues du groupe RDSE appelle une nouvelle fois notre attention sur les « dérives » de la garde à vue, qui viennent souvent ternir notre image d’État de droit garant des droits et des libertés individuelles, auxquels nous sommes tous attachés.

Le Président de la République s’est prononcé pour un habeas corpus à la française. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Il a souhaité, à travers cette procédure, qu’« un réel débat contradictoire » s’instaure « dès les origines du procès ». Il faut donc se féliciter, à cet égard, de la volonté affichée du Gouvernement de remettre en cause la primauté de l’aveu qui prévaut encore dans notre droit pénal.

L’avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale que vous avez soumis à la concertation, madame le ministre d’État, et dont vous avez rappelé qu’il était accessible à tous et à tout moment, notamment sur Internet, subordonne le placement en garde à vue à l’existence d’une infraction d’une certaine gravité. Le recours à la garde à vue serait limité aux crimes et délits passibles d’une peine d’emprisonnement. Cette exigence permettrait sans doute d’éviter les dérives que nous avons soulignées précédemment.

Permettez-moi de faire un bref rappel de l’état actuel de notre droit en la matière.

Les dispositions des articles 63 et suivants du code de procédure pénale définissent et organisent la garde à vue et ses conditions.

Il est ainsi prévu que « toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction » peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire « pour les nécessités de l’enquête ». La durée de cette privation de liberté est de vingt-quatre heures maximum, renouvelable une fois avec l’accord écrit du procureur de la République. Des cas spécifiques de prolongation sont prévus pour les infractions de criminalité organisée, ainsi que pour tout risque sérieux et imminent d’une action terroriste. Vous avez eu raison de dire, madame le ministre d’État, que ces dernières situations constituaient des cas spécifiques auxquels devait s’appliquer une règle spécifique.

En contrepartie de cette privation de liberté, la personne gardée à vue dispose de différents droits. Elle se voit informée de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, de ses droits et de la durée de la garde à vue. En outre, elle peut faire valoir son droit de prévenir une personne par téléphone de son placement en garde à vue et demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la procédure.

À travers l’évolution de sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé les conditions de représentation par un avocat de la personne placée en garde à vue et a condamné, dans des arrêts récents, plusieurs États membres.

Comme vous l’avez rappelé, madame le ministre d’État, « la Convention européenne des droits de l’homme est d’application directe, sa jurisprudence ne s’impose qu’aux États parties à l’affaire jugée ». Vous avez également souligné à l’instant encore, du haut de cette tribune, que la France, ayant déjà prévu la présence de l’avocat lors de la garde à vue dans les conditions du droit positif, s’était sans doute mise à l’abri d’un reproche de la Cour européenne des droits de l’homme. Cela ne doit pas nous empêcher de faire évoluer notre droit s’agissant des conditions d’intervention de l’avocat à ce stade de l’enquête de police ou de gendarmerie.

Il semble raisonnable, comme vous l’avez dit, de ne pas attendre une condamnation éventuelle pour réformer notre droit, bien que cette perspective semble aujourd’hui s’éloigner.

De plus, au regard du nombre de propositions de loi déposées sur le bureau de chaque assemblée, une réforme semble particulièrement nécessaire et urgente. Nous nous réjouissons de votre détermination en la matière, madame le ministre d’État, lorsque vous affirmez que « l’amélioration des conditions de garde à vue est une priorité dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale », une réforme que vous allez présenter et porter.

Le groupe UMP appelle votre attention sur son souhait que la garde à vue soit réformée en priorité à l’occasion de l’examen de la réforme, plus vaste, de la procédure pénale.

Le texte qui nous est aujourd’hui soumis prévoit, dans son article unique, l’assistance immédiate d’un avocat pour les personnes placées en garde à vue. Il préconise, plus particulièrement, la présence de l’avocat dès le début de la mesure de privation de liberté lorsque la personne concernée le demande. Ensuite, lors des interrogatoires, cette présence devient obligatoire, sauf renonciation expresse de l’intéressé.

Parallèlement, le comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger préconise dans son rapport le maintien du dispositif actuel, avec un nouvel entretien à la douzième heure, un accès aux procès-verbaux d’audition et une présence aux interrogatoires à partir de la vingt-quatrième heure. S’inspirant de cette préconisation, l’avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale prévoit un deuxième entretien à la douzième heure et, au-delà de la vingt-quatrième heure, la possibilité pour l’avocat, qui aura eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés, d’assister la personne durant toute la durée de la prolongation, lui permettant ainsi de « faire des observations et poser des questions ».

La présente proposition de loi va donc bien au-delà des conclusions du comité de réflexion présidé par M. Léger et de l’avant-projet de loi lui-même quant aux prérogatives conférées à l’avocat, en proposant que celui-ci ait immédiatement accès au dossier.

Cependant, pour des raisons d’ordre matériel dont il importe de tenir compte, l’accès immédiat au dossier nous paraît difficilement envisageable. Nous rejoignons pleinement la position de notre rapporteur, François Zocchetto, qui a souligné qu’ « en cas d’interpellation, particulièrement dans une enquête de flagrance, le dossier est constitué matériellement au cours de la garde à vue, l’ensemble des procès-verbaux étant rédigés et rassemblés uniquement à la fin de la mesure ». Prenant en compte ces difficultés, l’avant-projet de loi prévoit que l’avocat pourra recevoir une copie des procès-verbaux des interrogatoires, une fois ceux-ci réalisés. Cela va dans le bon sens.

C’est pour appréhender de manière globale cette réforme qu’une mission parlementaire, coprésidée par nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, sera mise en place. Il convient donc de souligner que, sur ce sujet aussi, une large consultation est aujourd’hui organisée, au sein et en dehors du Sénat. Il paraît donc judicieux de renvoyer ce texte à la commission, afin d’avoir une vue globale de ce sujet complexe tant sur le fond que sur la forme, notamment s’agissant des conditions matérielles d’exercice de leur mission par les avocats.

On nous a assez reproché de saucissonner les textes, notamment à l’occasion de la récente réforme des collectivités territoriales. Que l’on ne vienne pas nous reprocher, aujourd’hui, de vouloir intégrer ce texte à une réforme plus vaste ! Nous pourrons ainsi avoir une vision plus fine, plus générale et plus cohérente de l’ensemble de ces sujets en tout point essentiels sur le plan de la procédure pénale, puisqu’ils touchent aux libertés individuelles ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, le débat du 9 février dernier nous aura permis de confirmer, dans cet hémicycle, la gravité de la situation en matière de mesures de garde à vue. Au-delà des chiffres, nous avons fait ensemble le constat de leur multiplication inacceptable, des dérives auxquelles elles donnent lieu, de conditions matérielles souvent humiliantes et attentatoires à la dignité de trop nombreuses personnes.

Ce constat partagé, madame la garde des sceaux, nous l’avions déjà fait en 2000, s’agissant des prisons : or, sur ce dernier sujet, dix ans se sont écoulés avant que l’on aboutisse à une loi, et encore cette loi a-t-elle été votée a minima. Entre le constat partagé et l’action qui s’ensuit, il y a souvent un long délai, et un gouffre ! C’est pourquoi, en l’occurrence, nous ne saurions nous satisfaire d’un simple constat.

Ce débat nous a permis de rappeler combien notre législation s’éloignait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – même si ce dernier constat est sans doute moins partagé ! –, ce qui a d’ailleurs conduit plusieurs tribunaux à annuler des mesures de garde à vue. J’avais souligné, à cette occasion, que la multiplication quasiment exponentielle de ces mesures, notamment ces dernières années, était due à l’inflation répressive inscrite dans la politique pénale du Gouvernement, une inflation qui constitue une véritable fuite en avant permettant tous les débordements.

« Il faut repenser le droit », avais-je alors dit. Ce doit être effectivement pour nous, législateurs, une tâche urgente. Les avocats et magistrats, qui se mobilisent en grand nombre, comme le 9 mars dernier encore, nous y incitent. Ils ont raison !

Il est significatif que les secrétaires de la Conférence aient soulevé pour la première fois la « question prioritaire de constitutionnalité » à propos de la garde à vue, au motif qu’elle porte atteinte aux libertés et aux droits de la défense. Ils ont ainsi souligné le rôle limité des avocats pendant la garde à vue, dont chacun, là encore, peut faire le constat.

La proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard, qui avait déjà pris l’initiative du précédent débat, participe de cette nécessaire réécriture du droit, en prévoyant notamment la présence immédiate de l’avocat, souhaitée par nombre d’entre nous.

Si donc j’approuve la proposition de loi de notre collègue, que je voterai, je considère cependant qu’elle ne répond que partiellement aux exigences de la protection des droits. Sur ce point, la lecture de l’avant-projet de réforme de la procédure pénale, que vous soumettez à la concertation des professionnels, madame la garde des sceaux, ne me rassure pas, et ne paraît pas les rassurer non plus.

Le président du Conseil national des barreaux qualifie en effet de « faux-semblant » l’audition libre de quatre heures qui serait substituée à la garde à vue immédiate. Je considère, pour ma part, que l’obligation et l’audition libre sont des notions antinomiques. Soit la personne donne son accord à l’audition, et celle-ci est alors « libre », soit ce n’est pas le cas, et cette audition n’a rien de libre !

La législation en matière de garde à vue est devenue, au fil des lois, à la fois plus complexe et plus sévère, et a progressivement remis en cause le sens initial de la garde à vue ; c’est à ce sens que nous devons revenir pour légiférer.

Vous le savez, la garde à vue avait à l’origine pour objet de retenir les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations, avant de les déférer devant le juge. Elle est devenue trop souvent –là encore un constat partagé ! – un moyen d’intimidation et de pression donnant lieu, par voie de conséquence, à des abus. Il s’agit pourtant bien d’une mesure privative de liberté qu’aggravent trop souvent, hélas, des conditions matérielles déplorables et l’exposition des personnes concernées à des actes dégradants ou attentatoires à leur intégrité physique.

Or, je le rappelle, la privation de liberté, quel qu’en soit le mode, doit rester l’exception, puisqu’elle constitue déjà, en soi, une atteinte à la liberté individuelle.

De plus, s’il avoue, le gardé à vue présumé innocent, devient de fait, nous le savons, un présumé coupable. Or, ce stade de l’enquête est extrêmement important dans la mesure où les preuves alors obtenues détermineront le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès.

Ce processus risque de mettre sur les rails une vérité policière très difficile à contester et susceptible de devenir ensuite une vérité judiciaire.

C’est pourquoi nous avons, pour notre part, voulu inscrire les dispositions contenues dans la proposition de loi déposée par mon groupe dans un retour à la définition originelle de la garde à vue.

Ainsi, nous proposons d’encadrer le recours à cette mesure privative de liberté, d’en renforcer les garanties en termes de procédure et de respect de la dignité des personnes et, enfin, de sanctionner les violations de ces garanties.

Permettez-moi de vous livrer quelques précisions.

Restreindre le champ de la garde à vue suppose de prévoir dans la loi la condition d’indices graves et concordants de nature à justifier une mise en examen, et cela pour un crime ou un délit passible d’une peine de prison qui ne saurait être inférieure à cinq ans.

Nous sommes pour la suppression de la garde à vue pour les mineurs tout en maintenant la possibilité exceptionnelle de retenir un mineur à disposition d’un officier de police judiciaire et en prévoyant l’intervention d’un magistrat à tous les stades de la procédure.

Nous proposons aussi – je sais que vous n’y êtes pas favorable, madame le ministre d’État, et que cela suscite aussi des oppositions dans cet hémicycle – d’abroger les dispositions exorbitantes du droit commun en matière de criminalité et donc de terrorisme.

M. Gilbert Thiel, juge d’instruction au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, a critiqué la propension à « étendre de façon insidieuse la notion de terrorisme ». C’est bien là tout le problème ! Le terrorisme est facilement invoqué pour des gardes à vue exorbitantes. Depuis la loi Perben II, les dispositions antiterroristes ne présentent plus de caractère exceptionnel par rapport à la criminalité, puisqu’elles sont intégrées dans la criminalité organisée.

Nous voulons mettre fin à l’isolement du gardé à vue, notamment en supprimant les dérogations de l’article 63-2 du code de procédure pénale.

Concernant l’assistance de l’avocat, notre collègue François Zocchetto, rapporteur de la proposition de loi, avait prévu la présence de l’avocat dès la première heure, mais ce n’était que pour un entretien de trente minutes maximum, soit un entretien assez peu utile puisque l’avocat, à ce stade, ne connaît alors pas grand-chose du dossier.

C’est pourquoi nous proposons que la personne gardée à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la procédure, mais aussi que celui-ci ait accès au dossier existant.

Quant aux fouilles intégrales et aux investigations corporelles, elles doivent être interdites. Les fouilles de sécurité doivent être réalisées avec des moyens de détection électronique.

Voilà, mes chers collègues, madame la garde des sceaux, ce qui me paraît constituer une procédure de garde à vue répondant aux règles européennes.

L’actuelle et constante aggravation pénale est orchestrée par un matraquage médiatique et politique qui « surfe » sur le triptyque « peur-victime-répression ».

Il faut, nous dit-on, répondre aux victimes – c’est un fait, et je partage ce souci –  et donc trouver rapidement un coupable, et c’est cette célérité qui pose un premier problème ! En effet, cela nourrit l’exigence d’une justice rapide, trop rapide parfois, alors que la justice à besoin de temps.

Dans ces conditions, la garde à vue, la culture de l’aveu, qui vulnérabilise les personnes concernées, et la politique du chiffre participent de la réponse à cette exigence.

La statistique n’a que faire du respect des droits fondamentaux ; elle permet seulement d’afficher un volontarisme politique qui n’est pas toujours suivi de conséquences.

Qu’il faille concilier les droits de la défense et la protection de l’ordre public – je préférerais d’ailleurs que l’on parle de « sûreté » plutôt que d’« ordre » –, je l’entends. Mais gardons-nous d’une vision maximaliste de la sécurité.

Les droits fondamentaux sont le socle de la démocratie et je continue de penser que leur respect par les institutions constitue partout leur meilleur vecteur.

Concernant la procédure, monsieur le rapporteur, votre rapport et vos conclusions manifestent, si l’on en doutait encore, l’impuissance du Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si ! Tout le monde le constate, la garde à vue doit être réformée. Alors pourquoi la commission des lois n’a-t-elle pas pris l’initiative d’une proposition de loi, avec le Gouvernement et la majorité, bien sûr, puisque le fait majoritaire s’impose avec évidence ?

On ne peut pas simplement s’en remettre, sur ce point, à ce que proposera in fine le Gouvernement.

C’est pourquoi je ne voterai pas le renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On s’en doute !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard et de ses amis du groupe RDSE nous pose deux questions.

La première est très simple : faut-il adopter cette proposition de loi ?

Oui, bien sûr ! Je ne vais pas revenir sur les raisons abondamment exposées par mon collègue. J’en retiendrai deux : d’une part, l’inflation considérable du nombre de gardes à vue, dans lequel on met d’ailleurs un peu de tout – vous l’avez dit vous-même, madame le garde des sceaux – ; et, d’autre part, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, constante à travers de nombreux arrêts, qui, certes, ne concernent pas notre pays mais qui s’appliquent cependant à tous les États qui ont signé la convention, c’est d’ailleurs l’avis unanime de la doctrine, notamment de M. Gabriel Roujou de Boubée, qui, de mon point de vue, n’est pas un révolutionnaire !

Seconde question : quand faut-il adopter cette proposition de loi, maintenant ou plus tard ?

Selon vous, madame la garde des sceaux, il faudrait adopter ses dispositions plus tard, mais avec l’ensemble du projet de loi que vous nous présenterez.

Vous entendez en effet modifier profondément la procédure pénale, notamment l’instruction, c’est-à-dire la phase située entre la commission de l’infraction et le jugement, pour les affaires, par hypothèse, les plus graves, puisqu’elles nécessitent une instruction préalable.

Ce projet de loi modifierait donc consubstantiellement la nature de la garde à vue.

En effet, aujourd’hui, la garde à vue se situe dans une phase antérieure à l’instruction, pour les affaires concernées, de sorte que l’on a pu admettre qu’elle ne présente pas les mêmes garanties que la procédure d’instruction qui, elle, assure à la personne mise en examen toutes les garanties indispensables.

D’ailleurs, bien souvent, lorsqu’un juge d’instruction interroge pour la première fois le mis en examen, il lui demande s’il confirme ou s’il infirme les procès-verbaux et les auditions réalisés en garde à vue. En fonction des réponses, l’instruction prend le cours qu’il convient.

Demain, si le texte que vous présentez est adopté en l’état, madame le ministre d’État, le processus se déroulera tout à fait différemment, puisque les auditions, les premiers interrogatoires, les premières dépositions et les premiers procès-verbaux réalisés tout au début de l’enquête feront foi jusqu’au jugement, sans aucun contrôle postérieur, et ce, je le répète, pour les affaires les plus graves, par définition.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. C’est faux, monsieur Michel ! Vous n’avez pas lu le texte !

M. Jean-Pierre Michel. Il faudrait que soient réunies au moins trois conditions.

Première condition – et c’est là où le bât blesse, madame le garde des sceaux -, l’autorité judiciaire, sous la tutelle de laquelle se feront ces investigations, devra être totalement indépendante du pouvoir politique. Ce n’est, à l’évidence, pas le cas aujourd’hui ; le parquet ne jouit pas de l’indépendance ni de l’impartialité nécessaires à l’exercice de la tâche que vous envisagez de lui confier. La Cour européenne des droits de l’homme l’a affirmé plusieurs fois : le parquet n’est pas une autorité judiciaire.

Quoi que vous puissiez en dire, tout le monde le sait bien, en particulier celles et ceux qui ont servi à un moment ou à un autre à la Chancellerie, notamment au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces, les interventions, parfois bienvenues, pour exercer des poursuites, par exemple, sont constantes auprès des membres des parquets généraux, et elles sont en général suivies.

Je n’aurai pas la cruauté d’énumérer toutes les affaires qui portent la marque de l’intervention du pouvoir politique, au moins depuis 2007, voire depuis 2004 – je ne remonterai pas jusqu’aux années soixante-dix, que je connais bien. Je pensais ce temps-là révolu !

Le juge d’instruction constitue une sauvegarde, et, si ce verrou « saute », le parquet doit être totalement indépendant et son statut considérablement modifié.

Vous ne le voulez pas, vous l’avez dit à plusieurs reprises. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. Je ne suis en effet pas favorable à un parquet totalement indépendant. Par voie d’extension, je ne suis pas du tout favorable à la modification de la procédure que vous nous proposez.

Deuxième condition, qui découle de la première, les forces de police et de gendarmerie qui agiront sous l’autorité du parquet devront être aussi totalement indépendantes. Elles devront ne dépendre que du parquet et être détachées du ministère de l’intérieur, comme on le demande depuis très longtemps.

Il faudra enfin opérer une distinction nette dans les statuts, dans les nominations et dans l’avancement entre les forces consacrées à l’enquête judiciaire et les forces consacrées au maintien de l’ordre, les dernières étant rattachées au ministère de l’intérieur, les premières au parquet et au ministère de la justice.

La troisième et dernière condition est l’adaptation de l’aide juridictionnelle et une extension de son domaine.

À cela j’ajouterai une quatrième condition, dont nous discutons aujourd’hui : la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue. En effet, cette garde à vue sera encore plus importante – Mme Escoffier l’a dit tout à l’heure – pour l’issue du procès pénal.

Il paraît totalement inadmissible et aberrant que les droits de la défense ne soient pas assurés dès le début de la procédure, quelles que soient les conditions et les infractions commises. Les exemples que vous avez donnés ne valent pas : il est toujours possible de trouver des solutions dans des situations extraordinaires.

L’avocat doit assister à tous les interrogatoires, à tous les actes de procédure et, bien entendu, il doit avoir accès aux pièces du dossier, dès que celui-ci commence à se constituer, en sa présence.

Voilà dans quel contexte plus large se situe la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui par notre collègue Jacques Mézard.

Quoi qu’il en soit de l’avenir ou de votre texte futur, madame le ministre d’État, cette proposition doit être immédiatement adoptée et même avec encore plus de force.

Elle doit s’appliquer à la situation actuelle et elle devra être reprise, peut-être avec des inflexions, en fonction de nos décisions, à la future réforme de la procédure pénale.

Ce sont les raisons pour lesquelles, avec le groupe socialiste, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas voter la motion de renvoi à la commission de notre collègue François Zocchetto, qui est absolument dénuée de tout fondement.

M. Jean-Pierre Michel. Pourquoi en effet renvoyer à la commission une proposition de loi dont nous avons déjà discuté abondamment et sur laquelle nous sommes tous d’accord ?

La commission ne fera rien de plus. Quant au groupe de travail dont mon éminent collègue Jean-René Lecerf et moi-même sommes chargés, c’est une autre histoire… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! C’est clair, percutant et précis !

M. Pierre Fauchon. Mais pas nécessairement pertinent ! (Sourires.)

(M. Roger Romani remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, c’est un sujet sensible et récurrent que nous examinons aujourd’hui.

Il y a quelque mois, nous en avions déjà débattu. François Zocchetto nous a dit, avec une nuance de regret, que débattre tous les deux mois de la garde à vue ne suffirait peut-être pas à renouveler ni à enrichir le sujet. Mais j’espère, vous nous l’avez promis, monsieur le rapporteur, que nous arriverons enfin, dans quelque temps, au cours de cette année – le plus tôt sera le mieux – à traiter à fond cette question.

La garde à vue connaît de terribles dérives, tout le monde l’admet, tant dans la manière dont elle est utilisée au quotidien par la police et la gendarmerie, que par les conditions matérielles quelquefois épouvantables et en tout cas regrettables qui l’accompagnent.

La première chose à faire pour y remédier est tout simplement de restreindre son usage. Cela relève d’ailleurs non pas du législateur mais de la pratique et donc de votre responsabilité, madame le ministre d’État.

Le nombre des gardes à vue atteint des sommets – on en compte près de 900 000 ! –, comme plusieurs orateurs l’ont déjà souligné.

Toutefois, la garde à vue constitue à l’évidence un élément essentiel de la poursuite pénale, même si elle doit bien sûr être gérée de façon telle que son efficacité soit garantie. Nous ne pouvons y renoncer, sauf à être indifférents à l’efficacité de la poursuite pénale, ce qui semble le cas de certains intervenants, si j’en juge d’après leurs propos… Une telle option existe, naturellement, mais elle est tout de même particulière, et je ne pense pas qu’elle puisse être retenue par des parlementaires responsables !

Deux éléments permettent d’expliquer ces chiffres, sans les justifier.

Le premier réside dans l’application de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances. En effet, le nombre des gardes à vue semble avoir été retenu parmi les critères d’évaluation de la performance des services de police et de gendarmerie, ce qui incite ces derniers, tout naturellement, à recourir toujours davantage à ces procédures. Il ne faut pas sous-estimer l’influence de ce phénomène dans la hausse du nombre des gardes à vue que nous constatons.

Toutefois, ce problème vaut pour la statistique en général, et pas seulement pour les gardes à vue. Dès lors que, pour apprécier une action quelconque, on se réfère à des éléments statistiques, on est presque toujours amené à développer une vision purement quantitative ; c’est la seule façon de traduire une réalité en chiffres et en statistiques, mais une telle méthode ne rend pas compte de la dimension qualitative. Or, malheureusement, c’est cette dernière qui pose aujourd'hui problème.

Mieux vaudrait reconnaître que nous sommes incapables d’apprécier la qualité d’un service public – celui de la répression pénale ou un autre –, et renoncer à porter une appréciation quand nous sommes incapables de le faire. Ou alors, cherchons à définir des critères qui ne soient pas uniquement statistiques, ce qui ouvre un champ immense à la réflexion, spécialement en matière de justice, madame le garde des sceaux !

Ainsi, combien de fois ai-je entendu parler de la durée moyenne des procès, que l’on calcule en mélangeant des ordonnances sur requête, qui sont rendues dans les deux heures, et des procédures qui ont duré cinq ou six ans, ce qui n’a aucun sens !

De façon générale, méfions-nous de ces appréciations statistiques. En réalité, dans la plupart des domaines, et singulièrement dans celui qui nous préoccupe aujourd'hui, ce qui compte, c’est la qualité de l’action et de ses résultats, qui ne s’apprécient pas à travers des chiffres.

Le second facteur expliquant l’augmentation du nombre des gardes à vue réside dans l’utilisation au quotidien de ces dernières. Pour abréger mon propos, je ne reviendrai pas sur les abus auxquels a donné lieu cette procédure : d’autres que moi les ont dénoncés, et il est donc inutile que je les rappelle. À l’évidence, il faudrait instaurer un seuil minimal de gravité pour l’infraction passible d’une garde à vue, de manière à limiter, si j’ose dire, les dégâts et les risques.

D’ailleurs, dans la plupart des pays de l’Union européenne, la garde à vue n’est prévue que dans le cas où les faits reprochés sont susceptibles d’être punis d’une peine d’emprisonnement au moins égale à cinq ans. Il faudrait envisager ce genre de limitation, me semble-t-il, mais en gardant à l’esprit le risque de « surqualification » juridique qui, malheureusement, apparaît inévitable, comme on l’a rappelé tout à l’heure à propos des affaires de terrorisme. Il faudrait, là encore, trouver le moyen d’exercer des contrôles plus sérieux et plus précis.

Mes chers collègues, au-delà de la réduction des cas de gardes à vue de droit commun, ne devons-nous pas réfléchir à une mesure qui remplacerait, ou plutôt qui compléterait celles-ci ?

Je sais qu’il est question d’une formule dite des « quatre heures ». Pourquoi pas ? Je demande que l’on y réfléchisse.

Il s'agirait d’un dispositif simplifié, d’une sorte de « mini » garde à vue, qui, semble-t-il, serait soumise à l’acceptation de la personne concernée, n’exclurait pas la présence de l’avocat et permettrait peut-être d’alléger le système.

Si les professionnels et les enquêteurs souhaitent un tel dispositif, il faut leur faire confiance, me semble-t-il. Nous devons bien voir que le domaine qui nous préoccupe ici relève essentiellement de la pratique. J’admire les gens – on en entend ici ou là – qui n’ont jamais vu le moindre procès de près, ni suivi une enquête ou assisté à un interrogatoire, et qui nous donnent des leçons, comme s’ils savaient parfaitement comment les choses se passent. (M. Jacques Mézard acquiesce.)

Ce domaine est extrêmement particulier. J’aurais tendance à dire – mais je ne veux pas aller trop loin dans ce sens – que seuls ceux qui ont connu ces situations, qu’ils se soient trouvés de l’un ou de l’autre côté de l’enquête, avocats, policiers ou prévenus, peuvent en parler en connaissance de cause. Les autres feraient mieux d’être plus prudents dans leurs propos !

J’en viens à ce qui constitue le cœur de la proposition de loi qui nous est soumise, comme l’a rappelé notre collègue Jacques Mézard dans son excellente intervention : l’assistance de l’avocat durant la garde à vue. (M. Jacques Mézard s’entretient à cet instant avec Mme Anne-Marie Escoffier.)

Monsieur Mézard, puisque je suis en train de faire l’éloge de votre discours, écoutez-moi ; vous reprendrez ensuite votre entretien avec votre voisine, dont je ne doute pas qu’il ait bien plus de charme que mes propos ! (Sourires.)

Nous sommes favorables à une extension de l’intervention de l’avocat durant la garde à vue. La simple présence de ce dernier lors des interrogatoires modifiera probablement leurs modalités. Elle garantira certainement un meilleur respect des droits de la défense dès le début de l’enquête pénale.

Cette évolution présente des avantages pour les suspects entendus, mais aussi pour les officiers de police, parce qu’elle constitue une garantie de sérieux, donc confère une valeur accrue aux dépositions ou aux éventuels aveux.

En effet, on admettra qu’un aveu a bien plus de valeur quand il est obtenu en présence d’un avocat, et non pas hors de tout contrôle, dans des conditions dont personne ne sait si elles sont, ou non, satisfaisantes. Tout le monde gagnera donc à ce dispositif, me semble-t-il.

Un aspect de cette proposition de loi me laisse toutefois sceptique, et il s'agit évidemment du plus délicat : le dispositif proposé présente la particularité de supprimer les dispositions dérogatoires concernant les formes les plus graves de la criminalité, à savoir celle qui est organisée. Aux termes du texte proposé, ces dispositions seraient réservées au seul terrorisme.

Mes chers collègues, je vous avoue que je ne comprends pas bien le sens de cette distinction. Bien sûr, le terrorisme constitue un crime épouvantable. Néanmoins, je me permets de signaler qu’il fait bien moins de victimes que les accidents de la circulation ou la traite des êtres humains, celle-ci constituant une forme de criminalité organisée !

La distinction fondamentale se situe donc entre la délinquance qui est organisée et celle qui est individuelle ou qui est organisée seulement de façon occasionnelle, par des complices.

La délinquance organisée qui caractérise nos sociétés modernes appelle forcément un mode de traitement plus prudent et mieux adapté. Je pense donc que toutes les infractions liées à la criminalité organisée, qu’il s’agisse de trafics de stupéfiants, de traite des êtres humains ou de trafics sexuels, ne peuvent être renvoyées au droit commun de la garde à vue.

Une telle évolution n’est pas souhaitable, me semble-t-il, car la particularité de cette forme de délinquance ou, le plus souvent, de criminalité, à savoir l’existence d’un réseau, exige que des précautions particulières soient mises en œuvre. Il faut l’admettre, et cela pour l’ensemble des circonstances de la délinquance organisée, et non pour une seule de ses variantes, car c’est toujours le même problème, et il est beaucoup plus grave qu’on ne le pense parfois.

Pour le dire clairement, mais je ne m’étendrai pas sur ce point, je songe ici à certains avocats. Il faut éviter la diffusion de certaines informations qui intéressent le réseau concerné. Nous devons éviter des « fuites » qui permettraient de faire disparaître des éléments de preuve, de préserver des complices, d’alerter le réseau. Tout cela est extrêmement grave : il y va de l’efficacité même de la lutte contre la délinquance organisée, déjà si difficile à combattre, d’autant qu’elle est transnationale.

Certes, les actes des terroristes resteraient placés hors du droit commun, mais cette disposition est nettement insuffisante. Les membres de mon groupe sont donc favorables au maintien d’un régime dérogatoire instaurant une période de secret pour les actes relevant de la criminalité organisée.

Toutefois, mes chers collègues, je poserai une question, en apportant peut-être en même temps une réponse : est-il possible d’éviter un tel système dérogatoire en posant le principe selon lequel, au stade de la garde à vue, l’avocat d’une personne relevant éventuellement d’une délinquance organisée ne pourrait pas être choisi par le suspect mais serait désigné par le bâtonnier sur une liste de défenseurs pouvant être commis d’office ?

Ce système serait pratiqué en Espagne dans les affaires concernant l’ETA, paraît-il. Je demande que l’on y réfléchisse, car il permet peut-être de garantir que les avocats soient sûrs, ce qui n’est pas acquis en un temps où ceux-ci se comptent par dizaines de milliers et où leur profession peut être embrassée si facilement…

Pour conclure sur un aspect plus technique, il paraît légitime d’attendre que se concrétisent les propositions de réforme formulées sur ce thème par le Gouvernement, parce qu’elles sont imminentes – j’espère qu’elles le sont effectivement, madame le garde des sceaux ! –, afin de nous prononcer en pleine connaissance de cause.

C'est pourquoi nous suivrons, pour notre part, les conclusions de M. le rapporteur. Je remercie d'ailleurs mon excellent collègue François Zocchetto de la qualité de son rapport. Celui-ci aura apporté des éléments utiles à une réflexion qui s’annonce encore longue, mais qui, de grâce, ne devrait pas l’être trop ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la présente proposition de loi a pour objet de permettre à la personne placée en garde à vue, lorsqu’elle le demande, d’accéder immédiatement à un avocat et d’être auditionnée en la présence de celui-ci, et ce dès le premier interrogatoire.

Comme l’a souligné récemment M. le Premier ministre, et comme l’ont rappelé la plupart des orateurs qui m’ont précédé, la mise en garde à vue, loin de rester une décision grave et, par conséquent, exceptionnelle, s’est banalisée dans des proportions inquiétantes : en 2001, on comptabilisait 336 718 gardes à vue, contre 577 816 en 2008,…

M. Laurent Béteille. … soit une augmentation extrêmement importante. Je précise que les gardes à vue de courte durée représentent environ les trois quarts du total.

Nous pouvons nous interroger sur l’effet de certains critères qui, comme d’autres orateurs l’ont rappelé à cette tribune, visent à évaluer l’efficacité des services de police en fonction du nombre des gardes à vue. Ont-ils suscité davantage ces mesures ? Qualifie-t-on désormais de gardes à vue certaines présences au commissariat qui, autrefois, étaient passées sous silence ? Je l’ignore. Quoi qu'il en soit, le nombre de gardes à vue que je citais à l’instant est anormal, et nous devons nous interroger à ce sujet.

L’article unique de la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard et de certains autres membres du groupe du RDSE permet à la personne mise en cause, quand elle en fait la demande, y compris sur commission d’office si c’est nécessaire, d’être immédiatement assistée par un avocat et entendue en la présence de celui-ci lors de la première audition, dont il est précisé qu’elle sera différée jusqu’à l’arrivée du défenseur.

Tout d'abord, je ne suis pas persuadé que cette mesure permettrait de réduire le nombre des gardes à vue en tant que telles. En revanche, elle risque plutôt d’entraîner leur prolongation ! Quelle que soit son efficacité, elle doit donc s’intégrer dans un mécanisme plus complet, susceptible de réduire le nombre des gardes à vue, ce qui n’est pas le cas, me semble-t-il, de la présente proposition de loi.

En outre, ce dispositif ne prévoit pas que l’avocat disposera aussitôt du dossier de son client, et cela en raison de difficultés matérielles. Nous touchons là, me semble-t-il, au problème fondamental de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue, qui, à mon avis, est moins lié aux contraintes de l’horloge qu’aux possibilités d’action de l’avocat.

Lorsque j’exerçais cette profession – je remercie d'ailleurs Pierre Fauchon d’avoir souligné que ceux qui se trouvaient dans ce cas, et nous sommes plusieurs ici, étaient les mieux placés pour donner leur avis sur ces questions –, il m’est arrivé d’être appelé à une heure impossible de la nuit, de devoir me rendre à soixante-dix kilomètres de mon domicile et de voir la personne placée en garde à vue s’éveiller difficilement à mon arrivée pour me demander ce que je pouvais faire pour elle et ce que contenait son dossier. Elle s’imaginait pouvoir être un tant soit peu défendue, mais telle n’était pas la réalité !

Je l’interrogeais pour savoir si la garde à vue s’était déroulée dans les conditions légales, mais, au fond, mon rôle était non pas celui d’un avocat, mais plutôt celui d’une assistante sociale « améliorée », et encore ai-je un doute quant à ce dernier qualificatif !

Le dispositif dont je faisais l’expérience il y a encore dix ans était donc véritablement insatisfaisant et il faut reconnaître que, malgré quelques avancées, il l’est resté ! Pour l’améliorer, car tel est le problème que nous avons à résoudre, nous devons certes prévoir que l’avocat puisse être présent beaucoup plus tôt, mais surtout – ce point me semble essentiel – faire en sorte qu’il dispose des procès-verbaux, qu’il sache de quoi il est question et qu’il puisse concourir utilement à l’œuvre de justice, au bénéfice de son client.

Il est vrai qu’un problème de déontologie se pose, comme certains orateurs l’ont souligné. Nous ne l’ignorons pas, et nous devons être vigilants sur ce point.

Je suis convaincu que les barreaux le sont également et ont pris des précautions en la matière, lesquelles doivent peut-être être réaffirmées pour faire en sorte que tout se passe conformément à ce que nous sommes en droit d’attendre.

Mais, d’un autre côté, dans un certain nombre de domaines comme celui de la criminalité organisée, il est également vrai qu’il nous faut être prudents quand nous faisons évoluer notre législation.

À l’instar de certains de mes collègues, j’estime donc que la réflexion doit être non seulement approfondie mais aussi complète. Notre collègue Jean-Pierre Michel a indiqué tout à l'heure que la réforme à venir justifiait plus encore l’adoption des dispositions qui nous sont ici proposées. Mais il faut être cohérent et mener concomitamment les deux réflexions : quitte à revoir les dispositions relatives à la garde à vue, autant le faire à l’occasion de l’examen du futur projet de loi, car nous risquons sinon de voter aujourd'hui des dispositions qui seront en décalage avec le droit de demain.

Je rejoins la position exprimée tout à l'heure par M. le rapporteur : il nous faut vraiment avoir cette réflexion d’ensemble. Certes, il est urgent d’agir, mais pas dans n’importe quelles conditions. La méthode qui nous est proposée par notre excellent rapporteur est la bonne. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons déjà discuté, ici même, voilà quelques semaines, de la question de la réforme de la garde à vue.

Or, à toutes nos propositions, qui étaient constructives et, me semble-t-il, nécessaires, un même argument nous a été opposé : la Chancellerie préparait un projet de réforme globale de la procédure pénale, comprenant notamment de nouvelles dispositions relatives à la garde à vue. Nous ne disposions pas alors d’éléments suffisants nous permettant de nous faire une idée de l’orientation du texte qui allait nous être présenté.

Je le répète, nous avons formulé plusieurs propositions, dont le principe d’une présence effective de l’avocat dès le début de la garde à vue, qui est aujourd’hui le cœur même de la proposition de loi que nous examinons. Mais nous ne nous arrêtions pas là ; nous avions également demandé que notre droit s’aligne sur une jurisprudence aujourd’hui établie de la Cour européenne des droits de l’homme à propos, par exemple, de l’élargissement de la gamme des interventions de l’avocat au cours de la garde à vue ou de la nécessaire restriction de la garde à vue aux crimes et délits les plus graves, afin d’en limiter le recours, devenu, ces dernières années, tristement banal.

Il nous restait donc à attendre le projet du Gouvernement pour savoir, enfin, s’il avait pris en compte les exigences formulées par la Cour européenne des droits de l’homme. Aujourd’hui, nous disposons de cet avant-projet de réforme de la procédure pénale, et je puis vous assurer, madame le ministre d’État, que je l’étudie depuis une quinzaine de jours. (Mme Alima Boumediene-Thiery brandit l’avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je vous en félicite !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je dois tout de même vous avouer que je suis déçue, s’agissant notamment des dispositions relatives à la garde à vue.

Les articles 327-1 à 327-29 de votre avant-projet témoignent, je vous l’accorde, d’une volonté de changement, singulièrement de réforme de notre système de la garde à vue. Je n’ai d’ailleurs jamais douté de votre engagement en ce sens, et je vous en donne acte. Je reconnais également le travail considérable réalisé. Vous avez su répondre à une demande très forte émanant non seulement des parlementaires, mais également des acteurs de la justice, au premier chef les avocats, qui se sont largement mobilisés sur cette question.

Cependant, cet avant-projet de loi, qui est certes encore soumis à concertation, reste, me semble-t-il, insuffisant.

Vous disposiez de tous les éléments de nature à vous permettre d’engager une réforme acceptable et conforme aux attentes du monde judiciaire. Or le résultat est encore loin de donner toute satisfaction, en dépit, je le concède, d’avancées, qui restent timides.

La limitation du recours aux gardes à vue pour les crimes et délits punis d’une peine d’emprisonnement constitue une avancée intéressante, mais celle-ci me semble déjà quelque peu datée.

En effet, il n’existe plus aujourd'hui de délits qui ne soient pas punis d’une peine d’emprisonnement. Dès lors, votre proposition n’apporte pas grand-chose face à l’explosion dramatique du nombre de gardes à vue enregistré ces dernières années.

Concernant la présence de l’avocat dans le régime de droit commun de la garde à vue prévu par le projet de réforme, il convient d’admettre plusieurs avancées par rapport au droit actuel.

Outre l’entretien « classique » d’une demi-heure déjà prévu par le droit actuel au début et en cas de renouvellement de la garde à vue, vous ouvrez la possibilité, pour l’avocat, de s’entretenir avec son client au terme de la douzième heure, conformément d’ailleurs aux préconisations du rapport Léger. L’avocat pourra également recevoir une copie des procès-verbaux des auditions réalisées au cours des vingt-quatre premières heures et assister à ces mêmes auditions si la mesure de garde à vue est renouvelée après vingt-quatre heures.

Alors, oui, il faut le reconnaître, toutes ces avancées sont intéressantes, mais elles demeurent insuffisantes.

En effet, qu’est devenu le droit de garder le silence ? Il a disparu de votre projet de réforme ! (M. Jacques Mézard opine.)

Quant à la présence effective de l’avocat dès le début de la garde à vue, cela suppose que celui-ci puisse exercer, dès le début, « toute la vaste gamme » des droits de la défense, selon les termes mêmes de la Cour européenne des droits de l’homme. Le conseil doit non seulement pouvoir s’entretenir avec son client, mais également assister aux interrogatoires et accéder au dossier pénal. Si vous ne reprenez pas ces exigences, cette réforme n’aura servi qu’à toiletter une procédure qui demeurera contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour ce qui concerne les régimes de garde à vue applicables au crime en bande organisée, au trafic de stupéfiants et au terrorisme, nous constatons qu’il n’y a pas de réelle avancée. L’avocat continuera d’intervenir à la quarante-huitième heure pour ce qui concerne les crimes commis en bande organisée et à la soixante-douzième heure en matière de terrorisme, la seule différence notable étant une intervention moins tardive – de soixante-douze heures, nous passons à quarante-huit heures – pour ce qui concerne les trafics de stupéfiants.

Vous le voyez, madame le ministre d’État, nous avons passé au crible votre avant-projet de réforme, et c’est en connaissance de cause que nous pouvons conclure que cette modification mineure ne changera pas grand-chose.

En effet, ces différents régimes dérogatoires demeurent contraires à la Convention européenne des droits de l’homme, puisque la Cour européenne des droits de l’homme exige la présence de l’avocat au début de la garde à vue, et ce indépendamment de la gravité de l’infraction retenue.

Madame le ministre d’État, j’ose espérer que cet avant- projet de loi évoluera, grâce à la concertation, vers une meilleure prise en compte des exigences européennes, notamment des principes découlant des droits de la défense, dont nous avons longuement parlé ici. J’ose également espérer, en toute sincérité, que la concertation qui devrait aboutir dans quelques semaines permettra d’apporter à votre texte toutes les modifications nécessaires, pour ne pas dire fondamentales, pour le rendre acceptable.

Au vu de ces éléments, la proposition de loi de Jacques Mézard pose un principe important, celui de la présence immédiate de l’avocat, même si notre collègue n’en a pas, il est vrai, tiré toutes les conséquences pratiques pour ce qui est de la procédure.

Ainsi, il serait dommage qu’une garde à vue soit annulée si l’avocat refuse d’assister à l’audition au motif, par exemple, qu’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants pour assurer la défense de son client. Sur ce point, la proposition de loi reste muette.

Même si une réflexion d’ensemble et approfondie doit être engagée, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une excellente proposition de loi, qui permet de rappeler, avec force et vigueur, une exigence fondamentale : nous devrons, tôt ou tard, intégrer dans notre droit l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue.

À cette exigence d’urgence, il faudra ajouter l’exigence d’efficacité et d’effectivité. Mais nous reviendrons sur cette question le 25 avril prochain, lors de l’examen de la proposition de loi portant réforme de la garde à vue du groupe socialiste.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous pourrons alors continuer de débattre et prolonger notre réflexion, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait ! C’est le droit d’initiative parlementaire ! Tout ce travail sert !

Mme Alima Boumediene-Thiery. … car c’est essentiel.

En tout état de cause, nous soutiendrons cette proposition de loi, car nous considérons qu’elle constitue une première étape vers une réforme plus approfondie, que nous devrons assumer ensemble dans les plus brefs délais et, surtout, dans le respect des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame le ministre d'État, mes chers collègues, en montant les marches qui conduisent à cette tribune, je pensais vous dire : « Que d’hypocrisie ! »

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Vous parliez de vous ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Mais vous connaissez ma bienveillance, madame le ministre d’État, monsieur le rapporteur… Aussi ne le dirai-je pas ! (Nouveaux sourires.)

Car enfin, notre collègue et ami Jacques Mézard a été couvert d’éloges : sa proposition de loi est utile, nécessaire, précieuse…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais elle est insuffisante !

M. Jean-Pierre Sueur. … intéressante, et elle contribue de manière tout à fait remarquable au débat, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !

M. Jean-Pierre Sueur. … mais il est urgent de ne pas l’adopter !

Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, j’ai bien entendu vos propos, mais je me permets de vous rappeler, avec beaucoup de modestie, que vous avez la possibilité d’amender ce texte en vue de l’améliorer.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Avec certaines limites !

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le ministre d’État, j’ai cru voir poindre dans vos propos l’idée selon laquelle on ne saurait traiter une question aussi sérieuse et importante à la faveur d’une simple proposition de loi. Il fallait un projet de loi qui présentât…

M. Nicolas About. Toutes les garanties !

M. Jean-Pierre Sueur. … toute l’ambition requise.

En ma qualité de parlementaire, je me permettrai de contester cette sorte de hiérarchie que l’on voudrait instaurer entre les propositions de loi et les projets de loi, comme si les seconds atteignaient une dignité à laquelle les premières ne pourraient prétendre !

M. Nicolas About. Quelquefois, les projets de loi deviennent des propositions de loi !

M. Jean-Pierre Sueur. À cet égard, je me référerai tout simplement, ce qui ne vous étonnera pas, madame le ministre d’État, mes chers collègues, à la Constitution, qui prévoit que l’initiative de la loi revient, à égalité, au Gouvernement et au Parlement.

Aussi, je le répète, il serait souhaitable d’adopter la proposition de loi de notre ami Jacques Mézard, fût-elle amendée – car nous sommes là pour cela ! –, plutôt que de renvoyer perpétuellement ce texte à la commission.

M. François Zocchetto, rapporteur. Pas perpétuellement !

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai bien entendu M. le rapporteur et toutes ses arguties, mais nous connaissons ses compétences sur ce dossier. Nous sommes donc bien peinés de le voir…

M. Jean-Pierre Michel. Se contorsionner !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s’en remettra ! (M. le rapporteur le confirme.)

M. Jean-Pierre Sueur. … se contorsionner en effet pour nous expliquer qu’il est urgent de traiter cette question essentielle, mais qu’il convient de renvoyer le texte à la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Certainement !

M. Jean-Pierre Sueur. Chers collègues de droite, vous allez sans doute voter la motion tendant au renvoi à la commission, mais faites-moi l’amitié de reconnaître que vous n’êtes pas convaincus !

M. Jean-Pierre Chauveau. Si, nous en sommes convaincus !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous le dites, mon cher collègue, mais vous n’en avez pas l’air du tout !

Mme Catherine Troendle. Nous le sommes !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous savons bien qu’il n’en est rien !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est incroyable !

M. Jean-Pierre Sueur. Si j’avais eu le temps de développer mon propos, mais je ne dispose que de cinq minutes, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne vous reste qu’une minute et quinze secondes, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. … j’aurais pu évoquer l’arrêt John Murray c. Royaume-Uni, du 8 février 1996, qui a affirmé le principe de l’assistance obligatoire d’un avocat dès le début de la garde à vue, ou encore l’arrêt Salduz c. Turquie, du 27 novembre 2008, qui, je ne l’ignore pas, a donné lieu à quelques querelles d’interprétation, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui, comme d’habitude !

M. Jean-Pierre Sueur. … et je me serais derechef référé à l’arrêt Dayanan c. Turquie, du 13 octobre 2009, qui précise que l’équité d’une procédure pénale requiert, d’une manière générale, qu’un suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès son placement en garde à vue. De plus, la Cour européenne des droits de l’homme décrit, dans ce même arrêt, l’ensemble des diligences que l’avocat doit librement exercer lors de son intervention en garde à vue : « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention ».

J’aurais terminé par l’arrêt Savas c. Turquie, du 8 décembre 2009, dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme a considéré, d’une part, que la renonciation au droit d’être assisté d’un avocat devait être faite de façon non équivoque et, d’autre part, que, même si l’on pouvait contester les déclarations faites sans assistance d’un avocat devant une juridiction, l’impossibilité de se faire assister par un avocat en garde à vue nuisait « irrémédiablement », et je cite ici l’adverbe utilisé par la Cour, aux droits de la défense.

Par conséquent, mes chers collègues, nous ne pouvons pas continuer à être en infraction par rapport au droit tel qu’il a été dégagé, et à tant de reprises, par la Cour européenne des droits de l’homme.

Même si elle peut être améliorée – encore une fois, nous sommes là pour cela ! –, il faut adopter la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard. C’est une question de droit, de justice, d’équité et de conformité à toutes les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Puissions-nous être entendus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec grand plaisir que je vais répondre à vos différentes interventions.

Je remercie Mme Anne-Marie Escoffier à la fois du travail qu’elle a entamé sur le projet de réforme de la procédure pénale et de la façon dont elle a présenté le dossier.

Il est vrai que deux questions se posent : celle de la présence de l’avocat et celle des conditions de la garde à vue. Sur ce dernier point, la seule réserve que je formulerai est relative à l’image de notre pays.

Je suis la première à le dire, dans un certain nombre de cas – trop fréquents ! –, les conditions dans lesquelles s’effectue la garde à vue ne sont pas tolérables, les mauvaises conditions matérielles et le manque d’hygiène, par exemple, portant atteinte à la dignité des personnes.

Cela dit, nous devrions aussi préciser que des avancées ont été permises grâce aux efforts de tous. Et si, dans certains lieux, les conditions ne sont effectivement pas dignes de notre pays, dans nombre d’autres elles sont parfaitement respectueuses de la dignité des personnes.

Alors arrêtons de battre notre coulpe pour tout et n’importe quoi, reconnaissons la réalité – ce que je fais – et cessons de stigmatiser systématiquement notre pays ! Nous pouvons reconnaître ce qui ne va pas, sans pour autant considérer que la situation qui est la nôtre est indigne. M. Jean-Marie Delarue en est d’ailleurs convenu lui-même : des gardes à vue s’effectuent aussi dans des conditions parfaitement admissibles. Sachons faire la différence !

Pour en terminer sur ce point, j’ajoute que la présence de l’avocat ne garantit pas, à elle seule, les conditions de la garde à vue. En effet, ce n’est pas lui qui peut changer l’état des locaux ! Il s’agit bien de deux problèmes réels et indépendants l’un de l’autre que nous devons régler parallèlement.

M. Jean Louis Masson trouve le texte insuffisant, mais il refuse le renvoi à la commission. Je n’ai donc pas très bien saisi la logique du raisonnement.

M. François-Noël Buffet distingue la nécessité de la garde à vue des conditions dans lesquelles elle s’effectue. Effectivement, à chaque fois qu’elle est nécessaire, la garde à vue doit se dérouler dans des conditions satisfaisantes.

J’ai bien noté le souhait du groupe UMP s’agissant du projet de réforme de la procédure pénale. Ce texte est important, puisqu’il comporte un millier d’articles. La partie qui est d’ores et déjà disponible en compte sept cents et couvre des sujets qui vont de la commission des faits au renvoi devant la juridiction de jugement. Nous serons sans doute amenés à le scinder. Je verrai avec les présidents des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat comment procéder pour conserver à l’ensemble sa cohérence tout en répondant aux souhaits qui ont été émis quant aux améliorations rapides à apporter.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, qui dit avoir lu l’avant-projet de réforme de la procédure pénale, affirme que les professionnels ne seraient pas très rassurés. Je n’ai pas l’impression que c’est ce qui se dessine aujourd’hui. J’ai effectivement reçu de nombreux témoignages d’inquiétude, mais avant que le texte ne soit disponible et avant même que la première phrase n’en soit écrite, ce qui laissait d’ailleurs planer quelque suspicion sur les a priori idéologiques de certains !

Mais, depuis que le texte est disponible sur Internet, les professionnels se font de plus en plus nombreux à en approuver les grandes lignes. J’en ai encore été témoin hier, quand le premier président de la cour d’appel de Paris, magistrat du siège, s’est prononcé, lui qui travaille sur le texte.

Dans la presse également, de plus en plus de professionnels, avocats ou universitaires, se félicitent du sens de la réforme même si, ce qui est normal car c’est le jeu de la concertation, ils souhaitent – tout comme moi - un certain nombre d’amendements.

L’interprétation que vous avez faite du principe de l’audition libre ne me paraît pas exacte. J’y reviens donc.

L’audition libre est réservée aux infractions peu graves et pour les cas où il n’y a aucun risque de disparition, ni de l’auteur, ni des preuves sur l’initiative de ce dernier. Surtout, cette audition libre est facultative, c’est-à-dire que la personne peut toujours demander à bénéficier des règles qui sont celles de la garde à vue.

S’agissant des mineurs, je vous rappelle qu’ils font l’objet de dispositions particulières.

Le cas du terrorisme est également spécifique, comme la Cour européenne des droits de l’homme elle-même le reconnaît, et peut donner lieu à des dispositions particulières.

Quant à la question prioritaire de constitutionnalité, je vous rappelle que, dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a lui-même déclaré l’article 63-4 du code de procédure pénale conforme à la Constitution et, ce faisant, a validé la garde à vue. À cette occasion, il a également déclaré conforme à la Constitution le report de l’intervention de l’avocat en matière de criminalité organisée.

La jurisprudence constitutionnelle est donc très claire.

S’agissant de l’attitude du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme, je pensais avoir répondu à M. Jean-Pierre Michel ; mais sans doute ne l’avais-je pas convaincu...

Je vous rappelle donc que la Turquie a été condamnée en raison de l’interdiction de la présence de l’avocat pendant toute la garde à vue. Quand on veut citer un exemple à l’appui de la thèse que l’on soutient, encore faut-il le faire avec exactitude !

Dans l’avant-projet du Gouvernement, le pouvoir d’enquête est transféré au parquet, qui traitera donc 100 % des affaires – contre 97 % actuellement, ce qui ne pose en général aucun problème –, cela sous le contrôle du nouveau juge du siège, le juge de l’enquête et des libertés, qui jouira du même statut, et donc des mêmes garanties, que le juge d’instruction aujourd’hui.

Le nouveau système offrira davantage de garanties.

La présentation que vous avez faite de l’avant-projet de loi est en grande partie erronée, car, contrairement à ce que vous avez affirmé, il est explicitement prévu que l’aveu fait hors la présence d’un avocat ne pourra pas fonder à lui seul une condamnation.

De plus, la défense pourra, comme avec le juge d’instruction aujourd’hui, demander au juge de l’enquête et des libertés tout acte utile à la manifestation de la vérité.

Pour le déroulement des enquêtes, ce sont bien des garanties supplémentaires par rapport à la situation actuelle. Et, grâce à la réforme, la vérité judiciaire ne sera certainement pas établie au stade de la garde à vue. La large introduction du contradictoire apportera des garanties qui n’ont jamais existé jusqu’à présent.

Il ne faut pas faire de présentations erronées ; cela laisse entendre que vos propositions seraient inspirées par autre chose que la volonté de voir la justice rendue dans les meilleures conditions !

M. Pierre Fauchon a eu grandement raison de rappeler qu’il faut être prudent quand on ne connaît pas soi-même, par une pratique de terrain avérée, les réalités, les difficultés et les besoins.

Je ne reviens pas sur le fait que l’aveu fait hors la présence de l’avocat ne pourra pas fonder à lui seul une condamnation. Cela figure dans l’avant-projet de loi.

Vous avez évoqué l’idée d’une « mini » garde à vue par rapport à l’audition libre. Nous avons réfléchi à un certain nombre de points et nous aurons l’occasion d’y revenir, mais je ne voudrais pas que nous retombions dans les lourdeurs de la procédure de la garde à vue.

Notre idée est d’aller vite, de trouver une procédure qui soit la plus légère et la moins traumatisante possible pour les petits problèmes. C’est pourquoi nous avons renoncé au système envisagé initialement au profit d’une version plus light, si vous me permettez l’expression, réservant la garde à vue et les garanties qui s’y attachent aux situations plus graves.

Je vous remercie d’avoir réaffirmé que des régimes dérogatoires sont nécessaires pour la grande criminalité et le terrorisme. Je note votre idée de désignation de l’avocat par le bâtonnier. C’est ce qui se fait en Espagne pour tout ce qui est lié au terrorisme. J’ignore les réactions des uns et des autres sur ce point ; je serai à l’écoute du débat que nous ne manquerons pas d’avoir.

M. Laurent Béteille, fort de son expérience, a lui aussi montré combien il était important, pour préparer un texte, d’avoir une connaissance concrète et pratique de toutes les phases de la procédure. C’est la raison pour laquelle je souhaite la concertation la plus large, afin que les praticiens nous fassent également part de leurs analyses.

Je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir appelé au respect de la déontologie par les avocats. Elle est respectée dans la grande majorité des cas, mais, malheureusement, il subsiste toujours des exceptions...

Vous avez eu raison d’insister sur toutes les conséquences concrètes qu’aurait la proposition de loi, notamment le risque d’allongement de la durée des gardes à vue en raison de la nécessité de reporter les auditions jusqu’à l’arrivée des conseils. Une telle mesure peut avoir des conséquences en termes de coûts budgétaires et de libertés publiques, d’où l’importance d’avoir une vraie discussion sur le sujet.

Je félicite Mme Alima Boumediene-Thiery de s’être plongée dans les sept cent vingt-cinq articles de l’avant-projet et d’en avoir tiré un certain nombre de conclusions.

Sachez, madame le sénateur, que, si j’ai choisi d’élaborer un projet de loi, c’est bien pour qu’il soit amendé et qu’aucun point ne soit laissé dans le flou. Je n’ai nullement l’intention d’ignorer certaines questions.

Les régimes dérogatoires seraient contraires à la position de la Cour européenne des droits de l’homme, dites-vous. C’est inexact, puisque celle-ci a déjà reconnu que de tels régimes pouvaient être nécessaires en matière de terrorisme et de grande criminalité.

Je trouve votre vote en faveur de la proposition de loi de M. Mézard peu cohérent avec votre constat que nombre de questions sont laissées en suspens. Cela étant, je ne vous taxerai pas d’hypocrisie.

En revanche, monsieur Sueur, il est quelque peu hypocrite d’affirmer que nous voudrions ajourner toute décision en la matière, alors que, je l’ai dit très clairement, le projet de loi sera déposé avant l’été, et de prétendre que nous refuserions de faire bouger les choses quand l’avant-projet comporte des modifications sensibles, comme cela a été reconnu, y compris sur vos travées. Il y a également une certaine hypocrisie à soutenir que ce texte serait bouclé, alors que jamais autant de temps n’avait été donné à la concertation et que tout article est susceptible d’être amendé.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est aussi le cas pour le texte de M. Mézard !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. De même, il est hypocrite de préconiser l’adoption de la proposition de loi de M. Mézard au seul motif que la commission et le Gouvernement s’y opposent, alors que vous lui trouvez de nombreuses insuffisances, au point que cela vous amène à présenter un texte différent…

M. Jean-Pierre Sueur. Non ! Cette proposition de loi peut très bien être amendée !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il y a enfin une certaine hypocrisie, monsieur Sueur, à dénoncer une élaboration de la loi par petits bouts, qui conduirait à une incohérence générale, tout en soutenant une proposition de loi alors que votre groupe en a déposé une autre sur le même thème à l’Assemblée nationale…

M. Jean-Pierre Sueur. Vous discréditez toutes les propositions de loi !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Chacun entend présenter son propre texte !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous mettez en cause l’initiative parlementaire !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Pour assurer la cohérence de la législation, il convient d’adopter un texte qui reprenne tout de zéro, en refondant intégralement la procédure.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous niez l’initiative parlementaire ! L’incohérence vient du Gouvernement !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Ultime hypocrisie, monsieur Sueur, vous avez cité l’arrêt Murray du 8 février 1996,…

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … lequel a donc été rendu bien avant 2001, année qui a vu un gouvernement de gauche déposer un projet de loi sur la garde à vue dont les dispositions s’appliquent aujourd’hui, avec les conséquences que l’on connaît. Ce texte ne visait-il pas à tenir compte de cet arrêt ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai cité dix décisions !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il est temps, à mon sens, d’essayer de travailler ensemble, dans la transparence et un certain climat de confiance, avec pour seul objectif d’élaborer le meilleur texte possible au bénéfice de nos concitoyens. Il n’est pas question pour moi d’établir une quelconque hiérarchie entre propositions et projets de loi : j’ai enseigné le droit constitutionnel pendant un certain nombre d’années ! La seule différence, c’est qu’un large projet de refondation générale permet de garantir davantage de cohérence et de visibilité, donc une plus grande certitude sur le droit applicable à l’ensemble de nos concitoyens.

Je souhaite que ce projet prenne en compte toutes les améliorations que le Sénat et l’Assemblée nationale pourront y apporter. Nous ferons ainsi, les uns et les autres, le meilleur travail possible en notre qualité de législateurs, au nom du peuple français, mais surtout pour le peuple français ! (Applaudissements prolongés sur les travées de lUMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue
Demande de renvoi à la commission (fin)

M. le président. Je suis saisi par M. Zocchetto, au nom de la commission, d'une motion n° 1 tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, la proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue (n° 208, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Cette motion a été défendue lors de mon intervention dans la discussion générale.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, contre la motion.

M. Jacques Mézard. Je viens d’entendre parler de cohérence et d’hypocrisie…

Cependant, à écouter les différents intervenants, il m’a semblé que cette proposition de loi marquait tout de même un progrès par rapport à la situation existante.

Chers collègues de la majorité, ma proposition de loi est moins – oserai-je le mot ? – « libertaire » que celle qui a été déposée à l’Assemblée nationale le 21 décembre 2009 par trente et un députés UMP, dont MM. Aeschlimann, Balkany, Clément, ancien garde des sceaux, et Goasguen, tendant à instituer la présence immédiate de l’avocat lors de la garde à vue. Je vous en cite l’exposé des motifs :

« Il s’avère donc indispensable de modifier notre législation afin qu’elle se conforme aux principes du procès équitable énoncés par les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

« De plus, la réforme proposée permettrait d’éviter que soient utilisées des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire subi sans l’assistance d’un avocat.

« Enfin, cette évolution positive de notre législation en la matière ne ferait qu’aligner la France sur la position des démocraties voisines, qui, pour la plupart (Allemagne, Espagne, Suisse), autorisent l’assistance de l’avocat pendant les interrogatoires ainsi que son accès au dossier de la procédure. »

Quant aux régimes dérogatoires, cette proposition de loi prévoit de tous les supprimer…

M. Jean-Pierre Sueur. C’est complètement incohérent !

M. Jacques Mézard. Où est la cohérence, où est l’hypocrisie ? Je constate simplement que nous avions, pour notre part, pris une voie qui nous semblait raisonnable…

M. Jean-Pierre Sueur. Réaliste ! C’est une avancée !

M. Jacques Mézard. Certes, notre proposition de loi n’est peut-être pas parfaite, mais j’ai le sentiment qu’un certain nombre de textes votés ces derniers mois ne l’étaient pas davantage !

M. Jean-Pierre Sueur. La taxe carbone, par exemple !

M. Jacques Mézard. Selon moi, mieux vaut voter un texte qui représente un progrès, plutôt que de le renvoyer aux calendes grecques ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le Gouvernement est favorable à la motion.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Je voudrais rassurer M. Mézard : dès mercredi prochain, nous poursuivrons notre travail sur la réforme de la garde à vue, avec l’examen d’une proposition de loi sur ce sujet qui a été déposée par Mme Boumediene-Thiery. Le travail que vous avez fourni nous sera sans aucun doute très utile.

M. Jean-Pierre Sueur. Cette proposition de loi sera-t-elle également renvoyée à la commission ?

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.

Je rappelle que l’avis du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 163 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l’adoption 183
Contre 157

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue
 

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

M. Jean Louis Masson. Tant dans cette enceinte qu’à l’Assemblée nationale, les parlementaires ont, à de nombreuses reprises, déploré la carence du Gouvernement en matière de publication des décrets d’application des lois votées.

Récemment, la presse a évoqué la question des numéros de téléphone surtaxés, sujet sur lequel nous avions délibéré en 2004. Je regrette vivement que le Gouvernement ne réponde même pas aux questions écrites qui lui sont adressées sur ce thème et qu’il fasse preuve d’une totale désinvolture. Six ans après le vote de la loi, la moindre des choses serait que les décrets d’application soient publiés.

M. Guy Fischer. C’est du mépris !

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.

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Dossier législatif : proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires
Discussion générale (suite)

Interdiction du Bisphénol A

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à interdire le bisphénol A dans les plastiques alimentaires, présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues du groupe RDSE (n° 595, 2008-2009, n° 318).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires
Article additionnel avant l'article unique

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, utilisé depuis quarante ans dans de très nombreux domaines, le bisphénol A est une molécule de synthèse qui entre dans la composition de certains récipients à usage alimentaire comme les biberons, des revêtements de boîtes métalliques ou encore du petit électroménager.

Produite aujourd’hui dans le monde à raison de 3 millions à 4 millions de tonnes par an, cette molécule agit comme un perturbateur endocrinien, dont les premiers effets toxiques pour la santé ont été détectés il y a plus de vingt ans déjà.

Depuis lors, sa responsabilité a été mise en cause dans de nombreuses maladies telles que l’obésité, le diabète, les troubles du comportement, les dysfonctionnements thyroïdiens, la diminution de la fertilité, les cancers du sein et de la prostate. Elle aurait également des effets néfastes sur le développement du cerveau des fœtus et des nouveau-nés, population particulièrement à risque. Des effets nocifs sur l’intestin viennent en outre d’être découverts.

Au fil des études qui lui sont consacrées, la liste des méfaits du bisphénol A continue décidément de s’allonger. Loin d’être rassurantes, les études scientifiques se suivent et sont toujours plus alarmantes, démontrant, s’il en était encore besoin, qu’il est urgent de quitter le champ scientifique pour entrer enfin, madame la ministre, dans celui du politique et de la prise de décision responsable.

C’est véritablement dans cet esprit de responsabilité, pour susciter un débat politique, au sens le plus noble du terme, que s’inscrivent le dépôt et l’examen par le Parlement français, pour la première fois, d’une proposition de loi visant à interdire l’introduction du bisphénol A dans la composition des plastiques alimentaires.

Par ce texte, nous n’entendons pas seulement répondre aux inquiétudes des scientifiques et des médecins, ainsi qu’à la préoccupation grandissante de nos concitoyens ; nous posons aussi un acte citoyen et politique, dans la mesure où nous demandons au Parlement, et en premier lieu au Sénat, de faire un choix et de prendre une décision politique.

Je parle bien d’une décision politique et non d’une décision scientifique, puisque l’unanimité scientifique n’existe pas. En matière de santé publique, comme dans tous les autres domaines, ce sont bien les politiques qui décident, et non les scientifiques, n’est-ce pas, madame la ministre ? (Mme la ministre approuve.) Les scientifiques nous livrent des expertises, les politiques décident en responsabilité. Les vérités scientifiques ont toujours un caractère partiel ; c’est le propre de la science. Aujourd’hui, les scientifiques nous disent, avec certitude pour les uns, avec des doutes pour les autres, qu’il existe de sérieux risques – pour ne pas dire plus – pour la santé de l’homme, particulièrement pour les bébés et les enfants à naître.

De telles mesures, fondées sur le principe de précaution, ont d’ailleurs été adoptées par plusieurs pays. Le Canada envisage d’interdire le bisphénol A, notamment dans les biberons et les gobelets pour enfants, à la suite d’études qui ont mis en évidence l’omniprésence de ce composé chimique dans notre environnement et sa dangerosité. Je pense également aux six plus gros fabricants de biberons américains, qui ont renoncé, au début de 2009, à commercialiser les biberons au bisphénol A.

Plus récemment encore, l’agence sanitaire américaine, la Food and Drug Administration, qui avait déclaré le bisphénol A sans danger en 2008, a conclu, sur la foi de récentes études, à des effets potentiels sur le cerveau et sur la prostate des bébés et des fœtus, et a émis des recommandations adaptées pour les nourrissons, en conseillant le recours exclusif à des biberons sans bisphénol A.

En France, un avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, rendu public le 5 février dernier, fait état d’« éléments nouveaux » et de « signaux d’alerte » après une exposition in utero et postnatale.

Des centaines d’expérimentations animales et d’observations chez l’homme, justifiant que les autorités sanitaires sortent de leur attentisme, ont montré les répercussions du bisphénol A sur la santé. C’est ainsi qu’une étude réalisée en janvier 2008 auprès de 2 500 Américains a révélé des traces de ce produit chez 93 % des sujets. La population qui absorbe quotidiennement des aliments contaminés, même à de faibles doses, est totalement imprégnée. Les études scientifiques alarmantes ne cessent de se multiplier. Récemment, deux études américaines ont démontré que les fœtus seraient déjà exposés au bisphénol A dans le ventre de leur mère.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Yvon Collin. La première, menée à partir de cellules extraites du placenta de la mère, a permis d’établir que le bisphénol A est capable de traverser aisément le placenta pour se retrouver dans l’organisme du fœtus et qu’il serait responsable de problèmes de croissance de celui-ci, de naissances prématurées, mais aussi de fausses couches.

La seconde étude, menée auprès de 249 femmes enceintes, a mis en évidence les effets du bisphénol A chez les enfants qui y ont été exposés en phase prénatale. Les résultats de cette étude montrent en effet que les filles les plus exposées au bisphénol A au stade fœtal étaient plus susceptibles d’avoir un comportement agressif et hyperactif à l’âge de deux ans.

Plus récemment, le professeur Patrick Fénichel, endocrinologue au centre hospitalier universitaire de Nice, a réalisé des dosages dans le sang du cordon ombilical d’une centaine de bébés et trouvé du bisphénol A dans 90 % des échantillons.

Enfin, je rappelle que le bisphénol A possède une structure proche de celle du distilbène, produit qui, administré aux femmes enceintes dans les années soixante et soixante-dix, a été à l’origine de nombreuses malformations.

Ce sont toutes ces raisons qui nous ont poussés, plusieurs de mes collègues du RDSE et moi-même, à déposer, en juillet dernier, cette proposition de loi visant à interdire le bisphénol A dans la fabrication des plastiques alimentaires, et pas seulement dans celle des biberons.

D’ailleurs, je tiens à souligner, particulièrement à l’adresse de M. le rapporteur, que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien, présent dans notre environnement depuis quelques décennies, qui peut toucher tous les nouveau- nés, qu’ils soient nourris au biberon ou pas. Aussi l’interdiction des biberons à base de bisphénol A n’est-elle pas suffisante pour protéger les bébés.

Par conséquent, madame la ministre, il faut agir vite, sans attendre nécessairement d’avoir une preuve scientifique. Lorsque ces enfants arriveront à l’âge adulte, il sera sans doute trop tard. Il s’agit d’une mesure de santé publique prioritaire. Les doutes sérieux que nous avons aujourd’hui doivent nous convaincre de prendre nos responsabilités, et ce en application du principe de précaution.

C’est le fondement même de ce principe, contenu dans la Charte de l’environnement, laquelle a valeur constitutionnelle depuis 2005 : responsabiliser l’individu à défaut d’anticiper et de prévenir des risques qui restent impossibles à vérifier dans le présent, mais dont la réalisation future est susceptible d’entraîner un préjudice sérieux et généralisé.

En effet, l’absence de certitudes ne doit pas retarder l’adoption de mesures visant à prévenir un risque de dommages graves, parfois irréversibles. Dans le cas du bisphénol A, les preuves ne manquent pas.

Considéré par certains comme un frein à l’innovation, le principe de précaution définit l’attitude que doit observer toute personne qui prend une décision concernant une activité dont on peut raisonnablement supposer qu’elle comporte un danger grave pour la santé ou la sécurité des générations actuelles ou futures, ou pour l’environnement.

Cela va à l’encontre d’un développement irréfléchi. De nombreux drames humains se sont produits du fait de la non-application ou de l’inexistence du principe de précaution. Si ce dernier avait été respecté, les tragédies du sang contaminé et de l’hormone de croissance n’auraient pas eu lieu.

Il en va de même pour l’amiante, dont l’usage en France n’a été interdit qu’en 1997, au prix d’un combat très rude contre les industriels du secteur, bien que ses dangers aient été reconnus dès 1906. Pendant des décennies, en dépit de tout ce que l’on savait de la toxicité de l’amiante, on a continué à en mettre partout. Pourtant, au début du siècle, on enregistrait déjà un grand nombre de décès parmi les travailleurs de l’industrie de l’amiante. Les dégâts provoqués sur la santé ont été soigneusement étudiés et dénoncés dès les années soixante, en particulier aux États-Unis, de telle sorte que ni les industriels concernés ni les pouvoirs publics ne pouvaient les ignorer.

Cette catastrophe sanitaire aurait pu – aurait dû – être évitée. Mais ni les industriels, ni les pouvoirs publics, ni les institutions de prévention n’ont joué le rôle de veille sanitaire qui aurait dû être le leur. Chacun supporte la responsabilité de ce scandale de l’air contaminé. Encore aujourd’hui, ce poison tue dix personnes chaque jour en France, et 100 000 personnes mourront à cause de l’amiante d’ici à quinze ans. Personne n’est à l’abri de ce fléau.

Pour toutes ces raisons, nous n’avons pas le droit de faire preuve d’attentisme, de rester les bras croisés face à un nouveau fléau sanitaire.

S’agissant du bisphénol A, il est intéressant de noter que les instances de sécurité sanitaires, que ce soit aux États-Unis, au Canada, au Japon, dans l’Union européenne ou en France, ont d’abord toutes conclu à l’absence de risque pour les consommateurs, y compris les nourrissons.

Mais, dès avril 2008, le Canada a annoncé sa volonté de classer ce produit comme substance toxique pour la santé humaine et nuisible à l’environnement. Le ministre de la santé canadien a en effet déclaré qu’il valait mieux jouer la sécurité que d’avoir des regrets. Les pouvoirs publics ont jugé, dans le cadre de leur obligation de gérer les risques, qu’il était préférable d’interdire le BPA, même si les données scientifiques ne l’imposaient pas.

Madame la ministre, voilà tout juste un an, en réponse à des députés qui réclamaient l’application du principe de précaution, vous aviez déclaré, lors d’une séance à l’Assemblée nationale, que des études « fiables concluaient en l’état actuel de la science à l’innocuité du bisphénol A ». Vous faisiez référence à l’étude menée en novembre 2008 par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui évaluait les estimations d’exposition à moins de 30 % de la dose journalière tolérable.

Pourtant, à cette époque, il existait près de 670 études internationales répertoriées, qui, dans leur grande majorité, ne laissaient plus aucun doute quant aux effets toxiques de cette substance chimique. Madame la ministre, pourquoi ne pas avoir pris en considération l’ensemble de ces études ?

Quand les agences sanitaires affirment qu’il n’y a pas de preuve avérée s’agissant de l’homme, est-ce une raison pour attendre et ne rien faire, alors qu’il existe de multiples preuves chez l’animal ? D’autant que ce qui est mauvais pour l’animal ne peut, me semble-t-il, être bon pour l’homme ! Ne faut-il agir qu’à partir du moment où l’on a une certitude, au risque d’aboutir à une catastrophe sanitaire ?

Il est pourtant de votre responsabilité – et de la nôtre aussi – de prendre des mesures de protection sans attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. C’est un devoir envers nos concitoyens et les générations futures. Nous devrions toujours accorder la primauté aux prévisions pessimistes. C’est là l’humilité de la sagesse. Il s’agit non pas de contrer le progrès médical ou technologique, mais de l’encadrer en adoptant des mesures de précaution. Nous devons être les gardiens de l’humanité et exiger le risque « zéro » en matière sanitaire.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Yvon Collin. C’est la conception du philosophe allemand Hans Jonas, selon laquelle « face à l’indétermination qui caractérise notre monde et à l’incertitude à l’égard du futur, nous devons dorénavant assumer nos responsabilités face à l’avenir, c’est-à-dire face aux générations futures. Il faut se tenir responsable par avance même pour l’inconnu, c’est là, devant le caractère incertain de l’espérance, justement une condition de la responsabilité agissante. »

Pour cette raison, notre éthique de la responsabilité doit renouer avec la prudence antique, dont Aristote disait « qu’elle faisait de celui qui la pratique non pas un peureux, mais au contraire un valeureux ».

Malgré les alertes de nombreux scientifiques, d’ONG de défense de l’environnement et d’associations, malgré les décisions de plusieurs maires de retirer des crèches les biberons contenant du bisphénol A, malgré les diverses interventions de parlementaires tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, le Gouvernement n’a toujours pas choisi d’appliquer le principe de précaution pour cette substance toxique, qui est pourtant au cœur d’un vif débat sanitaire.

Madame la ministre, en juin dernier, vous affirmiez dans cet hémicycle qu’une collectivité, ici ou là, pouvait interdire le bisphénol A, mais que cette mesure n’était absolument pas fondée scientifiquement.

Pourtant, récemment, vous n’avez pas hésité à recourir à plusieurs reprises à ce même principe de précaution.

Tout d’abord, s’agissant de l’émetteur à ultrasons « Beethoven », vous avez déclaré que « nous ne disposons d’aucune étude sur son effet. […] Puisqu’il s’agit d’une question de santé, le principe de précaution doit être mis en œuvre. »

Ensuite, face au risque de grippe A, vous avez affirmé clairement, malgré de très nombreuses critiques, qu’il fallait pratiquer le principe de précaution. Cette dernière recommandation est pourtant loin d’être fondée sur des études sanitaires aussi concluantes que les études menées dans le monde entier sur le bisphénol A.

La question du bisphénol A est un problème de santé publique très important, qui concerne la quasi-totalité de la population. La contamination se fait dès le stade fœtal pour se propager jusqu’à l’âge adulte et sur plusieurs générations. Il y a donc urgence. C’est pourquoi nous vous demandons, mes chers collègues, de voter cette proposition de loi.

L’homme politique, homme d’action par nature, est toujours impatient que la science lui offre la connaissance des moyens et des conséquences, mais il sait à l’avance que la science ne le délivrera jamais de l’obligation de choisir, parce que les dieux sont multiples et les valeurs contradictoires.

C’est bien pour cette raison qu’il nous appartient aujourd’hui, mes chers collègues, de choisir en conscience. Aussi, j’en appelle à l’éthique de responsabilité de chacun d’entre vous pour que vous apportiez votre soutien à cette proposition de loi tendant à interdire la présence du bisphénol A dans la composition des plastiques alimentaires. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le bisphénol A est un composé chimique synthétisé dès la fin du xixe siècle et présent depuis plus de quarante ans dans de nombreux produits, y compris dans notre vie quotidienne. Constituant de base du polycarbonate et des résines époxydes, il est notamment utilisé en contact alimentaire dans les biberons, les bouteilles, les canettes, les fûts ou les boîtes de conserve.

Le BPA est fabriqué, commercialisé et contrôlé dans le respect des règles sanitaires en vigueur, particulièrement prudentielles dans l’Union européenne. L’ensemble des agences sanitaires l’ont ainsi évalué et l’Autorité européenne de sécurité des aliments a fixé une « dose journalière admissible » de 0,05 milligramme par kilogramme de poids corporel.

Pourtant, certaines études scientifiques remettent aujourd’hui en cause la pertinence de l’approche toxicologique classique adoptée jusqu’alors. En effet, le BPA fait partie d’une famille de molécules très variées, les perturbateurs endocriniens, qui sont reconnues par le corps humain comme des hormones naturelles et influent en conséquence sur le système hormonal, soit en mimant certains effets, soit en bloquant certains récepteurs hormonaux. De ce fait, ils ont des incidences potentielles, encore mal mesurées, sur la reproduction, le développement des cancers hormono-dépendants, le métabolisme ou le comportement. Ils pourraient même avoir des effets, à dose faible voire très faible, en se surajoutant aux hormones naturelles.

Dans ces conditions, on peut légitimement se demander si l’approche toxicologique classique, tendant à définir une dose journalière tolérable, reste adaptée. Est-il toujours pertinent de fixer cette dose plafond pour refléter l’incidence sanitaire de ces perturbateurs endocriniens ?

La réponse est encore incertaine et, dans ce nouveau contexte scientifique, toutes les agences sanitaires ont rapidement réagi et abouti à des conclusions similaires. Pour sa part, l’AFSSA a rendu un nouvel avis sur le BPA en janvier dernier. Elle y évoque des « signaux d’alerte » et des « effets subtils sur le comportement », mais elle précise également que « la méthodologie des nouvelles études ne permet pas d’interprétation formelle des données qui remettrait en cause les précédentes évaluations du risque sanitaire ». Elle annonce enfin qu’elle souhaite définir rapidement une nouvelle méthodologie.

À l’échelon international, l’autorité européenne rendra un nouvel avis en mai prochain et plusieurs rencontres d’experts sont programmées courant 2010.

C’est dans ce contexte que nous examinons la proposition de loi tendant à interdire l’usage de tout plastique alimentaire contenant du BPA que vient de nous présenter M. Yvon Collin.

Que faut-il en penser ?

Tout d’abord, sur le plan technique, la rédaction de cette proposition de loi soulève quelques difficultés juridiques, notamment en termes de compatibilité avec le droit international et communautaire, d’autant qu’un dispositif du même ordre existe déjà dans le code de la consommation : le Gouvernement peut, par arrêté, suspendre la mise sur le marché d’un produit, procéder à son retrait ou le détruire « en cas de danger grave ou immédiat ».

Pour autant, il semble légitime que le Parlement prenne position sur cette question qui inquiète nos concitoyens. Toutefois, il aurait peut-être été préférable d’utiliser la voie nouvelle, ouverte par la dernière révision constitutionnelle, d’une résolution, plus adaptée au sujet, car non normative.

Sur le fond, j’observe que le champ d’application de la proposition de loi – l’interdiction totale des plastiques alimentaires contenant du BPA – est extrêmement vaste, ce qui pose trois séries de questions.

Premièrement, par quel produit remplacer à court terme le BPA, dont l’usage est très fréquent ? Des difficultés d’approvisionnement pourraient en effet créer des troubles non négligeables pour les consommateurs.

Deuxièmement, ces produits de substitution ont-ils été eux-mêmes suffisamment évalués ? Il ne s’agirait pas que le remède soit pire que le mal !

Troisièmement, une interdiction aussi générale excéderait, dans les faits, les données des études scientifiques qui la sous-tendent, lesquelles ont identifié deux facteurs de risque déterminants : le chauffage intense du produit, qui favoriserait la dissémination du BPA dans les aliments, et la vulnérabilité des bébés, dont le système hormonal est encore immature.

Dans son avis du 2 mars dernier, l’AFSSA indique d’ailleurs qu’une période critique d’exposition correspond à celle du développement des systèmes nerveux et reproducteur, c’est-à-dire in utero, via la femme enceinte, et jusqu’à l’âge de trois ans.

C’est pourquoi, au vu de l’ensemble de ces éléments, la commission des affaires sociales s’est déclarée défavorable à l’adoption en l’état de ce texte. Elle a considéré qu’il était nécessaire de pouvoir prendre en compte précisément les derniers éléments scientifiques et a, en conséquence, déposé un amendement visant à suspendre la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A, jusqu’à ce que l’AFSSA se prononce en fonction de la nouvelle méthodologie qu’elle prépare.

Si nous votions cet amendement, la France serait le premier pays au monde à prendre une telle mesure, puisque le Canada, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, n’a pas encore appliqué l’interdiction, que les autorités fédérales ont pourtant annoncée depuis presque deux ans.

M. Yvon Collin. Ce serait tout à notre honneur !

M. Gérard Dériot, rapporteur. Par ailleurs, notre commission a incité le Gouvernement à amplifier les mesures qu’il a déjà engagées pour diminuer l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens. En effet, la multitude des sources d’exposition et des substances incriminées justifie de mettre en place une politique globale, incluant notamment un meilleur étiquetage, un dialogue avec les industriels et le développement de la recherche pour mieux évaluer les effets des produits et pour en trouver d’éventuels substituts.

En outre, il est essentiel de lancer des campagnes de communication, à la fois destinées à l’ensemble de la population et ciblées sur des catégories particulières, comme les femmes enceintes, pour diffuser les bonnes pratiques d’utilisation.

En conclusion, je souhaite insister sur le fait que le bisphénol A n’est que l’un des perturbateurs endocriniens et que les plastiques alimentaires ne constituent que l’une des sources d’exposition humaine. Le Gouvernement a d’ailleurs demandé à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, une expertise collective portant sur cinquante-cinq produits. Les résultats de cette expertise seront rendus en mai prochain en ce qui concerne le BPA et à l’automne 2010 pour les autres substances.

Dans le même souci, notre commission a saisi l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques d’une étude sur l’impact sanitaire des perturbateurs endocriniens.

Je propose enfin, même si je suis conscient des limites de l’exercice, que le Gouvernement remette au Parlement un rapport faisant le point sur les mesures qu’il a prises et sur celles qu’il envisage à ce sujet.

Madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat écoute, le Sénat agit, et il continuera de suivre cette question essentielle en termes de santé publique pour les années à venir, sans pour autant céder à des impulsions qui ne seraient pas fondées sur des éléments scientifiques suffisamment documentés.

La vigilance est nécessaire, mais elle ne doit pas obérer les avantages du progrès : si le principe de précaution est légitime, il doit constituer une réponse adaptée, car la précipitation pourrait, au final, se révéler de mauvais conseil.

C’est pourquoi je présenterai, au nom de la commission des affaires sociales, deux amendements sur ce texte, dont l’un prévoit de suspendre la commercialisation des biberons contenant du bisphénol A jusqu’à publication de l’avis de l’AFSSA. Les résultats des expertises actuellement en cours devraient en effet nous permettre de préciser nos connaissances sur la question. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord vous dire qu’en tant que ministre chargée de la santé, j’ai constamment prêté une attention particulière au problème du bisphénol A. J’ai saisi l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments dès 2008, ce qui a abouti à la publication de deux avis rassurants, en octobre et en novembre 2008. J’ai ensuite demandé à l’AFSSA de poursuivre une veille extrêmement attentive sur ce sujet. Dans ce cadre, l’Agence a émis un nouvel avis, le 29 janvier 2010, ainsi qu’un avis complémentaire ce mois-ci, à ma demande. Comme sur les autres sujets de santé publique et de sécurité des consommateurs, je resterai vigilante, et je vous affirme que toute mesure pourra être envisagée en fonction des résultats disponibles.

Ainsi que vous l’avez indiqué, messieurs Collin et Dériot, le bisphénol A, ou BPA, est un produit entrant dans la fabrication du polycarbonate et de résines.

Le polycarbonate est largement utilisé dans des objets au contact des aliments et des liquides : biberons, vaisselle, récipients destinés aux fours à micro-ondes et boîtes pour la conservation des aliments.

Les résines, quant à elles, font l’objet de deux types d’emploi. Elles sont utilisées en tant que revêtement de surfaces, notamment dans les canettes, les boîtes de conserves, ainsi que dans certaines canalisations d’eau, les conteneurs d’eau potable et les cuves à vin. Elles assurent également l’étanchéité de récipients en verre, ce qui garantit la salubrité de l’aliment.

Je tiens à souligner que le caractère de perturbateur endocrinien du BPA a été connu dès le début de son utilisation. Il a cependant toujours été considéré comme sans conséquences sanitaires, en raison de la très faible migration du contenant, dans lequel il se trouve, vers le contenu, qui est consommé.

Toutes les études scientifiques qui ont été réalisées à ce sujet confirment cette très faible migration du bisphénol A dans les contenus. Elles montrent en effet que la quantité de BPA qui peut être trouvée dans les solides ou les liquides avec lesquels il est en contact est largement inférieure à la dose journalière tolérable, ou DJT, définie par l’Autorité européenne de sécurité des aliments.

Quel que soit le mode d’alimentation, l’exposition des nourrissons est très inférieure à cette dose journalière tolérable. Cependant, des publications récentes, dont la méthodologie – j’insiste sur ce point – ne permet pas d’interprétation scientifique formelle, font état de « signaux d’alerte » après une exposition in utero et postnatale de rats, et ce à des doses inférieures à la dose journalière tolérable. À ce propos, je souligne que les expériences auxquelles s’est référé M. Collin ont été réalisées sur des bébés rats, et non, bien entendu, sur des bébés humains !

M. Yvon Collin. Bien sûr !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Les conséquences qu’emportent ces signaux d’alerte sur la santé humaine ne sont donc pas avérées à ce stade, d’autant que le métabolisme du bisphénol A est extrêmement différent chez le rat et chez l’homme.

Par ailleurs, selon les données de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, le biberon n’est qu’une des sources d’exposition des nourrissons au bisphénol A, la source la plus importante étant le lait, qu’il soit maternel, par le biais de l’exposition des femmes aux produits alimentaires en contact avec du BPA, ou maternisé, par le biais du bisphénol A utilisé notamment pour assurer l’étanchéité des boîtes contenant la poudre de lait.

Ainsi, non seulement l’interdiction des biberons contenant du bisphénol A ne réduirait que très partiellement l’exposition à cette molécule, mais surtout nous n’avons aucun élément tangible permettant d’affirmer que cette exposition constitue un risque sanitaire réel pour la population.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient, au sujet de toute mesure d’interdiction concernant ce produit, de longuement peser les bénéfices et les risques, et ce pour plusieurs raisons.

Première raison, il existe un risque de contentieux à l’échelon européen, mais également international. En effet, la mise en jeu de la clause de sauvegarde, permettant à un État membre de l’Union européenne de suspendre ou de restreindre provisoirement l’utilisation sur son territoire d’un matériau destiné à entrer en contact avec des denrées alimentaires, implique que le danger pour la santé humaine soit démontré. Or l’AFSSA parle de signaux d’alerte, et non de risques avérés, et recommande d’acquérir des données. Cela n’est pas suffisant pour constituer une motivation circonstanciée d’interdiction de substances légalement autorisées à l’échelon européen. Toute interdiction, fût-elle de niveau législatif, encourt donc un risque très élevé d’annulation en cas de recours contentieux.

La deuxième raison, à mon sens beaucoup plus importante, est l’inconnue qui pèse sur les substituts des produits contenant du bisphénol A, en dehors des biberons en verre, comme M. le rapporteur l’a excellemment souligné. L’évaluation de l’innocuité de ces substituts est en effet beaucoup moins avancée que celle du bisphénol A. Il ne faudrait donc pas, pour reprendre l’expression utilisée par M. Dériot, que le remède soit pire que le mal, si tant est d’ailleurs que ce mal existe.

Dans les mois et les années à venir, nos connaissances sur les perturbateurs endocriniens vont progresser, et je fais accélérer les programmes de recherche dans ce domaine.

Elles progresseront d’abord sur le plan national. En mai 2010, l’INSERM rendra ses conclusions concernant l’ensemble des perturbateurs endocriniens, dont le BPA. En outre, l’AFSSA réalise une étude d’imprégnation en bisphénol A dans la population française. Les premiers résultats concernant les femmes enceintes seront disponibles dans trois mois, et la totalité des résultats sur un panel représentatif de la population le seront dans un délai de dix-huit à vingt-quatre mois.

Nos connaissances vont également rapidement progresser à l’échelon international. Ainsi, l’Autorité européenne de sécurité des aliments rendra un nouvel avis en mai 2010. L’étude de la FDA, susceptible de permettre une certaine extrapolation des données recueillies chez le rat à l’homme en termes de pharmacocinétique, devrait être disponible au printemps 2010. Qui plus est, l’Organisation mondiale de la santé réunira ses experts sur ce thème en octobre prochain. Les résultats des études de toxicité chez les rongeurs de la FDA devraient être disponibles en 2012.

Chacun l’aura donc bien compris : sur cette question sensible, il est indispensable de fonder nos décisions sur des éléments objectifs, ce qui suppose de se donner un peu de temps pour réunir ces derniers.

Appliquer le principe de précaution, dont je me réclame pour avoir moi-même préparé la Charte de l’environnement lorsque j’étais ministre de l’écologie, ce n’est pas prendre des décisions d’interdiction à la moindre alerte ; c’est au contraire entourer de telles décisions des précautions nécessaires pour garantir que ce sont les bonnes.

En l’espèce, c’est au nom du principe de précaution qu’il ne faut pas interdire l’usage du BPA immédiatement, puisque les données concernant l’innocuité de ses substituts sont rares et que ces derniers pourraient être plus toxiques que le bisphénol A.

J’entends donc prendre pleinement les précautions nécessaires. Ainsi, j’ai déjà indiqué ma volonté d’élargir et d’accélérer les études en cours sur les effets réels du bisphénol A et des produits qui pourraient lui être substitués.

En outre, mes services étudient actuellement la possibilité de modifier par voie réglementaire, sur la base de l’article R. 1342-3 du code de la santé publique, la limite autorisée de migration spécifique du bisphénol A dans les aliments, actuellement fixée à 0,6 milligramme par kilogramme d’aliment.

Comme l’a demandé M. Dériot, je souhaite également diffuser largement auprès de nos concitoyens des recommandations permettant de minimiser l’exposition quotidienne au BPA par le biais des aliments.

D’abord, il faut éviter le chauffage des contenants en plastique, qui augmente la migration du bisphénol A du contenant vers le contenu. N’utilisons pas, pour le chauffage au four à micro-ondes, de récipients en plastique non prévus pour cet usage. Ne faisons pas chauffer nos aliments et nos boissons dans des récipients, y compris des biberons, en polycarbonate. Ne versons pas de boissons ou d’aliments très chauds dans les récipients, y compris les biberons, en polycarbonate.

Ensuite, il est préférable de ne pas employer de biberons en polycarbonate déjà utilisés depuis longtemps, qui présentent des rayures sur la surface ou une opacification de leur matière. En cas d’inquiétude sur l’utilisation de biberons en polycarbonate, des substituts, notamment en verre, sont disponibles dans le commerce. Il n’est pas recommandé de modifier l’utilisation des préparations ou des aliments pour nourrissons, car les bénéfices d’une alimentation équilibrée sont beaucoup plus importants que le risque potentiel lié à l’exposition au bisphénol A.

Sur cette question du BPA, nous ne saurions donc nous laisser guider par la précipitation ou l’improvisation.

Aucun pays au monde – je dis bien aucun, malgré certaines affirmations réitérées – n’a pris de mesure d’interdiction. Si cette réalité ne constitue pas, j’en conviens, une garantie absolue, elle doit cependant nous inciter à réfléchir à deux fois avant d’interdire. Actuellement, nous avons plus de questions que de réponses. Non seulement les réponses dont nous disposons sont de nature à nous rassurer, mais ma priorité consiste à en obtenir davantage avant de décider. C’est pourquoi je juge, compte tenu de l’état actuel de nos connaissances, que cette proposition de loi est sans doute, monsieur Collin, disproportionnée par rapport au risque.

J’ai toute confiance dans la sagesse, la lucidité et la hauteur de vues de la Haute Assemblée, qui saura se donner le temps de mener sa réflexion à partir d’éléments concrets et déterminants dont nous disposerons dans quelques mois. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de l’Union centriste, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’aurait jamais vu le jour si les services de l’État et de l’Union européenne avaient fait correctement leur travail.

Finalement, personne ne conteste l’existence d’un risque. Vous avez reconnu, madame la ministre, que l’AFSSA fait état de « signaux d’alerte », et j’ai été stupéfait de vous entendre dire qu’il est recommandé aux parents de ne pas chauffer les biberons en polycarbonate ou de ne pas les utiliser s’ils sont rayés ! Cela signifie bien qu’il y a un problème ! Dans ces conditions, le principe de précaution doit jouer pleinement. Sinon, à quoi sert-il ?

On ne cerne peut-être pas complètement le risque, mais l’absence de risque n’est pas non plus démontrée. Dès lors qu’il existe un danger potentiel, le b.a.-ba me semble être de prendre un minimum de mesures adéquates. Il n’est pas raisonnable de renvoyer une fois de plus la résolution des problèmes à plus tard, comme le Gouvernement en a pris la funeste habitude ! Au lieu d’entreprendre des réformes tous azimuts, M. Sarkozy ferait mieux de s’atteler à des questions de bon sens ! (Protestations sur les travées de lUMP.)

Mme Catherine Procaccia. On ne voit pas le rapport !

M. Jean Louis Masson. Le dernier argument que vous avez invoqué, madame la ministre, selon lequel il n’existe pas de substituts dans tous les cas, est absolument stupéfiant : il en existe au moins pour les biberons, qui peuvent être en verre ! Pourquoi ne pas interdire dès maintenant, dans ces conditions, les biberons contenant du BPA, sinon pour ménager des intérêts, financiers ou autres ?

Que l’on ne m’accuse pas de démagogie ! Voilà trente ans, ceux qui dénonçaient l’utilisation de l’amiante étaient considérés comme des fous furieux. J’étais alors jeune député, et je me souviens d’un ministre vociférant que les parlementaires qui soulignaient les risques de l’amiante n’y connaissaient rien, que cette matière avait toujours été employée et qu’il n’y avait pas de raison que cela cesse. On voit ce qu’il en est aujourd’hui !

De même, on nous dit maintenant que le bisphénol A est présent partout, que son utilisation comporte peut-être un danger, mais qu’il n’y a pas de raisons que l’on cesse de l’employer. Eh bien si, il y a des raisons pour que ce produit soit interdit ! La situation n’est pas claire ! La moindre des choses serait d’interdire l’utilisation du BPA au moins pour les biberons, en exigeant que ceux-ci soient fabriqués en verre, comme autrefois. (MM. Yvon Collin et François Fortassin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, de même que la réaction gouvernementale au prétendu risque de pandémie grippale,…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est reparti !

M. Guy Fischer. … place le principe de précaution au cœur de nos débats.

Apparu progressivement en France depuis l’adoption de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, confirmé en 1995 par la loi dite « Bamier » relative au renforcement de la protection de l’environnement, le principe de précaution s’est vu reconnaître, dès 2005, une place fondamentale dans notre hiérarchie des normes, avec l’intégration de la Charte de l’environnement dans notre bloc de constitutionnalité.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il me semble que vous aviez voté contre… (Sourires.)

M. Guy Fischer. Vous me titillez déjà, madame la ministre, alors que je n’ai pas encore émis de critique ! (Nouveaux sourires.)

En intégrant la Charte de l’environnement dans notre bloc de constitutionnalité, nous avons fait collectivement le choix, dans l’intérêt des femmes et des hommes de notre pays, ainsi que de l’environnement, de placer ses dix articles au même niveau que les droits de l’homme ou les principes généraux du droit.

Pour autant, ce droit, aussi important soit-il aujourd’hui, ne s’est pas construit sans heurts ni sans difficultés. Le moins que l’on puisse dire, c’est que, entre excès et inaction, ce principe n’a pas encore tout à fait trouvé sa place, particulièrement en ce qui concerne son extension à la santé publique et à l’alimentation. Et pour cause : l’application de ce principe aux problèmes sanitaires s’est toujours développée dans un contexte de crise, tout d’abord avec l’affaire du sang contaminé puis, plus récemment, avec celle de la « vache folle ».

Cette forme de construction, très différente de celle qui a pu prévaloir en Allemagne – pays d’origine du principe de précaution –, apparaît, selon le philosophe du risque François Ewald, professeur titulaire de la chaire d’assurance du Conservatoire national des arts et métiers,…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il est formellement opposé au principe de précaution !

M. Guy Fischer. … comme une « spécificité française ». Il précise que, dans ce contexte, « le principe de précaution a d’abord été entendu comme principe de responsabilité de l’État ».

Certes, l’application du principe de précaution est un exercice difficile, car il s’agit d’intervenir en situation d’incertitude.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh oui !

M. Guy Fischer. Agir de manière précipitée pourrait avoir pour conséquence d’accroître les doutes que nourrissent certains de nos concitoyens à l’égard des scientifiques. Soit dit sans chercher outre mesure à polémiquer, le manque de transparence entourant la prise de décision sur la grippe A, la multiplication des conflits d’intérêts entre experts et laboratoires pharmaceutiques ne contribuent pas à rassurer nos concitoyens.

En revanche, ne pas agir, comme cela fut le cas pour l’amiante, c’est prendre le risque de porter durablement atteinte à la santé d’un grand nombre d’hommes et de femmes. Cette réticence à agir dans ces conditions est certes compréhensible, mais contraire à l’esprit même du principe de précaution, la Charte de l’environnement précisant expressément que les autorités publiques doivent agir même si la réalisation du dommage est incertaine, y compris « en l’état des connaissances scientifiques ».

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous agissons !

M. Guy Fischer. Pour mémoire, lorsque le gouvernement britannique, en pleine crise de la vache folle, a décidé de contester l’embargo sur la viande bovine produite au Royaume-Uni, la Cour de justice des Communautés européennes a décidé « qu’il doit être admis que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées ».

Cela étant, je sais que certains estimeront – c’est le cas de la majorité des membres de la commission des affaires sociales – que, en raison de l’absence d’un consensus scientifique sur les risques liés à l’exposition au BPA pour les êtres humains, il n’y a pas lieu d’adopter la présente proposition de loi.

Pourtant, si les avis scientifiques ne sont pas encore unanimes, de nombreux collèges de spécialistes, à commencer par la société internationale d’endocrinologie, mettent en exergue l’effet potentiel des molécules de BPA sur la reproduction masculine ou féminine, sur l’obésité, sur la thyroïde ou encore sur le cancer du cerveau ou de la prostate.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit précisément au rebours d’une dérive dans l’application du principe de précaution en tant que manière rétroactive d’apprécier la responsabilité de certains décideurs.

Ce qu’il nous est proposé, c’est précisément d’agir de manière préventive, plutôt que d’attendre l’éventuelle survenue du dommage et de rechercher ensuite des responsables.

Le groupe CRC-SPG votera donc cette proposition de loi, considérant que l’interdiction de l’utilisation et de la vente du bisphénol A, ainsi que de la publicité pour ce produit, est pleinement justifiée. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un sujet d’une grande importance : la présence de bisphénol A dans les plastiques alimentaires.

Comme l’ont déjà souligné les intervenants précédents, le BPA est présent dans de très nombreux objets utilisés quotidiennement. Il se libère au contact de la chaleur –notamment dans les fours à micro-ondes –, des matières acides ou des graisses, contaminant ainsi les aliments. C’est pourquoi les scientifiques recommandent aux consommateurs de ne pas utiliser de récipients contenant du BPA pour chauffer les aliments à forte température.

Ce produit chimique présent dans les matières plastiques est considéré comme un perturbateur endocrinien, c’est-à-dire qu’il peut agir sur l’équilibre hormonal. Le BPA est suspecté d’être impliqué dans de grands problèmes de santé actuels : cancer du sein, cancer de la prostate, diabète de type 2 et obésité, pathologies de la reproduction, problèmes neuro- comportementaux, maladies cardio-vasculaires…

Ainsi, des études scientifiques permettent de soupçonner l’existence d’un lien entre la présence de BPA et les problèmes de santé. En effet, cette substance pourrait affecter le système nerveux et hormonal des fœtus, des nouveau-nés et des enfants. Par voie de conséquence, la réglementation portant sur la dose journalière admissible semble inadaptée, le seuil autorisé étant trop élevé.

C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi vise à interdire, au nom du principe de précaution, le bisphénol A dans les plastiques alimentaires. Ce texte nous interpelle, mais il n’est certainement pas parfait.

De nombreuses études, françaises et internationales, ont déjà démontré la toxicité du bisphénol A. Récemment, des chercheurs français de l’Institut national de la recherche agronomique ont démontré que le BPA diminuait la perméabilité de l’intestin, augmentant ainsi les risques de maladies inflammatoires sévères à l’âge adulte, de rétention d’eau et de douleurs viscérales. L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments reconnaît pour sa part l’existence d’« effets subtils » sur le comportement de jeunes rats exposés in utero au bisphénol A. Quant à la Food and Drug Administration américaine, elle a rendu, en janvier dernier, un avis dans lequel elle fait état d’une « préoccupation » sur les effets potentiels du bisphénol A sur le fœtus et les jeunes enfants.

Alors que le BPA est banni au Canada et commence à l’être aux États-Unis et que la grande majorité des études scientifiques font soupçonner un danger pour la santé, le gouvernement français, jusqu’à aujourd’hui, s’est toujours opposé à l’application du principe de précaution.

Ainsi, récemment, le Réseau environnement santé, le RES, qui réunit des ONG, des professionnels de santé et des scientifiques, a tiré le signal d’alarme et demandé l’interdiction du bisphénol A dans les matériaux en contact avec les aliments. Sa demande est tout à fait légitime. Les inquiétudes sont grandes parmi nos concitoyens, aussi est-il important que les autorités prennent les mesures nécessaires, afin d’offrir aux consommateurs une garantie contre l’ingestion de BPA, une attention particulière devant être portée aux nourrissons et aux femmes enceintes.

Aujourd’hui, le principe de précaution doit être mis en œuvre, car nombre d’études ont mis en évidence le danger et les incidences du bisphénol A. Je rappelle que ce principe peut être invoqué pour qu’une action soit menée face à un danger potentiel pour la santé humaine dans les cas où les données scientifiques ne permettent pas une évaluation complète du risque. Ce principe doit donc être appliqué dès lors qu’il y a un danger pour la santé publique, ce qui est bien le cas en l’occurrence.

Devant un tel risque de santé publique, différentes villes de France, dont Paris, Toulouse, Nantes, Lille ou Besançon, ont décidé d’interdire les biberons à base de bisphénol A dans leurs crèches municipales. Cette décision est intervenue après la parution d’une étude du Réseau environnement santé sur la nocivité du bisphénol A présent dans le plastique des biberons. En effet, des études menées sur des souris ont établi la toxicité de cette substance.

Dans le même temps, s’appuyant sur des études dirigées par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, Mme la ministre de la santé a affirmé que le bisphénol A ne présentait aucun risque. Ainsi, si certaines mairies, sur la base des conclusions des études du RES, ont admis l’existence d’un risque pour la santé publique et ont décidé, sur ce fondement, de procéder au remplacement de tous les biberons de leurs crèches, ces initiatives restent locales et isolées.

Par ailleurs, c’est aussi au nom du principe de précaution que le Canada a interdit, en octobre 2008, les biberons contenant du bisphénol A. Depuis, plusieurs États américains ont interdit son utilisation dans la fabrication des biberons et cinq grands industriels l’ont exclu de leur production. Ces autorités ont donc pris des mesures radicales.

C’est dans ce contexte que nous est présentée la proposition de loi tendant à interdire le bisphénol A dans les plastiques alimentaires. Curieusement, le Gouvernement, plus exactement le ministère de la santé, n’a cessé jusqu’ici de temporiser, dans l’attente d’études complémentaires devant fournir de nouvelles données. Mme Bachelot est allée jusqu’à répondre à une question sur le sujet, à l’Assemblée nationale, qu’il ne fallait pas confondre principe de précaution et principe d’émotion.

M. Gérard Dériot, rapporteur. Belle réponse !

Mme Patricia Schillinger. De plus, si l’on établit un parallèle avec la gestion de l’épidémie de grippe A, on peut trouver étrange que le principe de précaution soit appliqué largement dans un cas et avec une grande réticence dans l’autre. Ici, on observe clairement les tiraillements entre les enjeux économiques et ceux qui sont liés à la santé publique. Le Gouvernement serait-il plus enclin à appliquer le principe de précaution quand cela est favorable aux industriels ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Mais il y a de très grands industriels français qui gagneraient beaucoup d’argent à fabriquer des biberons en verre !

Mme Patricia Schillinger. Les décisions ne doivent pas être prises dans l’intérêt des industriels et au détriment de la santé de la population !

Pour ce qui est de la sécurité et de la prévention, je rejoins complètement l’avis de M. Dériot, selon lequel il ne faut pas se limiter au bisphénol A, car l’ensemble des perturbateurs endocriniens posent problème. Du fait de certaines activités humaines, ils sont présents dans l’environnement et pénètrent dans la chaîne alimentaire, où ils peuvent présenter un danger pour l’homme. Le Gouvernement doit donc amplifier les mesures visant à diminuer l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens.

Aujourd’hui, nous n’avons pas le temps d’attendre les résultats de quelque étude supplémentaire que ce soit. Des études existent déjà, et elles sont assez nombreuses pour appeler à une certaine prudence et inciter à appliquer le principe de précaution. Il faut agir au plus vite et empêcher la commercialisation des biberons contenant du bisphénol A. Des mesures doivent être mises en place rapidement, car ces biberons comportent un risque potentiel. Le bisphénol A, présent dans la plupart des biberons en plastique, peut se révéler dangereux pour la santé lorsqu’il est chauffé. De plus, ces biberons en polycarbonate sont annoncés comme « stérilisables », et subissent donc des chauffages répétés, favorisant l’extraction du BPA.

J’ajouterai que des solutions de rechange existent, puisque certains fabricants de biberons offrent déjà dans les linéaires de la grande distribution des biberons affichés « sans BPA », en verre, en polyéthylène ou autre.

Enfin, j’indiquerai que l’interdiction des plastiques alimentaires contenant du BPA doit amener à poser la question du remplacement de cette molécule. En effet, comment garantir que les nouveaux produits ne seront pas plus dangereux que celui que l’on interdit ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh oui !

Mme Patricia Schillinger. D’une manière plus globale, il convient de prévoir une réglementation plus stricte pour tous les plastiques.

En conclusion, si les pouvoirs publics n’agissent pas de manière effective et rapide, ce sont les consommateurs qui exerceront une pression telle que l’administration française n’en sortira pas grandie, alors que sa mission est de protéger les citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, de nombreuses études et publications scientifiques internationales sur le bisphénol A démontrent que cette substance chimique constitue une véritable menace pour la santé.

Je voudrais appeler l’attention sur les incohérences que j’ai pu relever dans certains propos visant à défendre l’utilisation du bisphénol A.

Vous nous avez dit, madame la ministre, qu’aucun danger avéré n’avait été démontré, mais que, par mesure de précaution, il convenait de ne pas chauffer les objets contenant du bisphénol A. (M. Jean Desessard approuve.) Or l’ensemble de la batterie de cuisine en contient ! Il sera donc difficile à nos concitoyens de suivre votre préconisation, sauf à se résoudre à ne prendre que des repas froids… Mais en principe on mange chaud, et il peut donc y avoir un danger.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le plus grand danger, c’est de se brûler en mangeant !

M. Nicolas About. Et de manger trop gras !

M. François Fortassin. J’applaudis des deux mains votre agilité intellectuelle, madame la ministre, mais vous ne m’avez pas convaincu !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je le regrette !

M. François Fortassin. Utilisez donc des arguments plus convaincants !

Je voudrais souligner une autre incohérence, apparue dans les propos de M. Dériot selon lesquels il serait impossible d’interdire le bisphénol A, faute de pouvoir produire immédiatement de façon massive des emballages de substitution pour les produits alimentaires.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !

M. François Fortassin. Mais rien n’empêche de prévoir une phase transitoire de quelques années !

En réalité, j’ai le sentiment que l’on voudrait s’en tenir pour l’heure à la protection des nouveau-nés, si précieux aux yeux de nos concitoyens – ce qui nous ramène au « principe d’émotion » que vous avez évoqué, madame la ministre –, au travers de préconisations concernant l’utilisation des biberons, celle des autres catégories de la population étant renvoyée à plus tard, faute de produits de substitution disponibles en quantité suffisante. Or je m’inscris en faux contre ce dernier argument ! Il existe, dans les Hautes-Pyrénées, une excellente entreprise, Vegeplast, qui fabrique déjà à très grande échelle des emballages alimentaires à partir de rafles de maïs. Elle a d’ailleurs été distinguée par le Sénat et pourrait développer considérablement sa production. J’ajoute que des études ont d’ores et déjà montré que cette matière première est sans danger.

M. Yvon Collin. Tout à fait !

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Et si c’est du maïs transgénique ? (Sourires.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh oui !

M. François Fortassin. La présente proposition de loi ne se fonde pas simplement sur le principe de précaution. Elle vise aussi à affirmer avec une certaine force que, à nos yeux, la sauvegarde de la santé publique doit primer sur le souci de ne pas irriter les industriels concernés.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Dites-le aussi aux viticulteurs !

M. François Fortassin. Nous siégeons ici en tant qu’hommes politiques et que citoyens, non pas en qualité de spécialistes, et encore moins en tant que défenseurs de lobbies internationaux disposant de laboratoires dont les travaux ont vocation à nous rassurer sur le thème : « Dormez tranquilles, bons Français, nous nous occupons du reste ! » (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Nicolas About. Et les viticulteurs ?

M. le président. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a examiné ce matin les amendements déposés sur la proposition de loi qui nous est soumise. À cette occasion, M. About et moi-même nous sommes demandé si celle-ci ne relevait pas plutôt du domaine réglementaire et s’il ne conviendrait pas d’invoquer plus largement l’article 34 de la Constitution.

M. Nicolas About. Tout à fait !

M. Gérard Dériot, rapporteur. C’est certain !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Si je ne l’ai pas fait, c’est par respect pour le Sénat !

M. le président. Nous y sommes très sensibles, madame la ministre !

M. Nicolas About. À l’avenir, nous le ferons. Cela nous fera assurément gagner du temps !

M. Alain Milon. Quoi qu’il en soit, la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe RDSE tendant à interdire le bisphénol A dans les plastiques alimentaires nous amène à réfléchir sur l’attitude à adopter face au principe de précaution. Cet enjeu a été exposé avec pertinence par M. le rapporteur.

Le bisphénol A est un composant chimique du polycarbonate. Que ce soit sous forme d’antioxydant, dans les plastiques et PVC, ou de résine époxyde, le BPA est présent dans notre vie courante depuis des décennies. Mais les dernières analyses sur la toxicité du composé ont largement mobilisé les services de sécurité sanitaire. Cela m’amène à dresser la liste des risques sanitaires qui ont été soulignés lors de ces études et à faire le lien avec la proposition de loi de nos collègues du groupe RDSE.

Le BPA, chacun le sait, est un perturbateur endocrinien : autrement dit, il interfère avec les fonctions du système hormonal. Si la majorité des pays avaient conclu précédemment à « l’absence de risque pour le consommateur dans les conditions d’emploi » du BPA, de nouvelles études sont revenues sur cette appréciation.

L’AFSSA, qui avait constitué un groupe de travail ad hoc, a rendu le 29 janvier un nouvel avis sur le bisphénol A. Alors qu’elle avait conclu, en 2008, à « l’absence de risque pour le consommateur », l’Agence a réévalué son avis et évoque désormais des « effets subtils » sur le comportement. Le nouveau rapport met en exergue des « signaux d’alerte », mais l’AFSSA précise qu’il n’y a pas urgence et préconise un approfondissement des recherches, principalement la mise en œuvre d’une méthodologie adaptée à la détection de toxicité des perturbateurs endocriniens.

Comme l’a indiqué M. le rapporteur, des agences de sécurité alimentaire étrangères se sont penchées sur le BPA et ont émis des avis contrastés. Cela conforte la position du groupe UMP quant à la proposition de loi : nous pensons qu’il faut attendre des avis plus certains, notamment celui que doit rendre en mai prochain l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, avant d’arrêter toute mesure radicale d’interdiction du BPA.

Il ne faut pas non plus limiter les recherches au bisphénol A. Il convient au contraire de les élargir à l’ensemble de la catégorie des perturbateurs endocriniens. Sur ce point, nous attendons les résultats de l’étude commandée par le Gouvernement à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Ces sujets doivent faire l’objet d’une mutualisation des connaissances scientifiques à l’échelle internationale.

Interdire le BPA en France n’est pas, à ce jour, la meilleure des solutions, ni la plus rationnelle. Il nous faut être vigilants sur cette question du bisphénol A, mais ne pas interdire cette substance sans disposer d’analyses précises, car nous risquerions alors de la remplacer par un autre composé chimique qui se révélerait encore plus toxique à l’avenir pour l’homme. Dans l’attente d’études plus poussées, il est préférable, d’une part, de ne pas précipiter la décision, et, d’autre part, de mutualiser les connaissances scientifiques en la matière à l’échelle internationale, afin d’atteindre un degré de précision suffisant sur les risques réels.

L’interdiction serait également une solution irrationnelle, étant donné le principe de libre-échange qui régit l’Union européenne. En effet, une telle mesure n’empêcherait pas l’arrivée sur le marché français de produits fabriqués avec du BPA dans un autre pays membre. Au contraire, elle risquerait plutôt de pénaliser le marché national, en engendrant des problèmes d’approvisionnement et des coûts de production supplémentaires liés au changement de matériau.

Toutefois, en cas de danger grave ou immédiat, le Gouvernement doit être en mesure de prendre un arrêté permettant d’interdire rapidement la production d’articles contenant du BPA. Cette possibilité doit être envisagée notamment pour la production de biberons, dont le chauffage fréquent favorise la migration du BPA vers les aliments. Un tel arrêté pourrait concerner prioritairement les nourrissons, plus sensibles car leurs systèmes neurologique, endocrinien et hépatique sont en plein développement.

À ce stade, nous ignorons l’ampleur potentielle de l’enjeu de santé publique que représente l’incidence des perturbateurs endocriniens sur le corps humain. Cependant, les conclusions des nouveaux rapports rédigés sur cette question, bien que lacunaires, nous conduisent à réfléchir à des procédures de précaution.

Tout d’abord, pour reprendre les termes de Mme la ministre de la santé, c’est un « signal d’alerte » dont il faut tenir compte. En attendant les résultats des dernières études, notamment le rapport de l’Agence européenne de la sécurité alimentaire qui doit être publié ce printemps, la première étape de la mise en œuvre du principe de précaution est de s’assurer que les recommandations émises soient bien prises en compte par les personnes concernées, afin de diminuer l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens.

Nous devons dès à présent réfléchir à des campagnes d’information afin d’alerter les femmes enceintes et les jeunes parents sur les éventuels risques liés à l’utilisation de biberons et de contenants fabriqués avec du BPA. Cette campagne doit recourir à des supports larges de communication pour sensibiliser le maximum de personnes.

La mise en place d’un site dédié au bisphénol A, présentant une information complète, serait une avancée certaine. Néanmoins, l’expérience canadienne montre qu’il risquerait d’être peu consulté. Il semble donc préférable de privilégier des campagnes sur internet ou à la télévision, préconisant, à destination d’un large public, des gestes simples de précaution.

Cette campagne d’information doit également passer par un meilleur étiquetage de la composition des contenants alimentaires. Cette amélioration doit prendre en compte les avis des consommateurs, qui soulignent le manque de clarté des informations actuellement fournies. Pour l’heure, les perturbateurs endocriniens sont regroupés sous le code européen d’identification 7, qui apparaît à l’intérieur du signe relatif au recyclage figurant sur les matériaux plastiques. Cette catégorie « divers », reprise du Canada par la Commission européenne dans sa directive 97/129/CE du 28 janvier 1997, ne permet pas aux consommateurs d’identifier clairement la présence de perturbateurs endocriniens et ne suffit pas à assurer leur traçabilité. Il convient donc de travailler à la création d’une marque distinctive pour l’ensemble des perturbateurs endocriniens.

Enfin, le principe de précaution peut être invoqué à l’adresse des fabricants de récipients en plastique à usage alimentaire pour bébés, notamment les biberons. Il s’agirait de recommander aux entreprises concernées de limiter l’utilisation du BPA et de vendre des produits n’en comportant pas. Deux entreprises françaises ont d’ores et déjà mis sur le marché, en 2009, une gamme de biberons sans BPA, afin de répondre à toutes les attentes des consommateurs.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP suivra la position de M. le rapporteur et adoptera les amendements qu’il présentera. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Dériot, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par certains membres du groupe du RDSE vise à interdire le bisphénol A dans les plastiques alimentaires.

Ce problème n’est pas tout à fait nouveau. En effet, lors du débat sur le projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, les sénatrices et sénateurs Verts avaient présenté un amendement tendant à interdire l’utilisation de ce produit, responsable de nombreuses pathologies – obésité, cancers, troubles thyroïdiens, troubles du comportement de l’enfant. Je relève que nos collègues signataires de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ne l’avaient pas voté…

M. Gérard Dériot, rapporteur. Vous êtes dur !

M. Yvon Collin. Je ne devais pas être en séance ce jour-là !

M. Jean Desessard. Cela étant, je me réjouis de leur présente démarche !

On nous avait opposé, à l’époque, qu’il était délicat de décider l’interdiction de l’utilisation de ce produit à la sauvette, au milieu d’une séance de nuit, que toutes les garanties avaient été prises, des colloques sur le sujet ayant même été organisés. Mais vient le moment où il faut avoir le courage d’agir, et vite, sans attendre que les risques signalés par les scientifiques ne touchent l’ensemble de la population. D’ailleurs, par précaution, les élus Verts de la mairie de Paris ont fait adopter un vœu tendant à l’élimination des biberons contenant du BPA dans les crèches parisiennes.

Madame la ministre, devons-nous rester les bras ballants, alors que de nombreuses études internationales concordent et démontrent les effets néfastes de ce perturbateur endocrinien sur la santé ? L’interdiction au Canada ou dans certains États américains des biberons fabriqués à base de bisphénol A n’est-elle pas une décision exemplaire pour réduire les risques de maladies au sein des populations vulnérables ? Ne prouve-t-elle pas que l’industrie est prête et que les produits de substitution existent ?

À ce propos, monsieur le rapporteur, vous avez affirmé à plusieurs reprises que les produits de substitution n’étaient pas forcément sûrs : émettez-vous des doutes sur le polyéthylène et le polypropylène ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. Il est interdit de les utiliser dans la fabrication des biberons !

M. Jean Desessard. En France, après des dénégations, la dernière étude de l’AFSSA a constaté les effets du bisphénol A sur de jeunes rats et est ainsi revenue sur la position adoptée en 2008. Pourtant, l’AFSSA ne recommande pas encore le retrait des biberons contenant du bisphénol A. Le Gouvernement, après avoir longtemps nié le problème, refuse toujours de prendre une telle décision et se borne à commander des études supplémentaires, alors que 80 % des études collectées par le Réseau environnement santé soulignent les risques liés au bisphénol A et que, désormais, en plus des études réalisées sur des animaux, des études menées sur l’homme révèlent l’existence d’un danger.

Que faut-il de plus ? On ne peut pas vouloir clore le débat dès lors que des études sont rassurantes et au contraire le poursuivre à l’infini si des études mettent en évidence un danger.

Madame la ministre, trente-quatre études ont déjà été réalisées sur l’animal, non seulement sur le rat, mais également sur la souris ou le singe, dont trente-deux démontrent des incidences nocives du BPA sur la santé. (L’orateur, gêné par un brouhaha, s’interrompt.)

M. le président. Un peu de silence, s’il vous plaît !

M. Jean Desessard. J’aimerais pouvoir me faire entendre, même si l’audience est restreinte… (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Alain Gournac. Il y a la qualité, l’UMP est là ! Par contre il n’y a pas grand monde chez les Verts !

M. Jean Desessard. Je suis d’accord avec vous, nous devrions être beaucoup plus nombreux, trente-cinq ou quarante, si j’en crois les scores de ce dimanche ! Mais cela viendra, patientez !

M. le président. Aujourd'hui, vous êtes un Vert solitaire ! (Rires et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean Desessard. Malgré les signaux d’alerte émis dans sa dernière étude, l’AFSSA estime qu’en réalité les quantités de BPA libérées seraient inférieures à la dose journalière admissible si l’on évite de trop chauffer les récipients en contenant. M. Fortassin a bien montré l’absurdité d’une telle recommandation.

Cette préconisation est totalement hypocrite, car la contamination du nourrisson peut avoir commencé avant sa naissance, pendant sa formation, par l’intermédiaire de sa mère. Or protéger la mère est aujourd’hui impossible, une enquête ayant prouvé que l’on trouvait du bisphénol A dans les urines de 94 % de la population.

Une étude réalisée aux États-Unis sur 249 enfants et 249 mères révèle que plus la mère est imprégnée de BPA, plus les enfants présentent des troubles du comportement, tels que l’hyperactivité ou l’hyperagressivité. Il ne s’agit pas seulement d’ « effets subtils », comme cela a été avancé !

Une autre étude scientifique, publiée au mois de décembre dernier, montre l’incidence du BPA sur l’être humain, en l’occurrence les femmes, notamment en cas de fécondation in vitro. Plus une femme est imprégnée de BPA, moins cette technique réussit.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Vous avez trouvé cette information sur internet ?

M. Jean Desessard. Je me documente, madame la ministre !

Je ne ferai pas d’exposé sur l’extrême faiblesse des doses susceptibles de provoquer des désordres durables. Toutefois, il me semble intéressant de noter que l’examen des problèmes qui touchent à la santé publique se heurte souvent au même mur, celui des expertises scientifiques et de leurs grilles d’analyse. Amiante, ondes électromagnétiques, éthers de glycol : chaque fois, une étude contredit l’autre ou minore les effets possibles sur la santé. Pour quelle raison, dès lors que des résultats probants sont annoncés, les études ne sont-elles pas prises au sérieux ? Il existe aujourd’hui près de 500 études scientifiques qui démontrent l’existence d’effets toxiques du bisphénol A chez l’animal à des doses qui correspondent à celles auxquelles est exposée la population humaine.

Des règles de déontologie de l’expertise doivent être définies clairement, notamment en ce qui concerne la composition des comités d’experts. Elle doit respecter le principe de l’expertise contradictoire, écarter les conflits d’intérêts et permettre l’analyse et la collecte des données scientifiques. Nous éviterions ainsi de perdre du temps dans des débats stériles où chacun défend son point de vue en se fondant sur sa propre expertise ou contre-expertise, sans que l’on progresse au regard de la protection de la santé de nos concitoyens, qui doit être la préoccupation principale.

En conclusion, les sénatrices et les sénateurs Verts voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(Mme Monique Papon remplace M. Roger Romani au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le bisphénol A est un sujet récurrent. Ainsi, il a notamment été évoqué au sein de l’Office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, par le groupe de travail relatif aux OGM du Grenelle de l’environnement, par le groupe de travail sur la prévention et la lutte contre l’obésité, ainsi que lors de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires ou des débats sur le financement de la sécurité sociale.

En 2002, l’Union européenne a décidé d’abaisser le taux autorisé de bisphénol A dans les contenants alimentaires, à la suite d’un avis de l’Agence européenne de sécurité alimentaire.

Au mois de mai 2004, à Paris, sous l’égide de l’UNESCO, des scientifiques internationaux de renom, des médecins, des représentants d’associations de protection de l’environnement ou de malades se sont réunis pour élaborer « l’appel de Paris », déclaration sur les dangers sanitaires de la pollution chimique.

Dans ce mémorandum figuraient 164 recommandations et mesures à mettre en œuvre dans le domaine de la santé environnementale, portant en particulier sur le retrait de substances chimiques cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques, dont le bisphénol A et ses dérivés.

Le 18 avril 2008, le gouvernement canadien a décidé d’interdire les biberons munis de tétines en plastique rigide fabriquées à partir de bisphénol A. Parallèlement, un rapport préliminaire du gouvernement américain estimait que le bisphénol A pourrait provoquer des problèmes hormonaux et neuronaux.

Enfin, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a été saisie de cette question et a d’ores et déjà rendu différents avis, notamment au mois de janvier dernier et au début de ce mois.

En 2009, le dossier du bisphénol A a été réexaminé par la Food and Drug Administration : il a été établi que 93 % de la population américaine était imprégnée par le BPA. Les six plus gros fabricants américains de biberons ont décidé de cesser de vendre des produits contenant du BPA. En outre, le Connecticut a interdit la production et la vente d’aliments ou de contenants comportant du BPA. Cette initiative a été soutenue, après coup, par la FDA.

Certes, ces décisions ont parfois été prises sous la pression de l’opinion publique, mais elles nous interpellent néanmoins.

Lors de la discussion, en juin 2009, du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, le rapporteur, M. Alain Milon, avait préconisé d’attendre l’obtention de données plus approfondies, voire la communication de conclusions d’études internationales, afin de dégager une position commune dans le cadre de la discussion du futur projet de loi de santé publique.

La proposition de loi qui nous est soumise, visant à interdire l’utilisation du BPA dans les plastiques alimentaires, mérite, en conséquence, quelques nuances, comme l’a souligné la commission des affaires sociales.

Il convient surtout, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la ministre, de mettre en place la nécessaire information des populations sur les bonnes pratiques concernant ces plastiques, en particulier en cas de chauffage.

Enfin, les industriels doivent s’attacher à rechercher des produits de substitution, dont l’incidence sur la santé humaine devra être précisément évaluée. D’ores et déjà, des chercheurs du New Jersey Institute of Technology ont développé un substitut du bisphénol A. Selon le professeur Michaël Jaffe, ce produit pourrait être commercialisé dans les deux ans à venir si l’industrie de l’emballage s’implique.

Je souhaite donc que les industriels français puissent se positionner sur ce segment et je soutiens la position raisonnable de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, M. Gérard Dériot, qui préconisent la suspension de la commercialisation des biberons fabriqués à base de BPA, dans l’attente des prochains avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires
Article unique

Article additionnel avant l'article unique

Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Fischer, Mmes Pasquet et David, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Avant l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Sont interdites la fabrication, l'importation, l'offre, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la mise à la vente ou la distribution à titre gratuit de plastiques alimentaires produits à base de Bisphénol A dont l'usage est destiné aux enfants en bas âge.

Un décret précise les modalités d'application du présent article.

La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Au cours de la discussion générale, nous avons expliqué pourquoi, au nom du principe de précaution, nous voterions la proposition de loi déposée par nos collègues du groupe RDSE.

Si nous avons fait le choix d’insérer cet amendement avant l’article unique de la présente proposition de loi, ce n’est nullement pour amoindrir la portée de cette dernière. Nous entendions simplement éviter que l’éventuelle suppression de l’article unique n’ait pour effet de faire tomber notre amendement.

Le présent amendement peut paraître en retrait par rapport aux propos que nous venons de tenir. En réalité, il n’en est rien : nous tirons les conséquences des travaux de la commission des affaires sociales, qui s’est majoritairement prononcée contre l’article unique de la proposition de loi, au motif que son champ d’application serait trop large et qu’il conviendrait plutôt de prendre des mesures ciblées visant certains types de produits identifiés comme présentant un risque potentiel, les biberons par exemple.

Aussi proposons-nous à la majorité sénatoriale de prendre une position claire, conformément aux recommandations de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, M. Dériot, sur l’interdiction du bisphénol A dans les plastiques alimentaires à destination des enfants en bas âge.

Nous proposons en outre qu’un décret vienne apporter des précisions quant aux modalités d’application de cette disposition.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. Cet amendement vise à interdire les plastiques alimentaires à base de BPA pour les produits destinés aux enfants en bas âge, en renvoyant les modalités d’application à un décret.

L’absence de définition précise de la notion d’ « enfants en bas âge » soulève quelques difficultés.

Surtout, compte tenu de l’état actuellement incertain des connaissances, il me semble judicieux de préférer une suspension à une interdiction, dont la levée éventuelle nécessiterait l’adoption d’une nouvelle disposition législative, selon des délais extrêmement longs.

En outre, une suspension de la commercialisation des biberons fabriqués à base de BPA, comme proposé par la commission, aboutirait au même résultat : protéger les bébés, qui constituent une population particulièrement fragile.

Je ne crois donc pas nécessaire à ce stade de prendre une mesure aussi radicale que celle qui est préconisée par les auteurs de l’amendement. C’est la raison pour laquelle je vous demanderai, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

J’indique que, dans l’attente des résultats des travaux que j’ai mentionnés dans mon propos liminaire, nous avons décidé de mettre en œuvre un certain nombre de mesures, en application du principe de précaution.

Ainsi, il a été demandé à l’AFSSA d’engager des études complémentaires de toxicité, d’évaluation des risques sanitaires et d’investigation sur toutes les sources d’exposition au BPA.

Par ailleurs, une évaluation approfondie, équivalente à celle qui est menée sur le BPA, est mise en œuvre sur les produits de substitution actuellement utilisés pour la fabrication des plastiques à usage alimentaire, afin de s’assurer que la substitution ne présente aucun risque pour la santé.

En outre, nous entendons préconiser des gestes simples de précaution, que j’ai déjà largement exposés.

Enfin, nous veillons à un examen attentif de ce dossier par les instances d’expertise européennes, en particulier l’Autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments et l’Agence européenne des produits chimiques.

En conclusion, je suis défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel avant l'article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires
Articles additionnels après l'article unique

Article unique

Sont interdites la fabrication, l'importation, l'offre, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la mise en vente, la vente ou la distribution à titre gratuit de plastiques alimentaires contenant du Bisphénol A (n° CAS 80-05-7).

Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 7, présenté par M. Dériot, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. - Rédiger ainsi cet article :

La fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de biberons produits à base de Bisphénol A sont suspendues jusqu'à l'adoption, par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, d'un avis motivé autorisant à nouveau ces opérations.

II. - En conséquence, dans l'intitulé de la proposition de loi :

Après les mots :

tendant à

rédiger ainsi la fin de cet intitulé :

suspendre la commercialisation de biberons produits à base de Bisphénol A

La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Dériot, rapporteur. Une interdiction complète des plastiques alimentaires contenant du bisphénol A présenterait des difficultés d'application extrêmement importantes, alors que les récentes études scientifiques qui la sous-tendent ont identifié deux facteurs de risque déterminants : le chauffage intense des produits et la vulnérabilité des bébés.

Cet amendement prévoit, en conséquence, l'adoption d'une mesure temporaire de suspension de la commercialisation de biberons produits à base de bisphénol A, jusqu'à ce que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments se prononce en fonction de la nouvelle méthodologie qu'elle prépare.

L’Agence a déjà engagé ses travaux en coopération avec les autres organismes sanitaires internationaux et devrait rendre ses conclusions dans les prochains mois.

La mesure proposée me paraît représenter un équilibre satisfaisant entre une nécessaire prudence et les réalités scientifiques.

Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin, Schillinger, Jarraud-Vergnolle, Le Texier, Boumediene-Thiery et Voynet, M. Muller et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Remplacer les mots :

plastiques alimentaires

par les mots :

matériel médical et de matériel de puériculture

II. - En conséquence, procéder au même remplacement dans l'intitulé de la proposition de loi.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Si vous le permettez, madame la présidente, je présenterai en même temps les amendements nos 4, 5, 6 et 3.

Mme la présidente. Je suis donc saisie des trois amendements suivants, présentés par M. Desessard, Mmes Blandin, Schillinger, Jarraud-Vergnolle, Le Texier, Boumediene-Thiery et Voynet, M. Muller et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 5 est ainsi libellé :

I. - Remplacer les mots :

plastiques alimentaires

par les mots :

matériel médical

II. - En conséquence, procéder au même remplacement dans l'intitulé de la proposition de loi.

L'amendement n° 6 est ainsi libellé :

I. - Remplacer les mots :

plastiques alimentaires

par les mots :

matériel de puériculture

II. - En conséquence, procéder au même remplacement dans l'intitulé de la proposition de loi.

L’amendement n° 3 est ainsi libellé :

Après les mots :

plastiques alimentaires

insérer les mots :

, de matériel médical et de matériel de puériculture,

Veuillez poursuivre, monsieur Desessard.

M. Jean Desessard. Je commencerai par exposer l’amendement n° 3, qui est le plus général.

Outre les plastiques alimentaires, le bisphénol A est également utilisé dans la fabrication du matériel médical et de puériculture.

Cet amendement a donc pour objet d’étendre l’interdiction de l’utilisation du bisphénol A à ce type de matériel, souvent utilisé auprès de personnes vulnérables.

En effet, on retrouve des traces de ce composé chimique dans les biberons, dans la vaisselle pour bébés, dans des prothèses orthopédiques, ou encore dans les tubes pour perfusions.

Le cas des biberons est exemplaire. La plupart des achats sont motivés uniquement par des raisons esthétiques : les biberons sont transparents, agrémentés de petits dessins. La seule utilité du bisphénol A est de rendre l’objet joli ; peu importe s’il représente un risque pour la santé.

Aujourd’hui, nous savons que des solutions sont déjà développées par les industriels. On obtient, à partir de granulés de plastique, des biberons totalement transparents, sans bisphénol A ! Depuis 1999, il existe aux États-Unis, mais aussi au Japon, des boîtes de conserve sans bisphénol A, à base d’oléorésine, mélange d’huile et de résine naturelle. L’utilisation de ce produit entraîne un surcoût de 2 centimes d’euro par boîte.

Recourir à la publicité pour indiquer la température maximale au-delà de laquelle un biberon ne doit pas être chauffé ne résoudra rien, car c’est en amont qu’il faut agir. En octobre 2009, l’étude de Braun a mis en évidence des troubles du comportement chez l’enfant de deux ans, ainsi que l’imprégnation maternelle pendant la grossesse. Par ailleurs, chez les prématurés, l’exposition au BPA est environ dix fois plus élevée que pour les enfants de plus de six ans.

Ainsi, dès leur naissance, les enfants sont déjà intoxiqués et, malheureusement, pas uniquement au bisphénol A. Nous savons qu’il est possible de mettre un terme à cette situation ; c’est donc à la source qu’il faut s’attaquer, en bannissant le bisphénol A.

En ce qui concerne l’amendement n° 4, la commission a estimé qu’il était irréaliste d’interdire le BPA dans tous les plastiques alimentaires. Si une telle mesure lui paraît disproportionnée, nous proposons l’adoption de cet amendement, qui vise plus précisément le matériel médical et de puériculture. Sont concernés, en particulier, les nourrissons, mais des scientifiques recommandent que le matériel médical soit également fabriqué sans BPA, une étude montrant une coexposition à d’autres perturbateurs endocriniens.

En ce qui concerne l’amendement n° 5, je rappelle que le bisphénol A est suspecté d’être impliqué dans les grands problèmes de santé actuels : cancer du sein, cancer de la prostate, diabète de type 2, obésité, baisse de la fertilité, problèmes neurocomportementaux.

En outre, une étude a fait état de risques d’une coexposition à d’autres perturbateurs endocriniens si le matériel médical n’est pas garanti sans bisphénol A.

L’augmentation des maladies chroniques liées aux facteurs environnementaux doit nous inciter à prendre des mesures permettant de freiner cette tendance.

Enfin, s’agissant de l’amendement n° 6, la commission des affaires sociales a évoqué le fait que « dans l’immédiat, des mesures temporaires pourraient être envisagées pour certains produits ciblés, identifiés comme présentant un risque potentiel : les biberons par exemple, car ils sont susceptibles d’être chauffés ».

Il me paraît donc nécessaire et utile d’appliquer cette interdiction, comme cela a été fait dans de nombreuses villes sous l’impulsion des Verts. C’est d’ailleurs le cas à Paris, où les biberons fabriqués à base de bisphénol A ont tous été retirés des crèches municipales.

Cet amendement va donc dans le sens des recommandations de la commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Dériot, rapporteur. Ces quatre amendements, assez proches mais parfois quelque peu contradictoires – je n’y insisterai pas –, ont trait à l’élimination du BPA du matériel médical et du matériel de puériculture.

Cependant, un problème important de définition des termes se pose : qu’est-ce que du matériel médical ? Qu’est-ce que du matériel de puériculture ? Aucune précision n’étant apportée, le champ d’application est potentiellement extrêmement vaste, des scanners aux lunettes de chirurgien, en passant par les boîtes de rangement de jouets…

À l’évidence, une extrême prudence s’impose, particulièrement en ce qui concerne le secteur médical. Par conséquent, si la question soulevée par ces amendements est tout à fait pertinente, la réponse à y apporter se révèle néanmoins beaucoup plus complexe.

Tout d’abord, les dispositifs médicaux, qui, eux, sont clairement définis dans le code de la santé publique, sont soumis à des règles sanitaires encore plus élevées que les matériaux en contact avec les aliments.

Ensuite, le fait que le polycarbonate soit parfois utilisé pour certains composants, lesquels ne sont d’ailleurs pas toujours en contact avec le corps humain, se justifie par ses caractéristiques techniques particulières. Trouver un substitut avec des propriétés équivalentes serait donc indispensable, si bien qu’une mesure d’interdiction très large, outre sa justification scientifique peu fondée, nécessiterait du temps et demanderait une évaluation tout aussi poussée que celle qui est faite en ce moment sur le BPA.

Encore une fois, ne remplaçons pas sans raison un produit, utilisé depuis très longtemps et faisant l’objet en ce moment même d’évaluations approfondies, par d’autres qui ne seraient pas suffisamment étudiés.

En définitive, j’entends ces amendements comme des appels à améliorer la recherche et l’évaluation des substances qui touchent les populations les plus fragiles, notamment les prématurés. La commission a souhaité répondre à ces légitimes préoccupations, notamment en saisissant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et en demandant au Gouvernement la remise d’un rapport.

Aujourd’hui, il ne nous semble pas raisonnable de légiférer de manière aussi radicale. C'est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur les quatre amendements proposés par M. Desessard.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Par l’amendement n° 7, la commission propose de suspendre la fabrication et la commercialisation des biberons produits à base de Bisphénol A. Je suis plutôt favorable à l’argumentation développée par M. le rapporteur.

M. Guy Fischer. C’est bien !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Néanmoins, j’émettrai deux sérieuses réserves.

Premièrement, cette proposition soulève un risque réel de contentieux au niveau européen : la clause de sauvegarde ne peut en effet être invoquée que si le danger pour la santé humaine est clairement démontré. Or l’AFSSA évoque des signaux d’alerte, et non des risques avérés.

Deuxièmement, les substituts au Bisphénol A, en dehors du verre, bien entendu, ont été beaucoup moins étudiés au regard de leurs effets en termes de sécurité sanitaire. Ainsi, le principe de précaution voudrait que l’on en reste au Bisphénol A jusqu’à ce que l’innocuité de ces substituts ait été démontrée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, étant donc partagée sur cette question, je ne peux donner, en conscience, un avis totalement favorable. Je m’en remets par conséquent à la sagesse du Sénat pour trancher dans cette affaire, tout en attirant votre attention sur la double réserve que je viens d’évoquer.

Par ailleurs, je ferai une réponse globale sur les amendements nos 3, 4, 5 et 6.

Le fait que M. Desessard propose d’élargir l’interdiction du Bisphénol A au matériel médical me pose problème, car, comme l’a souligné M. le rapporteur, il n’existe pas de définition légale du matériel médical. Il serait plus approprié d’utiliser l’expression « dispositif médical », mais je ne sais pas si elle répond exactement à l’intention des auteurs des amendements.

En outre, il convient, avant toute décision d’interdiction, de réaliser un bilan des bénéfices et des risques à en attendre. Il est des usages pour lesquels l’utilisation du polycarbonate, en raison des caractéristiques de rigidité et de transparence qu’il présente, peut être justifiée. L’interdire risque de nous priver d’un matériau par ailleurs fort précieux pour certains matériels médicaux.

Le remplacement du polycarbonate par d’autres plastiques ayant les mêmes avantages ne peut être envisagé qu’à une double condition : si la sécurité est identique et, bien entendu, si l’absence de toxicité de ces produits est prouvée.

Je prendrai l’exemple du Bisphénol S, monomère du polyéther sulfone, utilisé en remplacement du polycarbonate pour les biberons. Il a fait l’objet, en 2000, d’une évaluation par le Comité scientifique sur l’alimentation de la Commission européenne, mais celle-ci ne repose que sur quatre études de toxicité. Il conviendrait donc de réaliser des études au moins aussi poussées que celles qui ont porté sur le Bisphénol A avant de recommander un substitut au polycarbonate.

Les motifs que je viens d’évoquer sont évidemment tout à fait valables pour les matériels de puériculture. Au-delà de cette argumentation, il faut reconnaître que l’expression « matériel de puériculture » recouvre toute une série d’objets extrêmement large.

Mme Catherine Procaccia. Les poussettes !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Est ainsi considéré comme un article de puériculture « tout produit destiné à faciliter le sommeil, la relaxation, l’hygiène ainsi que l’alimentation et la succion des enfants ». Si les amendements de M. Desessard étaient adoptés, le porte-bébé, la poussette, le trotte-bébé, la table à langer, la chaise haute seraient donc interdits !

Je ne peux donc émettre un avis favorable sur ces quatre amendements, qui, au pire, sont dangereux et, au mieux, inefficaces.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote sur l'amendement n° 7.

Mme Patricia Schillinger. Le groupe socialiste votera cet amendement, bien qu’il soit véritablement a minima. Son adoption aura au moins le mérite de contraindre l’AFSSA à prendre position et à clarifier la situation.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. L’amendement de la commission, dont la rédaction est plus claire que celle que nous avions nous-mêmes proposée, vise à limiter à une simple suspension l’interdiction de la commercialisation des biberons contenant du Bisphénol A.

Il constitue certes une véritable avancée, mais nous ne pouvons que regretter que d’autres plastiques alimentaires ne soient pas pris en compte. Disant cela, je pense particulièrement aux emballages contenant ce qu’il est convenu d’appeler les plats cuisinés, lesquels peuvent être directement réchauffés au four à micro-ondes.

M. le rapporteur le souligne lui-même, l’un des facteurs à risque est le chauffage intense des produits contenus dans un récipient fabriqué à base de BPA ; c’est précisément le cas pour les produits que je viens de mentionner. À l’en croire, la seule interdiction des biberons serait suffisante. Or aujourd’hui, avec l’accélération des rythmes de vie, de plus en plus de personnes, notamment des jeunes, consomment des produits « micro-ondables » dans leur barquette d’origine. Et si l’âge est un facteur aggravant, la durée et la multiplication des expositions ne sont sans doute pas sans effet.

C’est pourquoi nous aurions préféré une interdiction plus globale, comme le préconisent nos collègues du groupe RDSE.

Néanmoins, par souci de sagesse et pour tenir compte de la discussion qui a eu lieu au sein de la commission, nous voterons cet amendement et l’ensemble de la proposition de loi ainsi récrite, car, je le répète, cela constitue une avancée certaine. (Marques de satisfaction au banc de la commission.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. L’amendement de la commission me semble plein de sagesse. Si, aujourd'hui, nous ne connaissons absolument pas les incidences en la matière, dans quelques mois, à entendre Mme la ministre et M. le rapporteur, nous saurons ce qu’il en est.

Il me paraît donc préférable pour l’instant de limiter à la commercialisation l’interdiction des biberons produits à base de Bisphénol A. J’espère que des produits de substitution seront disponibles rapidement, car nous ne saurions attendre trois mois pour interdire de tels biberons, sachant qu’à cette échéance nous serons fixés.

Si l’on en vient à découvrir que le Bisphénol A peut avoir des incidences sur la santé des enfants, au-delà de la vente de nouveaux biberons, il faudra tout de même s’interroger sur ceux qui existent déjà. Dans une famille, les biberons utilisés pour le premier enfant servent aussi aux suivants. Pour ma part, je suis totalement incapable de dire si ceux que j’ai donnés à mes enfants contenaient du BPA. Tout ce que je sais, c’est qu’ils ont également servi à mes neveux, et ainsi de suite. Aujourd'hui, ils ont sûrement disparu dans la nature, mais qu’en est-il de tous les autres ? Comment savoir s’ils contiennent du Bisphénol A ?

Si les conclusions des scientifiques sont rassurantes, le problème ne se posera pas. Dans le cas contraire, une interdiction globale devra intervenir : c’est l'ensemble du stock qu’il faudra alors gérer, et non plus les seuls biberons à la vente.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. On ne peut s’opposer à la proposition de la commission, mais force est de constater qu’elle est vraiment restrictive et minimale : restrictive, parce qu’elle semble en attente d’une sorte de franchise de l’AFSSA ; minimale, parce qu’elle va moins loin que la proposition de loi.

C’est bien de s’occuper de la non-contamination des biberons, car cela protège les bébés de la perturbation des hormones. Mais les perturbateurs endocriniens font aussi et surtout les plus grands dégâts pendant la formation de l’embryon, en raison de la contamination de la mère.

En l’espèce, ce ne sont plus les seuils, comme en toxicologie classique, qui doivent servir de guide ; des doses infimes peuvent faire des dégâts physiologiques immenses, pour peu qu’elles soient intervenues dans des fenêtres de temps précises : par exemple, durant les cinquième, sixième, septième semaines de grossesse, quand se forment les organes génitaux du petit, des contaminations risquent d’engendrer des désordres définitifs : sexe indéterminé, testicules non formés, urine sortant par un orifice à l’arrière du pénis, troubles futurs de la reproduction.

Il s’agit ici non pas de l’influence d’un perturbateur endocrinien sur la libido d’un adulte, ce qui, ma foi, serait anecdotique, mais bien d’anomalies profondes touchant des individus à naître.

Bien sûr, l’éradication, même temporaire, du Bisphénol A dans les biberons, c’est toujours cela de pris. Mais l’amendement de la commission n’est pas à la hauteur du problème, surtout au regard de toutes les études qui ont été faites.

Monsieur le rapporteur, je vous ai vu dans un reportage consacré à l’amiante.

M. Gérard Dériot, rapporteur. C’est autre chose !

M. Jean Desessard. C’est ce que l’on disait à l’époque : l’amiante ne présentait prétendument aucun danger ! Ceux qui ont refusé de l’interdire à nos industriels avançaient un double argument : d'une part, personne ne savait par quoi le remplacer ; d'autre part, une interdiction n’aurait pas empêché son importation.

Alors que, aujourd'hui, des études montrent le danger du Bisphénol A, nous reprenons les mêmes arguments que ceux qui ont été employés hier pour autoriser l’amiante ! Eh oui, encore une fois !

M. Gérard Dériot, rapporteur. De nouvelles études seront disponibles dans trois mois !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'article unique est ainsi rédigé, et les amendements nos 4, 5, 6 et 3 n'ont plus d'objet.

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Articles additionnels après l'article unique

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 2 rectifié bis, présenté par M. Fischer, Mmes Pasquet et David, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement, notamment avec le recours des agences mentionnées aux articles L. 1323-1 et L. 1336-1 du code de la santé publique, remet, au plus tard le 30 septembre 2010, sur le bureau de chaque assemblée, un rapport évaluant la nocivité pour les enfants en bas âge comme pour le reste de la population, de l'exposition au Bisphénol A contenu dans les plastiques alimentaires.

La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Avec ce second amendement, nous entendons une nouvelle fois contribuer à l’application du principe de précaution dans notre pays.

Si ce principe n’exige pas que les données scientifiques soient arrêtées, nous savons tous combien il est plus facile d’intervenir sur le plan législatif dès lors que les débats sont éclairés, à défaut d’être apaisés.

La commission des affaires sociales, et plus particulièrement son rapporteur, estime que nous ne disposons pas suffisamment d’informations. Au groupe CRC-SPG, nous partageons bien sûr cette analyse, même si nous regrettons qu’elle ne serve d’argument pour renoncer en partie à l’application du principe de précaution.

Afin de disposer prochainement – dans une limite que nous avons fixée au plus tard le 30 septembre 2010 – d’éléments complémentaires, nous proposons, avec cet amendement, de demander au Gouvernement, aidé en cela par l’AFSSET et l’AFSSA, de remettre sur le bureau de chacune des assemblées un rapport portant sur la nocivité présumée ou établie du Bisphénol A. Mme la ministre a d’ailleurs déjà répondu en partie sur ce sujet.

Mme la présidente. L'amendement n° 8, présenté par M. Dériot, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les deux mois qui suivent la publication par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale de son expertise collective sur les perturbateurs endocriniens et au plus tard le 1er janvier 2011, un rapport présentant les mesures déjà prises et celles envisagées pour diminuer l'exposition humaine à ces produits est adressé par le Gouvernement au Parlement.

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 2 rectifié bis.

M. Gérard Dériot, rapporteur. L’amendement n° 8, que j’ai évoqué lors de la discussion générale, vise à demander au Gouvernement la remise d’un rapport au Parlement, avant le 1er janvier prochain, présentant les mesures mises en œuvre pour limiter l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens. Par ce biais, nous entendons l’inciter à apporter encore plus d’informations en ce domaine.

Par l’amendement n° 2 rectifié bis, M. Fischer et le groupe CRC-SPG demandent que soit transmis au Parlement un rapport évaluant la nocivité de l’exposition au Bisphénol A contenu dans les plastiques alimentaires.

Une série d’études et d’analyses scientifiques sont en cours un peu partout dans le monde sur ce sujet. L’INSERM, ainsi que l’AFSSA ou l’Autorité européenne de sécurité des aliments, y travaillent.

De plus, plusieurs réunions d’experts sont programmées dans les mois à venir. Je pense notamment à celle qui sera organisée par le Canada en octobre 2010 avec le soutien de la FDA américaine, de l’OMS et de la FAO. L’ensemble de ces agences et organisations publiera alors des avis substantiels sur la nocivité potentielle du BPA.

Il me semble donc plus intéressant que, comme le propose la commission des affaires sociales, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la politique qu’il mène globalement pour diminuer l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens, dont le BPA.

Dans ces conditions, monsieur Fischer, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. Sinon, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je souscris à l’idée d’un rapport, qui est excellente. J’aurais eu spontanément tendance à être favorable à l’amendement défendu par M. Fischer. Toutefois, je fais miennes les remarques formulées par M. le rapporteur. Cet amendement ne vise que le Bisphénol A, or je suis tout à fait disposée à remettre au Parlement un rapport beaucoup plus vaste, dans les délais qui sont prévus par l’amendement.

Je demande par conséquent à M. Fischer de bien vouloir retirer l’amendement n° 2 rectifié bis au bénéfice de l'amendement n° 8 de la commission – commission à laquelle il appartient –, plus complet que le sien, sur lequel j’émets un avis favorable.

Mme la présidente. Monsieur Fischer, l'amendement n° 2 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Guy Fischer. Il est clair que l’amendement de M. le rapporteur est intéressant ; nous ne pouvons pas ne pas le voter. Du moins aurai-je eu le plaisir d’entendre que Mme la ministre aurait spontanément émis un avis favorable sur mon amendement. Cela figurera au Journal officiel et témoignera une nouvelle fois du travail effectué par notre groupe. (Sourires.)

Mme Catherine Procaccia. Même en l’absence de M. Autain !

M. Guy Fischer. Je le retire donc, puisque, globalement, nous sommes d’accord.

J’indique d’ores et déjà que nous voterons la proposition de loi ainsi modifiée, car elle constitue une avancée.

M. Gérard Dériot, rapporteur. Merci !

Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié bis est retiré.

La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote sur l’amendement n° 8.

M. Jean-Louis Carrère. Je prends le débat en cours de route, et une chose m’étonne parmi toutes ces amabilités. L’amendement de M. Fischer présentait le grand intérêt, au regard des craintes que suscite l’utilisation de ce produit, de prévoir la remise d’un rapport par le Gouvernement au plus tard le 30 septembre 2010.

Or dans votre amendement n° 8, monsieur le rapporteur, vous vous satisfaites d’un rapport qui serait présenté en janvier 2011 seulement. Si le risque est vraiment avéré, mieux vaudrait avancer la remise de ce rapport pour que nous puissions voter l’amendement en toute conscience.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Dériot, rapporteur. Je vous ai bien entendu, mon cher collègue. Nous souhaitons évidemment disposer d’un rapport le plus rapidement possible. Cependant, dans la mesure où le dernier colloque réunissant les différents experts mondiaux se tiendra au mois d’octobre, il paraît préférable de laisser au Gouvernement au moins jusqu’à la fin de l’année pour rendre un rapport définitif. Il ne s’agit de rien d’autre que du délai nécessaire pour le rédiger.

Sur la quantité de rapports demandés au Gouvernement, celui-là me paraît présenter un intérêt tout particulier et je ne doute pas que le Gouvernement s’attachera à nous le fournir. Il a besoin de disposer d’un maximum d’informations scientifiques pour établir le rapport le plus précis possible. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé que celui-ci soit remis au plus tard le 1er janvier 2011. Nous ne sommes plus à deux mois près !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Comme je l’avais dit lors de la discussion générale, la réunion des experts de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, se tiendra en octobre 2010. Pour faire un travail sérieux qui sera remis à votre assemblée sous la forme d’un rapport, j’ai besoin de temps. Le début de l’année 2011 me paraît un minimum !

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.

Mme Patricia Schillinger. L'amendement n° 8 est important sur le fond, car il vise l’ensemble des perturbateurs endocriniens et les mesures que les pouvoirs publics mettront en œuvre pour diminuer l’exposition humaine à ces produits.

Ces molécules agissant à très faible dose, il serait indispensable, en la matière, de revoir drastiquement les normes d’exposition journalière pour l’homme.

C’est la raison pour laquelle nous voterons cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement est adopté à l’unanimité des présents.)

Mme la présidente. Un article additionnel ainsi rédigé est donc inséré dans la proposition de loi, après l’article unique.

Vote sur l'ensemble

Articles additionnels après l'article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Bisphénol A est une substance qui entre dans la fabrication des plastiques servant de contenants alimentaires.

Isolé par de nombreuses études scientifiques comme faisant partie des perturbateurs endocriniens impliqués dans de nombreuses pathologies telles que le cancer, l’épidémie de diabète, les risques cardiovasculaires et certains cas d’obésité sévère, ce composé chimique constitue un véritable danger pour notre santé. Nous en sommes aujourd’hui convaincus, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, comme en témoigne le vote du précédent amendement à l’unanimité. C’est déjà un progrès !

Mes collègues Yvon Collin et François Fortassin, mais d’autres aussi, l’ont déjà dit : il y a urgence et des décisions doivent être prises. L’initiative de mon groupe vous y invite.

L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a, le mois dernier, reconnu qu’il y avait des signaux d’alerte. Elle a notamment recommandé de ne pas chauffer les biberons contenant du Bisphénol A.

À partir du moment où il y a un effet avéré sur le système hormonal des enfants, dont la croissance peut être perturbée et qui peuvent développer des maladies, certaines municipalités n’ont pas attendu les conclusions du débat sur le seuil de la dose journalière admissible pour prendre leur décision.

On ne peut que se féliciter de cette attitude prise au titre du principe de précaution. Certes, sur proposition de la commission, notre assemblée a préféré limiter le champ d’application de la proposition de loi à la suspension de la commercialisation des biberons fabriqués à base de Bisphénol A.

Bien sûr, nous regrettons que le texte n’aille pas plus loin et qu’il ne concerne pas l’ensemble des plastiques alimentaires, comme nous le proposions. Toutefois, nous ne pouvons que nous féliciter de cette première – et indispensable – étape.

Si le texte est en retrait par rapport à notre proposition de loi, il n’en constitue pas moins un réel progrès. En effet, n’oublions pas que les bébés, particulièrement vulnérables, sont les premières victimes du Bisphénol A. C’est aujourd’hui une certitude scientifique à laquelle il faut apporter une réponse politique.

Mes chers collègues, le groupe du RDSE votera à l’unanimité le texte tel qu’il vient d’être modifié à l’instant par le Sénat. Nous espérons que l’ensemble des groupes politiques l’adoptera également.

Nous pourrons ainsi être fiers d’être le premier pays au monde à interdire la commercialisation des biberons fabriqués à base de Bisphénol A et à reconnaître ainsi qu’il s’agit d’un grave problème de santé publique auquel la France ne reste pas – ou plus – insensible. Nous servirons alors d’exemple.

Toutefois, madame la ministre, quelles garanties pouvez-vous nous apporter concernant la volonté du Gouvernement de voir ce texte inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en vue d’une adoption rapide et définitive ? Le temps presse ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Le groupe socialiste du Sénat ne peut qu’être favorable aux initiatives qui font primer la santé des personnes sur les intérêts industriels.

Le principe de précaution doit toujours pouvoir s’appliquer lorsque des menaces sur la santé publique sont fortement suspectées.

Demander des études supplémentaires pour justifier une inertie totale n’est pas recevable lorsque de nombreuses études existantes devraient appeler à une certaine prudence. À trop attendre, le risque de voir se reproduire des drames sanitaires s’accroît nécessairement.

Ne l’oublions pas, le BPA est un perturbateur endocrinien, comme le distilbène. Ces molécules ont la particularité d’agir à très faibles doses. C’est dire s’il faut être vigilant dans la fixation de la dose journalière admissible. Elles ont un impact sur un individu mais aussi sur ses descendants.

Le BPA n’est peut-être pas le plus dangereux, mais il est vraisemblablement impliqué dans les grands problèmes de santé actuels. Il conviendrait donc que cette molécule puisse être évitée en priorité, puisqu’elle est présente quotidiennement dans notre prise alimentaire et qu’il est impossible d’y échapper.

Il faudra, bien évidemment, comme le préconise l’AFSSA, que les produits de remplacement soient soumis « à un processus rigoureux d’évaluation des risques ». Faut-il déjà le faire pour le BPA et, de façon générale, prévoir une réglementation plus stricte de tous les plastiques ?

La proposition de loi qui nous est soumise vise à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires. L’amendement du rapporteur vise à suspendre, dans un premier temps, la commercialisation des biberons contenant du BPA. Il s’agit, bien évidemment, d’une mesure a minima qui n’a de sens qu’à la condition que ce modeste premier pas amène les pouvoirs publics à réagir de manière effective pour diminuer les risques d’exposition humaine à de tels produits.

Le groupe socialiste votera le texte ainsi modifié.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. L’amendement de M. le rapporteur a complètement réduit la portée de l’excellente proposition de loi présentée par le groupe du RDSE. Malgré tout, cette dernière constitue une avancée par rapport au néant qui existait sur le BPA.

Les sénatrices et les sénateurs Verts voteront donc la proposition de loi ainsi modifiée, bien qu’elle soit restrictive et minimale.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires
 

6

Dépôt d'une question orale avec débat

Mme la présidente. J’informe le Sénat que j’ai été saisie de la question orale avec débat suivante :

N° 59 - Le 1er avril 2010 - Mme Michèle André demande à Mme la ministre de la santé et des sports de lui exposer les conclusions qu’elle tire de l’évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse, à laquelle vient de procéder l’inspection générale des affaires sociales. Elle lui demande notamment les mesures que le Gouvernement envisage de prendre pour lutter contre le taux d’échec important des moyens de contraception ainsi que pour garantir un égal accès à l’interruption volontaire de grossesse sur l’ensemble du territoire, et un meilleur choix pour les femmes des techniques utilisées.

(Déposée et communiquée au Gouvernement le 24 mars 2010 – annoncée en séance publique le 24 mars 2010)

Conformément aux articles 79, 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 25 mars 2010 :

À neuf heures :

1. Proposition de loi visant à proroger le mandat du Médiateur de la République, présentée par M. Patrice Gélard (n° 267, 2009-2010).

Rapport de M. Jean-Pierre Vial, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 325, 2009-2010).

Texte de la commission (n° 326, 2009-2010).

2. Proposition de loi tendant à autoriser les consommateurs finals domestiques d’électricité et les petites entreprises à retourner au tarif réglementé d’électricité, présentée par M. Ladislas Poniatowski et plusieurs de ses collègues du groupe UMP (n° 183, 2009-2010).

Rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 323, 2009-2010).

Texte de la commission (n° 324, 2009-2010).

À quinze heures :

3. Questions d’actualité au Gouvernement.

Délai limite d’inscription des auteurs de questions : jeudi 25 mars 2010, à onze heures.

4. Proposition de loi relative à la protection des missions d’intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive services, présentée par M. Roland Ries et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 193, 2009-2010).

Rapport de Mme Annie Jarraud-Vergnolle, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 319, 2009-2010).

5. Proposition de loi autorisant l’adoption par les partenaires liés par un pacte civil de solidarité, présentée par M. Jean-Pierre Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 168, 2009-2010).

Rapport de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 334, 2009-2010).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART