Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi tendant à assurer l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue, déposée par des membres du groupe RDSE et dont je suis cosignataire, peut apporter des éléments de solution, voire mettre un terme à un débat récurrent qui s’est subitement accéléré ces derniers temps.

En effet, certains d’entre nous ont remarqué que la presse a multiplié les titres les plus « aguicheurs » ces dernières semaines pour porter sur la place publique la problématique de la garde à vue afin d’en dénoncer tout à la fois le nombre et la nature pour en réclamer in fine la suppression.

Le 3 février dernier, le Premier ministre lui-même a annoncé un texte visant à encadrer la garde à vue en France, concluant ainsi son propos : « On ne doit pas utiliser la garde à vue à tout va ». Madame le ministre d’État, vous avez vous-même relayé ces paroles en déclarant que « les gardes à vue seront limitées aux réelles nécessités de l’enquête, garantissant la liberté de chacun en assurant la sécurité de tous », et affirmé ce faisant le caractère protecteur de la garde à vue.

Je constate donc, et je ne peux que m’en réjouir, qu’un consensus assez général semble se dégager autour de ce sujet important qui mérite sans doute mieux que les considérations émotionnelles dont certains ont usé et abusé.

Selon les sources officielles, un peu plus de 580 000 personnes ont été placées en garde à vue en métropole en 2009. Cela fait beaucoup, d’autant que, comme nous le savons tous ici, la culture de l’aveu qui prévaut largement dans notre droit pénal engendre un certain nombre d’abus, lesquels aboutissent à vicier l’ensemble de la procédure, dont l’essence même, à savoir la sanction des atteintes à l’ordre public, s’en trouve affaiblie.

Doit-on imputer ce nombre à l’échec d’une politique de lutte contre la délinquance ou est-il le résultat de la culture du chiffre née de l’application inconsidérée de la LOLF, qui a conduit à faire des mauvais choix en matière pénale ?

Je ne voudrais pas ranimer ici la bataille des chiffres. Le principe de la garde à vue, né en 1958 par inscription au code de procédure pénale, a en effet connu des évolutions au gré du contexte événementiel et sociétal qui, encadrées par le Conseil Constitutionnel, ont eu pour objectif permanent de mieux protéger le mis en cause.

Il n’en demeure pas moins que la multiplication des dérives de la garde à vue porte également atteinte, en elle-même, aux principes fondateurs de l’État de droit, à commencer par celui de la sûreté des personnes. Si en effet la garde à vue peut constituer une mesure adaptée, tel n’est pas le cas lorsqu’il est difficile de définir le chef d’inculpation, ce qui arrive souvent.

En effet, les mots ne sont pas trop forts pour dénoncer les attitudes d’humiliation morale et physique auxquelles sont trop souvent soumis les gardés à vue, comme tous les orateurs l’ont reconnu : fouilles au corps, parfois indécentes lorsqu’il s’agit de femmes, locaux sordides, manque d’eau et de sanitaires, admonestations non compatibles avec les règles les plus élémentaires de l’humanisme – le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne laisse aucun doute sur la question ! –, tandis que la garde à vue tend à devenir une « banalité ».

Tel n’est pas le cas partout, puisque dans un certain nombre de pays d’Europe – Danemark, Espagne, Italie, Grande-Bretagne – les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de l’assistance effective d’un avocat dès qu’elles sont privées de liberté. Il en va de même en Allemagne si la personne gardée à vue en fait la demande.

Cette possibilité, au reste, est parfaitement conforme à la philosophie du droit européen, comme l’a récemment montré la Cour européenne des droits de l’homme qui, à deux reprises – vous l’indiquiez tout à l’heure, madame le ministre d’État  –, s’est prononcée très clairement sur cette question, en énonçant, d’une part, que la condamnation d’un prévenu sur la base d’aveux obtenus en l’absence d’un avocat viole le paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention, et, d’autre part, qu’un accusé privé de liberté, ne pouvant avoir accès à un avocat, y compris commis d’office, durant sa garde à vue, était victime d’une violation du droit à un procès équitable.

De ce fait, le droit français n’est plus en conformité avec le droit européen : contrairement à ce qui a pu être soutenu, il n’existe pas de compatibilité de la garde à vue française avec les jurisprudences, nonobstant la circulaire du 17 novembre 2009 de la Chancellerie, qui s’est bornée à affirmer le principe de l’accès à un défenseur lors de la garde à vue.

Cette constatation a conduit le groupe du RDSE, au nom à la fois de la logique la plus élémentaire et des valeurs humanistes dont il se réclame traditionnellement, à élaborer la proposition de loi que nous vous soumettons aujourd’hui. Celle-ci vise à assurer l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue, à leur demande, y compris sur commission d’office si nécessaire, et cela quels que soient les crimes et délits constatés, à l’exception, naturellement, des actes de terrorisme, pour lesquels le dispositif actuel serait maintenu.

En effet, aujourd’hui, en France, si un avocat, qu’il agisse dans le cadre de sa permanence pénale ou soit commis d’office, est avisé de la garde à vue d’une personne mise en cause, les délais qui lui sont nécessaires pour rejoindre son client sont très variables et dépendent de divers facteurs, comme la géographie locale – vous l’avez souligné s’agissant du département dont je suis l’élue, madame le ministre d’État – ou la propre disponibilité de l’avocat.

À plusieurs reprises, j’ai discuté avec des avocats de ce problème, en particulier de la difficulté qu’ils éprouvent, sinon à disposer du dossier de la personne mise en cause, du moins à connaître exactement le grief qui est formulé contre leur client et à recevoir les informations les plus élémentaires le concernant avant de le rencontrer.

L’objet du présent texte est donc de régler définitivement le problème, tout en garantissant la sécurité juridique de la procédure judiciaire, au bénéfice, non pas seulement des personnes placées en garde à vue, mais encore des forces de l’ordre qui, ainsi, exerceront leurs missions dans les meilleures conditions possibles.

Il s’agit en outre, j’en suis convaincue, d’éviter les oppositions inutiles entre police et justice, de même qu’entre magistrats du siège et magistrats du parquet.

Mes chers collègues, nous savons combien le Sénat est traditionnellement le garant des libertés individuelles.

Mme Anne-Marie Escoffier. Je vous invite, en examinant ce texte, aujourd’hui ou demain, à confirmer cette tradition qui fait toute la noblesse de notre Haute Assemblée, plus particulièrement dans le domaine judiciaire, qui est l’un des plus sensibles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise traite d’un vrai problème, mais elle est un peu restrictive, car le dossier de la garde à vue, au sens large, aurait mérité d’être considéré dans sa globalité.

En fait, le principe de la garde à vue, s’il n’était pas dévoyé, serait tout à fait admissible. Le vrai problème, c’est que, trop souvent, la police, la justice, notamment les procureurs de la République, se servent de cette procédure comme d’un moyen de pression sur les personnes interrogées. La finalité de la garde à vue est donc complètement détournée.

Ce fait est d’autant plus grave que, dans certains cas, les modalités de la garde à vue, les conditions « d’accueil », de prise en charge des personnes dans le cadre de cette procédure sont tout à fait scandaleuses ! On ne parle pas suffisamment de ces conditions, qui sont honteuses pour un pays démocratique censé être « évolué ». Or tel est, me semble-t-il, le véritable problème que pose la garde à vue. C’est tout à fait indécent !

Certains considèrent avec condescendance les systèmes judiciaires de pays se trouvant sur d’autres continents ; je crois que nous devrions d’abord mettre de l’ordre dans notre propre pays, car cette situation est véritablement une honte !

M. Jean Louis Masson. De plus, il s’agit d’une forme de chantage car, régulièrement, la police et la justice exercent une pression sur les personnes qui sont arrêtées, en les menaçant de les mettre en garde à vue si elles refusent d’avouer. C’est tout à fait inadmissible !

Je pense que l’humanisation de la garde à vue, le fait de traiter correctement les gens placés dans cette situation sont encore plus importants que l’accès à un avocat. Cela dit, ce dernier droit est également fondamental, et j’y suis tout à fait favorable.

La commission des lois conclut que le texte doit lui être renvoyé. Je ne prétends pas que la proposition de loi qui nous est soumise soit parfaite – elle aurait mérité d’être plus consistante –, mais le mécanisme qui consiste à toujours renvoyer à plus tard, ou encore à botter en touche, me semble affligeant.

On nous affirme à présent qu’un projet de loi sera présenté, mais voilà cinquante ans que cela aurait dû être fait !

M. Jean Louis Masson. Là, on se réveille tout à coup et on nous annonce un projet de loi !

Sans remonter très loin, je rappelle que M. Sarkozy est élu depuis 2007. Gesticulant dans tous les sens, il a voulu tout réformer, mais il aurait pu réagir avant s’agissant de la garde à vue, au lieu de faire des réformes dont personne ne veut et qui lui ont valu d’être massivement désavoué lors des dernières élections régionales !

Je considère qu’il n’est pas logique de botter systématiquement en touche ; je ne voterai donc pas la motion de renvoi à la commission. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. –M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a constaté dans son rapport d’activité, en se référant aux registres des gardes à vue, principaux outils de contrôle de cette procédure, « l’augmentation constante depuis quinze ans » du nombre de gardes à vue.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre de personnes placées en garde à vue a presque doublé, passant de 276 000 environ en 1994 à 580 000 en 2009. Cette augmentation est d’autant plus éloquente que le chiffre de 2009 ne prend en compte ni les 37 500 personnes gardées à vue dans nos territoires ultramarins ni les 150 000 placements consécutifs à des infractions routières. Ce sont donc environ 800 000 personnes qui ont été gardées à vue l’année dernière.

Ce constat fait état d’une évidence et pose, en même temps, une question essentielle sur l’usage de ce dispositif. En effet, le taux d’élucidation des crimes et délits, dont vous nous avez fait part le 9 février dernier, madame le ministre d’État, est passé de 25 % à 40 % depuis 2002. Sans établir un lien direct entre ces deux séries de statistiques, et sans vouloir en tirer de conclusion hâtive, je note que l’action menée par la police et la gendarmerie dans le cadre des placements en garde à vue a permis aux services d’élucider un grand nombre d’affaires. Nous ne devons donc pas confondre le principe de la garde à vue, qui est un dispositif nécessaire, et les conditions dans lesquelles elle se déroule.

Toutefois, il est encore plus certain, aux yeux de tous, que cette procédure s’est banalisée au cours des années. Comme le rappelait le Premier ministre, le 21 novembre dernier, « la garde à vue est un acte “ grave ” qui ne doit pas être envisagé comme un élément de “ routine ” par les enquêteurs ».

C’est pourquoi il nous faut désormais contrôler qualitativement cette procédure en termes tant de respect des droits de l’individu que d’assistance des personnes par l’intervention d’un avocat.

À la suite du débat sur une question orale organisé par notre Haute Assemblée le 9 février dernier, la proposition de loi présentée par Jacques Mézard et nos collègues du groupe RDSE appelle une nouvelle fois notre attention sur les « dérives » de la garde à vue, qui viennent souvent ternir notre image d’État de droit garant des droits et des libertés individuelles, auxquels nous sommes tous attachés.

Le Président de la République s’est prononcé pour un habeas corpus à la française. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Il a souhaité, à travers cette procédure, qu’« un réel débat contradictoire » s’instaure « dès les origines du procès ». Il faut donc se féliciter, à cet égard, de la volonté affichée du Gouvernement de remettre en cause la primauté de l’aveu qui prévaut encore dans notre droit pénal.

L’avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale que vous avez soumis à la concertation, madame le ministre d’État, et dont vous avez rappelé qu’il était accessible à tous et à tout moment, notamment sur Internet, subordonne le placement en garde à vue à l’existence d’une infraction d’une certaine gravité. Le recours à la garde à vue serait limité aux crimes et délits passibles d’une peine d’emprisonnement. Cette exigence permettrait sans doute d’éviter les dérives que nous avons soulignées précédemment.

Permettez-moi de faire un bref rappel de l’état actuel de notre droit en la matière.

Les dispositions des articles 63 et suivants du code de procédure pénale définissent et organisent la garde à vue et ses conditions.

Il est ainsi prévu que « toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction » peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire « pour les nécessités de l’enquête ». La durée de cette privation de liberté est de vingt-quatre heures maximum, renouvelable une fois avec l’accord écrit du procureur de la République. Des cas spécifiques de prolongation sont prévus pour les infractions de criminalité organisée, ainsi que pour tout risque sérieux et imminent d’une action terroriste. Vous avez eu raison de dire, madame le ministre d’État, que ces dernières situations constituaient des cas spécifiques auxquels devait s’appliquer une règle spécifique.

En contrepartie de cette privation de liberté, la personne gardée à vue dispose de différents droits. Elle se voit informée de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, de ses droits et de la durée de la garde à vue. En outre, elle peut faire valoir son droit de prévenir une personne par téléphone de son placement en garde à vue et demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la procédure.

À travers l’évolution de sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé les conditions de représentation par un avocat de la personne placée en garde à vue et a condamné, dans des arrêts récents, plusieurs États membres.

Comme vous l’avez rappelé, madame le ministre d’État, « la Convention européenne des droits de l’homme est d’application directe, sa jurisprudence ne s’impose qu’aux États parties à l’affaire jugée ». Vous avez également souligné à l’instant encore, du haut de cette tribune, que la France, ayant déjà prévu la présence de l’avocat lors de la garde à vue dans les conditions du droit positif, s’était sans doute mise à l’abri d’un reproche de la Cour européenne des droits de l’homme. Cela ne doit pas nous empêcher de faire évoluer notre droit s’agissant des conditions d’intervention de l’avocat à ce stade de l’enquête de police ou de gendarmerie.

Il semble raisonnable, comme vous l’avez dit, de ne pas attendre une condamnation éventuelle pour réformer notre droit, bien que cette perspective semble aujourd’hui s’éloigner.

De plus, au regard du nombre de propositions de loi déposées sur le bureau de chaque assemblée, une réforme semble particulièrement nécessaire et urgente. Nous nous réjouissons de votre détermination en la matière, madame le ministre d’État, lorsque vous affirmez que « l’amélioration des conditions de garde à vue est une priorité dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale », une réforme que vous allez présenter et porter.

Le groupe UMP appelle votre attention sur son souhait que la garde à vue soit réformée en priorité à l’occasion de l’examen de la réforme, plus vaste, de la procédure pénale.

Le texte qui nous est aujourd’hui soumis prévoit, dans son article unique, l’assistance immédiate d’un avocat pour les personnes placées en garde à vue. Il préconise, plus particulièrement, la présence de l’avocat dès le début de la mesure de privation de liberté lorsque la personne concernée le demande. Ensuite, lors des interrogatoires, cette présence devient obligatoire, sauf renonciation expresse de l’intéressé.

Parallèlement, le comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger préconise dans son rapport le maintien du dispositif actuel, avec un nouvel entretien à la douzième heure, un accès aux procès-verbaux d’audition et une présence aux interrogatoires à partir de la vingt-quatrième heure. S’inspirant de cette préconisation, l’avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale prévoit un deuxième entretien à la douzième heure et, au-delà de la vingt-quatrième heure, la possibilité pour l’avocat, qui aura eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés, d’assister la personne durant toute la durée de la prolongation, lui permettant ainsi de « faire des observations et poser des questions ».

La présente proposition de loi va donc bien au-delà des conclusions du comité de réflexion présidé par M. Léger et de l’avant-projet de loi lui-même quant aux prérogatives conférées à l’avocat, en proposant que celui-ci ait immédiatement accès au dossier.

Cependant, pour des raisons d’ordre matériel dont il importe de tenir compte, l’accès immédiat au dossier nous paraît difficilement envisageable. Nous rejoignons pleinement la position de notre rapporteur, François Zocchetto, qui a souligné qu’ « en cas d’interpellation, particulièrement dans une enquête de flagrance, le dossier est constitué matériellement au cours de la garde à vue, l’ensemble des procès-verbaux étant rédigés et rassemblés uniquement à la fin de la mesure ». Prenant en compte ces difficultés, l’avant-projet de loi prévoit que l’avocat pourra recevoir une copie des procès-verbaux des interrogatoires, une fois ceux-ci réalisés. Cela va dans le bon sens.

C’est pour appréhender de manière globale cette réforme qu’une mission parlementaire, coprésidée par nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, sera mise en place. Il convient donc de souligner que, sur ce sujet aussi, une large consultation est aujourd’hui organisée, au sein et en dehors du Sénat. Il paraît donc judicieux de renvoyer ce texte à la commission, afin d’avoir une vue globale de ce sujet complexe tant sur le fond que sur la forme, notamment s’agissant des conditions matérielles d’exercice de leur mission par les avocats.

On nous a assez reproché de saucissonner les textes, notamment à l’occasion de la récente réforme des collectivités territoriales. Que l’on ne vienne pas nous reprocher, aujourd’hui, de vouloir intégrer ce texte à une réforme plus vaste ! Nous pourrons ainsi avoir une vision plus fine, plus générale et plus cohérente de l’ensemble de ces sujets en tout point essentiels sur le plan de la procédure pénale, puisqu’ils touchent aux libertés individuelles ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, le débat du 9 février dernier nous aura permis de confirmer, dans cet hémicycle, la gravité de la situation en matière de mesures de garde à vue. Au-delà des chiffres, nous avons fait ensemble le constat de leur multiplication inacceptable, des dérives auxquelles elles donnent lieu, de conditions matérielles souvent humiliantes et attentatoires à la dignité de trop nombreuses personnes.

Ce constat partagé, madame la garde des sceaux, nous l’avions déjà fait en 2000, s’agissant des prisons : or, sur ce dernier sujet, dix ans se sont écoulés avant que l’on aboutisse à une loi, et encore cette loi a-t-elle été votée a minima. Entre le constat partagé et l’action qui s’ensuit, il y a souvent un long délai, et un gouffre ! C’est pourquoi, en l’occurrence, nous ne saurions nous satisfaire d’un simple constat.

Ce débat nous a permis de rappeler combien notre législation s’éloignait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – même si ce dernier constat est sans doute moins partagé ! –, ce qui a d’ailleurs conduit plusieurs tribunaux à annuler des mesures de garde à vue. J’avais souligné, à cette occasion, que la multiplication quasiment exponentielle de ces mesures, notamment ces dernières années, était due à l’inflation répressive inscrite dans la politique pénale du Gouvernement, une inflation qui constitue une véritable fuite en avant permettant tous les débordements.

« Il faut repenser le droit », avais-je alors dit. Ce doit être effectivement pour nous, législateurs, une tâche urgente. Les avocats et magistrats, qui se mobilisent en grand nombre, comme le 9 mars dernier encore, nous y incitent. Ils ont raison !

Il est significatif que les secrétaires de la Conférence aient soulevé pour la première fois la « question prioritaire de constitutionnalité » à propos de la garde à vue, au motif qu’elle porte atteinte aux libertés et aux droits de la défense. Ils ont ainsi souligné le rôle limité des avocats pendant la garde à vue, dont chacun, là encore, peut faire le constat.

La proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard, qui avait déjà pris l’initiative du précédent débat, participe de cette nécessaire réécriture du droit, en prévoyant notamment la présence immédiate de l’avocat, souhaitée par nombre d’entre nous.

Si donc j’approuve la proposition de loi de notre collègue, que je voterai, je considère cependant qu’elle ne répond que partiellement aux exigences de la protection des droits. Sur ce point, la lecture de l’avant-projet de réforme de la procédure pénale, que vous soumettez à la concertation des professionnels, madame la garde des sceaux, ne me rassure pas, et ne paraît pas les rassurer non plus.

Le président du Conseil national des barreaux qualifie en effet de « faux-semblant » l’audition libre de quatre heures qui serait substituée à la garde à vue immédiate. Je considère, pour ma part, que l’obligation et l’audition libre sont des notions antinomiques. Soit la personne donne son accord à l’audition, et celle-ci est alors « libre », soit ce n’est pas le cas, et cette audition n’a rien de libre !

La législation en matière de garde à vue est devenue, au fil des lois, à la fois plus complexe et plus sévère, et a progressivement remis en cause le sens initial de la garde à vue ; c’est à ce sens que nous devons revenir pour légiférer.

Vous le savez, la garde à vue avait à l’origine pour objet de retenir les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations, avant de les déférer devant le juge. Elle est devenue trop souvent –là encore un constat partagé ! – un moyen d’intimidation et de pression donnant lieu, par voie de conséquence, à des abus. Il s’agit pourtant bien d’une mesure privative de liberté qu’aggravent trop souvent, hélas, des conditions matérielles déplorables et l’exposition des personnes concernées à des actes dégradants ou attentatoires à leur intégrité physique.

Or, je le rappelle, la privation de liberté, quel qu’en soit le mode, doit rester l’exception, puisqu’elle constitue déjà, en soi, une atteinte à la liberté individuelle.

De plus, s’il avoue, le gardé à vue présumé innocent, devient de fait, nous le savons, un présumé coupable. Or, ce stade de l’enquête est extrêmement important dans la mesure où les preuves alors obtenues détermineront le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès.

Ce processus risque de mettre sur les rails une vérité policière très difficile à contester et susceptible de devenir ensuite une vérité judiciaire.

C’est pourquoi nous avons, pour notre part, voulu inscrire les dispositions contenues dans la proposition de loi déposée par mon groupe dans un retour à la définition originelle de la garde à vue.

Ainsi, nous proposons d’encadrer le recours à cette mesure privative de liberté, d’en renforcer les garanties en termes de procédure et de respect de la dignité des personnes et, enfin, de sanctionner les violations de ces garanties.

Permettez-moi de vous livrer quelques précisions.

Restreindre le champ de la garde à vue suppose de prévoir dans la loi la condition d’indices graves et concordants de nature à justifier une mise en examen, et cela pour un crime ou un délit passible d’une peine de prison qui ne saurait être inférieure à cinq ans.

Nous sommes pour la suppression de la garde à vue pour les mineurs tout en maintenant la possibilité exceptionnelle de retenir un mineur à disposition d’un officier de police judiciaire et en prévoyant l’intervention d’un magistrat à tous les stades de la procédure.

Nous proposons aussi – je sais que vous n’y êtes pas favorable, madame le ministre d’État, et que cela suscite aussi des oppositions dans cet hémicycle – d’abroger les dispositions exorbitantes du droit commun en matière de criminalité et donc de terrorisme.

M. Gilbert Thiel, juge d’instruction au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, a critiqué la propension à « étendre de façon insidieuse la notion de terrorisme ». C’est bien là tout le problème ! Le terrorisme est facilement invoqué pour des gardes à vue exorbitantes. Depuis la loi Perben II, les dispositions antiterroristes ne présentent plus de caractère exceptionnel par rapport à la criminalité, puisqu’elles sont intégrées dans la criminalité organisée.

Nous voulons mettre fin à l’isolement du gardé à vue, notamment en supprimant les dérogations de l’article 63-2 du code de procédure pénale.

Concernant l’assistance de l’avocat, notre collègue François Zocchetto, rapporteur de la proposition de loi, avait prévu la présence de l’avocat dès la première heure, mais ce n’était que pour un entretien de trente minutes maximum, soit un entretien assez peu utile puisque l’avocat, à ce stade, ne connaît alors pas grand-chose du dossier.

C’est pourquoi nous proposons que la personne gardée à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la procédure, mais aussi que celui-ci ait accès au dossier existant.

Quant aux fouilles intégrales et aux investigations corporelles, elles doivent être interdites. Les fouilles de sécurité doivent être réalisées avec des moyens de détection électronique.

Voilà, mes chers collègues, madame la garde des sceaux, ce qui me paraît constituer une procédure de garde à vue répondant aux règles européennes.

L’actuelle et constante aggravation pénale est orchestrée par un matraquage médiatique et politique qui « surfe » sur le triptyque « peur-victime-répression ».

Il faut, nous dit-on, répondre aux victimes – c’est un fait, et je partage ce souci –  et donc trouver rapidement un coupable, et c’est cette célérité qui pose un premier problème ! En effet, cela nourrit l’exigence d’une justice rapide, trop rapide parfois, alors que la justice à besoin de temps.

Dans ces conditions, la garde à vue, la culture de l’aveu, qui vulnérabilise les personnes concernées, et la politique du chiffre participent de la réponse à cette exigence.

La statistique n’a que faire du respect des droits fondamentaux ; elle permet seulement d’afficher un volontarisme politique qui n’est pas toujours suivi de conséquences.

Qu’il faille concilier les droits de la défense et la protection de l’ordre public – je préférerais d’ailleurs que l’on parle de « sûreté » plutôt que d’« ordre » –, je l’entends. Mais gardons-nous d’une vision maximaliste de la sécurité.

Les droits fondamentaux sont le socle de la démocratie et je continue de penser que leur respect par les institutions constitue partout leur meilleur vecteur.

Concernant la procédure, monsieur le rapporteur, votre rapport et vos conclusions manifestent, si l’on en doutait encore, l’impuissance du Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si ! Tout le monde le constate, la garde à vue doit être réformée. Alors pourquoi la commission des lois n’a-t-elle pas pris l’initiative d’une proposition de loi, avec le Gouvernement et la majorité, bien sûr, puisque le fait majoritaire s’impose avec évidence ?

On ne peut pas simplement s’en remettre, sur ce point, à ce que proposera in fine le Gouvernement.

C’est pourquoi je ne voterai pas le renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On s’en doute !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard et de ses amis du groupe RDSE nous pose deux questions.

La première est très simple : faut-il adopter cette proposition de loi ?

Oui, bien sûr ! Je ne vais pas revenir sur les raisons abondamment exposées par mon collègue. J’en retiendrai deux : d’une part, l’inflation considérable du nombre de gardes à vue, dans lequel on met d’ailleurs un peu de tout – vous l’avez dit vous-même, madame le garde des sceaux – ; et, d’autre part, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, constante à travers de nombreux arrêts, qui, certes, ne concernent pas notre pays mais qui s’appliquent cependant à tous les États qui ont signé la convention, c’est d’ailleurs l’avis unanime de la doctrine, notamment de M. Gabriel Roujou de Boubée, qui, de mon point de vue, n’est pas un révolutionnaire !

Seconde question : quand faut-il adopter cette proposition de loi, maintenant ou plus tard ?

Selon vous, madame la garde des sceaux, il faudrait adopter ses dispositions plus tard, mais avec l’ensemble du projet de loi que vous nous présenterez.

Vous entendez en effet modifier profondément la procédure pénale, notamment l’instruction, c’est-à-dire la phase située entre la commission de l’infraction et le jugement, pour les affaires, par hypothèse, les plus graves, puisqu’elles nécessitent une instruction préalable.

Ce projet de loi modifierait donc consubstantiellement la nature de la garde à vue.

En effet, aujourd’hui, la garde à vue se situe dans une phase antérieure à l’instruction, pour les affaires concernées, de sorte que l’on a pu admettre qu’elle ne présente pas les mêmes garanties que la procédure d’instruction qui, elle, assure à la personne mise en examen toutes les garanties indispensables.

D’ailleurs, bien souvent, lorsqu’un juge d’instruction interroge pour la première fois le mis en examen, il lui demande s’il confirme ou s’il infirme les procès-verbaux et les auditions réalisés en garde à vue. En fonction des réponses, l’instruction prend le cours qu’il convient.

Demain, si le texte que vous présentez est adopté en l’état, madame le ministre d’État, le processus se déroulera tout à fait différemment, puisque les auditions, les premiers interrogatoires, les premières dépositions et les premiers procès-verbaux réalisés tout au début de l’enquête feront foi jusqu’au jugement, sans aucun contrôle postérieur, et ce, je le répète, pour les affaires les plus graves, par définition.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. C’est faux, monsieur Michel ! Vous n’avez pas lu le texte !