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Dossier législatif : projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental
Discussion générale (suite)

Conseil économique, social et environnemental

Adoption d'un projet de loi organique en procédure accélérée

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Conseil économique, social et environnemental (projet n° 395, texte de la commission n° 417, rapport n° 416).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, portée par le Président de la République, a engagé une profonde réforme du Conseil économique et social en le transformant en Conseil économique, social et environnemental. La compétence consultative de l’institution est ainsi étendue aux questions environnementales.

Cette nouvelle vocation s’inscrit parfaitement dans le cadre du Grenelle de l’environnement – sujet d’actualité puisque l’Assemblée nationale examine ce jour le projet de loi portant engagement national pour l’environnement – et elle traduit la volonté du Gouvernement de placer l’écologie et le développement durable au cœur de nos débats.

La revalorisation souhaitée par le constituant a également exigé d’ouvrir davantage l’accès au Conseil économique et social. C’est la raison pour laquelle la Constitution donne désormais la possibilité au Parlement de consulter le Conseil économique et social. Cette prérogative était, depuis 1958, réservée au Gouvernement.

Les citoyens pourront, eux aussi, saisir le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, par voie de pétition. Le Conseil fera des propositions au Gouvernement et au Parlement sur les suites à donner à chaque saisine citoyenne.

À la suite des travaux du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par M. Édouard Balladur, le constituant a souligné la nécessité de modifier la composition et le fonctionnement du Conseil économique et social afin d’en renforcer la légitimité. C’est en effet à cette condition que le Conseil pourra continuer à remplir sa mission de dialogue et d’expression des attentes des différentes composantes de la société civile.

La mise en œuvre de cette réforme appelle d’importantes modifications de l’ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social. C’est l’objet du texte qui est aujourd’hui soumis à votre examen.

En premier lieu, le projet de loi organique précise la procédure de saisine parlementaire, confiée au président de chaque assemblée, et les conséquences sur le fonctionnement du CESE du rapprochement réalisé avec les assemblées parlementaires.

Les modalités d’exercice du droit de pétition sont également définies. Soucieux de ne pas soumettre la saisine du Conseil économique social et environnemental à des conditions trop strictes, le Gouvernement propose d’établir à 500 000 le nombre minimum de pétitionnaires. Ce droit est reconnu non seulement aux nationaux, mais également à toutes les personnes majeures résidant régulièrement sur le territoire national. L’intervention d’un mandataire unique pour chaque pétition facilitera la collecte et le contrôle des signatures.

Ces nouvelles voies de saisine sont ainsi largement ouvertes et elles prémunissent contre des excès qui seraient préjudiciables à la mission du CESE.

En deuxième lieu, le fonctionnement du Conseil économique social et environnemental permet de tirer toutes les conséquences de la révision constitutionnelle. L’ordonnance organique est ainsi largement actualisée.

À ce titre, je tiens d’ores et déjà à rendre un hommage très appuyé au travail approfondi et constructif réalisé, comme à son habitude, par la commission des lois du Sénat, en particulier par son rapporteur, M. Jean-Pierre Vial. La création d’une procédure de consultation en urgence ou la fixation d’un délai maximum pour rendre un avis sur une pétition ont ainsi vocation à renforcer la dynamique de la réforme qui est engagée. Ces innovations s’ajoutent à celles qui ont été apportées par l’Assemblée nationale pour assurer un fonctionnement plus transparent et plus rationnel du CESE.

En dernier lieu, le projet de loi organique vient préciser la nouvelle composition du Conseil économique social et environnemental. C’est la tâche qui était incontestablement la plus difficile à réaliser. En effet, la composition du Conseil n’a donné lieu, depuis 1958, qu’à de très légers ajustements alors que, dans le même temps, la société française s’est profondément transformée.

Afin d’éviter de nouvelles remises en cause de la légitimité et de la représentativité du Conseil économique et social, il importe que les principales composantes de la société civile contemporaine y trouvent leur place.

Parallèlement, la composition du CESE doit être élargie pour prendre en compte de façon adéquate la nouvelle compétence environnementale de l’institution.

Il convient de rappeler que cette double modification de la composition du Conseil se réalise à effectifs constants,…

M. Henri de Raincourt, ministre. … le constituant ayant plafonné le nombre de membres du CESE, conformément au principe qui a été retenu pour l’Assemblée nationale et pour le Sénat.

Une telle refonte de la composition du CESE a appelé des efforts de la part des groupes actuellement présents en son sein. Les Français établis hors de France, qui doivent par ailleurs bénéficier d’une représentation importante à l’Assemblée nationale, verront leurs intérêts pris en compte par l’ensemble des groupes du CESE. Je ne doute pas nous reviendrons sur ce sujet lors de la discussion des articles.

Les entreprises publiques, dont la place dans l’économie a diminué depuis 1984, n’ont plus de représentation propre au CESE dans le projet du Gouvernement. Mais leur voix pourra, bien évidemment, se faire entendre dans le corps des personnalités qualifiées.

Je veux à cet égard relever devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, l’effort important consenti par les représentants du monde agricole. En effet, à effectifs constants, les nouveaux arrivants ne doivent leur place qu’au consentement – parfois donné à contrecœur, ce qui peut se comprendre  – de certains groupes de voir le nombre de leurs représentants sensiblement réduit.

La nouvelle architecture du Conseil économique social et environnemental reposera sur trois grands pôles.

D’abord, le pôle économique, composé d’acteurs de la vie économique et du dialogue social, maintiendra le rôle central des représentants des salariés et des entreprises.

Ensuite, le pôle social, rassemblant les acteurs de la vie associative et de la cohésion sociale et territoriale, sera riche en innovations. Ainsi, les secteurs de l’économie solidaire, du handicap, du sport, les mondes de la science et de la culture seront expressément représentés au sein du CESE. Les jeunes et les étudiants auront un contingent spécifique de représentants. Les associations verront également leur présence renforcée.

Enfin, dans la logique de la révision constitutionnelle et du Grenelle de l’environnement, le pôle environnemental sera constitué de dix-huit représentants des associations et fondations agissant dans le domaine de la protection de la nature et de l’environnement, ainsi que de quinze personnalités qualifiées dans les questions de l’environnement et du développement durable.

La question de la représentativité des associations qui interviennent dans le domaine de l’environnement est évidemment posée. Le Gouvernement s’appuiera, en la matière, sur les préconisations du rapport remis au Premier ministre par M.  Bertrand Pancher, député de la Meuse, au titre du comité opérationnel « Institution et représentativité des acteurs » du Grenelle de l’environnement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés de l’ambition formelle du Gouvernement de préserver, dans ce projet, les équilibres de représentation existant actuellement au sein du Conseil économique et social. Ainsi, la pratique de la concertation et la recherche du consensus pourront demeurer un atout essentiel du CESE.

Éclairé par le rapport de M. Dominique-Jean Chertier, le Gouvernement a pris le temps de l’analyse et de la concertation pour soumettre au Parlement un projet de composition recueillant l’adhésion du plus grand nombre, à défaut de l’unanimité, sans doute difficilement accessible. M. Dermagne a bien indiqué que le Conseil économique social et environnemental souscrit aux choix réalisés par le Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le compromis qui vous est proposé peut, je le conçois, paraître imparfait aux yeux de certains d’entre vous. Mais je tiens à souligner que l’équilibre global ainsi établi est extrêmement fragile.

Votre commission a apporté plusieurs modifications importantes à la composition du CESE. Ainsi, les personnalités qualifiées feront place aux entreprises publiques dans le pôle économique, aux retraités dans le pôle de la cohésion sociale et aux entreprises « vertes » dans le pôle environnemental.

Il faut avoir bien conscience du fait que le CESE ne peut offrir une représentation individualisée à chaque activité économique ou sociale, à chaque catégorie ou groupe de personnes existant dans notre pays.

Je comprends tout à la fois les demandes légitimes qui se sont exprimées et les propositions qui, sans nul doute, émailleront la discussion des articles. Je me dois néanmoins de lancer un appel solennel, à la prudence et à la responsabilité, à tous ceux qui, pour des motifs parfaitement admissibles, veulent s’engager dans une recomposition, fût-elle limitée, du Conseil. L’architecture proposée s’assimile à un château de cartes : retirez une carte et c’est l’ensemble de l’édifice qui peut s’écrouler.

M. Nicolas About. « Peut » !

M. Henri de Raincourt, ministre. C’est la raison pour laquelle, je vous l’indique d’emblée, je serai amené à ne pas faire droit à certains amendements, pourtant tout à fait légitimes sur le fond. J’escompte bien entendu votre compréhension active, et j’espère que vous suivrez les recommandations du Gouvernement. (Sourires.)

Les changements auxquels nous avons procédé dans la composition du Conseil sont d’ores et déjà très profonds. Ils assurent incontestablement une représentation plus fidèle de la société civile.

Introduite dans le texte sur l’initiative de M. le rapporteur, la clause de révision périodique de la composition du CESE permettra, à échéance régulière, de rouvrir le débat et d’apporter les adaptations nécessaires. C’est une nouvelle incitation à la prudence.

La féminisation du Conseil économique social et environnemental participe de l’évolution majeure de l’institution et de sa composition. Le projet de loi organique établit, en effet, des règles de désignation permettant de tendre efficacement vers une parité de représentation presque parfaite entre les hommes et les femmes. Je dis « presque », car le CESE comprendra 233 sièges. La parité ne peut donc pas être parfaite. Il y a forcément un siège d’écart. (Sourires.)

Le rajeunissement du CESE pourra également être réalisé grâce à la limitation à deux du nombre de mandats consécutifs et à l’abaissement de vingt-cinq à dix-huit ans de l’âge minimum pour devenir membre.

L’ensemble de ces changements permettra la revitalisation du Conseil économique social et environnemental, voulue par le Président de la République.

Au mois de septembre prochain, après le vote du Parlement, c’est donc un Conseil économique social et environnemental plus représentatif de notre société civile et de la diversité de ses engagements et de ses préoccupations, un Conseil modernisé et plus ouvert sur l’extérieur, qui se mettra au travail.

Je souhaite, au nom du Gouvernement, rendre hommage au Conseil économique et social pour le travail sérieux et fiable qu’il a accompli depuis sa création, au service de notre pays et de notre démocratie sociale. Avec cette réforme, le Conseil pourra continuer à être une force d’analyse et de proposition déterminante pour faire face aux nombreux défis de notre temps.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite donc à adopter ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique dont nous sommes saisis constitue la deuxième étape de la transformation du Conseil économique et social, après l’adoption de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a fait de cette institution le Conseil économique, social et environnemental.

Au-delà de ce qui pourrait être considéré par certains comme une simple mais nécessaire adaptation sémantique pour répondre à l’évolution de notre société, ce projet de loi organique mettant en œuvre la réforme constitutionnelle de 2008 procède à une véritable refondation du Conseil économique et social, refondation dont nos assemblées parlementaires auront à prendre toute la mesure et dans laquelle elles sont appelées à prendre toute leur part – j’allais dire « toute leur responsabilité » – pour en permettre la réussite.

Victime soit d’une certaine méconnaissance, soit d’appréciations parfois sévères, le Conseil économique et social devait faire l’objet d’un repositionnement clair dans nos institutions.

Les conclusions du rapport de M. Dominique-Jean Chertier, remis à M. le Président de la République, et les propositions de M. Édouard Balladur sur la réforme de nos institutions sont venues fort opportunément nourrir le chantier dont le présent projet de loi organique est l’aboutissement.

Originale dans notre histoire, l’institution aura vécu bien des transformations depuis sa création, en 1925, et la confortation de son existence par l’acquisition, en 1946, d’un statut constitutionnel, finalement confirmé en 1958, dans un contexte qui a donné lieu aux débats que l’on sait.

Alors que le Conseil économique et social est aux termes mêmes de la Constitution une troisième chambre, ses relations avec le Parlement, qui ne sont jamais devenues vraiment réalité, se sont profondément distendues. Que son autosaisine soit à l’origine des trois quarts de son activité illustre bien cette situation !

C’est dire que la réforme engagée constitue une réelle et nécessaire évolution de cette institution représentative de la société civile, de surcroît à un moment où bien d’autres pays souhaitent se doter ou se dotent d’un conseil économique et social.

La réforme constitutionnelle portait sur trois grands enjeux : le champ de compétence et les missions du Conseil ; son organisation et son fonctionnement ; sa composition.

En ce qui concerne d’abord le champ de compétence du Conseil économique, social et environnemental, l’article 1er du projet de loi organique pose clairement l’objet et les missions de celui-ci : assurer la participation des principales activités du pays à la politique économique, sociale et environnementale de la nation ; examiner les évolutions en matière économique, sociale et environnementale ; suggérer les adaptations qui lui paraissent nécessaires.

Nous souscrivons entièrement à l’esprit qui a conduit l’Assemblée nationale à demander le rétablissement, parmi les missions imparties au Conseil, de celle qui vise à favoriser la collaboration des principales activités du pays afin d’assurer leur plus forte participation aux politiques mises en œuvre.

C’est dans cet esprit que nous vous proposons, mes chers collègues, de soutenir la promotion des échanges du Conseil économique, social et environnemental avec les conseils économiques et sociaux régionaux et avec le Comité économique et social européen, ainsi qu’avec les assemblées consultatives existant à l’étranger, dans le prolongement d’une action déjà largement mise en œuvre par le Conseil économique et social, sur l’initiative de son président, M. Jacques Dermagne.

Le rôle du Conseil économique, social et environnemental se trouve renforcé par l’article 3 en ce qui concerne ses relations avec les deux assemblées puisqu’il peut désormais appeler l’attention non plus seulement du Gouvernement, mais aussi du Parlement, « sur les réformes qui lui paraissent nécessaires », rédaction d’ailleurs plus satisfaisante que celle du texte initial.

Nous nous trouvons là au cœur de la question de l’équilibre entre les missions qui relèvent du Conseil économique, social et environnemental et les pouvoirs dévolus aux assemblées parlementaires.

La révision de 2008 permet au Parlement de consulter le Conseil économique, social et environnemental.

À cet égard, je citerai Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, qui, dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, écrit à propos de la consultation du Conseil économique, social et environnemental par le Parlement qu’« il semble en effet légitime que les deux assemblées puissent recueillir l’avis des représentants des organisations professionnelles et des associations dans le cadre de leurs activités de prospective et d’évaluation de la législation et des politiques publiques ».

Enfin, la saisine du Conseil par voie de pétition va nécessairement renforcer les liens entre le Conseil économique, social et environnemental et la société civile.

Si cette procédure ouvre au Conseil économique, social et environnemental un nouveau champ d’action conforme à sa vocation originelle de garant de la démocratie consultative, d’intermédiaire entre les citoyens et les pouvoirs publics, encore convient-il que ce nouveau champ d’action ne soit pas source d’une complexité et d’une lourdeur de fonctionnement qui compromettrait la rénovation attendue de cette institution.

C’est pourquoi, tout en approuvant globalement le dispositif proposé, la commission des lois souhaite fortement que soit retenue l’analyse de notre collègue Jean-Claude Frécon, qui s’est prononcé en faveur d’un contrôle des signatures effectué par « échantillonnage ».

En ce qui concerne ensuite le fonctionnement du Conseil économique, social et environnemental, si l’extension du champ de ses compétences est de nature à renforcer son rôle, celui-ci dépendra aussi beaucoup des conditions dans lesquelles il pourra exercer ses missions.

Les deux possibilités de saisine, par les assemblées parlementaires d’une part, par les citoyens d’autre part, constituent un élément important de la réforme.

Sa consultation, à la demande du président de l’Assemblée nationale ou du président du Sénat, est un aspect majeur du rôle que peut et doit jouer le Conseil économique, social et environnemental aux côtés des assemblées parlementaires.

Dans un souci de bonne gestion des pétitions déclarées recevables, l’avis devra être rendu dans un délai maximum d’un an, étant précisé que les avis consécutifs à une pétition doivent être rendus par l’assemblée plénière.

De la même façon, pour faciliter la saisine pour avis du Conseil par les assemblées parlementaires, il est nécessaire qu’une procédure d’urgence puisse être prévue lorsque les conditions l’imposent.

L’article 2 de l’ordonnance du 29 décembre 1958 prévoit une procédure d’urgence, à la demande du Gouvernement, qui impose au Conseil de donner son avis dans un délai d’un mois.

La commission des lois a souhaité compléter ce dispositif en prévoyant que, lorsque le Conseil économique, social et environnemental est saisi d’urgence par le Gouvernement ou par une assemblée, un projet d’avis peut être émis par la section compétente. Cette procédure s’inspire de la pratique de notre assemblée en matière de résolutions européennes.

Ce projet d’avis ne deviendrait l’avis du Conseil qu’après un délai de trois jours suivant sa publication, permettant ainsi au président du Conseil ou à dix de ses membres d’éventuellement demander son examen en assemblée plénière.

Derrière des aspects techniques, il s’agit en réalité d’assurer au Conseil économique, social et environnemental un fonctionnement qui soit en harmonie avec celui des assemblées parlementaires afin de parvenir à la complémentarité des institutions voulue par le constituant.

J’en viens enfin à la composition et la représentativité du Conseil économique, social et environnemental.

Il n’est nullement besoin de souligner que les critiques le plus fréquemment formulées à l’égard de l’institution concernent sa composition, qui n’a été que très faiblement adaptée depuis 1958, et donc sa représentativité.

Le projet de loi organique tend à améliorer cette représentativité en élargissant la place des femmes et en ouvrant le Conseil aux associations environnementales.

La nouvelle composition sera structurée autour de trois pôles : le pôle relatif à la vie économique et au dialogue social, avec 140 membres, soit 60,1 % de l’effectif total ; le pôle relatif à la cohésion sociale et territoriale et à la vie associative, avec 60 membres, soit 25,75 % de l’effectif total ; le pôle relatif à la protection de la nature et de l’environnement, avec 33 membres, soit 14,15 % de l’effectif total.

La composition du Conseil s’ouvre en réalité à deux nouvelles catégories de membres : d’une part, les jeunes et les étudiants, représentés par quatre membres ; d’autre part, les associations et fondations agissant dans le domaine de protection de la nature et de l’environnement.

Cette nouvelle composition est difficile à mettre en œuvre, car la Constitution limite désormais l’effectif du Conseil économique, social et environnemental à 233 membres.

Le projet de loi organique complète cette règle en instaurant la parité, en abaissant de vingt-cinq à dix-huit ans l’âge requis pour siéger au Conseil et en limitant à deux le nombre de mandats.

Si l’on peut considérer que cette recomposition du Conseil répond à l’impératif de représenter au mieux l’ensemble des composantes de la société civile, encore conviendra-t-il de satisfaire aux conditions de représentativité, lesquelles, il faut bien le reconnaître, monsieur le ministre, constituent le point faible de ce projet de loi organique.

À la décharge du Gouvernement, je reconnais volontiers que nous nous trouvons dans une situation de transition et que c’est bien cette contrainte de circonstance et de non-compatibilité des calendriers qui ne permet pas de prévoir, dès ce projet de loi organique, une représentation aussi satisfaisante que souhaitable.

C’est pour ne pas reproduire les errements du passé qu’il est proposé que soient reconsidérées tous les dix ans les conditions de représentativité des différentes composantes du Conseil, le premier examen devant intervenir quatre ans après le renouvellement du Conseil en 2010. Ainsi pourra être prise en compte l’entrée en vigueur la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, qui pose les nouvelles règles de la représentativité syndicale.

C’est avec la même exigence que devront être reconsidérés les critères de représentativité de la vie économique ainsi que de la cohésion sociale et territoriale.

Concernant les conditions de représentativité de la nouvelle composante environnementale, nous prenons acte du fait que le Gouvernement entend s’inspirer des recommandations du Grenelle de l’environnement et des conclusions du rapport de notre collègue député Bertrand Pancher, qui retient trois catégories d’acteurs environnementaux.

Cette première révision sera l’occasion d’assurer plus précisément la représentativité des différentes composantes de la société civile dans sa diversité économique, sociale et environnementale.

La proposition de fléchage de personnalités issues des entreprises publiques et de personnalités dirigeant des entreprises conduisant une action environnementale procède de cette exigence.

C’est parce que la représentativité constitue l’un des piliers forts du Conseil économique, social et environnemental qu’il est proposé que l’examen de ces révisions fasse l’objet d’un rapport du Gouvernement au Parlement, après avis du Conseil économique, social et environnemental.

Enfin, il convient de souligner la situation particulière des personnalités qualifiées.

L’encadrement apporté par le projet de loi organique en ce qui concerne la nature et la durée des missions pour les personnalités associées constitue une vraie garantie, de nature à répondre aux critiques qui avaient été formulées.

Pour ce qui a trait aux personnalités qualifiées, nous avons bien compris votre message, monsieur le ministre, mais il est tout aussi important que les conditions de désignation puissent offrir les mêmes garanties. C’est pour satisfaire à cette exigence de transparence et d’expertise que la commission souhaite leur désignation après avis des présidents des deux assemblées parlementaires.

Monsieur le ministre, c’est dans ce souci d’équilibre qu’il est demandé avec insistance au Gouvernement que le choix des personnalités qualifiées, au-delà de leur qualité et de leur expertise, respecte la nécessité d’assurer la représentation la plus équilibrée possible dans la période intermédiaire de quatre ans après le renouvellement.

Ensuite, lorsque les critères de la représentativité auront été affinés, nous pourrons parachever le travail relatif à la composition de cette institution.

Mes chers collègues, ce projet de loi organique ne constitue donc pas un simple toilettage du Conseil économique et social ; il pose le cadre et les règles d’une refondation de cette institution, mais encore conviendra-t-il que les uns et les autres s’engagent à la faire vivre dans le respect de l’esprit de notre Constitution. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui le marathon de l’examen des différents projets de loi organique résultant de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Constatons, monsieur le ministre, que la surcharge de l’ordre du jour parlementaire résulte pour beaucoup de l’empressement fréquent du Gouvernement à légiférer en fonction de l’actualité médiatique, surcharge qui explique le retard dans l’examen de beaucoup de ces projets de loi organique.

Le Conseil économique, social et environnemental est une institution méconnue, d’abord par nos concitoyens, mais aussi – oserai-je le dire ? – par nombre de responsables politiques.

Sa charge de travail a considérablement varié au fil des décennies, les gouvernements successifs ne voyant pas toujours un grand intérêt à consulter une institution pourtant utile à notre démocratie.

Depuis 1958, le recours immodéré à des nominations à titre discrétionnaire des membres de section par les gouvernements de toutes sensibilités n’a sans doute pas contribué à doter le Conseil de la crédibilité qui aurait assis sa légitimité.

Le Conseil économique, social et environnemental ne peut ni ne doit pas être l’expression des corporatismes, qui sont si nocifs à l’intérêt général. Il doit être l’expression de la technicité et de l’excellence, au sens noble du terme, dans les domaines essentiels de la vie en société.

Le Conseil ne peut ni ne doit non plus se confondre avec une récompense pour services rendus, se résumer à l’accumulation de lots de consolation ou de files d’attente pour des lendemains meilleurs. Sa crédibilité et, plus largement, celle des institutions de notre République en dépendent. Considérer que le Conseil serait l’expression de la société civile – terme contestable et inadéquat, qui me choque, car nous ne sommes pas tous des militaires ; sans doute faudra-t-il faire un effort dialectique sur ce sujet – et la représentation démocratique ne pourrait qu'aboutir à des échecs et à une absence d’efficacité.

Les assemblées ont un besoin croissant d’expertise. Nous avons tous en mémoire la qualité des conclusions du rapport de M. Philippe Valletoux : Évaluation et suivi des relations financières entre l’État et les collectivités locales. Nous avons eu la démonstration qu’un rapport, lorsqu’il est rédigé par les meilleurs experts, permet au Parlement d’approfondir sa réflexion. Est-il vraiment utopique de souhaiter qu’il en aille toujours ainsi ?

Le Conseil économique, social et environnemental trouve sa source dans l’idée selon laquelle la démocratie ne se résume pas à des relations exclusivement verticales entre gouvernants et gouvernés. La Révolution de 1789 avait accrédité et enraciné l’immanence de la souveraineté, que proclame l’article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »

Inspirée d’un projet émanant de la Confédération générale du travail, la CGT, la création, en 1925, du Conseil national économique procède d’un schéma selon lequel la légitimité démocratique du Parlement est compatible avec l’association des corps intermédiaires à la prise de décision politique. L’institutionnalisation de leur représentation ne faisait finalement que prolonger le vaste mouvement de reconnaissance de nouveaux droits économiques et sociaux pour les travailleurs, initié dès la fin du xixe siècle, notamment par les radicaux.

L’avènement de la IVe République et d’un Conseil économique et social constitutionnalisé n’ont pas remis en cause cette idée. En fait, le débat s’est concentré sur la place et sur les pouvoirs qu’il convenait d’attribuer à une telle assemblée. L’idée de la participation, avancée par le général de Gaulle, impliquait d’ériger la seconde chambre du Parlement en assemblée représentative des acteurs économiques et sociaux. Cette orientation se dessinait déjà dans le discours de Bayeux, en 1946.

Le référendum de 1969 portait notamment sur le projet de fusion du Sénat et du Conseil économique et social, afin de constituer un nouveau Sénat qui aurait exercé une fonction consultative et n’aurait disposé d’aucun pouvoir de blocage. Le Sénat, derrière le président Monnerville, avait clairement exprimé et fait triompher son opposition à ce projet.

Force est de constater que le Conseil économique et social, et demain environnemental, n’a pas encore pleinement trouvé sa place parmi nos institutions. Parfois ignoré par l’exécutif, parfois simple caution politique, le Conseil peine à trouver un nouveau souffle.

Permettez-moi de vous livrer une anecdote. Récemment, j’ai demandé au Conseil économique et social régional la liste de ses membres présents aux dix-sept réunions qui ont eu lieu depuis 2007. Pour obtenir une réponse, j’ai dû saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, ce qui est révélateur de l’exceptionnel manque de transparence de l’institution.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a doté le Conseil de nouveaux moyens afin d’accroître l’influence de ses expertises. L’article 69 de la Constitution a créé un droit de saisine par voie de pétition au profit des citoyens. L’article 70 a étendu sa compétence aux questions environnementales et élargi sa saisine par le Parlement à toute question à caractère économique, social ou environnemental. Ces dispositions doivent être précisées par les législateurs organiques que nous sommes aujourd’hui.

Notre groupe considère que l’économie globale de ce projet de loi organique a des aspects positifs, mais cela ne nous empêche pas de formuler quelques réserves et observations.

La composition même du Conseil reste l’objet de débats, notamment sur la question du maintien des 72 membres de section désignés par le Premier ministre pour deux ans et qui sont censés tenir un rôle d’expert auprès de la section qui les accueille.

Le rapport de Dominique-Jean Chertier, Pour une modernisation du dialogue social, paru en 2006, suggérait leur suppression, évoquant, d’un doux euphémisme, des « conseillers de second rang dont la présence fragilise la représentativité de l’institution ». Nous partageons pleinement cette analyse. Le caractère largement discrétionnaire de ces nominations apparaît aujourd’hui anachronique.

Malgré des imperfections que nous avions dénoncées en leur temps, le dispositif du nouvel alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution associe, par souci de transparence, le Parlement aux nominations à certains emplois ou postes de la fonction publique parmi les plus éminents. Notre propos vise non pas à transposer une telle procédure, mais à souligner qu’il n’est plus justifiable, dans une démocratie moderne, de laisser l’exécutif procéder à de tels trains de nominations, parfois inutiles ou partisanes. L’Histoire doit prendre une autre direction.

Le Gouvernement souhaitait initialement substituer des hautes personnalités aux conseillers de section. Ces hautes personnalités auraient toujours été nommées de manière discrétionnaire par le Gouvernement, qui aurait de surcroît fixé, de façon unilatérale, leur indemnisation, laquelle est aujourd’hui encadrée par le règlement intérieur du Conseil.

En dépit des améliorations apportées par l’Assemblée nationale, ces dispositions restent insatisfaisantes, car elles se limitent à aménager à la marge le principe même des nominations discrétionnaires. Telle sera toujours la problématique d’une assemblée désignée, dont l’essence est de conseiller des assemblées et un gouvernement élus au suffrage universel.

La question de la représentativité des 233 autres conseillers, notamment des 63 conseillers désignés par les organisations socioprofessionnelles, constitue également une antienne puisqu’elle fut soulevée dès 1963. Une première réforme, toujours effective, fut adoptée en 1984.

En ce qui concerne la représentation spécifique des syndicats de salariés, le choix des organismes au sein de chaque groupe relève du domaine réglementaire, c’est-à-dire exclusivement du Gouvernement, qui intervient sous le contrôle du Conseil d’État. Aujourd’hui, cette représentation obéit à une règle quasi forfaitaire pour les principales organisations, mais moins claire pour d’autres. Il est ainsi difficile de définir des critères objectifs justifiant les choix qui sont effectués. Or, le présent projet de loi doit s’articuler avec la loi de 2008 portant réforme de la démocratie sociale et réforme du temps de travail qui a profondément modifié les règles en retenant le principe d’une représentativité des syndicats issue du vote des salariés. La composition du Conseil doit tenir compte de ce nouveau principe qu’elle semble pourtant éluder, ce qui est regrettable.

Toujours en matière de représentation, nous souhaitons la réintroduction des représentants des entreprises publiques. Le poids économique de ce secteur, combiné à son importance sociale, justifie amplement qu’il soit spécifiquement représenté parmi les dix personnalités qualifiées du domaine économique.

Nous apporterons également notre soutien à l’initiative du rapporteur qui permet d’assurer une révision décennale de la composition du Conseil à partir de 2014, afin de traduire le plus fidèlement possible l’importance économique et sociale des principales activités de notre pays.

Enfin, la révision constitutionnelle de 2008 a ouvert au Parlement le droit de saisir le Conseil sur toute question relevant de sa compétence. Cette innovation, intéressante parce qu’elle ouvre l’expertise du Conseil aux parlementaires, est vite tempérée par le présent texte qui limite cette saisine aux seuls présidents des deux assemblées. Il s’agit donc d’un droit potentiel soumis au filtrage des présidents, ce qui revient, dans les faits, à conférer un droit de véto à la majorité. Ce choix est d’autant plus dommageable que la révision constitutionnelle de 2008 a accordé toute leur place aux groupes parlementaires. Il nous semblerait donc logique d’étendre ce droit de saisine, dans l’intérêt tant du Conseil que de la représentation nationale.

Mes chers collègues, si nous partageons certains des objectifs de ce texte, nous considérons que la revalorisation du Conseil économique, social et environnemental ne sera pas complète si ses avis et rapports, souvent pertinents, restent lettre morte. Le pouvoir exécutif et le Parlement ont tout à gagner à une expertise accrue. Évitons que le diagnostic de Maxime Blocq-Mascart ne se pérennise. En 1958, il écrivait ceci : « les travaux du Conseil économique ont toujours été remarquables depuis une trentaine d’années… mais vains… Ses activités se déploient dans le vide. Nos improvisations constitutionnelles ne remédient pas à un état de fait aussi fâcheux que prolongé ». Il serait souhaitable de ne pas devoir poser le même diagnostic dans quelques années.

Sous les réserves que je viens de présenter, et en fonction du sort qui sera réservé à certains amendements, le groupe RDSE décidera s’il doit voter ce texte ou s’abstenir.