M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais, tout d’abord, saluer notre collègue de la Seine-Maritime Charles Revet qui a pris l’initiative d’organiser ce débat deux ans après la réforme portuaire.

Charles Revet connaît bien la Normandie, en général, et la Seine-Maritime, en particulier. Il connaît aussi ses deux ports maritimes, Rouen et Le Havre, qui constituent à eux deux la première façade maritime en termes de tonnage de marchandises, avant même Marseille.

Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été le rapporteur de la loi de 2008 sur la réforme portuaire. Lors de ce débat, j’étais intervenue en séance publique, au nom du groupe de l’Union centriste, pour affirmer que les ports constituent des enjeux économiques locaux importants : dans l’agglomération rouennaise, l’activité portuaire représente plus de 22 000 emplois directs, indirects et induits, 30 000 en comptant les sites de Port-Jérôme et de Honfleur.

Le chiffre d’affaires lié aux opérations commerciales des entreprises portuaires sur le fret chargé et déchargé atteint près de 1 milliard d’euros par an, ce qui offre une illustration du fort impact de l’activité portuaire sur l’ensemble de cette agglomération.

Deux ans après, je renouvelle donc, toujours au nom du groupe de l’Union centriste, mon soutien à cette réforme très volontariste. En effet, il fallait enrayer la chute de compétitivité des ports français à l’heure de l’accroissement des échanges commerciaux internationaux par voie maritime, accroissement inéluctable pour la durabilité de notre planète.

Deux ans après, l’exécution de la loi me paraît satisfaisante. Je tiens à le souligner, les décrets d’application ont été pris en temps et en heure.

M. Charles Revet. Ils ont, en effet, été pris très vite !

Mme Catherine Morin-Desailly. Les financements prévus ont été au rendez-vous, tant au travers des contrats de plan État-région que dans le plan de relance.

En termes d’organisation, les profonds changements dans la composition et le fonctionnement du conseil de surveillance et du conseil d’administration des ports, qui étaient l’un des points essentiels de la réforme, sont intervenus, pour le port de Rouen en tout cas.

Je me fais toutefois l’écho, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, d’un petit bémol : il aurait fallu prévoir un système de suppléance des élus, car ils ne peuvent pas toujours se rendre disponibles pour siéger au conseil d’administration.

En outre, parce qu’une réforme d’une telle ampleur, qui a modernisé la gouvernance des ports autonomes et le statut de nombreux travailleurs, comporte son lot d’inquiétudes face à l’avenir, il faut à mon avis prêter ou plutôt « maintenir » une attention particulière au dialogue social pour accomplir la mise en œuvre de la réforme portuaire, en gardant le cap sur les objectifs de modernisation et de recherche de compétitivité qu’elle vise, malgré un trafic maritime international ralenti par la crise mondiale.

Au-delà des objectifs, il y a les opportunités ou les externalités positives créées par la réforme. Cette dernière a permis de faire du Havre et de Rouen une façade maritime crédible, à la hauteur de l’ambition portée par le projet de loi relatif au Grand Paris.

Sans la mise en place d’un « comité interportuaire » entre les ports du Havre et de Rouen, sans le développement de synergies entre eux, il aurait été plus difficile d’envisager cette façade maritime d’une métropole mondiale que Paris a vocation à être, capable de concurrencer les grands ports européens, notamment ceux de Rotterdam et d’Anvers. En ce sens, monsieur le secrétaire d’État, la loi de 2008 a été précurseur de la réflexion d’Antoine Grumbach sur le Grand Paris, lequel appelle une grande Normandie, dont la vocation maritime, vous en conviendrez, mes chers collègues, n’est plus à démontrer : l’histoire de notre région en porte témoignage.

La réforme portuaire, qui créait les conditions favorables pour nourrir un autre projet d’aménagement du territoire national, doit cependant impérativement s’intégrer en tant qu’outil structurant dans une vision globale de l’aménagement du territoire, notamment en matière de transport. Ainsi, c’est au désenclavement des ports qu’il faut aujourd’hui travailler.

La réforme portuaire doit donc se prolonger en fonction des besoins qui ont été très largement identifiés en Seine-Maritime, y compris par le Président de la République lui-même : après tant d’années, il a déclaré incontournable la réalisation d’une ligne à grande vitesse ; notre collègue Charles Revet en a rappelé les conditions de la réussite.

Monsieur le secrétaire d'État, dans le prolongement de la réforme, il faut impérativement déployer les moyens d’une politique ambitieuse.

Lors du débat sur le Grand Paris, Charles Revet a attiré l’attention de la commission de l’économie sur la nécessité de relier les ports maritimes du Havre et de Rouen non seulement par une ligne TGV pour les usagers mais aussi par une ligne de fret à haut niveau de performance. Il a en outre souligné l’importance des installations fluviales sur la Seine.

La voie fluviale doit, elle aussi, être une priorité. Malgré la crise, on constate d’ailleurs un accroissement des volumes transportés en 2008 sur la Seine, comme sur le Rhône, entre Marseille et Arles, voire Lyon. Le Gouvernement doit désormais développer une politique volontariste pour favoriser les complémentarités qu’offre la voie fluviale au transport routier de marchandises.

Je profite de cette occasion, monsieur le secrétaire d'État, pour insister – lourdement certes, mais au nom d’une absolue nécessité – sur un dossier que vous connaissez bien : le contournement Est de Rouen. Notre région n’accepte pas que ce dossier soit encore bloqué bien que le débat public ait lieu. Nous attendons qu’il soit très rapidement inscrit au schéma national des infrastructures de transport, le SNIT.

Cette réforme a permis de marquer un essai qu’il faut désormais transformer en étudiant de plus près les moyens de transport multimodaux afin que les ports soutiennent le développement économique des métropoles, et réciproquement.

Seul ce jeu à sommes positives permettra de développer la compétitivité des ports français par rapport aux autres ports européens. Ce que nous voulons entendre au sujet de la réforme portuaire, c’est qu’elle était absolument nécessaire, mais qu’elle appartient aussi à un vaste ensemble de modernisation des infrastructures s’appuyant sur les trois piliers que sont le transport ferroviaire, la voie fluviale et la route.

Le colloque inaugural Seine d’avenir qui s’est tenu la semaine dernière au Havre posait tout à fait cette ambition. Si, ce soir, trois sénateurs de la Seine-Maritime sont réunis sur ce dossier, l’autre jour, au Havre, l’ensemble des élus de la Seine-Maritime, toutes tendances politiques confondues, s’étaient rassemblés pour évoquer ces questions. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Andreoni.

M. Serge Andreoni. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi de commencer mon intervention par une citation de Confucius que chacun pourra apprécier à sa juste valeur : « Examine si ce que tu promets est juste et possible, car la promesse est une dette. »

Ce soir, nous sommes réunis pour fêter le deuxième anniversaire de la réforme portuaire. Je suis très heureux d’être parmi vous pour traiter d’un sujet qui me tient tout particulièrement à cœur car, vous le savez, le moral sur le port de Marseille n’est pas au beau fixe, et c’est le moins que l’on puisse dire !

Dans un contexte d’augmentation globale du transport maritime mondial et au regard des enjeux actuels du commerce maritime, les ports français ne sont malheureusement toujours pas en situation favorable. Face à leurs concurrents européens, les parts de marché continuent de s’amenuiser comme une peau de chagrin.

Aujourd’hui, la France ne représente pas plus de 14 % du commerce maritime européen. L’ensemble du trafic des sept grands ports métropolitains est inférieur au tonnage du seul port de Rotterdam. J’oserai même dire que les ports français jouent aujourd’hui un rôle marginal. Et ce n’est franchement pas rassurant pour l’avenir !

Jusqu’en 2008, alors que le trafic maritime mondial connaissait une croissance de 8 % en moyenne par an pour les conteneurs, sur les 7,5 millions de conteneurs destinés à la France, seuls 2 millions entraient par des ports français.

Au cours des dix dernières années, le volume du trafic de conteneurs a ainsi doublé. Il sera d’ailleurs multiplié par deux dans les sept ans qui viennent dans le cadre d’une croissance qui correspond au développement des flux commerciaux entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord. Comme moi, vous connaissez les effets de cette évolution.

Le recul des ports français est d’autant plus dramatique qu’il s’effectue face à des concurrents de la vieille Europe, et non pas face aux dragons du sud-est asiatique, qui écrasent les coûts salariaux et où 64 % du trafic portuaire s’effectuent par conteneurs.

Pour 2009, l’Organisation mondiale du commerce prévoyait un déclin de 9 % du commerce international. C’est chose faite !

En citant ces chiffres, je tiens à apporter quelques précisions sur la situation du port de Marseille. Et, je dois l’avouer, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis inquiet. Certains me diront que je suis alarmiste. Peut-être ! Mais qui oserait affirmer que la situation n’est pas dramatique sur nos ports ?

Les résultats sont là !  Le Grand Port maritime de Marseille, premier port de Méditerranée pour son trafic global, a perdu, en deux décennies, plus du tiers de ses parts de marché. Il a transporté 12,7 millions de tonnes de marchandises entre janvier et mai 2009, soit une baisse de 21 % par rapport à 2008. Le trafic des marchandises a supporté une baisse de 31 % en cinq mois et la fermeture d’une escale « fruits et légumes » à Marseille.

Dois-je continuer cette litanie de mauvais chiffres ? Eh bien, oui, puisque nous en sommes à l’heure des bilans !

Le vrac solide a subi à Marseille une perte sèche évaluée à 50 % et les hydrocarbures n’ont d’ailleurs été épargnés ni en 2009, avec une baisse de 7 %, ni en 2010 puisque, déjà en février, ils souffraient d’une baisse de 14 %.

Il y a sept ans, le nombre de tonnes manufacturées était de 350 par an et par mètre de quai à Fos contre 400 au Havre et 1 300 à Anvers. Et aujourd’hui, cette situation ne s’améliore pas, loin de là!

Oui, mes chers collègues, nous avons de sérieuses raisons de nous inquiéter. On a pu constater sur certains ports près de 25 % de journées dockers en moins.

Sur le port de Marseille, la situation de l’emploi est pour le moins fragile. Pas moins de 14 000 postes directs et indirects sont menacés par les baisses continues de trafic. D’ailleurs, entre janvier et mai 2009, sur le golfe de Fos, pas moins de 2 000 emplois ont déjà été supprimés. C’est la triste réalité des ports aujourd’hui en France !

Pourtant, dans le cadre de la discussion qui a eu lieu en mai 2008, comme dans votre réponse, publiée le 15 avril dernier, à une question écrite posée en janvier dernier par notre collègue Jean-Noël Guérini, vous continuez, monsieur le secrétaire d’État, à promettre la création de 30 000 emplois. Nous ne devons pas avoir accès aux mêmes informations et chiffres ! Je vous assure, en toute modestie, qu’il vous sera sans doute difficile, monsieur le secrétaire d'État, de comptabiliser les 30 000 emplois promis !

Cette réforme, qui devait transformer et redynamiser l’ensemble des ports français devenus grands ports maritimes, accouche simplement de beaucoup d’amertumes.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. MM. Guérini frères vont dynamiser tous ensemble l’économie de Marseille !

M. Serge Andreoni. Sans aucun doute, monsieur le secrétaire d’État ! Nous comptons sur vous et sommes à votre disposition : si vous souhaitez nous aider, ce sera avec grand plaisir !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. La justice y pourvoira !

M. Serge Andreoni. Peut-être ! Là aussi, je pense que le président Guérini est extrêmement serein.

Pour faire accepter politiquement, économiquement et socialement votre projet, à l’époque, vous aviez fait référence, dans l’exposé des motifs, à la nécessité pour les ports français de regagner les parts de marché perdues.

Alors que l’on souhaitait du concret, du courage et des innovations, le projet se bornait finalement à organiser le transfert au secteur privé de l’outillage et des personnels des ports autonomes, voyant en cela un moyen de renforcer la compétitivité des ports français !

Mais vous n’avez pas pris la mesure des besoins des ports de France. Une politique portuaire doit se situer à la croisée des chemins entre une politique maritime et une politique d’aménagement du territoire.

Certes, monsieur le secrétaire d'État, la réforme a ouvert des pistes de modernisation des ports dans un contexte de mondialisation, mais on a oublié l’essentiel : la définition d’une véritable politique nationale portuaire. Et je ne parle pas du traitement de la question du personnel...

La situation des ports français traduit d’abord, comme tous les observateurs le soulignent, une regrettable absence d’anticipation et de stratégie lisible en matière de politique maritime et portuaire. Je n’invente rien : cette analyse a été développée par la Cour des comptes dans son rapport d’octobre 2009 sur la décentralisation.

Pour calmer les esprits critiques, il a été décidé de rebaptiser les ports maritimes en « grands ports maritimes », avec l’espoir que la réalité suive la sémantique.

La réussite des ports européens par rapport aux nôtres tient sans doute à l’efficacité de leur organisation technique ou commerciale, à leur capacité de s’adapter rapidement face à la croissance des nouveaux modes d’échange. Ils ont su associer intelligemment investissement privé et investissement public.

Dois-je rappeler ici que la compétitivité d’un port dépend non pas uniquement de son positionnement géographique, de ses qualités nautiques, du niveau de ses équipements ou même de l’efficacité de son exploitation, mais aussi de la performance de sa desserte terrestre, qui détermine l’étendue réelle de son hinterland ?

J’enfonce là une porte ouverte, me direz-vous peut-être ; mais cela ne semble pas si évident puisque, à ce jour, le projet stratégique du Grand Port maritime de Marseille reste totalement insuffisant sur le développement du ferroviaire, dont la desserte est pourtant essentielle, et sur le multimodal.

La part des transports terrestres est très importante dans la composition du coût de l’acheminement de la marchandise et sera de plus en plus déterminante.

Sur ce terrain, le retard des ports français est massif et deux chiffres permettent de le mesurer : 50 % de la desserte terrestre des ports du Benelux est assurée par voie fluviale ou ferroviaire ; 80 % de la desserte du port de Marseille est assurée par la route, tandis que les bassins de Fos n’ont toujours pas d’accès autoroutiers. L’autoroute n’existe que jusqu’à Martigues et il faut emprunter ensuite les réseaux national et départemental pour rejoindre le bassin de Fos !

Cette situation tient largement à la faiblesse du soutien financier de l’État au développement des infrastructures des ports français et à l’absence d’investissements permettant d’améliorer leur desserte.

Par ailleurs, le déficit d’investissement est criant si l’on s’intéresse au seul trafic des conteneurs. « Fos 2XL », le premier investissement significatif décidé pour le port de Marseille depuis plus de quinze ans, représente une enveloppe de 206 millions d’euros en termes d’infrastructures.

Cette somme peut paraître dérisoire lorsqu’on la compare avec celles qui ont été débloquées pour les terminaux à conteneurs d’autres ports européens : 600 millions d’euros à Anvers, 2,9 milliards d’euros à Rotterdam, 1,1 milliard d’euros à Hambourg. Et nous faisons bien pâle figure face aux ports du sud de l’Europe : 300 millions d’euros à Gênes et à La Spezia, 520 millions d’euros à Barcelone, 450 millions d’euros à Algésiras.

Parlementons tant que nous voulons sur le bilan de la réforme, mais, avant toute chose, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, reconnaissons que cette séance semble aujourd’hui un peu superfétatoire tant le bilan de la réforme paraît, en termes d’investissements, d’analyse économique et de stratégie commerciale, pour le moins imprécis.

Pourtant, les organisations syndicales de salariés, l’Union nationale des industries de la manutention et l’Union des ports de France ont cru à cette réforme. Leurs espoirs en termes de développement de l’emploi – promesse des 30 000 emplois directs et indirects, développement des journées dockers – et de l’activité – promesse de l’augmentation du trafic de conteneurs de 3,5 millions à 10 millions avant 2015 – étaient tels que les unes et les autres ont tenu à respecter le calendrier fixé par le Gouvernement pour organiser les modalités de transfert au secteur privé de certains personnels du Grand Port de Marseille.

Ils se sont impliqués, allant jusqu’à organiser pas moins de cinquante-trois réunions pour conclure l’accord-cadre interbranche tripartite du 30 octobre 2008, assorti de conditions sociales avantageuses et exorbitantes du droit commun, et ont adopté une convention collective nationale unifiée « Ports et manutention », le 30 juin dernier.

En outre, un travail commun mené sur la notion de cessation anticipée d’activité pour pénibilité a abouti, mais le financement des mesures envisagées reste encore épineux.

Monsieur le secrétaire d'État, il n’est plus possible de nier les difficultés, et l’ensemble des protagonistes attend des réponses concrètes du Gouvernement.

La déception est réelle de part et d’autre, et le personnel est légitimement sur la défensive. D’ailleurs – on peut le regretter –, l’activité de marchandises des grands ports français a été à l’arrêt à de multiples reprises : les 6 et 16 novembre dernier, ainsi que les 4 et 11 janvier 2010. Ce fut aussi le cas du port de Marseille-Fos, à l’arrêt – vrac et conteneurs – avec seize navires à quai.

À Marseille, sur le site de Graveleau, le plan de cession des outillages des terminaux et du transfert du personnel a été rejeté par la Commission nationale d’évaluation. Le Grand Port maritime de Marseille doit donc lancer de nouveau un appel à candidatures.

Souvenons-nous que, en 1992, on nous présentait déjà l’intégration des dockers au sein des entreprises de manutention comme LA réforme.

On aurait souhaité, comme notre collègue Jean-Noël Guérini vous l’avait déjà demandé lors du débat en 2008, que la nouvelle réforme de la manutention soit précédée d’une évaluation précise des effets de la précédente, de son coût, de ses apports en termes de productivité, voire de ses échecs en termes de trafic et donc d’emploi.

Vous allez une fois de plus objecter que la réforme de 1992 n’est pas allée au terme de sa logique et que celle de 2008 l’a achevée.

Je crois plutôt que la réforme de 1992, comme celle de 2008, a souffert de ne porter que sur l’un des facteurs de la productivité des ports en oubliant de s’inscrire durablement dans une stratégie de développement.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant de conclure, je tiens à remercier tout particulièrement les efforts consentis par l’ensemble des protagonistes de la réforme portuaire à Marseille.

Les ambitions marseillaises ont certes été revues à la baisse, mais il faut bien admettre que la direction du port, dans un contexte de crise aiguë, a été freinée dans ses initiatives. « À l’impossible nul n’est tenu », dit-on…

Je terminerai mon intervention sur une note d’optimisme en rappelant que Marseille-Fos reste le premier port français, le premier port de Méditerranée et le troisième port pétrolier mondial, ce dont nous sommes fiers. Qui plus est, les atouts – fleuve, fer, route, pipeline – dont il bénéficie et l’ambition des uns et des autres pour le rayonnement économique de notre département permettent d’envisager un avenir plus ensoleillé pour le Grand Port maritime de Marseille. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis près de cinq siècles, notre pays est une des principales puissances maritimes mondiales, tant par le respect qu’ont toujours inspiré notre marine et ses infrastructures portuaires que par l’immensité de notre littoral, de la métropole à l’outre-mer.

Dans la compétition sans merci à laquelle se sont longtemps livrés les États marins de l’Europe, la France a toujours su s’appuyer sur des ports suffisamment puissants et organisés pour participer efficacement aux échanges maritimes sur l’ensemble des mers et des océans.

Forts de leur histoire, nos ports étaient confrontés depuis quelques années à des difficultés majeures rendant nécessaire une modernisation structurelle, mais aussi à une concurrence de plus en plus effrénée de pays nouvellement émergents. Dès lors, il devenait urgent de leur redonner un nouveau souffle afin de maintenir et de pérenniser la place qui est historiquement la leur.

Qu’il s’agisse de l’entretien, de l’exploitation des accès maritimes ou bien de la modernisation et de l’extension des ports, les investissements ont été le parent pauvre des infrastructures de transport. La compétitivité des ports ne dépend pas uniquement de leur positionnement géographique ou de leur niveau d’équipement, elle est également fortement liée à la performance de leurs dessertes terrestres, qui déterminent l’étendue réelle de leur hinterland.

À titre d’exemple, la plateforme portuaire de Rotterdam bénéficie de 12 milliards d’euros sur la période 2008-2012 ; la Belgique a investi 600 millions d’euros pour quatre grands ports entre 2000 et 2008, alors que le gouvernement français annonce un doublement des contributions des contrats de plan État-région, soit 174 millions d’euros, abondés des 50 millions d’euros du plan de relance.

Les moyens engagés ne semblent pas à la hauteur des objectifs annoncés.

La loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire est une réforme de caractère global qui s’inscrit dans une stratégie de réappropriation des activités portuaires alliant développement économique, respect de l’environnement et promotion d’une politique de transport multimodale.

Moins de deux ans après sa promulgation, nous voici appelés à dresser un premier bilan de son application. Bien entendu, il n’est pas question de contester le bien-fondé de ce texte : la modernisation d’infrastructures vieillissantes s’imposait d’autant plus que les acteurs concernés la réclamaient. En outre, il est toujours réjouissant d’encourager le partenariat entre les grands ports maritimes et les collectivités qui les abritent, la multiplication des échanges entre gestionnaires et élus locaux ne pouvant déboucher que sur un accroissement des responsabilités et une amélioration des services portuaires.

Mais, sur ce sujet, je tiens à évoquer deux points.

Le transfert de certaines activités aux opérateurs privés – et l’histoire récente nous le démontre tous les jours – ne renforcera pas nécessairement la compétitivité des ports français. Le risque de monopolisation de l’activité de manutention existe.

Quant au second point, c’est celui du rôle de l’État dans les conseils de surveillance. Avec cinq représentants, l’État en reste l’acteur principal. Il serait donc légitime que son engagement financier soit à la hauteur de sa responsabilité dans les conseils de surveillance. En effet, dans la gouvernance des ports, la place des collectivités territoriales reste très marginale en termes de pouvoir, alors que l’appel au financement de ces mêmes collectivités a augmenté de façon importante.

Toutefois, la réforme initiée en 2008 comporte un volet important, mais socialement dangereux, qui est celui de la simplification et de la rationalisation de la manutention portuaire. Ces dispositions, complétées par un accord-cadre du 30 octobre 2008, prévoient le transfert à des entreprises privées de la détention et de l’exploitation des outillages et matériels de manutention.

Ce dispositif a provoqué, on s’en souvient, un vaste mouvement de contestation nationale, notamment par toute une série de blocus sur les principaux ports concernés. Ce mouvement social était d’autant plus justifié que les nouvelles dispositions risquaient – et risquent toujours – de fragiliser une catégorie de personnels particulièrement vulnérables au profit d’entreprises privées qui n’hésiteront pas à utiliser l’arme facile de la main-d’œuvre étrangère à bon marché sur notre propre territoire.

Même si l’accord prévoit la reprise automatique des personnels de manutention, rien n’empêche de faire appel à des sous-traitants permanents ou périodiques non soumis au droit français. Les conséquences économiques et sociales sont trop importantes pour les personnels, mais aussi pour la qualité des prestations, pour être passées sous silence.

Était-il réellement nécessaire de briser une logique historique qui a toujours fait la preuve de son efficacité pour imposer une logique strictement concurrentielle et ouverte à tous les excès ? Je ne le crois pas.

Depuis deux ans, le dispositif d’ouverture à la concurrence des opérations de manutention a créé un profond sentiment d’injustice auprès de personnes le plus souvent peu ou mal rémunérées. Loin d’atténuer les risques de conflits sociaux, la réforme portuaire de 2008 porte en son sein les germes de la contestation, qui peut éclater à tout moment.

De plus, monsieur le secrétaire d'État, je tiens à souligner l’aspect incomplet de la loi du 4 juillet 2008, qui a délaissé les ports de plaisance.

Permettez-moi de rappeler en quelques chiffres ce que représente la plaisance.

On dénombre environ 370 ports de plaisance pour un parc plaisancier, en France métropolitaine uniquement, de près de 900 000 unités. Selon les services de l’État, chaque année, plus de 25 000 nouveaux navires sont immatriculés. En hausse constante et régulière, les activités liées à la plaisance permettent à la France d’être l’un des trois premiers constructeurs mondiaux de navires de loisir. En y ajoutant les prestations portuaires, ainsi que les services liés à l’usage de la mer, le secteur de la plaisance représente des milliers d’emplois et a un impact financier de plusieurs centaines de millions d’euros.

Or les ports de plaisance, fluviaux comme maritimes, qui font le charme de nos territoires tout en participant pleinement à la vie économique de nombreuses collectivités marines, sont confrontés à de lourdes difficultés liées au manque de place.

Ici encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pour 900 000 navires, il n’existe que 163 000 anneaux portuaires disponibles. En d’autres termes, seules deux unités sur dix environ pourront bénéficier de places de mouillage. Cet état de fait, qui empire d’année en année, comporte un certain nombre d’inconvénients, tant pour les plaisanciers que pour les collectivités locales.

D’une part, le manque cruel de place au sein des ports de plaisance représente un réel manque à gagner pour les finances des collectivités locales. D’autre part, pour faire face à la pénurie d’anneaux, certaines collectivités ou établissements publics concessionnaires ont encouragé le système des cales sèches et des mouillages organisés hors zone portuaire. En France, ces derniers sont au nombre d’environ 60 000, ce qui est bien peu au regard des besoins.

Il en résulte ainsi des conséquences écologiques dramatiques en termes de pollution domestique. Conformément à une législation et à une réglementation très strictes, de nombreux efforts ont été entrepris ces dernières années par les gestionnaires de ports pour la collecte et le tri des déchets dus à la plaisance.

Monsieur le secrétaire d’État, la réforme portuaire de 2008 s’attachait à encourager et à pérenniser les valeurs environnementales. Pourtant, vous n’ignorez pas que, après le transfert aux grands ports maritimes de la gestion globale des espaces portuaires, l’inquiétude des associations de défense de l’environnement, au sujet des espaces naturels protégés et des écosystèmes situés dans le périmètre couvert par les grands ports, ne cesse de s’accentuer.

Certes, il existe au sein du code de l’environnement un certain nombre de dispositifs tendant à renforcer les devoirs des gestionnaires portuaires dans la lutte contre les pollutions marines. En revanche, rien n’a jamais été prévu pour empêcher à la source les nuisances liées aux « macrodéchets » dans le prolongement des ports, à savoir les zones de mouillage.

Lancé il y a près d’un an, le Grenelle de la mer doit être l’occasion de dresser un bilan complet des activités de plaisance et de mettre en place des mesures réglementaires fortes pour lutter contre les déchets qui en sont issus. Le Grenelle de la mer, à condition qu’il ne devienne pas une coquille vide, est l’occasion unique de combler les lacunes de la réforme portuaire de 2008. Nous y serons très attentifs.

Après le défi politique en 2008, le défi social en 2009 et en 2010, c’est maintenant le défi économique qui doit être relevé. Et sans un engagement fort et massif de l’État, les objectifs affichés par cette réforme portuaire ne seront certainement pas atteints. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)