M. Éric Woerth, ministre. Parce qu’il faut plus de capital !

M. Yvon Collin. La part des dividendes dans la valeur ajoutée est passée de 3,2 % du PIB en 1982 à 8,5 % en 2009. Il est donc de moins en moins crédible de calculer les cotisations patronales sans tenir compte de l’évolution de la valeur ajoutée et, en son sein, de la part des revenus du capital. Nous sommes d’ailleurs nombreux à souhaiter que les efforts consentis par les uns et les autres soient ainsi mieux partagés.

La taxation des revenus complémentaires est une autre piste. Je pense en particulier aux stock-options, mais aussi aux dispositifs d’intéressement et de participation. Vous auriez pu aller plus loin sur ce sujet. Je suis toutefois satisfait que la question des retraites chapeaux et celle de la contribution des hauts revenus soient sur la table.

Les radicaux sont attachés, également, à la création d’une taxation de certaines transactions financières. Nous en discuterons la semaine prochaine en séance publique, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi du RDSE. Nous souhaitons que 50 % du produit de cette taxe alimente le Fonds de réserve pour les retraites. J’espère, mes chers collègues, que vous serez nombreux à soutenir et à voter ce dispositif !

Au-delà de ces aménagements techniques et financiers, nécessaires pour parvenir à rendre soutenable notre régime de retraite, les radicaux de gauche souhaitent que l’on dépasse, sur cette question, l’approche comptable.

Nous devons engager une réflexion plus globale sur la société et ses évolutions. Dans cette optique, nous souhaitons encourager les salariés à travailler plus longtemps en instaurant un système de bonus progressif et, plus généralement, élargir ce système de bonus aux périodes de stage, d’apprentissage, de formation longue, de travail bénévole et de volontariat, je pense par exemple au nouveau service civique.

Les temps de formation, les modes de travail et l’allongement de la vie ont bouleversé l’organisation du temps tout au long de l’existence. Le système actuel de retraite repose sur un modèle économique ancien. Il doit être modernisé au regard du nouveau contexte dans lequel il opère.

Dans le cadre d’un renforcement de la répartition, nous proposons la mise en œuvre d’un système à points, plus flexible et plus responsable, permettant aux salariés et aux travailleurs indépendants de faire leurs propres arbitrages entre durée de cotisation et niveau de pension.

N’oublions pas non plus, monsieur le ministre, que la clef essentielle du redressement de toute politique sociale passe par un retour énergique à une politique de développement économique. Or, force est de le constater, nous sommes loin de voir le bout du tunnel. Malgré les différents plans de relance, la France continue à perdre des parts de marché dans le commerce mondial et la masse salariale a baissé de 1,4 % en 2009.

Plus grave encore, dans notre pays, le taux d’emploi des seniors est inférieur à la moyenne européenne et le chômage des jeunes reste encore malheureusement très élevé.

Ce chômage chronique des jeunes et des seniors, outre les problèmes humains qu’il engendre, est ce qu’il faut combattre en priorité pour remettre dans la boucle du travail des « cotisants » en puissance.

Pour cela, les radicaux souhaitent rétablir la politique des emplois-jeunes, en encourageant les vocations précoces pour des métiers manuels. Il serait également nécessaire d’instaurer une vraie politique des « emplois-seniors », qui irait au-delà des propositions du Gouvernement.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, il faut sanctionner les employeurs qui abusent, par commodité, du licenciement ou de la préretraite.

Sur le plan économique, il faut dynamiser plus encore la création d’entreprises et d’emplois, en donnant un nouveau rôle à la Caisse des dépôts et consignations, en relocalisant les productions « haut de gamme » de l’industrie et en renforçant le Small Business Act européen par des prêts aux PME à taux zéro.

Afin de favoriser de nouveaux réseaux de solidarité en direction des seniors, pourquoi ne pas viabiliser le secteur des services à la personne en créant, au sein de la sécurité sociale, un cinquième risque « dépendance », et en adoptant une politique fiscale de soutien aux associations de ce secteur répondant à des critères d’utilité sociale ?

Bien d’autres voies mériteraient, à mon sens, d’être explorées. Nous aurons l’occasion d’y revenir en septembre, même si je constate que le Gouvernement tente aujourd’hui de nous enfermer dans ses choix.

Sachez que les radicaux de gauche et de nombreux membres du RDSE useront de leur droit d’amendement pour proposer des alternatives préservant la pérennité de notre système de retraite et garantissant notre pacte social.

Dans les futurs débats, nous ne manquerons pas de rappeler à l’État ses responsabilités, dans un esprit toujours constructif et toujours positif. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, partout en Europe les gouvernements ont pris en compte les évolutions de la pyramide des âges et ont adopté des mesures de modification des régimes de retraite intégrant ces données démographiques, notamment l’allongement de la durée de vie.

Je ne vois pas pourquoi la France se singulariserait. Les autres Européens partent à la retraite à partir de 62 ans, voire plus. Notre grand voisin allemand vient ainsi de fixer l’âge de la retraite à 67 ans !

Aurions-nous une recette miracle qui nous rendrait infiniment meilleurs que les autres ? Disposons-nous d’une martingale qui nous permettrait de faire comme si de rien n’était ?

Nous devons avoir le courage de regarder la vérité en face et de prendre des mesures pour redonner à notre pays plus de compétitivité et pour rééquilibrer les comptes.

Cela étant dit, je regrette que l’on ne s’achemine pas vers un consensus fort en faveur de la fusion et de l’uniformisation des régimes de retraite. Je suis très choqué, pour ma part, par l’existence de régimes spéciaux.

La presse parle beaucoup du régime de retraite des parlementaires ; je suis d’ailleurs tout à fait partisan de le réformer. Mais il existe bien d’autres régimes spéciaux, notamment les régimes spécifiques des commerçants, des artisans, des professions libérales, des agriculteurs...

Nous devons généraliser le régime de retraite par points. Ce système pourrait très bien fonctionner pour la retraite de base, à l’instar de ce qui se fait pour la retraite complémentaire !

On ne peut pas demander à ceux qui exercent des métiers difficiles de faire des sacrifices importants, tout en laissant complètement de côté certains régimes spéciaux, comme ceux de la SNCF ou d’EDF. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Les conducteurs de trains ont, certes, des responsabilités, mais ils n’exercent pas un métier plus difficile qu’un autre. Or ils partent à la retraite à 50 ans ! Et je passe sur le fait que nombre d’entre eux, une fois retraités, retravaillent dans des entreprises ferroviaires privées, ce qui prouve qu’ils ne sont pas si fatigués...

Dans le même temps, un chauffeur d’autobus qui dessert des zones urbaines sensibles et des quartiers difficiles, qui se fait cracher dessus tous les matins, et subit au quotidien la circulation et les embouteillages, devra travailler jusqu’à 62 ans. Et l’on refuserait de toucher au régime de retraite des conducteurs de trains ? C’est incompréhensible !

Il y a là une pérennisation de l’injustice !

Il manque à ce projet des mesures fortes destinées à uniformiser et à unifier progressivement les régimes de retraite. Il ne s’agit pas d’entreprendre ce chantier dès à présent, car ce n’est pas possible, mais il faut se fixer un objectif à dix ans ou à quinze ans, et rapprocher progressivement, une année après l’autre, les différents régimes. Nous aboutirions ainsi, dans vingt ans, à la mise en place d’un régime unique de retraite par points, qui est le système le plus équitable. (Applaudissements sur quelques travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.

Mme Annie David. Enfin des propos intéressants !

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui n’est pas un exercice facile, et ce pour deux raisons : tout d’abord, la question des retraites est éminemment complexe ; ensuite, lancé sur l’initiative de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat, ce débat se tient le jour même où le Gouvernement annonce ses projets en matière de retraite, ce qui clôt une longue période de rumeurs, de fausses informations, de ballons d’essais, en bref de tests... Autant de techniques destinées à prendre le pouls de la population, à préparer l’opinion publique et à imposer les mesures les plus scandaleuses : report de l’âge légal de départ à la retraite, allongement de la durée de cotisation, attaques frontales contre les trois fonctions publiques !

Le groupe CRC-SPG a fait le choix, depuis quelques mois déjà, de se positionner clairement en tant que force de proposition. Personne dans cette assemblée ne pourra prétendre le contraire !

Nous avons donc présenté, conjointement avec le rapport de la MECSS rédigé par nos collègues Dominique Leclerc et Christiane Demontès, une contribution faisant état de nos observations et propositions. Notre groupe parlementaire a d’ailleurs été le seul à engager cette démarche, qui prendra la forme, le 21 juin prochain, d’un débat à l’Assemblée nationale, au cours duquel les parlementaires communistes déposeront une proposition de loi relative au financement des retraites.

Je tiens à rappeler ce que nous avons déjà dit dans notre contribution au rapport de la MECSS : nous sommes convaincus que notre pays n’est pas confronté, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, à un défi démographique insurmontable ni à un manque crucial de financement.

Soyons clairs : nous ne contestons pas le fait que notre système de retraite soit « impacté » par des facteurs démographiques. Il est vrai que, à l’horizon de 2025, le nombre de retraités aura considérablement augmenté, et les effets du papy-boom ne cesseront de croître jusqu’en 2020. Mais il s’agira d’une situation transitoire, comme s’accordent à le dire tous les sociologues et tous les économistes. Le Gouvernement dramatise la situation !

Nous contestons également l’analyse selon laquelle il serait devenu impossible de financer notre régime de retraite par répartition. Nous considérons que les ressources financières existent et que nous devons impérativement, pour financer les retraites de nos aînés, mais surtout celles des générations à venir, poser la question d’une plus juste répartition des richesses produites.

Les économistes le disent tous : il s’est produit un véritable tournant dans les années quatre-vingt puisque, pour la première fois, la part de valeur ajoutée consacrée aux salaires a perdu entre 8 et 10 points au profit des actionnaires.

M. Guy Fischer. Dans le même temps, les prélèvements financiers sur la valeur ajoutée produite dans les entreprises ont littéralement explosé. Ils représentent aujourd’hui 359 milliards d’euros, c’est-à-dire 36 % de la valeur ajoutée, alors que les prélèvements sociaux ne représentent que 151 milliards d’euros, soit deux fois moins.

Autrement dit, et nous sommes en complet désaccord sur ce point avec le Gouvernement et sa majorité, l’argent existe, et c’est bien sa mobilisation en faveur de l’emploi et des retraites qui doit être au cœur des politiques publiques.

Comment ignorer, par exemple, que la part des richesses produites dans les entreprises consacrée aux dépenses salariales soit progressivement passée de 72,8 % en 1970 à 66,2 % en 2000, alors que la productivité des salariés de notre pays, elle, n’a cessé de croître et se révèle être l’une des meilleures au monde ?

Selon les estimations de la Commission européenne, une somme de 100 milliards d’euros par an est consacrée à la rémunération du capital, en lieu et place de celle du travail. De surcroît, sur la même période, la part des dividendes versés aux actionnaires n’a cessé d’augmenter.

M. Guy Fischer. Ne comptant que pour 5 % de la valeur ajoutée en 1985, elle en représente à l’heure actuelle 25 %.

Mme Annie David. C’est scandaleux !

M. Guy Fischer. Cette survalorisation du capital joue contre le travail, entraînant à la fois la massification du chômage, le non-investissement dans l’outil productif et la stagnation des salaires.

En fait, on assiste à un véritable écrasement des salaires et des retraites, ainsi qu’à la délocalisation de la production.

Cette situation n’est pas acceptable !

Est tout aussi intolérable la manière dont les gouvernements successifs organisent, année après année, l’appauvrissement volontaire des comptes sociaux et le transfert progressif de leur financement des entreprises vers les foyers, les familles.

Le système mis en place prend principalement la forme d’exonérations ou d’exemptions de cotisations sociales et fiscales, principalement patronales. Ainsi, depuis 1992, les exonérations de cotisations sociales représentent une ristourne de 21 % accordée aux employeurs. Ces mécanismes sont d’autant moins acceptables que les exonérations, mêmes compensées par l’État, non seulement conduisent à un appauvrissement des comptes sociaux, mais également constituent une mauvaise pratique budgétaire, laissant croire à l’État qu’il peut disposer à sa guise des fruits du travail des salariés qui sont, en réalité, une part de salaire socialisée.

De la même manière, les exemptions de cotisations sociales – moins popularisées que les exonérations de cotisations sociales – participent de cet appauvrissement des comptes sociaux ; leurs effets sont d’ailleurs proportionnellement plus importants, dans la mesure où les exemptions, à l’inverse des exonérations, ne sont pas compensées par l’État. Elles sont cependant d’autant plus lourdes de conséquences qu’elles induisent des comportements patronaux néfastes pour les comptes sociaux et pour les salariés eux-mêmes.

En effet, les employeurs, pour éviter d’acquitter les cotisations sociales qui pèsent sur les salaires, préfèrent, notamment, remplacer les augmentations de salaires – un mécanisme collectif – par l’intéressement, la participation, l’épargne salariale ou l’épargne retraite, autant de mécanismes individualisés et non soumis à cotisations sociales.

On constate d’ailleurs la perversité de ce mécanisme en comparant les sommes distribuées au titre de ces dispositifs, qui, en cinq ans ont augmenté de 9 %, alors que la masse salariale, elle, n’a progressé que de 3 %.

Ainsi, selon les estimations de la Commission des comptes de la sécurité sociale, les 17,4 milliards d’euros versés au titre de l’intéressement auraient pu rapporter, s’ils avaient été acquittés sous forme de salaires, 7 milliards d’euros à la protection sociale, dont une part aurait pu alimenter tant la Caisse nationale d’assurance vieillesse que les régimes complémentaires de retraite.

M. Jean Desessard. Et voilà !

M. Guy Fischer. D’une manière plus globale, nous réaffirmons qu’une seule piste, une seule solution doit être envisagée pour assurer le financement pérenne de nos régimes de retraite et de la protection sociale dans son ensemble : favoriser l’emploi, singulièrement l’emploi de qualité, autrement dit l’emploi qualifié.

La crise économique et financière, qui résulte de la financiarisation outrancière de l’économie et qui a provoqué la destruction de 680 000 emplois depuis la fin de l’année 2008, n’est pas sans conséquences sur la situation actuelle.

Ainsi, les économistes estiment l’impact financier de la crise sur les régimes de retraite à environ 10 milliards d’euros, soit la moitié du déficit actuel.

C’est pourquoi nous considérons qu’il est urgent d’élaborer une vraie politique de l’emploi, tant, certes, pour les salariés âgés de 50 ans et plus que, à l’autre bout de la chaîne, pour les jeunes qui peinent à trouver leur premier emploi et à le garder. Cela suppose l’instauration de règles fiscales et sociales qui favorisent les entreprises dans lesquelles la part de richesse consacrée à l’emploi et aux salaires est importante et qui, au contraire, sanctionneraient celles qui consacrent une part considérable de leur valeur ajoutée aux actionnaires et à la spéculation.

Mais, visiblement, ni la majorité parlementaire ni le Gouvernement ne sont prêts à faire un tel choix !

Dans ce contexte, il n’y a rien d’étonnant, comme le souligne le rapport de la MECSS, à ce que nos concitoyens, particulièrement les plus jeunes d’entre eux, ne croient plus en la retraite par répartition et estiment que le système actuel est à bout de souffle. Il faut dire que tout est fait pour le présenter comme tel, à commencer par les recommandations des deux coauteurs du dernier rapport de la MECSS : annonce de l’augmentation des périodes de cotisation et du report de l’âge légal de départ à la retraite après 60 ans.

Cette observation a conduit nos deux collègues à préconiser un renversement complet du système et à proposer l’émergence d’un système dit de « retraite par points ».

La mise en place d’un tel régime constituerait un véritable renoncement à la solidarité entre les générations. En effet, dans un tel scénario, l’assuré accumule des points qu’il achète avec ses cotisations, en fonction d’une valeur d’achat ; le montant de sa pension se calcule en multipliant le nombre de points cumulés par la valeur du point. C’est la règle du chacun pour soi qui l’emporte. Les périodes de chômage, de précarité ou de maternité ne sont pas prises en compte.

Les régimes de retraites complémentaires français sont précisément assis sur un système de points. Or, année après année, on constate un double mouvement : augmentation du prix du point et diminution du rendement de ce dernier. Autrement dit, on achète toujours plus cher des points dont la valeur est, chaque année, inférieure à celle de l’année précédente !

Mais, au-delà même d’un changement en matière d’acquisition des droits, les modèles de retraites dits « à cotisations définies », parce qu’ils entraînent une plus grande individualisation des comportements, accroîtront inévitablement la part de capitalisation.

Ce mouvement a déjà commencé en France avec la généralisation des mécanismes d’épargne retraite qui, contrairement à la retraite telle qu’on la connaît aujourd’hui, sont individualisés et sont précisément à cotisations définies. Les retraites que se constituent par le biais de ces mécanismes nos concitoyens dépendent donc non seulement de leur propre capacité à épargner, mais aussi des choix de placements qu’ils ont réalisés conjointement avec leurs banques. Les salariés deviennent peu à peu eux-mêmes responsables de la faiblesse de leur niveau de pension.

Il existe bien une théorie selon laquelle il faudrait lever tous les obstacles à la retraite en permettant l’instauration d’une retraite à la carte – une limite d’âge ne serait plus fixée et le salarié serait le seul à décider de la date de son départ –, mais c’est une véritable chimère, car, très majoritairement, les salariés ne sont pas décisionnaires en matière d’emploi. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les statistiques : le taux d’emploi des salariés âgés de 55 ans à 64 ans n’est que de 50 %.

Par ailleurs, il nous faudrait également mesurer l’importance du nombre de salariés usés par le travail qui, en l’absence d’une véritable reconnaissance de la pénibilité de leur emploi, seraient contraints de partir à la retraite de manière anticipée, subissant alors une décote d’autant plus injuste que leur état de santé est précisément la résultante d’une activité professionnelle lourde de conséquences.

Faute de temps, je ne peux détailler les analyses et les propositions que nous avons formulées via notre contribution au rapport de la MECSS. Je vous renvoie donc à la lecture de ce document, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, certain que vous y trouverez les éléments vous permettant de proposer, enfin, une réforme des retraites juste et équitable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai en évoquant les conditions de ce débat. Le Gouvernement a annoncé ses propositions ce matin : c’est un peu court pour réagir !

M. Gérard Longuet. C’est en temps réel !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. De surcroît, c’est assez cruel pour la MECSS, car l’excellent rapport de Christiane Demontès et Dominique Leclerc risque de passer, avouons-le, un peu au second plan !

J’entre maintenant dans le vif du sujet : pour sauver le système de retraite par répartition, jouer sur un seul des paramètres de l’équation – l’âge de départ, le niveau des cotisations, celui des pensions – imposerait un tel ajustement de cette variable que cette solution est impensable. Nous avons pu le constater tout à l’heure avec les chiffres que nous a communiqués Dominique Leclerc.

Tout le débat est donc là : comment moduler les paramètres pour boucler la réforme ?

Pour répondre à cette question, plutôt que de partir des paramètres eux-mêmes, je préfère articuler mon intervention autour des principes prônés par la MECSS à la suite de ses auditions et qui devront, selon nous, gouverner notre action.

Ces principes, dont s’est inspiré le Gouvernement, sont au nombre de trois : responsabilité, équité et solidarité.

Tout d’abord, il est de notre responsabilité de régler la question des déficits tout en garantissant le niveau des pensions. La baisse de ces dernières n’est, bien sûr, pas une option, tant elle sonnerait comme un recul et un aveu d’échec.

Alors, qu’entend-on par « régler la question des déficits » ? Il s’agit non pas de définir un niveau « acceptable » de déficit, mais bien plutôt de viser le retour à l’équilibre.

À quel horizon ? Vous proposez, monsieur le ministre, de retenir l’année 2018, ce qui laisse envisager, compte tenu de l’évolution démographique qui pourrait ne pas être aussi linéaire que l’on veut bien le dire aujourd’hui, une nécessaire clause de revoyure.

Fixer un horizon à huit ans conditionne aussi le choix des paramètres devant évoluer. En effet, l’âge effectif de départ à la retraite est évidemment un élément essentiel pour assurer le redressement financier du système. On peut alors jouer sur deux paramètres : la durée de cotisation et les âges légaux d’ouverture des droits et d’obtention d’une pension à taux plein.

Si l’on se fixe 2018 pour horizon, il paraît rationnel de consentir à un relèvement de l’âge d’ouverture des droits, mais pas à une augmentation de la durée de cotisation.

Effectivement, nous pensons que cet âge peut être repoussé, car il faut sortir de l’idéologie pour sauver le système. Il pourrait passer, selon le Gouvernement, de 60 ans à 62 ans en huit ans. Selon nous, un tel relèvement est possible sous quatre conditions, qui ne semblent pas toutes réunies si l’on en juge aux grandes lignes du projet que vous avez présentées, monsieur le ministre.

Première condition : ce report doit être progressif. Le principe d’un rapport stable entre durée d’assurance et espérance de vie fixé par la loi de 2003 doit jouer à plein. Or ce n’est pas ce que vous semblez proposer avec une élévation de l’âge d’ouverture des droits de quatre mois par an, alors que l’espérance de vie augmente, elle, d’un trimestre par an.

Deuxième condition : une dérogation au principe doit être prévue pour les carrières longues et dans le cadre de la prise en compte de la pénibilité. J’y reviendrai.

Troisième condition : le relèvement de l’âge d’ouverture des droits ne doit pas emporter mécaniquement décalage de l’âge légal à 65 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Or vous proposez exactement le contraire.

Quatrième condition : le report de l’âge d’ouverture des droits ne pourra porter ses fruits que s’il est accompagné d’une politique très volontariste en faveur de l’emploi, en particulier celui des seniors. Dans le cas contraire, il pourrait se traduire par une augmentation du chômage.

Si, sous ces conditions, nous sommes favorables au relèvement de l’âge d’ouverture des droits, en revanche, nous sommes opposés à une augmentation de la durée de cotisation au-delà de ce que fixait la réforme de 2003 pour des raisons d’équité, évidemment, mais aussi parce que, d’ici à 2018, ce paramètre n’aura pratiquement aucun effet sur les comptes des régimes de retraite.

Nous notons donc avec satisfaction que, finalement, le projet gouvernemental ne comporte pas d’augmentation de la durée de cotisation.

La réforme ne devra cependant pas être exclusivement comptable. Ainsi, le deuxième principe devant gouverner notre action est l’équité.

À ce titre, monsieur le ministre, vous avez décidé de sanctuariser le dispositif « carrières longues ». Nous ne pouvons que nous en réjouir. La pénibilité doit aussi être prise en compte, ce que vous faites.

Bien sûr, le dossier de la pénibilité ne se confond pas avec celui de la retraite. Cependant, les deux sont connexes. Pour que la retraite prenne en compte ce facteur, comme le souhaitait la MECSS, vous proposez, monsieur le ministre, que la retraite anticipée soit accordée aux travailleurs bénéficiant déjà d’une rente au titre d’une incapacité de travail reconnue. Nous craignons que ce ne soit encore trop limitatif.

Nous préférerions un système s’inspirant de celui du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA, financé aussi par les employeurs concernés, autrement dit, un système plus généreux et sans doute plus juste.

Le troisième et dernier principe autour duquel la réforme doit s’articuler est la solidarité. Afin d’assurer la solidarité entre les régimes, il est nécessaire de poursuivre le rapprochement entre fonction publique et secteur privé lancé par la réforme de 2003. Sans même évoquer le salaire de référence, est-il normal que les taux de cotisation du régime des fonctionnaires et du régime général continuent de connaître un écart de plus de deux points ?

Vous proposez une convergence, monsieur le ministre. Cette mesure me paraît aller dans le bon sens à condition de ne pas être contrebalancée par une baisse de rémunération dans la fonction publique.

Cependant, promouvoir la solidarité dans l’assurance retraite, c’est aussi faire en sorte que tout le monde y contribue, et pas seulement les travailleurs salariés. C’est une question de justice, qui rendra acceptable la réforme qui est posée du système des retraites.

Les cotisations du régime général ont atteint un niveau plafond. Il n’est pas envisageable de les augmenter sans frapper cruellement la croissance.

En revanche, le Gouvernement propose plusieurs mesures financières pour élargir l’assiette des cotisations, dont certaines nous semblent très intéressantes.

C’est le cas de l’annualisation du calcul des exonérations de charges, déjà demandée par la commission des affaires sociales, ou du relèvement du taux spécifique applicable aux attributions de stock-options ou d’actions gratuites. De même, nous avions préconisé une taxation des retraites chapeaux plus ample que celle que vous proposez.

Mais tout cela ne suffit pas : la mobilisation de ressources nouvelles est absolument nécessaire. C’est pourquoi nous devons poursuivre le réexamen de l’ensemble des niches sociales.

On peut également s’interroger sur la sortie de la CSG et de la CRDS du bouclier fiscal. À titre personnel, j’y serais plutôt favorable.

Reste, enfin, l’option de la TVA sociale ou d’un relèvement de la CSG.

Ces ressources nouvelles seraient affectées au financement des risques relevant de la solidarité nationale que sont la santé et la famille. Les cotisations sociales seraient redéployées, à due concurrence, vers la branche vieillesse.

Faute de prendre de telles mesures, vous êtes obligé, monsieur le ministre, de recourir au fonds de réserve pour les retraites, le FRR. Ne craignez-vous pas sa disparition totale à l’horizon 2018, compte tenu de l’ampleur des déficits qu’il reste à couvrir ?

Tels sont donc les enjeux de court terme.

Cependant, saisissons l’occasion de ce rendez-vous pour voir plus loin. Depuis la réforme de 2003, le groupe de l’Union centriste défend la nécessité de mener, à moyen terme, après la réforme paramétrique, une réforme structurelle qui rendrait le système plus transparent, plus équitable et plus lisible.

C’est la fameuse idée du passage de l’annuité à un système par points ou au compte notionnel. Pour la première fois dans son rapport sur l’avenir du système de retraites, la MECSS nous a rejoints sur ce point clé.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à faire adopter, dans le projet qui nous sera soumis, le principe d’une réforme systémique pour l’avenir ? (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)