M. Jean-Louis Lorrain. Hormis pour les cas flagrants, reconnus de tous, les plus choquants s’ils sont délaissés, les situations doivent être abordées avec précaution et souci de l’équilibre des droits.

Le point faible de l’ordonnance de protection, c’est la présomption de culpabilité. Le juge aux affaires familiales doit se prononcer au vu d’attestations partielles. Il est imposé de ne pas étudier une partie sans l’autre. Par ailleurs, le juge aux affaires familiales n’a pas actuellement de pouvoir d’enquête. Nous sommes donc dans une confusion entre le civil et le pénal.

La commission spéciale y est sensible. On lit dans son rapport que « la lutte contre les violences faites aux femmes doit constituer un des fondements de notre pacte républicain et, à ce titre, être inscrite dans la Constitution ».

L’ordonnance doit permettre à la victime de se faire reconnaître comme telle ou de demander au juge de réunir des preuves ou des témoignages de ce qui s’est passé. Le juge prend des mesures de contrainte.

Nous sommes dans la contradiction de deux juridictions.

Sur le plan civil, l’ordonnance de protection de quatre mois va permettre à certains de se prévaloir de cette situation. Le juge du fond pourra hésiter à remettre en cause les décisions, qui ont pu être prises sur de mauvaises bases.

On ne peut négliger la possibilité d’un demandeur mal intentionné : conflit de véracité, de dénonciation.

Les réponses médico-sociales aux violences ne peuvent qu’être partielles. Nous sommes confrontés à la relation d’un sujet à l’autre dans une vision collective.

Nous pourrions proposer de mieux utiliser la loi sur la protection des majeurs, par exemple. Les dispositifs MASP, ces mesures d’accompagnement social personnalisé, relevant des conseils généraux et réservés aux majeurs fragilisés économiquement, pourraient être une voie d’accès à la prise en compte du problème.

Avec audace, nous pourrions par exemple soutenir la levée du secret professionnel, dans l’esprit du signalement des enfants en danger, pour les couples vivant des situations d’extrême danger et vis-à-vis desquels nous nous sentons démunis ; je pense au déni et au refus de plainte. Mais, pour prospérer en ce sens, combien de résistances, combien d’obstacles nous faudra-t-il lever, sans parler du dogmatisme ?

L’accompagnement pourrait faire l’objet d’une approche médico-sociale plus spécifique.

En fonction des cas, l’approche des violences peut en effet être adaptée. Je citerai le cas du pervers narcissique. Il s’agit d’un cauchemar pour la victime, et l’objet de tous les dangers pour le travailleur social, pour le médecin et pour le magistrat. Manipulateur, le pervers narcissique peut mettre ses interlocuteurs en difficulté et même placer la société en situation d’aggraver les souffrances de la victime.

Les violences croisées entre les époux complexifient le diagnostic de situation et la prise de décision.

L’approche de l’alcoolique ou du toxicomane violent relève d’un contexte social économique différent, avec des possibilités de soins, donc d’un éventuel retour à l’équilibre.

La formation des acteurs, cela a été dit, doit être renforcée, qu’il s’agisse tant des experts et des médecins que des magistrats et des travailleurs sociaux.

J’évoquerai maintenant la maîtrise des concepts.

Les violences psychiques par exemple, sans contact physique, bien que décrites, posent d’importants problèmes d’interprétation. Le harcèlement moral ne peut être appréhendé uniquement par un questionnaire adapté ; il doit être défini par des comportements. Ceux-ci étant difficilement modélisables, ils nécessitent de la précision dans leur définition, car ils aboutissent à des incriminations. Sans ces précautions, nos propositions ne deviennent que des pétitions de principe.

Nous ne pouvons offrir ni la démesure ni la simplicité, et les incantations relèvent en fait de l’impuissance.

Mais il n’y a pour nous aucune fatalité. On a pu constater de réels progrès en matière d’accueil par la police et la gendarmerie. Alors, offrons des réponses, parlons des réalités, dépassons les affects.

Les initiatives regroupant des travailleurs sociaux et financées par les conseils généraux, les villes, l’État, les associations supports, sur des sites urbains, en zone police, et ruraux, en zone gendarmerie, sont des expériences à encourager.

La prise en compte d’état de crise en urgence permet le lien avec les services sociaux et hospitaliers, l’amorce d’un accompagnement, d’une position de prévention face aux récidives.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, toute contribution ne peut qu’être modeste devant l’ampleur du phénomène et dans le combat contre la souffrance infligée.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Louis Lorrain. Submergées par les bonnes intentions, les réponses peuvent être législatives, mais cela ne suffit pas.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 25 novembre dernier, le Premier ministre décidait de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une « grande cause nationale » pour l’année 2010. Cela témoigne de la volonté gouvernementale de combattre un fléau inacceptable qui touche toutes les catégories sociales, tous les âges, et ce sur l’ensemble du territoire.

La violence contre les femmes regroupe des situations multiples : violences psychologiques, mariages forcés, coups et blessures, mutilations sexuelles. Le phénomène est aussi diversifié que complexe, et donc particulièrement difficile à combattre.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui est issu de deux propositions de loi.

L’une a été adoptée par l’Assemblée nationale le 25 février dernier et visait à renforcer la protection des victimes, la prévention et la répression des violences faites aux femmes ; elle est le fruit des travaux d’une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, créée en 2008, dont je salue ici le travail fort intéressant.

L’autre, relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, a été présentée par notre collègue Roland Courteau, dont je tiens à souligner la grande implication au sein de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

M. Roland Courteau. Merci, ma chère collègue !

Mme Catherine Morin-Desailly. Je tiens également à remercier pour leur investissement Michèle André, présidente de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Muguette Dini, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Françoise Laborde, rapporteur pour la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et, enfin, François Pillet, rapporteur de la commission des lois.

Après un bilan d’étape de notre législation dressé il y a deux ans, à l’occasion d’une question orale avec débat adressée à Valérie Létard, alors secrétaire d’État à la solidarité et à la parité, je me réjouis de voir ce sujet revenir devant le Parlement.

Nous l’avions déjà dit à l’époque, des progrès ont été accomplis, mais les chiffres restent toujours accablants ! Je ne rappellerai pas tous ceux que vous avez énumérés, mes chers collègues, mais ils parlent d’eux-mêmes…C’est que les faits sont têtus !

Longtemps restées dans l’ombre, les violences envers les femmes, notamment les violences conjugales, sont mieux connues, depuis quelques années, grâce à plusieurs enquêtes.

L’enquête nationale sur les violences envers les femmes, réalisée en 2000 sur la demande du secrétariat aux droits des femmes, a permis, et pour la première fois, de prendre véritablement la mesure de ces violences et, en particulier, des violences exercées au sein du couple.

Sept ans plus tard, l’enquête réalisée par l’Observatoire national de la délinquance a recensé, en 2007, 47 573 faits constatés de violences volontaires sur femmes majeures par conjoint ou ex-conjoint. En trois ans, ce nombre a connu une augmentation de 31 %, qui s’explique par l’amélioration de la collecte de l’information et l’enregistrement des actes de violences conjugales, qui n’étaient auparavant pas considérées comme des délits.

Ces enquêtes ont suscité une prise de conscience qui a facilité l’adoption de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein des couples ou commises contre les mineurs ; ce fut une étape législative majeure qu’il nous appartient aujourd’hui de renforcer.

Rappelons aussi que le Gouvernement a lancé deux plans successifs d’accompagnement pour venir en aide aux femmes victimes de violences conjugales : un plan courant de 2005 à 2007 intitulé « Dix mesures pour l’autonomie des femmes », puis un plan triennal, entre 2008 et 2010, pour combattre les violences faites aux femmes, lancé en novembre 2007 par notre ancienne collègue du groupe de l’Union centriste, Valérie Létard, alors secrétaire d’État chargée de la solidarité.

Deux ans après le lancement de ce plan, nous pouvons constater que le bilan est positif, puisqu’un certain nombre d’avancées ont été rendues possibles en matière de prise en charge des victimes : 36 « référents violences » ont été mis en place dans 32 départements ; la plateforme d’écoute téléphonique du 3919 répond à plus de 80 000 appels par an ; enfin, 12 000 places en centre d’hébergement et de réinsertion sociale sont consacrées à l’accueil d’urgence des femmes victimes de violences.

Enfin, une campagne de communication avec des messages télévisés a été réalisée pour sensibiliser le grand public.

On le voit, beaucoup de moyens ont été mis en place, mais, aujourd’hui, il nous faut renforcer la législation.

La présente proposition de loi vise à mieux protéger les victimes de violences conjugales, mieux prévenir les violences, mieux punir les auteurs.

Elle prévoit ainsi, en son article 1er, la création d’un instrument juridique novateur, l’ordonnance de protection, qui devrait permettre d’assurer une protection rapide et efficace des femmes victimes de violences, de stabiliser temporairement la situation juridique et matérielle de la victime en garantissant sa protection et en organisant provisoirement sa séparation avec l’auteur des violences.

Quand on sait que 90 % des victimes n’osent pas porter plainte parce qu’elles craignent les conséquences possibles de cette démarche – en matière de logement, de garde des enfants ou de régularité du séjour pour les femmes étrangères –, nous ne pouvons que saluer cette initiative et regretter quelque peu la restriction apportée par la commission des lois, qui a supprimé la possibilité reconnue aux associations de saisir le juge avec l’accord de la partie intéressée.

La proposition de loi prévoit aussi la création d’un dispositif de surveillance électronique mobile applicable à titre expérimental, pendant une durée de trois ans. Si le principe me semble intéressant, la pratique pourrait être complexe. Il serait dès lors pertinent d’obtenir un rapport parlementaire ou gouvernemental, d’ici à trois ans, afin d’étudier l’opportunité de maintenir, voire de renforcer ce système.

Nous soutenons, en tout cas, la sécurisation de la situation administrative des personnes de nationalité étrangère victimes de violences conjugales sur le territoire français, et les conventions qui devraient être passées avec les bailleurs et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les CROUS, afin de réserver un nombre suffisant de logements aux personnes victimes de violences conjugales.

Ce sont deux facteurs de réinsertion sociale et économique primordiaux qui aideront les femmes à se reconstruire et à sortir de l’impasse.

J’insisterai enfin sur l’article 17, qui crée un délit spécifique de harcèlement psychologique au sein du couple.

Cette transposition du harcèlement moral au travail adapté à une relation de couple, est particulièrement innovante. Malgré les inquiétudes de certains acteurs sur les difficultés à prouver le harcèlement et le risque d’utilisation abusive, il n’en reste pas moins que ce dispositif permet de reconnaître et de sanctionner la violence, dès l’apparition des premiers signes et, peut-être, d’éviter une escalade, douloureuse et dangereuse, aussi.

Comme le soulignait Mme Valérie Létard, « nous voulons nous attaquer au dernier des tabous : la violence verbale et psychologique dans le couple, qui est la plus ordinaire, mais à l’origine de toutes les autres ». Ne l’oublions pas, ces violences psychologiques et verbales représentent la majorité des violences conjugales, 80 % des appels au 3919 le montrent.

Mes chers collègues, souvenez-vous du court métrage réalisé par Jacques Audiard à ce sujet. Là, pas de sang, pas de larmes, pas d’assiettes qui volent, mais une violence psychologique insidieuse. Pour le réalisateur, « il n’y a pas de fatalité, en bouclage de film, l’espoir est là, notre femme n’est pas abattue, elle réagit… et c’est au spectateur d’imaginer la suite ».

Madame la secrétaire d’État, vous aviez d’ailleurs, au moment de la diffusion de ce court métrage, indiqué être « convaincue de la nécessité de compléter le dispositif législatif existant ». C’est chose faite aujourd’hui.

Indéniablement, même s’il reste perfectible, ce texte représente, pour notre groupe, une véritable avancée législative. Ma collègue Anne-Marie Payet proposera quelques améliorations en défendant des amendements.

Pour ma part, je formulerai quelques regrets.

Le texte reste en retrait par rapport au dispositif souhaité pour renforcer la prévention. Il est en effet primordial que l’ensemble des personnes appelées à prendre en charge des victimes de violences conjugales disposent d’une formation adaptée et complète.

En outre, les jeunes doivent être particulièrement sensibilisés au respect de l’égalité.

À l’instar de ce qui est fait en Espagne, la prévention et l’éducation doivent commencer dès le plus jeune âge afin d’enrayer les préjugés sexistes.

Mais cela, mes chers collègues, nécessite des moyens et, sur ce point, nous regrettons que la formation obligatoire des intervenants auprès des femmes victimes de violences ait disparu, en application de l’article 40…

Comme nombre de mes collègues, je trouve également regrettable que la recommandation de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, visant à modifier l’intitulé de ce texte afin que les violences subies par les hommes soient également reconnues, n’ait pas été prise en compte.

Bien que moins nombreuses, ces violences-là existent cependant et sont tout aussi traumatisantes pour les hommes qui en sont victimes ; ils ont de grandes difficultés à en parler et à trouver de l’aide, le sujet restant encore très tabou.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly. À ce stade, j’aimerais évoquer un autre sujet : l’image des femmes véhiculée par les médias et, en particulier, sur Internet.

Mme Catherine Morin-Desailly. C’est sur le Web que l’on trouve aujourd’hui les films de très grande violence, les images les plus dégradantes, faute de régulation, à la différence de ce qui prévaut à la télévision.

Ces images, qui sont autant d’incitations à la violence, touchent également les enfants. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, une véritable réflexion doit être engagée sur la régulation de la Toile.

Le texte présente une première avancée, puisque les associations de défense des droits des femmes peuvent désormais saisir le Conseil supérieur de l’audiovisuel, mais cela reste insuffisant.

Le 29 avril dernier, lors d’un colloque qui s’est tenu à Madrid, auquel j’ai participé en tant que représentante de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, j’ai insisté sur la nécessité de nous montrer attentifs à l’image de la femme que véhiculent les médias et Internet.

J’ai rappelé qu’en France la télévision « classique » était régulée par une autorité indépendante, le CSA, mais que le contrôle des contenus de l’Internet, qui ne connaît pas les frontières, était plus que problématique, et devait donc être envisagé au moins à l’échelle européenne. La représentante du Parlement européen, approuvant cette position, m’a indiqué, pour exemple, que pas moins de 100 000 sites pédopornographiques avaient été recensés, principalement basés en dehors des frontières de l’Union européenne, mais accessibles sur son territoire.

Au cours de cette réunion, organisée dans le cadre de la présidence espagnole de l’Union européenne, j’ai pu échanger avec mes homologues sur les priorités en matière d’égalité et, plus particulièrement, sur la violence de genre, problème sur lequel – Mme Françoise Laborde l’a rappelé tout à l’heure  l’Espagne s’est dotée d’une législation très avancée.

Nous avons abordé différents sujets qu’il serait particulièrement intéressant de développer à l’échelle européenne, tels que la mise en œuvre d’une ordonnance de protection européenne, la création d’un numéro de téléphone unique et gratuit pour toute l’Europe et la création d’un Observatoire européen des violences de genre.

La lutte contre les violences dont les femmes sont victimes, en tant que femmes, passe, on le sait, par l’établissement de la réalité du phénomène.

Il y a un véritable intérêt à disposer, à l’échelle européenne, d’indicateurs officiels, qui permettent d’établir un suivi et des comparaisons homogènes entre les pays membres.

Je me réjouis que l’idée d’un tel observatoire ait été adoptée à l’unanimité, même si cette décision revient à rattacher cette nouvelle responsabilité à un organisme existant, mis en place en 2007, l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, chargé d’aider les États membres à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les politiques communautaires et nationales.

J’en reviens au texte qui nous occupe aujourd’hui. Je regrette que l’article 14 ne prévoie finalement qu’un rapport sur la création d’un observatoire national des violences faites aux femmes et non la mise en place effective d’un tel observatoire.

Comme le rappelle dans le rapport d’information notre collègue Françoise Laborde –  il faut féliciter notre collègue pour l’excellence de son travail et sa grande implication –, « l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes fonctionne avec des moyens extrêmement réduits […] tout en produisant des données nombreuses, pertinentes et actualisées ».

Pour conclure, si la loi n’est qu’un outil d’accompagnement et d’encadrement, elle est, au demeurant, un outil nécessaire.

La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée grande cause nationale de l’année 2010, mais notre implication et notre mobilisation devront se prolonger dans les années à venir. Il est de notre responsabilité collective de construire une société plus juste, où les plus fragiles seront mieux protégés.

On ne peut notamment pas oublier tous les enfants témoins de ces situations dramatiques.

On ne peut pas accepter qu’en 2008 184 personnes soient mortes sous les coups de leur conjoint.

On ne peut pas plus oublier toutes les femmes victimes de maltraitance, de discrimination, de violences, et ce à travers le monde.

Je profite d’ailleurs de cette discussion pour attirer votre attention, mes chers collègues, sur la situation alarmante que vivent les femmes algériennes de la ville d’Hassi Messaoud. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Depuis plus d’un mois, les exactions, qui avaient commencé en 2001, ont repris. Tous les jours, ces femmes sont victimes de crimes et d’atrocités.

La lutte contre les violences faites aux femmes doit être une priorité du Gouvernement français, dans sa politique nationale comme dans son action internationale.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons ce texte. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai suivi avec une particulière attention les interventions qui ont ouvert ce débat et j’ai relevé leur extraordinaire intensité, la détermination de leurs auteurs et même leur passion à défendre des situations de détresse intolérable.

Que penser alors du décalage entre la réalité et le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, droit fondamental reconnu depuis 1789, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1946 et par l’article 1er de la Constitution de 1958, révisée en juillet 2008 ?

Au-delà des préoccupations traditionnelles de parité et d’égalité, auxquelles j’attache le plus grand prix, force est de constater qu’un domaine, qui rompt avec ces préoccupations, reste particulièrement sensible, celui de ces trop nombreuses femmes humiliées, violentées, voire assassinées.

On estime à 10 % le pourcentage des femmes françaises victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques, au sein de leur couple.

On ne peut ignorer le cas de ces jeunes filles qui, encore aujourd’hui, et sur notre territoire, subissent des mutilations sexuelles ou qui sont contraintes à des mariages forcés.

Le nombre de ces femmes violentées, tous âges et toutes situations matrimoniales confondues, serait à près de 1,3 million. C’est un constat effrayant.

Commises au sein de la sphère privée, les violences faites aux femmes n’en concernent pas moins la société tout entière. Longtemps ignorées, elles font honte à notre société, qualifiée un peu hâtivement de « civilisée », et bafouent notre pacte républicain.

Heureusement, le tabou tombe peu à peu et les efforts sont considérables pour lutter contre ce fléau. L’examen par le Sénat de ce texte, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, y participe bien évidemment.

Nous avons déjà eu l’occasion, il y a quelques semaines, de nous exprimer sur le sujet des violences au sein des couples. Portée par notre collègue Roland Courteau, dont nous connaissons tous l’engagement constant au service de la défense des droits des femmes – j’ai dit tout à l’heure la passion qui avait été la vôtre, monsieur Courteau, pour présenter ce texte –, la proposition de loi que nous avions alors examinée est reprise, pour l’essentiel, dans la proposition de loi de nos collègues députés.

Je tiens, d’ailleurs, à saluer l’excellence des travaux de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes ainsi que les travaux de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi à l’Assemblée nationale.

Cependant, je ne peux m’empêcher de regretter que le Sénat n’ait pas, lui aussi, fait le choix de constituer une telle commission spéciale, qui aurait permis de joindre l’ensemble des travaux des commissions des affaires sociales et des lois ainsi que ceux de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Néanmoins, tous ces travaux, même conduits distinctement, font honneur à la représentation nationale. Et je tiens ici à saluer tout particulièrement l’excellent rapport de ma collègue et amie Françoise Laborde, au nom de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Je la sais très investie, aux côtés de ses collègues femmes et hommes, en faveur de la cause des femmes.

Aider toutes ces femmes qui souffrent, les protéger, elles et leurs enfants – témoins et victimes –, tel est notre devoir d’élus de la République.

Ne l’oublions pas, cependant, ce texte ne doit pas être une nouvelle source de discrimination entre les sexes. Il concerne toutes les violences au sein des couples, y compris celles, souvent méconnues mais tout aussi honteuses, dont les hommes sont les victimes.

Je me réjouis, à cet égard, du nouveau titre adopté pour cette proposition de loi en commission. J’espère même que nous y ajouterons une référence, essentielle, aux enfants. C’est du moins l’objet d’un amendement que nous vous proposerons.

Il est grand temps d’utiliser tous les moyens possibles pour enfin mettre un terme à cette inacceptable spirale de la violence.

Il serait utopique de penser qu’avec un seul texte nous réglerons tous les problèmes complexes qui composent le sujet de la lutte contre les violences conjugales. Mais loin de nous l’idée de penser pour autant qu’il s’agirait simplement d’un texte de plus.

Nous avons entre les mains un véritable outil de prévention.

Mieux prévenir ces violences et mieux lutter contre elles : c’est dans un même élan en faveur des victimes que tous les clivages partisans se sont effacés.

Ce texte a été élaboré et examiné dans une rare harmonie à l’Assemblée nationale, et nous retrouvons aujourd’hui ce consensus sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée.

Nous connaissons les chiffres, et ils sont dramatiques : une femme meurt sous les coups de son conjoint tous les deux jours et demi. Ce que l’on oublie souvent de préciser, c’est que moins de 9 % des femmes victimes porteraient plainte mais aussi qu’un homme meurt tous les quatorze jours sous les coups de sa compagne ou ex-compagne et qu’ils seraient moins nombreux encore que les femmes à oser parler des violences dont ils sont victimes.

Honte, pudeur, peur : autant de comportements expliquant qu’il soit difficile de disposer de chiffres très précis.

La création de l’ordonnance de protection des victimes, permettant de protéger en urgence les conjoints, partenaires de PACS, concubins ou « ex » en danger, constitue la mesure phare de ce texte.

Cette ordonnance, qui interviendra avant même le dépôt de la plainte, permettra d’organiser la protection et le relogement de la femme ayant décidé de quitter son mari ou conjoint violent. En octroyant à la femme cette possibilité d’être rapidement et efficacement protégée, en amont de la plainte, nous l’aiderons sans doute à libérer sa parole, ce qui est essentiel pour la suite de la procédure et l’heureux dénouement de ces situations dangereuses.

Le juge aux affaires familiales pourra, entre autres, se prononcer sur l’exercice de l’autorité parentale. Ce point aussi est tout à fait fondamental, car c’est bien souvent par peur d’être séparées de leurs enfants, de les voir retirés de leur foyer pour être placés, que les femmes n’osent pas quitter un conjoint violent.

Nous espérons que l’ordonnance de protection jouera un rôle de prévention et qu’elle permettra d’éviter des drames comme ceux que notre pays a récemment connus. En effet, pas plus tard que vendredi dernier, nous apprenions qu’une femme de trente-cinq ans était hospitalisée, pour avoir été brûlée vive par son mari, qui l’avait, au préalable, aspergée d’essence. (Exclamations indignées.)

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Eh oui !

Mme Anne-Marie Escoffier. L’essentiel est bien que les magistrats puissent aider les femmes victimes de violences conjugales à trouver des solutions provisoires sur le plan matériel, notamment en matière de logement, afin qu’elles disposent du temps nécessaire pour décider de la suite à donner à cette première étape, sur le plan civil ou sur le plan pénal.

En matière de prévention, d’importants progrès restent à accomplir, car la prévention passe aussi par une action plus large de lutte contre les discriminations à l’encontre des femmes. À ce titre, je me réjouis que le texte comporte une disposition renforçant les moyens de lutte contre l’incitation à la violence à l’égard des femmes dans les supports audiovisuels.

En effet, les médias ont trop souvent une mauvaise influence sur la jeunesse, en incitant celle-ci, directement ou indirectement, à adopter des préjugés sexistes. À cet égard, il est fondamental de donner de la visibilité et de la substance aux actions de formation dans les écoles, pour les élèves ou les enseignants, portant sur l’égalité entre les femmes et les hommes. L’ajout de l’article 11 A par l’Assemblée nationale me semble aller dans la bonne direction.

Les actions de sensibilisation aux violences au sein des couples, dès l’école primaire, participeront à la lutte contre les comportements indignes envers les femmes.

Malheureusement, la formation systématique des professionnels touchant de près ou de loin au problème des femmes victimes de violences, qui était proposée dans le texte initial, a été écartée pour des raisons financières. Elle est pourtant indispensable, et les associations l’appellent de leurs vœux depuis longtemps. La mission d’évaluation qui se trouve à l’origine de cette proposition de loi l’avait retenue et placée parmi ses priorités.

C’est finalement un rapport du Gouvernement sur la mise en place d’une telle formation spécifique qui devra être présenté avant juin 2011... Il est pourtant déjà unanimement reconnu qu’une formation approfondie et continue de ces professionnels est indispensable, de même que la mise en réseau des différents acteurs intervenant dans la prévention, la protection et la répression des violences conjugales.

Madame la secrétaire d'État, vous avez annoncé que des efforts particuliers seraient faits « pour améliorer le repérage et la prise en charge des victimes, notamment en offrant systématiquement une formation spécifique à tous les professionnels ».

Il s'agit là d’un premier pas, certes, qui nous met sur la bonne voie, mais ces intentions demandent à être concrétisées, à travers des mesures que vous ne manquerez pas, j’en suis sûre, de décliner.

Pour être efficace aux côtés de ces autres acteurs que sont les travailleurs sociaux, les éducateurs, les médecins et les associations, la justice, elle aussi, doit s’adapter.

Nous nous réjouissons que cette proposition de loi réponde, notamment, à la nécessité d’adapter le recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales. Depuis longtemps, le recours à cette procédure dans de telles situations était controversé. Désormais, la loi consacre, pour les victimes, la présomption de refus du recours à la médiation pénale.

En effet, cette procédure reposant sur l’égalité entre les deux parties, elle n’est pas adaptée aux couples caractérisés par des relations de domination, de peur et d’intimidation. La médiation peut se révéler utile dans certains cas de conflits conjugaux, mais jamais dans les affaires les plus graves de violence au sein du couple.

Enfin, le dernier point de cette proposition de loi que je souhaite aborder porte sur le délit sanctionnant les violences psychologiques. Créée à l’article 17, cette incrimination peut aussi être considérée comme une mesure préventive à l’encontre du conjoint en passe de devenir un agresseur physique.

Mes chers collègues, ces violences sont insidieuses, infligées en toute impunité. Elles sont souvent le début d’une spirale infernale. En outre, l’actualité nous montre régulièrement que des condamnations en amont pourraient sauver des vies. Nous ne pouvons donc que nous féliciter qu’une telle disposition ait été prise.

Avec l’adoption de cette proposition de loi, enrichie par les deux assemblées, nous adresserons enfin aux victimes de violences conjugales le message que ces femmes et ces hommes attendaient depuis longtemps.

Loin de s’en tenir aux couples, ce texte prévoit aussi des mesures destinées à lutter contre les violences dites « coutumières », comme le mariage forcé ou les mutilations sexuelles, je le rappelle.

Je ne puis donc, avec mes collègues du groupe RDSE, que me féliciter de cette proposition de loi, qui devrait entrer en vigueur au plus vite, en métropole comme dans les départements d’outre-mer. En effet, l’année 2010 est celle de la lutte contre les violences faites aux femmes, lutte à laquelle sera peut-être consacrée, le 25 novembre prochain, si j’en crois Roland Courteau, une première journée annuelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées de l’Union centriste et de lUMP.)