Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité
Organisation des débats (interruption de la discussion)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission de l'économie.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Afin de faciliter la discussion de l’article 1er du projet de loi, que nous aborderons vraisemblablement demain, je souhaiterais que nous procédions à une discussion séparée de l’amendement n° 154 de notre collègue Jean-Claude Danglot et des membres du groupe CRC-SPG. En effet, cet amendement propose une nouvelle rédaction globale pour cet article. Un examen séparé éviterait que les 51 amendements déposés sur l’article 1er ne soient mis en discussion commune, ce qui risquerait d’être source de confusion pour nos débats.

Mme la présidente. Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Organisation des débats (début)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité
Discussion générale (début)

13

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 27 septembre 2010, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-71 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

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Organisation des débats (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité
Discussion générale (suite)

Nouvelle organisation du marché de l'électricité

Suite de la discussion d'un projet de loi

(Texte de la commission)

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Merceron.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité
Exception d'irrecevabilité (début)

M. Jean-Claude Merceron. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France a fait un choix politique audacieux et un choix de société en décidant de bâtir sa politique énergétique autour de l’électricité nucléaire à partir des années soixante-dix.

Ce choix visionnaire permet à la France de disposer aujourd’hui d’un parc nucléaire qui nous est envié par de nombreuses puissances, car il couvre près de 80 % de notre production d’électricité sans émission de dioxyde de carbone, l’énergie hydraulique couvrant en outre 12,5 % supplémentaires.

La France a vu émerger des champions de l’industrie énergétique et dispose aujourd’hui d’une capacité installée supérieure à sa consommation, sauf en période de pointe.

Certes, le traitement des déchets nucléaires reste le talon d’Achille de cette politique, mais – il faut le reconnaître – nous profitons aujourd’hui largement des avantages que procure l’existence du parc nucléaire historique.

En effet, au-delà des avantages écologiques en termes d’émissions de dioxyde de carbone, l’électricité nucléaire assure, une fois l’investissement réalisé, une électricité bon marché.

Ce faible coût est répercuté sur les tarifs réglementés de l’électricité française, 30 % moins chère que nos voisins européens, voire 35 % moins chère qu’en Allemagne, première puissance industrielle européenne.

En outre, à l’heure où l’approvisionnement en matières fossiles commence à susciter de vraies luttes géopolitiques et où les cours des marchés sont volatiles, notre indépendance énergétique est une force.

Bien sûr, cet héritage, qu’on appelle le « nucléaire historique », n’est pas sans limites. C’est pour cela qu’il faut se garder de raisonner en termes d’« avantages acquis ».

Première limite, l’électricité bon marché et en quantité aujourd’hui suffisante n’incite que peu au développement de nouvelles capacités de production et au renforcement de l’efficacité énergétique, alors même que cela paraît nécessaire pour atténuer les effets de la hausse structurelle de la demande. Je pense notamment à l’équipement des ménages et à la densification des réseaux de transports électrifiés.

Deuxième limite, la situation française n’est pas régulière au regard du droit communautaire. Les tarifs réglementés, qui ont diminué de 35 % à 40 % en vingt-cinq ans, sont assimilés à des aides d’État et provoquent l’ire de la Commission, car ils ne permettraient pas de couvrir le coût « réel » de l’électricité achetée par les opérateurs concurrents.

C’est justement cette considération tarifaire ainsi que le quasi-monopole d’EDF sur les moyens de production et la commercialisation de l’électricité qui ont déclenché l’injonction de Bruxelles de réorganiser le marché français de l’électricité.

C’est donc une réorganisation « forcée » à laquelle nous procédons aujourd’hui, résultant d’un compromis a minima âprement négocié entre le Gouvernement et la Commission européenne.

Sa portée se limite à des mesures « transitoires », qui ont vocation à conformer le marché français de l’électricité jusqu’en 2025, selon les recommandations de la commission Champsaur, dont je salue le travail.

Mais si le projet de loi est une réponse politique a priori suffisante au regard de la Commission, il n’est pas évident que le subtil équilibre de ce texte contente, en cas de recours, la Cour de justice de l’Union européenne, plus dogmatique dans la défense des principes de concurrence et l’interdiction des mesures assimilables à des aides d’État.

En effet, il faut le reconnaître, le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, reste timoré au regard du droit de la concurrence.

D’une part, le projet de loi limite les avancées concurrentielles aux seuls aspects commerciaux de la vente d’électricité, qui représentent seulement 7 % du prix de l’électricité.

D’autre part, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi ne favorise pas la concurrence dans la production d’électricité.

Par exemple, en fixant un prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, « en cohérence » avec le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le TARTAM, on permet, au mieux, à partir de 2015, d’instituer une concurrence sur le marché des industriels, mais évidemment pas sur le marché des particuliers.

Or ceux-ci représentent 86 % des sites et un tiers de la consommation d’électricité. En outre, ce sont eux qui sont les principaux destinataires de la politique engagée afin d’améliorer l’efficacité énergétique domestique, comme les comportements de maîtrise de la consommation énergétique, et qui stimuleront en conséquence la diversité et la qualité des offres commerciales en fourniture énergétique. On peut notamment penser au développement industriel d’un réseau dit « communicant », en expérimentation à Tours et à Lyon.

Bien entendu, théoriquement, l’ouverture à la concurrence sur ces sites résidentiels existe depuis 2007. Mais le ciseau tarifaire entre les prix de marché et les tarifs réglementés en a fortement limité la portée. En effet, seuls 5 % d’entre eux ont souscrit une offre auprès d’opérateurs alternatifs, contre 50 % en Grande-Bretagne, depuis la libéralisation de leur marché.

En ce sens, le projet de loi vise à atteindre un objectif que nous soutenons, mais il le fait de manière trop imparfaite, en évinçant de la concurrence l’activité de production et le segment de marché des particuliers.

Voilà pourquoi nous proposons un amendement visant à réduire le ciseau tarifaire entre l’ARENH et les tarifs réglementés, et à favoriser l’investissement dans les moyens de production, afin que le projet de loi constitue un cadre pour une concurrence saine et durable.

Il faut, d’ailleurs, tordre le cou à une idée reçue selon laquelle la concurrence affaiblirait notre champion EDF : le marché de l’énergie n’est pas un gâteau dont la multiplication des parts réduirait d’autant leur taille.

Le marché de l’énergie s’envisage au-delà de nos frontières nationales dans un cadre communautaire et l’activité peut se diversifier autour d’offres annexes, qui font grossir d’autant la taille du gâteau. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que nous proposerons un amendement visant à prévoir que l’obligation de capacité des producteurs d’électricité doit tenir compte des interconnexions avec le marché européen.

Si le mécanisme de l’ARENH semble répondre a minima aux attentes de Bruxelles, il s’avère insuffisant pour inciter les opérateurs alternatifs à effectuer des investissements pourtant porteurs d’avenir dans les moyens de production de base.

Il faudrait, au contraire, appliquer la citation de Confucius : quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson.

M. Roland Courteau. C’est bien vrai !

M. Jean-Claude Merceron. Or, le mécanisme de l’ARENH est un poisson donné aux opérateurs alternatifs : sa pérennité n’est pas assurée et sa portée en termes de concurrence durable dans la production d’électricité n’est pas optimale.

Pour agir de manière durable en faveur d’un marché concurrentiel de l’énergie en France, il ne faudrait pas se contenter de céder aux opérateurs alternatifs à prix coûtant un certain volume d’électricité nucléaire ; il conviendrait aussi de leur apprendre à pêcher, c’est-à-dire les inciter à investir dans des moyens de production propres.

Cette vision est partagée par plusieurs de mes collègues du groupe de l’Union centriste. Nous ferons, par conséquent, des propositions constructives pour assurer un fonctionnement optimal du marché de l’électricité.

Tout d’abord, nous proposons de fixer le prix de l’ARENH en cohérence non pas avec le seul TARTAM, mais également avec le coût de production de l’énergie électrique tel qu’il est comptabilisé dans la formation des tarifs réglementés de l’électricité. L’idée est la suivante : quel que soit le prix de l’ARENH, les prix de revente aux consommateurs finaux devront permettre à l’acteur historique et aux acteurs alternatifs de dégager une marge suffisante pour procéder aux investissements qui assureront l’avenir de notre politique énergétique après 2025.

M. Jean-Jacques Mirassou. Il suffit d’y croire !

M. Jean-Claude Merceron. En conséquence, il faut faire de l’approche transitoire proposée par le projet de loi un levier pour le développement de nouvelles capacités de puissance françaises de pointe, mais aussi de base. Car si les capacités sont suffisantes jusqu’en 2025, ce ne sera plus le cas après cette date.

Le rapport de la commission Champsaur expose en effet qu’« il serait nécessaire de mettre en service […] de 700 à 1 000 gigawatts de nouvelles centrales sur l’ensemble de l’Europe pour remplacer les centrales vétustes et faire face à l’accroissement – au demeurant relativement modeste – de la demande d’électricité ».

Or le « temps de mise en œuvre » de ces nouveaux moyens de production étant excessivement long, entre la décision d’investissement, la construction et la mise en service, il est nécessaire d’anticiper l’après-ARENH dans le présent projet de loi.

Outre ces considérations concurrentielles, le groupe de l’Union centriste proposera également un amendement visant à atténuer la tendance structurellement à la hausse des tarifs réglementés, qui devraient, à terme, converger vers les tarifs de marché. J’en profite pour rappeler que ce mécanisme est structurel et indépendant du projet de loi. Il faut bien financer le coût de l’allongement puis du renouvellement du parc nucléaire français. Dans cette perspective, mon groupe a déposé deux amendements visant à rendre automatique le bénéfice de tarifs particuliers pour les plus démunis.

Il est en effet possible d’avoir une approche libérale de l’économie tout en étant soucieux d’en corriger les effets pervers auprès des populations les plus fragiles. C’est du moins dans cet esprit que les membres de l’Union centriste aborderont le débat.

Enfin, le groupe de l’Union centriste sera attentif à ce que la Commission de régulation de l’énergie soit un régulateur fort et indépendant, capable de fixer les prix sur la base de considérations économiques et non politiques, de surveiller les pratiques concurrentielles et d’anticiper les besoins d’investissement dans les capacités de production.

Pour clore cette intervention, je souhaite simplement formuler un souhait afin de corriger une faiblesse du projet de loi. La réussite de la nouvelle organisation du marché de l’électricité tiendra à la visibilité que les opérateurs industriels pourront avoir sur l’après-ARENH. Or le projet de loi ne prévoit pas de sortie progressive du mécanisme de l’ARENH, ce qui est regrettable.

De même, la détermination d’une stratégie claire en termes de politique énergétique pour les quarante prochaines années serait souhaitable, afin que la politique nucléaire ne subisse pas la même insécurité juridique que celle que connaît aujourd’hui la filière photovoltaïque. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, « la loi NOME : dernier avatar d’un processus délétère », ai-je pu lire quelque part.

Désormais, vu l’enchaînement des épisodes précédents, la question est posée : à quand le coup de grâce pour le système français de l’électricité ?

Il s’agit, pourtant, d’un système que la France avait construit avec succès en 1946, après avoir tiré les leçons d’un passé confié aux compagnies privées de l’eau et de l’éclairage.

Ainsi, alors que dans le même temps on assiste à la montée en puissance d’énormes intérêts privés, nombreux sont ceux qui parlent de revanche sur 1946.

Il est un peu trop facile d’évoquer les exigences européennes alors que les plus libéraux d’entre vous prennent appui sur ces mêmes exigences pour mieux détricoter notre système énergétique. Je rappellerai à la majorité que très souvent elle est allée bien plus loin que ce qu’exigeait l’Union européenne. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.

Cela dit, dans quelle nouvelle galère nous pousse encore le rouleau compresseur libéral alors que partout dans le monde l’ouverture à la concurrence et la libéralisation connaissent un retentissant échec ?

En effet, pour tous ceux qui ont cru aux comptes fantastiques de la fée libérale, le retour sur terre est amer. Dans quel imbroglio kafkaïen nous a-t-on fourrés depuis 2002 et quel monument de complexité nous proposez-vous là ? Et dire qu’un slogan publicitaire claironne : « nous vous devons plus que la lumière » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Tout cela pour aboutir à une concurrence forcée, factice, artificielle. C’est ubuesque !

Vous proposez ainsi de contraindre EDF à céder 25 % de sa production à la concurrence. C’est le fameux accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH. Mais à quel prix ! EDF ne demande pas moins de 42 euros par mégawattheure, soit le prix du TARTAM. GDF-Suez, par exemple, ne revendique pas plus de 34 euros ou de 35 euros le mégawattheure. Je vous fais observer, chers collègues, que la différence entre 34 euros et 42 euros représente 800 millions d’euros.

M. Daniel Raoul. Un détail !

M. Roland Courteau. Un écart d’un seul euro, en plus ou en moins, de l’ARENH se traduit par 100 millions d’euros, en plus ou moins, pour EDF ou pour les fournisseurs privés. Et comme le prix de l’ARENH est renvoyé à des mesures réglementaires, ce qui, paraît-il, donne déjà bien du plaisir aux fonctionnaires du ministère, nous allons assister, au fil des ans, à une bataille sans fin pour empocher cette rente nucléaire.

M. Roland Courteau. Rien n’y changera, car le projet de loi NOME est par nature instable. Mais, surtout, et quoi que l’on nous dise, ce texte est un texte d’augmentation des prix.

Je m’explique. À quel niveau sera fixé le prix de l’ARENH ? Peut-être à 42 euros le mégawattheure. Peut-être par la suite à un niveau plus bas. Or 1 euro ou 2 euros, c’est tout de même 100 millions ou 200 millions d’euros de moins pour EDF. Mais dans ce cas, il faudra bien accorder une compensation à EDF, en autorisant, par exemple, une augmentation des tarifs pour les ménages et les petits consommateurs.

M. Roland Courteau. D’ailleurs, la mécanique infernale a déjà été enclenchée, par anticipation, en plein 15 août, jour de « l’assomption électrique » (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.),…

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Roland Courteau. … avec une augmentation de 3 % à 5,5 %.

La Commission de régulation de l’énergie, la CRE, a d’ailleurs annoncé que les tarifs bleus pourraient augmenter d’environ 11 % pour 2011 et ensuite de 3,5 % par an. Au final, les cadeaux en faveur des fournisseurs alternatifs seront payés par les consommateurs.

Certes, les tarifs réglementés seront maintenus pour les ménages, mais, à terme, d’augmentation en augmentation, nous irons vers un rapprochement des tarifs réglementés avec les prix du marché, donc vers la disparition des tarifs réglementés. N’est-ce pas en fait l’objectif visé ? C’est alors que, pour faire passer la pilule, de belles explications nous seront fournies.

J’imagine qu’on nous dira, sur tous les tons, que l’énergie est rare, donc chère, et qu’il faut investir dans de nouveaux moyens de production, donc payer l’électricité plus chère.

Peut-être nous dira-t-on même qu’à quelque chose malheur est bon et que l’augmentation des prix obligera les consommateurs à économiser l’électricité, ce qui sera très positif pour l’environnement. Je parie que l’on osera nous dire que cette augmentation est vertueuse. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Ainsi sera noyée la responsabilité des augmentations de prix.

Il n’est pas sûr, cependant, que l’on évoquera la baisse du pouvoir d’achat des ménages, l’aggravation de la précarité énergétique ou l’atteinte grave à la compétitivité de nos entreprises.

M. Daniel Raoul. Effectivement !

M. Roland Courteau. Sur ce point, je ferai une remarque : à partir de 2015, votre projet supprime les tarifs verts et jaunes, tandis que l’extinction du TARTAM est programmée.

L’étude d’impact semble montrer que les entreprises ne rencontreront pas de problèmes. Elles bénéficieront grâce à l’ARENH d’une électricité à un prix d’équilibre inférieur à celui du marché. Or rien n’est moins sûr.

Par exemple, aujourd’hui, dans de nombreux cas, le TARTAM couvre toute la consommation du client. Demain, l’ARENH devra être majoré, d’abord de la marge du fournisseur, mais aussi de la part complémentaire d’électricité que le consommateur devra acheter au prix du marché. Par conséquent, déjà, le coût sera plus élevé.

Par ailleurs, certains économistes font remarquer qu’après la disparition des tarifs jaunes et verts et du TARTAM, l’ARENH – 100 térawattheures – ne couvrira pas la totalité des besoins des industriels estimés à plus de 232 térawattheures. D’où un phénomène de rareté, et donc un alignement des prix sur la bourse de gros de l’électricité. D’où des prix en forte augmentation. Déjà, la SNCF annonce qu’elle sera obligée d’augmenter ses tarifs.

M. Roland Courteau. Quelles seront les conséquences de ce texte pour nos territoires quand on sait que le prix de l’électricité est un facteur important de localisation industrielle ou de délocalisation ? (Très juste ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mais tout le monde ne perdra pas à ce jeu.

Les gagnants seront les fournisseurs privés, qui empocheront une partie de la rente. Les perdants seront les consommateurs, qui, eux, ne la percevront plus.

Bref, au nom du dogme de la concurrence, on saborde l’un de nos principaux avantages compétitifs. Les industriels apprécieront !

Pour l’heure, ce n’est donc pas un concert de louanges qui accompagne ce projet de loi. J’entends parler de « spoliation d’un bien commun », de « patrimoine bradé », de « mise en concurrence forcenée », de « texte juridiquement fragile ».

D’autres, comme vous, monsieur le rapporteur, font cependant remarquer que « Si le nouveau système donne des parts de marché aux concurrents sans contrepartie en investissements, nous aurons tout raté. »

Vous avez même fait connaître la crainte qui était la vôtre que cette loi ne fonctionne que partiellement. Vous avez indiqué que, dans ce cas, vous pourriez faire d’autres propositions, mais elles ne nous conviennent pas davantage. Nous nous en expliquerons lors de la discussion des articles.

Monsieur le rapporteur, il est erroné de dire, comme vous l’avez fait tout à l’heure, qu’il y a eu ouverture du capital pour les centrales nucléaires de Fessenheim, de Cattenom, de Bugey. Non, il n’y a pas de prise de participation capitalistique. En revanche, il existe des contrats en participation, ce qui n’est pas du tout la même chose – nous reviendrons sur ce point au cours de la discussion des articles. Dans ces cas-là, il n’y a aucun droit de gouvernance ni de participation aux décisions financières ou industrielles.

M. Daniel Raoul. Effectivement !

M. Roland Courteau. Voilà donc où nous en sommes, chers collègues. Et tout cela, depuis huit ans, sur fond de maelström législatif européen et français.

Et tout cela, d’ailleurs, sur fond de promesses non tenues. Souvenez-vous : « Il n’y aura pas de privatisation d’EDF et de GDF, c’est clair, c’est simple et c’est net », avait déclaré le ministre des finances Nicolas Sarkozy à Chinon. Il ajoutait : « Je veux décliner ces deux valeurs que sont la confiance dans la parole donnée et le respect… » (Sourires sur les travées du groupe socialiste.), avant de conclure : « Je n’ai pas envie de mentir aux Français, je pense que cela fait trop longtemps que le débat politique souffre d’un manque d’authenticité, d’honnêteté. » (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Deux ans après, GDF était privatisé ! Une fois de plus, mesdames, messieurs de la majorité, vous êtes allés plus loin que ce qu’exigeait l’Europe.

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

M. Roland Courteau. Et le rouleau compresseur libéral a continué d’avancer, alors que, partout dans le monde, l’augmentation des prix, la panne de l’investissement sont au rendez-vous de la libéralisation et de l’ouverture à la concurrence. Partout, les prix ont flambé : 49 % d’augmentation en Allemagne, 81 % au Royaume Uni, 92 % au Danemark… Pour la France, dès l’ouverture du marché aux gros consommateurs, même musique ! À tel point qu’il a fallu inventer – et je sais que vous y êtes pour quelque chose, monsieur le rapporteur – le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le fameux TARTAM. Ailleurs dans le monde, on a fait marche arrière ; en Europe et en France on persiste !

La recherche de la concurrence – le fameux dogme de la concurrence – est toujours une fin en soi, à tel point que, faute de pouvoir la faire émerger, y compris aux forceps, dans un secteur comme celui de l’énergie, incompatible avec les mécanismes concurrentiels, il vous faut aujourd’hui la créer artificiellement, quitte à casser ce qui a fonctionné parfaitement bien pendant plus de cinquante ans.

Toujours, ce trouble obsessionnel de la concurrence, le fameux TOC qu’aime à citer mon collègue Daniel Raoul, éminent spécialiste. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Partout dans le monde, on constate l’échec patent de la libéralisation et on persiste malgré tout à faire confiance à la main invisible du marché comme moyen de réguler.

Il semblerait même que la doctrine soit la suivante : le libéralisme ne marche pas, parce la libéralisation n’est pas poussée assez loin ! Donc, on s’enfonce plus encore. Mais quand on arrive au fond du trou, chers collègues de la majorité, il faut impérativement arrêter de creuser ! Observez ce qui se passe dans le monde : les pionniers de la libéralisation tous azimuts semblent avoir enfin compris qu’il est temps de faire marche arrière.

Alors, que reproche-t-on à la France ? D’avoir des prix trop bas ! En clair, on nous reproche d’avoir réussi à bâtir un modèle à part, cité en exemple dans le monde entier. Bref, un vrai crime de lèse-concurrence !

Pour nous récompenser d’avoir pris des risques financiers et industriels, on nous demande aujourd’hui, au nom de la sacro-sainte concurrence, de brader nos productions et notre patrimoine commun. On nous demande d’amputer EDF d’une partie de sa production, cédée à prix coûtant aux opérateurs privés. Bel exemple de concurrence artificielle ! Étrange exemple de concurrence non faussée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Odette Herviaux et M. Daniel Raoul. Bravo !

M. Jacques Blanc. Mais on ne peut pas se passer de concurrence !

M. Roland Courteau. En fait, on demande d’une certaine manière au secteur public, jugé peut-être trop performant, de subventionner la concurrence qui, elle, ne l’est pas assez… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

« On marche sur la tête », disait Marcel Boiteux. « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites… ». Je voudrais bien que l’on m’explique où se trouve, dans tout cela, l’intérêt général du pays.

Je rappellerai aussi que la finalité de la création du marché européen était l’intérêt des consommateurs. (M. Jacques Blanc s’exclame.) Je vois que M. Jacques Blanc est arrivé ! Or, les consommateurs sont, aujourd’hui, les véritables laissés-pour-compte.

M. Jacques Blanc. C’est scandaleux d’entendre ça !

M. Roland Courteau. Par ailleurs, n’oublions jamais que l’acceptation du nucléaire par les Français passe par une politique tarifaire juste et par le maintien dans un pôle public de notre appareil de production. Gardons-nous d’oublier que l’électricité est un bien indispensable, non stockable, de première nécessité et non une simple marchandise.

M. Jacques Blanc. Notre pays a besoin de vendre de l’électricité et d’en acheter !

M. Roland Courteau. Gardons-nous d’oublier que la précarité énergétique est un mal qui est en train de toujours plus progresser. Gardons-nous d’oublier qu’après avoir été un vecteur de correction des inégalités sociales et territoriales, le secteur de l’énergie ne doit pas contribuer au creusement des inégalités ! Se chauffer représente aujourd’hui 15 % du budget d’un ménage modeste, contre 6 % pour les catégories aisées... Et demain, monsieur Jacques Blanc ? Arrêtons les frais !

Aujourd’hui, le problème n’est plus de faire baisser les prix, mais d’accepter ou non de les laisser monter pour s’aligner progressivement sur ceux du marché. Beau résultat que voilà ! Où est l’intérêt du consommateur ? On nous avait dit qu’il fallait ouvrir l’électricité à la concurrence pour faire baisser les prix, et voilà qu’aujourd’hui il faut les augmenter pour permettre la concurrence. Oui, on marche sur la tête !

Pourtant, les fondements d’une alternative existent.

Prenons l’article 90 du traité de Rome, devenu article 106, paragraphe 2, de la nouvelle version du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il stipule, notamment, que « les entreprises chargées de la gestion des services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie.» Qui peut affirmer ici que le service de l’électricité ne relève pas de cette mission particulière ?

Voilà une voie que l’on aurait dû emprunter, afin d’exonérer du respect des règles strictes de la concurrence certains services publics d’intérêt général, comme celui de l’énergie. Je rappelle que, lors du Conseil informel « Énergie » de septembre 2010, plusieurs ministres représentant plusieurs États membres ont reconnu que la concurrence ne faisait pas baisser les prix : les choses bougent, elles commencent à évoluer.

De plus, pourquoi n’avoir jamais soutenu, comme les groupes socialistes (M. Jacques Blanc s’exclame.) l’ont toujours demandé, l’adoption d’une directive-cadre sur les services publics d’intérêt général, pour écarter précisément le secteur énergétique des règles de la concurrence ? Ce projet de directive-cadre est toujours réalisable. D’ailleurs, le groupe socialiste du Parlement européen a déposé une proposition de directive.

Dois-je une fois de plus rappeler, quitte à me répéter, que Lionel Jospin avait obtenu, lors du sommet de Barcelone de mars 2002 – avec M. Chirac ! –, que soit inscrit dans les conclusions le principe d’une directive-cadre sur les services d’intérêt économique général. (M. Jacques Blanc s’exclame de nouveau.) Pourquoi les différents gouvernements de droite en place depuis 2002 n’ont-ils jamais cherché à infléchir l’approche de l’Union européenne dans un secteur aussi stratégique que celui de l’énergie ? En vérité, cette évolution leur convenait parfaitement !

En effet, c’est bien le gouvernement Juppé qui a signé, en 1996, la première directive ouvrant aux industriels le marché de l’énergie. Et c’est bien le gouvernement de M. Raffarin qui, le 25 novembre 2002, a accepté l’ouverture totale du marché, faisant sauter ainsi le verrou posé par le gouvernement Jospin à Barcelone.