M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour explication de vote.

M. Nicolas About. Une femme ayant eu ses enfants de bonne heure n’aura pas nécessairement réussi à valider auparavant suffisamment de trimestres de cotisation, sauf à fixer le seuil si bas que cela en deviendrait injuste à l’égard de celles qui n’auront commencé à travailler qu’après la naissance de leurs enfants.

Même si ce sous-amendement devait être repoussé, je souhaite que nous poursuivions la réflexion jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire, afin d’étudier comment rendre le dispositif plus juste et plus équitable.

La référence, au 2° de l’amendement du Gouvernement, à une interruption de l’activité professionnelle suppose une reprise de celle-ci.

Mme Annie David. Exactement !

M. Nicolas About. Dans ces conditions, je souhaite que le nombre de trimestres devant avoir été validés soit globalisé, pour prendre en compte les périodes travaillées avant et après l’interruption de l’activité professionnelle, quitte à fixer un minimum plus élevé qu’initialement prévu.

Mme Catherine Tasca. Il ne faut pas se référer aux seuls trimestres antérieurs à l’interruption ou à la réduction d’activité !

M. Nicolas About. Il ne faudrait pas, par exemple, que se trouvent avantagées, par rapport à celles qui auront essayé de concilier tant bien que mal carrière et maternité, les femmes ayant travaillé trois ou quatre trimestres avant d’avoir eu leurs enfants, sans avoir jamais repris d’activité professionnelle ensuite.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. About veut que toutes les femmes perçoivent une retraite, même celles qui n’ont pas travaillé !

M. Nicolas About. En ce cas, ma chère collègue, elles peuvent percevoir le minimum contributif. Il s’agit ici des vraies pensions de retraite, celles que toucheront les femmes qui, ayant interrompu ou réduit leur activité le temps d’élever leurs enfants, auront pour cette raison été pénalisées tout au long de leur carrière. (Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Raymonde Le Texier s’esclaffent.)

Ce sont des questions sérieuses, il n’y a pas du tout de quoi ricaner ! Certains d’entre nous feraient mieux, au lieu de tout tourner en dérision, de respecter davantage les autres ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. M. About pose une vraie question, celle du critère de la reprise.

Mme Nicole Bricq. Et nous, nous ne posons pas de bonnes questions ?

M. Éric Woerth, ministre. Dans sa rédaction actuelle, le dispositif de l’amendement est équilibré – mais l’on peut continuer à en discuter –, notamment parce qu’il est fondé sur l’expérience. Notre objectif était avant tout de traiter la question de l’interruption d’activité. Nous sommes partis du principe qu’il était injuste que certaines femmes valident moins de trimestres de cotisation parce qu’elles ont dû interrompre leur activité pour élever leurs enfants.

Il se trouve que ce sont les femmes nées pendant la période considérée qui sont avant tout concernées, en particulier parce qu’elles n’ont pas pleinement bénéficié de l’assurance vieillesse des parents au foyer.

Mme Catherine Tasca. Il y en a bien d’autres !

M. Éric Woerth, ministre. Pourquoi avons-nous fixé le seuil à trois enfants, plutôt qu’à deux ou à un ? Parce que nous avons estimé que l’arrivée d’un troisième enfant provoquait ce qu’on pourrait appeler un « décrochage » en matière d’employabilité.

À quels critères les parents concernés devront-ils satisfaire pour bénéficier de la mesure ?

En premier lieu, puisqu’il était question d’une interruption d’activité, nous avons tout d’abord estimé, fort logiquement, que l’intéressé devait avoir travaillé auparavant. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous noterez que cette condition vaut pour les deux parents, donc aussi pour les hommes, qui à l’époque suivaient généralement des études plus longues que les femmes. Nous avons essayé de faire en sorte de bien identifier les problèmes spécifiques aux femmes.

Le nombre minimum de trimestres validés – trois ou quatre – sera fixé prochainement.

Mme Nicole Bricq. De quelle façon ? Soyez précis !

M. Éric Woerth, ministre. En second lieu, nous avons estimé que l’interruption de carrière ouvrant droit au bénéfice de cette mesure devrait être survenue dans les trois ans qui suivent la naissance de l’enfant.

Monsieur About, vous avez raison : nous ne posons pas comme condition supplémentaire la reprise d’activité ; en effet, nous savons bien que nombre des femmes concernées n’ont jamais repris d’activité professionnelle après avoir élevé leurs enfants.

M. Éric Woerth, ministre. Vous soulevez là une vraie question. Si nous introduisions ce critère supplémentaire, peu de femmes pourraient bénéficier de la mesure, infiniment moins que 135 000. C’est cela que nous avons voulu éviter.

Je le répète, le critère essentiel est l’interruption de carrière, sans que celle-ci ait nécessairement repris a posteriori.

M. Jean-Louis Carrère. C’est d’une simplicité…

M. Éric Woerth, ministre. Certaines personnes ont repris leur activité, d’autres pas. C’est très clair.

Mme Nicole Bricq. Non, ce n’est pas clair !

M. Éric Woerth, ministre. En revanche, il faut obligatoirement avoir travaillé un peu avant l’interruption de l’activité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Bricq. Qu’entendez-vous donc par « un peu » ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Un certain temps » !

M. Éric Woerth, ministre. Cette interruption de carrière doit intervenir dans un délai de trois ans après la naissance de l’un des trois enfants.

Il faut essayer d’être précis.

M. Éric Woerth, ministre. Il est facile de se livrer à des effets de manches, mais un système de retraite ne se réforme pas par des discours de tribune. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 1199.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites.

Mise au point au sujet d'un vote

Article 6 (Texte non modifié par la commission) (priorité)
Dossier législatif : projet de loi portant réforme des retraites
Article 6 (Texte non modifié par la commission) (priorité) (début)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point concernant le vote, intervenu ce matin, sur le sous-amendement n° 1200 à l’amendement n° 1182 du Gouvernement.

J’ai été déclarée comme n’ayant pas pris part au vote, alors que je souhaitais voter pour. Le dispositif de ce sous-amendement aurait permis, selon moi, de mieux protéger les femmes, qui ont souvent des carrières hachées.

Je souhaiterais que cette rectification soit consignée dans le compte rendu de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Odette Terrade applaudit également.)

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Mise au point au sujet d'un vote
Dossier législatif : projet de loi portant réforme des retraites
Article 6 (Texte non modifié par la commission) (priorité) (interruption de la discussion)

Article 6 (priorité) (suite)

M. le président. Nous en sommes parvenus, au sein de l’article 6, aux explications de vote sur le sous-amendement n° 1188.

La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Selon M. le ministre, ces mesures devraient avoir pour effet de réduire les économies escomptées de l’application de cette réforme, profondément injuste, de 3,4 milliards d’euros.

Plutôt que d’attendre une loi de finances, nous proposons immédiatement une piste de financement : l’abrogation du bouclier fiscal et l’affectation des sommes ainsi récupérées à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, la CNAVTS.

Alors que sont annoncées de nouvelles ponctions sur les revenus des salariés au titre des dépenses de soins, les derniers chiffres connus relatifs au bouclier fiscal laissent pantois.

En effet, 1 169 foyers dont la fortune dépasse 16 millions d’euros vont se voir allouer un chèque de 362 126 euros en moyenne. Le bouclier fiscal coûte donc à l’État la modique somme de 679 millions d’euros.

Pendant que les plus grandes fortunes continueront de se « gaver » aux frais de l’État, des familles, des salariés auront de plus grandes difficultés à accéder aux soins et se verront refuser le remboursement de certains médicaments. Plus d’un quart des Français ne se soignent plus en raison de l’augmentation du coût des soins.

Le pouvoir se surpasse pour rivaliser avec le cynique Guizot et son fameux « Enrichissez vous ! », lancé aux banquiers et autres bourgeois nantis du xixe siècle. Il est grand temps de stopper cette fuite en avant !

Il faut supprimer le bouclier fiscal et mettre en œuvre une grande réforme de la fiscalité, pour plus de justice et d’égalité. Nous rappelons que l’égalité fiscale recouvre une dimension politique et juridique.

D’abord, ce principe est compris comme l’égalité des contribuables devant l’impôt. « Une contribution commune […] doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », dispose l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Égalité fiscale sous-entend ici justice fiscale, reflétée par une répartition plus juste de la charge et une égalité de sacrifices financiers. Le législateur est donc censé être amené à instaurer une différence de traitement entre les contribuables, car il est difficile, pour un ménage à faibles revenus, de consacrer 20 % de ceux-ci à l’impôt.

Votre politique fiscale, qui plus est, s’attaque, entre autres mesures, à la demi-part des veuves, à celle des couples mariés, aux accidentés du travail, sans remettre en cause les exonérations fiscales accordées aux grandes entreprises.

Quant au bouclier fiscal, plus qu’une injustice, c’est une indécence ! Deux Français sur trois contestent aujourd’hui le bien-fondé d’une exonération fiscale visant à mettre à l’abri de l’impôt les plus riches. C’est le principe même du bouclier fiscal qui est aujourd’hui battu en brèche, car il comporte un défaut majeur : il protège les seuls intérêts de ceux qui ont tout.

Dernièrement, M. Fillon affirmait à la télévision que la suppression du bouclier fiscal n’était pas un sujet tabou et que, si elle devait intervenir, il faudrait qu’elle soit couplée à la disparition de l’impôt sur la fortune, à l’occasion d’une « réforme fiscale d’ensemble », envisagée pour 2011…

Or c’est maintenant que les caisses de l’État ont besoin d’être renflouées par de l’argent qui a été volé à ceux de nos concitoyens n’ayant pas la « chance » de faire partie des mille familles les plus riches de France.

Nous demandons donc au Sénat de prendre au mot M. le Premier ministre et de mettre fin à une situation qui n’a déjà que trop duré. Nous souhaitons également que notre proposition de loi sur le financement du régime de retraite soit inscrite à l’ordre du jour sans plus attendre.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Cet amendement constitue un appel au dialogue préalable, qui a beaucoup manqué dans l’élaboration du présent texte.

Monsieur le ministre, vous exposez à l’envi votre projet, après la discussion générale, après les présentations d’amendements, et même, ce qui est inédit, après les explications de vote…

Votre calme n’a d’égales que votre méconnaissance du réel, la caducité de votre montage et votre surdité aux propositions alternatives.

Ce défaut d’écoute – ou la mauvaise acoustique de l’hémicycle… – peut être palliée par la lecture des propositions d’Yves Cochet dans le Journal officiel ou par la répétition, dont je me chargerai.

S’agissant de votre méconnaissance du réel, monsieur le ministre, vous avez qualifié, vendredi dernier, d’« excès de Mme Blandin » mon évocation des contaminations au travail et de leurs effets.

Je n’opposerai pas systématiquement, comme vous, un camp à l’autre. Je vous renverrai aux déplacements documentés sur le site de Metaleurop de vos amis Jean-Pierre Raffarin, Jean-Paul Delevoye et Jean-Louis Borloo, sans doute plus avertis que vous des dangers du plomb, aux propositions éclairées de l’ancien ministre du travail et désormais président du Sénat, Gérard Larcher, sur l’amiante, enfin, bien sûr, à la mobilisation des élus de gauche.

Pour ce qui est de la caducité de votre projet, elle repose sur des erreurs de base.

Pour vous, le droit à la retraite se construit sur le produit du travail et les temps d’emploi. Mais vous faites l’impasse sur le détournement du produit du travail, qui profite de moins en moins à la masse salariale.

Vous assimilez la retraite à la récompense d’une implication choisie dans l’emploi. Ce faisant, vous travestissez le réel : les jeunes, les femmes, les chômeurs, les seniors ne fuient pas l’emploi ; c’est l’emploi qui leur fait défaut !

Mme Annie David. On les prive d’emploi !

Mme Marie-Christine Blandin. Vos scénarios ne tiennent pas. La croissance, appelée en béquille, se heurte déjà aux limites de la planète. Les projections du Conseil d’orientation des retraites, le COR, sur le retour progressif du plein emploi étaient illusoires.

Enfin, les promesses associées à la réforme Fillon n’ont pas été tenues : le chantier de la pénibilité n’a jamais été ouvert.

J’en viens maintenant aux propositions des écologistes, compatibles avec celles de nos collègues de gauche.

Je citerai la suppression pour moitié des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, qui rapporterait 5 milliards d’euros, la suppression des exonérations sur les heures supplémentaires – 1,5 milliard d’euros –, la réduction de 50 % du manque à gagner pour les caisses sur l’intéressement –1 milliard d’euros –, ainsi que sur l’épargne retraite des entreprises – 800 millions d’euros –, par une augmentation des prélèvements, le relèvement d’un point du taux de cotisation en dix ans –9,4 milliards d’euros…

Je vous épargne la suite, car j’ai quelque chose de plus solennel à vous dire.

Nous avons été choqués que vous ayez employé le terme « nostalgie » dans votre réponse à Pierre Mauroy. Non, monsieur le ministre, faire référence au progrès social, ce n’est pas de la nostalgie ! En commettant cette indélicatesse, finalement, vous avez dévoilé vos intentions : mettre en œuvre la régression et le recul ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 1188.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l’amendement n° 1182.

Mme Annie David. La discussion que nous avons eue juste avant la suspension de la séance fut fort intéressante.

Nous trouvons le dispositif de l’amendement n° 1182 du Gouvernement très restrictif, puisque, pour pouvoir simplement bénéficier du maintien du droit existant, les femmes concernées devront être nées entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955.

Cette première condition restreint déjà énormément le champ de la mesure, ce qui est, de notre point de vue, inacceptable et discriminant pour les autres femmes.

Il faudra également que les intéressées aient eu au moins trois enfants. Là encore, c’est une restriction au maintien du droit actuel au départ à 65 ans sans décote.

Ensuite, ces femmes devront avoir interrompu leur carrière pour élever leurs enfants, ce qui signifie qu’elles seront tenues d’avoir travaillé avant la naissance ou l’adoption de leur premier enfant. Or les femmes nées entre 1951 et 1955 ont très souvent été mères avant d’entrer dans la vie professionnelle, et elles ne pourront donc pas bénéficier du maintien du droit au départ à la retraite sans décote à 65 ans, même si elles ont eu trois enfants. Nous trouvons qu’une telle condition est elle aussi beaucoup trop restrictive.

Enfin, le 3° de l’amendement fait mention de la nécessité d’avoir validé un nombre de trimestres minimum, sans plus de précision : quel sera ce minimum ? Les femmes concernées devront-elles nécessairement avoir validé leurs trimestres avant la naissance de leurs enfants, ou les périodes d’activité ultérieures pourront-elles être prises en compte ? Le dernier alinéa de cet amendement se contente de renvoyer à un décret en Conseil d’État.

Toutes ces imprécisions nous font craindre que le chiffre de 130 000 femmes bénéficiaires du dispositif que vous annoncez, monsieur le ministre, et qui nous semble déjà bien insuffisant, ne soit même pas atteint. N’oublions pas que 30 millions de femmes sont potentiellement concernées, à terme, et il faut que chacune d’entre elles puisse, le moment venu, bénéficier d’une retraite digne !

Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sur quels éléments le Gouvernement se fonde-t-il pour estimer que 130 000 femmes seront concernées par la mesure ? En effet, dès lors que l’on ne sait pas à partir de quel minimum de trimestres de cotisation validés avant l’arrivée des enfants cet « avantage » sera octroyé – un, deux, trois, peut-être davantage ? –, il paraît difficile d’avancer un chiffre aussi précis.

Parce que nous sommes des parlementaires sérieux, qui veulent se prononcer en toute connaissance de cause, nous souhaiterions obtenir des précisions sur votre méthode de calcul, monsieur le ministre.

Il me semble que nous nous étions entendus sur la nécessité d’assortir tous les projets de loi d’une étude d’impact détaillée. Or, en l’occurrence, les éléments dont nous disposons sont très approximatifs. Nous sommes dans un flou complet, et les conditions très restrictives encadrant le dispositif rendront peut-être dérisoire le nombre réel de bénéficiaires.

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour explication de vote.

Mme Christiane Demontès. Aujourd’hui, les assurés, dont les femmes, peuvent partir à la retraite sans décote à 65 ans. Demain, si l’article 6 est adopté, cette borne sera repoussée à 67 ans, sauf, aux termes de l’amendement n° 1182 du Gouvernement, pour les assurés remplissant quatre conditions cumulatives.

Premièrement, il faudra être né entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955. Cette période de quatre ans et six mois est trop restreinte, notamment parce que les femmes n’ont vraiment commencé leur entrée progressive dans la population active qu’au milieu des années soixante. Il faut ajouter que les femmes cumulent souvent, au fil de leur parcours professionnel, emplois précaires et bas salaires. Les femmes conciliant vie professionnelle et vie personnelle travaillent le plus souvent à temps partiel faute de structures d’accueil des enfants, et en raison de l’inégalité persistante dans le partage des tâches domestiques entre les hommes et les femmes.

Deuxièmement, il faudra avoir eu ou élevé au moins trois enfants. Je ne reviendrai pas sur cette condition, dont nous avons déjà dénoncé le caractère excessivement restrictif, mais je vous renvoie à ce propos, monsieur le ministre, à la lecture d’un article du quotidien Les Echos, paru le 8 octobre dernier, et qui s’appuie sur des chiffres de l’INSEE.

Cet article, qui démontre à l’évidence la fausseté de votre argumentation et, par là même, le caractère trop restrictif d’une limitation du champ du dispositif aux femmes nées entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955, nous apprend que le pourcentage de mères sans emploi avant la naissance du troisième enfant est de 56 % pour les femmes nées entre 1954 et 1959, de 50 % pour celles qui sont nées entre 1960 et 1969, et de 60 % pour celles qui sont nées entre 1970 et 1985. Quant au pourcentage de mères sans emploi après la naissance du troisième enfant, il est de 68 % pour les femmes nées entre 1954 et 1969, et de 71 % pour celles qui sont nées entre 1970 et 1985. Cherchez l’erreur !

Troisièmement, il faudra avoir interrompu ou réduit son activité professionnelle après la naissance ou l’adoption d’au moins un des enfants, pour se consacrer à son éducation. Quid des femmes qui ont eu des enfants avant de travailler ?

Quatrièmement, il faudra avoir validé, avant cette interruption ou réduction d’activité, un nombre minimum de trimestres. J’ai déjà développé ce point ce matin, sans obtenir aucune réponse de votre part, monsieur le ministre. M. le président du groupe de l’Union centriste a proposé d’attendre la CMP et, d’ici là, de travailler sur une globalisation des trimestres validés, pour prendre en compte les périodes travaillées avant et après l’interruption d’activité. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette proposition : faudrait-il donc que les groupes politiques de notre assemblée travaillent à améliorer un amendement du Gouvernement ? Ce serait tout de même un peu fort !

Cet amendement, s’il aménage certes à la marge le dispositif pour un nombre de femmes que, comme l’a dit Mme Borvo Cohen-Seat, nous ne connaissons pas aujourd’hui, marque un véritable recul par rapport à la situation actuelle, et non une quelconque avancée.

C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur cet amendement du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.

Mme Catherine Tasca. Depuis le début de ce débat, vous vous efforcez, monsieur le ministre, de présenter l’opposition comme conservatrice, voire archaïque, sur ce dossier des retraites. Je voudrais vous démontrer que, au moins sur deux plans, vous faites une profonde erreur d’analyse.

Cette erreur tient d’abord à votre conception de la place des femmes dans la société. Vous nous faites miroiter une évolution positive des carrières des femmes dans les années à venir, mais nous constatons qu’elles sont de plus en plus souvent contraintes d’accepter des emplois à temps partiel ou des carrières morcelées et que, de ce fait, elles sont pénalisées au moment de la retraite. Pour elles, le report à 67 ans de l’âge de la retraite à taux plein est donc véritablement dramatique.

Je le répète : les femmes sont, de plus en plus, les piliers de la solidarité dans la vie familiale et sociale. Non seulement elles doivent très souvent élever seules leurs enfants, mais, en raison de l’évolution des familles, elles doivent aussi fréquemment assumer l’éducation des enfants de leur compagnon. Vous n’êtes pas sans connaître l’existence des familles recomposées, monsieur le ministre… Dans tous les cas de figure, ce sont les femmes qui sont le point d’ancrage, tant du couple que des enfants.

De surcroît, les femmes qui s’orientent vers des études longues n’ont pas forcément à attendre la fin de leur parcours universitaire pour avoir des enfants. Or l’amendement du Gouvernement pénalise vraiment de façon brutale toutes les femmes qui n’auront pas occupé un emploi avant d’avoir des enfants, ce qui est pourtant leur droit le plus strict.

Sur ce premier plan, il me semble donc que vous êtes bien plus que nous tourné vers le passé, monsieur le ministre. Surtout préoccupé par la protection de ce qui vous paraît être les intérêts vitaux de la société, vous méconnaissez la réalité de l’évolution de celle-ci.

Votre erreur d’analyse tient également au fait que, selon vous, nous ne comprenons rien à la répartition et que nous voulons en réalité la fiscalisation du système de retraite.

Vous devriez changer de logiciel ! En effet, nous constatons aujourd’hui que la place des salariés dans notre société régresse sans cesse, au profit de la rente et de la rémunération des capitaux. Vous ne pouvez pas continuer à solliciter exclusivement les salariés pour assurer la pérennisation de la retraite par répartition. En réalité, la rémunération des capitaux constitue également un prélèvement sur leur travail, car c’est bien celui-ci qui a permis qu’enfle sans cesse la valeur d’un certain nombre d’entreprises.

C’est donc bien parce que nous voulons un véritable système de retraite par répartition que nous tenons absolument à ce que le capital contribue à son financement, puisque lui-même se nourrit, et souvent grassement, des fruits du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. La majorité des membres du groupe du RDSE s’abstiendra sur cet amendement du Gouvernement.

Nous aurions aimé, monsieur le ministre, que vous teniez compte des différents sous-amendements présentés. Leur adoption aurait en effet permis de prendre en considération les inégalités en matière de retraite, qui affectent principalement les femmes, quelle que soit leur année de naissance. En effet, dans la très grande majorité des cas, ce sont elles qui, aujourd’hui encore, sacrifient leur vie professionnelle pour se consacrer à l’éducation des enfants ou pour apporter des soins à leurs proches.

Malgré tous vos effets d’annonce, vous avez préféré imposer des conditions extrêmement restrictives pour que cette mesure ne coûte pas trop cher… C’est dommage !

M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour explication de vote.

Mme Claire-Lise Campion. Devant la mobilisation de nos concitoyens et la perspective d’un durcissement de la contestation de cette réforme des retraites, nous sommes invités à adopter l’amendement n° 1182 du Gouvernement, qui tend à permettre aux assurés nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955, parents d’au moins trois enfants et ayant arrêté de travailler pour les élever, de continuer à bénéficier d’une retraite sans décote à 65 ans.

Quelque 130 000 femmes seraient concernées, aux dires du Gouvernement, mais nous nous interrogeons fortement sur la réalité de ce chiffre.

Cet amendement m’inspire plusieurs observations.

La première est qu’il s’agit encore une fois d’obtenir un effet d’annonce. Revenons à la réalité : il s’agit non pas d’une avancée, mais du maintien de dispositions existantes. Aujourd'hui, les assurés, dont les femmes, peuvent partir à la retraite sans décote dès 65 ans. Par conséquent, le dispositif dans son ensemble constitue bien un recul au regard de la situation actuelle, et nullement un progrès. De surcroît, vous réduisez le champ de votre amendement à un petit nombre d’assurés, par le cumul de nombreuses conditions restrictives.

Ma deuxième observation est que vous complexifiez encore un peu plus les choses en prévoyant de réserver cette mesure à une tranche d’âge très réduite. Vous ne faites rien pour clarifier les choses, alors que nos concitoyens ont déjà beaucoup de difficultés à appréhender notre système de retraite et à identifier leurs droits.

Troisième observation, vous créez une réelle inégalité entre les assurés et, à terme, une incompréhension qui mènera à un sentiment très fort d’injustice, notamment parmi les femmes nées juste avant ou juste après les dates précisées à l’amendement n° 1182.

Quatrième observation, cet amendement laisse beaucoup de questions en suspens : combien de temps un assuré devra-t-il avoir interrompu son activité pour entrer dans le champ de la disposition ? Qu’entendez-vous par « réduction de leur activité professionnelle » ? S’agira-t-il forcément d’un passage à temps partiel, et si oui à quel taux et sur quelle durée ?

Monsieur le ministre, toutes ces questions que nous vous avons posées ce matin restent sans réponse satisfaisante, au moment même où nous devons nous prononcer sur votre amendement.

Cinquième et dernière observation, l’exigence de validation « d’un nombre de trimestres minimum à raison de l’exercice d’une activité professionnelle » exclut les femmes qui auront eu leurs enfants jeunes – c’est le cas d’un grand nombre d’entre celles qui sont nées entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 – ou qui auront suivi des études longues. Sont également exclues les femmes qui auront fait le choix, dans un premier temps, de privilégier leur vie familiale et qui n’auront entamé qu’ensuite une carrière professionnelle.