Mme Annie David. Évidemment !

M. Bernard Vera. Et tant pis pour le développement équilibré et cohérent de tous les territoires, tant pis pour la satisfaction des besoins des populations et notamment des plus fragiles !

Avec ce texte, vous « priorisez » le développement et l’enrichissement de certains territoires, laissant les autres à la dérive.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Bernard Vera. Vous organisez les inégalités territoriales en mettant en place un schéma d’organisation pensé en termes de compétition entre les territoires.

Ce projet est une restructuration libérale de nos institutions locales. Il est porteur de nouvelles et puissantes inégalités sociales et territoriales. Il ne répond en aucun cas aux besoins d’aujourd’hui et aux défis de demain.

En réalité, tout est aujourd’hui fait et pensé pour que les grands groupes privés, qui font leurs choux gras de la gestion des services publics, soient plus encore incités à le faire.

Car, si l’on interdit les financements croisés, on encourage les partenariats public-privé, ces fameux contrats où le bénéfice de l’opération va toujours au privé et les pertes éventuelles toujours à l’autorité publique.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Bernard Vera. En matière de finances comme de pouvoirs locaux, le présent texte a donc choisi concurrence et privatisation contre complémentarité et intérêt général.

Dans ces conditions, vous comprendrez donc, mes chers collègues, que le groupe CRC-SPG vote contre le texte issu de la commission mixte paritaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec un mélange de détermination et d’émotion que je voudrais m’adresser à vous ce matin, au moment où nous allons chacune et chacun nous exprimer par notre vote sur le texte du projet de loi de réforme des collectivités territoriales issu de la commission mixte paritaire.

Au sein de la Haute Assemblée, nous sommes concernés au premier chef, le Sénat étant la chambre des collectivités territoriales.

Afin d’aborder l’examen du texte avec la distance nécessaire, rappelons les objectifs qu’avait fixés le Président de la République lors de l’installation du comité Balladur. Il s’agissait de simplifier, d’économiser, de savoir qui faisait quoi, bref, de moderniser et de renforcer la démocratie locale. Nous étions nombreux à attendre cette loi.

Où en est-on aujourd’hui ?

J’évoquerai d’abord la simplification de l’architecture territoriale.

Au lieu de faire simple, avec la création des communes nouvelles, des métropoles éloignées de l’objectif initial, des pôles métropolitains, on obtient un paysage politique local encore plus compliqué, voire incompréhensible pour les habitants et même pour les élus locaux.

Mme Jacqueline Gourault. Une fois de plus, on aura affiché la suppression de structures mais on en aura de fait rajouté.

Il s’agissait aussi de clarifier les compétences des collectivités. En choisissant de reporter ce débat à 2015, on a décidé de céder à la facilité et refusé, comme l’avait prévu le Gouvernement initialement, de débattre de ce sujet dans une loi spécifique.

Mme Jacqueline Gourault. Dans un monde en crise, au moment où l’État réorganise sur le terrain ses services, leurs compétences et leur champ d’action géographique, est-il sérieux d’attendre si longtemps alors que les moyens manquent ?

En 2014, on élira donc des élus qui verront leurs compétences légales modifiées une année plus tard. Ce n’est pas ma conception de la démocratie locale !

Il s’agissait aussi de faire des économies dans les dépenses locales en réduisant notamment le nombre d’élus et en optimisant les prises de décision.

Certes, on diminue le nombre d’élus, puisque celui-ci passe de 6 000 à 3 500, mais on crée des assemblées régionales pléthoriques, ce qui nécessitera d’agrandir les hémicycles, de défrayer les déplacements des conseillers territoriaux, sans même parler du fait que toutes les administrations locales seront maintenues.

Mme Jacqueline Gourault. Enfin, il s’agissait d’améliorer la démocratie locale, mais comment se satisfaire du mode de scrutin proposé – je ne reviens pas sur le renforcement de celui-ci avec les 12,5 % des inscrits –, qui n’a d’autre effet que d’étouffer la diversité des opinions et l’accès des femmes à des mandats électifs ?

Pourtant, les assemblées locales restaient le lieu de cette diversité, de cette richesse qui permet de dépasser les clivages, de trouver des consensus dans l’intérêt et pour le développement d’un territoire. On ne connaît que trop ce que produit le renforcement des clivages au niveau national : c’est l’assurance de l’inefficacité, dont les premières victimes seront les habitants de nos territoires.

Enfin, en tant que sénateur, et comme tout élu de la Haute Assemblée pourrait le faire, je souhaite simplement souligner que nous avons été, tout au long de cette réforme, traités d’une manière un peu particulière...

M. Jean-Pierre Sueur. Méprisante !

Mme Jacqueline Gourault. ... et que notre institution n’a pas été considérée.

M. Guy Fischer. On a été mal traités ! On a été méprisés !

Mme Jacqueline Gourault. À ce propos je voudrais insister sur la manière dont s’est déroulée la commission mixte paritaire, où je siégeais comme suppléante.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ceux qui sont toujours prompts à agiter comme épouvantail la IVe République quand on parle de mode électoral ont eu des méthodes qui n’étaient pas tout à fait dans l’esprit de la Ve République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Par ailleurs, il n’est pas supportable que le mode électoral, qui devait faire l’objet d’une loi particulière – le fameux projet de loi n° 61, dont Gérard Longuet a parlé tout à l’heure –, ait été introduit par amendement lors de la première lecture à l’Assemblée nationale alors que le Sénat n’en avait pas débattu.

Pour ma part, j’ai voté pour la création du conseiller territorial. Jusqu’à présent, je n’ai jamais voté contre cette loi. J’ai toujours attendu que le Gouvernement fasse un geste sur le mode de scrutin. On parle de proportionnelle, mais ce n’est pas ce que nous proposons précisément. Pour notre part, nous défendons le scrutin majoritaire à deux tours avec une dose de proportionnelle ; je tiens à le préciser haut et fort. Cela existe déjà, par exemple aux élections municipales. Il n’y a donc pas lieu d’en faire toute une affaire !

L’ensemble des motifs de refus que je viens d’énumérer suffiraient donc à repousser ce texte.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

Mme Jacqueline Gourault. Mais, ne serait-ce que pour défendre le rôle et les missions de la Haute Assemblée, avec quelques-uns de mes collègues, je voterai contre ce texte en conscience et avec le sentiment d’une occasion manquée.

Monsieur le secrétaire d’État aux collectivités territoriales, je regrette que l’on vous ait imposé tout ce galimatias dans votre loi sur l’intercommunalité, car nous aurions été nombreux à voter cette partie du texte, et nous ne pouvons le faire en conscience. Je vous remercie cependant de votre écoute ; mes remerciements s’adressent également, et pour la même raison, à mon ami le ministre Michel Mercier. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Claude Gaudin. Vous allez donc voter le texte !

Mme Jacqueline Gourault. L’amitié n’empêche pas la liberté ! (Applaudissements sur certaines travées de lUnion centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

En agissant ainsi, disais-je, ce sont les maires, les conseillers généraux et régionaux, y compris ceux que je connais le mieux, c’est-à-dire ceux de mon département, que je défends. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, transformer un projet de réforme qui aurait pu être consensuel en une opération politicienne de reconquête des collectivités territoriales perdues ne pouvait déboucher que sur un échec collectif.

Cet échec, c’est d’abord celui des initiateurs du projet eux-mêmes.

Le 25 septembre 2008, à Toulon, M. Nicolas Sarkozy déclarait : « Le nombre et l’enchevêtrement des compétences [des échelons de collectivités locales] est une source d’inefficacité et de dépenses supplémentaires. » Il assurait également : « Moins d’échelons, c’est moins d’impôts ; plus d’échelons, c’est plus d’impôts ! »

Deux ans après, la clarification si urgente brille encore par son obscurité, et l’on cherche en vain quel échelon a bien pu être supprimé.

Étrange clarification que celle qui consiste à loger les conseils généraux dans les conseils régionaux, à créer de nouvelles catégories d’EPCI – métropoles et pôles métropolitains –, de nouvelles catégories de communes – « communes nouvelles » et « communes déléguées » !

Quant aux économies, avec l’explosion des effectifs des conseillers régionaux, plus personne n’en parle.

C’est ensuite un échec du Sénat, qui n’a pas eu le courage d’assumer fermement son rôle : la représentation des collectivités territoriales de la République. Quel gâchis quand on pense au travail de la mission Belot-Krattinger-Gourault et au quasi-consensus auquel elle était parvenue sur des questions essentielles.

C’est également un échec pour le département, qui est toujours là, mais pour combien de temps ? « L’assemblée régionale, nous dit l’un des théoriciens de la réforme, Hervé Fabre-Aubrespy, est formée finalement de la réunion des conseils généraux, mais ce n’est pas pour ça [...] qu’on préjuge de l’évolution ultérieure [...]. Dans notre système donc, on va donner des forces à chacune des collectivités et l’évolution sera ce qu’en feront finalement les acteurs. On ne préjuge pas de la disparition de la région ou de celle du département. » Voilà qui garantira une cohabitation sereine ! (Sourires.)

Dépossédé du pouvoir d’intervenir dans tout domaine d’intérêt départemental, vampirisé par les métropoles, là où elles existeront : tel est le nouveau département.

C’est en outre un échec pour les régions, qui étaient l’échelon privilégié des réformateurs. Sauf que le mode d’élection du conseiller territorial rend illisible l’enjeu régional et donne un poids politique décisif aux majorités départementales. Coupler élection régionale et élection départementale, c’est faire de cette dernière l’élection essentielle pour l’électeur et le système lui-même.

Privée de ressources et d’autonomie fiscale, affligée d’une assemblée pléthorique sans mode de scrutin lui garantissant une majorité, comme c’est le cas aujourd’hui, que pourra bien faire la région ?

C’est aussi un échec pour les communes, privées de la capacité de maîtriser leur destin en s’associant volontairement. S’il en allait autrement, l’élaboration du schéma départemental de coopération intercommunale aurait été confiée à la commission départementale de coopération intercommunale, la CDCI, qui en aurait décidé à la majorité et non au représentant du Gouvernement, qui, avec l’appui de 35 % de la CDCI, peut faire exactement ce qu’il veut, y compris ne pas appliquer le schéma départemental qui aura été voté.

À ce jeu, les petites communes sont évidemment les grandes perdantes, à la fois en termes de représentation au sein des conseils, là où les communes centres auront la capacité d’imposer le tableau légal, et en termes de représentation au sein des bureaux.

Ce n’est pas un hasard si la représentation des communes au sein de la CDCI est passée de 60 % à 40 % et celle des intercommunalités de 20 % à 45 %.

C’est aussi un échec pour les territoires ruraux, qui verront le nombre de leurs élus diminuer alors que, dans le même temps, la taille de leurs cantons augmentera.

Plus d’élus de proximité là où ils sont le moins utiles et moins d’élus là où ils le sont le plus, en zone rurale : voilà la réforme ! Le cas le plus extravagant est celui des conseillers territoriaux métropolitains, incompétents dans leur canton s’agissant des compétences transférées aux métropoles mais compétents pour les cantons non métropolitains !

C’est aussi un échec pour les territoires les plus urbanisés. Non seulement la région parisienne est exclue du champ de la loi, mais celle-ci ne dit rien de l’essentiel : comment assurer, sur de vastes territoires parfois discontinus, la mise en cohérence des interventions des acteurs locaux dans les domaines stratégiques que sont le transport, le développement économique et l’emploi, l’enseignement supérieur et la recherche, le logement, les très grands événements culturels et sportifs.

La discussion et, plus encore, le refus des amendements qui avaient été proposés ont bien montré que, loin de simplifier la situation, la nouvelle organisation urbaine la complique encore.

Peut-être me répondra-t-on qu’insatisfaction générale est marque d’équité : tout le monde étant mécontent, cela veut dire que personne n’est avantagé,...

M. Roland Courteau. Ça, c’est sûr !

M. Pierre-Yves Collombat. ... comme si la qualité d’une réforme se mesurait au nombre des mécontents qu’elle fait ! Nos électeurs nous diront dans quelques mois ce qu’ils en pensent.

Le Gouvernement a fait son choix, qu’il l’assume ! L’Assemblée nationale le suivra et aura le dernier mot. Mais qu’en sera-t-il du Sénat ? Adoptera-t-il une « réforme » qu’il tient majoritairement pour ni faite ni à faire ? S’il n’a pas le dernier mot, il peut au moins sauver l’honneur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Collomb.

M. Gérard Collomb. Monsieur le président, messieurs les ministres, notre monde bouge, notre pays doit bouger aussi.

J’étais de ceux qui attendaient beaucoup de cette réforme des collectivités territoriales.

M. Roland Courteau. Nous aussi !

M. Gérard Collomb. Elle aurait dû être l’occasion de renforcer nos collectivités locales, de leur permettre de trouver cette excellence qui était au cœur du rapport Belot. Tel ne sera pas l’effet de ce projet de loi.

M. Gérard Collomb. Et, si M. Longuet a été obligé de battre le rappel, c’est que ce doute n’a pas gagné que les bancs de la gauche ou ceux du RDSE. Nous le savons bien : tout une partie de nos collègues s’interrogent sur la pertinence de ce texte.

Si nous avons pu, dans les rapports entre les communes et l’intercommunalité, sauvegarder l’essentiel, c’est grâce aux nombreuses compétences qui se trouvent sur ces bancs, comme l’a souligné M. Longuet. C’est aussi grâce à la mobilisation des organisations d’élus et des associations. Messieurs les rapporteurs, vous avez eu la sagesse de laisser le Sénat s’exprimer sur cette partie du texte. Aussi nos collègues l’ont-ils beaucoup corrigée.

Rappelons-nous le contenu du texte qui nous a initialement été présenté : la métropole, par exemple, qui réunissait tous les pouvoirs, n’en laissant pour ainsi dire aucun aux communes, n’était pas élue au suffrage universel ; pire, ceux qui étaient sortis du scrutin en position majoritaire pouvaient devenir des élus minoritaires, avec un coup de pouce des préfets qui auraient la maîtrise, en dernier ressort, de la carte de l’intercommunalité.

Aujourd’hui, les buts que vous vous étiez fixés, monsieur le ministre, ne sont guère atteints. Clarification des compétences ? Je crois que les Français les comprenaient assez bien. Le conseil régional était en charge des grandes orientations, de la politique industrielle, de la politique universitaire. Au conseil général revenaient les politiques sociales et de proximité. Les compétences étaient relativement claires aux yeux des citoyens. Les financements croisés ? Les Français savaient que nous avions besoin de l’aide des départements et des régions pour financer nos communes !

M. Gérard Collomb. Vous vous en êtes d’ailleurs aperçu. En effet, lorsqu’on observe l’évolution du texte, il est évident que vous avez été contraint de modifier vos positions sur la culture ou le sport, car elles étaient intenables ! Et dans les autres domaines, vous nous renvoyez à 2015.

M. Roland Courteau. C’est ça !

M. Gérard Collomb. Si la réforme était pertinente, pourquoi attendre 2015 ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

J’en viens à la diminution du nombre d’élus. Mes chers collègues, dans mon département, le conseil régional avait entrepris de construire un nouveau siège. Il a été contraint d’arrêter les travaux car, demain, l’hémicycle ne pourra pas contenir le nombre d’élus prévu par la loi ! Où est la diminution des dépenses ?

M. Roland Courteau. C’est absurde !

M. Gérard Collomb. Mes chers collègues, ce n’est pas une véritable réforme des collectivités territoriales qui nous est proposée. Tout cela n’a qu’un seul but : tenter de retrouver par la loi ces majorités absentes des urnes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Et pour ce faire, on abaisse le Sénat et on raye d’un trait ce qui a émergé par le consensus !

M. Roland Courteau. C’est une honte !

M. Gérard Collomb. La façon dont s’est déroulée la commission mixte paritaire est tout simplement honteuse, comme l’a rappelé Mme Gourault tout à l’heure. (Oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Roland Courteau. C’est une mascarade !

M. Gérard Collomb. Je souhaiterais rappeler ceci à mes collègues de l’Union centriste qui devront voter ce texte : la seule chose qu’a obtenue la commission mixte paritaire sur l’expression des minorités est le relèvement du seuil de 10 %, voté par le Sénat, à 12,5 %. Cela signifie que les formations minoritaires ne pourront plus s’exprimer dans nos assemblées !

M. Guy Fischer. C’est scandaleux ! C’est la mort de la démocratie !

M. Gérard Collomb. Je crois qu’il est urgent que le Sénat rétablisse la démocratie ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte adopté par la commission mixte paritaire sur le projet de réforme des collectivités territoriales vient malheureusement confirmer les craintes que j’avais exprimées, au nom de notre délégation aux droits des femmes, lors des précédentes étapes de la discussion de ce texte.

Je crains que cette réforme ne se traduise par un recul historique de la parité, car le scrutin uninominal majoritaire à deux tours finalement retenu pour l’élection des futurs conseillers territoriaux est, par nature, un mode de scrutin qui ne favorise pas l’accès des femmes aux mandats électoraux et aux responsabilités électives.

Face à ce risque dénoncé très tôt, conjointement avec les délégations aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et du Conseil économique, social et environnemental, nous avons approfondi notre réflexion pour tenter de proposer des solutions. Nous avons auditionné constitutionnalistes et responsables des grandes associations d’élus. Puisque l’article 4 de la Constitution reconnaît aux partis politiques un rôle dans la mise en œuvre du principe d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, nous avons également auditionné les responsables des partis politiques représentés au Parlement.

Un constat s’impose. Les mécanismes mis en place par la loi du 6 janvier 2000 ont permis à la parité de devenir une réalité effective dans certaines assemblées élues. En effet, la parité a fortement progressé dans toutes les élections qui se déroulent au scrutin de liste, grâce à la règle qui prévoit que toute liste doit être alternativement composée d’un candidat de chaque sexe.

C’est ainsi que nos conseils régionaux sont aujourd’hui devenus les symboles d’une parité effective. Non seulement ils sont constitués de 48 % de femmes, mais, grâce à la loi du 31 janvier 2007 qui étend les contraintes paritaires â la composition de leurs exécutifs, ils comptent 45 % de femmes parmi leurs vice-présidents depuis mars 2010, faisant émerger, nous le voyons tous, des talents et des personnalités nouvelles.

En revanche, les résultats sont régulièrement décevants dans les élections qui se déroulent au scrutin majoritaire à deux tours. Les conseils généraux, avec 12,3 % de femmes seulement, restent les assemblées les plus masculinisées de France, et l’obligation de se présenter accompagné d’un remplaçant de l’autre sexe, ou plutôt d’une remplaçante dans la grande majorité des cas, n’a pas changé grand-chose.

Notre délégation s’est demandée dans quelle mesure un mode de scrutin qui ferait reculer la parité pourrait se concilier avec l’objectif constitutionnel inscrit à l’article 1er de notre loi fondamentale, suivant lequel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».

Notre délégation a considéré qu’il ne convenait pas de remettre en question la liberté reconnue au Parlement par l’article 34 de la Constitution dans la fixation du régime électoral des assemblées. Mais cette liberté ne doit pas le dispenser de chercher à atteindre l’objectif constitutionnel d’égal accès.

Dans ces conditions, elle a jugé que l’adoption d’un mode de scrutin particulièrement défavorable à la parité, comme le scrutin majoritaire à deux tours, ne pouvait devenir acceptable que si celle-ci s’accompagnait de mécanismes susceptibles d’en neutraliser les effets négatifs.

Nous n’avons pas privilégié la voie des pénalités financières imposées aux partis pour non-respect de la parité, car celles-ci ne produisent pas les effets escomptés. L’Assemblée nationale ne compte en effet que 18,5 % de femmes ! Cela fait en effet sérieusement douter de l’efficacité des sanctions financières. Et pourtant, ces pénalités représentent pour les partis un manque à gagner important, de plus de 5 millions d’euros par an, dont 4 millions d’euros pour le parti majoritaire, sur un financement public global de 80 millions d’euros.

Nous avons donc recommandé une autre voie, novatrice, non encore éprouvée, mais qui ne bouscule pas les grands principes de notre droit électoral. C’était la recommandation n° 8, qui préconisait l’étude d’un scrutin binominal. Autrement dit, l’élection porterait, dans chaque territoire, non sur un candidat unique, doublé d’un remplaçant, mais sur un « binôme paritaire » constitué de deux candidats de sexe différent, flanqué d’un binôme de remplaçants également mixte, désigné dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui.

Telle n’est pas la voie retenue par le texte adopté en commission mixte paritaire, qui transpose à l’élection des conseillers territoriaux le mode de scrutin des actuels conseillers généraux. Nous ne croyons pas, messieurs les ministres, à l’efficacité des sanctions financières que vous voulez fixer, vu leur inapplicabilité actuelle !

M. Guy Fischer. C’est inefficace !

M. Jean-Louis Carrère. Je reconnais bien là l’angélisme de l’UMP !

Mme Michèle André. J’ai deux regrets. Le premier a trait aux conditions dans lesquelles le Parlement a examiné ces questions électorales pourtant cruciales. Faut-il rappeler que le Gouvernement avait d’abord proposé un scrutin mixte, d’ailleurs défavorable lui aussi à la parité, et qui faisait l’objet d’un projet de loi distinct, le projet de loi n°6l ?

Les critiques suscitées par les faiblesses trop évidentes de ce dispositif ont ensuite incité le Gouvernement à lui substituer le scrutin majoritaire à deux tours. Mais cette substitution s’est accompagnée d’un changement de support législatif, puisque le nouveau mode de scrutin a été introduit par voie d’amendement dans le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, à l’occasion de sa discussion à l’Assemblée nationale, alors que ce texte avait déjà été examiné ici en première lecture. Ce procédé n’était respectueux ni du Sénat ni de la procédure législative, et notre délégation n’a pas été la seule à le dénoncer.

Mais je regrette plus encore que, dix ans après l’adoption de la loi du 6 juin 2000, loi fondatrice de la parité dans notre pays, les pouvoirs publics, Gouvernement et Parlement, envoient ce signal extrêmement négatif. Monsieur le ministre, je vous le dis solennellement : ce 9 novembre restera comme un jour funeste pour les femmes françaises s’il voit l’adoption de ce texte naufrageur de parité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Messieurs les ministres, je note que vous êtes quatre ce matin au banc du Gouvernement. De fait, il s’agit d’un enjeu majeur et le scrutin s’annonce serré !

Il y a précisément deux ans, le 8 octobre 2008, à l’occasion d’une question d’actualité que j’adressais à Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’intérieur, j’expliquais que nous avions effectivement besoin d’une réforme des collectivités territoriales et je l’interrogeais en ces termes : « Pensez-vous, madame la ministre, qu’il y aura un vrai débat, que le Sénat sera entendu, ou qu’il s’agira simplement, au bout du compte, de parvenir à l’élection d’un conseiller territorial et de modifier le mode de scrutin pour régler des comptes politiques avec des supposés contre-pouvoirs que l’on ne supporte plus aujourd’hui ? »

La réponse à cette question, nous l’avons aujourd'hui !

M. Guy Fischer. Voilà !

M. François Patriat. Je comprends le dépit de notre collègue Claude Belot, d’Yves Krattinger, ou d’autres que nous venons d’entendre et qui l’ont exprimé avec une grande hauteur de vue. Après deux années de gâchis, ce débat n’aura été en fin de compte qu’une mascarade.

Par ailleurs, j’ai quelque mal à comprendre que des responsables politiques que j’ai toujours vus hostiles à la décentralisation nous donnent aujourd’hui des leçons en la matière !

M. Guy Fischer. Tout à fait, comme en 1982 !

M. François Patriat. En fin de compte, ils demeurent fidèles à leurs premières inclinations. Je me souviens des débats que nous avions eus en 1982 avec vous, monsieur Longuet, avec M. Toubon et quelques autres : les nuits d’obstruction, les milliers d’amendements contre la décentralisation ! Je me souviens de vos votes, en 1992, sur la loi Joxe, relative à l’administration territoriale de la République : c’est elle qui a inventé l’intercommunalité, dont vous ne pouvez pas revendiquer aujourd’hui la paternité. Je me souviens de vos votes sur les lois Chevènement et Voynet, où vous étiez hostiles à l’approfondissement de la décentralisation.

Et, aujourd’hui, vous voudriez nous faire croire que ce texte-ci constitue une avancée ? Mais c’est un leurre auquel les Français et les parlementaires ne sont pas près de se laisser prendre, car il s’agit bien en fait d’un recul ! Nous sommes au premier jour de la recentralisation !

Pour être bref, monsieur le président, je résumerai en trois formules lapidaires ce que représente ce texte : cantonalisation et caporalisation des régions, carbonisation des collectivités locales ! (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Il y a cantonalisation de la représentation au niveau des régions, et c’est à mes yeux une régression.

Il y a aussi caporalisation en ce que les régions vont se retrouver, demain, sous la tutelle de conseillers généraux : le conseil régional de Bourgogne comptera 137 conseillers généraux ayant des intérêts contradictoires, représentant parfois des territoires antagonistes, qui priveront la région de toute légitimité.

Quand le président de région sera sous la férule de trois, quatre, cinq présidents de conseil général, et parfois plus, c’en sera fini des grandes compétences régionales, de l’innovation, de la formation, des transports, de la recherche, de l’enseignement supérieur !