Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Je tiens également à souhaiter la bienvenue à M. le secrétaire d’État, qui s’exprime pour la première fois devant le Sénat dans le cadre de ses nouvelles fonctions gouvernementales.

La présente proposition de loi, déposée par trois de nos collègues, nous permet aujourd’hui de soulever un bien singulier paradoxe.

En effet, notre pays s’est toujours illustré par son avant-gardisme en matière d’engagement européen. L’Union européenne, quelles que soient ses imperfections, ne serait pas ce magnifique projet politique sans l’engagement et la volonté farouches de nombre de nos compatriotes, de Jean Monnet à Jacques Delors, sans oublier le très radical Maurice Faure.

Cependant, il est pour le moins étrange – et inconfortable ! – que notre pays, qui se targue souvent d’être l’un des moteurs de l’approfondissement de l’Union, se trouve régulièrement pointé du doigt en raison de sa mauvaise volonté à appliquer le droit communautaire.

M. Bruno Sido, rapporteur. C’est vrai !

M. Yvon Collin. On peut, bien sûr, songer au déficit de nos comptes publics, qui s’est retrouvé bien loin de la limite de 3 % fixée par le pacte de stabilité et de croissance, et qui avait un temps valu à la France la mise en œuvre d’une procédure de déficits excessifs à son encontre, sans sanction toutefois.

Mais l’on songe surtout, avec cette proposition de loi, au déficit chronique de transposition que notre pays affiche, avec pour conséquence une surveillance étroite de la Commission européenne et, le cas échéant, de la Cour de justice de l’Union européenne.

Un rapport de 2005 de la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale relevait que le déficit de transposition des directives relatives au marché intérieur était de 2,4 % à la fin mai 2005, après avoir même été de 4,1 % en mai 2004. Selon les chiffres de septembre dernier, ce déficit a été quelque peu corrigé – nous nous en félicitons – pour atteindre 1,2 %. Néanmoins, ce chiffre demeure insatisfaisant au regard de l’objectif de 1 % fixé par le Conseil européen de mars 2007.

De fait, la France est toujours au-dessus de la moyenne européenne de 0,9 % et se classe, à cet égard, au-delà du dix-huitième rang parmi les États membres.

Bien sûr, ces manquements à nos obligations européennes nous conduisent régulièrement devant la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle ne se fait pas faute de nous infliger des amendes et des astreintes journalières, qu’il revient finalement à nos compatriotes de régler.

Il nous faut nous interroger sur les raisons de ces retards.

Les arguties sur l’ordre juridique communautaire et l’ordre juridique interne n’ont plus lieu d’être : d’abord, parce que le Conseil constitutionnel a jugé en 2004 que la transposition des directives européennes était une obligation constitutionnelle à la charge du législateur dès lors qu’elles sont compatibles avec « l’identité constitutionnelle française » ; ensuite, parce que le Conseil d’État a opéré l’an dernier un revirement de jurisprudence majeur en acceptant l’applicabilité et l’invocabilité directes des dispositions « précises et inconditionnelles » d’une directive.

Non, mes chers collègues, les raisons de ces retards ne sont pas juridiques, elles sont politiques ! La révision constitutionnelle de 2008 avait, entre autres objectifs, celui de donner davantage de prérogatives au Parlement, notamment de lui permettre une meilleure maîtrise de son ordre du jour. Or la surcharge de l’ordre du jour à laquelle nous contraint le Gouvernement aboutit à cette aberration : il nous faut aujourd’hui prendre sur le temps réservé à l’initiative parlementaire pour discuter en procédure accélérée d’un texte transposant dans l’urgence une dizaine de directives. Ce n’était certainement pas le dessein originel du constituant en 2008 !

Je salue d’ailleurs l’initiative des auteurs de cette proposition de loi : l’expertise dont ils font preuve ici en matière de directives ne souffrira pas de la comparaison avec celle des administrations placées au service du Gouvernement.

Je remarque aussi que nous n’avons en conséquence pas pu profiter d’une étude d’impact. Sans doute n’est-ce qu’une fâcheuse coïncidence…

Monsieur le secrétaire d'État, toutes les directives dont il est ici question ne datent pas de la dernière pluie. Il paraît donc pour le moins discutable, pour ne pas dire autre chose, que le Gouvernement n’ait rien entrepris afin de ne pas exposer notre pays à de nouvelles procédures devant la Cour de Justice de l’Union européenne, sachant que nous totalisons déjà la moitié des arrêts pour inexécution d’un premier arrêt en manquement.

Je rappelle qu’une situation aussi absurde ne se serait pas vue si l’Assemblée nationale avait adopté la proposition de loi de notre excellent collègue Aymeri de Montesquiou que le Sénat avait votée en 2001. Ce texte prévoyait que le Gouvernement communiquerait au Parlement tout projet ou proposition d’acte de l’Union européenne tombant dans le domaine de la loi, ainsi qu’une étude d’impact et un échéancier d’adoption des textes de transposition d’une directive. Je regrette d’autant plus que cette proposition de loi n’ait pas prospéré jusqu’à son adoption définitive qu’elle répondait à la fois à des obligations juridiques impérieuses et à des considérations pratiques.

Je tiens à saluer également l’excellent travail de la commission de l’économie du Sénat, laquelle a su remettre de l’ordre dans l’imbroglio né de la multitude de textes utilisés comme « wagons » pour la transposition des directives dont il est aujourd’hui question.

L’aridité technique des sujets en cause ne saurait justifier une atteinte à l’intelligibilité de la loi et à la sincérité des données soumises à l’aval du Parlement. Or, entre l’ordonnance du 21 octobre 2010, la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit et le présent texte, les doublons étaient nombreux, comme l’a relevé à juste titre M. le rapporteur : on se trouve même, nous dit-il, à la limite de l’acrobatie…

La ratification de l’ordonnance du 21 octobre dernier par l’article 1er A a remporté cette course absurde. Encore faudra-t-il que l’encombrement du calendrier parlementaire ne mette pas à mal l’adoption de la présente proposition de loi. Or il semble difficile, monsieur le secrétaire d'État, d’espérer cette adoption avant février ou mars prochains, ce qui est trop tard par rapport aux délais de transposition requis. Sans oublier, bien sûr, la prochaine lecture de la proposition de loi du député Warsmann, qui viendra encore compliquer la donne puisque la rédaction des dispositions transposées diffère. Bien malin qui pourra s’y retrouver !

M. Yvon Collin. Je dirai, enfin, un mot sur la transposition sectorielle de la directive Services à laquelle procède ce texte.

Cette directive, adoptée en 2006 dans les conditions difficiles que nous savons, a pour objet de favoriser l’émergence d’un marché intérieur concurrentiel et devait être transposée avant le 28 décembre 2009.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Yvon Collin. Le gouvernement français, contrairement à ceux d’autre États, a opté non pour une transposition en bloc par le biais d’une loi-cadre, mais pour une transposition par tranches sectorielles. Or, et c’est tout à fait regrettable, cette méthode n’associe guère le Parlement au processus de transposition puisque nous nous retrouvons précipités face à des textes que nous n’avons pas eu le temps d’analyser de façon sérieuse et approfondie. Le Gouvernement a beau jeu de s’abriter derrière des amendes ou des astreintes pour justifier l’urgence à légiférer.

Il n’empêche que la directive Services soulève suffisamment de questions d’importance cruciale pour que le Parlement puisse se prononcer en disposant de l’ensemble des données susceptibles de l’éclairer.

Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la grande majorité des membres du RDSE fera le choix de l’abstention. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – MM. Rémy Pointereau et Joël Bourdin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit communautaire. Parler de dispositions « diverses » est tout à fait approprié !

Ce texte est présenté par MM. Longuet, Bizet et Emorine : tout un programme ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Tout d’abord, nous devrions féliciter nos collègues de la vigilance qui les a conduits à déposer cette proposition de loi afin de prévenir une sanction à l’encontre de l’État français dans le cadre d’une procédure en manquement lancée par la Commission européenne ! Cette rigueur les honore, mais une question s’impose : que fait le Gouvernement ? N’avait-il pas d’autres choix que de laisser le soin aux membres de sa majorité de présenter une proposition de loi pour transposer des textes européens en droit français ?

Il faut bien avouer que le principal objectif de ce texte est d’éviter une sanction de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, depuis l’adoption du traité de Lisbonne, la procédure est accélérée et les sanctions pécuniaires sont particulièrement élevées, comme en témoigne l’amende infligée à la France au sujet de la transposition de la directive relative aux OGM.

Cela dit, il me faut revenir sur l’impression étrange que me laisse la conjonction de deux propositions de loi, toutes deux émanant de membres de l’UMP. Ces deux propositions de loi ne sont pas exactement identiques : si l’une, celle de Jean-Luc Warsmann, comporte près de cent cinquante articles et a été inscrite à l’ordre du jour du Sénat puis renvoyée sine die après avoir été adoptée à l’Assemblée nationale, l’autre ne comportait que huit articles, et c’est peu ou prou le texte que nous allons examiner aujourd'hui, même s’il compte dix articles après son passage en commission, dont cinq sont issus de la proposition de loi Warsmann.

Force est de constater que le rythme imposé par le Gouvernement au calendrier parlementaire conduit nécessairement à ces dysfonctionnements. À force de vouloir légiférer trop et trop vite, nous légiférons mal et de manière peu rigoureuse.

Je m’étonne également du procédé qui a conduit à supprimer les deux premiers articles de cette proposition de loi, au motif qu’une ordonnance a déjà été publiée le 21 octobre dernier sur le fondement de la résolution 256 du Grenelle de l’environnement.

M. Bruno Sido, rapporteur. Non, je ne suis pas d’accord !

Mme Évelyne Didier. Ces deux articles sont donc remplacés par un nouvel article ratifiant l’ordonnance. Avouez que tout cela est quelque peu confus !

M. Bruno Sido, rapporteur. Pas du tout, c’est très clair !

Mme Évelyne Didier. Je rappelle que, lors du débat au Sénat sur le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, nous avions estimé, au sein du groupe CRC-SPG, que les termes de cette habilitation étaient bien trop vagues et susceptibles d’une interprétation trop large. Pour cette raison, nous nous étions opposés à cet article et nous n’avons pas changé d’avis depuis. Nous préférons que les articles d’un texte de loi mentionnent un dispositif plutôt qu’ils ne fassent référence à une ordonnance.

J’en viens maintenant au fond et j’analyserai successivement les trois titres de cette proposition de loi.

Le titre Ier sur l’environnement n’a plus lieu d’être puisqu’une ordonnance a été publiée récemment reprenant les dispositions en question. Il s’agissait pourtant de dispositions importantes, concernant la mise en place d’une infrastructure d’information géographique dans l’Union européenne et reprenant l’article 153 de la loi de simplification du droit, ainsi que de dispositions permettant d’achever la transposition dans notre droit du protocole de Kyoto, notamment en termes de permis d’émissions de la France, et ce dans le cadre du mécanisme d’échange défini à l’article 14 dudit protocole.

Il me semble que la discussion de ces articles aurait été utile et nous aurait permis de revenir sur la qualification même de ces quotas d’émissions dont l’utilité en termes de résorption des émissions de gaz à effet de serre n’a pas vraiment été prouvée.

Le titre II de la proposition de loi comprend des dispositions relatives à des professions et activités réglementées. Dans ce cadre, deux des quatre articles composant ce titre correspondent non seulement à des articles de la proposition de loi Warsmann, mais également à la transposition de la directive Services. Il s’agit de la profession de géomètre-expert, à l’article 3, et de l’activité de direction ou de gérance d’une auto-école, à l’article 4.

Je veux dénoncer ici la démarche qui vise une nouvelle fois à transposer la directive Services en catimini, de manière fragmentée. Cette démarche, nous la contestons, et nous ne sommes pas les seuls ! Ainsi, je partage pleinement le constat qu’a pu formuler Hervé Maurey sur ces dispositions dans le rapport qu’il a rédigé sur la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. Il s’exprimait en ces termes : « Votre rapporteur pour avis regrette le choix opéré par le Gouvernement pour transposer cette directive, qui conduit à empêcher un véritable débat parlementaire sur ce texte, certains allant jusqu’à évoquer “une mise à l’écart illégitime du Parlement”. »

Le Gouvernement doit pourtant assumer le contenu de cette directive, une directive qu’il a soutenue au sein des institutions européennes et qui place l’ensemble des activités humaines en concurrence frontale.

Nous continuons, pour notre part, de demander le retrait de cette directive au regard de la grave crise économique et sociale que nous traversons et qui est la conséquence directe des politiques libérales prônées par le traité de Lisbonne et mises en musique par cette directive.

Concernant, enfin, le titre III, relatif aux transports, nous estimons que les dispositions qu’il contient soulèvent de nombreuses questions.

Ainsi, nous craignons que l’article 7 ne constitue un premier pas vers un alourdissement des charges des collectivités concernant la gestion des routes départementales. En effet, aujourd’hui, l’essentiel du réseau est composé de routes départementales. Il n’est donc pas exclu que le Gouvernement souhaite, dans un second temps, étendre les obligations d’audit à ce réseau. Si telle n’est pas votre intention, monsieur le secrétaire d'État, peut-être pourrez-vous nous apporter quelques éclaircissements.

Je conviens de l’avancée que constituent, en termes d’’information des consommateurs, les dispositions introduites par l’article 8 de cette proposition de loi, qui permet la transposition du règlement du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires. Je souhaiterais toutefois savoir pourquoi vous avez introduit cet article de transposition alors même qu’un règlement communautaire, à l’inverse des directives, est d’application directe.

Nous estimons que cette disposition relève du simple affichage à un moment où l’on sent poindre la volonté de ce gouvernement de libéraliser les transports régionaux de voyageurs.

Par ailleurs, nous regrettons l’introduction par la commission de deux nouveaux articles figurant également dans la proposition de loi Warsmann et qui concernent la poursuite de la libéralisation du secteur aérien. L’article 10, notamment, risque d’encourager les compagnies françaises à recruter dans des pays où les contraintes en termes de qualification et d’aptitude médicale seront moindres, voire inexistantes.

Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, nous demandons régulièrement l’élaboration d’un bilan sur les directives communautaires d’ouverture à la concurrence. Nous souhaitons, dans ce cadre, que la politique communautaire des transports soit réétudiée et réorientée, afin de placer la question du service public au cœur des préoccupations. Nous n’avons obtenu aucune réponse à ce jour et je me permets donc de vous interpeller sur cette question.

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que notre groupe soit plutôt réservé sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi, à mon tour, de vous féliciter de votre nomination au Gouvernement et de me réjouir de vous voir en charge du secteur des transports, ce qui nous donnera l’occasion de nous revoir à plusieurs reprises dans les mois qui viennent.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les propositions de loi ont rarement les dimensions du texte soumis ce soir au Sénat. D’ordinaire, elles visent un domaine très précis, et je comprends que certains de nos collègues aient pu être surpris par une proposition de loi se rapprochant, dans son esprit, d’un texte « portant diverses dispositions ».

En réalité, si le domaine concerné est vaste, l’objectif est simple et précis : il s’agit d’assurer la transposition d’un certain nombre de directives européennes avant que la Commission européenne ne saisisse la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours en manquement, avec le risque de voir prononcer de lourdes pénalités financières contre notre pays.

On aura compris que, bien que m’exprimant dans le temps de parole accordé au groupe UMP, c’est plutôt dans le cadre des fonctions que j’exerce au sein de la commission des affaires européennes que j’interviens. Je n’aborderai donc pas le fond même de la proposition de loi, qui relève de la compétence de la commission de l’économie, préférant insister sur la situation qui a conduit au dépôt de cette proposition de loi.

Les retards dans la transposition des directives européennes sont un problème récurrent dans notre pays. Lors de la présidence française de l’Union européenne, en 2008, nous avions fait un grand effort pour rattraper notre retard, puis les mauvaises habitudes sont revenues.

Or le traité de Lisbonne est en vigueur depuis un an et, avec lui, un renforcement de la procédure en manquement contre les États membres. Désormais, en cas de non-transposition d’une directive, la Commission européenne peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne à la fois d’un recours en manquement et d’une demande de sanction pécuniaire, alors qu’auparavant la Commission devait d’abord saisir la Cour pour lui faire constater le manquement, puis la saisir à nouveau ultérieurement pour lui demander d’infliger des sanctions si le manquement persistait. La procédure est donc désormais bien plus rapide.

Or les pénalités financières peuvent être très lourdes. La France en a déjà fait la triste expérience ; je pense notamment à l’arrêt dit des « poissons sous taille » : notre pays n’avait pas respecté les règles européennes sur la taille minimale des poissons, ce qui lui a valu, à la fois, une amende de 20 millions d’euros et une astreinte de 58 millions d’euros par période de six mois.

La proposition de loi qui sera examinée ce soir intervient alors que deux autres textes importants portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire sont en cours d’examen. C’est dire que les retards pris nous obligent à légiférer dans la hâte : nous voyons en effet venir des sanctions. On ne peut se résigner à cette situation, qui a quelque chose d’humiliant pour un État.

Nous devons réfléchir à une rénovation du mécanisme de transposition des directives ; mon prédécesseur Hubert Haenel l’avait d’ailleurs demandé à plusieurs reprises.

Les données du problème sont bien connues : nous séparons trop les deux phases que sont l’élaboration d’une directive européenne et sa transposition, alors que les négociations devraient être conduites en ayant constamment à l’esprit la perspective de la transposition.

Dès le début des travaux du Conseil de l’Union européenne, le Gouvernement devrait travailler avec le Parlement pour que chacun ait à l’esprit l’échéance de la transposition et les problèmes qu’elle peut poser. Nous avons donc besoin, avant tout, de nouvelles méthodes de travail, car l’encombrement du calendrier parlementaire, souvent mis en avant, n’est pas la seule cause de nos retards. La preuve en est que nous connaissons aussi des retards pour les textes devant être transposés par décret.

Cela dit, le problème que pose le calendrier parlementaire est bien réel. Nous avions proposé, sur l’initiative d’Aymeri de Montesquiou, qu’un créneau soit réservé aux textes de transposition. Cette solution a été fugacement appliquée, puis, là encore, les anciennes habitudes ont repris le dessus.

L’exercice auquel nous allons nous livrer ce soir est indispensable, mais il est plus que temps de revoir nos méthodes pour nous adapter à la place qu’occupe désormais la législation européenne au sein de notre droit. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, arguant d’un retard important dans la transposition de directives européennes, le Gouvernement a profité de cette proposition de loi pour déposer plusieurs amendements tendant à l’habiliter à transposer par ordonnances une série de textes européens touchant de multiples domaines. Je vous ferai grâce de l’énumération des treize directives et du règlement concernés, bien qu’elle montre à quel point les sujets abordés sont non seulement vastes, mais également sérieux et, pour certains d’entre eux, touchent à des enjeux de société qui auraient sans doute mérité un véritable débat démocratique. Si l’on y ajoute tous les domaines abordés par la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, c’est un vaste échantillon de dispositions que nous devons transposer.

Certes, qu’il s’agisse du Gouvernement, des auteurs de la proposition de loi ou encore de notre rapporteur, tous invoquent les retards de transposition et des risques majeurs de contentieux et de condamnations pécuniaires. Ils évoquent la dégradation du niveau de transposition du droit communautaire par la France, qui lui vaut à cet égard un mauvais classement au sein des États membres.

Mais à qui la faute ?

À qui la faute si le calendrier parlementaire est tellement chargé que le Gouvernement ne peut transposer ces directives autrement qu’en recourant, d’un côté, à l’initiative de parlementaires – ce qui n’est guère courant, avouons-le ! – et, de l’autre, à de multiples demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances, « court-circuitant » ainsi le Parlement ?

À qui la faute si le Parlement est victime d’un encombrement et croule sous un nombre de textes qui le paralyse ?

Comme aiment à le souligner régulièrement et avec une grande pertinence mes collègues Jean-Jacques Mirassou et Daniel Raoul, cette inflation législative est aussi le résultat de la navigation à vue du Gouvernement, qui fait voter des textes, pour demander ensuite très vite au Parlement de modifier, et tout cela dans une extrême précipitation ! Je pense, par exemple, au projet de loi de modernisation de l’économie, modifié par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ou encore aux multiples lois sur l’immigration, la sécurité ou le code pénal, et j’en passe !

Nous regrettons que les égarements de l’exécutif puissent ainsi pénaliser le Parlement, en le privant de la possibilité d’examiner des directives dont le contenu et les enjeux politiques sont tout sauf négligeables.

Ainsi, pour prendre un exemple que je connais bien, les directives du paquet « énergie-climat », que l’on souhaite transposer en recourant aux ordonnances, touchent de près à l’organisation de notre secteur énergétique et à celle des réseaux de transport d’électricité et de gaz.

Il se trouve en effet que nous avions demandé, en avril dernier, alors que le Gouvernement déposait son projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, la suppression d’un article de ce projet de loi qui habilitait le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour transposer les directives nos 2009/72/CE et 2009/73/CE du 13 juillet 2009 relatives aux marchés intérieurs du gaz et de l’électricité.

À l’Assemblée nationale, au cours de l’examen du projet de loi en commission, un amendement de suppression déposé par le groupe socialiste et soutenu par le rapporteur et par le président de la commission des affaires économiques a été adopté. Je vous rappelle les propos tenus alors par M. Patrick Ollier : « Le Gouvernement avait le temps de déposer un texte spécifique. Il peut toujours le faire. Le Parlement doit pouvoir appréhender toutes les conditions de la transposition et mener un dialogue républicain avec le Gouvernement. »

Cet article 10 n’avait pas été réintroduit dans le projet de loi NOME lors de sa discussion en séance publique au Sénat, mais voilà que, seulement deux mois plus tard, il réapparaît dans un autre support législatif, par le biais d’amendements du Gouvernement ! Nous ne pouvons accepter une telle manipulation, monsieur le secrétaire d’État !

En effet, ces directives ne traitent pas de sujets secondaires. Il s’agit, par exemple, du renforcement de l’indépendance des gestionnaires de réseaux, dont il est précisé dans l’exposé des motifs de l’amendement qu’il se traduira par une « adaptation du statut de ces sociétés déjà dérogatoires au droit commun du droit des sociétés, dans le sens d’un plus grand contrôle par la puissance publique ». Autrement dit, il s’agit d’un changement de statut de RTE !

Et quid des salariés ? Sur ce point, l’exposé des motifs de l’amendement gouvernemental nous laisse plus que perplexes : « Toutefois, les garanties nouvelles apportées aux salariés par cette ordonnance n’empêchent pas qu’elle soit conçue pour ne pas revisiter plus que nécessaire les droits acquis des salariés concernés de ces sociétés ». De quoi s’agit-il exactement ? Quelles seront les garanties apportées par l’ordonnance ? Le Gouvernement a-t-il au moins l’intention d’engager une concertation avec les salariés concernés ?

Autre exemple de disposition recelant des enjeux politiques importants : l’obligation pour les gestionnaires de réseaux de transport de gaz ou d’électricité de se doter d’un chargé de conformité qui « pourra notamment participer à toutes les réunions relatives aux investissements dans les réseaux, aux séances des conseils d’administration ou du directoire et avoir accès aux locaux du gestionnaire de réseau de transport de gaz ou d’électricité en toutes circonstances ». On aimerait comprendre…

J’évoquerai enfin, comme dernier exemple, l’accroissement des compétences de la CRE, la Commission de régulation de l’énergie, notamment en matière de fixation des tarifs d’utilisation des infrastructures de gaz et d’électricité.

Bref, cette proposition de loi comporte de nombreuses dispositions lourdes d’enjeux politiques.

Tirant prétexte de ce que ces sujets seraient techniques, le Gouvernement en profite pour court-circuiter le Parlement, alors que nous savons très bien que la transposition de directives européennes comporte toujours une marge d’interprétation, surtout dans les domaines que je viens d’évoquer.

Nous voterons donc contre tous les amendements déposés par le Gouvernement et tendant à lui accorder une habilitation à transposer ces directives européennes par voie d’ordonnances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)