M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice semblent être d’accord pour la Lorraine. Pour ce qui est de la seconde région, les discussions sont encore en cours.

Monsieur Lecerf, vous vous inquiétez d’une trop grande déconnexion entre l’application de la loi pénitentiaire et les moyens budgétaires.

Sachez que, entre 2002 et 2010, le nombre de conseillers d’insertion et de probation, qui sont essentiels pour l’application de la loi pénitentiaire, a augmenté de 143 % pour atteindre aujourd’hui 3 941. Il s’agit donc d’un progrès certain par rapport à ce qui se passait avant. Sera-ce suffisant ? En tout cas, cette augmentation a déjà permis de faire face au développement des aménagements de peine. Mais cet effort devra probablement être poursuivi.

Le programme de l’encellulement individuel est désormais une exigence légale. Je me souviens d’ailleurs parfaitement du jour où le Sénat a voté ce principe. Cette obligation s’impose donc à l’administration pénitentiaire. Reste qu’il est difficile de considérer que plus de 30 % des détenus renonceront à ce droit. Voilà qui justifie le nouveau programme de 5 000 places décidé par le Président de la République, que nous allons mettre en œuvre et qui nécessite de revoir l’ensemble des questions d’ouverture et de fermeture d’établissements.

Je connais les missions que vous avez conduites, monsieur Lecerf. Vous avez constaté que certains établissements étaient vétustes et indignes. Ceux-ci devront être détruits et remplacés. J’ai bien compris que l’établissement d’Aurillac n’était pas à ranger dans cette catégorie, puisque d’importants travaux y ont été réalisés récemment. J’envisage d’ailleurs de me rendre sur place pour vérifier son bon état.

Je sais que je dépasse le temps qui m’a été imparti, madame la présidente ; je vais essayer de terminer rapidement.

Monsieur Détraigne, vous m’avez interrogé sur la gestion prévisionnelle des effectifs de magistrats et de greffiers.

Vous avez raison, nous devons absolument mettre en place cette gestion prévisionnelle. Ce n’est pas parce la réponse n’est pas claire sur ce point que les nouveaux postes ne sont pas des créations supplémentaires. Je peux vous assurer que la détermination des niveaux de recrutement des magistrats est élaborée sur la base de la gestion prévisionnelle des effectifs telle qu’elle a été mise en place par la direction des services judiciaires. Sont également intégrées les études d’impact liées aux différentes réformes : carte judiciaire, modification des textes existant en matière procédurale, notamment.

Concernant les prévisions de départs à la retraite, elles sont réalisées à partir d’un taux moyen de départs à la retraite observé sur les années précédentes. Rassurez-vous, je sais parfaitement que nous allons entrer dans une période où leur nombre sera plus élevé qu’auparavant en raison des départs à la retraite des enfants du baby boom.

S’agissant des recrutements, il convient de préciser que seul le niveau de recrutement de l’année 2011 a été déterminé dans le projet de loi de finances pour 2011. Les recrutements ainsi réalisés au titre de l’année 2011 seront effectifs pour les juridictions en 2013. Les niveaux de recrutement postérieurs à 2011 visent à compenser les départs à la retraite prévisionnels et à tendre ainsi vers une stabilisation des effectifs de magistrats.

Pour les personnels des greffes, un bureau de la gestion prévisionnelle des ressources humaines sera créé à partir du 1er janvier 2011.

Monsieur Détraigne, l’entrée en vigueur de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature entraînera effectivement une augmentation des membres de celui-ci. Dans le cadre du projet de regroupement des services de l’administration centrale sur un second site, en dehors de la place Vendôme, le ministère de la justice disposera de locaux inoccupés. Nous examinerons donc avec le Conseil supérieur de la magistrature, tout comme d’ailleurs avec la Cour de justice de la République, la possibilité de trouver des locaux adaptés à ce nouvel effectif. En outre, la construction du nouveau tribunal de grande instance de Paris devrait libérer des locaux dans le palais historique, à côté de la Cour de cassation.

Monsieur Alfonsi, l’État ne se retire pas de la PJJ. Au contraire, son action demeure forte. Ainsi, les crédits permettant de suivre l’activité d’aide à la décision pour les mineurs délinquants et les mineurs en danger restent importants, puisqu’ils sont de 64 millions d’euros.

Concernant le dispositif « jeune majeur », le recentrage de la PJJ sur les mineurs délinquants a été décidé par le Parlement en 2007. Nous regarderons de près si les départements ont pris la relève. J’en connais au moins un qui l’a fait, mais je sais qu’il y en a également beaucoup d’autres.

Madame Borvo Cohen-Seat, la création de 399 postes de greffiers répond à une demande des organisations syndicales des magistrats et de greffiers.

Vous considérez bien évidemment que le budget est insuffisant. Je vous remercie de votre soutien. (Sourires sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.) Compte tenu des circonstances présentes, qui sont extrêmement difficiles, augmenter de 4,15 % les crédits de la mission « Justice » montre bien que ce secteur est une priorité. Le Gouvernement, là encore, fait preuve de responsabilité.

Vous avez donné votre position de principe sur les partenariats public-privé. Je vous rappelle un fait historique : notre pays a très souvent associé le public et le privé. Toutes les lignes de chemin de fer, par exemple, ont été construites grâce au système de la concession. Aujourd’hui, le partenariat public-privé nous permet de répondre rapidement à une demande forte. Pour autant, ce n’est pas un choix systématique. Le ministère conserve en effet un budget important dans le domaine immobilier. En tout cas, nous le faisons sans a priori idéologique. Je vous signale en outre que chaque partenariat public-privé fait l’objet d’une évaluation économique. Tel est le cas pour Caen, Perpignan et Lille cette année.

Monsieur Béteille, je vous remercie des souhaits que vous avez formulés à mon égard. Sachez que les crédits de fonctionnement des juridictions resteront stables en 2011. En revanche, les crédits liés à la réforme de la carte judiciaire diminueront, passant de 18,9 millions d’euros en 2010 à 4 millions d’euros en 2011. Globalement, les crédits pour les juridictions augmenteront donc de 11,7 millions d’euros.

Je fais miennes vos observations sur les structures de prise en charge psychiatrique des personnes détenues. Je signale simplement que la prise en charge de la santé mentale des personnes détenues relève du ministère de la santé depuis 1994 et non plus du ministère de la justice.

Chaque région pénitentiaire dispose de services médico-psychologiques régionaux. Pour épauler ces structures, la loi d’orientation et de programmation pour la justice a acté la mise en place d’unités hospitalières spécialement aménagées. J’ai d’ailleurs eu l’honneur de participer à l’inauguration de la première UHSA de France, celle du centre hospitalier Le Vinatier de Lyon, le 21 mai dernier. Le programme de construction porte sur 705 lits et comporte deux tranches de construction. La première tranche, d’une capacité de 440 places, sera réalisée de 2010 à 2012.

Vous avez raison, le projet de loi de finances améliore le recouvrement de l’aide juridictionnelle indûment perçue lorsque les justiciables reviennent à meilleure fortune. À cet égard, l’article 41 du projet de loi de finances pour 2011, que le Sénat a adopté la semaine dernière, permettra de simplifier la procédure et donc de la rendre plus efficace.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je termine le plus rapidement possible, madame la présidente.

Mme la présidente. N’abusez pas de ma générosité !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je fais appel à votre bienveillance, sinon je ne pourrai pas répondre à tout le monde.

Monsieur Sueur, le ratio greffier-magistrat augmente, ce qui est une bonne chose.

Concernant l’affaire d’Orléans, j’ai confié une mission à l’Inspection générale des services judiciaires. J’attends son rapport. Je n’ai en effet pas pour habitude de parler avant de disposer d’un dossier solide.

Je rappelle qu’il y a déjà eu l’an dernier une inspection sur le fonctionnement du tribunal de grande instance d’Orléans. Celle-ci n’avait pas conclu à un déficit de moyens en termes d’effectifs, mais à la nécessité de réorganiser certains services, notamment de renforcer ceux qui traitent du pénal. C’est d’ailleurs ce que sont en train de faire les chefs de cour et de juridictions, avec l’aide de la Chancellerie, sur la base du rapport de l’Inspection générale.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, je vous ai demandé si vous étiez favorable à la suppression des juges d’instruction !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Laissez-moi le temps de vous répondre.

M. Jean-Pierre Sueur. Je pensais que vous alliez me répondre maintenant !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Soit !

Vous nous avez indiqué que l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme posait un certain nombre de problèmes. Il ne vous aura pas échappé que cet arrêt, si vous l’avez lu jusqu’au bout et analysé à fond, conduit tout droit à la suppression des juges d’instruction. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mais il faut lire les décisions entièrement, et pas seulement leur résumé en deux lignes. Pour avoir appris, il y a bien longtemps, à lire les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il m’est même arrivé de commenter, je peux vous dire que cet arrêt, qui tend à faire des juges du parquet à la française de simples parties au procès, transforme complètement la procédure pénale et nous entraîne vers une procédure accusatoire. Par conséquent, il n’est plus nécessaire d’avoir des juges d’instruction, il faut un tout autre système. Pour l’instant, nous en sommes au stade de l’analyse.

Nous devons mener plusieurs chantiers : celui de la réforme de la garde à vue, celui des décisions pénales non exécutées et celui de l’instauration des jurés populaires dans l’ensemble des juridictions. Pour ce qui est du début de l’année prochaine, cela me paraît déjà amplement suffisant !

Monsieur Mézard, vous avez évoqué la « désertification ». Je le dis clairement, aucun territoire ne sera abandonné. Mais ce qui peut fonctionner parfaitement à Paris et dans les grandes villes peut très bien ne pas marcher dans les territoires. Mme la présidente m’ayant signifié, à raison, que j’ai déjà largement dépassé mon temps de parole, je vous propose de revenir sur cette question lors de la discussion sur la loi relative à la garde à vue.

Monsieur Yung, j’ai bien compris votre message sur le sinistre de Draguignan. Je tiens à souligner le grand professionnalisme des équipes de l’administration pénitentiaire, qui ont évité le pire. Nous sommes actuellement en discussion avec les élus pour trouver un autre site non inondable sur lequel reconstruire une prison.

Madame Klès, 5 000 personnes sont placées sous bracelet électronique. Il n’y a pas eu d’incident grave à ce jour !

Mme Virginie Klès. Cela viendra !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pour le moment, il n’y a pas de problème.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je transmettrai par écrit, dans les jours qui viennent, les réponses que je n’ai pas eu le temps de faire oralement. Madame la présidente, je vous remercie de votre large indulgence à mon égard ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Justice
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2011
Article 75

Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.

État b

(en euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Justice

8 806 370 930

7 138 076 263

Justice judiciaire

4 132 714 304

2 960 265 131

Dont titre 2

2 036 702 415

2 036 702 415

Administration pénitentiaire

3 280 015 996

2 821 791 921

Dont titre 2

1 809 828 599

1 809 828 599

12Protection judiciaire de la jeunesse

757 666 987

757 642 451

Dont titre 2

428 198 453

428 198 453

Accès au droit et à la justice

388 032 825

331 332 825

Conduite et pilotage de la politique de la justice

247 940 818

267 043 935

Dont titre 2

100 025 281

100 025 281

Mme la présidente. L'amendement n° II-87, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

I. - Créer le programme : Conseil supérieur de la magistrature

II. - En conséquence, modifier comme suit les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Justice judiciaireDont Titre 2

2 929 3942 047 307

2 929 3942 047 307

Administration pénitentiaireDont Titre 2

Protection judiciaire de la jeunesseDont Titre 2

Accès au droit et à la justice

Conduite et pilotage de la politique de la justice  Dont Titre 2

Conseil supérieur de la magistratureDont Titre 2

2 929 3942 047 307

2 929 3942 047 307

TOTAL

2 929 394

2 929 394

2 929 394

2 929 394

SOLDE

0

0

La parole est à M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Depuis la mise en œuvre de la LOLF, la commission des lois réclame chaque année, sans aucun succès, que soit créé un programme spécifique pour le Conseil supérieur de la magistrature. Et, pourtant, les crédits du CSM sont toujours inclus au sein des crédits du programme Justice judiciaire.

Le Parlement a la possibilité de créer au sein de la mission « Justice » un programme Conseil supérieur de la magistrature : tel est l’objet de cet amendement.

Tout d’abord, cette mesure ne touche pas aux crédits affectés aux autres secteurs du domaine judiciaire ; elle consiste simplement à prélever un montant de 2 929 394 euros aussi bien en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement dans le programme Justice judiciaire, pour le faire figurer dans un nouveau programme Conseil supérieur de la magistrature.

Par ailleurs, la loi organique de juillet 2010 adoptée à la suite de la réforme constitutionnelle de 2008 spécifie clairement : « L’autonomie budgétaire du Conseil supérieur est assurée dans les conditions déterminées par une loi de finances. » Nous sommes en train de débattre du projet de loi de finances : c’est le moment ou jamais de régler cette question et de « sanctuariser » l’autonomie du Conseil supérieur de la magistrature à l’intérieur d’un programme distinct, à défaut d’une mission spécifique.

Enfin, je voudrais signaler que l’intégration des crédits du Conseil supérieur de la magistrature dans le programme Justice judiciaire soulève un petit problème de fond. Le responsable de ce programme est le directeur des services judiciaires, qui est une personne tout à fait estimable, là n’est pas la question. Mais c’est lui qui transmet la plupart des propositions de nominations sur lesquelles le Conseil supérieur de la magistrature doit se prononcer.

En outre, mes chers collègues, imaginez que le Conseil supérieur de la magistrature décide d’envoyer une mission dans un territoire d’outre-mer, donc éloigné de la métropole, pour examiner, dans le cadre d’une enquête, le fonctionnement d’une juridiction : il devra demander des crédits au directeur des services judiciaires, ce qui pose – vous en conviendrez – un véritable problème de principe.

À défaut de pouvoir faire figurer les crédits du Conseil supérieur de la magistrature dans la mission « Pouvoirs publics », comme le sont ceux du Conseil constitutionnel ou de la Cour de justice de la République, ainsi que nous le demandons depuis des années, la commission des lois, à l’unanimité de ses membres, propose d’instaurer un programme spécifique Conseil supérieur de la magistrature à l’intérieur de la mission « Justice ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Depuis l’entrée en application de la LOLF, les crédits du Conseil supérieur de la magistrature sont portés par l’action 04 du programme Justice judiciaire de la mission « Justice ». Cette action est exclusivement consacrée au CSM.

À cet égard, il convient de souligner que le projet de loi de finances prévoit pour 2011une augmentation de 31,1 % des crédits du Conseil supérieur de la magistrature, qui passeraient de 2 234 000 euros à 2 929 000 euros. Cette hausse conséquente des moyens du Conseil supérieur de la magistrature vise à lui permettre de mettre en œuvre, dans de bonnes conditions, la réforme dont il a fait l’objet à l’occasion de la loi du 22 juillet 2010.

La commission des finances du Sénat est certes soucieuse de l’autonomie du Conseil supérieur de la magistrature, garant du bon fonctionnement de l’institution judiciaire. À ce titre, elle comprend parfaitement la philosophie ayant guidé la commission des lois dans le dépôt de cet amendement.

Par ailleurs, dans sa lettre, la LOLF n’impose ni plafond ni plancher s’agissant du montant des crédits d’un programme.

Pour autant, la commission des finances estime également nécessaire de s’assurer du caractère opérationnel des dispositions budgétaires proposées. Or, de ce point de vue, un programme d’une surface financière aussi limitée poserait de réelles difficultés de gestion, le principe de fongibilité des crédits ne pouvant guère s’appliquer en tant que de besoin au cours de l’exercice.

La « sanctuarisation » des crédits du Conseil supérieur de la magistrature pourrait donc avoir pour effet paradoxal de fragiliser budgétairement le Conseil ! En l’espèce, l’adage selon lequel « le mieux est l’ennemi du bien » trouverait en quelque sorte une regrettable application concrète.

Pour être tout à fait complet, il faut également rappeler que, dans le cadre de la LOLF, aucun programme ne s’appuie actuellement sur une aussi faible surface de crédits. Il serait peut-être préférable de prévoir, en liaison avec le Gouvernement, que le CSM fasse partie de la mission « Pouvoirs publics » lors du prochain projet de loi de finances. Les choses seraient ainsi beaucoup plus claires.

La commission des finances demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le garde des sceaux, nos collègues de la commission des lois sont allés jusqu’au bout de ce que le Parlement peut faire dans une loi de finances pour que vous puissiez répondre à son souhait. Cela dit, la proposition qu’ils vous ont faite n’est pas vraiment satisfaisante. La seule bonne réponse est l’inclusion des crédits du Conseil supérieur de la magistrature dans la mission « Pouvoirs publics », ce qui permettra de prévoir une dotation garantissant à la fois ses moyens et son indépendance. Peut-être pourrions-nous, d’ici à la prochaine loi de finances, convenir ensemble d’un dispositif allant dans ce sens ?

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis, j’ai bien compris votre souhait. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs donné une indication en ce sens. Mais je voudrais faire miens les arguments de M. du Luart. La surface financière du Conseil supérieur de la magistrature est très faible, puisque ses frais de fonctionnement s’élèvent à 800 000 euros par an. « Sanctuariser » ces crédits peut conduire à la paralysie du CSM, par exemple, s’il a besoin d’organiser un déplacement outre-mer pour des enquêtes disciplinaires.

Monsieur Détraigne, je vous propose donc de retirer votre amendement. Nous pourrons travailler ensemble, la Chancellerie, la commission des finances et la commission des lois, pour régler ce problème dans l’année qui vient. Sinon, je serai obligé d’émettre un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, lors de la discussion de la loi organique, nous avions tenu exactement le même discours et demandé que les crédits du Conseil supérieur de la magistrature soient intégrés à la mission « Pouvoirs publics » dans le projet de loi de finances pour 2011. Eh bien, nous y voici !

Le Gouvernement savait très bien que cette question reviendrait, mais visiblement il n’a, volontairement ou non, rien fait – peut-être le changement de Gouvernement y est-il pour quelque chose ?

Nous en sommes donc exactement au même point qu’au moment de la discussion de la loi organique, pendant laquelle des amendements allant dans le sens de celui qui nous est soumis avaient été, me semble-t-il, déposés. Nous aurions pu alors consacrer l’indépendance du budget du Conseil supérieur de la magistrature. À l’époque, la garde des sceaux nous avait répondu que cette question ne relevait pas de la loi organique  – c’est discutable – et nous avait renvoyés à la future loi de finances, c'est-à-dire à celle dont nous discutons aujourd'hui.

Nous sommes donc très méfiants : une question qui aurait dû être réglée aujourd'hui est renvoyée au projet de loi de finances pour 2012, et rien ne nous dit qu’on ne nous resservira pas alors les mêmes réponses.

La solution proposée par notre rapporteur pour régler le problème n’est pas idéale, mais nous l’avons soutenue en commission, car elle témoigne clairement de notre volonté de sortir le Conseil supérieur de la magistrature de la mission « Justice ».

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis clairement, je suis prêt à étudier la possibilité d’intégrer l’année prochaine les crédits du CSM dans la mission « Pouvoirs publics ». Mais il faut me laisser un peu de temps pour examiner la question, car, honnêtement, je ne peux prendre une décision maintenant. C'est la raison pour laquelle je demande à M. le rapporteur pour avis de retirer son amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Le fait que la commission des lois soit parvenue à une position unanime montre que nous allons dans la bonne direction. Cela étant, nous craignons toujours que l’on ne cède à la procrastination législative : on s’engage au moment du débat mais, un an plus tard, tout le monde a oublié ce qui avait été dit.

Au fond, les choses sont claires : il s’agit de montrer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, c’est-à-dire l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif. Voilà ce dont nous discutons. L’argument tendant à regretter que ce budget soit intégré dans celui de la politique judiciaire est un bon argument.

En revanche, l’argument selon lequel il s’agit d’une petite somme, s’il est compréhensible, n’en est pas moins très faible, compte tenu des valeurs auxquelles nous nous référons.

Pour notre part, nous sommes favorables à ce que le budget du Conseil supérieur de la magistrature soit clairement identifié et qu’il soit autonome. Si vous souhaitez l’intégrer l’an prochain à la mission « Pouvoirs publics », comme le budget du Conseil constitutionnel, nous n’y sommes pas opposés. En l’état actuel des choses, toutefois, nous soutenons l’excellent amendement de notre collègue M. Détraigne.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je rappelle que nous ne faisons qu’appliquer la loi organique du 22 juillet 2010, qui prévoit que l’autonomie budgétaire du Conseil supérieur de la magistrature est assurée dans les conditions déterminées par une loi de finances, le principe étant bien celui de l’autonomie budgétaire.

Certes, pour des questions d’organisation, il est peut- être difficile d’appliquer la loi immédiatement. Mais on ne peut invoquer la modicité des crédits. Si tel était le cas, la Cour de justice devrait également être mise sous la coupe des services judiciaire.

Il faut noter en outre que le Conseil supérieur de la magistrature n’est plus présidé par le Président de la République mais par le Premier président de la Cour de cassation. La volonté du Président de la République et du Constituant de donner une autonomie réelle au Conseil supérieur de la magistrature est évidente.

Notre solution n’est pas forcément bonne, mais nous ne pouvons pas faire autrement car, de par la Constitution, nous ne pouvons pas créer de nouvelle mission ni transférer un programme d’une mission à l’autre.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il est évident que le budget du Conseil supérieur de la magistrature devrait appartenir à la mission « Pouvoirs publics ».

Comme vous venez d’arriver, monsieur le garde des sceaux,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances Nous vous donnons un sursis.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … et que la loi date du 22 juillet dernier, nous vous donnons en effet un sursis.

M. Jean-René Lecerf. Avec mise à l’épreuve !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous comprenons bien que le budget est bâti de telle manière qu’il est difficile d’opérer ces modifications aujourd’hui, mais, l’année prochaine, il faudra appliquer la Constitution.

Dans ces conditions, la commission des lois, qui a voulu affirmer la nécessité de changer les choses – comme elle le fait d’ailleurs depuis plusieurs années –, vous donne crédit pour cette fois, monsieur le garde des sceaux et retire son amendement. Mais il ne faudra pas récidiver… (Sourires.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Tout à fait.

Mme la présidente. L'amendement n° II-87 est retiré.

L'amendement n° II-217, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Modifier comme suit les crédits de la mission et des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Justice judiciaireDont Titre 2

150 800 000

Administration pénitentiaireDont Titre 2

Protection judiciaire de la jeunesseDont Titre 2

Accès au droit et à la justice

Conduite et pilotage de la politique de la justice  Dont Titre 2

TOTAL

150 800 000

SOLDE

150 800 000

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il s’agit d’un amendement purement technique.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Cet amendement est effectivement purement technique. La commission des finances y est favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° II-217.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° II-6, présenté par M. du Luart, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Justice judiciaire

Dont titre 2

30 000 000

30 000 000

Administration pénitentiaire

Dont titre 2

7 500 000

7 500 000

Protection judiciaire de la jeunesse

Dont titre 2

7 500 000

7 500 000

Accès au droit et à la justice

7 500 000

7 500 000

Conduite et pilotage de la politique de la justice

Dont titre 2

7 500 000

7 500 000

TOTAL

30 000 000

30 000 000

30 000 000

30 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Cet amendement n’est pas une nouveauté, et on doit d’ailleurs le regretter. Déjà l’an dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, la commission des finances avait alerté la Chancellerie sur le dérapage des frais de justice. J’avais même, comme l’a souligné M. Sueur, utilisé un terme fort, puisque j’avais parlé à l’époque d’« insincérité budgétaire » pour qualifier l’enveloppe dédiée à ce poste de dépense pour 2010. La suite des événements nous a malheureusement donné raison.

Quelle est donc la situation ?

Alors que des progrès substantiels avaient été réalisés depuis 2006 et l’entrée en vigueur de la LOLF, l’année 2009 a été celle du redémarrage des frais de justice, avec un dépassement de 23,5 millions d’euros par rapport à l’autorisation accordée en loi de finances initiale.

En 2010, cette tendance s’est confirmée : le montant total de la dépense devrait avoisiner 440 millions d’euros pour une enveloppe initiale de 393 millions d’euros. Le montant des charges restant à payer en fin d’année devrait, quant à lui, s’élever à près de 100 millions d’euros, soit deux mois d’activité.

La loi de finances pour 2011 prévoit 459 millions d’euros pour couvrir la dépense liée aux frais de justice. Il y a cependant tout lieu de penser que la sous-budgétisation observée au cours des deux dernières années reste de mise. Outre qu’elle remet à nouveau en cause le principe de sincérité budgétaire pour 2011, cette situation fait courir le risque de voir l’activité des juridictions perturbée par le non-paiement en temps et en heure des experts.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Évidemment !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. L’amendement proposé vise donc à abonder de 30 millions d’euros, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, l’action 02, Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales, du programme Justice judiciaire.

Cet abondement est gagé sur les autres programmes de la mission.

Monsieur le garde des sceaux, je connais vos préventions à l’égard de cet amendement. Je sais combien le bouclage du budget de chacun des programmes de la mission a été difficile dans un contexte budgétaire tendu, et je suis conscient de l’hypothèque que ferait peser le gage de cet amendement sur ces programmes s’il était adopté. Mais la situation actuelle des frais de justice est trop critique pour qu’elle ne soit pas traitée à bras-le-corps. Voyez donc dans cet amendement, monsieur le ministre, l’opportunité de nous exposer votre stratégie pour parvenir à une meilleure maîtrise de cette dépense en 2011, afin que je ne sois plus jamais dans la situation de vous qualifier d’« insincère ».

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je voudrais être le plus sincère possible avec vous. La question des frais de justice est une question très importante pour mon ministère. Pendant longtemps en effet, les frais de justice ont augmenté très rapidement, sans qu’il soit possible de réguler les sommes dépensées.

La prévision de dépenses pour 2010 au titre des frais de justice est en effet en dépassement par rapport à la dotation de la loi de finances initiale – nous paierons probablement 440 millions d’euros, contre les 393 millions d’euros qui avaient été prévus. Cette différence sera couverte grâce à des redéploiements et grâce aux crédits ouverts par le décret d’avance du 29 septembre dernier. Toutefois, l’année 2010 peut être considérée comme atypique. Des services centralisateurs ont été mis en place dans les tribunaux pour accélérer le délai de paiement des mémoires. Cela explique une « surconsommation » de frais de justice. Les juridictions ont vidé leurs armoires et payé des mémoires anciens. Le report de charges sera de ce fait ramené en 2011 de 112 millions d’euros à 95 millions d’euros, avec un délai de paiement de moins de deux mois.

L’année prochaine, les frais de justice devraient retrouver leur rythme tendanciel autour de 415 millions d’euros, avec un délai moyen de paiement revenu à deux mois, ce qui est un délai normal.

De surcroît, la direction des services judiciaires s’est lancée dans une politique de maîtrise des frais de justice, qui doit commencer à porter ses fruits, notamment grâce à la passation de nouveaux marchés en matière d’analyses génétiques, à la diminution des tarifs d’interceptions téléphoniques et internet des opérateurs, à la mise en place d’un accord-type pour réduire le coût d’enlèvement et de gardiennage des véhicules et à la tarification d’un certain nombre d’interventions, notamment les actes des médecins.

Il reste probablement à déterminer les tarifs d’un certain nombre d’autres professions, je pense notamment aux experts-comptables, dont la rémunération pèse lourdement sur les frais de justice. Je le précise à la demande de M. du Luart.

Dans ces conditions, la dotation des frais de justice en 2011 à hauteur de 459 millions d’euros, dont 30 millions au titre des cotisations sociales des collaborateurs occasionnels du service public et 30 millions au titre de la réforme de la médecine légale, paraît assez bien calibrée – j’essaye de n’être pas trop définitif.

En tout état de cause, un prélèvement sur les autres programmes mettrait le fonctionnement des services en difficulté.

Monsieur du Luart, au bénéfice des précisions que je viens de vous apporter et des efforts du ministère et des juridictions pour mieux gérer ces frais de justice, je vous demande de bien vouloir renoncer à votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.