M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le ministre, nous le savons tous, la reconversion des militaires est un élément important, et même très important, étant donné l’actuelle situation de la défense française ; elle doit être la garantie de la bonne santé des armées.

Parce qu’elle touche directement aux hommes et aux femmes qui composent la communauté militaire, nous savons qu’elle est une donnée clé de la défense.

Le dispositif de reconversion est de plus en plus présent dans la vie des militaires ; il s’agit donc de lui apporter un soin spécifique et des moyens à la hauteur des ambitions.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, fût-il de portée limitée, reste un outil nécessaire, destiné à améliorer le dispositif existant. Dont acte !

Le rapporteur a très bien rappelé les éléments techniques de ce texte. Je n’y reviendrai donc pas, mais je voudrais vous livrer mes réflexions et mes interrogations sur un sujet qui concerne des milliers de femmes et d’hommes qui ont choisi la carrière militaire.

Je souhaite cependant exprimer d’abord un regret, celui de voir ce texte examiné longtemps après qu’ont été prises des dispositions le concernant, comme l’arrêté du mois de juin 2009 relatif à l’agence de reconversion de la défense et le décret du mois de mars 2010 relatif à l’entretien préalable. Il eût été préférable et logique de procéder autrement.

Cela étant dit, peut-on étudier ce texte en ignorant les conséquences de la crise budgétaire dans laquelle nous ont plongé votre gouvernement et votre majorité ?

La crise financière internationale est un événement grave, dont les conséquences sont douloureuses, mais c’est votre gestion des finances publiques depuis 2002 qui a abouti à cette France aux caisses vides dont a parlé le Premier ministre.

Ainsi, des économies nouvelles devront être trouvées rapidement sur le budget des armées. Quel en sera le montant ? 3,5 milliards d’euros ? 3,9 milliards ? D’aucuns parlent même de 6 milliards d’euros…

Quoi qu'il en soit, ces économies auront de très sérieuses conséquences sur les emplois, qui seront, une fois de plus, appelés à diminuer, dans le secteur de la défense comme ailleurs. Or vouloir dégager plus de personnels, dans une période de crise, avec une situation de l’emploi qui se dégrade de jour en jour, c’est une gageure !

Monsieur le ministre, vous le savez comme nous, les personnels militaires, tout comme les personnels civils, feront les frais de la réduction des effectifs de la fonction publique et seront alors confrontés à un marché de l’emploi plus difficile que jamais.

Ces dernières années, le passage à une armée professionnelle, décidé par le Président Jacques Chirac, a mis la défense sous tension. Soumise à une réforme sans précédent, elle a dû se restructurer, tout en assurant ses missions et en affrontant de nouveaux défis.

C’était un remarquable effort qui, je tiens à le souligner encore une fois, n’avait été ni bien programmé ni bien préparé.

La professionnalisation a coûté plus cher que prévu et les économies que les concepteurs du système avaient fait miroiter n’ont jamais vu le jour.

Un tel rappel de l’histoire récente est utile pour comprendre que les propositions du Livre blanc et les dispositions de la loi de programmation militaire ne rassurent pas ceux qui, comme les militaires, comme les sénateurs, ont la mémoire alerte.

Les objectifs fixés par ces textes sont considérables : 54 000 suppressions de postes, comme l’a rappelé le rapporteur, et une vague d’externalisations.

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, les armées sont, une fois encore, soumises à rude épreuve. Mais, bonnes élèves et disciplinées, elles vont s’appliquer à bien réaliser ces objectifs ! Raison de plus pour apporter tous les moyens budgétaires nécessaires à la reconversion des militaires.

Le dispositif de reconversion doit fonctionner. C’est une nécessité impérieuse, puisqu’il constitue un pilier central de la réforme en cours. De la grande manœuvre des ressources humaines dépend la réussite du modèle exposé dans le Livre blanc.

La qualité du dispositif de reconversion a une incidence directe sur la qualité du recrutement et sur la fidélisation des militaires engagés dans nos armées dans des carrières de courte durée.

Si le ministère ne maîtrise pas avec précision la manœuvre des ressources humaines, il peut en résulter des pertes de compétences extrêmement préjudiciables pour la défense en général et pour l’efficacité de nos armées en particulier. Il importe aussi d’améliorer le délicat équilibre entre le soutien et l’opérationnel.

N’oublions pas, comme le signale M. le rapporteur, que les armées ont un intérêt financier direct quant à l’efficacité des dispositifs de reconversion, dans la mesure où le ministère de la défense assume lui-même le coût du chômage des militaires non reconvertis. Ce coût ne cesse de s’accroître, hélas !

La réduction du format des armées conduit inéluctablement à un accroissement du nombre de départs, puisqu’il est passé de 28 000 en 2005 à 34 000 aujourd’hui, toutes catégories confondues.

Puisque la présentation du budget de la défense a manqué de sincérité, nous devrons très probablement assumer la nécessité d’une prochaine révision des objectifs et des moyens naguère définis par la loi de programmation militaire. Chacun le sait désormais, ce texte est caduc ou tout au moins obsolète.

Les rapporteurs de notre commission des finances ont pu prévoir « un risque de « cannibalisation » des dépenses d’équipement par les dépenses de fonctionnement, potentiellement à hauteur de plusieurs milliards d’euros ».

À l’horizon 2020, les perspectives financières et physiques de la mission « Défense » sont préoccupantes. La révision à la baisse des moyens en 2011-2013, dans le cadre de la programmation budgétaire triennale, n’incite pas à l’optimisme. C’est un constat partagé. En outre, l’impasse budgétaire dans laquelle nous nous enfonçons doucement a de quoi nous inquiéter.

La reconversion des militaires et la manœuvre des ressources humaines risquent, par conséquent, d’en faire les frais.

J’aborderai à présent, monsieur le ministre, le chapitre des interrogations, qui sont au nombre de trois.

Première interrogation : le ministère, et plus largement le Gouvernement, envisagent-ils la mise en place d’un nouveau plan de restructuration prévoyant encore la suppression d’un grand nombre d’emplois ?

M. Henri de Raincourt, ministre. Non !

M. Didier Boulaud. Vous me dites que non, mais il serait préférable de nous donner des précisions sur ce point. Nous prendrons ainsi date pour l’avenir.

M. Henri de Raincourt, ministre. Bien sûr !

M. Didier Boulaud. Deuxième interrogation : au ministère de la défense, déjà très sollicité ces dernières années, les conséquences d’une nouvelle réduction des effectifs peuvent être dramatiques.

La révision générale des politiques publiques, ou RGPP, s’inscrit dans une logique quelque peu suicidaire. Comment peut-on, en plein effort de reconversion, réduire les effectifs de la chaîne de reconversion, qui devraient passer d’un total de 680 actuellement à 515 d’ici à 2014, tout en augmentant ses missions ?

Dans ce contexte, quel est l’avenir des moyens octroyés à la reconversion des militaires et, in fine, celui de la reconversion ?

Troisième interrogation : la réduction du format des armées a-t-elle effectivement permis de renforcer l’aspect opérationnel de nos forces par rapport au soutien ?

Je ne veux pas conclure ce bref propos sans souligner le respect dû à ces femmes et à ces hommes, dont la carrière, parfois longue, mais plus souvent brève et intense, exige une disponibilité constante.

Nous venons de le constater, ces femmes et ces hommes sont prêts au sacrifice suprême. Au moment où le ministre de la défense leur rend hommage sur le terrain, j’aurai une pensée pour les familles des militaires qui ont perdu la vie dans le conflit afghan.

Faut-il rappeler que nous venons de perdre le cinquante-deuxième soldat dans ce conflit ? Ce chiffre confirme les propos tenus par le général David Petraeus, que nous avions eu le plaisir de rencontrer en début d’année à Tampa, et qui nous avait alors indiqué que l’année 2010 serait sans doute la plus meurtrière depuis le début du conflit. Je le souligne, le nombre de soldats de la coalition tués en Afghanistan depuis le 1er janvier 2010 a passé la barre des 700.

Il importe de rappeler le sacrifice de nos soldats. Mais, au-delà, nous devons nous interroger sur notre présence en Afghanistan. Quels sont nos objectifs réels et quelle issue envisageons-nous ?

Pour toutes ces raisons, la nation a l’obligation de proposer à ces militaires des perspectives dignes au terme de leur engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux, à mon tour, rendre hommage à tous les militaires engagés sur les théâtres d’opérations extérieures, en particulier au cinquante-deuxième soldat français décédé en Afghanistan le 17 décembre dernier.

Cette tragédie vient nous rappeler que la carrière militaire comporte une dimension que, vue de l’Hexagone, nous avons parfois tendance à oublier : le sacrifice de sa propre vie et le dévouement coûte que coûte à son pays et à la cause qu’il défend sont, en effet, constitutifs du statut de militaire. L’actualité le souligne souvent de façon dramatique.

C’est pourquoi, en retour, nous devons aux militaires une reconnaissance ne se limitant pas aux distinctions honorifiques, mais se concrétisant par des mesures destinées à compenser les contraintes de leur engagement.

Créer les meilleures conditions pour leur reconversion en fait partie. Tel est l’objet du projet de loi que nous examinons cet après-midi.

Comme l’a indiqué le rapporteur, André Dulait, le texte comporte des dispositions très techniques et de portée limitée, malgré l’ajout de six nouveaux articles par les députés.

Il n’est pas inutile de rappeler que, chaque année, 35 000 militaires quittent l’armée, après avoir effectué, pour la plupart, moins de quinze ans de service. Pour les militaires du rang, l’ancienneté ne dépasse guère quatre ans. Il s’agit donc d’une carrière très brève.

Il est naturellement indispensable de maintenir une armée jeune et opérationnelle. Aussi devons-nous affronter le délicat problème de la reconversion des jeunes.

Outre les obstacles techniques qu’ils peuvent rencontrer, ils ont parfois des difficultés psychologiques non négligeables.

Ayant été extrêmement encadrés dans l’armée, une fois rendus à la vie civile, s’ils ont le sentiment de profiter d’une certaine liberté, il leur est parfois difficile de faire face, du jour au lendemain, à leurs responsabilités individuelles. Cet aspect de leur situation est très important.

En outre, les militaires sur le théâtre d’opérations peuvent être relativement traumatisés par ce qu’ils ont vécu durant les années passées dans l’armée.

À la sortie de ces années d’engagement, malgré les dispositifs de reconversion existants, tous les militaires ne sont pas assurés de trouver un emploi. Le chômage affecte plus particulièrement les militaires du rang, aussi bien en termes de taux que de durée.

En 2009, le taux de chômage des militaires de l’armée de terre, constaté dans l’année de leur départ, était de près de 8 % pour les officiers, d’un peu plus de 9 % pour les sous-officiers et de près de 19 % pour les militaires du rang.

Ces derniers doivent donc bénéficier d’une action plus soutenue, d’autant que la réduction du format des armées, opérée dans le cadre de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014, prévoit, à terme, la suppression de 54 000 emplois.

J’ajoute que l’enjeu de la politique de reconversion n’est pas seulement de nature individuelle. Il est aussi collectif. En effet, le dynamisme du recrutement dépend en partie des perspectives de reconversion.

Or, depuis quelques années, après une période relativement euphorique, l’armée ne fait plus recette ! Depuis 2008, on constate une baisse très sensible du nombre de candidats à la carrière de militaire. Pour l’armée de terre, le nombre de candidats par poste ne dépasse pas 1,6.

La qualité de notre armée et, donc, la sécurité de notre pays pourraient in fine souffrir de cette désaffection.

Pourtant, vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, il existe un dispositif de reconversion, qui permet d’absorber une grande partie des militaires de retour à la vie civile.

Comme vous le savez, mes chers collègues, les pouvoirs publics articulent la reconversion des militaires autour de deux dispositifs destinés à favoriser l’accès, l’un à la fonction publique, l’autre au secteur privé par le biais d’aides à l’orientation, à la formation ou à l’accompagnement.

Cependant, à l’évidence, dès lors que notre pays connaît une crise, la reconversion devient beaucoup plus difficile que dans les périodes d’euphorie économique.

L’Agence de reconversion de la défense, l’ARD, mise en place en 2009, décline ces dispositifs aux échelons national, régional et local.

Actuellement, les résultats de la reconversion sont corrects compte tenu du contexte économique. Le taux global de reclassement des militaires est en effet de 71 %.

Toutefois, si l’on examine les chiffres dans le détail, on ne peut se satisfaire d’un taux qui tombe à 50 % pour les militaires du rang et à 35 % pour ceux ayant peu d’ancienneté. Autrement dit, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont les militaires qui restent le moins longtemps dans l’armée qui rencontrent le plus de difficultés à se réinsérer dans la vie civile.

C’est pourquoi le projet de loi ouvre de nouvelles opportunités en assouplissant les règles du congé de reconversion. Ainsi, les militaires pourront suivre une formation segmentée dans le temps. Le congé de reconversion est enfin ouvert aux volontaires ayant moins de quatre ans de services effectifs. Un congé pour la création ou la reprise d’entreprise est également proposé.

L’Assemblée nationale a ajouté quelques dispositions qu’il convient également de souligner. Je pense, en particulier, au dispositif permettant de cumuler l’activité de militaire et celle d’auto-entrepreneur.

Si ces mesures vont dans le bon sens, on peut cependant s’interroger sur le financement de toute cette politique de reconversion.

Monsieur le ministre, il est à souhaiter que ces dispositifs fonctionnent, puisque c’est le ministère de la défense qui supporte le coût du chômage.

Par ailleurs, pourriez-vous nous communiquer les coûts prévisionnels de ces nouvelles mesures et les moyens que vous pourrez y consacrer ?

Mes chers collègues, même si le Parlement a des prérogatives relativement limitées dans le domaine des affaires étrangères, nous y avons consacré de nombreux débats durant ces derniers mois, notamment concernant l’OTAN, la défense antimissile et la situation au Moyen-Orient. Dans ces échanges, il fut surtout question de grande stratégie.

Aujourd’hui, nous avons l’occasion plus rare de nous pencher sur tous ces hommes et ces femmes qui sont les principaux acteurs de la sécurité de notre pays. Au cours de leur courte carrière, ils ont acquis des compétences et des savoir-faire qui peuvent être utilement réemployés dans la vie civile.

Il nous reste à améliorer le regard porté sur les garnisons militaires dans les villes qui les accueillent, afin d’empêcher que le monde militaire et le monde civil soient séparés par une cloison étanche.

C’est une situation qui nous échappe à nous, élus, puisque nous entretenons généralement des relations de partenariat et de confiance avec les militaires. Cependant, même si la population vit la présence de ces derniers de manière tout à fait naturelle, une interpénétration des deux sphères serait utile.

Certes, ce texte ne résoudra pas toutes les difficultés de la reconversion des militaires. Toutefois, les quelques avancées qu’il contient méritent d’être adoptées. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’associe à mon tour à l’hommage rendu par nos collègues à nos soldats, en particulier à ceux qui sont les plus exposés. L’actualité vient de nous rappeler cruellement que notre engagement en Afghanistan, largement désapprouvé par nos compatriotes, est très lourd en pertes humaines. Aujourd'hui, nos pensées vont aux familles des victimes ; nous les assurons de notre soutien dans cette douloureuse épreuve.

De longue date, nos armées s’attachent à reconvertir certains de leurs personnels dans la vie civile. À l’heure actuelle, cette question s’inscrit dans un contexte nouveau, marqué par la professionnalisation des forces depuis les années quatre-vingt-dix, la suspension de la conscription en 1996, le chômage élevé dû à la crise économique et financière, les contraintes budgétaires imposées à tous les ministères.

La reconversion est aussi un enjeu essentiel pour le bon fonctionnement de notre outil de défense. Elle est non seulement la condition du renouvellement des effectifs pour préserver la jeunesse de nos armées, mais aussi la contrepartie des contraintes inhérentes à la vie militaire et l’un des moyens d’assurer l’attractivité de l’institution.

Le dispositif global actuel est large. À ce jour, il fonctionne modestement, mais de façon satisfaisante. Cependant, en raison des charges supplémentaires et des nouveaux défis auxquels il est confronté, il risque d’être de plus en plus inadapté et en décalage avec la réalité de notre société.

Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez a donc pour objectif louable d’améliorer et de compléter ce qui existe. Toutefois, il le fait à la marge, sur des aspects très techniques, qui plus est « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire sans tenir réellement compte de l’évolution de la société dans laquelle nous vivons.

C’est la raison pour laquelle je serais tentée de le qualifier de virtuel. Certes, il ouvre des droits, encore que ce soit sur des points mineurs, mais il fait l’impasse sur leur possibilité d’application. L’étude d’impact qui l’accompagne le montre de façon flagrante !

Le Gouvernement a dû prendre conscience du peu de consistance de son projet de loi initial, puisqu’il a présenté des amendements à l'Assemblée nationale visant à faire passer le nombre d’articles de ce texte de deux à huit. Hélas ! les dispositions introduites ne concernent que des aspects mineurs, quand il ne s’agit pas tout simplement de précisions rédactionnelles.

Je m’interroge, en outre, sur l’opportunité de passer par la voie législative pour aboutir à un résultat aussi mince.

Comme le souligne d’ailleurs avec justesse le rapporteur, André Dulait, ce texte comporte des dispositions très techniques, de portée limitée, et qui semblent éloignées de l’esprit et de la lettre de la Constitution, laquelle prévoit que la loi fixe les principes fondamentaux et non des modalités pratiques.

Pour autant, le dispositif de reconversion des personnels militaires a incontestablement besoin d’être amélioré et complété. Au vu de la gravité de la situation – la RGPP et la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 prévoient la suppression de 54 000 emplois d’ici à quatre ans –, ce projet de loi aurait mérité d’être plus ambitieux pour être plus efficace.

Convenons-en, les résultats de la reconversion sont contrastés.

D’un côté, alors que près de 35 000 militaires quittent chaque année les armées, 21 000 prestations d’orientation, de formation professionnelle et d’accompagnement vers l’emploi ont été accordées l’an dernier. Autrement dit, le taux de reconversion, c’est-à-dire de ceux qui trouvent un emploi après leur départ des armées, est d’environ 70 %.

D’un autre côté, 61 % des militaires ayant quitté l’armée en 2007 n’avaient pas eu recours aux différents dispositifs de reconversion, 25 % des militaires du rang connaissent une situation de chômage dans l’année suivant leur départ, près de 9 000 anciens militaires sont inscrits au chômage et, enfin, seuls 60 % des militaires quittant l’institution sont éligibles à l’ensemble des prestations de reconversion en vigueur. Quant aux reclassements dans la fonction publique, ils sont de moitié inférieurs aux objectifs initiaux.

On constate donc que le dispositif de reconversion ne concerne qu’une partie des militaires, puisque seuls ceux qui justifient de plus de quatre ans de service peuvent bénéficier de l’ensemble des prestations de reconversion. L’exclusion du bénéfice de ce congé pour ceux qui ont effectué moins de quatre ans de service prive statutairement 38 % des militaires.

Des mesures d’assouplissement et d’élargissement du congé de reconversion étaient donc absolument nécessaires.

Ainsi, en adaptant les modalités du congé de conversion à la diversité des parcours de formation du secteur civil, le présent texte permet de prendre ce congé de manière fractionnée lorsque la formation suivie l’exige.

De même, les volontaires ayant accompli moins de quatre années de services effectifs sont autorisés à bénéficier d’un congé de reconversion court d’une durée maximale de vingt jours ouvrés. Cette mesure, qui touchera essentiellement de jeunes gendarmes peu diplômés, est également bienvenue.

L’autre grande disposition de ce projet de loi est l’instauration d’un congé pour création ou reprise d’entreprise.

C’est une adaptation du parcours individualisé du créateur ou repreneur d’entreprise qui instaure le congé pour création d’entreprise comme nouvelle position statutaire d’activité.

Dans la mesure où cette disposition s’inspire du congé proposé aux agents publics depuis la loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique, était-il absolument nécessaire de l’inscrire dans une loi et même d’en faire le second point fort de ce texte ?

Il faut prendre la mesure réelle de cette nouvelle disposition. L’étude d’impact montre que cette dernière est très restrictive, puisqu’elle ne toucherait potentiellement qu’une vingtaine de militaires par an, lesquels, au surplus, pourraient être compris parmi les 200 bénéficiaires du parcours individualisé du créateur ou repreneur d’entreprise.

Cela étant, ce dispositif peut constituer un petit complément aux conventions signées entre le ministère de la défense et de grands groupes français.

Pour le reste, loin de fixer de grands principes législatifs, le texte ne prévoit que des mesures de détail, loin d’être inutiles certes, mais qui ne sont pas à la hauteur du problème posé.

En cinq articles, vous autorisez un cumul d’activité pour une vingtaine de militaires souhaitant devenir auto-entrepreneurs, vous ouvrez quelques rares emplois réservés de la fonction publique, vous modifiez les modalités de fixation des établissements concernés par ces emplois, ou encore vous autorisez l’externalisation de la restauration de l’École polytechnique et de notre futur « Pentagone » français sur le site de Balard.

Tout cela peut aider la recherche d’emploi, mais ce n’est pas la garantie de retrouver un emploi.

Surtout, et d’aucuns l’ont souligné avant moi, quelle peut-être l’utilité de donner un cadre législatif à un tel dispositif sans avoir les moyens de le faire fonctionner, c’est-à-dire sans en avoir vraiment prévu le financement ?

L’expérience des années précédentes nous montre que, face à la demande, les mesures d’accompagnement social des départs ont toujours été insuffisamment budgétées. Je comprends bien que l’intérêt de la reprise ou de la création d’entreprise est de réaliser des économies, puisque le ministère de la défense aura ainsi moins d’indemnités de chômage à verser. Il n’en demeure pas moins que je reste très sceptique sur les incidences d’une telle mesure : si nous savons qu’elle touchera peu de monde, en revanche, nous ignorons tout de son coût.

Le défi d’un système de reconversion adapté à la situation ne pourra être relevé avec ce seul projet de loi. Il faudra, comme l’a suggéré le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire dans son rapport du mois de juin dernier, que vous preniez un ensemble de mesures d’ordre réglementaire et de gestion.

Dans cette attente, monsieur le ministre, alors que le contexte économique devient de plus en plus difficile, je ne crois pas qu’en l’état, ce texte permette véritablement de consolider l’accompagnement de la reconversion des militaires pour leur permettre de réussir une seconde carrière dans la vie civile.

C'est la raison pour laquelle le groupe CRC-SPG s’abstiendra.

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant tout, je souhaite, au nom du groupe UMP, m’associer à l’hommage que rend en ce moment même, à Lorient, le ministre de la défense à l’officier marinier décédé en mission vendredi dernier. Nos pensées vont à sa famille et à celle du capitaine du 2e régiment étranger de génie : nous les assurons tous de notre soutien dans cette épreuve. Je tiens également à saluer l’ensemble de nos soldats actuellement en OPEX.

Le projet de loi que nous examinons porte sur la reconversion de nos soldats. C’est pour les armées et le ministère de la défense dans son intégralité un défi qu’il nous faudra relever au cours des dix prochaines années. Il y va ni plus ni moins de son avenir en tant qu’institution. À cet égard, je me félicite du travail accompli par notre rapporteur, André Dulait, qui suit ces questions depuis longtemps au sein de la commission des affaires étrangères.

Je ne reviendrai que partiellement sur le détail de ce texte, les intervenants précédents l’ayant fait avant moi. Ce projet de loi constitue une première étape, car la reconversion des militaires doit s’accompagner d’une réflexion beaucoup plus large sur laquelle je souhaite attirer votre attention.

À terme, il s’agit aussi de savoir quelle place les anciens militaires peuvent occuper dans la vie civile alors qu’ils ont servi la nation, mais aussi de quels profils nos armées auront besoin. En résumé, le ministère de la défense mène et doit poursuivre une véritable politique de ressources humaines : elle est en cours, mais elle doit encore évoluer.

Depuis 1996, les armées ont connu de véritables bouleversements qui les ont profondément modifiées et ce, jusque dans leur identité.

À l’époque, rappelez-vous, nous avions pensé définir un modèle d’armée qui devait correspondre à une armée moins nombreuse, mais aux capacités techniques accrues.

Ce modèle d’armée 2015 s’est révélé trop lourd et inadapté du point de vue des réalités géopolitiques comme des besoins de notre pays en tant que puissance militaire digne de ce nom sur la scène internationale, c’est-à-dire capable d’avoir une réelle force de projection matérielle et humaine.

Plus de dix ans après la suppression du service militaire, nos armées doivent répondre à un problème identitaire. La création de contrats courts implique un turnover auquel s’ajoute celui qui est issu de la RGPP et qui rime avec suppression de postes et externalisation de certains services. Concrètement, cela entraîne la suppression de 54 000 postes dans les années à venir.

Rappelons que le ministère des armées en est à sa deuxième réforme. Avec la dernière loi de programmation militaire, ces restructurations ont permis de mettre en place, en quelque sorte, un cercle vertueux : une partie non négligeable des économies issues des réorganisations et restructurations est affectée à la revalorisation de la condition militaire. Peu de ministères peuvent s’en prévaloir.

Si le ministère de la défense a externalisé certaines fonctions de support, dans un souci de rationalisation et d’optimisation de gestion, cela a été fait dans un objectif : recentrer la politique de ressources humaines autour du soldat lui-même.

Parallèlement, la France doit faire face à de nouveaux impératifs stratégiques, notamment des menaces nouvelles, l’engagement sur des théâtres d’opération d’un nouveau type, qui impliquent le retour aux fondamentaux qui composent l’armée, à savoir le soldat en OPEX.

Nos armées sont confrontées à la confluence de deux phénomènes, d’une part, l’arrivée à la retraite des engagés, notamment de ceux qui avaient un contrat d’une durée allant de cinq ans à quinze ans, et, d’autre-part, le non-renouvellement de contractuels de la défense.

Cependant, nous préoccuper de la reconversion des militaires nous engage aussi à mieux définir en amont les besoins réels des armées pour les années à venir, en termes tant de projection des forces en OPEX que d’anticipation des menaces depuis le territoire national.

La professionnalisation de l’armée posait déjà, en 1996, le défi de la reconversion des soldats et de leur réintégration dans la vie civile, et ce dans une société pacifiste pour laquelle les notions de « perte humaine » et de « sacrifice pour la Nation » sont inconnues et riment parfois avec incompréhension.

Un tel turnover impose au ministère de la défense de recruter à un rythme soutenu, donc de susciter non plus des vocations pour une vie entière, mais l’envie de s’engager « seulement » – si je puis me permettre une telle expression – pour quelques années, années au cours desquelles on peut perdre la vie. Il s’agit de donner le désir d’intégrer, pour un temps plus limité, une institution qui représente la nation et qui se bat pour elle.

Au cours des campagnes de recrutement, le ministère de la défense a mis en valeur les multiples formations accessibles. Si l’armée offre la possibilité d’exercer de nombreux métiers spécifiques, ces derniers doivent pouvoir trouver une transcription dans la société civile.

La dernière loi de programmation militaire que nous avons votée implique, nous le rappelions, la reconversion de 54 000 postes. Le reclassement et la reconversion de ces personnes sont donc essentiels.

Désormais, le « passage dans l’armée » doit être une plus-value et se traduire « positivement » au cœur de la société civile professionnelle. C’est dans cette optique que l’Agence de reconversion de la défense, l’ARD, créée en 2009, et les dix pôles Défense Mobilité devront adopter une politique des ressources humaines digne des stratégies des chasseurs de têtes.

Si nous ne voulons pas que les futurs ex-soldats deviennent des inactifs, la fin des contrats doit se traduire impérativement par une validation des acquis de l’expérience, ou VAE dans le jargon de la formation professionnelle, et ce avant que les personnels militaires ne commencent, si nécessaire, une nouvelle formation, qui constituera pour eux une transition entre deux vies.

Le présent texte s’inscrit dans la continuité des précédentes réformes. Surtout, il comporte deux principales améliorations techniques.

Premièrement, il assouplit certaines des conditions d’accès au congé de reconversion.

En effet, il rend plus flexible le régime actuel du congé de reconversion réservé aux militaires ayant accompli au moins quatre années de service et il permet, par ailleurs, aux volontaires enregistrant moins de quatre ans de service de bénéficier d’un congé de reconversion de courte durée.

Deuxièmement, il instaure un congé pour la création ou la reprise d’entreprise.

Nous ne pouvons que nous féliciter du fait que ces dispositifs offrent une meilleure flexibilité et, surtout, correspondent à la réalité difficile du marché du travail.

C’est pour ces raisons, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que le groupe UMP votera le présent texte, qui témoigne de l’engagement du ministère de la défense envers ceux qui doivent le quitter.

Enfin, il me semble également que la reconversion doit s’accompagner de la reconnaissance par la société de citoyens qui, après leur passage dans les armées pour la nation, auront été profondément marqués par une expérience multiple qui doit pouvoir bénéficier à la société civile entière.

Il s’agira alors de valoriser l’expérience républicaine, le respect de la hiérarchie et de l’autorité, le dépassement de soi, le développement de capacités telles que la gestion des conflits et des crises en faisant appel à des moyens humains ou matériels.

La promotion et la mise en valeur de ces aptitudes doivent se faire par le biais de la Journée défense et citoyenneté, la JDC. Celle-ci doit encore être améliorée, de façon à susciter davantage l’envie de s’engager. Pour recruter, l’armée doit mettre en place une stratégie en quelque sorte de soft power pour elle-même.

Par ailleurs, les JDC constituent un moment idéal pour permettre aux militaires de repérer les futurs « engagés », une première étape dans la démarche de recrutement.

De plus, il appartiendra au ministère de la défense de mettre en place une véritable politique de retour et de valorisation des soldats revenant des OPEX. La bonne gestion de ces nouveaux et jeunes vétérans est primordiale pour le ministère.

Mes chers collègues, de ce point de vue, l’exemple américain est des plus intéressants. Les études de la Rand center for military health policy research doivent être une source d’inspiration. Quid de ceux qui se sont battus lors de la première guerre du Golfe ? Quid de ceux qui sont allés en Bosnie ? Quid de ceux qui auront connu le Rwanda, le Tchad et bien d’autres régions de conflits ?

Il serait intéressant de bénéficier d’études approfondies pour savoir à quelles catégories socioprofessionnelles ces combattants appartiennent aujourd’hui.

Une telle politique implique également un réel suivi de ces anciens soldats, qui sont des ambassadeurs de l’armée au sein de la société civile. Pour ce service des armes par le passé, la nation entière doit être consciente, et non critique, avant d’être reconnaissante.

Sur la préparation, chaque OPEX, notamment celle qui se tient actuellement en Afghanistan, requiert une formation spécifique, qui est très éloignée, reconnaissons-le, des formations des métiers du civil. Pour autant, ces préparations intenses et de haut niveau doivent être mises en avant et valorisées, car l’armée investit dans la formation de ses soldats.

Par ailleurs, beaucoup d’engagés ont appris un métier avec une spécialisation technique ou technologique, qui trouve une traduction immédiate dans la vie civile.

Aussi, monsieur le ministre, il faut reproduire le très bel exemple du récent partenariat de « Défense Mobilité » avec le groupe SPIE, spécialisé dans des activités multitechniques, regroupant le génie électrique, climatique et mécanique, la maintenance, les services d’information et de communication, le nucléaire.

Les OPEX doivent pouvoir se traduire sur un curriculum vitae comme une expérience internationale.

Cependant, il est possible d’atténuer le turnover grâce à une politique de fidélisation. Il faut favoriser l’accès aux écoles de sous-officiers et d’officiers. Reconnaissons-le, une telle démarche passe également par la revalorisation des soldes, ainsi que par une refonte de la formation initiale, dont certains aspects ont des équivalences dans les métiers du civil.

Par exemple, la gestion des troupes et le commandement ne sont ni plus ni moins que du management, matière largement enseignée dans les écoles de commerce.

De plus, il me paraît important de développer et d’améliorer l’apprentissage des langues, en particulier de l’anglais. La France ayant réintégré le commandement intégré de l’OTAN, elle se doit de fournir des soldats au sein des contingents internationaux.