M. Gilbert Barbier. C’est pour le moins curieux dans un pays qui a voté, voilà trente ans, l’abolition de la peine de mort !

M. René-Pierre Signé. Voilà autre chose !

M. Gilbert Barbier. Je dois dire que l’expression retenue par les auteurs de cette proposition – « assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur » – a quelque chose de maladroit, voire de glaçant. Elle peut rappeler des pratiques très anciennes. (Oh ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Ce ne sont pas les termes « assistance médicalisée » qui permettent de s’affranchir de la violence de l’acte.

M. Bernard Piras. Ce n’est pas sérieux !

M. Gilbert Barbier. Dans Une mort très douce, Simone de Beauvoir disait à propos de sa mère, une vieille femme au bout du temps : « Il n’y a pas de mort naturelle. [Toute mort est] une violence indue. » Bien qu’athée, elle avait bien noté la contradiction essentielle de la condition humaine : même naturelle, la mort est un scandale.

Alors, en quoi une fin de vie rapide, donnée par autrui, garantit-elle une fin de vie calme et digne ?

L’amalgame que font certains entre euthanasie et droit à mourir dans la dignité est d’ailleurs inacceptable. Qui s’aviserait de dénier ce droit à quiconque ? Faut-il rappeler que la dignité est un caractère intrinsèque de toute personne, qu’elle est la même pour tous et n’admet pas de degré ? Selon le philosophe Paul Ricœur, cette notion renvoie à l’idée que « quelque chose est dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain ».

On veut respecter la volonté des personnes, mais le souhait d’en finir pour ne souffrir ni physiquement ni psychiquement relève d’une forme de névrose obsessionnelle (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.), qui habite chacun d’entre nous, de ne pas avoir à se trouver face à la mort. C’est peut-être la rançon des avancées techniques, mais c’est aussi, comme le disait François de La Rochefoucauld, parce que « le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ».

Quoi qu’il en soit, ce souhait peut varier en fonction de tel ou tel soulagement, information ou événement extérieur. Les malades en fin de vie peuvent vouloir épargner leurs proches par une demande qui ne correspond pas forcément à leur désir profond.

Enfin, on aurait pu croire que ce texte satisfasse les idéologues voulant sortir la société de l’obscurantisme du corps médical et laisser l’individu maître de sa destinée. En fait, il n’en est rien ! La proposition de loi remet encore la décision finale et le geste de l’euthanasie sous la responsabilité des médecins, dans une procédure bien complexe d’ailleurs.

Il leur appartiendra donc toujours, au-delà des lois, de respecter ou non le serment d’Hippocrate qui, dans sa version originale, dit : « jamais je ne remettrai du poison, même si on me le demande, et je ne conseillerai pas d’y recourir ».

Il y a bien d’autres points à développer dans cette discussion et je ne manquerai pas de les aborder lors de l’examen des articles, en toute indépendance d’esprit, car je ne suis à la solde de personne.

Mes chers collègues, je respecte les opinions de chacun d’entre nous dans ce débat de société. Je m’exprime ici en confiance, comme je l’ai fait en 1979, par exemple, en soutenant Simone Veil dans son combat en faveur de l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG.

M. René-Pierre Signé. Avec les voix des socialistes !

M. Gilbert Barbier. Ma position ne se veut pas fermée à toute détresse et dans ma profession, croyez-moi, j’en ai rencontré.

La loi Leonetti de 2005 et l’article 37 du code de déontologie médicale, récemment complété, condamnent l’obstination déraisonnable et recommandent l’utilisation de tous les moyens nécessaires au soulagement des douleurs et à l’apaisement des angoisses terminales. Ces moyens existent et, s’ils ne sont pas mis en œuvre, c’est par méconnaissance des dispositions légales ou même manque de culture palliative. Ce n’est pas pour cette raison que, demain, il faut autoriser à tuer ! (Applaudissements sur la plupart des travées de lUMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme d’autres viennent de l’exprimer, je fais le vœu que le débat qui nous réunit aujourd’hui soit le plus apaisé possible, que de part et d’autre on évite les anathèmes, les amalgames grossiers, les raccourcis dangereux, et que l’on considère tous les intervenants, dans la pluralité de leurs propos et de leurs convictions, pour ce qu’ils sont : des femmes et des hommes ayant des positions personnelles en la matière et souhaitant les défendre.

Je voudrais d’ailleurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, remercier chacun des membres de mon groupe pour avoir, durant nos propres échanges, donné corps à ce principe. Je veux leur dire que, par respect pour celui qu’ils m’ont témoigné, je comprends leurs questionnements et leurs doutes.

À vous tous, mes chers collègues, ainsi qu’à celles et ceux qui suivent aujourd’hui nos débats – ils sont nombreux, j’en suis certain –, je dirai qu’en intervenant devant vous je me fais seulement le porte-parole d’hommes et de femmes partageant certaines convictions, et non celui d’un groupe ou d’un parti.

C’est la raison pour laquelle je me retrouve dans les interventions ou les prises de position de certains de mes collègues du groupe UMP ou de l’Union centriste, avec qui nous sommes très souvent en opposition dès lors qu’il s’agit d’économie, de fiscalité, de politique des territoires ou de droits sociaux.

Naturellement, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait rendu possible, et ce par une majorité importante de ses membres, l’examen de cette proposition de loi. Il s’agit d’un texte de consensus issu des trois propositions de loi initialement déposées, celle de M. Jean-Pierre Godefroy et d’une partie des membres du groupe socialiste, celle de M. Alain Fouché et celle que j’ai moi-même déposée, avec mon ami François Autain et quelque dix-huit autres membres du groupe CRC-SPG.

L’adoption par la commission des affaires sociales de la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner ce soir ainsi que le débat qui va suivre ne marqueront pas la victoire d’un camp sur un autre. Si nous avons été nombreux à nous réjouir du sort que la commission a réservé aux textes que nous avions déposés, c’est parce que, d’une part, la commission n’a pas entravé par son vote le droit des parlementaires à légiférer et que, d’autre part, elle a permis que soit abordé en séance publique un sujet aussi important pour chacun d’entre nous, quelle que soit notre position.

Mes chers collègues, c’est en républicain, en laïc et en citoyen que je m’exprime devant vous pour défendre cette proposition visant à inscrire dans la loi la possibilité pour celles et ceux de nos concitoyens qui, « en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, [leur] infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou [qu’ils jugeraient] insupportable » voudraient, en pleine connaissance de cause, bénéficier dans des conditions très particulières, précises et encadrées d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort sans douleur et plus rapide que celle qui peut survenir naturellement.

Je veux m’en expliquer, d’abord en républicain.

Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, je suis attaché à notre République. Cet attachement est fondé sur un double pilier : d’une part, l’état de droit et, d’autre part, les principes propres à notre République, qui sont inscrits aux frontons de nos écoles et de nos mairies : liberté, égalité, fraternité.

Mon engagement en tant que militant politique et qui se poursuit aujourd’hui au Sénat a toujours été, et demeure, celui d’une œuvre législative respectant nos concitoyens et, devrais-je même dire, les plaçant au cœur de notre politique, au-delà de tout autre intérêt, fût-il commercial, économique ou politique. L’État de droit n’a de sens pour moi que si les lois servent à l’émancipation des femmes et des hommes, une émancipation qui n’est naturellement pas étrangère à la notion d’égalité.

Or plus personne ne l’ignore aujourd’hui, malgré les volontés affichées ou les déclarations péremptoires de certains, nous ne sommes pas égaux devant la mort, que celle-ci survienne naturellement ou qu’elle soit choisie. Car celles et ceux qui font, en pleine connaissance de cause, le choix de mettre médicalement un terme à leur vie et qui disposent tout à la fois des informations et des moyens financiers nécessaires peuvent s’offrir une mort choisie dans l’un des pays voisins du nôtre l’autorisant. L’expression « pouvoir s’offrir une mort choisie », je le sais, vous interpelle. Mais les témoignages multiples, médiatisés ou plus confidentiels l’attestent : il y a aujourd’hui, d’un côté, ceux qui disposent des possibilités techniques et matérielles de choisir une mort digne et rapide et, de l’autre, ceux qui, plus démunis, ne disposent pas de cette possibilité.

Pour ceux-là, le droit à une mort choisie s’apparente plus à un bricolage, composé d’attentes, de renoncements, de craintes ou de solutions violentes.

Ce n’est pas sans nous rappeler la situation que supportaient les femmes avant l’adoption – et dans les conditions que l’on connaît – de la loi du 17 janvier 1975 légalisant l’avortement, dite loi Veil, du nom de la ministre qui la défendit courageusement. Souvenons-nous qu’avant cette date l’avortement clandestin n’était pas sans risque. Ceux qui les réalisaient encouraient la peine capitale, et tout le monde se souvient du sort terrible qui fut réservé à Marie-Louise Giraud, jugée coupable d’avoir réalisé plusieurs avortements et qui fut décapitée en 1943. Les femmes prenaient de leur côté d’importants risques sanitaires et les décès post-avortement étaient nombreux.

Soixante-huit ans plus tard, d’importantes similitudes subsistent entre les deux situations. Même s’il est rare que les personnes qui optent pour une mort volontaire n’y parviennent pas, à quel prix le font-elles ? Elles le payent parfois d’une souffrance physique importante et souvent d’une souffrance morale que l’on a du mal à mesurer. Cette souffrance repose beaucoup sur le sentiment des personnes voulant être accompagnées dans une mort qu’elles ont choisie de réaliser un acte mal perçu par notre société, un acte si abominable aux yeux des autres et de la loi qu’il est réalisé dans la clandestinité et le secret et demeure interdit au point que ceux qui assistent les personnes désirant mourir encourent une peine criminelle pour assassinat.

C’est en laïc ensuite que je défendrai cette proposition de loi.

Bien évidemment, tous ceux qui s’opposent aujourd’hui à ce que soit légalisée l’assistance médicalisée à mourir ne le font pas sur des fondements religieux. À l’inverse, je sais pertinemment qu’il existe des croyants parmi ceux qui plaident en faveur d’une telle évolution législative. Mais je reconnais aussi parmi les associations qui s’opposent vigoureusement au droit à mourir dans la dignité les mêmes associations « pro vie » – comme si nous étions, de notre côté, des défenseurs de la mort – qui s’opposent au droit à l’avortement.

Ce sont, pour l’aide active à mourir comme pour l’avortement, les mêmes discours, selon lesquels ce serait nuire à la dignité humaine que de décider du moment de sa mort, une mort qui par nature ne peut être naturelle et que les femmes et les hommes ne pourraient que subir. Pour les tenants de ces discours, les êtres humains sont en quelque sorte extérieurs à leur mort, qui ne peut être programmée que par celui qu’ils vénèrent.

Entendant ces discours, je ne peux que me dire que notre pays, paradoxalement Terre des lumières après avoir été fille aînée de l’Église, a tout à gagner à ce que notre débat soit assis sur un principe simple : le corps des hommes n’appartient à aucune autre entité que l’homme lui-même, dans le respect des règles propres à garantir des protections collectives. (Mme Odette Terrade applaudit.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Guy Fischer. Une propriété associée au principe d’inaliénabilité du corps humain qui, à juste raison, prévoit que si l’on peut décider en droit du sort que l’on veut réserver à son propre corps on ne peut pour autant, au nom d’un principe légitime de protection des droits collectifs, décider d’en faire commerce. Le corps de chacun est ainsi exclusivement partagé entre la volonté individuelle et les droits collectifs.

Cette question de la propriété abordée ici n’a pas pour objet de souligner certaines divergences. Elle nous renvoie toutefois à une autre question selon moi incontournable : « la législation relative à la vie doit-elle imposer une règle générale qui est bonne par définition ou bien doit-elle intégrer l’idée d’exception ? ».

À cette question, c’est en citoyen ou plutôt, devrais-je dire, en homme libre que je veux répondre.

Cette proposition de loi ne tend pas à faire de l’assistance médicalisée à mourir la seule mort possible. Elle ne tend pas à la généraliser ou à l’imposer à toutes et à tous. Elle n’a pour objectif que de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de partir dignement. C’est-à-dire de partir avant que la souffrance physique ou psychique ne soit trop forte, avant que la maladie et les dégradations qui l’accompagnent l’emportent sur l’humanité.

Il s’agit, comme le précise le journaliste et écrivain François de Closets, « d’offrir et non pas d’imposer un recours contre cette mauvaise mort. Non pas en prenant en charge les destins individuels, mais en permettant aux volontés de chacun de s’exprimer et d’être respectées ».

Certains y verront une œuvre libérale, au sens philosophique du terme. J’y vois personnellement une réponse humaniste et solidaire face à une situation que l’écrivain Viviane Forestier a parfaitement décrite en ces termes : « Être devenu un lieu terrible pour soi-même, un enfer, une prison. Y être maintenu de force, enfermé sans espoir, alors qu’il serait possible d’en soustraire ceux qui le demandent, ceux qui en font le choix, tel est le sort auquel sont condamnés beaucoup de vivants ».

Mes chers collègues, le XXe siècle a été, en termes de droits individuels, de conquête des droits de l’homme sur lui-même, marqué par la reconnaissance – ô combien légitime – du droit des femmes à s’approprier leur avenir en décidant, avec les méthodes modernes de contraception, le moment qu’elles estiment opportun pour donner la vie. Le XXe siècle leur a également permis de refuser une maternité qu’elle ne voulait pas.

C’est dans cette continuité que s’inscrit la présente proposition de loi, à l’instar de la loi légalisant l’avortement, qui ne contraint personne à avorter mais qui élargit simplement le champ des libertés individuelles. Aucun médecin ne sera contraint de pratiquer un tel acte, soit parce qu’il transmettra le dossier de son patient à un confrère, soit parce que le patient pourra accomplir le geste salvateur lui-même dans un acte de suicide assisté. Cette proposition de loi donne la possibilité à celles et ceux qui le souhaitent, par goût de la vie, de la quitter sereinement.

Véronique Neiertz, ancienne secrétaire d’État aux droits des femmes, le dit avec ces mots, sobres et généreux : « C’est le droit de disposer de son corps sans avoir de permission à demander à personne et sans que cela puisse entraîner de sanction pour quelque soignant que ce soit. »

Mes chers collègues, je sais que cette proposition de loi peut susciter en vous nombre d’interrogations voire d’inquiétudes, mais, je le crois, l’examen des articles qui la constituent sera de nature à lever vos craintes tant ils sont protecteurs.

Pour conclure, je voudrais vous dire qu’il ne faut pas chercher à opposer sur ce sujet nos concitoyens. En l’état actuel de sa rédaction, la proposition de loi permet, pour reprendre les mots de Louis Bériot, que soit respectée l’idée selon laquelle la conception de l’existence ne doit pas être exclusive et que celles et ceux qui veulent choisir librement le moment de leur mort ne soient pas excommuniés.

Je vous rappelle que dans notre législation l’assistance au suicide reste pénalisée, par le biais soit de la non-assistance à personne en danger, soit de la fourniture d’un produit vénéneux. Le corps de Chantal Sébire a dû subir une autopsie et une enquête a été diligentée pour savoir qui lui avait fourni le produit.

Cette proposition de loi ne repose pas sur un projet de société. C’est en revanche un important débat dans notre société, et la différence n’est pas mince. Il ne s’agit pas de dessiner un modèle unique reposant sur un refus des soins palliatifs. Ceux-ci sont naturellement incontournables et nous n’imaginons pas – cette proposition de loi le prévoit clairement – qu’il puisse être satisfait à la demande d’un patient de disposer d’une assistance médicalisée à mourir sans que lui soient auparavant proposées des thérapeutiques destinées à éviter les souffrances.

Mais s’agissant de celles et ceux pour qui les soins palliatifs ne sont pas suffisants ou sont sans effet sur des douleurs plus lourdes encore que celles qu’ils ressentent dans leur chair – je pense aux douleurs psychiques –, il faut avoir le courage de les laisser partir, comme ils le souhaitent, comme ils le demandent.

S’agissant de celles et ceux pour qui, actuellement, la fin de vie passe d’abord par un refus de soins, puis un refus d’alimentation et d’hydratation, ce que l’on appelle la sédation, et qui s’accompagne d’interminables souffrances, d’une lente agonie, de l’attente pesante d’une libération tant espérée, il est de notre responsabilité, parce que nous souffrons quand les autres souffrent, de les aider à partir. Nous devons faire preuve du même courage que celles et ceux qui demandent à quitter cette vie en reconnaissant avec eux que « le prolongement de cette vie n’est pas une fin en soi et qu’il est honorable de savoir y mettre un terme ».

Pour toutes ces raisons, je vous invite avec conviction, avec courage et avec émotion à voter en faveur de cette proposition de loi qui, venant s’inscrire dans la continuité des lois réaffirmant les droits des patients et plus légalement les droits individuels, constitue une réponse, parmi d’autres, à celles et ceux qui souffrent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat montre une nouvelle fois son ouverture sur des questions de société qui mobilisent l’intérêt d’un grand nombre de Français, tous clivages confondus.

Aussi, je suis heureux en tant qu’auteur d’une proposition de loi déposée sur ce sujet voilà plus de deux ans de contribuer à ce débat. Ce n’est pas sans déchirement que le chrétien que je suis est parvenu, après une longue et mûre réflexion, à admettre la nécessité de légiférer sur une matière aussi sensible.

Lorsque je pense à cette phrase adressée par Vincent Humbert au Président de la République : « je vous demande le droit de mourir », je ne peux rester indifférent à sa souffrance, à sa volonté et à sa dignité. Ne pas répondre à cette demande revient à mettre à l’écart ces personnes atteintes de maux atroces et à les forcer à agir seules, en catimini, dans l’illégalité.

Est-ce là la place que nous voulons pour ces personnes ? Je ne le souhaite pas comme nombre de Français qui sont favorables à la légalisation de l’aide active à mourir dans les cas de pathologies graves et avancées.

Légaliser, c’est donner à ces personnes toute leur place dans la société.

M. Alain Fouché. Sommes-nous en train de nous arroger le droit de mettre fin à la vie d’une personne ? Ce n’est nullement ma conviction.

Tout comme les pères de l’Église – saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin et d’autres – ont, avec le concept de guerre juste, tenté de limiter les conséquences d’un fléau pourtant ardemment combattu par l’Église – « tu ne tueras point » –, cette proposition de loi ne vise qu’à mettre un terme, dans des conditions très strictes, très limitées et très encadrées par le droit et la morale, aux souffrances indicibles endurées par des personnes qui n’ont plus aucun espoir de guérison.

Ne rien faire, mes chers collègues, c’est abandonner le problème à des initiatives personnelles, clandestines, sans débat et sans contrôle.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Bernard Piras. Très bien !

M. Alain Fouché. En France, il est estimé qu’environ 15 000 actes par an ont pour objectif d’abréger les souffrances d’un malade ; …

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Alain Fouché. … selon une étude publiée dans un magazine de santé, 50 % des décès dans les services de réanimation sont le fait d’un arrêt du traitement sans l’avis du médecin traitant ni de la personne concernée.

C’est pourquoi nous devons créer un cadre légal à cette pratique, afin d’en limiter les abus.

Je tiens à préciser à ceux qui sont en désaccord et qui agitent contre la dépénalisation le danger d’un accroissement des dérives que toute loi comprend un risque d’abus. Mais n’est-il pas préférable de fixer des règles plutôt qu’ignorer la réalité ?

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Alain Fouché. Aussi, ne pensez-vous pas qu’il est temps de sortir du flou juridique qui entoure la question ? C’est notre rôle de parlementaire que d’assurer la sécurité juridique ! Le droit en vigueur est souvent inadapté ; ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les nombreuses décisions judiciaires contradictoires dans ce domaine qui le montrent.

Le constat est simple : le dispositif actuellement en vigueur a ses limites.

La loi Leonetti de 2005 a été une avancée majeure dans le domaine de la fin de vie, notamment pour les soins palliatifs. Cependant, même si ce texte inscrit dans notre arsenal juridique l’arrêt de la vie, il ne permet pas à une personne de décider de mourir au moment où elle le souhaite et selon ses volontés.

C’est le sens de la proposition de loi soumise à notre examen ce soir.

J’entends bien ceux qui ne veulent pas légaliser l’aide active à mourir ; cependant, mes chers collègues, le pas a déjà été franchi. La législation de 2005 envisage déjà de hâter la mort puisqu’un patient en phase terminale peut bénéficier, sur la seule décision de son médecin, de la sédation profonde ou du double effet de la morphine.

Le présent texte va plus loin : la personne peut choisir elle-même une assistance médicalisée pour une mort rapide et sans douleur lorsque son état médical révèle un mal grave et incurable dont l’avancement est tel qu’il lui inflige une souffrance physique ou psychique insupportable.

Néanmoins, il n’est pas envisageable de permettre cette pratique sans la contrôler. Dès lors, il est prévu que la demande du patient soit soumise à l’expertise d’un collège de médecins, qui inclut le médecin traitant si celui-ci souhaite prendre part à la procédure.

Le texte prévoit que tout médecin a la possibilité de demander à un autre confrère de se prononcer. Les médecins seront chargés de vérifier le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande du patient.

Dans les cas où la personne n’est pas en état d’exprimer sa volonté, la proposition de loi rappelle évidemment l’existence des directives anticipées créées par la loi Leonetti.

Ainsi, le geste d’apaisement sera issu d’une volonté intime, réitérée et lucide, contrôlée par le corps médical et sera accompagné par une personne de confiance.

Enfin, ce texte inscrit explicitement l’obligation du médecin d’informer le patient sur les diverses possibilités de soins palliatifs. Cette information est essentielle, monsieur le ministre, car la loi de 2005 reste bien trop souvent méconnue et, malheureusement, seuls 15 % à 20 % des malades peuvent accéder à ces soins.

M. Guy Fischer. C’est la vérité !

M. Alain Fouché. Cette proposition de loi a déjà l’avantage d’avoir fait comprendre au Gouvernement qu’il fallait faire mieux en matière de soins palliatifs. En moyenne, il n’y a que 9,5 lits pour 100 000 habitants ; un chiffre qui ne nécessite aucun commentaire.

Quel que soit le choix de la personne, il s’agit de bien faire comprendre à cette dernière, ainsi qu’à son entourage, les différentes démarches thérapeutiques qui s’offrent à elle.

Et pour que l’accompagnement soit le meilleur possible, il faut indéniablement que cette légalisation soit conduite en étroite liaison avec une politique en faveur d’un accès universel aux soins palliatifs.

Arrêtons de mettre en concurrence légalisation de l’aide active à mourir et soins palliatifs ! Un récent rapport montre que la dépénalisation en Belgique n’a pas entraîné de diminution des demandes de soins palliatifs.

À l’heure actuelle, on ne peut malheureusement pas apaiser toutes les souffrances, qu’elles soient physiques, psychiques ou psychologiques.

Certains patients ne souhaitent pas entamer un parcours de soins palliatifs jusqu’à ce que la maladie ait raison d’eux. Ils n’ont tout simplement pas envie d’assister au spectacle de leur propre déchéance et préfèrent être maître de leur fin de vie.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Alain Fouché. C’est pourquoi – et je conclurai sur ce point – le législateur doit croire en son travail en votant cette proposition de loi qui encadre et protège tout en permettant l’égalité de nos concitoyens face à un tel droit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.

M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat que nous avons ce soir porte sur la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir, et non sur l’euthanasie. Il ne s’agit pas de donner la mort, il s’agit d’accompagner une mort choisie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.)

Ce n’est pas la première fois que le Parlement français débat en séance publique de ce sujet, qui est particulièrement sensible et douloureux. La dernière fois, c’était en novembre 2009 à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité, déposée par notre collègue député et président du groupe socialiste Jean-Marc Ayrault.

Cependant, le débat que nous menons ce soir au Sénat est inédit ; il est historique.

En effet, jusqu’à présent, jamais des parlementaires de sensibilités politiques différentes n’avaient réussi à porter une initiative commune sur ce sujet délicat ; c’est pourtant ce qu’ont fait nos collègues Guy Fischer, Alain Fouché et Jean-Pierre Godefroy en déposant chacun une proposition de loi légalisant l’aide active à mourir.

Je tiens à saluer leur initiative ainsi que leur très fort engagement personnel sur le sujet difficile de la fin de vie.

Le texte dont nous allons débattre est une synthèse de ces trois propositions de loi.

La problématique de l’aide médicalisée à mourir est tout à la fois philosophique, éthique et médicale. Elle peut aussi, pour certains d’entre nous, – l’orateur qui m’a précédé l’a mentionné – relever de convictions religieuses, et je respecte ces dernières.

Toutefois, personnellement, je considère qu’il s’agit avant tout d’une problématique politique au sens noble du terme et qui ne doit pas être caricaturée.

L’assistance médicalisée à mourir est une question de société. Et au même titre que la société, elle est un sujet qui évolue, mûrit et doit se concrétiser.

Apporter des réponses à la question du choix de sa propre mort – car c’est bien de cela qu’il s’agit – et à la question de la souffrance, c’est dire vers quelle société nous souhaitons aller.

Voilà plus d’une trentaine d’années que ces questions trouvent écho dans notre société.

Au sein de cet hémicycle, nous croyons tous à l’importance du législateur et en particulier à la fonction du Sénat : voilà bien un sujet sur lequel notre Haute Assemblée doit s’honorer de débattre, et ce dans le plus profond respect des opinions de chacun.

C’est d’ailleurs l’esprit qui a présidé aux travaux de la commission des affaires sociales sous la présidence de Muguette Dini.

Je regrette simplement l’heure tardive à laquelle ce texte majeur est examiné.

Léon Blum a écrit : « L’homme libre est celui qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de sa pensée. » C’est ce à quoi le texte qui nous est soumis nous invite.

Chaque année, en France, plusieurs milliers de malades se trouvent dans la situation extrême qui est envisagée dans la présente proposition de loi.

Certes, des progrès ont été réalisés dans l’accompagnement de la fin de vie. Les traitements anti-douleurs, les soins palliatifs, l’arrêt de l’acharnement thérapeutique autorisé par la loi de 2005 apportent des solutions dans de nombreux cas.

Pour autant, l’accès aux soins palliatifs est loin d’être universel. Seuls 20% de ceux qui en auraient besoin en bénéficient.