M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.

M. Adrien Gouteyron. M. le secrétaire d'État vient de nous donner des renseignements précis, importants et utiles.

Un certain nombre d’éléments sont susceptibles d’évoluer, l’application n’étant pas immédiate. Il est donc nécessaire d’en parler dès maintenant.

La répartition que vous nous avez indiquée à la fin de votre propos donne un résultat relativement modeste pour les collectivités territoriales. Mais, là encore, les choses mériteront d’être précisées. Les 210 millions que vous avez évoqués sont un vrai sujet de réflexion.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, des précisions que vous venez de nous apporter.

suites de l'enquête relative à la disparition d'un militant tchadien des droits de l'homme

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1238, adressée à M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je voulais appeler l’attention de M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes sur les suites de l’enquête relative à la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, militant tchadien des droits de l’homme, ancien recteur, ancien ministre, docteur en mathématiques de l’université d’Orléans, intervenue au moment où une offensive était menée par des rebelles contre la capitale du Tchad dans les premiers jours du mois de février 2008.

Monsieur le ministre, vous connaissez les termes du rapport de la commission d’enquête « sur les événements survenus en République du Tchad du 28 janvier au 8 février 2008 et leurs conséquences ». Cette commission avait, d’une part, conclu à « l’impossibilité que [l’enlèvement d’Ibni Oumar Mahamat Saleh] soit le fait d’une initiative personnelle d’un quelconque militaire subalterne n’ayant reçu aucun ordre de sa hiérarchie ou des instances supérieures de l’État tchadien, ce qui, par voie de conséquence, met en évidence l’implication des plus hautes autorités militaires tchadiennes et dès lors se pose la question du rôle du chef de l’État dans la chaîne de commandement ».

La commission d’enquête avait, d’autre part, recommandé au gouvernement tchadien de constituer un comité restreint de suivi de ses conclusions au sein duquel la représentation de la communauté internationale serait assurée.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous rappelle en outre que, en l’absence de respect par les autorités tchadiennes de cette dernière recommandation, l’Assemblée nationale française a voté le 25 mars 2010, à l’unanimité, une résolution demandant au gouvernement français de faire pression sur les autorités tchadiennes pour que ces recommandations soient respectées.

Or, à ce jour, malgré les engagements réitérés du Président de la République française que notre collègue député de la Nièvre, M. Gaëtan Gorce, et moi-même avons saisi à la demande de la famille d’Ibni Oumar Mahamat Saleh et des associations humanitaires et de défense des droits de l’homme, et en dépit des engagements des précédents ministres français des affaires étrangères de mettre tout en œuvre pour que la lumière soit faite dans cette affaire, nous ne disposons pas d’information sur l’évolution de cette enquête, alors qu’il apparaît que des représentants du Conseil de l’Europe et de l’Organisation internationale de la francophonie y ont – ou auraient – été associés.

En premier lieu, je vous demande donc de bien vouloir faire part au Sénat des informations dont vous disposez quant à l’évolution de cette enquête.

En second lieu, quelles initiatives avez-vous prises ou comptez-vous prendre pour que la vérité soit enfin connue et les responsabilités établies dans la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui était – il n’est pas inutile de le rappeler dans le contexte actuel du Tchad – le leader de l’opposition.

En troisième lieu, compte tenu des relations privilégiées entretenues par la France avec le Tchad, notamment au travers du dispositif « Épervier » et la présence avérée durant les événements de février 2008 de fonctionnaires français auprès des plus hautes autorités tchadiennes, je vous demande de bien vouloir ordonner la déclassification des documents diplomatiques publiés et échangés par l’ambassade de France au Tchad, le ministère des affaires étrangères et le ministère de la défense pendant le mois de février 2008, afin de permettre au Parlement de disposer de toutes les informations utiles sur le déroulement des événements tragiques au cours desquels s’est joué le sort de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Monsieur le sénateur, la vérité n’a pas encore été faite sur la tragique disparition de l’opposant tchadien Ibni Oumar Saleh lors d’une attaque de mouvements de rébellion armée à N’Djamena au début de février 2008, et cette affaire est une préoccupation constante de la France dans ses relations avec le Tchad.

Monsieur le sénateur, je connais votre sensibilité sur cette question ; vous l’avez exprimée à de nombreuses reprises. Je sais aussi l’écho que cette disparition recueille à l’Assemblée nationale. J’ai tout entendu et j’en comprends fort bien les motivations.

Vous le savez, la France a insisté auprès des autorités tchadiennes pour qu’une commission d’enquête travaille en toute indépendance, avec l’appui d’experts internationaux, sur ces événements.

À la suite des recommandations de la commission – vous les avez vous-même évoquées, monsieur le sénateur –, le gouvernement tchadien a créé un comité de suivi interministériel national et a engagé une procédure judiciaire en décembre 2008. L’enquête est toujours en cours au Tchad.

À ce propos, nous savons qu’un juge d’instruction travaille au sein du pôle judiciaire. Le gouvernement tchadien l’a doté des moyens financiers nécessaires lui permettant de fonctionner. Les auditions de deux anciens ministres, de l’intérieur et de la défense, ainsi que du directeur de l’Agence nationale de la sécurité, ont été autorisées par le gouvernement tchadien.

Notre ambassade est en contact régulier avec les autorités judiciaires et gouvernementales tchadiennes, et nous rend compte de ses démarches.

En outre, à la suite de la résolution votée par l’Assemblée nationale française, le 25 mars 2010, nous avons poursuivi nos efforts en direction des autorités tchadiennes. Le déplacement au Tchad de l’ambassadeur pour les droits de l’homme, M. François Zimeray, a permis d’obtenir la nomination de deux experts juridiques au sein du comité de suivi.

L’un, vous l’avez évoqué vous-même, a été nommé par l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF, et l’autre, un Français avocat au barreau de Paris, par l’Union européenne, pour apporter leur expertise à la justice tchadienne, afin que la procédure suivie soit juridiquement et techniquement fiable, et que son instruction aboutisse enfin à des résultats crédibles.

Ces deux experts se sont rendus au Tchad, respectivement en novembre 2010 et en janvier 2011. Ils ont pu constater la volonté de transparence et de coopération des autorités tchadiennes dans cette affaire. Ils ont recommandé de revoir la composition du comité de suivi, afin de garantir sa totale neutralité. Les deux experts doivent effectuer une nouvelle mission au Tchad ces prochains mois, probablement en juillet 2011.

Enfin, monsieur le sénateur, vous avez interrogé M. le ministre des affaires étrangères sur la transmission de la correspondance diplomatique échangée entre l’ambassade de France au Tchad et le Quai d’Orsay, en février 2008, au sujet de ces événements.

Vous le savez, en d’autres circonstances, sur des sujets tout aussi sensibles et importants, même s’ils étaient différents, le ministre d’État a déjà fait droit à de telles demandes présentées par le Parlement. C’est dire que, sur le principe, il n’a pas d’objection à cette transmission de documents. D'ailleurs, ses services sont en train de rassembler les éléments qui permettront de satisfaire à votre souhait.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre réponse précise, qui me semble de nature à nous faire progresser vers la connaissance de la vérité. En effet, il est tout à fait nécessaire de faire la lumière sur la disparition d’un homme qui était le leader de l’opposition dans son pays, de surcroît mondialement connu, grand scientifique, ancien recteur et ancien ministre. Nous ne voulons pas que cet événement tombe dans l’oubli !

Je tiens à souligner deux points importants de votre réponse.

En premier lieu, vous avez annoncé au Sénat que deux experts, nommés l’un par l’Organisation internationale de la francophonie et l’autre par l’Union européenne, participeront au comité de suivi.

En effet, je me souviens que la première instance de ce type mise en place par les autorités tchadiennes, à la suite du rapport de la commission d’enquête, avait une organisation toute particulière : douze de ses membres appartenaient au gouvernement du Tchad, le treizième devant être le directeur de cabinet du Président de la République. On ne pouvait pas dire que ce comité présentait toutes les garanties d’indépendance, surtout eu égard aux accusations très lourdes figurant dans le rapport de la commission d’enquête !

Par conséquent, il me paraît tout à fait naturel que les deux personnes représentant respectivement l’Union européenne et l’Organisation internationale de la francophonie aient commencé par déclarer que le comité de suivi devait présenter de telles garanties d’indépendance. Je pense, monsieur le ministre, que le Gouvernement français sera particulièrement vigilant sur ce point. (M. le ministre acquiesce.) En effet, il y va de la possibilité de découvrir un jour la vérité et, par conséquent, d’établir les responsabilités en cause.

En second lieu, je voulais vous remercier de la réponse très précise que vous avez apportée sur la déclassification des documents diplomatiques retraçant les relations entre les différentes autorités françaises, c'est-à-dire le ministère de la défense, le ministère des affaires étrangères et l’ambassade au Tchad. Je pense que cette décision sera perçue positivement, à la fois par nos collègues députés – tout particulièrement par Gaëtan Gorce, qui est à l’origine de la résolution adoptée par l’Assemblée nationale – et par la famille d’Ibni Oumar Saleh.

En effet, l’absence d’objection de principe à cette déclassification est un point très important. J’espère que cette décision sera suivie d’actes concrets, qui seront également de nature à nous faire avancer vers la nécessaire manifestation de la vérité. Enfin, naturellement, nous devrons nous donner les moyens de confronter les responsables aux actes qu’ils ont commis.

8

Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Jacques Legendre membre titulaire de la Commission du Fonds national pour l’archéologie préventive.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

9

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, les vendredi 15 et mercredi 20 avril 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel cinq décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-141 QPC et 2011-142 QPC, 2011-143 QPC, 2011-144 QPC et 2011-145 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de ces communications.

10

Débat sur la désindustrialisation des territoires

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la désindustrialisation des territoires.

Après avoir entendu le président et le rapporteur de la mission commune d’information, puis les orateurs inscrits et la réponse de M. le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, nous procéderons à un débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure trente par la conférence des présidents.

Mission commune d'information

M. le président. La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

M. Martial Bourquin, président de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat clôture près d’un an de travail intense de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, que j’ai eu l’honneur de présider. Ces travaux ont été engagés sur l’initiative du groupe socialiste du Sénat dans le cadre de son droit de tirage.

Face à l’urgence de la situation, j’ai souhaité que la mission affronte la réalité de la France industrielle en s’intéressant non seulement aux grands groupes, qui se portent plutôt bien – Michelin vient d’inventer un nouveau modèle de PDG : le « 505 », comprenez 505 % d’augmentation de salaire ! –, mais aussi aux bassins de production et d’emploi, aux territoires d’innovation, à la France qui travaille dur, celle des petits entrepreneurs, des petites et moyennes entreprises ou PME, des très petites entreprises ou TPE, la France des ouvriers, des ingénieurs et chercheurs ainsi que des partenaires sociaux et des élus territoriaux.

Il est important d’aller sur le terrain, parce qu’il y a la France dont on parle et la France réelle ; il y a l’industrie dont on parle et l’économie réelle. Car si l’industrie ne compte plus aujourd’hui que pour 14 % de notre PIB, elle n’en concerne pas moins très concrètement la vie quotidienne de nos concitoyens et alimente le tissu économique de tous nos territoires, tant urbains que ruraux !

Certains diront que nous nous sommes rendus au chevet de l’industrie ; à bien des égards, ils n’auront pas tort. Nous sommes bien confrontés à une désindustrialisation de très grande ampleur, aux origines profondes, qui s’est accélérée depuis la crise économique et financière de 2008 et qui continue de poursuivre sa course. C’est une réalité incontestable, et incontestée. Aussi le constat a-t-il fait l’unanimité de la mission.

Si nous sommes totalement lucides quant à la gravité de la situation, nous sommes également convaincus, au terme de ces mois de travail et de déplacements dans nos régions, que l’industrie française dispose d’atouts indéniables pour contribuer à une croissance durable, riche en emplois, et ce dans tous les territoires.

Cela étant, je suis tout aussi persuadé que nous n’empruntons pas toujours le bon chemin pour parvenir à cette réindustrialisation.

Il nous faut avoir, quelles que soient nos opinions, une grande ambition pour l’industrie.

À l’issue de leurs travaux, les membres de cette mission ont un accord profond sur le diagnostic, mais un désaccord tout aussi majeur sur les remèdes.

Nous proposons une stratégie de réindustrialisation, non pas défensive, mais résolument offensive, qui s’appuie sur deux principes : la protection de nos bases industrielles et la mise en œuvre de la nouvelle industrie.

L’ensemble de nos filières sont en pleine évolution structurelle. Or l’État porte une responsabilité exemplaire pour accompagner ces mutations et inciter ces entreprises à opérer des gains de productivité réels plutôt que de chercher à rogner des marges par des délocalisations ou le recours au global sourcing.

Nous avons ainsi le devoir d’aider nos bases industrielles à passer le cap de ruptures technologiques majeures qui ne manqueront pas de survenir dans les prochaines années. C’est la raison pour laquelle nous proposons la mise en place d’une véritable sécurité sociale professionnelle. Cet outil servira non pas une politique d’assistanat, mais un processus dynamique qui permettra de hausser le niveau des qualifications des ouvriers et personnels en période de baisse d’activité tout en conservant leur contrat de travail.

Il ne suffit pas simplement de protéger les banques ou les grandes sociétés, il faut aussi protéger les salariés. Il faut donc anticiper les reconversions, éviter le recours excessif à l’intérim, aux licenciements ou aux départs volontaires.

C’est aussi dans cette optique que nous croyons urgent de soutenir toutes les mesures permettant à nos bases industrielles de se doter d’une plus grande indépendance ou de se diversifier. Le recours systématique à des pratiques ou à des machines beaucoup moins énergivores ainsi que le soutien d’un programme français de construction de machines outils, abandonné depuis des années, s’imposent donc.

Nous pensons que notre pays ne peut pas pour autant se reposer sur ses lauriers et rester sur l’héritage industriel des trente glorieuses. C’est maintenant que nous devons tout tenter pour faire émerger dans nos territoires les nouvelles industries qui pourront constituer les perspectives de croissance de demain.

Nicole Notat le rappelait très justement, « Gutenberg n’a pas attendu le développement du marché du livre pour inventer l’imprimerie ». Or des marchés vont se constituer dans les toutes prochaines années. Ils seront des sources de croissance, de bien-être et de progrès social. Ils représentent des gisements d’emplois, en particulier pour les jeunes, dans le respect de l’environnement et de la sécurité industrielle.

Serons-nous au rendez-vous de cette nouvelle croissance durable ? La réponse à cette question est fondamentale.

Nous proposons tout d’abord d’engager une révolution énergétique en permettant non seulement l’essor de véritables éco-industries au service de la maîtrise d’énergie – donc des économies d’énergie –, de la progression constante d’un « mix » énergétique, mais aussi du ferroutage, qui ne peut plus rester au stade embryonnaire. Pour nous, l’environnement, cela ne suffit pas ; cela commence !

L’énergie photovoltaïque, bien qu’elle ait été tuée dans l’œuf par les dernières mesures gouvernementales, ne doit pas être abandonnée.

La géothermie, l’énergie hydrolienne, la biomasse, la filière bois, sont autant de perspectives industrielles et de recherche de grande ampleur.

Par ailleurs, nous avons rencontré des chercheurs de PME et de TPE qui se sont positionnés sur des niches d’innovation tout à fait prometteuses comme la domotique, les nanotechnologies, les biotechnologies. Mais ces PME et TPE, pour innovantes qu’elles soient, sont insuffisamment soutenues et, surtout, ne sont pas assez nombreuses dans ces secteurs.

Mes chers collègues, nous avons la possibilité de ne pas subir la compétition internationale en anticipant aujourd’hui les marchés de demain. Nous ne pouvons pas manquer le train de l’Histoire. Or cette stratégie suppose un certain nombre de conditions et de réorientations majeures de nos politiques publiques.

Premièrement, notre pays doit au préalable se doter d’une véritable culture industrielle.

La crise financière et bancaire de 2008 a, certes, mis à mal les ressorts d’une idéologie fondée sur la spéculation et les profits immédiats, mais elle n’a pas pour autant permis de faire prendre conscience de l’intérêt à orienter l’appareil économique et éducatif tout entier en direction de l’industrie.

Nous n’avons pas définitivement tourné le dos à cette idéologie de l’économie post-industrielle.

Cette culture industrielle doit en effet irriguer tous les pans de notre société, toutes les générations, alimenter les plus petites décisions économiques, sociétales et fiscales. Elle doit résister aux coupes claires budgétaires. Elle doit s’appuyer sur une politique fiscale qui privilégie l’appareil productif plutôt que la spéculation.

Force est de constater que, là encore, nous n’en prenons pas le chemin. Nous appelons à un plan de communication de grande ampleur en faveur de l’industrie.

Deuxièmement, et ce n’est pas la moindre des conditions, nos politiques publiques doivent impérativement rééquilibrer leurs modes d’intervention en faveur des PME et des TPE, souvent les oubliées des politiques publiques.

Nous proposons de rééquilibrer la fiscalité en faveur des petites et moyennes entreprises, en particulier celles qui font le pari de l’investissement et de l’innovation. Est-il en effet normal qu’une entreprise comme Total paie un impôt sur les sociétés inexistant, alors que des PME désireuses d’investir, innovantes, paient le tarif maximum ?

C’est incroyable et pourtant c’est vrai. Voilà comment le système fonctionne !

Aujourd’hui, la politique industrielle du pays est complètement tournée vers le soutien aux groupes du CAC 40. Je le répète : les PME et les TPE sont les grandes oubliées de cette politique.

Nous souhaitons promouvoir un impôt sur les sociétés modulé en fonction des investissements réalisés. Il n’est pas possible de continuer à avoir deux poids deux mesures concernant l’impôt sur les sociétés : c’est injuste et surtout totalement inefficace. C’est pourquoi nous proposons un système de bonus-malus : bonus pour les entreprises qui investissent dans l’outil de travail, dans la production ; malus pour celles qui investissent dans la bourse et dans la spéculation financière.

Sans rééquilibrage de la fiscalité, toute politique industrielle est vouée à l’échec !

Il n’y a pas d’industrie sans invention, pas d’industrie sans innovation, pas industrie sans investissement. Ces trois « i » sont fondamentaux. Or l’industrie française souffre indéniablement d’un déficit chronique d’investissement comme de réinvestissement qui nuit à sa compétitivité et qui contribue directement à la désindustrialisation. C’est là, et pas ailleurs, que se trouvent l’origine et les causes profondes de la désindustrialisation. Sinon, comment expliquer que, avec un coût du travail équivalent et un taux de recherche privée comme un niveau d’investissement deux fois supérieurs au nôtre, l’Allemagne profite d’une telle avance de compétitivité ?

Nous voulons non pas opposer les PME aux grands groupes, mais au contraire jeter les bases d’un nouveau partenariat, plus équilibré, dans le cadre de contrats de filière ou de contrats industriels territoriaux.

Je considère, pour ma part, comme un objectif prioritaire de susciter la création dans les délais les plus rapprochés d’un grand nombre de petites et moyennes entreprises, et ce dans tous les territoires, travaillant en réseau, avec des chercheurs, des pôles universitaires spécialisés, des financeurs potentiels.

Une étude parue aujourd’hui dans La Tribune établit que seuls 7 % des patrons de PME estiment possible que leur société devienne une entreprise de taille intermédiaire.

Troisièmement, nous ne réindustrialiserons pas si nous ne procédons pas à une nouvelle étape de la décentralisation.

Nous devons donner aux régions pleine compétence dans ce domaine. Les collectivités territoriales ont été, aux côtés de l’État, des remparts essentiels, y compris financiers, pour empêcher les fermetures d’usines. Elles ont également permis la reprise d’entreprises dans les meilleures conditions possibles et favoriser l’implantation d’autres.

Il s’agit aujourd’hui d’en faire les têtes de pont de la réindustrialisation, qui se concentreraient sur le soutien de l’innovation dans les territoires. Nous trouvons logique de nous situer au plus près des dynamiques territoriales existantes, afin de permettre leur développement.

Nous proposons de créer des fonds régionaux d’investissement qui pourraient être alimentés par un produit d’épargne industriel et qui soutiendraient directement les PME en réseau.

Nous sommes surtout très attentifs à ce que les collectivités concernées disposent des moyens financiers et institutionnels suffisants pour mener à bien ces nouvelles missions. Nous jugeons en effet particulièrement dangereux que des territoires très industrialisés ayant la responsabilité de faire vivre des écosystèmes industriels se soient vu appliquer une contribution économique territoriale – CET – qui leur soit aussi défavorable.

Quatrièmement, nous devrons sans nul doute revoir de fond en comble les aides publiques consacrées à l’industrie.

Ces aides sont capitales, notamment parce que les banques, malgré les sommes colossales engagées par l’État pour les sauver et malgré les prêts consentis, ne font pas du financement des projets industriels une priorité.

Or il est clairement apparu, lors de nos auditions et de nos déplacements, que ces aides n’étaient ni transparentes, ni conditionnées à des objectifs d’investissement, d’emploi, d’environnement, et étaient parfois inaccessibles aux PME et aux TPE. Est-il normal que certaines entreprises ayant perçu des aides publiques importantes se délocalisent sans être contraintes de rembourser ces aides, comme cela s’est produit à plusieurs reprises ?

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons vivement la création d’un pôle de garantie et d’investissement public, territorialisé et refondé. Ce pôle ne prendrait pas la place des banques, mais permettrait de mutualiser des risques au service de l’innovation et favoriserait la levée de fonds.

Je conclurai sur la politique européenne.

La politique industrielle et énergétique européenne est, à ce jour, inexistante. Cette situation est paradoxale si l’on se souvient que la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la CECA, était le fondement même de la politique européenne. Nous sommes aujourd’hui en proie à une politique de la concurrence anti-industrielle, qui s’est manifestée notamment par l’adoption de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, qui est une aberration économique en France autant qu’un coup de poignard pour certaines de nos industries – je pense notamment aux industries électro-intensives.

Nous souffrons de l’absence d’une politique européenne qui permette de promouvoir un modèle de production écologique et social de haute qualité, mais aussi d’engager de grandes politiques publiques.

Nous ne croyons pas qu’il faille seulement jeter les bases d’une politique industrielle énergétique européenne ; il faut aussi « réimpulser » une Europe qui est aujourd’hui à l’arrêt par une politique industrielle et énergétique commune.

Ainsi, la coordination des politiques fiscales est une urgence : il existe vingt-sept impôts sur les sociétés différents en Europe. Le marché et la concurrence ne sont pas une politique industrielle. La taxe carbone et sociale européenne doit être une priorité pour protéger à la fois nos marchés, nos entreprises et nos économies, mais aussi soutenir concrètement la reconversion écologique de nos sociétés.

Cette mission se termine, chers collègues, mais ce n’est en rien la fin de l’engagement du groupe socialiste pour l’industrie. Sur la base de la contribution que nous avons souhaité adjoindre au rapport, nous interviendrons dans le débat sur différents points : la réforme fiscale, la clause de revoyure de la taxe professionnelle, les compétences des collectivités territoriales.

Nous appelons aussi à une transposition et à un débat rapide sur le Small Business Act et la taxe carbone européenne. Nous déposerons certainement une ou plusieurs propositions de loi rassemblant nos propositions.

Jean Monnet, grand artisan de la politique industrielle européenne, indiquait : « Ce qui est important, ce n’est ni d’être optimiste, ni pessimiste, mais d’être déterminé. » Nous sommes déterminés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)