M. Jean-Claude Carle. C’était pire avant !

M. Jean-Louis Carrère. Je me contenterai de quelques exemples : les recettes exceptionnelles qui manquent au rendez-vous budgétaire, le trou de plusieurs milliards d’euros – 10 ou 15 milliards ? – dans la programmation militaire précédente, le coût du nouvel immeuble du Pentagone français toujours mal calibré, les bases de défense au nombre et au financement si élastiques, sans parler des derniers budgets, qui sont, selon moi, peu fiables en raison de leur manque de sincérité.

Par conséquent, monsieur le ministre, quand vous affirmez aujourd’hui que cela permettra de réaliser des économies et que ces dernières reviendront à la défense, permettez-moi d’être pour le moins sceptique, voire quelque peu méfiant !

Laissons ces économies virtuelles de côté, tout en espérant qu’elles seront au rendez-vous de nos finances dans quelques années. De mon point de vue, elles ne représentent pas un argument déterminant en faveur du projet.

Pour moi, l’argument important et concluant est qu’il s’agit, avec la mise en place du programme EPURE, de garantir la subsistance de notre dissuasion nucléaire au niveau de stricte suffisance définie naguère par le président François Mitterrand. En lisant le projet de loi et l’étude d’impact qui l’accompagne, j’en conclus que, manifestement, il ne nous était plus possible, à l’horizon 2030, de parvenir seuls à garantir son maintien, d’où la nécessité de cette alliance.

C’est en quelque sorte un constat de faiblesse, un pari sur l’avenir et une réorientation stratégique.

C’est d’abord un constat de faiblesse : ce que nous faisions seuls hier, vous concédez que nous ne pourrons plus, seuls, le faire demain ou après-demain.

C’est ensuite un pari sur l’avenir, parce que cela présuppose que nos amis Britanniques resteront encore longtemps attachés au développement plus au moins autonome de leur force nucléaire. On peut s’interroger. Mais, monsieur le ministre, les Britanniques vous ont peut-être déjà rassuré à ce sujet et vous allez pouvoir nous apporter des réponses sur ce point. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre en écoutant les propos du rapporteur.

C’est enfin une réorientation stratégique qui donne la priorité aux alliances bilatérales plutôt qu’à une défense européenne commune et qui s’ajoute à la nouvelle orientation traduite par le retour dans le commandement intégré de l’OTAN : voilà qui me semble quelque peu préoccupant !

Par ailleurs, nous savons tous que la Grande-Bretagne est très dépendante des États-Unis pour le nucléaire militaire. Cela n’aura-t-il pas des conséquences sur notre propre autonomie en la matière ? Allons-nous vers un partenariat nucléaire élargi ? Monsieur le ministre, vous avez certainement des assurances. Pour notre part, nous nous posons vraiment des questions.

Sur le plan technique, le traité sur l’installation commune EPURE nous semble un bon projet. Au regard de l’état de nos finances, nous pouvons dire que, si nous souhaitons le maintien d’une force nucléaire de dissuasion efficace et crédible, nous n’avons pas véritablement le choix. Nous voterons donc ce texte.

En effet, la France et le Royaume-Uni doivent également garantir ces armes sans essais nucléaires, car nos deux pays ont signé le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, ce dont nous nous félicitons.

Ce traité, qui interdit tous les essais nucléaires quels que soient leur puissance et le milieu dans lequel ils sont réalisés, offre la possibilité de procéder à des méthodes expérimentales. Les installations comprises dans le traité dont le projet de loi autorise la ratification s’inscrivent dans ce cadre.

Ainsi, cet accord qui rend viable le programme EPURE apparaît comme vital pour le maintien de notre dissuasion nucléaire. Nous ne voulons pas perdre des capacités militaires significatives, nécessaires à notre défense et à celle de l’Europe.

Cet aspect l’emporte aujourd’hui, à l’heure du vote du projet de loi. En revanche, nous ne pouvons pas vous donner quitus sur tous les aspects politiques et stratégiques d’un accord avec les Britanniques, dont les conséquences à long terme sur notre autonomie n’ont pas encore été clairement explicitées par le Gouvernement.

Selon moi, le débat doit se poursuivre. À vrai dire, il ne fait que commencer !

M. le président. La parole est à M. Jean Milhau. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Jean Milhau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lors d’une intervention à l’université de Zurich, le 19 septembre 1946, Winston Churchill clôtura son discours en proclamant : « En avant l’Europe ! »

En ce qui me concerne, mes chers collègues, je crois en une Europe ambitieuse, forte de ses valeurs et unie dans la diversité. Je crois en une Europe cohérente et respectueuse des droits et libertés fondamentales. Enfin, je crois en une Europe innovante, qui favorise le progrès économique et la justice sociale.

Cet ambitieux projet ne peut toutefois se soustraire à la construction d’une politique européenne de sécurité et de défense plus sûre et plus fiable. Il en va aussi de la crédibilité de cette Europe que nous souhaitons. À cet effet, nous sommes aujourd’hui tous conscients de l’importance que revêt la coopération franco-britannique dans le domaine militaire, avec pour objectif la consolidation de la paix.

L’entente cordiale entre la France et la Grande-Bretagne est ainsi devenue, selon l’ancien Premier ministre britannique Gordon Brown, une « entente formidable » à l’origine d’un véritable élan pour l’Europe.

De la première rencontre entre Churchill et le général de Gaulle le 17 juin 1940 au sommet franco-britannique de Saint-Malo des 3 et 4 décembre 1998, en passant par la naissance de l’OTAN en 1949, les deux États ont toujours su démontrer leur efficacité politique et sont ainsi devenus des partenaires privilégiés.

Le 31e sommet franco-britannique du 2 novembre 2010 s’inscrit par conséquent dans la volonté naturelle des deux États de prolonger et concrétiser leur coopération. La conclusion du traité de défense et de sécurité est destinée à approfondir, dans le long terme, la collaboration bilatérale entre les forces armées de nos deux pays en renouvelant la confiance mutuelle qui nous anime. Il a notamment été prévu un déploiement conjoint, un partage et une mutualisation de matériels et d’équipements, une construction d’installations communes ainsi qu’une coopération industrielle et technologique.

Une première illustration concrète dans le domaine des technologies liées aux arsenaux nucléaires a vu le jour avec la signature du traité relatif aux installations radiographiques et hydrodynamiques communes dont nous discutons aujourd’hui.

Mes chers collègues, le traité a pour assise principale le domaine de la dissuasion nucléaire. Il permet, à terme, une coopération franco-britannique diversifiée dans un nombre de domaines présentant un intérêt majeur pour l’un et l’autre pays.

Tout d’abord, les techniques de simulation permettant de garantir la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires vont être perfectionnées. L’objectif est de construire et d’exploiter conjointement une installation de physique expérimentale. L’installation commune, EPURE, sera réalisée au centre du CEA de Valduc, en Côte-d’Or.

La construction d’EPURE sera achevée en 2022. La France s’engage à garantir l’accès du Royaume-Uni au site pendant une durée de cinquante ans. Dans un souci d’économie permanent que le budget de la défense éprouve quotidiennement, les deux pays ont décidé de partager équitablement les coûts de construction et d’exploitation.

Il convient, par ailleurs, de souligner qu’aucune arme ne sera mise au point. Sur cet élément, le traité comporte une série de dispositions très précises sur les règles applicables en matière de sûreté, de gestion des déchets ou de mise en œuvre de la responsabilité.

Ces stipulations préventives sont particulièrement importantes dans le contexte mondial actuel. En effet, nous avons tous assisté avec effroi à la catastrophe naturelle survenue au Japon le 11 mars dernier. Le séisme puis le tsunami ont provoqué un accident nucléaire qui a soulevé une vive inquiétude chez nos concitoyens quant à la place de cette énergie sur le territoire national. Je tiens à rappeler que les deux États ont signé, en 1996, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires.

Cette coopération se déroulera donc en toute transparence, dans le respect de la souveraineté nucléaire des deux pays. Ainsi, toute explosion expérimentale d’armes nucléaires ou toute autre explosion nucléaire est interdite. Aucun dégagement d’énergie nucléaire ne doit être produit dans le cadre des expériences menées.

En outre, l’exploitation du site créera un climat de confiance entre les équipes de scientifiques et les experts, lequel sera propice à l’émulation. Nous ne pouvons que nous réjouir de l’exceptionnel degré de confiance obtenu entre les deux pays dans un domaine aussi sensible et symbolique que le nucléaire militaire.

Enfin, cette coopération en matière de défense comporte une dimension politique majeure. Elle s’effectuera dans le plein respect de la souveraineté de chaque État, dans un domaine où le Royaume-Uni entretenait historiquement une relation privilégiée avec les États-Unis.

Elle démontre également la volonté de nos deux pays de garantir la crédibilité de leur dissuasion. Les deux États présentent en effet en la matière une grande proximité de postures et de doctrine, qui a justifié leurs positions similaires, en mai 2010, lors du débat de la conférence d’examen du traité sur la non-prolifération.

Mes chers collègues, l’objectif de désarmement nucléaire ne peut être dissocié d’une lutte plus efficace contre la prolifération, d’une part, et de progrès tangibles permettant d’instaurer un environnement international plus sûr, d’autre part. Malheureusement, l’actualité nous rappelle que le chemin est encore long !

C’est pourquoi les membres du groupe du RDSE approuveront ce projet de loi, dont l’adoption permettra la ratification de cet important traité franco-britannique. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez tout d’abord de féliciter notre collègue Xavier Pintat de son rapport sur ce sujet qui est non seulement technique, mais également politique. Ce projet de loi s’inscrit en effet dans la logique politique de Saint-Malo, renforcée en novembre dernier par les accords de Londres.

Je souhaite également remercier M. le président de la commission des affaires étrangères, Josselin de Rohan, tant pour son action que son engagement personnel lors du 31e sommet franco-britannique, qui a abouti à deux traités de coopération en matière de défense et de sécurité entre nos pays. (M. Robert del Picchia applaudit.)

Dernière oratrice de la discussion générale sur ce projet de loi, « last but not least », pour reprendre une expression de nos amis anglais, je ne reviendrai pas sur le fond du volet technologique relatif aux installations radiographiques et hydrodynamiques. Mon excellent collègue et rapporteur Xavier Pintat s’est brillamment livré à cet exercice. Afin d’éviter toute redite, je concentrerai mon propos sur quelques points qui me tiennent particulièrement à cœur.

Douze ans après le sommet de Saint-Malo, malgré les idées reçues, malgré un environnement fortement marqué par l’euroscepticisme, y compris en matière de défense, ce sommet a démontré que l’Europe de la défense avançait et qu’elle devenait une réalité.

Ces accords interviennent dans un contexte de grave crise économique. Or nous le savons, dans un tel contexte, ce sont souvent les programmes d’armement et d’équipement qui sont les premières victimes des rabots budgétaires. À l’occasion de la dernière réunion de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN à La Haye, j’ai pu prendre la pleine mesure de ces réductions budgétaires, qui sont drastiques chez certains de nos partenaires. Nos hôtes néerlandais nous ont annoncé un milliard d’euros d’économies d’ici à 2014, dans le cadre d’une réduction considérable de leur flotte de F 16 AMBM et d’hélicoptères Cougar, ainsi que du retrait de quatre-vingts chars de combat Leopard.

Pour une fois, nous pouvons nous féliciter : ces accords de défense démontrent que la crise économique peut être un catalyseur permettant aux Européens non seulement de travailler ensemble, mais aussi de rebondir et de faire avancer la défense européenne.

D’ailleurs, il est heureux de constater la reprise par le nouveau gouvernement conservateur de David Cameron d’une feuille de route initiée par le Livre vert adopté précédemment par le gouvernement travailliste. Cette constance est exemplaire et responsable.

Une telle cohérence ne peut qu’être bénéfique aux industries de la défense, qui constituent, on le sait, de véritables leviers pour la société civile, grâce aux retombées économiques, mais aussi pour le monde de la recherche.

La stabilité en matière de loi de programmation militaire est un véritable garant face au risque de décrochage technologique et capacitaire. À l’heure où la France est engagée avec le Royaume-Uni dans bon nombre de processus de résolution de crises, cette remarque est d’autant plus vraie. Je pense non seulement à l’Afghanistan et à la Libye, mais aussi à la lutte contre la piraterie en mer, avec l’opération Atalante.

Le 3le sommet franco-britannique a aussi impulsé une dynamique de coopération parlementaire entre nos deux pays ; il se traduit par la ratification de deux traités.

À l’invitation du Président de la République, les présidents des commissions des affaires étrangères de nos deux assemblées se sont rendus à Londres, où ils ont pu échanger avec leurs homologues de la Chambre des Communes et de la Chambre des Lords et jeter les bases d’une véritable collaboration.

Sachons en convenir, c’est aussi la démonstration d’un renforcement du rôle des parlementaires, qui va au-delà du seul contrôle. Les parlementaires ont été associés en amont, il me paraît important de le souligner. En tant qu’élue des Français établis hors de France, membre du Conseil franco-britannique et secrétaire national de l’UMP aux relations franco-britanniques, je ne peux que me réjouir du renouveau de ce partenariat « bicaméral » entre nos deux pays.

Le traité qui nous occupe ce soir a pour objectif d’instaurer une coopération en matière de technologies relatives à la gestion des arsenaux nucléaires, afin de garantir nos capacités respectives de dissuasion nucléaire. Comme l’a très bien rappelé le président Josselin de Rohan en commission, ces accords sont aujourd’hui possibles grâce au retour de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN.

Rappelons-le, à elles seules, la Grande-Bretagne et la France prennent en charge 50 % des dépenses de défense des vingt-sept pays de l’Union et les deux tiers des dépenses en recherche et développement. Les deux puissances militaires européennes sont animées par la même volonté de réformer les structures de l’OTAN.

Ces accords mettent fin à l’idée selon laquelle l’Europe et l’OTAN seraient d’immuables concurrents. En d’autres termes, ils sont des porte-voix d’une Europe ambitieuse, efficace et active au sein de l’OTAN.

M. Jean-Louis Carrère. C’est complètement faux !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Plus encore qu’un leadership, la France et la Grande Bretagne créent une émulation. Les traités bilatéraux qui découlent du sommet de Londres ne sont pas « fermés ». L’Italie et l’Allemagne peuvent rejoindre cette coopération, dans la mesure où le choix de leur politique nationale leur en laisse la liberté.

Nous savons que le sujet des armes nucléaires ne présente pas, en Allemagne, les mêmes enjeux. Mais l’Union européenne est également riche de ses différences, l’essentiel étant de parvenir à les articuler sans qu’elles deviennent une entrave pour certains partenaires européens. Certes, l’Allemagne privilégie une défense antimissile, mais le dialogue reste ouvert.

Pour la France et le Royaume-Uni, qui sont deux puissances nucléaires, cette coopération instaure une interdépendance qui respecte la souveraineté de chacun. Il s’agit là d’une mutualisation des technologies qui n’altère pas nos capacités de dissuasion nucléaire respectives. La France et le Royaume-Uni sont en adéquation avec le nouveau concept stratégique de l’OTAN. Nos forces nucléaires participent pleinement à une dissuasion globale qui fonde le socle de défense collective.

M. Jean-Louis Carrère. Vous parlez au présent, mais tout cela, c’est du futur !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cette convergence de politique est, à mon sens, primordiale et très encourageante pour l’essor d’une véritable défense européenne.

Concrètement, outre la relance des relations entre nos deux pays, cette coopération permettra à la fois l’utilisation conjointe des installations communes de Valduc, où devra être modélisée la performance de nos têtes nucléaires et des équipements associés, et l’installation du futur centre de développement technologique d’Aldermaston au Royaume-Uni.

Pour moi, ce partage des savoirs et l’utilisation commune des moyens durant cinquante ans sont aussi un gage concret et à long terme, pour cinquante ans, d’une plus grande sécurité et sûreté. Par ailleurs, en ces temps difficiles, ne négligeons pas l’économie, pour la France, de 500 millions d’euros, qui résultera de la répartition des coûts.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera en faveur de la ratification de ce texte, lequel apporte un nouveau souffle à la politique européenne de sécurité et de défense qui se construit chaque jour.

Enfin, en tant que parlementaire, je me réjouis tout particulièrement de la mise en place d’un groupe de travail, afin de suivre les évolutions de ce traité, notamment en termes financiers. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, mes chers collèges, dans la mesure où les précédents orateurs ont dit des choses infiniment justes, je souhaite simplement répondre à ceux de nos collègues qui considèrent que cet accord marque, au fond, la fin de la politique européenne de sécurité et de défense.

Tout d’abord, une telle politique doit être voulue par tout le monde. Or, Joëlle Garriaud-Maylam l’a très bien dit, lorsqu’on considère la part de la France et de la Grande-Bretagne dans les dépenses militaires des pays de l’OTAN, on s’aperçoit qu’ils sont les deux contributeurs les plus importants, après les États-Unis. Si les choses continuent ainsi, nos deux pays assureront d’ici à moins de dix ans près de 65 % des dépenses de défense au sein de l’Union européenne.

Que faut-il en conclure, cher Jean-Louis Carrère ? Que l’un des principaux pays de l’Union européenne, celui qui possède l’économie la plus puissante et souhaite se doter d’une industrie de défense, ne consacre pas une part suffisante de son PIB à ce secteur pour se situer au même niveau que la France et la Grande-Bretagne.

M. Jean-Louis Carrère. Nous sommes d’accord !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Pour tout vous dire, c’est l’un des obstacles à la création d’une politique européenne de sécurité et de défense. Si l’Allemagne avait la volonté d’y participer, cela changerait complètement la donne : nous disposerions d’une base industrielle beaucoup plus puissante, compte tenu de ce que l’Allemagne peut mettre dans la corbeille. Cela montrerait également que ce pays a réellement la volonté de se défendre.

Or quelle est la conséquence de l’attitude allemande ? Au sein de l’OTAN, ce sont les États-Unis, si la France et la Grande-Bretagne ne mutualisent pas leurs efforts, qui donneront en permanence le ton. Nous souhaitons participer à la défense antimissile balistique. Mais si on avait écouté les Allemands, les États-Unis auraient, seuls, mis en place cette défense au sein de l’OTAN : on imagine la vulnérabilité qui serait la nôtre, puisque nous dépendrions totalement, en la matière, des États-Unis.

Une telle situation serait particulièrement dangereuse, car nous ne savons pas si l’Europe continuera de constituer, aux yeux des États-Unis, un enjeu ou une zone considérée comme prioritaire en matière de défense. Regardez en effet dans quelle direction ce pays s’engage aujourd’hui : il se tourne vers l’Asie.

Je dois le dire, l’attitude allemande en la matière est très décevante, d’autant que ce pays n’est guère favorable à la dissuasion. Le fait que la Grande-Bretagne et la France partagent la même vision en matière nucléaire a incité l’OTAN à considérer que la dissuasion continuait à faire partie de son concept stratégique. Notre alliance, sur ce plan, est extrêmement positive.

Vous vous interrogiez, monsieur Carrère, sur notre stratégie : c’est bien celle que je viens de décrire. Si nous voulons maintenir notre crédibilité et notre autonomie au sein de l’OTAN, il faut que nous puissions nous appuyer sur une puissance qui possède la même volonté que nous. Tel est le cas de la Grande-Bretagne, qui possède une défense atomique crédible.

À mes yeux, la question qui se pose est celle de savoir s’il existera un jour une politique européenne de sécurité et de défense commune. Ce traité n’empêche pas l’émergence d’une telle politique : du jour au lendemain, les pays de l’Union européenne peuvent décider de rejoindre, non pas le dispositif nucléaire – la France et le Royaume-Uni sont les deux seules nations nucléaires –, mais l’ensemble de la coopération initiée par le traité de Londres. Cette coopération est ouverte à qui le veut ; encore faudrait-il que nos partenaires manifestent leur volonté en ce sens !

Pour ma part, je ne crois pas qu’il y ait, sur le plan des principes, une opposition fondamentale entre le traité franco-britannique et la politique européenne de sécurité et de défense commune.

Je le répète, la porte est ouverte à qui veut bien entrer, mais, pour appartenir au club, il faut avoir la volonté de se défendre. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Daniel Marsin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Wauquiez, ministre. Monsieur le président, je crois que notre débat, très nourri, a permis de bien mettre en perspective les enjeux de ce texte.

Je tiens d’abord à remercier M. le rapporteur d’avoir bien exposé l’enjeu stratégique, qui découle du changement d’approche auquel a procédé le Royaume-Uni en signant ce traité : il consiste à revenir vers une alliance européenne avec la France, alors qu’ils sont, traditionnellement, des alliés des États-Unis.

Il s’agit là, pour nous, du point d’aboutissement de notre changement de politique à l’égard de l’OTAN. Nous sommes partis du principe que ce nouveau cadre permettrait de développer la coopération bilatérale, notamment avec le Royaume-Uni. Ce traité en est la première illustration.

Au sujet des inquiétudes que vous avez soulevées, madame Demessine, je veux souligner que le projet EPURE permet de maintenir une stricte indépendance des dissuasions française et britannique.

Sur ce point, la différence d’approche entre votre intervention et celle de M. Carrère était perceptible : croire à la possibilité de mettre en place une politique européenne de défense, c’est croire à la possibilité de mettre en place des coopérations qui préservent notre indépendance. Telle est, me semble-t-il, la voie que montre ce traité.

Si l’on adopte une conception purement nationaliste, restrictive, en considérant que tout partenariat entraîne nécessairement l’affaiblissement de notre indépendance et de notre autonomie, il n’y a pas de place pour une coopération en matière de défense. Ce n’est évidemment pas, vous l’avez compris, le choix que nous privilégions.

Monsieur Carrère, je tiens à vous assurer que je vous ai écouté avec toute l’attention que vous méritez, notamment lorsque vous avez soulevé trois interrogations auxquelles le président de Rohan a en partie répondu.

Tout d’abord, je vous confirme que la démarche que nous adoptons est pragmatique. Par rapport aux accords précédents, notre but est que cette dernière se traduise par des réalisations concrètes et rapides. Vous avez vous-même reconnu, en faisant preuve d’une objectivité dont je vous remercie, que ce traité en représentait une première illustration et que, de ce point de vue, il était satisfaisant.

Ensuite, nous concevons la coopération avec le Royaume-Uni comme devant créer une force d’entraînement nous permettant d’aboutir progressivement à une logique européenne. C’est bien à cela que nous croyons. Si nous voulions basculer d’un seul coup dans une politique européenne de défense, cela ne marcherait pas ! Nous avons donc besoin d’une force d’entraînement : cela passe par une première étape, la coopération avec le Royaume-Uni.

Dans le même temps, nous travaillons, comme le président Josselin de Rohan l’a très bien souligné, dans le cadre du triangle de Weimar, à la relance d’une approche coordonnée entre l’Allemagne, la Pologne et la France.

Enfin, vous l’avez vous-même souligné, il s’agit non pas d’un aveu de faiblesse, mais d’une volonté de préserver une véritable ambition en matière de politique de défense, tout en tenant compte des impératifs d’économie – même si j’ai entendu les avertissements que vous m’avez adressés.

Je me réjouis du vote favorable de votre groupe.

Je vous remercie, monsieur Milhaud, d’avoir resitué notre débat dans une dimension historique. Lorsque Winston Churchill évoquait la défense européenne, il entendait surtout que le Royaume-Uni lui reste bien extérieur… (Sourires.) Heureusement, nous avons tout de même quelque peu progressé depuis lors !

Vous avez souligné, avec une grande justesse, le partage équitable des coûts, qui constitue effectivement l’une des clés d’une coopération juste et équilibrée entre nos deux pays.

Je vous remercie, madame Garriaud-Maylam, d’avoir souligné notre volonté constante, qui répond au souhait du Président de la République, de mieux associer les parlementaires à la politique étrangère. La révision de nos accords de défense sur le continent africain en avait déjà fourni une illustration.

Je ne peux que m’associer aux félicitations nourries que vous avez adressées au rapporteur, ainsi qu’au président de Rohan, qui pourrait presque trouver là un billet d’entrée pour la Chambre des Lords… (Nouveaux sourires.)

Au total, cet accord est, me semble-t-il, pragmatique ; il constitue une première illustration importante de ce que peut apporter une coopération en matière de défense. Il est vrai que cette dernière repose sur un pari : celui de parvenir à créer une force d’entraînement et à la transposer à l’échelle plus globale d’une politique européenne de défense. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique.