M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la consolidation de l’Europe politique et démocratique constitue une ardente nécessité si l’on en juge par le taux d’abstention aux élections européennes, qui ne cesse d’augmenter depuis 1979 en France et dans les pays d’Europe.

C’est pour répondre à ce défi que les États européens ont voulu donner, à Lisbonne, une nouvelle impulsion politique, fondée sur le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, seule institution européenne élue, et sur une répartition plus juste des effectifs des représentants des vingt-sept pays membres de l’Union. La France se voit ainsi dotée de deux représentants supplémentaires.

C’est dans ce cadre que j’ai l’honneur de vous présenter les deux projets de loi, adoptés par l’Assemblée nationale le 5 avril dernier, qui mettent en œuvre cette nouvelle répartition

Le premier projet de loi autorise la ratification du protocole adopté par la conférence intergouvernementale du 23 juin 2010 qui prévoit des mesures transitoires nécessaires pour augmenter, jusqu’au terme de la législature 2009-2014, le nombre des membres du Parlement européen.

Ensuite, le projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen a un double objectif : fixer les modalités de l’élection des deux représentants français supplémentaires au Parlement européen ; redonner aux Français établis à l’étranger la possibilité de voter, depuis les consulats, aux élections européennes.

Premièrement, la ratification du protocole permet à chaque État membre concerné de pourvoir ces sièges supplémentaires en attendant les prochaines élections.

Le traité de Lisbonne a fixé à 750 membres, plus le président, les effectifs du Parlement européen. Il a ainsi attribué dix-huit sièges supplémentaires au Parlement européen à douze États, dont deux à la France.

Mais il n’est entré en vigueur que le 1er décembre 2009, soit six mois après les élections au Parlement européen de juin 2009. Ces élections ont donc désigné 72 députés européens, et non les 74 prévus par le traité de Lisbonne.

Au lendemain des élections européennes, le Conseil européen des 18 et 19 juin 2009 a précisé les mesures transitoires nécessaires pour augmenter, jusqu’au terme de la législature 2009-2014, le nombre des membres du Parlement européen.

Un an après, la conférence intergouvernementale du 23 juin 2010 a formellement approuvé le protocole actant ces dispositions transitoires.

Pour permettre l’entrée en vigueur de ce protocole, la France doit adopter le projet de loi autorisant sa ratification, soumis à l’examen de votre commission des affaires étrangères après avoir été adopté sans modification par les députés.

Comme le rappelle votre rapporteur, le protocole sur les mesures transitoires offre aux douze États membres concernés trois options pour désigner leurs eurodéputés supplémentaires respectifs : l’organisation d’élections spécifiques au suffrage universel direct pour deux députés ; le recours aux résultats des élections européennes de juin 2009 ; la désignation par leur parlement national, en son sein, du nombre de députés requis, « pour autant que les personnes en question aient été élues au suffrage universel direct ». C’est cette dernière solution qu’a choisie le gouvernement français. J’y reviendrai dans un instant.

Quel est, à ce jour, l’état du processus de ratification ?

Sur les vingt-sept États membres de l’Union, dix-sept ont achevé leur procédure, quatre parlements nationaux ont ratifié le protocole, sans que les États aient déposé leurs instruments de ratification ; six États membres, dont la France, n’ont pas encore achevé leur procédure.

Le terme du processus de ratification se rapproche donc, mais il serait aléatoire de fixer une date précise. Certaines incertitudes persistent en effet sur les procédures de ratification dans certains États membres.

En tout état de cause, contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, la France n’est pas en retard. Elle n’est pas non plus cause du retard pris dans l’entrée en vigueur du protocole.

Le vote du Sénat aujourd’hui permettra de mettre la France en accord avec ses engagements internationaux.

Deuxièmement, les modalités de désignation des deux députés européens français supplémentaires choisies par le gouvernement français constituent une réponse pragmatique à une situation transitoire, réponse conforme au droit européen, validée par le Conseil d’État et approuvée par votre commission des lois le 27 avril dernier.

L’Assemblée nationale est appelée à élire en son sein les deux eurodéputés supplémentaires à la représentation proportionnelle sur la base de listes paritaires comprenant quatre candidats.

Cette modalité de désignation présente bon nombre d’avantages : la simplicité, la rapidité, la qualité d’une représentation par des parlementaires déjà élus au suffrage universel direct, sans oublier son faible coût.

Les deux autres options présentaient à nos yeux des inconvénients plus difficiles à surmonter.

La désignation rétroactive sur la base des élections européennes de juin 2009 a été écartée pour deux raisons.

Elle l’a été tout d’abord pour une difficulté d’ordre constitutionnel : la loi serait venue affirmer a posteriori que deux personnes n’ayant pas été déclarées élues au soir des élections devraient désormais être considérées comme l’ayant été. Il y aurait eu là une forte atteinte au principe de sincérité du scrutin.

Elle a été ensuite écartée pour une difficulté d’ordre technique : nos règles électorales nous imposent de toujours répartir les sièges en fonction des derniers chiffres disponibles à la date de l’élection. Il y aurait donc, en fonction du choix de la population de référence – 2006, 2007 ou 2008 – une influence sur le résultat final, les résultats obtenus différant selon les années.

Face à ces risques, le Gouvernement a préféré choisir une solution plus sûre sur le plan juridique.

La troisième option aurait été l’organisation d’une élection partielle. Même organisée au niveau de deux grandes circonscriptions régionales, cette opération aurait eu un coût considérable. C’est la raison pour laquelle cette solution a été écartée.

Au terme de cette situation provisoire, c’est-à-dire en 2014, les deux sièges se fondront dans les 74 qui sont à pourvoir, répartis entre les huit circonscriptions en fonction de leur population authentifiée à la fin de 2013.

Le projet de loi qui vous est soumis répond certes à une situation ponctuelle et transitoire, mais il résout aussi un problème plus structurel lié à la participation des Français établis hors de France aux élections européennes.

Troisièmement, la participation des Français établis hors de France est une réponse structurelle à une problématique récurrente.

L’exercice du droit de vote des Français établis hors de France est une préoccupation permanente et partagée. Nous en avons débattu récemment pour l’élection des députés représentant les Français établis hors de France.

Jusqu’en 2003, les Français établis à l’étranger pouvaient, comme pour l’élection du Président de la République et pour les référendums, voter dans les centres de vote consulaires pour les élections européennes, puisque celles-ci avaient lieu dans le cadre d’une liste nationale.

En rapprochant les électeurs des députés européens grâce à la création des huit circonscriptions interrégionales, la loi du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen leur a supprimé cette possibilité. Seuls les électeurs résidant dans un pays de l’Union ou inscrits sur une liste électorale en France pouvaient voter, les premiers pour des listes présentées dans leur pays de résidence, les autres pour des listes présentées dans leur circonscription régionale de rattachement. Ces deux possibilités étant peu utilisées, la participation des Français établis hors de France a été très limitée aux élections européennes de 2004 et de 2009.

De plus, sur quelque 1,4 million de Français établis à l’étranger, environ 330 000 électeurs ne pouvaient pas du tout prendre part à l’élection des représentants au Parlement européen, car ils résidaient hors de l’Union européenne et n’étaient pas inscrits sur une liste électorale en France.

L’assemblée des Français de l’étranger a très vivement souhaité revenir au dispositif antérieur. Depuis 2003, plusieurs propositions de loi ont été déposées sur ce sujet, tout particulièrement par vous-même, monsieur le rapporteur, seul ou avec certains de vos collègues.

Pour répondre à cette préoccupation, qu’il fait sienne, le Gouvernement s’est également inspiré de la rédaction d’une proposition de loi des députés Thierry Mariani et Jean-Jacques Urvoas, adoptée de façon consensuelle par la commission des lois de l’Assemblée nationale, le 6 janvier 2009.

Le chapitre II du projet de loi propose en conséquence de rétablir, pour les Français établis hors de France, qu’ils résident dans un des pays de l’Union européenne ou dans un autre pays, la possibilité de voter dans les centres de vote consulaires, et il les rattache à la circonscription d’Île-de-France, laquelle a paru la plus adaptée pour les accueillir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, fidèle à ses engagements européens, la France poursuit sa marche en avant vers la construction d’une Europe politique plus forte et plus démocratique. Les deux projets de loi qui vous sont soumis aujourd’hui en sont une nouvelle démonstration. Adoptés par l’Assemblée nationale, ils confirment, confortent et mettent en œuvre nos engagements européens dans le cadre de l’impulsion politique donnée par les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’Union européenne à Lisbonne, en décembre 2007.

Je vous invite donc à vous y rallier sans réserve, comme vous le proposent vos deux commissions. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur du projet de loi autorisant la ratification du protocole modifiant le protocole sur les dispositions transitoires annexé à trois traités européens.

M. Robert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le projet de loi n° 407. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet du protocole prévu dans le projet de loi sur lequel je suis chargé de rapporter est de régler de manière transitoire une difficulté concernant la composition du Parlement, difficulté due à la non-ratification du traité de Lisbonne, laquelle a résulté du premier référendum irlandais. Les élections européennes de juin 2009, qui se sont donc déroulées sous l’empire du traité de Nice, ont conduit à l’élection de 736 députés européens, dont 72 députés pour la France.

Après le second référendum irlandais, favorable celui-là, le traité de Lisbonne est finalement entré en vigueur. Ce traité a porté le nombre maximal de députés européens à 750. Un protocole modificatif a donc été élaboré afin de corriger l’écart entre la répartition actuelle des sièges résultant du traité de Nice et celle qui est prévue en application du traité de Lisbonne.

Ce protocole prévoit d’accorder à douze États membres un certain nombre de députés européens supplémentaires, allant de un pour Malte à quatre pour l’Espagne. Il porte de 72 à 74 le nombre de députés européens dévolus à la France, qui doit donc pourvoir deux sièges supplémentaires.

M. le ministre a rappelé les trois options retenues dans le protocole pour procéder à la désignation des députés supplémentaires : une élection ad hoc, le recours aux résultats des élections européennes de 2009 ou bien la désignation par le Parlement national du nombre de députés requis, étant précisé que, quelle que soit l’option retenue, les personnes ainsi désignées doivent avoir été élues au suffrage universel direct.

Ce protocole modificatif appelle trois observations.

Tout d’abord, il existe une incertitude sur la date de son entrée en vigueur : elle est évidemment tributaire du rythme des ratifications.

Les États membres s’étaient engagés à ratifier ce protocole avant le 1er décembre 2010, mais, à ce jour, seuls dix-neuf pays sur vingt-sept ont achevé leur procédure. Dans quatre pays, dont l’Allemagne et la Pologne, le protocole a été ratifié, mais les États concernés n’ont pas encore déposé leurs instruments. En Belgique, en Grèce, en Lituanie, en Roumanie et au Royaume-Uni, la procédure de ratification parlementaire est, comme en France, toujours en cours.

Dans la plupart des pays, cette question ne soulève pas d’enjeu politique. Ce n’est cependant pas le cas au Royaume-Uni et, de ce fait, la ratification du protocole modificatif pourrait y connaître quelque retard. Peut-être serez-vous en mesure, monsieur le ministre, de nous donner des précisions sur ce point, même si, je le conçois, l’importance du retard est difficile à estimer.

M. Philippe Richert, ministre. Oh oui !

M. Robert del Picchia, rapporteur. Je m’interroge également sur l’intérêt de subordonner la désignation par la France des deux députés européens supplémentaires à l’entrée en vigueur du protocole modificatif. Ne risque-t-on pas ainsi de priver notre pays de la possibilité d’envoyer ses deux représentants pour siéger à titre d’observateurs au Parlement européen dans l’attente de l’entrée en vigueur du protocole ?

Par ailleurs, s’agissant de la mise en œuvre du protocole, la France est le seul des douze pays concernés à ne pas avoir retenu la référence aux résultats des dernières élections européennes de juin 2009 et le recours au système des suivants de liste. La solution choisie par le Gouvernement, si elle est fondée juridiquement, présente à nos yeux quelques inconvénients, dont celui d’écarter les sénateurs au profit des seuls députés, alors qu’en matière européenne les deux chambres sont placées sur un pied d’égalité.

La commission des affaires étrangères considère, comme la commission des lois, que ces « inconvénients » auraient pu être évités si la question avait été traitée avant les élections européennes de juin 2009.

Enfin, il faut bien garder à l’esprit qu’il s’agit uniquement de dispositions transitoires, applicables pour le temps restant de l’actuelle législature, c’est-à-dire jusqu’en 2014. À partir de cette date, les députés européens supplémentaires seront élus de la même manière que les autres.

Dans l’intervalle, l’adhésion probable de la Croatie à l’Union européenne, dès 2012 ou en 2013, devrait nécessiter un nouveau dépassement temporaire du plafond et entraîner une nouvelle répartition des sièges.

Plus généralement, le protocole prévoit qu’en temps utile, avant les élections européennes de 2014, la composition du Parlement européen sera revue. Le rapporteur de la commission des affaires constitutionnelles, le libéral britannique Andrew Duff, a présenté un projet de rapport dans lequel il propose notamment la définition d’une procédure uniforme d’élection et la création d’un contingent nouveau de députés européens élus sur une base transnationale, ainsi que l’élaboration d’une formule mathématique d’application du principe de « proportionnalité dégressive ».

Malgré les nombreuses interrogations et réserves que suscitent à ce stade de telles propositions, ce sujet présente une tout autre importance pour la place et l’influence de la France au sein du Parlement européen que la seule question du mode de désignation des deux députés européens supplémentaires.

Mes chers collègues, le Parlement européen occupe désormais une place centrale dans le fonctionnement de l’Union européenne, et il cherche même à jouer un rôle accru – peut-être à l’excès – en matière de politique étrangère et de défense. Or, même si la place de la France s’est améliorée lors des dernières élections, l’influence française reste encore assez faible au sein du Parlement européen.

De plus, la répartition des sièges entre les États membres continue d’être fondée sur le principe de proportionnalité dégressive, qui assure une surreprésentation des « petits » pays par rapport aux « grands ». Je rappelle qu’un député européen français représente environ 850 000 électeurs, contre 420 000 pour un député bulgare et 67 000 pour un député maltais !

Enfin, malgré le renforcement continu de ses pouvoirs, la légitimité démocratique du Parlement européen n’a cessé de se réduire depuis 1979. Ainsi, en France, le taux de participation aux élections européennes, qui était supérieur à 60 % en 1979, est tombé à 40,6 % lors des dernières élections.

Monsieur le ministre, je souhaite connaître la position du Gouvernement sur les différentes propositions concernant la composition du Parlement européen et leur impact sur la représentativité et l’influence française au sein de cette institution.

Je ne saurais conclure mon propos sans me féliciter, en ma qualité de sénateur représentant les Français établis hors de France, du rétablissement du droit de vote de nos compatriotes de l’étranger aux élections européennes,…

M. Christian Cointat. Très bien !

M. Robert del Picchia, rapporteur. … lequel avait été malencontreusement supprimé lors de la réforme de 2003, qui avait créé les huit circonscriptions régionales. Avec la fin de la circonscription nationale, en tant que non-résidents, les Français de l’étranger votaient uniquement par procuration ; or il n’y a eu que 14 000 procurations !

Je me réjouis donc du rétablissement de ce droit, même si je regrette, monsieur le ministre, que le Gouvernement n’ait pas choisi d’aller jusqu’au bout du chemin.

En effet, devant l’opportunité que représentaient les deux sièges supplémentaires accordés à la France, j’ai déposé plusieurs propositions de loi, et je vous remercie de l’avoir rappelé, monsieur le ministre. J’avais notamment proposé, en septembre dernier, un texte qui, m’a-t-on dit, aurait été favorablement accueilli par le Conseil d’État. Ma solution consistait à rattacher les électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires à la circonscription Outre-mer en supprimant le sectionnement de celle-ci. Eu égard au rapport des populations prises en compte, cela permettait d’assurer une représentation des Français de l’étranger : la composition des listes de candidats aurait dû tenir compte de cet électorat.

Il est incontestable qu’une meilleure représentativité des élus permet une meilleure participation électorale. Or le rattachement à l’Île-de-France – 2,8 millions de votants –n’incitera malheureusement pas les partis politiques à placer en position éligible des candidats issus des rangs des Français de l’étranger.

Ma proposition aurait par ailleurs sonné le glas d’un mode de distribution des sièges peu orthodoxe, qui conduit à considérer non pas le nombre de voix recueillies par les candidats, mais le pourcentage de celles-ci par section. On aurait ainsi pu en profiter pour remettre les choses dans le droit chemin.

Si je peux regretter de ne pas avoir été suivi sur cette proposition de loi, malgré l’avis supposé positif du Conseil d’État, je persiste à me féliciter de la disposition de bon sens qui met fin à un système dissuasif au regard de la participation électorale des Français de l’étranger.

Mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande l’adoption du projet de loi autorisant la ratification du protocole. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, rapporteur du projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour le projet de loi n° 408. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le second projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui a un double objet : d’une part, il fixe les modalités de désignation des deux représentants supplémentaires au Parlement européen dont la France a été dotée par le traité de Lisbonne ; d’autre part, il facilite la participation de nos compatriotes établis hors de France aux élections européennes. Il s’agit donc de deux réformes très différentes.

Alors que la première mesure aura un impact essentiellement ponctuel – elle ne portera que sur la législature 2009-2014 –, la seconde, de nature structurelle, a vocation à rester durablement inscrite dans notre droit.

Je souhaite apporter quelques précisions concernant la désignation des représentants supplémentaires de la France au Parlement européen.

Le traité de Lisbonne a notamment eu pour effet de créer dix-huit sièges supplémentaires au sein du Parlement européen, parmi lesquels deux ont été attribués à notre pays. La mise en œuvre de cette innovation pose toutefois un problème de taille dans la mesure où, pour les raisons évoquées par notre collègue Robert del Picchia, le traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009, soit près de six mois après les dernières élections européennes : les douze États qui connaissent une augmentation de leur nombre de sièges au Parlement européen ont donc été dans l’incapacité de faire élire leurs nouveaux eurodéputés en même temps que leurs autres représentants.

Pour faire face à cette situation inédite, les vingt-sept États membres de l’Union européenne ont permis aux douze pays concernés de désigner, pour la fin de la législature 2009-2014, leurs représentants supplémentaires selon une procédure exceptionnelle.

Plus précisément, le protocole du 23 juin 2010 ouvre trois possibilités aux États membres concernés. M. le ministre et M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères les ayant évoquées, je n’insisterai pas.

Le présent projet de loi prévoit que les deux représentants supplémentaires de la France au Parlement européen seront élus par l’Assemblée nationale, parmi les membres de cette dernière et au scrutin proportionnel de liste. Les députés désignés pour siéger à Strasbourg perdront ipso facto leur mandat à l’Assemblée nationale.

Je souligne que ce choix est très largement un choix par défaut, qui résulte de la complexité de mise en œuvre des deux premières options.

La difficulté est évidente pour la première solution – l’organisation d’une élection européenne « partielle » – qui aurait engendré des coûts élevés pour une participation vraisemblablement très faible. La seconde solution – la désignation par référence aux résultats des élections européennes de juin 2009 – aurait, elle aussi, posé de lourds problèmes, notamment en raison de l’incertitude sur les chiffres de population à prendre en compte pour l’attribution des sièges.

En effet, je vous rappelle que, depuis la loi du 11 avril 2003, notre pays est divisé en huit circonscriptions interrégionales et que les sièges au Parlement européen sont ventilés entre ces circonscriptions, avant chaque élection, en fonction des chiffres les plus récents de population. C’est ici que réside tout le problème puisque la prise en compte des statistiques de population valables lors des élections de 2009 nous conduirait à attribuer un siège à la circonscription Nord-Ouest et un autre à la circonscription Est, c’est-à-dire à la désignation de deux personnes issues des listes Europe Écologie ; en revanche, la prise en compte des statistiques valables au moment où sont définies les modalités de désignation de ces deux nouveaux eurodéputés nous amènerait à donner un siège à la circonscription Nord-Ouest et un siège à la circonscription Ouest : seraient alors désignés un candidat Europe Écologie et un candidat issu de la liste Majorité présidentielle.

Une telle incertitude sur les statistiques de population à prendre en compte, loin d’être un problème purement théorique, soulève donc des difficultés majeures d’un point de vue juridique et institutionnel. Dans le silence du protocole du 23 juin 2010, le Parlement, s’il décidait de désigner les deux nouveaux eurodéputés de la France par référence aux résultats de 2009, serait inévitablement accusé de faire un choix politique, voire politicien.

Au vu de tous ces éléments, le Gouvernement a souhaité prévoir que les représentants supplémentaires de la France au Parlement européen seraient désignés au sein de l’Assemblée nationale et par les membres de cette dernière ; ce choix est conforme au protocole du 23 juin 2010 et présente l’avantage de la simplicité.

Même si cette solution n’est pas parfaite, elle reste la « moins mauvaise » de toutes : forte de cette conviction, la commission des lois a choisi de soutenir le texte adopté par l’Assemblée nationale et de ne pas y apporter de modification.

Par ailleurs, le présent projet de loi vise à rendre les élections européennes plus accessibles pour les Français établis hors de France.

Robert del Picchia l’a rappelé, la création de huit circonscriptions par la loi du 11 avril 2003 a eu pour conséquence de priver nos concitoyens expatriés de la possibilité de voter dans les ambassades et les postes consulaires, alors même qu’ils disposaient de cette possibilité avant 2003. On estime ainsi que, sur les deux millions de Français qui résident hors de France, au moins 400 000 ne disposent d’aucun moyen de s’exprimer aux élections européennes.

C’est pourquoi le projet de loi rétablit la possibilité, pour les Français de l’étranger, de participer aux élections européennes dans les ambassades et les postes consulaires. À cette fin, les Français établis à l’étranger seraient rattachés à la circonscription Île-de-France.

En tout état de cause, le rétablissement d’un plein accès au vote pour les Français résidant à l’étranger sera indéniablement un progrès considérable pour la démocratie et la représentation française au Parlement européen : c’est pourquoi la commission des lois a apporté son total soutien au projet de loi sur ce point, et a adopté le texte sans modification. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie tout d’abord de rester présents dans cette enceinte à une heure aussi matinale, surtout pour entendre la voix de l’opposition ! (Sourires.)

Comme vous devez le pressentir, le projet de loi relatif à l’élection des députés européens texte suscite en moi des sentiments mitigés. Si sa première partie, relative au mode de désignation, à titre transitoire, de nos deux députés européens supplémentaires, appelle de ma part de nombreuses critiques, j’en approuve la seconde partie puisqu’elle doit permettre aux Français de l’étranger de retrouver le droit de voter dans les centres consulaires pour les élections européennes. Je regrette donc qu’il ne soit pas possible de voter par division sur l’ensemble du projet de loi.

En ce qui concerne les modalités de désignation des deux députés supplémentaires appelés à siéger au Parlement européen à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il me semble que le Gouvernement n’a pas choisi la bonne méthode.

Pourquoi ne pas avoir modifié la législation électorale avant le scrutin du 7 juin 2009, afin de prévoir l’augmentation éventuelle du nombre de sièges alloués à la France au Parlement européen ?

Je rappelle que, dès le Conseil européen de décembre 2008, les États membres avaient été alertés sur la forte probabilité d’une entrée en vigueur du traité de Lisbonne après l’élection du Parlement européen en juin 2009. Il y a donc eu, à tout le moins, un manque d’anticipation ! D’ailleurs, l’Espagne, elle, a pris les devants en désignant par avance ses députés supplémentaires lors de l’élection européenne de 2009.

Comme cela a déjà été rappelé, le protocole du 23 juin 2010 offre aux États le choix entre trois procédures. Si personne ne soutient, à ma connaissance, la solution qui consisterait à organiser une élection européenne partielle, la France est en revanche le seul pays à avoir choisi la procédure de désignation par les membres de son Parlement. Cela n’a, du reste, rien d’étonnant dans la mesure où cette option a été incluse dans le protocole à la demande expresse de notre pays.

Ce choix est discutable et, disons-le, M. le rapporteur de la commission des lois ne fait montre à son endroit que d’un enthousiasme modéré puisqu’il s’agit pour lui de « la moins mauvaise solution ». Selon moi, c’est une solution franchement mauvaise, car elle consiste à revenir au mode d’élection qui avait cours avant 1976, à savoir la représentation des Parlements nationaux.

Nous nous sommes tous battus, dans les années soixante-dix, pour que le Parlement européen soit élu au suffrage universel direct, et nous envoyons aujourd’hui un très mauvais signal en faisant machine arrière pour ce cas particulier.

On peut imaginer, de surcroît, que les deux députés ainsi désignés se retrouveront très isolés au sein du Parlement, faute pour eux de bénéficier de la même légitimité que leurs collègues.

Je m’interroge sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à choisir cette voie. D’après l’étude d’impact annexée au projet de loi, il serait « contraire au principe de sincérité du scrutin d’utiliser a posteriori les résultats d’un scrutin pour l’élection d’un nombre de représentants différent du nombre initialement prévu ».

Mais croyez-vous vraiment, monsieur le ministre, que le fait d’utiliser les résultats de l’élection législative française de 2007 puisse conférer une plus grande sincérité à la désignation de ces deux députés européens ? Votre argument ne me semble donc pas très convaincant !

En outre, compte tenu de la composition actuelle de l’Assemblée nationale, il va sans dire que les deux députés européens désignés n’appartiendraient pas au parti politique qui aurait dû logiquement, selon le vote de 2009, être représenté, à savoir Europe Écologie-Les Verts. L’application des dispositions du présent projet de loi aboutira à la désignation d’au moins un député issu des rangs de la majorité, l’autre provenant vraisemblablement des rangs écologistes. En termes de sincérité, on fait mieux !

Pour refuser de procéder à une désignation sur la base des résultats des élections de 2009, vous invoquez également le fait que huit des onze États membres qui ont eu recours à cette référence n’ont pas régionalisé le scrutin, contrairement à la France. La mise en place d’un mécanisme comparable dans notre pays nécessiterait, selon vous, une révision de la loi du 7 juillet 1977. L’obstacle juridique n’est pas insurmontable, comme en témoigne l’exemple de la Pologne, qui, bien que dotée de circonscriptions régionales, a modifié sa législation électorale après les élections de 2009 pour désigner les suivants de liste.

Je doute également de la pertinence du choix de la représentation proportionnelle à deux tours pour deux sièges. Je le dis d’autant plus librement que nous militons généralement en faveur de la proportionnelle. Après l’avoir refusée pour l’élection des députés des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale, vous le faites ici revenir par la fenêtre… Curieuse façon de procéder !

Enfin, notre débat risque fort d’être inutile. En effet, comme l’a dit notre excellent collègue Robert del Picchia, un nombre significatif d’États membres n’ont pas encore ratifié le protocole du 23 juin 2010, dont nos amis anglais ; et l’on connaît leur peu d’enthousiasme pour l’Europe, une tendance que le Premier ministre David Cameron ne s’efforce pas vraiment d’inverser.

Dans ces conditions, il est fort probable que ce protocole n’entrera pas en vigueur avant les prochaines élections législatives françaises. Il faudra donc proposer à deux de ceux qui auront été élus pour cinq ans au Palais Bourbon d’aller siéger à Bruxelles et Strasbourg jusqu’en 2014… En échange, que leur offrira-t-on ? Les palmes académiques ? (Sourires.) Les groupes politiques auront bien du mal à trouver des volontaires ! En tout cas, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale a d’ores et déjà annoncé qu’il ne présenterait pas de candidats.

Je trouve également pour le moins surprenant que le Sénat soit exclu de la procédure de désignation des deux nouveaux députés européens.

Certes, des sénateurs ne peuvent pas être désignés puisque le protocole du 23 juin 2010 exige que les députés supplémentaires soient issus du suffrage universel.

M. Robert del Picchia, rapporteur, et M. Christian Cointat. Direct !

M. Richard Yung. Oui, direct, mais on pourrait arguer qu’il y a bien des sénateurs qui sont également titulaires, par ailleurs, de mandats issus du suffrage universel direct. Évidemment, ce n’est pas notre cas à nous, sénateurs des Français établis hors de France, qui sommes, à cet égard, nécessairement « vertueux » !

Sans aller jusqu’à invoquer cet argument que d’aucuns pourraient trouver spécieux, on peut simplement faire observer que le protocole fait référence à la désignation des nouveaux députés européens « par le Parlement national ». Dès lors, pourquoi exclure les sénateurs de ce processus de désignation ? Le Sénat fait bien partie du Parlement national !

Dans ces conditions, sans vouloir donner l’impression de « prêcher pour ma paroisse », je considère que c’est là une mauvaise manière faite, sans aucune justification, à notre assemblée. Je sais bien qu’il existe un principe non écrit qui veut que, lorsqu’une affaire concerne les députés, les sénateurs ne s’en mêlent pas, mais ce principe ne peut s’appliquer en l’espèce puisqu’il s’agit d’une affaire qui intéresse le Parlement dans son entier.

Nous proposerons par ailleurs un amendement tendant à clarifier la situation d’un député européen qui, après avoir été nommé ministre, quitte le Gouvernement et souhaite retourner siéger au Parlement européen.

J’en viens à la deuxième partie de ce texte, plus consensuelle, qui tend à rétablir la possibilité, pour les Français de l’étranger, de voter pour les élections européennes dans les centres de vote consulaires.

Cette initiative bienvenue rejoint différentes propositions de loi déposées devant notre assemblée – je pense à celles que nous avions, Monique Cerisier-ben Guiga et moi-même, déposées en août 2007 et avril 2008, mais aussi à celles de Robert del Picchia, qu’il a d’ailleurs lui-même évoquées, ou encore à celles de Christian Cointat – et prolonge le mouvement qui tend à élever les Français établis hors de France au rang de citoyens à part entière.

Vous proposez de rattacher les Français établis hors de l’Union européenne à la circonscription électorale d’Île-de-France, avec pour conséquence l’attribution de deux sièges supplémentaires à cette circonscription. C’est un choix que nous accueillons favorablement, d’autant qu’il présente l’avantage de la commodité.

On aurait pu les rattacher à la circonscription Ouest dans la mesure où le tribunal de grande instance de Nantes est notamment en charge des actes d’état civil établis à l’étranger. Nous avions aussi envisagé la création d’une circonscription spécifique ; j’avais présenté en commission un amendement en ce sens, mais c’était un amendement d’appel et je l’ai retiré.

À titre personnel, je pense que la régionalisation n’a pas été un grand succès. Le rapprochement qu’on en attendait entre les électeurs et les députés européens ne s’est pas opéré. Je serais maintenant plutôt favorable à un retour à la circonscription unique.

Ce point a d’ailleurs été discuté en commission des lois. Il s’agirait de reprendre l’idée qui circule au Parlement européen, mais qui n’est pas nouvelle, selon laquelle un certain nombre de députés européens seraient élus sur des listes européennes transnationales. Ce serait le début d’une véritable Europe politique.

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.