M. Jean-Louis Carrère. C’est une mesure scélérate !

Mme Anne-Marie Escoffier. Comment enfin ne pas souligner que le mode de scrutin choisi va éloigner la gent féminine de responsabilités qu’elle a montré savoir exercer aussi bien que la gent masculine ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Je reprends volontiers à mon compte les questions soulevées par notre collègue Jacqueline Gourault. Celles-ci auraient dû recevoir une réponse dans ce projet de loi, trop hâtivement préparé par le Gouvernement.

Je veux enfin souligner, après que Jean-Michel Baylet l’a déjà excellemment fait, que ce projet de loi vient ruiner l’exercice des responsabilités locales, déjà mises à mal par une fiscalité incohérente, injuste, et dont les conséquences futures demeurent aujourd’hui incertaines.

Une invention diabolique, un fouillis médiéval : voilà ce qu’est cette réforme telle que certains d’entre nous l’ont analysée ! (Mme Françoise Laborde approuve.)

Vous vous honoreriez, monsieur le ministre, d’accepter certains des amendements qui ont été présentés ce matin en commission des lois, amendements écartés d’un revers de main au motif qu’ils étaient des « cavaliers législatifs ».

Comme si nous n’avions pas été amenés à accepter, contre notre volonté, certains « cavaliers » qui, aujourd’hui, font partie intégrante du texte !

Je veux croire, monsieur le ministre, que vous aurez entendu nos sages objections et saurez les intégrer à ce projet de loi. Aujourd’hui, néanmoins, mes amis et moi-même ne pouvons qu’être défavorables à celui-ci. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai trouvé tout à fait pertinente la création du conseiller territorial, en lieu et place du conseiller général et du conseiller régional ; de même, j’ai trouvé tout aussi pertinent le mode de scrutin pour l’élection de ces nouveaux conseillers. Pour autant, je suis fermement décidé à voter contre ce projet de loi, qui s’inscrit dans la logique des épouvantables magouilles qui ont caractérisé le découpage des circonscriptions législatives. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.) Eh oui ! Le découpage des cantons donne lui aussi lieu à des magouilles ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de lUMP.)

Alors même que la loi n’est pas encore votée, il est tout de même incroyable que l’on sollicite l’avis de certains députés UMP sur le découpage des futurs cantons ! C’est invraisemblable ! (Nouvelles marques d’approbation sur les mêmes travées.)

M. Dominique Braye. C’est scandaleux, en effet… ! (Sourires et marques d’ironie sur les travées de lUMP.)

M. Jean Louis Masson. Scandaleux, en effet !

D’ailleurs, plus extraordinaire, ce gouvernement pratique la ségrégation parmi les députés UMP : il consulte les uns, mais ne consulte pas les autres !

J’ai le triste privilège d’être élu d’un département sur le projet de redécoupage des circonscriptions législatives duquel tant la commission de contrôle du redécoupage électoral que le Conseil d’État avaient émis un avis négatif. Ensuite, c’est le seul département de France pour lequel la commission des lois de l’Assemblée nationale, estimant qu’il y avait là matière à scandale, avait adopté un amendement tendant à introduire un tant soit peu de morale et à limiter l’ampleur des magouilles. Enfin, avec le Tarn, la Moselle est l’un des deux départements de France pour lesquels le Conseil constitutionnel a estimé, pour schématiser, que les magouilles auxquelles avait donné lieu le redécoupage dépassaient la limite de ce qui était acceptable.

M. Jean-Louis Carrère. C’est l’Union pour la Magouille Populaire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean Louis Masson. Si le Conseil n’a pas censuré les articles visés, c’est uniquement parce qu’il ne se prononce jamais sur le principe d’un redécoupage, mais vérifie uniquement que celui-ci ne contrevient pas au principe d’égalité devant le suffrage.

Lorsque nous avons voté la loi de réforme des collectivités territoriales, en décembre dernier, M. Marleix, sous ses dehors de jésuite, nous disait : « Ne vous inquiétez pas, je consulterai tout le monde. » Or qu’a fait M. Marleix ? Tout comme il s’était assis sur les avis qu’il avait recueillis préalablement à l’examen de son projet de redécoupage des circonscriptions législatives, avis dont il n’avait que faire, il a continué à procéder de la même manière odieuse lorsqu’il s’est agi de créer les conseillers territoriaux. (M. Dominique Braye s’exclame vivement.)

M. le président. Veuillez conclure !

M. Jean Louis Masson. Avant que le Conseil constitutionnel ne censure cette disposition, la Moselle, par le fait de M. Marleix, était, à population comparable, sous-représentée de 40 % par rapport au département de la Meuse, situation unique en France. C’est scandaleux !

On ne peut qu’espérer que des gens qui se comportent de cette façon seront emportés d’un coup de balai en 2012 ! (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Dominique Braye. Quand il parle de magouilles, M. Masson s’exprime en expert !

M. Jean-Louis Carrère. Du balai, Braye !

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi n’est pas un projet comme les autres. Il vient devant nous, aujourd’hui, après que l’article 6 de la loi portant réforme des collectivités locales eut été déclaré inconstitutionnel.

La décision du Conseil constitutionnel d’invalider le tableau fixant le nombre des conseillers territoriaux dans chaque département et dans chaque région doit être, à notre avis, saisie par le Sénat, représentant des collectivités, comme une possibilité de se pencher une nouvelle fois sur cette question.

Cette occasion s’offre à nous comme une deuxième lecture, laquelle nous avait été refusée par les manœuvres et les arguties de l’époque.

Rappelons-nous, le Sénat avait été bafoué dans ses prérogatives en se voyant refuser par le Gouvernement tout débat sur le mode de scrutin et le nombre de conseillers territoriaux.

Il faut dire que, malgré les négociations de couloir, le Gouvernement ne disposait pas de majorité pour entériner la création de ces conseillers territoriaux, appelés à prendre place dans les assemblées départementales et régionales.

Aussi, il évita de dire quels étaient ses objectifs en ce domaine et fit adopter un amendement centriste, que nous pourrions qualifier d’amendement de dupes puisqu’il s’empressa de le faire supprimer à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, donc, le Sénat peut reprendre la main. Il peut d’autant mieux le faire que cette réforme du mode de désignation et d’élection des conseillers territoriaux peut être éclairée par les méthodes utilisées par les préfets pour la mise en œuvre des premières étapes de cette réforme, avec la mise en place des schémas départementaux de coopération intercommunale.

M. Jean-Louis Carrère. Exact ! Cela se fait à pas de géant !

M. Bernard Vera. Chacun peut le constater aujourd’hui, la concertation n’a pas été à l’ordre du jour dans de très nombreux départements.

L’information préalable a certes été mise en place, ici ou là, mais il n’y a pas eu de véritable négociation. Ainsi, la loi s’applique aujourd’hui de façon différente suivant les départements.

Ici, les préfets s’en sont tenu à inscrire dans une intercommunalité les communes orphelines ou à réduire le nombre d’intercommunalités de moins de 5 000 habitants.

Ailleurs, les préfets, que certains qualifient de « volontaristes », ont été beaucoup plus loin, redessinant l’ensemble des intercommunalités et réduisant leur nombre de façon significative.

Ce faisant, le nombre de communautés d’agglomération progresse sensiblement. De ce fait, l’intégration intercommunautaire en sort renforcée et les communes se voient contraintes d’abandonner toujours plus de leurs prérogatives, sans que cela s’appuie toujours sur une réelle volonté ni sur une vision partagée avec les autres communes rassemblées.

Ainsi, d’après les chiffres actuellement en notre possession, le nombre d’intercommunalités et de syndicats intercommunaux diminuerait en France, respectivement, de plus de 30 % et de 40 %. C’est considérable et bien plus important que ne le laissaient présager nos débats et le texte de loi lui-même.

Je ne suis pas sûr que cette mise en œuvre à marche forcée ne heurte pas la volonté de certains sénateurs, qui pensaient, au moment de voter, qu’un climat de coopération, de concorde et de recherche de consensus serait à la base des propositions préfectorales.

Aussi, il est nécessaire de revenir sur cette question. Il faut bien que les interrogations, les inquiétudes, les incompréhensions et les mécontentements qui s’expriment actuellement dans nos départements trouvent ici un écho.

Notre assemblée représente les collectivités territoriales, et, à ce titre, nous avons le devoir d’entendre la voix des élus locaux lorsqu’ils expriment leur volonté d’exercer pleinement le principe constitutionnel de libre administration des communes.

Pas de mariage forcé, disent-ils, pas de fusion pour la fusion, mais des adhésions librement consenties, des projets réellement partagés s’appuyant sur des bassins de vie cohérents et respectant l’expérience acquise grâce à la coopération intercommunale déjà existante.

Il nous faut alors apporter les modifications éventuellement nécessaires, et ce dans les délais les plus brefs. Ce projet de loi nous en donne l’occasion. Nous présenterons des amendements tendant à permettre aux communes et à leurs groupements de reprendre la main sur les contours de la coopération intercommunale.

Nous demanderons un délai supplémentaire de six mois pour la définition et l’entrée en vigueur des schémas départementaux de coopération intercommunale, les SDCI, et afin d’éviter que les communes, les syndicats et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne soient contraints de mettre place une concertation démocratique avec les élus et avec les concitoyens en pleine période estivale.

Nous proposerons de revenir sur les pleins pouvoirs accordés au préfet dans la phase d’élaboration des SDCI. Car, malheureusement, dans la plupart des cas, les préfets ont redessiné une carte de l’intercommunalité sans tenir compte des coopérations existantes ni des projets et des visions d’avenir partagés.

Pour notre part, nous ne nous étonnons pas de cette situation ; nous l’avions même dénoncée par avance. Faut-il voir, d’ailleurs, un lien entre les schémas départementaux de coopération intercommunale et le texte que nous examinons aujourd’hui ?

En effet, nul ne saurait penser que les limites des futures intercommunalités n’ont rien à voir avec les futures limites cantonales, circonscriptions des futurs conseillers territoriaux. Or ces limites cantonales sont taboues. Nous n’avons pas à en débattre, ni à en discuter, ni même à en connaître.

Ainsi, tout se met en œuvre pour un découpage électoral de grande ampleur visant à préparer la mise en place de majorités départementales et régionales aux couleurs de la majorité actuelle.

Dans ce cadre, nous serions très étonnés que les futurs cantons ne s’inscrivent pas, pour l’essentiel, dans le périmètre des futures intercommunalités où à partir de celui-ci.

Aussi, nous alertons l’ensemble des élus locaux et les incitons à la plus extrême vigilance. Les futures intercommunalités proposées par les préfets auront, sans aucun doute, à voir avec le futur tracé des cantons.

Enfin, je terminerai mon intervention sur un aspect essentiel de ce projet de loi.

Vouloir définir par la loi le nombre des conseillers territoriaux et, par ordonnance, le tracé des nouveaux cantons revient, en réalité, à retirer aux conseils généraux leur pouvoir.

La détermination du nombre de conseillers siégeant dans les conseils généraux est de la compétence de chacun d’entre eux. Légiférer sur ce nombre est donc un acte de défiance envers une autorité locale constitutionnellement légitime. Nous ne saurions l’accepter.

Si ce projet de loi n’est pas voté, si ce tableau n’est pas adopté, alors les conseils généraux devront délibérer sur le nombre de conseillers siégeant dans l’assemblée départementale. Ils définiront le nombre d’élus qui paraît nécessaire à l’exercice de leurs prérogatives et à une juste expression de la souveraineté populaire.

Aussi, à tous les sénateurs qui doutent encore de ce texte et, plus généralement, de la loi réformant les collectivités locales, l’occasion est offerte de le rejeter pour marquer leur défiance et faire entendre leurs craintes, sans pour autant bloquer les aspects de cette loi qu’ils soutiennent.

Cette question pourra toujours être de nouveau débattue dans le cadre de l’examen du projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, qui, à l’origine, était destiné à porter l’application de cette réforme dans ses aspects électifs et dans ceux qui concernent les droits des élus locaux.

La loi de réforme des collectivités locales n’a trouvé qu’une majorité de trois voix dans notre assemblée ; c’est dire, pour le moins, les interrogations qu’elle suscitait.

Je suis certain que, six mois après, les questions demeurent et sont même, sans doute, renforcées par les premières mesures d’application de la loi.

Le rejet de ce projet de loi pourrait devenir un acte de responsabilité pour imposer au Gouvernement de revoir sa copie. Ce texte est entre nos mains ; à nous de nous en saisir et de porter la voix des élus locaux, qui, dans leur grande majorité, attendent un geste de modération et d’apaisement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Léonard.

M. Claude Léonard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc dans l’obligation de légiférer à nouveau sur les conseillers territoriaux et, plus particulièrement, sur le tableau de leur répartition par département, du fait de la décision du Conseil constitutionnel qui a cru devoir censurer partiellement ce tableau.

J’indique d’emblée que, sur le fond, je suis favorable à la réforme créant le conseiller territorial. Mais, vous le comprendrez aisément, je ne peux me prononcer en faveur de ce nouveau tableau, non seulement – plusieurs intervenants l’ont souligné – parce qu’il marque une diminution de la représentation de mon département, la Meuse, mais également parce qu’il comporte un certain nombre d’incohérences auxquelles, à ma grande surprise, le Conseil constitutionnel n’a pas fait d’objection.

Une de ces incohérences tient à la diminution de la représentation de la Meuse. Dans le tableau qui avait été modifié par le Sénat, puis approuvé définitivement par les deux chambres, la Meuse disposait de 19 conseillers territoriaux. Ceux-ci venaient remplacer les 31 conseillers généraux et les 6 conseillers régionaux que compte aujourd’hui le département. Au final, la représentation de la Meuse était divisée par deux par rapport à la situation actuelle qui, vous en conviendrez, ne résulte pourtant pas d’un traitement de faveur.

Le Conseil constitutionnel en a jugé autrement. Il a en effet considéré que le rapport entre le nombre de conseillers territoriaux et la population du département s’écartait de la moyenne régionale dans une mesure manifestement disproportionnée, la Meuse, avec ses 193 000 habitants et ses 19 conseillers territoriaux, excédant de 41,5 % la représentation moyenne régionale de la Lorraine. Le texte dont nous débattons aujourd’hui réduit donc de 19 à 15 le nombre de conseillers territoriaux pour la Meuse.

Je regrette que le Parlement, dans sa grande sagesse, n’ait pas précédemment pris en compte un critère correctif lié à la superficie des départements pour le calcul de la représentation des conseillers territoriaux, car, comme leur nom l’indique, ces derniers représentent aussi un territoire. Or, de ce point de vue, force est de rappeler que la Meuse, qui représente 26 % de la superficie de la Lorraine, n’élira que 11 % de ses conseillers territoriaux.

Je voudrais également mettre l’accent sur d’autres incohérences que comporte le texte qui est soumis à notre vote.

Le département de la Haute-Marne, voisin de celui de la Meuse, mais situé en Champagne-Ardenne, avec une population de 185 000 habitants, donc inférieure à celle de la Meuse, se voit attribuer 23 conseillers territoriaux, soit un conseiller territorial pour 8 043 habitants.

Le département du Gers, avec 186 000 habitants, élira 19 conseillers territoriaux, soit un conseiller territorial pour 9 789 habitants.

Le département du Lot, avec 173 000 habitants, disposera également de 19 conseillers territoriaux, soit un conseiller territorial pour 9 105 habitants.

Enfin, le département de la Creuse, avec 124 000 habitants, disposera de 19 conseillers territoriaux, soit un conseiller territorial pour 6 526 habitants.

Dès lors, pour quelle raison, avec ses 194 237 habitants, la Meuse ne disposerait-elle que de 15 conseillers territoriaux, soit un conseiller territorial pour 12 949 habitants ?

Ce texte souffre, en réalité, d’un vice rédhibitoire, à savoir la régionalisation du mode de calcul du nombre de conseillers territoriaux. Ainsi, lorsqu’un département peu peuplé comme l’est la Meuse est situé dans une région dont l’un des autres départements est très peuplé, comme c’est le cas de la Moselle, le premier est lourdement pénalisé.

J’en veux pour preuve la situation du département de la Mayenne qui, avec 304 676 habitants, ne disposera que de 18 conseillers territoriaux, soit un conseiller territorial pour 16 926 habitants.

En d’autres termes, nous ne sommes pas en train d’examiner un projet de loi de répartition des conseillers territoriaux, nous examinons en fait 23 projets de loi différents pour chaque région métropolitaine et d’outre-mer.

Je suis très étonné que le Conseil constitutionnel n’ait pas relevé cette rupture d’égalité des citoyens de chaque région devant la loi ! Car c’est bien d’une rupture d’égalité qu’il s’agit. Disons-le tout net : la République, qui a été fondée, entre autres, sur le principe d’égalité, voilà maintenant deux cent vingt ans, et qui a été rétablie et recadrée après le désastre de 1870, glisse subrepticement vers une fédération de régions. Mais comme le disait un célèbre humoriste des années quatre-vingt aux formules grinçantes dans un de ses sketches: « il y en a qui sont plus égaux que d’autres » !

Je proposerai, au cours de la discussion des articles, un retour au texte voté par les deux assemblées afin que la Meuse conserve ses 19 conseillers territoriaux, et je vous remercie par avance, mes chers collègues, de bien vouloir soutenir ma démarche. Si cette proposition n’était pas retenue, je serais amené, à mon grand regret, à ne pas voter le présent projet de loi. (M. Michel Bécot applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jarlier.

M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions du texte qui nous est présenté répondent aux critères définis par le Conseil constitutionnel et peuvent apparaître purement techniques. Pour autant, elles ne doivent pas masquer l’enjeu important que revêt ce projet de loi.

Monsieur le ministre, vous avez participé aux discussions sur la réforme des collectivités territoriales, et vous savez combien notre Haute Assemblée s’est vivement mobilisée en faveur d’un débat plus approfondi sur la création du conseiller territorial, sur son mode d’élection et sur les compétences qui lui seront attribuées. Ce projet devait, il faut le rappeler, initialement faire l’objet d’un texte de loi séparé.

Au final, force est de reconnaître que le conseiller territorial a pollué un débat plutôt consensuel qui s’était engagé sur la nécessaire évolution de l’intercommunalité, de ses liens avec les communes et avec la population.

À l’inverse, nombreux sont les élus qui sont réservés sur les modalités de la mise en place du conseiller territorial, et ce pour plusieurs raisons.

La première de ces raisons tient au calendrier qui a été retenu. En effet, s’il est nécessaire de développer la coordination entre les politiques publiques menées par le conseil régional, d’une part, et le conseil général, d’autre part, le moment n’est peut-être pas opportun.

L’achèvement de la carte intercommunale, la mise en place du schéma départemental de coopération intercommunale, l’évolution des périmètres des intercommunalités devraient plutôt être des préalables à la création de ces nouveaux élus.

M. Jean Milhau. Eh oui !

M. Pierre Jarlier. Comment assurer la cohérence d’un nouveau mandat sans définir de circonscription en amont, sans connaître le paysage local qui résultera de la réforme ?

On aurait pu imaginer un conseiller territorial qui représente un territoire intercommunal pertinent, un territoire de projet, un territoire de solidarité, ce ne sera sans doute pas toujours le cas, et c’est bien regrettable.

La deuxième raison tient au nombre de conseillers et aux conséquences qui en résultent pour notre démocratie locale. La création des conseillers territoriaux signera la disparition de nombreux conseillers généraux dans les territoires ruraux, posant ainsi un double problème de représentation et de lien de proximité avec les populations rurales, notamment en zones de montagne.

Alors que la population demande toujours plus de proximité avec les élus, cette évolution ira malheureusement à l’encontre de cette légitime attente dans plusieurs départements.

À titre d’exemple, le Cantal perdra 7 cantons sur 27, soit un de plus que dans le texte initial, et une douzaine d’autres départements ruraux devront se contenter de moins de 20 élus pour siéger au sein du conseil général.

A contrario, les conseils régionaux vont connaître une inflation considérable du nombre de leurs élus. En Auvergne par exemple, ils seront 145 contre 47 initialement et, en Midi-Pyrénées, 251 pour 91 aujourd’hui.

Les économies annoncées ne seront donc pas au rendez-vous et la plupart des régions devront investir massivement pour construire de nouveaux hémicycles avant d’assumer de nouvelles charges de fonctionnement.

Une troisième raison est liée au redécoupage des cantons. Beaucoup d’élus s’interrogent sur la méthode qui conduira à la préparation du décret fixant la nouvelle carte cantonale.

Comment s’organisera la concertation avec les élus sur le territoire pour assurer une légitime transparence dans ces décisions importantes pour l’avenir ? Les parlementaires seront-ils consultés ? Comment s’exercera le contrôle de l’impartialité des découpages ? Autant de questions qui appellent des réponses que le présent débat devrait nous apporter.

Enfin, je regrette pour ma part que cette réforme ne tende pas à affirmer le bloc « région-département », comme cela a été fait pour le bloc « commune-communauté ».

Si la clarification des liens entre département et région était en effet nécessaire, le fait que les mêmes élus siègent dans deux assemblées qui exercent des compétences différentes risque bien à terme d’aboutir à la disparition de l’une ou de l’autre de ces assemblées. Peut-être aurait-il mieux valu l’afficher clairement !

M. Pierre Jarlier. J’aurais préféré, comme de nombreux élus ici, que l’on retrouve dans la réforme l’esprit de la mission sénatoriale présidée par Claude Belot, qui préconisait l’établissement de nouveaux liens entre la région et le département, tout en maintenant les prérogatives de chaque assemblée. Ces propositions n’étaient pas incompatibles avec la notion de conseiller territorial, à laquelle je suis plutôt favorable, dès lors qu’une partie seulement des conseillers généraux aurait aussi siégé au conseil régional, ce qui n’était pas forcément anticonstitutionnel.

C’est une autre voie qui a été retenue. Aussi, pour les raisons que je viens d’évoquer rapidement et en cohérence avec la position que j’ai déjà défendue dans cette enceinte, je ne pourrai pas, comme plusieurs de mes collègues du groupe de l’Union centriste, approuver le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer, une nouvelle fois, sur le tableau des effectifs des conseillers territoriaux, ce dernier ayant été censuré par le Conseil constitutionnel au motif que, dans les six régions où l’écart du quotient électoral d’un département par rapport à la moyenne régionale était supérieur à 20 %, à savoir la Meuse, le Cantal, l’Aude, la Haute-Garonne, la Mayenne et la Savoie, l’inégalité de représentation était manifestement excessive et portait atteinte au principe d’égalité devant le suffrage.

Contraint de « revoir sa copie », le Gouvernement n’a toutefois pas bouleversé l’économie générale du tableau des effectifs des conseillers territoriaux, se contentant de le modifier, à la marge, pour dix départements.

M. François Marc. C’est un désaveu !

M. Michel Teston. J’ignore ce que décidera le Conseil constitutionnel en cas de saisine sur ce texte, s’il devait être adopté en l’état.

En revanche, comment ne pas dire à nouveau devant le Sénat les conséquences du principal critère choisi par le Gouvernement pour la répartition des conseillers territoriaux, c’est-à-dire le quotient électoral d’un département par rapport à la moyenne régionale ? Ce sera l’objet de la première partie de mon intervention. Je rappellerai ensuite que notre groupe conteste l’argument économique avancé pour justifier la création du conseiller territorial. Enfin, je dirai ma conviction de la nécessité de revenir sur la réforme afin de trouver un bon équilibre dans la représentation des citoyens et des territoires.

Le principal critère retenu par le Gouvernement repose donc sur l’idée que la représentation des départements au sein du conseil régional doit tenir compte de leur poids démographique relatif. La principale conséquence de l’application de ce critère est que, dans une région composée de plusieurs départements fortement peuplés et d’un ou de deux départements sensiblement moins peuplés, le nombre de conseillers territoriaux sera faible pour la ou les collectivités comptant le moins d’habitants.

À l’inverse, dans une région où il n’y a pas, ou peu, de départements fortement peuplés, même ceux dont le nombre d’habitants n’est pas très élevé seront représentés par un nombre assez important de conseillers territoriaux.

De ce point de vue, la comparaison d’une région à l’autre est édifiante. Ainsi, dans certaines régions, des départements de 500 000 habitants auront 27 ou 28 conseillers territoriaux, alors que, dans d’autres régions, des départements de moins de 300 000 voire 250 000 habitants en auront aussi 27 ou 28. Où est l’équité ?