M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les accords de Matignon, puis de Nouméa, ont apporté à la Nouvelle-Calédonie une stabilité institutionnelle qui lui permet de construire son avenir avec confiance.

Ces accords mettent en avant une idée force, le « rééquilibrage ». Ce rééquilibrage comporte de multiples facettes, puisqu’il concerne aussi bien l’économique que le social, le culturel ou le politique. C’est la raison pour laquelle, sur ce dernier point, l’accord de Nouméa prévoit que l’exécutif de la Nouvelle-Calédonie est constitué par un gouvernement collégial, élu par le congrès et responsable devant lui. Ce gouvernement est collégial pour que toutes les composantes représentatives du congrès soient conduites à travailler ensemble.

Lors d’une mission en Nouvelle-Calédonie menée en septembre 2010 au nom de la commission des lois, notre excellent collègue Bernard Frimat et moi-même avons pu observer que cette organisation institutionnelle permettait effectivement au territoire de mettre en œuvre avec efficacité les transferts de compétences, ainsi que le rééquilibrage entre le Nord et le Sud.

La collégialité, qui renvoie au « consensus océanien » –pour reprendre une formule utilisée par l’un de nos interlocuteurs de Nouvelle-Calédonie –, est un principe fondateur de l’équilibre défini par l’accord de Nouméa. Aussi la loi organique a-t-elle précisé les conséquences de la démission des membres du gouvernement, au-delà du dispositif classique et démocratique permettant au congrès de renverser le gouvernement par l’adoption d’une motion de censure à la majorité absolue de ses membres.

L’article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 prévoit en effet que, lorsqu’un membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie démissionne, « le candidat suivant de la liste sur laquelle il a été élu le remplace ». S’il n’existe pas de suivant de liste, le gouvernement, dans son ensemble, est démissionnaire de plein droit, car la collégialité n’est plus assurée, et un nouveau gouvernement doit être élu dans un délai de quinze jours.

Or, force est de constater que cette disposition a été détournée de son esprit ces derniers mois, avec pour conséquence une crise institutionnelle, commencée en février 2011.

C’est pourquoi, confronté à une impasse, alors que, pour la troisième fois en six semaines, la démission de l’ensemble des membres d’une liste avait provoqué la démission de plein droit du gouvernement calédonien, le congrès a adopté, le 1er avril 2011, une résolution demandant « au Gouvernement de la République de proposer au Parlement, dans les meilleurs délais possibles, une modification de l’article 121 de la loi organique susvisée du 19 mars 1999 visant à encadrer et à limiter la possibilité de provoquer la démission du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie par démission de l’un ou plusieurs de ses membres ». C’est ce qui nous conduit à légiférer aujourd’hui, le Gouvernement ayant donné suite à cette demande en déposant un projet de loi organique.

Votre rapporteur a souhaité s’assurer, par différentes auditions, que la modification envisagée par ce texte rassemblait un large accord et respectait le mieux possible l’esprit de l’accord de Nouméa. Tel est le cas pour l’essentiel.

Pour mieux comprendre l’origine de la crise institutionnelle, il convient de rappeler que le point 1.5 de l’accord de Nouméa prévoit que « des signes identitaires du pays, nom, drapeau, hymne, devise, graphismes des billets de banque, devront être recherchés en commun, pour exprimer l’identité kanak et le futur partagé entre tous ». Si la devise, l’hymne et le graphisme des billets ont pu être choisis sans trop de difficultés, la question du drapeau fut beaucoup plus épineuse. Aussi notre collègue député Pierre Frogier, président de la province Sud et président du Rassemblement-UMP, a-t-il proposé, au début du mois de février 2010, d’associer le drapeau tricolore au drapeau du FLNKS.

Reprenant cette idée, le Comité des signataires de l’accord de Nouméa, lors de sa réunion du 24 juin 2010, a recommandé que le drapeau tricolore et celui du FLNKS flottent côte à côte en Nouvelle-Calédonie, « dans la perspective des prochains jeux du Pacifique et dans l’esprit de la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ». Je précise que, à l’occasion de l’un de mes passages en Nouvelle-Calédonie, Pierre Frogier m’a montré une photographie où Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur se serrent effectivement la main, chacun tenant le drapeau correspondant à sa vision des choses.

Lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie, le Premier ministre, M. François Fillon, a assisté à la levée des deux drapeaux dans l’enceinte du haut-commissariat de la République, le 17 juillet 2010.

Toutefois, les deux drapeaux qui flottent désormais au fronton des édifices publics ne font pas l’unanimité au sein de la classe politique calédonienne ; il faut en être conscient. Certains élus considèrent en effet que cette solution ne répond pas à l’objectif d’un drapeau commun tel que prescrit par l’accord de Nouméa.

En janvier 2011, des élus de l’Union calédonienne ont reproché au président du gouvernement de l’époque de ne pas être d’accord avec le choix des deux drapeaux comme emblème de la Nouvelle-Calédonie. Ils considéraient qu’il portait une responsabilité dans l’absence du drapeau du FLNKS au côté du drapeau tricolore au-dessus des édifices publics de trois communes de la province Sud.

Le 17 février 2011, les trois membres du gouvernement élus sur la liste présentée par le groupe UC-FLNKS, ainsi que l’ensemble des suivants de cette liste, ont démissionné, provoquant la chute du gouvernement et le début de la crise. En effet, les représentants du groupe Calédonie Ensemble ont ensuite décidé de procéder à des démissions collectives à répétition, après chaque élection d’un nouveau gouvernement, pour le faire chuter systématiquement, dans le dessein « de bloquer les institutions afin d’obtenir un décret de dissolution du congrès pour susciter de nouvelles élections », comme l’indique l’étude d’impact jointe au projet de loi organique.

La situation est ainsi devenue très préoccupante, d’autant que les importants transferts de compétences qui restent à réaliser dans des délais relativement brefs exigent que les prérogatives du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ne soient pas limitées à l’expédition des affaires courantes.

Les institutions de la Nouvelle-Calédonie connaissent donc un véritable blocage, dans tous les sens du terme, car il est évidemment exclu de porter atteinte aux principes de consensus et de pluralité politique qui fondent l’équilibre institutionnel défini par l’accord de Nouméa, préservent les droits des minorités et assurent la participation des loyalistes et des indépendantistes au gouvernement.

Ainsi, la démission de plein droit du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, telle que la prévoit l’article 121 de la loi organique, permet, comme l’a rappelé Mme la ministre, à un groupe minoritaire au sein du congrès de faire démissionner l’exécutif, par dérogation à la règle de majorité prévue pour l’adoption d’une motion de censure par l’article 95 de la même loi.

La coexistence, dans le statut de la Nouvelle-Calédonie, de deux procédures aussi différentes pour renverser le gouvernement – à savoir la démission d’une liste ou l’adoption d’une motion de censure – n’est nullement incohérente. La première se fonde sur l’obligation de respect de la collégialité au sein du gouvernement, la seconde sur le fonctionnement démocratique du congrès.

Il s’agit de deux concepts différents, mais complémentaires et non concurrentiels. Cette approche originale montre que seule une atteinte au fondement même de la collégialité peut justifier le recours à la démission de l’ensemble des membres d’une liste pour faire chuter le gouvernement. Dans tous les autres cas, la motion de censure s’impose, car elle s’inscrit dans le respect des normes démocratiques.

Avant février 2011, ce mécanisme de démission collective a déjà été appliqué, mais de manière sporadique, ne remettant pas en cause l’esprit de l’accord de Nouméa : le gouvernement de M. Pierre Frogier est tombé en 2002 après la démission des élus du parti de l’Union calédonienne, qui dénonçaient les difficultés de mise en œuvre de la collégialité ; le premier gouvernement de Mme Marie-Noëlle Thémereau a été renversé en juin 2004, sur l’initiative du Rassemblement-UMP ; quant au gouvernement de M. Harold Martin, il est tombé, en 2007, après la démission collective des élus de la liste unique indépendantiste.

C’est donc pour la première fois, cette année, que le mécanisme de la démission de plein droit a été utilisé par un groupe politique de façon répétée et totalement indépendante de difficultés liées à l’exercice de la collégialité, afin d’empêcher le fonctionnement normal des institutions calédoniennes et de créer ainsi les conditions d’une dissolution du congrès. Il s’agit d’un détournement manifeste de la procédure définie à l’article 121 de la loi organique, qui ne correspond nullement à l’esprit de l’accord de Nouméa ni à la volonté exprimée par le législateur organique, car on ne peut lire l’article 121 indépendamment de l’article 95, relatif à la motion de censure, ou de l’article 110, portant sur la désignation du gouvernement.

Certes, une lecture littérale du texte n’interdit pas explicitement de telles pratiques – je rejoins sur ce point l’analyse de Mme la ministre. Toutefois, ainsi que je l’ai rappelé précédemment, l’article relatif à la motion de censure n’aurait aucun sens si la minorité, pour des raisons purement politiques, étrangères au fonctionnement de la collégialité, pouvait, par simple démission, renverser le gouvernement. De telles pratiques ne pouvaient être envisagées, par simple respect de la démocratie. Si la collégialité protège la minorité, les règles démocratiques garantissent, elles, le fait majoritaire.

Cette analyse rend donc souhaitable non seulement une modification, mais aussi une clarification de l’article 121, pour que le mécanisme qui vise à assurer une représentation équilibrée des forces politiques du congrès demeure compatible avec la stabilité gouvernementale comme avec les principes fondamentaux de la démocratie.

Le projet de loi organique qui nous est soumis réécrit donc l’article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, afin de maintenir la possibilité, pour un groupe politique, de démissionner du gouvernement, tout en empêchant que des démissions collectives répétées ne fassent obstacle à l’exercice par l’exécutif de ses prérogatives.

Aussi l’article 1er du projet de loi organique prévoit-il que si les membres d’une liste démissionnent collectivement et provoquent ainsi la démission de plein droit du gouvernement, ce dispositif ne peut plus être mis en œuvre pendant un délai de dix-huit mois. Pendant ce délai, toute nouvelle démission qui ne pourrait être compensée par l’arrivée au gouvernement des suivants de liste des membres démissionnaires n’entraînerait donc pas la démission d’office du gouvernement.

Afin de préserver la participation des différentes forces politiques calédoniennes au gouvernement, l’article 1er du projet de loi organique permet aux groupes démissionnaires qui auraient perdu leur représentation au sein de l’exécutif de la rétablir, malgré l’absence d’élection d’un nouveau gouvernement pendant au moins dix-huit mois.

À cette fin, le groupe qui ne serait plus représenté au gouvernement pourrait déposer à tout moment une nouvelle liste de candidats et rétablir sa participation. S’il ne faisait pas usage de cette faculté, le gouvernement serait de toute façon réputé complet, dans la mesure où le nombre de postes vacants reste minoritaire. Ainsi, le Gouvernement entend respecter le principe de collégialité prévu par l’accord de Nouméa et donne toute possibilité à chaque courant politique d’être représenté, même si ses représentants démissionnent.

La commission des lois approuve largement le dispositif proposé par le Gouvernement, car il concilie l’encadrement du mécanisme permettant à un groupe minoritaire au congrès de provoquer la chute du gouvernement et la garantie d’une représentation de la minorité au sein du gouvernement calédonien.

Toutefois, madame la ministre, il ne faudrait pas que ces dispositions visant à limiter les abus n’altèrent quelque peu l’esprit de l’accord de Nouméa. Il serait inopportun que le mécanisme proposé puisse apparaître, en définitive, comme une « incitation à la débauche » – je vous prie d’excuser la trivialité de cette expression –, en ouvrant tous les dix-huit mois un « droit de tirage » sur la démission du gouvernement. Cela reviendrait à dénaturer l’essence même de l’article 121, ainsi que sa cohérence avec l’article 95 relatif à la motion de censure.

La commission des lois a donc adopté un amendement de clarification pour bien préciser, afin d’éviter toute équivoque, que le recours à la démission simultanée des membres d’une liste ne peut intervenir que dans le cadre d’une atteinte au principe de collégialité, car la voie normale, pour « renverser » un gouvernement, ne peut qu’être – et se doit de rester – la motion de censure.

Cette modification permet, en outre, d’inscrire explicitement dans la loi organique l’objectif initial de la procédure de démission de plein droit du gouvernement, tel qu’il a été confirmé à votre rapporteur par plusieurs signataires de l’accord de Nouméa.

Cependant, pour éviter toute imprécision juridique dans les termes retenus, la commission des lois a déposé un amendement de modification de son propre texte, pour insister, en définitive, sur l’obligation de motivation de toute démission collective, à la lumière de la lecture conjointe des articles 95 et 121 qui viennent d’être rappelés.

La commission des lois a également adopté un amendement de précision, afin de lever une ambiguïté quant à la procédure permettant à un groupe de rétablir sa participation au gouvernement. Il importe, en effet, d’indiquer clairement que la liste présentée par le groupe ayant démissionné est réputée adoptée à l’issue des contrôles de légalité.

Avec ces quelques aménagements, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à approuver ce projet de loi organique, pour que ce beau pays qu’est la Nouvelle-Calédonie puisse enfin fonctionner normalement ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, sur ce sujet difficile, il ne faut jamais oublier de rappeler le contexte historique. Bien qu’enseignant les sciences économiques, j’avais coutume de dire à mes étudiants que s’ils ne connaissaient pas l’histoire, ils ne pourraient rien comprendre.

En l’occurrence, d’où vient-on ? M. Cointat faisait allusion, à l’instant, à la mission que nous avons menée ensemble en Nouvelle-Calédonie, en septembre 2010. Je tiens à évoquer, en présence de Simon Loueckhote, la visite que nous avons effectuée à Ouvéa à cette occasion, pour y déposer, au nom du Sénat, deux gerbes, l’une à la gendarmerie, en présence des représentants kanaks de la commune, l’autre au pied du monument à la mémoire des victimes kanaks des événements de 1988. Il s’agissait, de part et d’autre, de jeunes hommes qui avaient leur vie à construire mais ont trouvé la mort, à Ouvéa, dans des circonstances qui les dépassaient. Par ce geste de paix, nous avions le sentiment de représenter la République dans ce qu’elle a de plus généreux.

La Nouvelle-Calédonie a cette caractéristique d’être, au Sénat, notre bien commun – j’utilise ce terme à dessein –, que nous siégions à droite ou à gauche de cet hémicycle. On ne peut évoquer la Nouvelle-Calédonie sans rappeler le rôle joué par les Premiers ministres Michel Rocard et Lionel Jospin dans les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, ou celui qu’a tenu notre ancien collègue Louis Le Pensec.

Voilà d’où l’on vient. Les hommes ont su dépasser leurs divergences, leurs oppositions, pour essayer de construire un destin commun, un destin de paix. Les difficultés étaient pourtant nombreuses et les différences importantes, par exemple entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.

Je sais gré aux différents gouvernements qui ont succédé à celui de Lionel Jospin et que j’ai pourtant, sur nombre d’autres sujets, combattus avec la plus grande détermination, d’avoir tenu le cap s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, d’avoir été fermes sur le gel du corps électoral, sur le respect des transferts de compétences, d’avoir su procéder, récemment, à des aménagements des articles 21 et 23 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, tout en restant fidèles à l’esprit des accords. Ils ont considéré qu’il y avait là un trésor à conserver pour la République. C’est grâce à cette fidélité que nous pouvons trouver un point d’accord.

Nous savons donc d’où l’on vient, mais où va-t-on ? La période 2014-2018 est marquée par une interrogation : une fois les transferts de compétences achevés, en 2014, procèdera-t-on à des transferts de compétences régaliennes, se dirigera-t-on ou non vers l’indépendance ? Quelle voie les Calédoniens choisiront-ils, par le biais du référendum, pour construire leur avenir ? Ce débat est devant nous : personne ne peut le préempter, ni le trancher d’avance ; il appartient d’abord aux Calédoniens de le mener.

Nous sentons bien que plus on se rapproche de cette échéance, plus l’enjeu pèse sur les comportements. À mon sens, cela explique pour partie l’instabilité récente constatée en Nouvelle-Calédonie, ce détournement de procédure – appelons les choses par leur nom – consistant à utiliser la démission de membres du gouvernement pour renverser ce dernier, qui a la particularité d’être collégial. Mais c’est bien ce principe de collégialité du gouvernement qui a permis de maintenir l’accord entre les différentes parties, en évitant qu’une majorité puisse écraser une minorité.

À l’issue des dernières élections au congrès de la Nouvelle-Calédonie, une alliance s’est nouée entre le Rassemblement-UMP, Avenir ensemble et Calédonie ensemble, donnant lieu à une répartition des postes de pouvoir. Or nous constatons aujourd'hui que, sans que le peuple ait été consulté, un changement d’alliances est survenu de facto : les présidences du congrès, du gouvernement et de la province Sud sont désormais assurées respectivement par un membre de l’Union calédonienne, un membre d’Avenir ensemble et M. Pierre Frogier, du Rassemblement-UMP. Le déclenchement de la crise, provoqué par la démission collective des élus de la liste Union calédonienne pour renverser le gouvernement Gomès, relève de la même logique. Un gouvernement a été élu la semaine dernière : on voit bien que la répartition des portefeuilles amène à s’interroger sur la réalité de la collégialité. Or si les Calédoniens ne parviennent pas à faire vivre une réelle collégialité, les difficultés réapparaîtront bientôt. Des désaccords politiques fondamentaux ne peuvent pas être réglés par une solution institutionnelle.

Le groupe socialiste soutiendra la position de la commission des lois. L’article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 ne saurait devenir une machine à renverser les gouvernements, au prix d’une instabilité permanente.

Nous appuyons l’idée d’instaurer une période de latence, durant laquelle les membres du gouvernement démissionnaires auraient la possibilité de retrouver leur siège, sans qu’il soit besoin de procéder à une nouvelle élection par le congrès. Ce moyen de limiter l’instabilité pourrait certes être lui-même détourné de sa fin si telle est la volonté des différents acteurs, mais il s’agit néanmoins d’une démarche pragmatique.

Nous approuvons également les légères amodiations apportées par la commission des lois, qui nous paraissent s’inscrire parfaitement dans l’esprit de l’accord de Nouméa. En particulier, la rédaction proposée au travers de l’amendement n° 3, visant à préciser que, pour provoquer la démission de plein droit du gouvernement, la démission collective des membres d’une liste devra être « motivée », me semble meilleure que celle qu’avait adoptée la commission le 8 juin dernier, faisant référence à une démission « en cas d’atteinte au principe de collégialité ». Cette dernière formulation était en effet plus déclaratoire que normative. (M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur acquiescent.)

Sachons distinguer le fond politique de ce qui peut n’être qu’un prétexte. À cet égard, la question du drapeau, qui a été l’instrument du conflit, doit à mon sens être relativisée. Si faire flotter côte à côte les deux drapeaux peut être perçu comme un signe de paix, cela peut être aussi interprété, par certains acteurs, comme un renvoi de chaque camp au drapeau qu’il reconnaît être le sien, pouvant mener à une sclérose des positions. Or le drapeau de la République ne saurait être celui d’un camp. Quant au drapeau kanaky, il a droit au même respect. Mais la recherche d’un drapeau commun, symbolisant le destin collectif de la Nouvelle-Calédonie, me semble être une étape incontournable. L’épreuve des faits permettra rapidement de distinguer entre alliances réelles et arrangements politiques.

Notre préoccupation est de respecter la volonté des Calédoniens, de leur reconnaître la maîtrise de leur destin, dans l’esprit du combat que nous avons mené, d’éviter l’apparition, de manière diffuse, dissimulée, d’une perspective néocoloniale qui se parerait d’habits sympathiques pour mieux passer inaperçue. En un mot, il s’agit à nos yeux de respecter pleinement les citoyens calédoniens.

Tel est le défi qui attend la représentation nationale dans les années à venir. Je forme le vœu qu’elle soit en mesure de continuer à faire vivre l’esprit des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, qui à ce jour n’a pas été trahi, en dépit de quelques tentatives heureusement avortées. À cet égard, le Sénat a un rôle particulier à jouer.

C’est dans cet esprit que nous voterons ce texte. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Detcheverry.

M. Denis Detcheverry. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quinze jours à peine après la discussion du projet de loi organique relative aux institutions de la Polynésie française, le Sénat est saisi, au travers du présent texte, d’un problème similaire – l’instabilité gouvernementale –, à propos cette fois de la Nouvelle-Calédonie. Les mêmes causes appelant les mêmes effets, ce nouveau débat institutionnel relatif à une collectivité d’outre-mer ne constitue pas véritablement une surprise.

Les élus ultramarins rappellent, année après année, que le modèle de gouvernance est non pas une fin en soi, mais un outil, qui devrait être uniquement dédié au développement économique et social.

Pour autant, il faut comparer ce qui peut l’être. La situation de la Nouvelle-Calédonie est tout à fait singulière dans la République par rapport à celle des autres territoires ultramarins. Cette collectivité bénéficie d’un régime juridique unique au sein de nos institutions, puisqu’elle est la seule à faire l’objet d’un titre spécifique dans notre Constitution.

L’originalité de la Nouvelle-Calédonie par rapport aux autres collectivités d’outre-mer tient aussi à sa structure démographique. Les vagues successives d’immigration de peuplement ont créé une société très composite, où la population kanake, sans être majoritaire, constitue le groupe ethnique le plus important, avec 40 % des habitants. Les personnes d’origine européenne, que leur implantation soit ancienne ou plus récente, représentent quant à elles près de 30 % de la population.

Cette cohabitation n’a pas toujours été aisée, mais l’objectif de l’accord de Nouméa fut précisément d’instituer un véritable partenariat entre habitants de toutes origines, afin de rendre possible une vision commune de l’avenir.

À cette singularité démographique s’ajoute un modèle économique qui ne peut être comparé à ceux des autres territoires ultramarins. Les grandes réformes économiques qui ont été engagées depuis une quinzaine d’années commencent à porter leurs fruits. Elles placent la Nouvelle-Calédonie sur le chemin vertueux d’un développement économique endogène, grâce, notamment, à l’exploitation des ressources minières de l’archipel.

Les usines d’extraction de cobalt et de nickel de Goro au sud et de Koniambo au nord devraient être prochainement opérationnelles, permettant, de surcroît, un rééquilibrage de l’économie entre le nord et le sud de l’archipel. Il faut aussi rappeler que le PIB par tête de la Nouvelle-Calédonie est l’un des plus élevés de la région : en 2008, il atteignait 37 000 dollars, contre 36 000 dollars pour l’Australie et 26 000 dollars pour la Nouvelle-Zélande, ce qui place ce territoire parmi les soixante-cinq pays bénéficiant des revenus les plus élevés au monde.

Sans revenir sur une histoire récente complexe et douloureuse pour toutes les parties, nous ne pouvons pas non plus abstraire notre débat du référendum d’autodétermination qui, selon les termes de l’accord de Nouméa, devra se tenir entre 2014 et 2019.

Dans cette perspective, comme l’a rappelé M. le rapporteur, l’existence d’un gouvernement collégial oblige les forces politiques représentées au congrès à travailler ensemble, pour l’avenir du territoire. Ce consensus apparent a pourtant volé en éclats en raison de la querelle du double drapeau.

Sans vouloir interférer dans un débat très important pour nos concitoyens néo-calédoniens et dont eux seuls détiennent les clefs, il me semble pour ma part dommageable pour l’avenir que l’équilibre institutionnel de ce territoire soit affecté par le détournement de la procédure de démission d’office du gouvernement.

Si le principe de collégialité, inhérent au caractère composite de la société néo-calédonienne, correspond bien à l’esprit de l’accord de Nouméa, tout abus de la majorité ou d’une partie de celle-ci doit être prohibé, afin de préserver un pacte politique qui a été si long à se construire. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur le recours déposé devant le Conseil d’État contre la gestion des affaires courantes assurée par le gouvernement démissionnaire. Cette démarche montre bien selon nous que la priorité des requérants n’est pas de construire l’avenir de la Nouvelle-Calédonie !

Un nouveau gouvernement a été investi vendredi dernier, avec toujours l’espoir d’un retour à la stabilité après quatre mois de crise. Toutefois, des incertitudes subsistent encore quant à sa durée de vie, dès lors que la répartition des portefeuilles, qui interviendra demain 16 juin, entretient la polémique.

Le mouvement Calédonie Ensemble, déjà à l’origine de trois démissions collectives, a une nouvelle fois menacé de quitter le gouvernement si « les principes fondateurs de collégialité et de proportionnalité » n’étaient pas respectés dans l’attribution des secteurs de compétence. Autre augure guère encourageant, les élus de Calédonie Ensemble ont boycotté la fin de la séance du congrès.

À mes yeux, et je crois que cette opinion est partagée sur nombre de nos travées, la querelle des drapeaux n’est en réalité qu’un prétexte purement politicien, qui ne fait pas honneur aux élus qui en usent. Je comprends parfaitement l’importance symbolique de cette question, notamment au regard de la nécessité de forger une communauté de destin pour toutes les composantes de la société néo-calédonienne. En appeler au peuple, comme le voulait la frange contestataire de la majorité, est in fine le seul moyen légitime de régler les conflits dans une démocratie. Pour autant, je ne suis pas convaincu, tout comme mes collègues du RDSE, que la paralysie du congrès depuis le mois de février dernier soit le meilleur moyen de donner à la Nouvelle-Calédonie les outils de son développement. Ces difficultés d’ordre institutionnel et relationnel ne doivent pas obérer la dynamique de développement de l’archipel.

Madame la ministre, mes collègues du groupe RDSE et moi-même sommes fermement convaincus de la nécessité de mettre fin à ces gesticulations, dont les auteurs oublient complètement l’intérêt général. Votre projet de loi organique, qui modifie l’article 121 de la loi organique du 19 mars 1999, répond-il correctement à la situation ? En partie, à nos yeux.

Ce texte conforte le principe indispensable de collégialité, en limitant à dix-huit mois le délai entre deux démissions collectives qui affecteraient l’ensemble du gouvernement. Néanmoins, cette nouvelle rédaction sera-t-elle suffisante pour faire véritablement vivre la collégialité ? Nous n’en sommes pas sûrs, tant on en reste ici au registre déclaratoire, sans régler la question au fond.

Les enjeux essentiels sont aujourd’hui ailleurs. Comme le relevaient nos collègues Bernard Frimat et Christian Cointat à l’issue de leur mission d’information, il sera bien difficile, pour certaines compétences de premier ordre, de tenir le calendrier des transferts de compétences prévu par l’accord de Nouméa et complété en 2009, même si le congrès a accompli un travail remarquable jusqu’à présent.

Il importe à nos yeux que les lois de transfert ne soient pas irrémédiablement figées et qu’elles prévoient des critères d’évaluation pour permettre des ajustements le cas échéant. Tel ne semble pas être le cas aujourd’hui, puisqu’il apparaît que le suivi par l’État de ces transferts n’est pas suffisant. Il subsiste aussi, malheureusement, des problèmes de compensation financière de ces derniers.

Madame la ministre, un travail important a été réalisé pour ouvrir à la Nouvelle-Calédonie un meilleur avenir, en particulier au Parlement. Nos collègues Christian Cointat et Bernard Frimat, au-delà de leurs sensibilités politiques différentes, partagent une vision commune des valeurs de la République. Un travail considérable a également été accompli par l’ensemble des élus néo-calédoniens, pour faire progresser l’idée d’une communauté de destin apaisée. Il faut ici leur rendre hommage.

Nous voterons naturellement en faveur de ce texte, en songeant à l’intérêt de nos compatriotes néo-calédoniens et en accordant notre confiance à l’esprit de responsabilité des élus de l’archipel. (Applaudissements.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord louer le travail accompli par Christian Cointat et Bernard Frimat.

Nous savons combien il est important, pour le pouvoir politique, de ne pas subvertir des outils juridiques à des fins personnelles, ni, surtout, contre l’intérêt général.

Nous savons aussi que le pouvoir doit à un moment donné savoir mettre fin aux dérives du pouvoir. Nous avons malheureusement souvent eu l’occasion de rappeler ce principe en ces lieux ; aujourd’hui nous est donnée l’occasion de le mettre en pratique.

La Nouvelle-Calédonie, possession française du Pacifique Sud depuis 1853, est un territoire profondément marqué par les événements historiques qui s’y sont déroulés. Les mouvements de population successifs, ainsi que les rapports de domination coloniale dans lesquels ils s’inscrivaient, ont peu à peu composé la richesse de cette société pluriethnique.

L’archipel a néanmoins longtemps été marqué par de forts clivages entre ethnies autochtones et allochtones, qui ont eu pour effet d’y entretenir des troubles sociaux et politiques durables.

De plus, reniée dans son identité par le code de l’indigénat jusqu’en 1946, la Nouvelle-Calédonie a connu une extraordinaire profusion de statuts juridiques, qui lui ont octroyé plus ou moins d’autonomie selon les gouvernements en place en métropole, sans réelle lisibilité prospective.

À la suite d’une série d’événements dramatiques, est intervenu l’accord de Nouméa, qui a contribué à dénouer la situation en apportant une certaine paix politique aux Néo-Calédoniens.

Cet accord a inscrit la restitution de son identité au peuple kanak, ainsi que la reconnaissance de la souveraineté de l’archipel. Celle-ci se matérialise par des transferts de compétences, qui sont encore en cours et que nous avons le devoir de faciliter. Néanmoins, l’utilisation regrettable qui a été faite de l’article 121 de la loi organique de 1999 est venue rompre l’équilibre politique prévu par l’accord de Nouméa.

En effet, cette disposition a ouvert une possibilité de manœuvre à un parti qui souhaiterait recomposer le gouvernement, quand bien même il n’y compterait qu’un élu : il lui suffit de faire démissionner l’ensemble de ses colistiers et de leurs remplaçants éventuels. Cette pratique évite de recourir à la motion de censure prévue à l’article 95, qui constitue, en théorie, la procédure normale pour renverser le gouvernement.

Une telle technique a été utilisée à répétition, et de façon malveillante, par le parti Calédonie Ensemble, afin d’obtenir de l’État la dissolution du congrès. Depuis lors, cet abus de droit a été mis en échec par le Conseil d’État, qui y a vu une manœuvre électorale. Dans sa décision du 8 avril 2011, la haute juridiction a estimé que les démissions « visaient à vicier la régularité de l’élection du président et du vice-président et avaient, en conséquence, le caractère d’une manœuvre électorale qui doit demeurer sans incidence sur la régularité du scrutin ».

Il nous appartenait de réagir. Cette modification de la loi organique est devenue indispensable, et nous la soutiendrons en vertu du respect des principes républicains.

En 2011, la Nouvelle-Calédonie se verra transférer de nouvelles compétences, notamment dans le domaine de l’enseignement. Entre 2014 et 2018 devrait se tenir un scrutin d’autodétermination, ce qui est une bonne chose, car l’histoire n’a que rarement laissé le choix aux Néo-Calédoniens.

Nous souhaitons véritablement que cette réforme apporte un nouveau souffle à la vie politique néo-calédonienne, déjà trop éprouvée, ainsi que la stabilité nécessaire aux transferts de pouvoirs prévus pour l’avenir. Bien sûr, nous voterons ce texte. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Simon Loueckhote.

M. Simon Loueckhote. Je voudrais tout d'abord remercier les quelques collègues présents en séance à cette heure tardive,…

M. Charles Revet. C’est normal !