M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.

Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les vicissitudes de cette réforme de la médecine du travail. Différents rapports ont révélé, depuis longtemps, les dysfonctionnements du secteur de la médecine du travail.

Nous ne contestons pas la nécessité d’une réforme de fond qui, cependant, ne doit pas organiser la disparition d’un des piliers de notre droit du travail.

Cette réforme doit avoir deux objectifs majeurs : améliorer la santé au travail, notamment la prévention, et remédier au manque crucial de médecins spécialisés dans les années à venir.

Pour nous, les deux problèmes sont liés : comme la médecine du travail n’a pas la place qui lui revient, elle subit la désaffection des étudiants en médecine. Or le texte qui nous est soumis n’améliore pas les choses. La réforme qui est proposée risque même, au contraire, de disqualifier le médecin.

Qui souhaitera devenir médecin du travail si l’exercice de cette profession implique de se référer à un projet de service, ou d’accepter l’intervention des autres membres de l’équipe pluridisciplinaire qui ne présentent pas les mêmes garanties d’indépendance que le médecin lui-même ?

En outre, ces médecins n’auront pas la confiance des salariés, qui considèrent souvent que les médecins du travail sont à la solde des employeurs.

C’est pourquoi les questions de gouvernance de la médecine du travail et d’indépendance des intervenants sont fondamentales.

Lors des débats en première lecture, nous avions amélioré ensemble les dispositions du texte relatives à la gouvernance des services de santé au travail. Nous en étions revenus à la rédaction adoptée très largement par le Sénat lors de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, grâce à un amendement de la commission des affaires sociales.

Cette rédaction, il faut le rappeler, correspondait aussi aux recommandations de la mission sur le mal-être au travail, qui a estimé qu’il fallait revaloriser la profession de médecin du travail et réaffirmer l’indépendance des services de santé au travail, notamment en les rattachant à une structure paritaire. L’adoption de cet amendement nous avait même permis de nous abstenir lors du vote sur ce texte, en première lecture.

La majorité, à l’Assemblée nationale, a défendu la préférence patronale : le texte prévoit, certes, de créer un conseil d’administration composé à parts égales de représentants des employeurs et des salariés, mais avec une présidence revenant de droit aux employeurs, sous prétexte que les financeurs doivent être les décideurs. Heureusement, ce n’est pas toujours le cas !

Quant à la liberté d’association, elle ne peut pas non plus être invoquée, puisque vous n’hésitez pas à imposer un trésorier issu du collège des représentants des salariés, ce qui est tout à fait contraire à la liberté d’association !

Nous aurons l’occasion de reparler de cette question ; nous avons en effet déposé un amendement tendant à permettre au Sénat de revenir, sur ce point, au texte qu’il a adopté par deux fois. Cependant, nous ne nous faisons guère d’illusions. La commission des affaires sociales du Sénat a fait aujourd’hui profil bas. Encore une fois, nos collègues de droite se rangeront derrière leurs états-majors et derrière la majorité de l’Assemblée nationale !

Mme Isabelle Debré. C’est un procès d’intention !

Mme Jacqueline Alquier. Dans ce schéma, ce sont les employeurs qui définiront les priorités d’intervention des services de santé au travail. Au travers des contrats d’objectifs et de moyens, et de leur adaptabilité aux réalités locales, tout semble fait en sorte d’éviter que les médecins du travail n’abordent pas les questions qui fâchent ! Cela est d’autant plus vrai que les directeurs des services de santé au travail, désignés par les employeurs, sont investis d’importantes prérogatives, notamment dans la définition des priorités d’action.

Ce texte contient ainsi en germe le risque que la médecine du travail se transforme en un service de santé publique au rabais, dirigé par des employeurs qui souhaitent seulement s’exonérer de leurs responsabilités en matière de santé au travail.

Le recours à des équipes pluridisciplinaires, qui constitue certainement une nécessité, ne doit pas s’accompagner d’une moindre indépendance des interventions en matière de santé au travail. Or ce texte ne garantit à aucun moment l’indépendance des membres de l’équipe pluridisciplinaire. Seule l’indépendance du médecin du travail est garantie, comme cela nous est rappelé fort utilement dans le texte même de la proposition de loi.

Comment, face à des directeurs de service nommés par le patronat, l’indépendance des professionnels de la santé placés sous leur autorité pourra-t-elle être garantie ?

Nous défendrons donc des amendements visant à garantir l’indépendance de l’ensemble des membres de l’équipe des services de santé au travail. Nous craignons en effet que cette proposition de loi, qui ne résout pas les problèmes de démographie médicale, n’ait pour conséquence le remplacement des médecins du travail par d’autres membres des services de santé qui, eux, ne seront pas indépendants.

Nous voyons bien, dans ce texte, que les injonctions du MEDEF ne sont pas loin !

Un autre point d’achoppement, qui est aussi la suite logique de cette mainmise patronale, concerne le risque de confusion entre la nécessaire prise en compte des risques professionnels par les employeurs et la prévention en matière de santé au travail par le médecin : la gestion des risques dépend exclusivement de l’employeur. C’est à lui de prendre les mesures qui s’imposent pour l’organisation de son activité, afin de prévenir la survenance d’accidents. Le médecin doit, quant à lui, l’alerter sur les menaces qui pèsent sur la santé des travailleurs. Il ne faut pas mélanger les rôles.

Enfin, ce texte n’apporte pas de solution à la question fondamentale de la pénurie de médecins du travail.

Plus de la moitié des médecins en activité sont âgés de plus de cinquante-cinq ans. Cela signifie que, dans trois ans, dans près des trois quarts des services de santé au travail, chaque médecin devra suivre en moyenne 3 300 salariés. Comment, dans ces conditions, un médecin peut-il remplir correctement ses missions ?

Vous considérez la désaffection dont souffre cette spécialité, et vous cherchez des solutions ailleurs : recours à des médecins non spécialistes, à des internes, à d’autres membres de l’équipe pluridisciplinaire, privatisation de certains services.

Il est à notre avis possible de s’y prendre autrement. En redonnant ses lettres de noblesse à cette profession, on pourrait enrayer ce mouvement de désaffection.

Ce qu’il aurait fallu, c’est une réforme qui s’attaque aux vrais obstacles à la prévention, et qui permette de renforcer les effectifs et les moyens de la médecine du travail.

Il est urgent que les employeurs prennent clairement conscience de leur responsabilité dans l’augmentation des maladies professionnelles, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Malheureusement, votre proposition de loi ne va pas dans ce sens.

Elle ne résout aucun des problèmes fondamentaux auxquels la médecine du travail est confrontée, qu’il s’agisse de l’indépendance des services de santé au travail, de la meilleure prise en compte des nouveaux problèmes de santé au travail ou de la démographie médicale.

Nous défendrons des amendements ayant tous pour objet de responsabiliser les employeurs et de favoriser la reconnaissance de l’indépendance des services de santé au travail.

Ce qu’il faut, c’est rendre la médecine du travail plus à même d’aider les salariés, en raison, notamment, des nouvelles formes de maladies professionnelles, en renforçant l’indépendance des médecins et des équipes pour que cette discipline soit aussi plus attractive pour de jeunes médecins.

Les services de santé au travail ont pour mission exclusive, conformément à une disposition concernant les médecins au travail qui a été reprise, d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. C’est cela qu’il faut garantir.

Comme souvent, nous sommes d’accord sur le constat. Mais nous sommes persuadés qu’il est impératif de préserver une médecine du travail indépendante, véritablement au service de la santé des millions de salariés de notre pays, ce que ne permet pas le texte que nous examinons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, six mois après l’adoption en première lecture de la présente proposition de loi par le Sénat, nous arrivons au terme de son examen, puisque le Gouvernement et la commission souhaitent un vote conforme, ce que je regrette.

Même si ce texte a évolué, force est de constater qu’il soulève encore bien des inquiétudes. Je pense, principalement, à la question de la gouvernance. Nous avions permis une certaine avancée puisque nous avions adopté une administration par un conseil paritaire dont la présidence était assurée alternativement par un représentant des employeurs et par un représentant des salariés. Nous étions parvenus à un véritable paritarisme au sein du conseil d’administration, gage d’une plus grande indépendance des médecins. Ce fut en vain ! L’Assemblée nationale n’a pas souhaité nous suivre, et le texte qui nous est soumis aujourd’hui réserve la présidence du conseil aux représentants des employeurs.

Une telle régression est pour nous inacceptable : il n’est pas concevable que ce soit toujours le même syndicat qui occupe ce poste. Et je regrette profondément que la commission n’ait pas jugé opportun de revenir à la rédaction que nous avions adoptée en première lecture. Je reste convaincue que le président et le trésorier doivent être élus alternativement parmi les représentants des employeurs et parmi ceux des salariés. C’est pourquoi j’ai de nouveau déposé, avec plusieurs membres du groupe RDSE, un amendement en ce sens.

Je regrette également les conditions dans lesquelles cette supposée réforme de la médecine du travail a été menée. J’avoue avoir espéré, comme beaucoup d’entre nous dans cet hémicycle, que le Gouvernement prendrait le temps d’engager un vrai débat avec les organisations syndicales pour parvenir à une réforme ambitieuse qui réponde aux attentes des salariés et aux besoins des médecins du travail. Il n’en est rien.

Alors que les effectifs des médecins concernés s’effondrent et que le nombre de maladies professionnelles augmente, la nécessité d’une réforme de la médecine du travail, instituée en 1946, fait l’unanimité. Cette réforme est d’ailleurs urgente. Mais, monsieur le ministre, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ! La présente proposition de loi n’est qu’un copier-coller des dispositions introduites par voie d’amendements dans le projet de loi portant réforme des retraites, au mépris de toute concertation, dispositions qui ont à l’époque été censurées par le Conseil constitutionnel, lequel les a considérées comme un cavalier législatif.

Il aurait pourtant été souhaitable d’aborder la question de la pénurie des médecins du travail. Voilà un an, un rapport avait déjà mis en exergue ce problème. En 2009, plus de 55 % des médecins du travail étaient âgés de plus de cinquante-cinq ans. Dans quatre ans, plus de 4 000 médecins auront atteint ou dépassé l’âge légal de départ à la retraite ; leur nombre s’élèvera à plus de 5 600 dans moins de dix ans. Au total, en 2020, la population des médecins du travail aura donc perdu 80 % de ses effectifs ! Vers qui les salariés pourront-ils se tourner ? Et gardons à l’esprit que chacun des 6 000 professionnels en exercice suivent en moyenne 3 500 salariés. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les médecins du travail puissent remplir correctement leurs missions ?

La médecine du travail est donc en danger ! Et n’oublions pas que dix années sont nécessaires pour former un médecin et que moins de quatre-vingts étudiants en médecine optent chaque année pour la médecine du travail, spécialité qui souffre d’une mauvaise image. Le médecin du travail devrait être pérennisé et reconnu comme un expert qui a toute sa place dans le déploiement des politiques de santé publique.

Après l’avoir affirmé lors de la première lecture, je le répète aujourd'hui : le texte que nous examinons aurait dû être l’occasion de revaloriser ce métier tant décrié, de faire évoluer les mentalités, d’autant que la prévention en matière de santé au travail est un enjeu majeur. Il est primordial de continuer à améliorer les conditions de travail et la prévention des risques professionnels, à un moment où les maladies professionnelles et les risques psychosociaux ne cessent d’augmenter.

Si les troubles musculo-squelettiques constituent à l’heure actuelle la première cause de maladies professionnelles, la souffrance au travail se répand de plus en plus, comme nous le constatons malheureusement. Parfois, les tensions au travail aboutissent à des situations de souffrance psychique, de stress, de découragement, de conflit, de réels traumatismes.

Comme l’a fait remarquer Jacqueline Alquier, depuis quelques années, les suicides et les tentatives de suicide sur le lieu de travail font régulièrement la une de l’actualité. Près de 400 suicides par an seraient liés à l’activité professionnelle. C’est la raison pour laquelle les médecins du travail ont un rôle très important à jouer au niveau de la prévention et que leur indépendance est primordiale, même si leur position au sein de l’entreprise est compliquée puisqu’ils subissent parfois des pressions et ont souvent le sentiment de ne servir à rien.

La médecine du travail doit évoluer. Or la présente proposition de loi n’apporte pas la bonne réponse.

Pour toutes ces raisons, et comme en première lecture, la majorité des membres du RDSE voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, nous excusons bien volontiers votre petit retard s’il s’agit d’éviter qu’une sanction trop lourde ne soit prononcée à l’encontre du salarié d’un magasin Monoprix qui, en fin de compte, n’a commis qu’une erreur bénigne.

Avant que la présente proposition de loi ne soit définitivement adoptée, le Gouvernement et le rapporteur souhaitant un vote conforme, permettez-moi de rappeler à quel point le parcours de cette réforme de la médecine du travail aura été chaotique.

Trop longtemps repoussé, le chantier a finalement été ouvert voilà un peu plus de trois ans, mais les réunions se sont succédé sans qu’aucun accord puisse être signé entre patronat et syndicats. Nul besoin de revenir aujourd’hui sur les responsabilités des uns ou des autres dans cet échec. Surprenant tout le monde, le Gouvernement a alors décidé de greffer cette réforme par voie d’amendements sur celle des retraites. Force est de constater que ce choix a cristallisé les positions et largement envenimé le débat avant que le Conseil constitutionnel n’invalide ce volet au mois de novembre dernier, l’estimant sans lien avec le projet de loi initial.

Finalement, c’est donc par le biais de cette proposition de loi déposée par le groupe centriste à la fin de l’année dernière que nous allons aboutir à cette réforme qui aurait dû être, si ce n’est consensuelle, tout au moins partagée, mais qui, en réalité, laissera un sentiment d’inachevé à de nombreux acteurs de la médecine du travail.

La France a fait le choix d’une organisation spécifique de la santé au travail fondée sur la prévention et reposant sur un corps de médecins spécialistes du travail. La mission qui lui a été assignée, à savoir éviter toute altération de la santé du fait du travail, est l’une des plus grandes conquêtes sociales du siècle dernier. Nous sommes lucides et considérons comme nécessaire de faire évoluer les services de santé au travail ; mais nous restons très attachés à cette spécificité de la médecine du travail préventive.

C’est pourquoi, tout en réaffirmant notre ferme volonté de garder un exercice médical spécifique au milieu du travail, nous souscrivons à la pluridisciplinarité et à la régionalisation des services de santé au travail. Les dispositions renforçant l’indépendance des médecins du travail sont, elles aussi, très importantes et nous semblent aller dans le bon sens, bien qu’elles soient encore largement insuffisantes par rapport à la réalité que nous connaissons tous.

Mais la question sur laquelle nous ne pouvons plus vous suivre, et vous le savez, monsieur le ministre, est celle de la gouvernance des services de santé au travail. C’est l’un des principaux dysfonctionnements de la médecine du travail. Nous aurions pu espérer sur ce point un consensus politique et syndical, c’est-à-dire une présidence alternée.

Nous sommes convaincus que l’une des pistes importantes pour répondre à la situation constatée – ce constat peut d’ailleurs être partagé – consiste à impliquer les organisations syndicales de salariés et donc à mettre en place un véritable paritarisme, tel que l’avait d’ailleurs proposé la mission d’information du Sénat sur le mal-être au travail que j’ai eu l’honneur de présider. L’idée du paritarisme renvoie au dialogue social ; elle constitue en ce sens un progrès. Mais nous rejetons avec fermeté la conception du paritarisme qui nous est proposée et qui inclut une présidence permanente des employeurs pour ce qui concerne les services de santé au travail.

C’est bien la remise en question de la rédaction adoptée par le Sénat par deux fois à l’unanimité qui est aujourd’hui au cœur de notre désaccord. C’est également l’une des principales raisons pour lesquelles nous ne pourrons voter en faveur de l’adoption de la présente proposition de loi si les amendements que nous avons déposés, notamment celui qui porte sur la gouvernance, ne sont pas adoptés.

Certes, la médecine du travail est financée par les employeurs, et ce parce qu’elle renvoie à la responsabilité directe de l’employeur. Mais ce mode de financement ne doit pas avoir pour conséquence une emprise patronale majeure sur le système ne lui offrant pas l’indépendance nécessaire à sa mission. Cette question est cruciale, car il ne peut y avoir de véritable santé au travail sans une indépendance des acteurs de la prévention.

Le schéma retenu par l’Assemblée nationale – présidence patronale, trésorerie dévolue aux représentants des salariés – n’est pas satisfaisant : les organisations représentatives des salariés devront gérer ad vitam aeternam la trésorerie de services dont ils ne maîtriseront ni les ressources ni les décisions ou les objectifs puisqu’il est prévu que le patronat ait une voix prépondérante. C’est un leurre, à moins de supprimer cette voix prépondérante.

Monsieur le ministre, je souhaite en cet instant faire une petite digression, qui n’est toutefois pas sans lien avec le présent texte. C’est pour la raison précitée que je suis opposé à toute modification de la gouvernance du FIVA, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. Vous avez soumis aux associations un projet de décret visant à confier la majorité des sièges aux représentants de l’État et des employeurs, et la présidence non plus à un magistrat indépendant, mais à un membre de la Cour des comptes ou du Conseil d’État choisi par le Gouvernement.

L’argument utilisé, que je réfute, est le même que celui qui a été évoqué à propos de la médecine du travail : « celui qui paie décide ». Je vous le rappelle, le FIVA ayant pour vocation de se substituer aux procédures judiciaires, nous, législateur, avons conçu son conseil d’administration comme un premier degré de juridiction. C’est pourquoi il est présidé par un magistrat indépendant, membre de la Cour de cassation, et repose sur un équilibre entre les parties ; ni les représentants des « payeurs » – État et employeurs – ni les représentants des « bénéficiaires » – associations de victimes et organisations syndicales de salariés – ne disposent de la majorité. C’est cet équilibre, dans lequel le président joue un rôle d’arbitre, qui assure une certaine équité à l’indemnisation.

Imaginer donner aux « payeurs », qui sont aussi les responsables de cette catastrophe sanitaire, laquelle, je le rappelle, aura fait près de 100 000 morts d’ici à 2020, le droit de décider librement du montant des indemnisations des victimes est, à mon avis, une véritable gageure.

Les associations des victimes de l’amiante en sont persuadées, ce projet de reprise en main du conseil d’administration du FIVA n’a qu’une seule finalité, hormis ne plus perdre de temps à discuter avec les associations, comme l’ont clairement annoncé les services de l’État, à savoir faire des économies sur le dos des victimes. J’avoue que je partage la crainte de celles-ci. Depuis plusieurs années, les fonds relatifs à la question de l’amiante, FIVA comme FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, sont accusés de coûter cher à la sécurité sociale, et, pour certains, la tentation est grande de remettre en cause les fondements de ces indemnisations.

Cette nouvelle composition, au-delà de la baisse des indemnisations qu’elle annonce, est en soi un véritable déni du droit des victimes à une réparation intégrale de leurs préjudices, tel qu’il a bien été prévu par la loi. C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, en tant qu’ancien rapporteur de la mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante du Sénat, d’y renoncer.

Monsieur le ministre, même si cette question est quelque peu hors sujet, j’avais à cœur, pour cette intervention qui sera peut-être ma dernière au Sénat en raison du prochain renouvellement du mois de septembre, de vous alerter sur ce point qui inquiète beaucoup tous les salariés victimes de l’amiante.

Pour en revenir au présent texte, nous ne le voterons pas, à regret, tous nos amendements ayant été rejetés en commission ; ou alors il faudrait que ces derniers soient votés en séance plénière…

Pourtant, je vous l’assure – et nous l’avions indiqué à votre prédécesseur, Éric Woerth –, nous étions disposés dès le départ à trouver un consensus sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre. J’interviendrai bien sûr dans la discussion des articles, mais je souhaite d’ores et déjà répondre à chacun des orateurs qui viennent de s’exprimer au cours de la discussion générale.

Madame Payet, le travail accompli avec Guy Lefrand a été non seulement exemplaire, mais également très constructif, et c’est pourquoi la deuxième lecture de ce texte au Sénat se présente particulièrement bien.

Vous avez évoqué le rôle des services de santé au travail dans la prédiction de certaines addictions, notamment dans la lutte contre l’alcoolisme et le syndrome d’alcoolisme fœtal, sujets qui vous tiennent au cœur depuis bien longtemps. Je ne peux que vous rejoindre sur ce point : ils concernent travail et santé publique.

Je ne peux pas vous laisser affirmer, madame David, que les organisations syndicales ont refusé de négocier sur les propositions qui vous sont soumises. Certes, les sujets abordés ne sont pas faciles, mais si vous interrogez la CFDT, la CGT-FO, vous constaterez que, sur un certain nombre de points, un large consensus s’est dégagé, comme les contacts bilatéraux en témoignent. Ces organisations préfèrent que le présent texte soit adopté, pour éviter une sorte de no man’s land, de vide juridique, politique, social en la matière.

Vous avez dit également – rapidement, certes, mais vous l’avez dit tout de même – que cette proposition de loi comportait des points positifs, notamment en ce qui concerne les équipes pluridisciplinaires ; je vous en suis reconnaissant.

Monsieur Laménie, vous avez raison de souligner, à l’instar de Mme David, la pertinence de la pluridisciplinarité. Vous avez notamment évoqué les troubles musculo-squelettiques, TMS. Pour bien les soigner, il faut connaître les conditions de travail ; par exemple, dans une entreprise de transformation de viande, il faut étudier les postes de travail, les gestes, les charges. Dès lors, la présence d’un ergonome est un gage de réussite supplémentaire. Votre intervention décrit donc bien la réalité du monde du travail, ainsi que les besoins qui en découlent.

Mme Alquier a raison de relever la situation de la démographie médicale avec son paradoxe. Notre pays est celui qui compte le plus de médecins du travail. Nous devrions donc, à mon sens, étudier la solution des passerelles de reconversion. Je pense notamment à la validation des acquis de l’expérience, VAE, que la loi HPST a rendue plus facile. Il faut revaloriser l’image de la profession.

Le développement de la pluridisciplinarité nous aidera à aller dans cette direction. Toutefois – je le dis aussi à l’intention de Mme Laborde –, on ne peut pas réformer une société par décret, et on ne peut pas davantage modifier la pyramide des âges par une loi. Il faut, je le répète, améliorer l’image.

Nous avons fait en sorte, avec les partenaires sociaux, de nous donner les moyens d’avancer. Le cadre que prévoit d’instaurer cette proposition de loi est un préalable indispensable.

Par ailleurs, j’ai déjà contacté Laurent Wauquiez, le nouveau ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, afin que les textes réglementaires relatifs à la démographie médicale soient rapidement pris.

Je tiens à dire à M. Godefroy que nous partageons son souci de préserver l’indépendance des médecins du travail. J’ai été sensible au fait que l’amendement que j’avais présenté ait été adopté à l’unanimité par le Sénat ; je pense qu’il s’agissait d’un point important.

Concernant le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, FIVA, beaucoup de choses ont été dites ou écrites. Je peux vous dire qu’il n’y aura pas de modification dans la composition de son conseil d’administration. Il me semble important de le répéter, encore et encore. Le seul changement qui interviendra porte sur la présidence : le président pourra désormais être choisi soit parmi les membres de Cour de cassation, soit parmi ceux du Conseil d'État ou de la Cour des comptes.

Mme Annie David. Choisi par qui ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Ces institutions ont à maintes reprises fourni la preuve de leur totale indépendance ; nous venons d'ailleurs d’en avoir un exemple.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Je rappelle qu’aux termes de la nouvelle rédaction de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.

En conséquence, sont irrecevables les amendements remettant en cause les « conformes » ou les articles additionnels qui sont sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.