M. Pierre Hérisson. Il faut le rappeler, monsieur le ministre !

M. Eric Besson, ministre. Je fixe aujourd’hui devant vous un objectif clair : d’ici un an, douze réseaux d’initiative publique devront avoir conclu une convention d’aide avec l’État, et d’ici à la fin de l’année au moins trois conventions seront signées. Comme vous, j’aimerais que l’on utilise le plus vite possible ces 900 millions d'euros, mais nous devons également, dans un objectif de bonne utilisation des deniers publics, respecter un certain nombre de procédures.

Je veux donc vous rassurer : lorsque ces 900 millions d’euros auront été engagés, l’État, je le répète, abondera le Fonds d’aménagement numérique du territoire. Le déploiement de la fibre optique dans les zones rurales constitue en effet, ainsi que vous l’avez souhaité, l’une de nos priorités.

J’en viens à mon deuxième point : le Gouvernement prépare le développement du très haut débit par satellite, avec 40 millions d’euros d’investissements dans la recherche et développement. Cet engagement permettra de dépasser les performances du satellite Ka-Sat, qui offre d’ores et déjà 10 mégabits par seconde sur l’ensemble de notre territoire. Il permettra également de résoudre le problème des zones qui ne pourront pas – chacun en a conscience – être desservies par le très haut débit fixe, par exemple les zones géographiques très encaissées ou éloignées de tout centre urbain.

J’aborde maintenant mon troisième point : le Gouvernement a défini une obligation d’équipement en fibre optique des immeubles collectifs neufs. Ce sont ainsi 200 000 logements qui seront équipés par les promoteurs chaque année. Je vous annonce que l’arrêté et le décret d’application viennent de recevoir un avis favorable de la Commission consultative d’évaluation des normes. Ils seront donc adoptés dans les prochains jours, dès qu’ils auront été validés par le Conseil d’État.

Je passe à mon quatrième point : le Gouvernement a défini le cadre réglementaire de la mutualisation des réseaux, avec la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 et ses décrets d’application du 15 janvier 2009, ainsi que les arrêtés du 15 janvier 2010 et du 10 janvier 2011 homologuant les décisions de l’ARCEP. Grâce à ce cadre, les opérateurs se sont engagés à ce que 57°% de la population soit couverte par la fibre optique d’ici dix ans.

J’ai entendu, cet après-midi encore, vos interrogations sur ce point. Sachez que le Gouvernement veillera chaque année à ce que ces engagements soient respectés.

M. Hervé Maurey. Comment ?

M. Eric Besson, ministre. Bruno Retailleau a insisté sur ce point avec raison, et je souhaite y revenir.

Si un opérateur privé ne respecte pas ses engagements de déploiement, les zones concernées retomberont aussitôt dans le périmètre des réseaux d’initiative publique. On ne peut donc pas soutenir de bonne foi que le non-respect de leurs engagements par les opérateurs privés est dépourvu de sanction. Je le répète : si ces engagements ne sont pas respectés, le réseau d’initiative publique reprendra ses droits. En outre, si un opérateur privé manque à ses engagements pendant trois ans, la zone concernée rentrera définitivement dans le domaine de l’initiative publique.

M. Pierre Hérisson. Très bien !

M. Eric Besson, ministre. Je vous annonce ainsi que nous allons interroger les opérateurs sur l’avancement de leurs déploiements dès le début de l’année 2012, soit un an après avoir détaillé leurs intentions d’investissement. Je serai très clair, car je sais que c’est un point essentiel : si leur engagement d’investissement n’était pas respecté, la zone d’investissement privé serait réduite pour laisser la place aux projets des collectivités.

Il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une menace prise à la légère par les opérateurs, auxquels je ne fais aucun procès d’intention, du reste, puisque beaucoup d’entre eux tiennent à déployer la fibre optique et font de ce déploiement l’un des éléments du développement de leur chiffre d’affaires. Cependant, si l’on prend les hypothèses les plus pessimistes que certains d’entre vous ont évoquées, ne plus être l’opérateur du réseau français d’accès à internet serait une remise en cause profonde du modèle économique de l’opérateur historique. Il n’y a donc aucun intérêt pour France Télécom à abandonner son modèle d’opérateur de réseau ; certains d’entre vous ont d’ailleurs entendu ces propos dans la bouche de son président, Stéphane Richard.

Par ailleurs, MM. Hervé Maurey et Bruno Retailleau m’ont interrogé sur le décret relatif à la connaissance des réseaux. Ce décret a été adopté une première fois par le Gouvernement le 15 janvier 2009. Cette version convenait aux collectivités territoriales mais a été annulée par le Conseil d’État le 10 novembre 2010. Depuis, nous avons modifié la base juridique, par la loi du 22 mars 2011 qui a habilité le Gouvernement à transposer le « paquet télécom » par voie d’ordonnance. Le Gouvernement a ainsi pu préparer une nouvelle version du décret, solide juridiquement et pouvant être mise en œuvre rapidement. Dans les prochains jours, le Gouvernement saisira l’ARCEP de cette nouvelle version.

J’ajoute que je suis favorable à la proposition, formulée par Bruno Retailleau, de réfléchir avec l’ARCEP aux moyens de compléter notre réseau de collecte – ce « RTE » numérique, si l’on peut dire –, ce qui est indispensable pour aider les collectivités à construire leurs réseaux d’initiative publique.

Concernant l’outre-mer – c’est l’objet de mon cinquième point –, le Gouvernement a mis en place, avec la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, une procédure de défiscalisation du déploiement des câbles sous-marins. Le Gouvernement a également prévu une majoration de l’aide accordée par le programme national « très haut débit » en outre-mer. Ces actions permettront d’améliorer la qualité des connexions à haut débit en outre-mer et de faire baisser les prix de l’accès à internet.

Je sais que certains d’entre vous, et notamment Hervé Maurey, ne sont pas convaincus par le principe de complémentarité entre investissements publics et investissements privés. Son rapport préconise non pas de concentrer l’investissement public sur les zones où il y a une carence d’investissement privé, mais de le développer également dans les zones où les opérateurs privés déploieront leurs réseaux.

Permettez-moi de considérer qu’il s’agit d’une erreur, et ce pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, et ce n’est pas négligeable, cette préconisation est incompatible avec le cadre européen qui régit les aides d’État. Je voudrais rappeler que ces règles, qui ont été adoptées à l’unanimité des vingt-sept États membres, toutes tendances politiques confondues, interdisent de subventionner sur fonds publics des projets concurrents de projets privés existants. C’est un principe essentiel, car aucune entreprise privée n’investira si elle est menacée par la concurrence d’un projet bénéficiant d’aides publiques. Ce n’est que si, au bout de trois ans, le projet privé n’a pas avancé, que le projet public pourra être mis en œuvre. Il s’agit là d’une règle de bon sens, me semble-t-il, car elle permet à la fois de protéger l’initiative privée et de permettre l’initiative publique, tout en sauvegardant les deniers publics, en cas de carence de l’initiative privée.

Sur ce point, je partage l’analyse de Pierre Hérisson et même celle de celui qui s’est auto-qualifié de « souverainiste », Bruno Retailleau (M. Bruno Retailleau sourit.) : il faut un équilibre entre initiative privée et initiative publique. C’est sur ce principe que nous fondons notre action.

La saisine de l’Autorité de la concurrence par la commission de l’économie apportera un éclairage utile à cet égard. Je vous indique néanmoins que le Gouvernement avait déjà saisi l’Autorité de la concurrence et que, le 17 mars 2010, celle-ci avait rendu un avis favorable sur le programme national « très haut débit ».

La deuxième raison pour laquelle le développement de l’investissement public dans les zones où les opérateurs privés déploieront leurs réseaux me semble être une erreur est que cela conduira à la duplication des réseaux, puisque des projets publics et des projets privés seront menés en parallèle. Le coût sera donc largement supérieur aux 25 milliards d’euros prévus.

La troisième raison est que, si l’on souhaite éviter cette duplication, il faudra instaurer une priorité de l’investissement public sur l’investissement privé. Il faudrait donc remettre en cause la liberté d’installation des réseaux, qui est inscrite dans la loi, et empêcher le déploiement de réseaux par les opérateurs. Interdire l’investissement privé pour préserver des projets publics est contraire, me semble-t-il, à tous les principes de notre économie. Cette proposition conduirait à une forme de nationalisation du réseau d’accès à internet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous alerter sur les risques de ce modèle : rappelons-nous l’échec du plan câble ou celui du Minitel, qui n’était ouvert ni à la concurrence ni à l’innovation.

C’est précisément l’ouverture à la concurrence et, j’y insiste, une régulation avisée qui ont permis l’essor de l’internet haut débit, en France comme partout dans le monde.

J’attire votre attention sur ce point : l’ensemble du cadre réglementaire et financier est aujourd’hui en place pour le déploiement du très haut débit en France.

Sa mise en place a été longue, je le sais, mais nous réalisons un chantier sans précédent : le téléphone avait été déployé en France en cinquante ans par un opérateur public en situation de monopole. Nous sommes en train de remplacer l’intégralité de cette boucle locale par de la fibre optique en à peine quinze ans et avec la participation de quatre opérateurs nationaux et de dizaines d’opérateurs locaux. Avoir mis en place ce cadre indispensable ne veut pas dire que nous ne sommes pas à l’écoute des collectivités, loin de là.

Arrêtons, en France, de nous auto-flageller en permanence !

Nous bénéficions d’ores et déjà des premières retombées de ce programme.

Le FTTH Council a identifié la France comme le pays européen où le nombre d’abonnés au très haut débit a le plus progressé, avec 550 000 abonnés et une croissance de 50 % par an.

La France est le premier pays européen en termes de foyers éligibles au très haut débit, avec plus de 5 millions de foyers éligibles, et nous bénéficions d’une croissance du nombre de logements fibrés de 33 % par an.

Nous sommes largement en avance sur les autres grands pays européens. En Allemagne, pays avec lequel il est bon de se comparer en permanence, 600 000 logements sont raccordés au très haut débit et 120 000 foyers sont abonnés. Au Royaume-Uni, seuls 500 000 logements sont éligibles et 500 foyers sont abonnés.

Pour autant, je n’en disconviens pas, monsieur Maurey, nous ne sommes pas – et ce n’est pas ce que je suis en train de dire – les champions du monde tous domaines confondus ! Vous avez cité, à juste titre, quelques pays qui sont en avance par rapport à nous, comme l’Australie, la Corée et le Japon.

Cependant, comme cela a été esquissé tout à l’heure, deux sortes de pays sont en avance sur la France : d’une part, ceux qui, comme l’Australie, ont créé un monopole public et lui ont attribué des dizaines de milliards d’euros de subventions publiques, voie qu’à ma connaissance nul ne suggère de prendre en France, où nous n’avons ni le même potentiel financier actuellement, ni les mêmes caractéristiques en termes d’aménagement du territoire ; d’autre part, ceux qui, comme la Corée ou le Japon, ont des densités urbaines parmi les plus élevées du monde, et qui, certes, ont su faire les choix d’innovation et d’investissement nécessaires, mais qu’il est plus facile d’équiper rapidement qu’un pays comme le nôtre.

Le Gouvernement, je l’ai dit, est attentif aux inquiétudes des collectivités, à la nécessité d’un dialogue permanent avec les opérateurs et aux demandes des consommateurs.

Les chiffres doivent nous encourager à poursuivre nos efforts afin que la France et l’ensemble de ses territoires entrent de plain-pied dans l’ère du très haut débit, avec, j’y insiste, les opérateurs.

Bien sûr, tous, nous devons « bousculer » nos opérateurs, leur assigner des objectifs élevés, mais, dans le même temps, nous avons besoin, en France comme dans d’autres pays, d’opérateurs puissants.

Les investissements qu’ils vont réaliser, que ce soit dans la téléphonie mobile ou dans la fibre optique, sont indispensables : il n’y aura pas de numérique fort en France avec des opérateurs faibles !

Notre objectif est clair, et il est partagé par tous ici : le très haut débit fixe et mobile pour tous. Croyez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a les mêmes ambitions que celles que vous avez assignées à l’exécutif, cet après-midi, au cours de ce débat de qualité dont je vous remercie. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Au nom de la commission de l’économie et en l’absence de son président, qui a dû se rendre à la conférence des présidents, je me permets à mon tour de remercier tous ceux qui ont participé à ce débat extrêmement intéressant.

Il ressort des différentes interventions que tous, quelles que soient les travées de cet hémicycle sur lesquelles nous siégeons, nous partageons un constat qui va dans le même sens, celui d’une situation qui n’est pas totalement satisfaisante et qui impose de s’adapter.

Je ne vais naturellement pas rouvrir le débat avec M. le ministre, mais, comme il m’a demandé pourquoi je souriais tout à l’heure à ses propos, je lui dirai que c’est parce que j’ai eu le sentiment en l’écoutant que, face à ce constat et à ce souci d’une nécessaire adaptation, il donnait lui l’impression que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Nous aurons l’occasion de revenir sur tous ces sujets puisque, comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, nous allons poursuivre notre travail, notamment grâce à cette proposition de loi qu’avec Philippe Leroy je vais déposer dans les prochains jours.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la couverture numérique du territoire.

5

Contestation de l'élection d'un sénateur

M. le président. En application de l’article 34 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le président du Sénat a été informé que le Conseil constitutionnel a été saisi d’une requête contestant les opérations électorales auxquelles il a été procédé, le 25 septembre 2011, dans le département du Nord (élection d’un sénateur).

Acte est donné de cette communication.

6

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 12 octobre 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-205 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 18 octobre 2011 :

À quinze heures :

1. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation du protocole d’amendement à la convention du Conseil de l’Europe concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (n° 2, 2011-2012).

Rapport de Mme Nicole Bricq, fait au nom de la commission des finances (n° 13, 2011-2012).

Texte de la commission (n° 14 2011-2012).

2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles (n° 767, 2010 2011).

Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 24, 2011 2012).

Texte de la commission (n° 25, 2011-2012).

De dix-sept heures à dix-sept heures quarante-cinq :

3. Questions cribles thématiques sur le malaise des territoires.

À dix-huit heures et, éventuellement, le soir :

4. Éventuellement, suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles (n° 767, 2010 2011).

5. Projet de loi relatif au plan d’aménagement et de développement durable de Corse (n° 688, 2010 2011).

Rapport de M. Alain Houpert, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 15, 2011 2012).

Texte de la commission (n° 16, 2011-2012).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART