compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Boyer,

M. Hubert Falco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard.

M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, je souhaite faire une rectification au sujet d’un vote.

Lors du scrutin public n° 37, portant sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, Mme Nathalie Goulet et M. Joël Guerriau ont été déclarés comme n’ayant pas participé au vote. Or Mme Goulet souhaitait voter pour et M. Guerriau souhaitait voter contre.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 14 novembre prennent effet.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord monétaire entre la République française et l’Union européenne relatif au maintien de l’euro à Saint-Barthélemy, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la prévention et l'accompagnement pour l'organisation des soirées en lien avec le déroulement des études
Discussion générale (suite)

Soirées étudiantes

Renvoi à la commission d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi relative à la prévention et l’accompagnement pour l’organisation des soirées en lien avec le déroulement des études, présentée par M. Jean-Pierre Vial et plusieurs de ses collègues (proposition n° 421 [2010-2011], rapport n° 86).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la prévention et l'accompagnement pour l'organisation des soirées en lien avec le déroulement des études
Demande de renvoi à la commission (début)

M. Jean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte, comme son intitulé l’indique, sur les « soirées étudiantes ».

Pourquoi légiférer dans un tel domaine, diront certains ? D’autres invoqueront même le principe de liberté. Comme beaucoup, je déplore notre propension à trop légiférer, mais, quand il s’agit de la santé publique, du respect de la personne et du droit à la vie, tout simplement, n’avons-nous pas l’obligation d’ouvrir les yeux et d’assumer nos responsabilités ?

En effet, derrière l’expression, plutôt sympathique, de « soirées étudiantes », se cache ce fait de société nouveau qu’est le binge drinking chez les jeunes. Venu d’outre-Manche, ce phénomène aura envahi l’Hexagone en quelques années seulement. La rapidité de son développement en Europe n’a pas manqué de faire réagir votre prédécesseur, monsieur le ministre. Ainsi, par courrier en date du 26 octobre 2010, Mme Valérie Pécresse indiquait « que plusieurs événements dramatiques survenus lors de soirées ou de week-ends d’intégration [l’avaient] conduite à rappeler en termes fermes les dispositions de la loi […] », soulignant que « toute forme de bizutage est strictement interdite ». Après avoir travaillé avec l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire, elle a adressé à Mme Martine Daoust, rectrice de l’académie de Poitiers, une lettre de mission lui demandant « de s’attacher plus particulièrement à la prévention des comportements à risque et des conduites addictives liées notamment à la consommation excessive d’alcool […] sans exclure la possibilité de faire évoluer le droit si le besoin s’en faisait sentir […] ».

Oui, mes chers collègues, à l’instar du bizutage, dont on connaît les excès et, dans certains cas, les drames, le binge drinking, qui lui est parfois lié, est devenu une pratique courante dont les ravages sont, malheureusement, souvent encore plus graves, d’autant qu’elle se répète tout au long de l’année.

Il s’agit d’un phénomène récent, aux conséquences dramatiques. Le binge drinking, expression que l’on traduit souvent, en français, par « alcool défonce », touche les jeunes Européens de quinze à vingt-cinq ans. Dans les faits, cette pratique consiste à consommer de l’alcool de façon excessive et rapide, à seule fin d’être saoul le plus vite possible. Elle présente la particularité de s’être répandue très rapidement en Europe, plus particulièrement dans les pays du nord du continent. La motivation n’est pas le goût de l’alcool, mais bien la recherche des sensations procurées par son abus.

Le binge drinking entraîne des troubles de comportement classiquement liés à la consommation d’alcool : pratiques sexuelles à risques, conduite en état d’ivresse, violence extrême, coma éthylique parfois mortel, troubles cardiovasculaires et surtout cognitifs, les études expérimentales ayant fait apparaître des séquelles durables. Ainsi, en Europe, 10 % des accidents mortels chez la jeune fille et 25 % chez le jeune homme seraient liés à une intoxication à l’alcool.

Si l’appellation de « soirées étudiantes » peut laisser imaginer qu’il ne s’agirait que d’événements occasionnels, liés à des circonstances particulières ou festives, leur organisation s’avère en fait de plus en plus fréquente, jusqu’à devenir hebdomadaire dans certains établissements.

Aux termes d’une étude de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, un décès sur quatre, parmi les Européens de sexe masculin âgés de quinze à vingt-neuf ans, serait causé par la consommation à risque d’alcool, et 55 000 jeunes Européens, au total, seraient morts des suites d’une consommation excessive d’alcool. Une étude conduite à l’échelon européen a révélé que, dans les hôpitaux allemands, le nombre d’admissions pour intoxication à l’alcool a plus que doublé entre les années 2000 et 2006, passant de 9 500 à 19 500.

Face à de tels excès et aux drames qui en résultent, faut-il légiférer ?

Le dispositif répressif existe déjà : le code de la santé publique punit l’ivresse publique manifeste comme une infraction depuis 1873 ; la loi Évin du 10 janvier 1991 est venue compléter la loi Veil pour lutter contre le tabagisme et l’alcoolisme au travers de l’encadrement de la publicité ; la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs qualifie le bizutage de délit ; la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance alourdit les peines pour les atteintes aux personnes lorsque l’acte a été commis en état d’ivresse ; la même loi prévoit une mesure d’injonction thérapeutique lorsque le condamné fait usage de stupéfiants ou consomme habituellement de l’alcool ; la loi du 21 juillet 2009 interdit la vente de boissons alcoolisées à emporter entre 18 heures et 8 heures et interdit la vente d’alcool à tous les mineurs ; le code de la santé publique encadre la vente d’alcool pour tous les débitants de boissons ; enfin, il y a lieu de rappeler les dispositions relatives aux rave parties contenues dans la loi de 1995, qui instaure la déclaration préalable, sur laquelle nous reviendrons dans un instant.

Le dispositif répressif existe donc, avec ses mesures d’accompagnement qui ne semblent pas devoir être davantage aggravées ni précisées pour en améliorer l’efficacité. Eu égard à l’inefficacité et à l’inadéquation de ce dispositif législatif face à un comportement social nouveau, ne faut-il pas davantage sensibiliser et responsabiliser les personnes concernées ? Plus que la répression, la prévention paraît être de toute évidence la solution la plus efficace pour lutter contre cette nouvelle pratique et ce nouveau mode de consommation de l’alcool.

La plupart des pays européens ont d’ores et déjà mis en place des dispositifs de prévention du binge drinking : je citerai, en Allemagne, le programme HaLT – contraction de « stop, c’est la limite » –, aux Pays-Bas, un programme intitulé « la boisson te détruit plus que tu ne le crois ». Nous savons, monsieur le ministre, à quel point ce sujet a constitué une priorité de votre action dès votre prise de fonctions ; nous vous en remercions.

La mission conduite par la Mme la rectrice Martine Daoust, dont je tiens à saluer la qualité du rapport – les orientations qu’il a dégagées ont recueilli l’adhésion des membres du groupe de travail –, a proposé de suivre une telle démarche de prévention. S’il fallait retenir deux idées fortes, ce serait, d’une part, la pédagogie, et, d’autre part, la responsabilisation.

Les auteurs de cette proposition de loi préconisent l’instauration d’un régime déclaratif pour sensibiliser et responsabiliser les différents acteurs.

Dans son rapport au nom de la commission des lois, notre collègue André Reichardt, dont je salue la qualité des travaux et des propositions, a précisé les modalités du régime déclaratoire dont pourrait relever l’organisation de ces soirées étudiantes.

À ceux qui objecteraient, à juste titre, que le binge drinking n’est pas le fait des seuls étudiants, je répondrai que cela ne justifie pas que nous ne tentions pas de remédier à une pratique dont les conséquences peuvent être particulièrement dramatiques : il nous revient de garantir aux étudiants et à leurs familles le respect de la personne.

Les étudiants vivent dans un environnement où l’effet de groupe et le cadre institutionnel peuvent fournir un prétexte à l’organisation de manifestations ou de soirées, ou faciliter celle-ci.

Si le rapport Daoust reflète bien la volonté de tous les acteurs de s’associer à une démarche pédagogique et préventive, encore convient-il d’être lucides quant aux intentions de certains d’entre eux, qui ne sont pas toujours désintéressées. Je me bornerai, à cet égard, à évoquer le cas de certains fournisseurs de boissons qui mettent de l’alcool à disposition en concédant une partie de la recette aux organisateurs de la soirée.

Dès lors, s’il n’y a pas lieu de prévoir de nouvelles mesures répressives, il importe de sensibiliser les organisateurs à leurs responsabilités et aux risques que font encourir des soirées que la consommation abusive d’alcool peut rapidement transformer en enfers.

La discussion qui s’est ouverte au sein de la commission des lois a mis en évidence qu’instaurer un régime de déclaration pourrait engendrer de trop lourdes conséquences, dont il convenait de prendre toute la mesure.

Puis-je simplement rappeler, avant de conclure, que notre débat a trait, d’abord et avant tout, à la santé publique, domaine qui relève de la compétence des maires et des préfets, et que ceux qui sont à l’initiative de telles soirées étudiantes ou concourent à leur organisation ne peuvent échapper à leurs responsabilités ?

Mes chers collègues, il importe que l’invocation des libertés et d’autres principes ne nous fasse pas oublier ce qui est au cœur du présent débat : l’éducation, l’avenir des étudiants, et surtout leur sécurité et leur santé. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi relative à la prévention et l’accompagnement pour l’organisation des soirées en lien avec le déroulement des études traite d’un réel problème de société : le phénomène du binge drinking, qui consiste à consommer de grandes quantités d’alcool en un temps limité, en vue d’obtenir une ivresse rapide.

Cette pratique, importée des pays du nord de l’Europe, ne semble pas, contrairement à ce que l’on entend souvent dire, en progression rapide chez l’ensemble des jeunes, mais elle pose un véritable problème dans les soirées étudiantes.

Ainsi, une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, réalisée en 2010 auprès de 267 associations d’étudiants indique que la moitié des organisateurs de soirées prévoient de quatre à cinq consommations d’alcool fort par personne, d’autres boissons moins alcoolisées étant par ailleurs fournies.

Une telle consommation d’alcool, associée à celle de stupéfiants, a des effets parfois graves, tels que des comas éthyliques, des violences, des agressions, des accidents divers et, à plus long terme, des lésions cérébrales, une dépendance, qui peuvent déboucher, dans des cas extrêmes heureusement assez peu nombreux, sur des décès. Je citerai l’exemple, parmi d’autres, d’une personne qui s’est défenestrée en rentrant d’une soirée, persuadée qu’elle pouvait voler…

Les événements en question sont d’une grande diversité : soirées d’intégration dans les grandes écoles en début d’année, soirées réservées aux étudiants d’une filière, galas en cours d’année, week-ends d’intégration. Une telle manifestation, rassemblant plus de 5 000 étudiants, s’est ainsi déroulée au bord d’un lac, dans lequel un jeune s’est noyé.

Le point commun, c’est la volonté d’échapper au contrôle du chef de l’établissement d’enseignement supérieur en organisant l’événement à l’extérieur de celui-ci.

Il faut souligner que de réels efforts de prévention sont déployés par les associations d’étudiants, les mutuelles, les chefs d’établissement et même les alcooliers, qui proposent la mise à disposition gratuite de barmen ayant pour consigne de refuser de servir de l’alcool aux personnes « fatiguées »… On peut citer également, dans le même ordre d’idées, la mise en place de navettes gratuites, le retrait des clés de voiture si cela se révèle nécessaire, l’élaboration de nombreuses chartes de bonnes pratiques, souvent financées par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires – les CROUS –, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie ou le Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes.

Ces efforts paraissent cependant insuffisants, puisque, selon l’étude du CREDOC précitée, un tiers seulement des organisateurs de soirées dans lesquelles des étudiants font le service des boissons mettent en œuvre des actions de prévention ; globalement, un tiers des soirées ne donnent lieu à aucune démarche de ce type.

Beaucoup d’associations considèrent qu’elles n’ont pas les moyens financiers de mettre en place de tels dispositifs. En outre, les initiatives prises en matière de prévention pâtissent incontestablement d’une trop grande dispersion. Cela a amené l’une des principales associations d’étudiants à proposer, lors d’une audition par la commission, d’envisager une certification d’organisateur de soirées, afin de promouvoir la prévention et d’éviter les dérives.

Le législateur s’est déjà penché à plusieurs reprises sur le problème de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes ainsi que sur les dérives du bizutage, qui se produisent souvent à l’occasion de soirées étudiantes.

En matière de lutte contre la consommation excessive d’alcool, il existe une législation riche, s’agissant tant de la protection de la santé que de la préservation de l’ordre public. On peut citer, à cet égard, l’obligation de demander une licence temporaire de débit de boissons pour les associations étudiantes qui organisent une soirée, certaines dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, telle l’interdiction des open bars et de la vente d’alcool aux mineurs, ainsi que la répression de l’ivresse sur la voie publique et de la conduite en état d’imprégnation alcoolique.

Sur un sujet connexe, le bizutage, on peut évoquer la loi du 17 juin 1998, qui interdit cette pratique. Monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs récemment lancé de nouvelles mesures de lutte contre le bizutage, notamment le testing dans les soirées.

Il faut néanmoins noter, mes chers collègues, que cette législation est insuffisamment appliquée. L’étude du CREDOC de 2010 indique ainsi que la pratique des open bars, pourtant strictement interdite, subsisterait dans 25 % des soirées étudiantes.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Malheureusement !

M. André Reichardt, rapporteur. Quant au bizutage, il existe toujours, malheureusement, comme en témoigne un cas récent survenu à l’université Paris-Dauphine. Il convient à tout le moins de veiller à ce que la législation existante soit pleinement appliquée.

Dans ce contexte, le texte qui nous est proposé a été jugé intéressant par la commission des lois, même si celle-ci a estimé que la réflexion devait se poursuivre.

La proposition de loi qui nous est soumise, inspirée du rapport de Mme la rectrice Daoust, prend appui sur la législation relative aux rave parties.

Le rapport de Mme Daoust préconise tout d’abord d’organiser des opérations de testing au cours des soirées, avec des sanctions en cas de non-respect des dispositions législatives relatives aux open bars et à la vente d’alcool au forfait. M. le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a décidé récemment de lancer de telles actions ; il nous en parlera certainement tout à l’heure.

Ce rapport propose ensuite d’adopter une approche intégrée à l’échelon de l’établissement d’enseignement supérieur, ainsi que de prendre de multiples initiatives de prévention et de sensibilisation.

Il invite enfin à responsabiliser les organisateurs, en prévoyant que chaque événement soit déclaré à l’établissement, à la mairie et/ou à la préfecture du lieu d’organisation.

La proposition de loi reprend cette dernière préconisation, en s’appuyant sur le dispositif concernant les rave parties de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne. Celui-ci prévoit un régime de déclaration au chef d’établissement et au préfet et une concertation entre les parties. Surtout, la manifestation pourra être interdite par le préfet si les mesures envisagées par les organisateurs lui semblent insuffisantes ou si elle est de nature à troubler gravement l’ordre public.

La proposition de loi renvoie la définition des modalités d’application de son dispositif à un décret en Conseil d’État. Le régime prévu est en réalité plus proche de l’autorisation préalable que de la simple déclaration, le préfet ayant la faculté d’interdire le rassemblement dès lors qu’il aura le sentiment que les organisateurs ne prennent pas toutes ses recommandations en compte.

Cela me conduit à soulever la question suivante : cet encadrement n’est-il pas trop rigoureux ? Il convient, à mon sens, de trouver un équilibre entre la liberté de réunion, le droit à la vie privée et la nécessité de réglementer ces soirées étudiantes. Cela n’est pas facile : la notion de « rassemblement […] en lien avec le déroulement des études » retenue par les auteurs de la proposition de loi me paraît en effet assez imprécise. Si l’on considère que certains des rassemblements visés sont de caractère plutôt public, dans la mesure où un droit d’entrée est perçu, il y a risque d’atteinte à la liberté de réunion ; si l’on considère que d’autres sont plutôt de caractère privé, parce qu’ils rassemblent quelques dizaines d’étudiants dans un appartement, par exemple, il y a risque d’atteinte au droit à la vie privée.

C’est pourquoi mes réflexions m’inclineraient à préférer un régime plus souple de déclaration simple, pour éviter ces écueils, ainsi que les difficultés d’ordre pratique que ne manquerait pas de susciter la mise en œuvre du dispositif de la proposition de loi.

Ces obstacles d’ordre pratique tiennent notamment à la difficulté d’inclure tous les événements visés dans le champ du texte. En effet, ils sont d’une grande diversité. En outre, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, une soirée peut s’organiser très rapidement, en quelques « clics », au dernier moment. Par ailleurs, comment établir l’existence d’un lien avec les études, par exemple lorsqu’un étudiant décide d’organiser une fête à l’occasion de son anniversaire ?

Enfin, les préfectures et, le cas échéant, les forces de l’ordre se heurteront elles aussi à des difficultés pratiques pour suivre les quelque 20 000 manifestations organisées chaque année au sein de nos 4 000 établissements d’enseignement supérieur, sans même parler des risques de contournement, ce qui est interdit à Strasbourg ne l’étant pas forcément de l’autre côté du Rhin, pour prendre un cas de figure que je connais bien… Faudra-t-il chaque fois une déclaration ?

Surtout, en légiférant de manière trop brusque, ne risque-t-on pas de casser la dynamique de prévention constatée au cours de nos auditions ? J’ajoute qu’il n’est naturellement pas question de stigmatiser le monde étudiant, qui n’est pas seul concerné par le problème de la consommation excessive d’alcool.

En conclusion, la commission a considéré que la proposition de loi qui nous est soumise aborde un problème réel, grave dans certains cas, et qu’elle contient de bonnes idées, notamment la déclaration préalable au chef d’établissement, même si le régime prévu d’autorisation par le préfet lui a paru un peu lourd.

Cependant, en l’état actuel des choses, il est apparu à la commission prématuré de légiférer. Si le texte que nous examinons constitue une bonne base de réflexion, il ne permet pas de répondre à l’ensemble de la problématique, laquelle va au-delà des seules soirées étudiantes. La commission des lois a donc décidé de soumettre au Sénat une motion tendant à son renvoi à la commission, afin de poursuivre la réflexion sur le sujet. À cette fin, M. le président de la commission des lois a proposé que soit mis en place un groupe de travail commun avec la commission des affaires sociales. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Vial de s’être saisi d’un sujet politique d’importance : il nous faut offrir à nos étudiants un cadre qui leur permette de travailler dans de bonnes conditions, tout en préservant une convivialité ne donnant pas lieu à des dérives. Il y va de la réussite de nos étudiants, dont les débuts dans l’enseignement supérieur sont une étape structurante pour leur avenir. Si la société n’est pas capable de mettre en place un cadre propre à les protéger contre les conduites addictives, certains d’entre eux se perdront à jamais.

Sur un plan plus intime, plus philosophique, ce sujet touche aussi à la conception que nous nous faisons de la dignité : la fête suppose-t-elle l’avilissement ?

Reconnaissons-le, beaucoup a déjà été fait, souvent d’ailleurs sur l’initiative du Sénat, auquel je souhaite rendre hommage à cet instant. Un cadre légal fourni existe aujourd'hui. Il n’a pas été sans effet : ainsi, les pratiques de bizutage au sein même des établissements ont disparu et le nombre d’accidents a été progressivement réduit.

Pour autant, la lutte contre le bizutage et les dérives des soirées étudiantes exige une vigilance quotidienne. Je remercie donc le sénateur Vial d’avoir clairement mis cette problématique sur la table, en déposant cette proposition de loi.

À ce stade, permettez-moi de rappeler l’action menée, souvent en lien avec la représentation nationale, pour essayer de protéger nos étudiants contre les dérives. Je dis bien : « protéger » ; il ne s’agit pas de restaurer la prohibition, d’interdire toute soirée étudiante, ce qui serait absurde, car un campus est aussi un lieu de convivialité et de partage.

Pour agir, je me suis appuyé sur les conclusions du rapport commandé sur ce sujet par mon prédécesseur, Valérie Pécresse, à Mme Daoust, rectrice de l’académie de Poitiers.

Dès mon arrivée, j’ai souhaité fonder mon action sur quatre axes forts, concrets, en concertation avec les étudiants, les associations et les familles.

Il faut d’abord mettre fin à l’omerta, aux non-dits, à une tolérance parfois coupable. À cet effet, nous avons instauré un système d’alerte, en lien étroit avec les associations qui luttent contre le bizutage. Nous avons mis en place un numéro d’appel dans chaque rectorat pour libérer la parole, une cellule dédiée, qui permet d’informer étudiants et familles, enfin un espace internet. Nous entendons miser sur l’information et la prévention.

Il faut ensuite responsabiliser les organisateurs des soirées étudiantes, en s’appuyant d’ailleurs sur les associations étudiantes, qui ne veulent pas cautionner ce type de pratiques. J’ai décidé d’organiser des testings sur le terrain, afin de vérifier que les soirées étudiantes sont sécurisées. Il s’agit là de principes de bon sens : a-t-on prévu un système de navettes ? S’est-on assuré que la soirée aurait lieu dans un endroit sécurisé ? L’objectif est de vérifier que les organisateurs ont une démarche responsable. Les opérations de testing peuvent être étendues à la lutte contre les dérives de l’alcoolisation et du bizutage.

Par ailleurs, il faut mettre en garde nos étudiants contre les comportements addictifs, qui peuvent faire sombrer une vie, gâcher une existence. Les débuts dans l’enseignement supérieur sont à cet égard une période clé.

Enfin, j’évoquerai la question qui se trouve au cœur du sujet : si l’arsenal répressif est bien développé, qu’en est-il de l’arsenal préventif ?

Il faut toujours miser sur la prévention, sur l’action précoce. Par exemple, lorsque les manifestations festives ne sont pas organisées par les bureaux d’élèves, nous n’en avons pas connaissance : c’est souvent alors que se produisent des dérives. Par une lettre circulaire du 1er septembre dernier, nous avons voulu mettre en place un outil inédit : un dispositif normalisé de déclaration des projets festifs auprès des chefs d’établissement. Toutefois, dans ce domaine, on ne peut pas faire grand-chose sans la loi.

Comme vous, je n’aime pas la logorrhée législative. Je ne considère pas que toute action gouvernementale doive passer par des lois bavardes, floues, mais il s’agit ici de droit dur : ce sont les principes de liberté d’association et de liberté de réunion qui sont en jeu. À cet égard, je rappellerai la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association ou l’abondante jurisprudence du Conseil d’État soulignant que la liberté de réunion est une liberté fondamentale, à l’instar de la décision du 30 mars 2007 « ville de Lyon ». La liberté d’association et la liberté de réunion sont donc des principes fondamentaux relevant de notre bloc de constitutionnalité.

Dans ces conditions, sans intervention de la loi, nous ne pouvons pas mettre en place un système de prévention qui soit contraignant, surtout s’il s’agit de soirées privées ayant lieu dans un cadre privé.

Dans cette optique, votre proposition de loi va tout à fait dans le bon sens, monsieur Vial. Je tiens en outre à saluer le travail accompli par M. le rapporteur sur ce point très délicat. En effet, instaurer une obligation de déclarer chaque événement festif pose deux difficultés.

D’abord, le cadre d’information reste à définir. Quels événements, quel type d’organisateurs seront concernés par cette obligation ? À partir de quel seuil d’affluence une telle déclaration sera-t-elle obligatoire ?

Ensuite, auprès de qui la déclaration sera-t-elle effectuée ? Surtout, comment s’assurer que cette procédure n’aboutira pas à ce que les organisateurs se défaussent de leur responsabilité sur l’autorité qui recevra la déclaration ?

Il convient d’approfondir ces questions avant d’élaborer un texte dont l’application poserait ensuite des difficultés. Nous ne voulons pas interdire et réprimer ; notre objectif est de prévenir, de protéger.

Dans cet esprit, je fais confiance à la Haute Assemblée pour approfondir et éclaircir les quelques aspects techniques que j’ai soulignés. Il est important d’avancer rapidement sur cette question afin de signifier clairement que la convivialité, que nous entendons préserver, ne doit pas servir de prétexte à des débordements. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)