M. Michel Mercier, garde des sceaux. Bien sûr !

M. François Pillet. … et le présent budget acte leur mise en chantier.

Je souhaite enfin m’arrêter un instant sur la difficulté de l’État à appréhender statistiquement les taux d’exécution des mesures d’assistance éducative prononcées. Notre collègue Christophe Béchu l’avait d’ailleurs indiqué lors de la présentation du rapport en commission : « La loi réformant la protection de l’enfance avait pointé cette lacune : il n’existe pas d’outil statistique renseignant sur l’efficacité des interventions publiques en la matière ».

Les raisons en sont nombreuses. L’aide sociale à l’enfance ne passionne pas les médias, sauf dans les circonstances dramatiques, et elle est souvent reléguée au second rang des priorités. Lorsque l’Observatoire national de l’enfance en danger a été chargé de mettre en place un instrument statistique permettant de mieux appréhender l’aide sociale à l’enfance, il a dû vaincre les réticences des travailleurs sociaux, qui dénonçaient un risque de fichage social.

À force de dialogue, ce dossier a été mené à son terme, ce qui nous permettra de disposer, dans quelques années, d’études statistiques complètes sur la situation de l’enfance en danger et sur l’efficacité des dispositifs mis en place pour prévenir la délinquance des mineurs. Nous serons ainsi mieux informés pour nos débats et nous éviterons le pilotage à vue.

Je souscris à la proposition de M. le rapporteur spécial sur la création d’un outil statistique de suivi des décisions judiciaires rendues au sujet des mineurs délinquants.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je soutiens les propositions du Gouvernement en faveur de la protection de la jeunesse.

Par ailleurs, je salue l’objectivité intellectuelle de Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis, qui, devant la commission des lois, alors qu’il nous invitait à adopter ce budget, nous a déclaré, en substance, que le pragmatisme était sans doute, particulièrement dans ce domaine inquiétant et pour cette politique perfectible, une voie plus prometteuse que celle qui est empruntée par les mots de la bonne conscience. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour commencer, je souhaite remercier le Gouvernement d’avoir enfin créé, au sein de la mission « Justice », un programme spécifique pour porter les crédits du Conseil supérieur de la magistrature. C’était une demande que j’exprimais depuis plusieurs années en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois pour la justice judiciaire. Comme Mme Tasca, qui exerce désormais cette fonction, je me réjouis que soit aujourd'hui consacrée l’autonomie financière du CSM.

Il faut, s’agissant de ce budget, se féliciter de la poursuite de l’effort de rattrapage budgétaire engagé depuis plusieurs années, en ce qui concerne tant les crédits de fonctionnement, hors masse salariale, et les crédits d’investissement – ils augmentent globalement de 5,6 % –, que les créations d’emplois. En 2012, quelque 512 emplois seront créés, soit plus que ce qui était prévu initialement, et cela dans un contexte budgétaire où la tendance est plutôt à la réduction du nombre des emplois publics.

Même s’il reste beaucoup à faire, la justice n’est donc plus le parent pauvre de l’État.

Néanmoins, je m’inquiète lorsque j’entends dire que, à la suite de l’affaire de Chambon-sur-Lignon, il va être procédé à une refonte de la justice des mineurs. Je rappelle que l’on a déjà modifié l’ordonnance de 1945 plus d’une trentaine de fois...

Ne risque-t-on pas là de mettre de nouveau le doigt dans l’engrenage de la « législation d’émotion », tant de fois dénoncée à cette tribune ? N’allons-nous pas débattre de dispositions nouvelles que nous n’avons nullement les moyens, je le crains, de mettre en œuvre ?

M. Yves Détraigne. Évidemment, je me réjouis que tout le monde soit désormais favorable au développement des centres éducatifs fermés pour mineurs. Toutefois, encore faut-il disposer des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement !

Il y a quelques jours seulement, monsieur le garde des sceaux, je vous saisissais de la situation d’un centre éducatif fermé du département dont je suis l’élu, qui effectue un travail remarquable auprès des jeunes qui lui sont confiés. Néanmoins, il est prévu que le nombre de ses emplois soit réduit de 27 à 24.

M. Yves Détraigne. En outre, les CDD se succèdent alors qu’une présence continue et régulière des encadrants est plus que souhaitable.

Ne faudrait-il pas plutôt consacrer les moyens dont nous disposons au bon fonctionnement de ce qui existe…

Mme Catherine Tasca, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. Yves Détraigne. … et à l’amélioration de la mise en œuvre des mesures déjà adoptée, au lieu de créer de nouvelles procédures que l’on risque de ne pouvoir appliquer qu’au détriment de dispositions existantes ?

Je rappelle que pas moins de six lois ont été adoptées depuis 2005 sur la seule récidive.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Yves Détraigne. Cela n’est-il pas suffisant ? Avons-nous encore les moyens de nous offrir de nouvelles lois alors que nous n’avons pas appliqué jusqu’au bout celles qui existent déjà ? (M. le président de la commission des lois applaudit.)

Même si cette question est dérangeante, j’en conviens, il me semble indispensable de la poser publiquement.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est une vraie question !

M. Yves Détraigne. Enfin, monsieur le garde des sceaux, la France a un programme ambitieux de création de 80 000 places en établissements pénitentiaires, lesquelles sont financées aujourd'hui grâce à un partenariat public-privé. Si cette formule permet d’investir sans endetter davantage l’État, il n’en demeure pas moins que le fonctionnement des établissements construits et gérés sous cette forme coûte nettement plus cher que celui d’un établissement classique et que cela risque de poser de sérieux problèmes de financement dans quelques années, car il faudra bien régler la facture. Monsieur le garde des sceaux, une évaluation des coûts à terme pour l’État du développement des partenariats public-privé a-t-elle été réalisée et, si tel est le cas, pourriez-vous informer le Parlement de ses conclusions ?

Tels sont, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les points sur lesquels je souhaitais intervenir rapidement aujourd’hui. Pour conclure, je vous confirme que je voterai le budget de la justice, qui est, dans le contexte actuel, un bon budget. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je n’ai pas, comme M. Hyest, vingt-six années d’ancienneté en tant que parlementaire. J’en ai beaucoup moins : seulement trois. En revanche, j’ai un peu plus d’ancienneté en tant qu’élue locale.

C’est donc en m’imposant les mêmes exigences que celles auxquelles je m’astreins en tant qu’élue locale que j’ai analysé les crédits de la mission « Justice ». Autrement dit, j’ai vérifié l’adéquation entre la politique affichée et les moyens disponibles, ainsi que la pertinence des objectifs affichés eu égard aux besoins des citoyens et du service.

C’est parce que je me suis imposé ces exigences que j’ai succédé en 2001 à l’ancien maire de ma commune, Châteaubourg. Si vous me le permettez, je ferai un rapide retour en arrière, mais n’y voyez là aucune analogie avec des situations nationales ou des personnes existantes.

L’ancien maire de ma commune avait effectué plusieurs mandats en tant qu’adjoint. Il avait sans doute réussi à persuader tant son équipe que les Castelbourgeois qu’il ferait un bon maire et un bon chef de l’exécutif.

Une fois élu maire, ce monsieur, quelles que soient par ailleurs ses qualités personnelles et humaines, n’a cessé de modifier ses priorités, de déterminer des urgences différentes, de communiquer sur le projet suivant en faveur de tel service ou de telle association. Au final, il n’a pas réalisé grand-chose dans la commune. Il a achevé son mandat sur un grand projet immobilier dont il avait tenté de persuader les Castelbourgeois qu’il était utile, et même qu’ils l’avaient demandé !

Je lui ai donc succédé en 2001, à la surprise générale, il faut bien l’avouer, d’autant que je n’avais jamais exercé de fonction municipale.

J’ai commencé par fixer des priorités dans les budgets. Aujourd'hui, la commune est dans une excellente santé financière.

Mme Catherine Tasca, rapporteur pour avis. Bravo !

M. Éric Doligé. Intéressant…

Mme Virginie Klès. De très nombreux projets ont été réalisés. J’ai même été réélue en 2008,…

Mme Catherine Tasca, rapporteur pour avis, et M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Virginie Klès. … en étant à l’écoute de la population, de mon équipe et des élus de l’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Marques d'ironie sur les travées de l’UMP.)

Mme Catherine Troendle. C’est ce que nous faisons tous, madame Klès !

Mme Virginie Klès. J’en viens maintenant aux crédits de la mission « Justice ». Certes, les grandes masses sont en augmentation. Néanmoins, comme l’ont très justement analysé mes prédécesseurs à cette tribune, ce budget reflète la politique répressive, axée sur l’enfermement, menée par l’exécutif. Seul ce dernier est persuadé que les réformes qu’il met en œuvre sont nécessaires et urgentes, et qu’elles sont demandées par nos concitoyens.

Ces réformes sont censées rapprocher le justiciable de la justice et favoriser l’accès de tous à la justice. Elles sont également censées faire l’objet d’une concertation. Pourtant, combien de textes sont examinés après engagement de la procédure accélérée ? Cette procédure, qui abrège la discussion des textes, empêche les ajouts et les corrections habituellement apportés au fur et à mesure de la navette parlementaire. Combien de textes sont même adoptés conformes, ce qui conduit parfois à sacraliser des erreurs matérielles que l’on ne peut pas rectifier ?

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

Mme Virginie Klès. Était-il vraiment nécessaire et urgent – et qui le demandait ? – de réformer la procédure de représentation devant les cours d’appel, pour un coût financier et humain exorbitant ? Où en sommes-nous aujourd'hui concernant l’indemnisation des avoués qui ont dû fermer leur cabinet ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

Mme Virginie Klès. Où en sont aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, les trois cents salariés qui étaient menacés par cette réforme ? Vous m’avez récemment indiqué en commission que seule, sans doute, une petite dizaine d’entre eux avaient retrouvé des postes dans le secteur de la justice. Une petite dizaine sur trois cents ! Dans quelles conditions ces salariés ont-ils accepté les postes qu’on leur a offerts ? Et qu’en est-il de tous les autres ?

L’instauration d’une taxe de 150 euros par personne en cas d’appel favorise-t-elle l’accès à la justice pour tous ?

Était-il nécessaire et urgent – et qui le demandait ? – d’investir dans la transformation des centres de placement ouverts en centres éducatifs fermés, alors que 95 % des mineurs sont aujourd'hui accueillis en centres de placement ouverts et que 71 % d’entre eux n’ont ni récidivé ni réitéré un an après la fin de leur peine ?

Où est la logique quand vous nous proposez, dans l’urgence également, d’ouvrir 166 places pour des mineurs délinquants dans les établissements publics d’insertion de la défense ? Les EPID sont des établissements d’insertion, où la mixité est la règle et où l’on ne sait pas prendre en charge la délinquance. Vous avez promis, monsieur le garde des sceaux, de créer plus de 40 équivalents temps plein travaillés et d’affecter 8 millions d’euros à ces établissements. Or je les cherche en vain dans tous les bleus en circulation.

Était-il nécessaire et urgent – et qui le demandait ? – de confier des missions au secteur associatif habilité sans lui donner les moyens nécessaires pour les remplir, sans tenir compte du fait que ses conventions collectives ne lui permettent pas de fonctionner avec 27 encadrants pour 12 mineurs ? Ces associations ne font pas preuve de mauvaise volonté. Elles ne manquent pas d’efficacité.

Était-il nécessaire et urgent – et qui le demandait ? – de créer 30 000 places de prison au coût individuel de 100 000 euros sans augmenter les moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation ?

Cette politique d’enfermement a montré ses limites : les taux de récidive et de délinquance ne diminuent pas. Loin de moi l’idée de polémiquer, d'ailleurs : je n’affirme pas qu’ils augmentent, je me contente de signaler qu’ils ne baissent pas, contrairement aux objectifs affichés.

Était-il nécessaire et urgent – et qui le demandait ? – de légiférer à tour de bras, sans tenir compte des problèmes à résoudre dans l’immédiat, en augmentant la charge de travail de la justice, qui fonctionne déjà bien difficilement ?

En revanche, monsieur le garde des sceaux, il me semble, pour ma part, nécessaire et urgent que nous disposions d’un véritable retour, non seulement quantitatif et financier, mais aussi qualitatif, concernant les bracelets électroniques et les partenariats public-privé, notamment dans les établissements pénitentiaires.

Il était nécessaire et il était devenu urgent de se pencher sur la garde à vue : ce problème pressait tellement qu’il a été traité dans de mauvaises conditions. Ainsi, la gestion des locaux n’a fait l’objet d’aucune anticipation et les gardes à vue se déroulent aujourd'hui dans des conditions matérielles et géographiques désastreuses, qui vont coûter très cher à l’État !

À mes yeux, il est de plus en plus nécessaire et urgent d’anticiper clairement la politique de l’emploi à l'échelon du ministère, tant pour les magistrats que pour les greffiers, en prenant en compte les délais d’ouverture des concours, de formation et d’entrée en fonctions des personnels au sein des tribunaux.

Il est nécessaire et urgent d’assurer le transfert effectif des compétences en matière d’escorte et de garde des détenus, entre les ministères de l’intérieur et de la justice ; cet enjeu a déjà été évoqué par les précédents orateurs.

Il est nécessaire et urgent de rendre à la justice les moyens de fonctionner, dans le cadre d’une concertation beaucoup plus étroite avec les forces de sécurité ; de ne plus opposer les uns aux autres par une gestion brouillée de leurs compétences respectives, toujours dessinées dans l’urgence !

Il est nécessaire et urgent que la justice reprenne confiance en elle-même et en les Français, et que les Français reprennent confiance en la justice.

Il est nécessaire et urgent de rétablir le calme et la sérénité qui doivent guider chaque décision de justice.

Ne partageant pas les objectifs que vous affichez et ne souscrivant pas à la construction budgétaire que vous nous avez présentée, monsieur le garde des sceaux, je voterai bien évidemment contre ce projet, de même que les autres membres de mon groupe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour un rappel au règlement.

Justice
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Rappel au règlement (suite)

M. Éric Doligé. Monsieur le président, mon rappel au règlement ne portera pas sur l’intervention de Mme Klès, bien que celle-ci ait mis en cause son prédécesseur à la tête de la commune dont elle est le maire – passons ! –, mais sur celles de Mme Borvo Cohen-Seat et de M. Sueur. Ceux-ci ont affirmé qu’adopter une « nouvelle loi d’affichage, après des faits divers » ne relevait pas d’une « bonne méthode », contestant ainsi tout le travail que nous avons accompli.

Mes chers collègues, permettez-moi d’opérer une mise au point. Ce matin, j’ai de nouveau reçu un appel des grands-parents de la jeune fille sauvagement assassinée il y a quelques jours. En effet, ils ont résidé vingt-cinq années durant dans le département du Loiret, plus précisément à Beaune-la-Rolande,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je les connais également.

M. Éric Doligé. … et ils souhaitent que la loi soit aménagée.

On peut bien sûr estimer que nous tirons prétexte d’une situation particulière pour lancer ce débat. Néanmoins, à mes yeux, lorsque survient un drame de cette importance, la représentation nationale ne peut se dispenser d’étudier le problème.

M. Éric Doligé. Un projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines a certes été présenté hier en conseil des ministres, mais il ne s’agit pas d’un texte de circonstance. En effet, ce projet a été annoncé il y a un an, au lendemain d’une autre affaire particulièrement dramatique, celle de Pornic, à la suite de laquelle plusieurs inspections avaient été menées et divers groupes de travail réunis.

M. Éric Doligé. Le Président de la République a de nouveau évoqué ce texte le 13 septembre dernier. Une meilleure information et une meilleure évaluation de la dangerosité des délinquants ne semblent que plus nécessaires au lendemain de la mort de la jeune Agnès Martin.

Mes chers collègues, en tant que parlementaires, nous ne pouvons rester insensibles aux drames de notre société !

C’est pourquoi je me permets d’apporter ces précisions, après avoir entendu prononcer les expressions de « fait divers » et « d’effets de circonstance » conduisant à modifier les lois. Il me semble nécessaire d’adapter notre législation. Et en l’occurrence, nous travaillons sur ce sujet depuis plusieurs mois. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

Mme Catherine Tasca, rapporteur pour avis. Il ne s’agit pas de cela !

Mme Nathalie Goulet. Ce n’était pas un rappel au règlement.

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, monsieur Doligé.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2012
Article 32 et état B

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chers collègues, sur les travées de la droite, certains d’entre vous détournent la procédure de rappel au règlement pour intervenir dans le débat.

M. Alain Gournac. Nous avons pris modèle sur vous !

M. Roland du Luart. Nous vous plagions !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En règle générale, les rappels au règlement interviennent en début de séance.

Puisqu’il en est ainsi, je tiens moi aussi à apporter une précision : votre intervention m’étonne beaucoup, monsieur Doligé, car il s’agit d’un pur affichage de vos choix politiques ! (Mme Catherine Troendle s’exclame.)

En effet, les parents de la jeune fille se sont clairement exprimés : ils ne souhaitent pas que le drame qu’ils vivent soit instrumentalisé.

M. Éric Doligé. Ce n’est pas le cas !

M. Alain Gournac. Pas du tout !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si, monsieur Doligé, et vous venez d’en faire la démonstration ! Gardez-vous de prendre la parole dans cet hémicycle pour vous faire l’écho de revendications particulières exprimées par des personnes qui vous ont directement contacté.

Mme Catherine Troendle. C’est vous qui avez commencé !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chers collègues, je ne cède pas à la polémique. Je formule un simple vœu : qu’aucun gouvernement n’instrumentalise plus le moindre fait divers.

Mme Catherine Troendle. M. Doligé a souligné que ce n’était pas le cas.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Doligé m’aura compris.

M. Alain Gournac. Merci de la leçon !

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, madame Borvo Cohen-Seat.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme je l’ai souligné il y a quelques instants, je n’aime pas l’expression « faits divers ».

Je le répète, nous partageons tous la douleur de cette famille, de tous ces jeunes, de tous les habitants de la Haute-Loire et de tous les Français. Que ne se glisse entre nous aucune incompréhension ou, du moins, aucune mauvaise compréhension, qu’elle soit volontaire ou non.

La réalité, la voici : il s’est produit un drame terriblement douloureux.

M. Éric Doligé. Bien sûr, malheureusement.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est hélas pas la première fois, monsieur Doligé. D’ailleurs, à la suite d’un autre drame, M. le Président de la République s’était rendu dans une ville que vous connaissez bien, située dans un département que vous connaissez parfaitement, où il a tenu des propos qui n’ont pas particulièrement motivé les magistrats, monsieur le garde des sceaux.

Mes chers collègues, le respect dû à cette grande douleur, que tous les Français partagent, nous impose de prendre des mesures adaptées. Toutefois, il ne s’agit pas de multiplier les lois d’affichage qui, faute de moyens, n’ont pas d’effets concrets.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On ne peut ni tout prévoir ni tout programmer, et nous ne pourrons jamais empêcher que de tels drames se répètent, même si nous aimerions pouvoir le faire.

Je le répète, il faut donc privilégier les mesures concrètes. Nous pouvons certes débattre de ces dernières, mais, comme l’ont souligné nombre de nos collègues de toutes sensibilités politiques, l’empilement des lois ne résout aucun problème et ne constitue pas une bonne méthode.

Sur le terrain, des hommes et des femmes accomplissent un travail aussi admirable que difficile, et c’est vers eux qu’il faut nous tourner. Je songe à tous ceux qui se chargent de la jeunesse en péril, qui va très mal et qui commet des actes effectivement inqualifiables, comme celui que nous évoquons ; à tous ceux qui encadrent les jeunes en prison, et dont ils doivent assurer la réinsertion. Comment pouvons-nous empêcher que la condition pénitentiaire devienne la première cause de récidive, selon la formule de Robert Badinter ?

Mes chers collègues, pour aider efficacement ces hommes et ces femmes, il convient de mobiliser de nouveaux moyens, sans se livrer à la moindre exploitation politique de tels drames.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier tous ceux qui, dans cet hémicycle, viennent de prendre la parole pour exprimer le vif intérêt qu’ils portent au service public de la justice.

Nous avons déjà une heure de retard par rapport à l’horaire fixé. Toutefois, je tiens à répondre au plus grand nombre de questions, et je remercie par avance M. le président de bien vouloir m’accorder un peu de temps supplémentaire : ainsi, nous n’aurons plus une, mais deux heures de retard ! (Sourires.)

En effet, en répondant aux très nombreuses questions et observations des rapporteurs et des orateurs, qui sont toutes extrêmement intéressantes, je pourrai peut-être faire mieux comprendre la situation actuelle du service public de la justice.

Tout d’abord, je tracerai les lignes de force de ce budget pour 2012, dont vous demandez le rejet, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité. Sans avoir la prétention de vous convaincre, je souhaite vous donner le regret de ne pas voter ces crédits.

Comme je l’ai souligné devant les membres de la commission des lois lors de mon audition du 2 novembre dernier, ce budget traduit, plus encore peut-être que ceux qui l’ont précédé au cours de cette législature, la place que le Président de la République et le Gouvernement souhaitent accorder au ministère de la justice et à ses missions, dans le contexte budgétaire particulièrement difficile que nous connaissons tous.

Bien entendu, on peut toujours déplorer des lacunes et des imperfections. Néanmoins, nous vivons dans un contexte qui s’impose à tous : celui de la crise financière. Même si je sais que vous en êtes conscients, mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à le rappeler.

Tout d’abord, le budget pour 2012 poursuit l’effort de rattrapage engagé depuis plusieurs années et accéléré depuis 2007 afin de donner à la justice les moyens d’assumer les nombreuses missions qui lui sont aujourd’hui confiées et, ce faisant, de répondre aux attentes que les Français nourrissent à son égard.

Ainsi, une fois pris en compte le plan d’économies adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, les crédits du ministère de la justice augmenteront de 3,5 % en 2012, alors que le budget de l’État dans son ensemble, hors charge de la dette et pensions, diminuera en valeur.

Les seuls crédits de fonctionnement et d’investissement – hors masse salariale – augmenteront de près de 5 %, et, au sein de cet ensemble, les crédits immobiliers progresseront même de 17 %. Ces chiffres illustrent l’effort engagé par le ministère pour construire et rénover établissements pénitentiaires et palais de justice.

En termes d’emplois, le ministère sera la seule administration à afficher des créations nettes en 2012, comme c’est le cas depuis 2007. Le budget triennal 2011-2013 autorisait le ministère à créer 200 emplois en 2012, contre 400 en 2011. En définitive, 512 postes seront ouverts l’année prochaine, sans compter les 250 emplois transférés depuis le ministère de l’intérieur, au titre de la reprise progressive des missions d’extraction judiciaire par l’administration pénitentiaire ; je reviendrai sur ce sujet dans quelques instants.

En outre, il est possible de mesurer l’effort de rattrapage accompli au cours de l’ensemble de la législature.

Depuis 2007, les crédits du ministère de la justice ont cru de près de 20 %, progressant de 6,25 milliards d’euros à 7,39 milliards d’euros. Pour les seuls services judiciaires, l’augmentation des crédits avoisine les 15 %.

En termes d’emplois, plus de 6 000 postes ont été créés, dont 1 400 environ dans les services judiciaires.

S’agissant des effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, ils ont certes été réduits d’une centaine d’emplois entre 2007 et 2011, mais ce résultat procède de deux évolutions contraires qui se compensent : plus de 700 emplois de support administratif ont été supprimés, à la suite des réformes de structure qui ont été menées, mais, dans le même temps, 600 postes d’éducateurs ont été créés, permettant à la PJJ de faire face à l’augmentation de l’activité pénale et d’améliorer la qualité de la prise en charge éducative.

Sans bénéficier de créations d’emplois nettes, la PJJ a donc pu autofinancer l’augmentation de ses effectifs d’éducateurs, grâce aux efforts de rationalisation consentis.

Quant aux effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, ils ont progressé d’un peu moins de 3 000 postes en 2007 à près de 4 100 aujourd’hui, soit une augmentation de plus d’un tiers, supérieure à la croissance du nombre des personnes placées sous main de justice et suivies en milieu ouvert au cours de la même période.

Tous ces chiffres parlent d’eux-mêmes : en cinq ans, soit le temps d’une mandature, c’est bien un véritable plan de rattrapage qui aura été accompli !

Bien sûr, il revient au ministère de la justice d’accompagner ces moyens supplémentaires d’un effort de modernisation de ses méthodes et de son organisation, pour parvenir à une plus grande efficacité collective, au service des justiciables. Cela passe, notamment, par la simplification et l’allégement des procédures, le recentrage des personnels sur leur cœur de métier, le recours accru aux nouvelles technologies, la mutualisation des achats et des fonctions support. Je détaillerai davantage ces sujets lorsque je répondrai tout à l’heure à M. Hyest.

Parmi les nombreux chantiers de modernisation engagés, je m’attarderai plus particulièrement sur celui des frais de justice, car il s'agit d’un sujet récurrent, que M. du Luart et Mme Tasca ont évoqué.

L’an dernier, la dotation des frais de justice a bénéficié d’une importante et nécessaire mise à niveau – elle est passée de 393 millions d'euros à 460 millions d'euros –, permettant en particulier de financer la réforme de l’organisation de la médecine légale. Cette année, l’enveloppe sera consolidée et son montant s’élèvera à 470 millions d'euros.

Certes, comme l’an dernier, la dépense constatée en fin d’année sera sensiblement supérieure à la dotation adoptée en loi de finances. Faut-il, comme les rapporteurs, parler de sous-budgétisation ? Je dirais plutôt que, au-delà de la couverture des dépenses courantes de frais de justice, un effort de résorption des retards de paiement constatés historiquement sur ce poste de dépense a pu être engagé, et c’est heureux, car il permet au ministère de régler ses dettes et de préserver l’équilibre financier de ses prestataires en ces temps de crise. Cependant, j’en conviens, tout n’est pas réglé.

Il n’en demeure pas moins que la dynamique de la dépense des frais de justice doit être maîtrisée, comme l’ont relevé à juste titre les rapporteurs. Nonobstant les facteurs qui poussent tendanciellement à la hausse les dépenses en la matière – augmentation du contentieux, multiplication des dispositions normatives impliquant des frais de justice, recours accru à la preuve scientifique, nouveaux droits ouverts aux victimes –, tous les efforts doivent être entrepris pour réaliser des économies, dans le respect de la liberté de prescription des magistrats et des OPJ, et sans porter atteinte à la recherche de la vérité.

À cette fin, j’ai confié cette année à l’inspection générale des services judiciaires et à l’inspection générale des finances une mission conjointe.

L’une des préconisations de ces deux inspections a déjà pu être mise en œuvre en 2011, à savoir la passation de marchés nationaux pour les analyses génétiques ; elle a permis de réaliser près de 2 millions d'euros d’économies. Ces premiers résultats sont encourageants.

Une autre de ces recommandations a donné lieu à un amendement adopté à l’unanimité, je tiens à le souligner, à l’Assemblée nationale, qui vise à mettre par défaut à la charge des personnes morales condamnées au pénal les frais de justice encourus pendant la procédure. Bien sûr, le juge aura toujours la faculté de déroger à cette règle et de mettre ces frais à la charge de l’État s’il l’estime justifié.

Il faut aussi s’attaquer à la question de la tarification des frais de justice : ainsi que le relève le rapport des inspections précitées, il convient de diminuer certains tarifs, notamment les frais de réquisition des opérateurs téléphoniques, tout en sachant que d’autres devront, au contraire, être revalorisés, en particulier ceux qui sont relatifs aux expertises psychiatriques.

En outre, beaucoup reste aussi à accomplir pour appliquer aux frais de justice les méthodes destinées à professionnaliser l’achat public : je pense, notamment, à la définition de cahiers des charges par type de prestation, à des dispositifs d’information systématique des fournisseurs et des prescripteurs pour favoriser l’alignement sur les meilleures performances.

Enfin, la simplification du circuit de paiement me semble indispensable.

Ces différents chantiers sont résolument engagés. J’espère que, au cours de l’année 2012, des avancées en la matière pourront être réalisées.

Le présent projet de budget donne ensuite pleinement au ministère de la justice et des libertés les moyens de mettre en œuvre les réformes que j’ai portées cette année au nom du Gouvernement, qu’il s’agisse de l’introduction des citoyens assesseurs dans les juridictions correctionnelles et dans les juridictions d’application des peines, de la réforme de l’hospitalisation sans consentement, ou encore de celle de la garde à vue.

À la suite d’une décision du Conseil constitutionnel, la réforme de l’hospitalisation sans consentement a été mise en œuvre le 1er août. Je veux en cet instant rendre hommage à cette tribune à tous les magistrats de France, qui sont extrêmement professionnels : grâce à leur engagement et à leur dévouement, tout s’est bien passé et cette réforme fonctionne ! Très souvent – fait nouveau –, ils se sont rendus sur place. Naturellement, cela ne signifie pas pour autant que des moyens supplémentaires ne seraient pas les bienvenus.

Au total, aux termes du projet de budget pour 2012, 315 emplois seront créés au titre de ces nouvelles mesures. Cet effort sera poursuivi en 2013 ; sur deux ans, 485 emplois seront créés au titre de ces réformes, chiffre qui correspond précisément aux évaluations figurant dans les études d’impact réalisées par la Chancellerie. Pour le moment, l’introduction de jurés citoyens dans certaines juridictions est en phase d’expérimentation. Par conséquent, point n’est besoin de mettre à disposition dès aujourd'hui tous les postes nécessaires. Attendons la généralisation de cette mesure.

Quant à la réforme de la garde à vue, elle se traduit par une augmentation de 85 millions d'euros des fonds consacrés à l’aide juridictionnelle, grâce à la contribution pour l’aide juridique d’un montant de 35 euros instituée par la loi de finances rectificative du mois de juillet dernier.

Je tiens à souligner que la création de cette contribution ne traduit nullement un quelconque désengagement du budget de la justice du financement de l’aide juridictionnelle, puisque les crédits qui y seront consacrés augmenteront de 24 millions d'euros en 2012, soit près de 8 %, passant de 312 millions d'euros en 2011 à 336 millions d'euros en 2013.

Toutefois, le coût de la réforme de la garde à vue – 85 millions d'euros – ne pouvait raisonnablement pas être absorbé par le budget de l’aide juridictionnelle du ministère de la justice, qui a déjà augmenté de plus de 50 % depuis 2002. Il fallait donc trouver d’autres ressources. Après avoir examiné différentes voies, le Gouvernement a tranché en faveur d’un droit de timbre de 35 euros, préférant cette solution, notamment, à une intervention sur les droits d’enregistrement.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la contribution en cause ne sera exigible ni des justiciables qui bénéficient de l’aide juridictionnelle ni dans certaines procédures sensibles telles que celles qui concernent les tutelles, les étrangers, le surendettement, ou encore le contentieux de la sécurité sociale. Elle ne constituera donc pas un obstacle à l’accès au juge.

Enfin, le projet de budget pour 2012 met un accent particulier sur les moyens nécessaires à l’exécution effective et rapide des peines prononcées par les juridictions, dont j’ai fait l’une de mes priorités.

Il ouvre ainsi 1,8 milliard d'euros de crédits d’autorisations d’engagement pour les investissements prévus dans le cadre du nouveau programme immobilier en matière pénitentiaire que j’ai annoncé au printemps.

L’effort est également porté sur les aménagements de peine : les crédits relatifs au bracelet électronique, à hauteur de 23,3 millions d'euros, sont accrus de 20 %, pour permettre à l’administration pénitentiaire d’atteindre l’objectif de 12 000 bracelets. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.

Pour renforcer la prise en charge des mineurs délinquants, 60 emplois d’éducateurs seront créés et 30 millions d'euros d’investissements engagés pour ouvrir 20 nouveaux centres éducatifs fermés.

Néanmoins, il faut incontestablement aller plus loin si nous voulons doter notre pays des moyens nécessaires à une exécution rapide et effective des peines prononcées et remédier de manière durable à la surpopulation carcérale.

Tel est l’objet du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines que le conseil des ministres a adopté hier, à la demande du Président de la République. Ce texte sera discuté par le Parlement dès la fin de cette année.

L’objectif fixé est de porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places d’ici à la fin de 2017, en privilégiant des structures adaptées aux courtes peines, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié des peines ne pouvant être exécutées. Dans le même temps, d’ici à 2017, le nombre de personnes condamnées susceptibles d’être placées sous bracelet électronique pourra être porté à 16 000.

Ce projet de loi contient aussi un volet de mesures visant à renforcer la prévention contre la récidive. J’aurai l’occasion de revenir très largement devant le Sénat sur ce texte.

J’en viens maintenant aux questions que vous m’avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs.

M. le rapporteur spécial s’est interrogé sur la crédibilité de la gestion pluriannuelle du ministère de la justice, notamment quant à l’évolution du parc carcéral. L’objet du projet de loi de programmation susvisé est d’apporter une réponse sur ce sujet sur la période 2012-2017.

Comme je l’ai déjà indiqué, il ne s’agit pas de construire un seul type d’établissement. Aujourd’hui, on dénombre environ 300 000 personnes placées sous main de justice, 64 500 détenus, 175 000 personnes faisant l’objet d’une mission en milieu ouvert. D’aucuns critiquent le « tout carcéral ». Or vous pouvez constater, mesdames, messieurs les sénateurs, que plus de la moitié des personnes incriminées se trouvent en milieu ouvert. Il faut donc en finir avec cette idée, qui n’est qu’un slogan de mauvaise qualité !

Je veux insister sur le point suivant : 80 000 personnes condamnées définitivement n’exécutent pas leur peine. Si un phénomène est source de divorce entre les Français et leur justice, c’est bien celui-ci. Il faut sortir de cette logique.