M. Bruno Sido. Très bien !

M. François Zocchetto. Je suis membre de la commission des lois, mais je suis aussi, tout comme le président de celle-ci, profondément attaché à l’amélioration de notre politique de développement durable. J’imagine qu’il en va de même pour tous nos collègues membres des commissions des finances, de la culture, des affaires sociales ou des affaires étrangères et de la défense !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Bien sûr !

M. François Zocchetto. La création d’une telle délégation ou commission sénatoriale permettrait à des sénateurs membres d’autres commissions de participer à une réflexion d’ensemble sur ces questions, sans remettre en cause l’efficacité du travail de l’actuelle commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Qui, en effet, a déjà entendu des arguments démontrant que cette commission ne travaillait pas bien ? Quelqu’un l’a-t-il critiquée ? Cette commission ne se préoccupe-t-elle pas des questions de développement durable et d’aménagement du territoire ?

M. Gérard César. Il faut le demander au président de la commission de l'économie : il est présent !

M. François Zocchetto. En revanche, chacun peut apprécier ce qui se passe à l’Assemblée nationale depuis que les députés ont décidé une scission comparable à celle qu’on nous propose. Pour mémoire, les membres de la commission de l'économie de l’Assemblée nationale étaient plus de 150 avant la scission, quand, au Sénat, ils ne sont que 78. J’ai cru comprendre que, à l’Assemblée nationale, l’expérience n’était pas vraiment concluante, c’est même le moins que l’on puisse dire !

Si l’on veut enfermer les questions environnementales et de développement durable dans un ghetto, suivons cette proposition ! Je suis déçu que cette modification soit soutenue par la nouvelle majorité sénatoriale, alors que l’exemple de l’Assemblée nationale nous démontre que c’est une mauvaise idée, car cela fonctionne très mal.

On nous propose donc de passer d’un système efficace à une nouvelle répartition dont on sait d’avance qu’elle va poser des problèmes, sans apporter le moindre bénéfice au Sénat. Ces problèmes, nous pouvons les éviter si nous décidons de créer une délégation ou une commission sénatoriale dédiée au développement durable plutôt que de scinder la commission de l'économie.

Enfin, suivant sa logique constructive, le groupe UCR vous fera une autre proposition,…

M. Jean-Pierre Caffet. Quel feu d’artifice ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. François Zocchetto. … ayant pour objet d’améliorer le fonctionnement de notre assemblée via une réforme du vote par scrutin public.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. François Zocchetto. Notre groupe a déposé un amendement visant à mettre fin à l’usage actuellement fait du scrutin public. Il prévoit que chaque sénateur ne pourra recevoir de délégation que pour un seul de ses collègues.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous seriez bien embêtés, si elle était adoptée !

M. François Zocchetto. Chacun sait comment fonctionne le scrutin public dans cet hémicycle. Chacun sait aussi à quel point ce système est critiquable. La compilation des interventions de sénateurs de tous les groupes pour déplorer cette situation, depuis plusieurs années, est édifiante !

Sur la forme, je constate que la gauche, qui, lorsqu’elle était dans l’opposition, n’a jamais cessé de dénoncer de façon très argumentée et persuasive ce type de scrutin, s’est bien vite approprié cette pratique depuis qu’elle est ici majoritaire, avec une utilisation que je qualifierai de « quasi systématique » et qui a très souvent pour objet d’occulter une réalité peu glorieuse. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

Je ne vise pas le groupe CRC, madame Borvo Cohen-Seat !

M. Jacques Mézard. Vous ne l’avez peut-être jamais fait ?

M. François Zocchetto. La gauche ne réussit pas à être physiquement majoritaire dans l’hémicycle. Heureusement que le scrutin public était là pour vous permettre de faire adopter la suppression des allégements Fillon, la création d’une « taxe Tobin », qu’il eût pourtant été préférable d’approuver par un engagement réel plutôt que par scrutin public, l’abrogation du conseiller territorial, et j’en passe !

En trois mois, le scrutin public a été utilisé de manière si intense que le sujet mérite d’être abordé dès le début de ce nouveau mandat sénatorial.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et en cinquante-trois ans de majorité de droite, combien d’exemples ?

M. François Zocchetto. Enfin, notre collègue Nathalie Goulet vous proposera une petite modification de l’article 15 du règlement du Sénat, qui dispose que « la présence aux réunions de commission est obligatoire ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela va être dur pour certains !

M. François Zocchetto. En effet !

Mme Goulet souhaite que soit ajoutée cette précision : « sauf en cas de concomitance avec la tenue d’une séance publique ».

Mme Esther Benbassa. Et pour les délégations ?

M. François Zocchetto. Malheureusement, nous avons constaté que la tenue de réunions de commission pendant les séances publiques, super-exception voilà quelque temps, tendait à devenir une habitude. Je ne doute donc pas que tous les sénateurs approuveront cette modification apportée à l’article 15 du règlement.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il est fâcheux que pas un seul des membres de votre groupe n’ait été présent lors de la réunion de la commission des lois cet après-midi !

M. François Zocchetto. Précisément, monsieur le président, parce qu’il y avait séance publique !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui, vous étiez sûrement tous présents pour le débat sur la rémunération pour copie privée…

M. François Zocchetto. Nous espérons vous convaincre de la pertinence des différents arguments que je viens de développer. Nous sommes là pour améliorer nos méthodes de travail, et non pas pour nous opposer sur des sujets de pratique parlementaire.

Si ses propositions n’étaient pas suivies, le groupe UCR serait contraint de s’opposer à la proposition de résolution visant à réformer le règlement du Sénat. (Applaudissements sur les travées de lUCR.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, mes chers collègues, j’aurai l’occasion d’intervenir sur les amendements proposés par le groupe UCR, qui méritent effectivement qu’on en débatte.

En cet instant, ce que je veux souligner, c’est l’importance du règlement d’une assemblée lorsqu’il s’agit de caractériser le fonctionnement des institutions d’un pays. La Constitution, bien entendu, fixe un cadre précis en la matière, et rien ne peut être fait qui n’y soit conforme. Toutefois, son application peut donner lieu à des interprétations diverses et le respect des droits du Parlement dépend aussi du règlement adopté par chaque assemblée.

Ainsi, la révision constitutionnelle de juillet 2008 a donné lieu à une interprétation très différente entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Le « crédit temps » rendu possible par la Constitution modifiée, qui permet de remettre en cause le droit d’amendement en limitant le temps global de discussion sur un projet ou une proposition de loi, a été inscrit dans le règlement de l’Assemblée nationale, mais non dans celui du Senat. Ainsi le débat a-t-il davantage lieu dans l’assemblée élue au suffrage universel indirect que dans l’assemblée représentant directement le peuple…

Cette courte digression avait pour objet de rappeler qu’une modification de règlement est toujours un geste très politique, qui ne peut jamais se résumer à l’adaptation technique de dispositions constitutionnelles ou à une gestion administrative des assemblées.

Un règlement peut influer sur la mise en œuvre de dispositions constitutionnelles, mais il ne peut inverser le cours des choses. Il peut ralentir des évolutions, mais il ne peut les stopper. En l’occurrence, la politique de réduction progressive des droits du Parlement amorcée par la Constitution de 1958 et accentuée par le poids de l’« hyperprésidence » mise en place par l’actuel Président de la République ne peut évidemment pas être fondamentalement remise en cause par tel ou tel règlement d’assemblée.

L’inflation législative, la multiplication des lois d’affichage, la précipitation marquée par le recours très fréquent à la procédure accélérée, le mépris affiché à l’encontre du Parlement sur les grands thèmes comme celui de la crise européenne, sont autant de signes d’affaiblissement du pouvoir législatif.

N’est-il pas inadmissible que ni le Président de la République ni le Premier ministre n’envisagent de consulter l’Assemblée nationale et le Sénat sur le tortueux projet de traité européen – ou accord intergouvernemental – qui porte pourtant en son sein une atteinte sans précédent au droit des parlements nationaux, notamment en matière budgétaire ?

Aucun règlement ne peut combattre efficacement la remise en cause du principe même de la démocratie parlementaire, opérée par l’affirmation d’une véritable dictature des marchés, elle-même symbolisée par la toute-puissance des agences de notations, que 81 % de nos concitoyens critiquent mais qui n’en font pas moins la pluie et le beau temps en Europe, si notre pays ne se dote pas d’une Constitution qui restaure pleinement la souveraineté du peuple.

Avant que soit éventuellement approuvée la proposition de résolution modifiant le règlement du Sénat, je souhaite donc rappeler que le groupe CRC rejette catégoriquement les institutions de la Ve République. Cette position n’est pas de circonstance puisque les sénateurs communistes la défendent, avec leur parti, depuis l’origine. Faut-il rappeler que nous nous sommes opposés, en 1962, à la proposition d’instaurer l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct ?

Nous constatons aujourd’hui les dégâts de la personnalisation et de la médiatisation de la vie politique, voire de sa « pipolisation », sur les rapports entre représentants et représentés en France.

Je suis, avec mon groupe, partisane de l’instauration d’une VIe République qui restaure le pouvoir citoyen et, dans ce but, replace le Parlement au centre de nos institutions.

La suppression du droit de dissolution de l’Assemblée nationale accordé au Président de la République, la restauration du pouvoir budgétaire, qui suppose l’abrogation de l’article 40 de la Constitution, le droit d’initiative législative conféré au peuple, l’établissement du scrutin proportionnel pour l’ensemble des élections et la suppression du cumul des mandats exécutifs sont des exemples de mesures institutionnelles fortes qui nous permettraient de passer d’une République oligarchique à une République citoyenne.

Le Sénat ne pourra rester à l’abri de changements importants. Le gain de la majorité par la gauche, en même temps que la soudaine utilité politique et sociale de la Haute Assemblée face aux coups de boutoir portés contre les intérêts de l’immense majorité du peuple par une droite qui détient tous les pouvoirs nationaux depuis dix ans, ne signifie pas notre renoncement à une profonde réforme du Sénat.

Et cette réforme ne peut ni ne doit se limiter à une modification du mode de scrutin, quelle que soit l’importance de cet enjeu. Pendant longtemps, le mode de scrutin sénatorial avait réussi à empêcher toute alternance au sein de la Haute Assemblée alors que les élections locales avaient abouti à des victoires de la gauche dans la grande majorité des territoires. Certes, le renouvellement de 2011 a envoyé une nouvelle majorité au Sénat, mais celle-ci ne reflète pas le réel rapport des forces dans les territoires, qui est beaucoup plus favorable à la gauche.

Le débat sur le mode de scrutin sénatorial est donc nécessaire, mais nous sommes convaincus que le Sénat aura de l’avenir s’il devient l’assemblée de l’initiative des citoyens et de leurs élus locaux, c’est-à-dire s’il développe sa spécificité dans les liens du Parlement avec les populations des territoires.

J’estime qu’il est de la responsabilité de la nouvelle majorité sénatoriale de lancer enfin un débat sur l’utilité démocratique et le devenir de notre assemblée.

Le règlement du Sénat est empreint du déséquilibre qui s’est peu à peu instauré, en plus de deux décennies, entre législatif et exécutif et de la dérive présidentialiste du régime, au détriment des prérogatives parlementaires.

Même si, comme je l’ai déjà indiqué, les effets de la dernière réforme ont été atténués au Sénat, pour mieux justifier l’amputation du débat démocratique à l’Assemblée nationale, il n’en demeure pas moins que le parlementarisme rationalisé a gagné du terrain dans notre hémicycle.

La réduction du temps de parole sur les projets et propositions de loi, la mise en application de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la LOLF, qui réduit le débat budgétaire à la portion congrue, et l’instauration d’un seuil « plancher » de trente sénateurs pour exercer un certain nombre de droits sont des illustrations parmi beaucoup d’autres des limites apportées à un fonctionnement réellement démocratique.

Certes, des possibilités nouvelles ont été ouvertes en 2008 dans la répartition des pouvoirs entre majorité et opposition. Je pense en particulier au partage de l’ordre du jour ou au droit de tirage pour les commissions d’enquête. Mais il s’agit essentiellement de pouvoirs de contrôle ; dans les faits, l’initiative législative reste aux mains de l’exécutif.

Pour être honnête, je constate une différence sensible depuis le changement de majorité dans notre assemblée. Autant les nouveaux pouvoirs d’initiative ne revêtaient que peu d’intérêt quand les deux assemblées étaient de la même majorité, autant la configuration actuelle apporte un regain d’intérêt aux débats sénatoriaux.

Mais cela ne renforce pas pour autant les prérogatives parlementaires, du fait non seulement de la prééminence de l’Assemblée nationale, qui ne saurait être remise en cause puisque les députés sont élus au suffrage universel direct, mais surtout des mécanismes qui organisent la soumission du Parlement à l’exécutif : lois de finances, article 40, etc.

En ce qui nous concerne, nous ne voulons plus d’un Parlement qui bavarde. Nous voulons un Parlement qui propose, qui décide et qui anime le débat citoyen.

Vous l’aurez compris, nous sommes attachés à l’engagement rapide de changements profonds, répondant à l’exaspération de nos concitoyens à l’égard du politique, qui est de plus en plus synonyme pour eux d’austérité, de mal-vie ou d’affaires et de conflits d’intérêts.

La proposition de résolution dont nous sommes aujourd'hui saisis a une portée limitée. Elle découle du résultat des dernières élections sénatoriales. Nous considérons qu’elle doit garder un caractère limité. D’éventuelles autres modifications du règlement du Sénat ne sauraient intervenir qu’après une préparation avec l’ensemble des groupes. De ce point de vue, je vous rejoins, monsieur Zocchetto. D’ailleurs, comme je l’ai dit en introduction de mon intervention, vos propositions donnent matière à discussion, même si la présentation que vous en faites me semble quelque peu partiale. Je souhaite donc que le débat continue, et pas seulement à l’occasion de l’examen de la présente proposition de résolution.

L’article 1er de celle-ci vise à améliorer la représentation pluraliste au sein de notre assemblée. Il s’agit d’abaisser le seuil de constitution d’un groupe politique à dix sénateurs.

Comme cela est indiqué dans le rapport de la commission, les prérogatives d’un groupe sont importantes : temps de parole, participation à la conférence des présidents et obtention de moyens constituent des droits qui assurent aux principales sensibilités politiques représentées dans l’hémicycle la possibilité de participer effectivement et de manière indépendante à la vie démocratique de l’assemblée.

Les sénateurs communistes et leurs partenaires ont toujours été attachés à la reconnaissance du pluralisme. C’est cela, et non des calculs politiciens, qui motive nos positions. (M. André Gattolin applaudit.)

Dans l’immédiat, nul ne l’ignore, cette résolution permettra la constitution d’un groupe Europe Écologie-Les Verts au Sénat : cela figure même dans l’exposé des motifs.

Mme Françoise Laborde. Nous l’avions remarqué !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aussi, je souhaite rappeler que la prise en compte du pluralisme et de la spécificité au sein d’une majorité va de pair avec le respect de ses composantes. Voilà un principe qui est quelque peu bafoué lorsque des candidats Verts sont investis au terme d’un accord avec le parti socialiste dans des circonscriptions législatives dont les sortants sont des élus du Front de gauche ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC. – Exclamations ironiques sur les travées de lUMP.)

Je profite de ce débat pour rappeler la nécessité de porter une attention particulière aux groupes politiques les moins importants en nombre, qui ont eu beaucoup de difficultés à faire face au surcroît de travail parlementaire. En clair, il serait souhaitable que la constitution d’une nouvelle commission ne se fasse pas au détriment des groupes les moins nombreux, dont le travail législatif est tout aussi important que celui des groupes plus nombreux.

M. Ronan Dantec. Nous sommes d'accord !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 2 de la proposition de résolution de M. le président du Sénat concerne donc la création d’une nouvelle commission permanente, consacrée au développement durable, qui doit résulter de la division en deux de l’actuelle commission de l’économie.

Par le passé, nous avons déjà eu l’occasion d’exprimer nos doutes sur la création de nouvelles commissions, qui rend les interventions des petits groupes plus difficiles, ainsi que je viens de le rappeler. En l’occurrence, certains ne disposeront plus que d’un ou deux membres dans les deux commissions issues de la scission de l’ancienne commission de l’économie.

Cependant, après un examen des avantages et inconvénients de la nouvelle disposition, nous avons considéré qu’il était judicieux de placer le développement durable au centre des préoccupations du Sénat, étant entendu que cette commission devait être dotée d’un contenu réel, en particulier en matière d’investissements dans les transports et l’énergie.

Encore une fois, les évolutions proposées ne sauraient avoir pour conséquence de restreindre les moyens des groupes, a fortiori de ceux dont l’effectif est peu important.

Sous le bénéfice de ces quelques réflexions, qui montrent bien l’utilité de cette proposition de résolution, mais aussi son caractère très limité au regard de l’ampleur du chantier institutionnel nécessaire pour une refondation citoyenne de la République, notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, mes chers collègues, je partage nombre des observations émises par la présidente du groupe CRC, Nicole Borvo Cohen-Seat.

S’il est une phrase à retenir dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat, c’est bien la citation du président Gaston Monnerville, qui qualifiait notre Haute Assemblée d’« institution fondamentale d’une république démocratique ». Et nous savons tous quel combat cet illustre membre de notre groupe a dû mener pour sauver l’existence même du Sénat de la République, à l’époque remise en cause par la majorité constituée autour du général de Gaulle. (Murmures sur les travées de lUMP.)

Je n’oublie pas non plus les critiques formulées ultérieurement par d’importants responsables de la gauche sur le Sénat, bien que certains d’entre eux aient ensuite connu à titre personnel le plaisir de siéger sur nos travées.

Je sais d’ailleurs que, pour certains ici, le standing n’est pas au niveau de celui de l’Assemblée nationale, notamment par manque de journalistes ; mais c’est un autre débat… (Rires sur les travées du RDSE, de lUCR et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

Les membres de notre groupe, en particulier les radicaux de gauche, ont constamment affirmé la nécessité de l’existence d’un Sénat de la République, d’un Parlement à deux chambres. La chambre Haute, de par son mode d’élection et sa composition, qui assure un processus de réflexion législative raisonné, se situe plus à l’écart des comportements électoralistes qu’une Assemblée nationale soumise au pouvoir exécutif présidentiel, quel qu’il soit.

Si la stabilité gouvernementale, que n’avait pas pu assurer la IVe République, est à mettre au crédit de la Ve République, la marginalisation du Parlement a, en revanche, montré les défauts de celle-ci quant au fonctionnement démocratique de nos institutions.

Enfler la production législative à l’excès avec des textes très souvent redondants, médiatiques, dont bon nombre ne sont quasiment jamais appliqués, est un moyen efficace de marginaliser le Parlement. Le pouvoir exécutif y a excellé, et c’est de plus en plus le cas. Sur ce point, la révision constitutionnelle de 2008 n’a pas amélioré la situation.

La restauration d’un pouvoir parlementaire équilibré et suffisamment fort, donc de l’image même du Parlement, relève d’une profonde révision constitutionnelle.

En l’état, ce qui nous est proposé en matière de travail législatif est une modification du règlement sur deux points : l’abaissement du seuil du nombre de sénateurs pour créer un groupe et la création d’une septième commission permanente, consacrée au développement durable et à l’aménagement du territoire, mesures devant être appliquées à budget constant.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas gagné !

M. Jacques Mézard. Je voudrais in limine faire une remarque. Un Parlement fort, ayant la capacité de contrôler l’exécutif et d’être une force d’initiative ainsi que de modernisation de la société, a besoin de moyens. Assez de discours populistes sur le sujet !

Bien sûr, dans notre esprit, il s’agit de moyens de travail, de matière grise, de technicité, pas de moyens pour financer des réserves parlementaires, des parlementaires absents ou certains voyages improductifs…

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jacques Mézard. Sur l’article 1er de la proposition de résolution, c’est-à-dire l’abaissement à dix du seuil de constitution d’un groupe, voyons le fond et la forme, car ce n’est pas la même chose !

Je n’oublie pas que je préside le plus ancien groupe du Sénat, la Gauche démocratique, né le 26 octobre 1891, voilà cent vingt ans– il a, depuis, changé de dénomination –, sur l’initiative d’Émile Combes et d’Arthur Ranc, soit trente ans avant la reconnaissance officielle des groupes parlementaires par le Sénat. Je vois que cela amuse M. Sido… Sans doute la suite le fera-t-elle moins rire. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Aujourd’hui inscrit à l’article 51-1 de la Constitution, le rôle des groupes est essentiel pour l’expression parlementaire des différentes sensibilités politiques, qu’il convient de toutes respecter, monsieur Sido, même si un tel effort vous est difficile !

M. Bruno Sido. Mais non !

M. Jacques Mézard. Cette expression demande aussi des moyens réglementaires, administratifs et financiers, à plus forte raison pour les groupes composés d’un faible nombre de parlementaires.

La question du seuil revient de manière cyclique en fonction du poids fluctuant des sensibilités politiques. Pour preuve, à l’Assemblée nationale, le seuil a été fixé à trente en 1959, à vingt en 1988, puis à quinze en 2009. Nous savons tous qui a pu ainsi préserver son groupe : la lecture des débats de l’Assemblée nationale est, à cet égard, instructive. Ce n’est qu’une constatation !

Cela étant, la fixation d’un seuil à un certain niveau permet des fiançailles originales. Tel fut, un temps, le cas à l’Assemblée nationale du groupe Radical, Citoyen, Vert. (M. Jean Desessard acquiesce.)

À l’Assemblée nationale, le seuil actuel de constitution d’un groupe est de quinze membres, pour 577 députés ; au Sénat, il est envisagé de fixer le seuil à dix membres, pour 348 sénateurs. Il n’y a rien là de profondément choquant, par comparaison.

M. Jacques Mézard. Est-ce une amélioration pour le fonctionnement du Sénat ? (Non ! sur les travées de lUCR.) La question peut se poser.

M. Bruno Sido. Elle mérite d’être posée !

M. Jacques Mézard. Toutes les questions méritent d’être posées, monsieur Sido.

Notre Haute Assemblée avait fixé le seuil à onze en 1959, puis à quinze en 1971 – suivant alors un mouvement inverse –, ce qui n’a pas été sans conséquence puisque cette modification entraîna, en 1980, la disparition du groupe des Républicains indépendants, héritier du Centre national des indépendants et paysans.

Le renforcement du pluralisme va-t-il de pair avec l’efficacité législative ? L’avenir le dira ; nous verrons ce qu’il en sera dans les prochains mois et les prochaines années. Du reste, mes chers collègues, une résolution pourra toujours défaire ce qu’une précédente résolution aura fait.

En revanche, il n’était guère opportun, dans l’exposé des motifs, de donner comme seul argument fondamental la reconnaissance des « formations écologistes », renforçant ainsi le lien entre groupe politique et affiliation à un parti politique, en contradiction – au moins relative – avec une longue tradition sénatoriale. Mais cela doit être le résultat d’un accord très médiatisé...

J’entends, en souriant, certains représentants de courants politiques qui ont beaucoup souhaité à l’Assemblée nationale voir abaisser les seuils prendre ici d’autres positions. Ils sont bien optimistes pour l’avenir... Je rappelle en effet, après Frédéric Dard, que faire des prévisions est un art difficile, surtout quand elles concernent l’avenir ! (Sourires.)

Quant au goût soudain de l’UMP pour le groupe à dix, monsieur Sido, personne n’est dupe de la manœuvre visant à amener M. José Bové en véhicule 4x4 au milieu d’un champ d’OGM ! (Sourires.) Oserai-je dire, en regrettant que le président Gaudin ne soit pas là pour m’entendre : quelle curieuse bouillabaisse ! (Nouveaux sourires.)

Quant à ceux qui trouvent que cela pourrait peser sur les finances du Sénat, ils étaient moins regardants, voilà encore trois mois, sur l’utilisation opaque de plus de 10 millions d’euros de réserve parlementaire par trois dignitaires ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Roger Karoutchi. Qui sont les trois ?

M. Jacques Mézard. Pour des raisons de fond, notre groupe votera majoritairement ce nouveau seuil, non par mesure de prudence en considération de l’avenir, mais pour donner toutes ses chances à la nouvelle majorité, dans la mesure où elle saura dorénavant respecter l’ensemble de ses composantes.

Mon groupe n’a pas vocation à appartenir exclusivement à la nouvelle majorité sénatoriale – ce n’est d’ailleurs pas le cas ! – et, hier comme aujourd’hui, il se définit avant tout comme « groupe minoritaire » au sens de l’article 51-1 de la Constitution.

Ainsi, mes chers collègues, notre groupe continuera à s’exprimer dans sa spécificité, dans sa diversité, qui est reconnue et à laquelle nous tenons, la considérant comme un principe fondamental. Ceux qui espèrent notre affaiblissement font erreur et en seront pour leurs frais !

Certes, monsieur Sido,...