Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Monsieur Teston, Éric Besson ne pouvant être présent ce matin, il m’a demandé de vous faire part de sa réponse.

La procédure d’attribution des licences de téléphonie mobile de quatrième génération, la 4G, a été lancée par le Gouvernement le 15 juin 2011. Elle a conduit à l’attribution de licences à tous les opérateurs français de réseaux mobiles dans la bande de fréquences de 2,6 gigahertz et à l’attribution de licences à France Télécom-Orange, SFR et Bouygues Télécom dans la bande 800 MHz.

Les déploiements des réseaux ont démarré et les premiers services pourraient être lancés dès la fin de l’année. C’est une réussite majeure du Gouvernement permise par le plan France numérique 2012.

L’utilisation des fréquences de la bande 800 MHz par les opérateurs mobiles est en effet susceptible de causer des brouillages à la réception de la TNT en raison de la proximité des bandes de fréquences. Comme cela a toujours été le cas dans tous les pays du monde, l’opérateur qui déploie son réseau est alors responsable des éventuels brouillages qu’il peut provoquer.

À la demande du Gouvernement, deux expérimentations ont été menées par l’Agence nationale des fréquences avec les opérateurs afin d’estimer l’ampleur des brouillages. Il ressort de ces expérimentations que les brouillages seront limités : le risque est évalué à moins de 2 % des foyers. Il en ressort aussi que des solutions sont systématiquement trouvées pour résoudre ces difficultés.

Soucieux d’accompagner au mieux l’ensemble des Français, le Gouvernement a décidé la création d’un centre d’appels destiné à recueillir les interrogations ou réclamations éventuelles Afin de financer ce dispositif, la loi de finances pour 2012 institue une taxe destinée à couvrir les coûts engagés par I’ANFR.

La loi prévoit que ces coûts seront répartis entre les opérateurs autorisés dans la bande 800 MHz, selon des modalités qui seront précisées par décret, et dans une limite de 2 millions d’euros par an. Ce maximum annuel a été fixé à partir d’une estimation haute des coûts. Cela n’inclut pas les coûts de résolution des brouillages qui sont à la charge des opérateurs responsables des interférences.

La totalité des coûts du centre d’appel seront donc pris en charge par ce dispositif. Ainsi, les Français seront pleinement accompagnés, tout comme ils l’ont été lors de la transition de la télévision analogique vers la télévision numérique.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’avez rappelé, la loi de finances pour 2012 institue une taxe, d’un montant maximum de 2 millions d’euros répartis entre les opérateurs, pour permettre à l’Agence nationale des fréquences de recueillir et de traiter les réclamations des téléspectateurs qui pourraient voir la réception de certaines chaînes de télévision brouillée par le déploiement de la 4G.

Cette somme de 2 millions d’euros sera suffisante si, comme l’estime l’Agence nationale des fréquences, la réception des chaines de télévision est perturbée dans 2 % des foyers. En revanche, elle sera insuffisante si les brouillages sont plus nombreux. Or, si l’on se fonde sur les expérimentations qui ont été conduites en France et dans d’autres pays de l’Union européenne, une telle hypothèse est plausible. Dès lors, qui financera le coût supplémentaire que devra supporter l’Agence nationale des fréquences ?

En aucun cas, il ne pourra s’agir des téléspectateurs concernés, sauf à leur infliger une double peine. Monsieur le secrétaire d’État, j’attends du Gouvernement qu’il apporte une réponse claire à cette question.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je viens de répondre !

Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

9

Communication d’un avis de l’Assemblée de la Polynésie française

M. le président. En application de l’article 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, M. le président du Sénat a reçu ce jour de M. le président de l’Assemblée de la Polynésie française le rapport et l’avis sur la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires en Polynésie française.

Acte est donné de la communication de l’avis favorable rendu par l’Assemblée de la Polynésie française sur cette proposition de loi, qui sera examinée par le Sénat demain après-midi.

10

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat le rapport 2010 sur les comptes, la gestion et l’activité de l’Établissement public de réalisation de défaisance, établi en application de l’article 4 du décret n° 96-125 du 20 février 1996.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances et est disponible au bureau de la distribution.

11

Débat sur l’état des négociations internationales climatiques

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission de l’économie, le débat d’initiative sénatoriale sur l’état des négociations internationales climatiques et les conclusions de la conférence de Durban.

La parole est à Mme la présidente du groupe de travail « Négociations internationales – Climat et environnement ».

Mme Laurence Rossignol, présidente du groupe de travail « Négociations internationales – Climat et environnement ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le président du Sénat d’avoir pris l’initiative de ce débat sénatorial et le président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire d’avoir permis la création du groupe de travail « Négociations internationales – Climat et environnement », que j’ai l’honneur de présider.

Si je remercie ainsi MM. Jean-Pierre Bel et Daniel Raoul dans mon propos liminaire, ce n’est pas seulement par courtoisie. C’est aussi parce que, dans cette période de crise économique et sociale profonde qui frappe durement les populations, bouleverse la donne internationale et met à nu un système fondé sur l’absence de régulation financière, il est devenu plus difficile de « parler climat ». Ce n’est plus dans l’air du temps : d’autres sujets d’inquiétude jugés plus importants et plus urgents devraient désormais occuper le devant de la scène. Il n’est pas anodin d’ailleurs qu’en même temps que la conférence de Durban se soit tenu un énième sommet sur l’euro à Bruxelles et que pas un chef d’État européen n’ait préféré faire le déplacement en Afrique du Sud, ne serait-ce que pour marquer son engagement et celui de son pays. On était bien loin, à Durban, de la surmédiatisation de la conférence de Copenhague !

L’heure est donc plutôt à la frilosité – si j’ose dire – en matière de lutte contre le changement climatique. Le marasme actuel est tel que les États sont peu enclins à ajouter des contraintes supplémentaires à nos économies, très dépendantes des énergies fossiles. Pourtant, comment ne pas voir qu’il est temps d’opter pour un autre raisonnement et de passer d’une action contrainte – la réduction des émissions de gaz à effet de serre en suivant des objectifs chiffrés – à une logique d’opportunité ? Seul un changement profond nous permettra en effet de parvenir à un nouveau modèle de développement qui crée des emplois et des richesses tout en préservant les ressources naturelles et en limitant l’impact environnemental des activités humaines.

Malheureusement, force est de constater que ce changement de paradigme n’était pas encore en toile de fond de cette conférence de Durban où Jean-Claude Lenoir, Marie-Hélène Des Esgaulx et moi-même avons eu le plaisir de vous accompagner, madame la ministre, ce dont nous vous remercions. La transition vers une économie plus verte n’était pas à l’ordre du jour. Espérons que « Rio+20 », la conférence consacrée à la croissance verte qui se tiendra au mois de juin prochain, soit plus innovante et atteigne, elle, ses objectifs !

Je m’arrêterai un instant sur les leçons que nous pouvons tirer de la conférence de Durban.

Ce sommet doit-il nous laisser un goût amer et un sentiment d’inquiétude pour l’avenir ou pouvons-nous nous enthousiasmer de ses résultats ? Les opinions divergent et le spectre des commentaires est large. Pour certains, le bilan est catastrophique ; pour d’autres, Durban a tout de même sauvé Kyoto et relancé la perspective d’un accord global.

Vous le savez, mes chers collègues, la conférence de Durban se réunissait à un moment particulier : d’une part, elle avait lieu, je l’ai dit, dans un contexte de crise ; d’autre part, elle s’inscrivait dans le cadre d’une dynamique essoufflée, après la grande et rude déception que fut la conférence de Copenhague, et cela malgré la conférence de Cancún, dont la principale réussite a été de sauver le processus multilatéral en matière de négociations climatiques.

La conférence de Copenhague avait en effet échoué à redéfinir un cadre juridique pour succéder au protocole de Kyoto et consacré le repli d’acteurs comme les États-Unis, bloqués tant par leur refus viscéral de se soumettre à un organe international que par les échéances électorales internes.

Dans ce contexte délicat, que pouvait-on vraiment attendre de la conférence de Durban ?

Soyons réalistes : sur beaucoup de points importants, l’issue souhaitée n’a pas été trouvée et nombre de débats se sont enlisés. Le consensus a d’ailleurs failli ne pas se faire, comme la nécessité de prolonger de deux jours la conférence – pendant lesquels mes collègues parlementaires et moi-même n’avons, hélas ! pu rester – l’a montré.

Tous les espoirs sont-ils déçus ? Oui, sans aucun doute ! Les engagements de réduction d’émission de gaz à effet de serre qui ont été pris sont insuffisants. L’accord de Durban entérine la décision de ne rien faire avant 2020, alors même que la situation est très inquiétante : les émissions de CO2 ont atteint un record en 2010, aggravant de ce fait le péril climatique.

D’après les estimations de l’AIE, l’Agence internationale de l’énergie, les rejets de gaz carbonique se sont élevés à 30,6 gigatonnes en 2010, en hausse de 5 % par rapport à 2008. Or les émissions de CO2 du secteur de l’énergie ne doivent pas dépasser 32 gigatonnes en 2020 pour respecter la limite des 2 degrés d’augmentation du climat. Selon toute vraisemblance, le scénario adopté à Durban pourrait se traduire par un réchauffement climatique de 4 degrés d’ici à la fin du siècle. Les rapports du GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, soulignent pourtant tous qu’un réchauffement contenu entre 2 degrés et 3 degrés constitue le seuil au-delà duquel la survie de nombreuses activités humaines n’est plus garantie…

La déception porte aussi sur le futur régime juridique de l’accord global qui succédera au protocole de Kyoto : la formulation trouvée laisse la porte ouverte à toutes les solutions et laisse craindre que la plus minimale, à savoir celle d’un « acte juridique » non contraignant, soit retenue.

La déception porte en outre sur la prolongation du protocole de Kyoto jusqu’à 2020 : ni la Russie, ni le Japon, ni le Canada, ni les États-Unis ne feront partie de l’accord, ce qui laisse les pays de l’Union européenne et la Norvège bien seules pour s’engager dans cette seconde partie du protocole.

On peine à voir là une avancée dans la mesure où l’Union européenne ne représente plus aujourd’hui que 11 % des émissions mondiales et que, de toute façon, les vingt-sept États membres sont déjà soumis au paquet énergie-climat, qui fixe ses propres objectifs.

La déception porte enfin sur le contenu du fonds vert, dont la création avait été esquissée au sommet de Cancún. Si ce fonds, destiné à aider les pays les moins avancés à adapter leur développement aux enjeux du changement climatique, a vu sa création officialisée à Durban, la question de son financement est restée en suspens. Les quelques contributions financières annoncées peuvent laisser espérer un fonctionnement sur deux ou trois ans, mais les 100 milliards de dollars par an nécessaires pour assurer son efficacité n’ont pas été trouvés. À quoi peut servir un fonds sans fonds ?...

Puisque la France semble s’être récemment convertie à l’idée d’une taxation des transactions financières, ne pourrait-il être envisagé, madame la ministre, que la taxe sur les mouvements de capitaux servent, du moins en partie, à abonder le fonds vert ? Les recettes d’une telle taxe sont évaluées à 200 milliards d’euros par an pour l’Union européenne. Peut-être pourrait-on convaincre ainsi nos partenaires européens, pour le moment réticents – comme vous l’étiez d’ailleurs vous-même encore voilà quelques semaines –, de l’intérêt d’une taxe de cette nature.

Ces écueils étaient prévisibles, mais la conférence de Durban a aussi comporté des évolutions positives, que je ne veux pas passer sous silence.

Le repositionnement de l’Europe en acteur central et incontournable des négociations climatiques a été flagrant et a effacé l’échec de Copenhague, où le Président français, en essayant d’imposer unilatéralement une position, avait finalement contribué à affaiblir la voix de l’Europe. On a en quelque sorte retrouvé l’Union européenne de Kyoto, une Union qui a su se faire entendre, en ralliant les petits États insulaires et les pays les moins avancés, et en se montrant plus porteuse de solutions d’avenir.

On peut également saluer les avancées de la Chine, qui a considérablement évolué sur la question du climat, faisant montre d’une prise de conscience de ses propres intérêts économiques, de son développement et de l’urgence de la situation.

Finalement, il ressort de tout cela que la « machine multilatérale » des négociations climatiques n’est pas cassée. Elle tourne toujours et elle avance, mais pas assez vite !

Il nous faut rester prudents et faire attention à ne tomber ni dans le scepticisme – à cet égard, on peut s’inquiéter du soutien que le Président de la République vient de recevoir d’un des « climato-sceptiques » les plus offensifs de notre pays… – ni dans le pessimisme, car, selon ces mots si justes de Goethe qui trouvent sur ce sujet une résonance toute particulière, « le pessimiste se condamne à être spectateur ».

C’est bien pourquoi nous devons rester optimistes et volontaires : les défis sont grands, mais les moyens d’action peuvent être à la hauteur, et c’est sur ce point que je conclurai, mes chers collègues.

Quelles « clés » avons-nous en effet à notre disposition pour agir ? À mon sens, le succès et la solidité des négociations internationales sont proportionnels au degré d’implication des parlements nationaux. La capacité des États à s’engager dans les discussions multilatérales dépend, in fine, de leur niveau démocratique et de leur façon de rendre compte à leurs opinions publiques respectives, donc de contribuer à leur mobilisation.

En tant que parlementaires, il nous revient de jouer le rôle de courroie de transmission afin que les négociations internationales ne soient pas seulement des rencontres intergouvernementales déconnectées de citoyens que l’on condamne ainsi à la résignation.

Je crois même que nous avons, au Sénat, une responsabilité particulière, car ce sont les collectivités territoriales, dont nous sommes les représentants, qui, en France, sont à la pointe de l’action en matière de lutte contre le changement climatique.

Les collectivités territoriales – qui étaient d’ailleurs bien représentées à Durban, comme nos collègues Ronan Dantec et Maurice Vincent pourront en témoigner dans leurs interventions – sont l’action. En marge des négociations, elles sont le lieu de mise en commun des expériences les plus avancées et elles ont un rôle clé dans ma mise en œuvre des stratégies d’adaptation et de lutte contre le changement climatique.

À cet égard, elles n’ont pas attendu pour mettre en place des plans d’action locaux, comme les plans climat-énergie territoriaux, ou encore des actions de sensibilisation et d’accompagnement. Ce foisonnement d’initiatives locales permet finalement d’entrevoir les contours de ce que serait un nouveau modèle de développement global. Les collectivités territoriales portent les projets concrets et ambitieux qui permettent de donner corps à l’action pour le climat. Notre implication, à nous sénateurs qui avons la charge de porter leurs intérêts, doit devenir un facteur de poids dans la conduite des négociations internationales, qui doivent laisser une plus grande place à des parlements forts, faisant le lien avec les populations.

Autrement dit, ces négociations représentent un enjeu démocratique que nous devons relever ensemble. C’est ainsi seulement que nous serons en mesure de ne pas rester de simples spectateurs. Le Sénat est disponible pour accompagner la mobilisation de la France et de l’Europe dans la lutte contre le dérèglement climatique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, membre du groupe de travail.

M. Ronan Dantec, membre du groupe de travail « Négociations internationales – Climat et environnement ». Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente du groupe de travail, mes chers collègues, à la conférence de Durban de décembre 2011, les grands émetteurs de CO2 de la planète ne se sont pas entendus pour réduire les émissions rapides à des niveaux conformes à la demande des scientifiques.

Ce n’est pas une surprise : deux ans après l’échec de Copenhague, le renforcement des engagements des États n’était pas sur la table de négociation de Durban.

C’est évidemment préjudiciable. Nous accumulons un retard qui rend bien plus difficile à atteindre l’objectif final d’une stabilisation du réchauffement aux alentours de plus 2 degrés, situation dont nous savons que des millions de personnes souffriront concrètement, mais aucun observateur sérieux ne pouvait s’attendre à un résultat aussi ambitieux lors de cette conférence.

Je suis donc convaincu qu’il ne sert à rien de ressasser cette déception, aussi profonde soit-elle, sinon à conforter la démobilisation des acteurs de terrain et des opinions publiques, dont le scepticisme se nourrit tant déjà des images déprimantes de négociations interminables menées par des délégués épuisés par l’accumulation des nuits blanches – Mme la ministre sait de quoi je parle…

Nous n’avons pas de plan B : la négociation multilatérale est la seule voie possible, même si elle est encore aujourd’hui obstruée par la superposition des intérêts et égoïsmes nationaux. Aussi importe-t-il peu de qualifier la conférence de Durban d’échec ou d’avancée significative. Il s’agit maintenant de s’investir résolument dans le contexte et le calendrier décidés en Afrique du Sud.

Il est vrai que nous n’avons pas sauvé la planète à Durban, mais nous disposons maintenant d’un cadre plutôt clair, d’un calendrier, d’un chemin « acté » pour rechercher un accord associant tous les grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, ce qui n’allait pas de soi il y a encore quelques mois !

Des lignes ont bougé à Durban. Incapable de se faire respecter deux ans plus tôt, l’Europe a retrouvé un certain leadership. À ceux qui la croyaient hors jeu pour cause d’endettement de ses États membres, elle a répondu en abandonnant l’attitude de bon élève toujours prêt à en faire plus qui avait été la sienne à Copenhague, où elle avait proposé de s’engager à réduire ses émissions de 30 % d’ici à 2020 en échange d’un accord mondial. Cette fois, elle a montré les dents et menacé de saborder elle-même le protocole de Kyoto, qu’elle avait pourtant porté à bout de bras jusque-là.

Cette attitude a payé : rejointe par les petits États insulaires et les pays les moins avancés, elle a rallié à ses propositions près des trois cinquièmes des États présents, effaçant le souvenir de Copenhague, où les pays du Sud, regroupés dans le G77 et menés par la Chine, avaient fait bloc.

Interpellée par cette nouvelle coalition, la Chine a semblé hésiter à Durban. Si elle a finalement dit « oui » – non sans quelques ambiguïtés d’ailleurs –, c’est probablement pour éviter de se couper de ses amis du Sud, mais aussi sans doute par crainte, tout simplement, pourrait-on dire, du changement climatique. La Chine, en effet, est particulièrement fragile à cet égard, car très exposée aux conséquences du dérèglement du climat. Or son niveau d’émissions ne lui permet plus guère d’exciper d’une « responsabilité commune mais différenciée » qui remonterait aux premiers temps de la révolution industrielle et des canonnières à charbon sur le Yang-Tsé-Kiang.

M. Ronan Dantec, membre du groupe de travail. Elle doit agir, elle le sait, et, de ce point de vue, la construction de son propre marché carbone intérieur est une nouvelle importante, même si l’efficacité de celui-ci restera, évidemment, à vérifier.

La Chine a donc décidé à Durban de se rallier aux demandes européennes, à un horizon 2015, échéance que l’on peut juger lointaine et incompatible avec les études du GIEC, mais qui représente quand même une perspective tangible et un acquis de la conférence.

Certes, l’Inde n’a pas facilité la négociation, les États-Unis restent fidèles à eux-mêmes et je n’oublie évidemment pas que le Canada a annoncé son retrait du protocole de Kyoto, mais cette nouvelle donne internationale et les nouvelles coalitions qui se dessinent rouvrent le jeu pour un accord « légal » en 2015.

La seule question qui nous intéresse aujourd’hui est donc bien de savoir comment réussir la négociation qui sera lancée dans les mois qui viennent.

L’erreur commise à Copenhague a été de penser que l’accord climatique, qui sous-tend de fait les modèles économiques et sociaux du XXIe siècle sur toute la planète, pouvait être dégagé des autres régulations, en particulier financières, dont le monde a besoin. Faute d’une vision claire sur ce que peut être ce point d’équilibre entre anciens et nouveaux pays développés, la négociation climat a été ballotée ces dernières années au gré des intérêts nationaux. Ces derniers ne disparaîtront jamais totalement, mais une vision mieux partagée est nécessaire à la réussite de cette négociation.

Lier les différentes régulations est la clé, le premier enjeu. Nous devons réfléchir collectivement à la manière d’y parvenir, dépasser les a priori, poser de nouveaux paradigmes autour du rééquilibrage économique inéluctable entre anciens et nouveaux pays développés, sortir de ce monde de spéculation financière et de compétition exacerbée qui s’est montré incapable de générer ses propres régulations.

Le défi intellectuel est considérable, puisqu’il nécessite d’amener les experts du climat et de l’Organisation mondiale du commerce, les organisations non gouvernementales et les financiers à se confronter. Quatre années représentent finalement un temps court au regard d’une telle ambition, et la conférence « Rio+20 » de juin prochain peut constituer un rendez-vous propice à l’engagement de cette démarche.

Le deuxième enjeu de la nouvelle phase de négociations est sans aucun doute de développer sans tarder le fonds vert, la principale promesse faite par les pays développés à Copenhague étant de le porter à 100 milliards de dollars en 2020.

La conférence de Durban a accouché laborieusement d’un mécanisme de gouvernance de ce fonds. Il est prioritaire pour l’Union européenne, quelle que soit sa situation financière actuelle, d’abonder celui-ci. C’est une condition nécessaire pour restaurer la confiance et parvenir au sauvetage de la planète.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Ronan Dantec, membre du groupe de travail. Une possibilité concrète, évoquée par Laurence Rossignol, reste d’ailleurs sur la table de la négociation climatique : l’abondement du fonds vert par une taxation des transactions financières, sujet à propos duquel j’ai déjà eu l’occasion d’interpeller dans cet hémicycle M. Leonetti, ministre chargé des affaires européennes, lors du débat qui a précédé la conférence de Durban.

Madame la ministre, puisqu’une taxation des transactions financières fait toujours partie du calendrier du Gouvernement, j’espère que vous aurez l’occasion d’ouvrir le débat sur le lien entre ces deux enjeux.

Face aux différentes crises que nous affrontons aujourd’hui, ce lien est au cœur de la solution : une fois débarrassée des lobbyistes de la City de Londres, l’Europe pourra peut-être devenir une terre d’expérimentation et montrer la voie.

Il y a d’autres raisons d’espérer. La négociation internationale est un enjeu majeur, mais elle n’est pas le seul moteur de l’action contre le changement climatique : il est essentiel de renforcer aussi les dynamiques concrètes dans les quatre années qui viennent.

Les filières des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique se mettent en place et la sortie annoncée du nucléaire dans de nombreux pays va doper leur développement. Ce gisement d’emplois doit être soutenu, car c’est pour l’Europe l’une des principales opportunités de création massive d’emplois et de sortie de crise.

La conférence « Rio+20 » aura aussi pour thème l’économie verte, à laquelle nous devons porter une grande attention.

À cet égard, je ne peux que regretter que la baisse non concertée, massive et brutale du tarif d’achat de l’électricité ait totalement désorganisé la filière photovoltaïque en France. Il y a là une contradiction en même temps qu’un bien mauvais signal, madame la ministre !

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Ronan Dantec, membre du groupe de travail. Les collectivités locales, notamment les communes et les régions, font aussi de plus en plus entendre leur voix dans ces négociations et développent concrètement de nombreuses actions, montrant ainsi leur capacité à réduire rapidement les émissions de C02 sur leurs territoires.

Les accompagner, notamment en trouvant les financements nécessaires à leur action, est une autre priorité.

Permettez-moi ici de prendre ma casquette de porte-parole de l’organisation mondiale des villes de Cités et gouvernements locaux dans la négociation internationale sur le climat depuis de nombreuses années pour rappeler la publication, juste avant la conférence de Durban, de méthodologies qui vont permettre aux villes du Sud d’avoir accès aux financements du MDP, le mécanisme de développement propre.

C’est une grande avancée, en attendant que le fonds vert leur apporte à son tour son soutien. Elle résulte du suivi dans la durée, par les réseaux de collectivités locales, de cette négociation. Je profite d’ailleurs de l’occasion qui m’est ainsi donnée pour me féliciter du soutien constant que la France a apporté à cette démarche de reconnaissance du rôle des autorités locales.

Il serait d’ailleurs légitime qu’en Europe, comme le demandent les réseaux de collectivités territoriales, la nouvelle recette que constituera pour les États la mise aux enchères des permis d’émission des entreprises – la somme de 200 milliards d’euros qui est avancée me semble surévaluée, mais on peut tabler au moins sur 50 milliards d’euros à l’horizon 2020 – soit affectée prioritairement à l’action locale. De nombreuses propositions, concrètes et techniques, émanent du réseau des autorités locales, et nous aurons l’occasion d’ouvrir le débat à leur sujet.

Confortées par les instruments à leur disposition, les autorités locales ont les moyens de faciliter et d’accélérer les négociations en faisant la preuve que, à l’échelle de leurs territoires, elles peuvent réduire rapidement et significativement leurs émissions.

Madame la ministre, mes chers collègues, je terminerai en soulignant la nécessité d’un accord global mariant les régulations mondiales environnementales et économiques, des financements forts pour les pays en développement, premières victimes du changement climatique, et un renforcement de ces dynamiques concrètes de terrain. C’est autour de ce triptyque que s’organisera un véritable accord en 2015.

Il faut s’engager résolument dans cette voie et refuser qu’un « climato-pessimisme » ne prenne la place du « climato-scepticisme » que nous avions enfin réussi, en Europe et notamment en France, à renvoyer à l’obscurantisme scientiste dont il relève.

Certes, on peut trouver ce propos d’un optimisme béat, mais avons-nous le choix ? Il faut montrer à tous ceux – et ils sont nombreux – qui agissent au quotidien pour réduire l’impact d’une catastrophe annoncée que leur engagement n’est pas vain. Toute tonne de CO2 évitée est bonne à prendre,…