M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 92 :

Nombre de votants 207
Nombre de suffrages exprimés 206
Majorité absolue des suffrages exprimés 104
Pour l’adoption 86
Contre 120

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, l'article 1er est adopté.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

L’article 48-2 de la même loi est ainsi modifié :

1° Après le mot : « déportés », sont insérés les mots : « , ou de toute autre victime de crimes de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de crimes ou délits de collaboration avec l’ennemi » ;

2° À la fin, les mots : « l’infraction prévue par l’article 24 bis » sont remplacés par les mots : « les infractions prévues aux articles 24 bis et 24 ter ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 5 rectifié est présenté par M. Mézard et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen.

L'amendement n° 8 est présenté par Mme N. Goulet.

Tous deux sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

Ces deux amendements sont retirés et l'article 2 est adopté.

Vote sur l'ensemble

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Christian Poncelet, pour explication de vote.

M. Christian Poncelet. « Tout est dit », aurait dit La Bruyère, et l’a été excellemment, mais je souhaite cependant, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenir à ce moment du débat.

Tout le monde connaît mon opposition à l’intervention du Parlement sur la question du génocide arménien. En 2006, je m’étais ainsi opposé à l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée d’une proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale.

Plus récemment, en mai 2011, le Sénat avait, fort justement, adopté l’exception d’irrecevabilité sur une proposition de loi allant déjà en ce sens.

Depuis, cette initiative a été relancée sous couvert de la transposition d’une décision-cadre adoptée par le Conseil européen.

Il suffira donc qu’un crime contre l’humanité ait été reconnu par le législateur pour que sa négation soit ipso facto susceptible de sanction pénale.

Je dois vous dire mon profond malaise à l’égard d’une proposition de loi dont je crains qu’elle ne soit guidée par une logique de court terme et qu’elle ne se révèle gravement préjudiciable à la position de la France.

La politique de mon pays ne se fait pas au prétoire, non plus que devant les tribunaux correctionnels.

Il est par ailleurs souhaitable, comme le recommandait le général de Gaulle, de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays, attitude dont on connaît les conséquences.

L’association de la délicate question de la mémoire et de la souffrance à une démarche législative, qui plus est de nature pénale, est peut-être l’ingrédient le plus dangereux, voire le plus fatal, car elle aboutit à piéger tout le monde, comme certaines interventions ont pu nous en donner l’illustration.

En sollicitant l’homme politique, nous risquons de le grever d’une charge qui ne lui échoit point, celle de se prononcer sur des questions historiques. L’histoire, ce sont avant tout les historiens qui la font, mais ils peuvent aussi la défaire, toute conclusion historique étant relative.

Il ne s’agit pas de contester des faits, ni la douleur des familles et des descendants arméniens, mais je regrette que l’on attribue au législateur une mission qui n’est pas la sienne. Le Parlement n’est pas l’enceinte destinée à valider des conclusions historiques et, corrélativement, à sanctionner tous ceux qui les contesteraient.

Nous ne sommes pas l’instance appropriée. Le Parlement est incompétent pour connaître de cette question. À l’heure où l’on appelle les hommes politiques à l’humilité, à l’heure où l’on fustige leur interventionnisme constant et ambigu, à l’heure où l’on critique l’arrogance des dirigeants, le refus d’adopter cette proposition doit justement être une marque d’humilité de notre part.

Nous conduire sur un terrain où nous ne pourrions qu’être fragiles est un danger. Ayons le courage de ne pas nous y aventurer, car, si nous le faisions, ce serait sous peine de brouiller les rôles ! Je ne crois pas que la société attende cela de nous.

Notre tâche est déjà difficile. N’alourdissons pas les missions, humbles mais néanmoins si importantes et délicates à assurer, du législateur, surtout en l’engageant dans un domaine qui est celui de l’émotion et de la passion.

Mme Natacha Bouchart. Il n’y a pas que ça !

M. Christian Poncelet. Cette proposition de loi est une grave faute politique. Elle est d’autant plus malvenue qu’elle ruine nos convergences diplomatiques avec la Turquie, qui, au Proche-Orient, est devenue un pays stratégique.

La Turquie a su attirer l’attention des masses arabes tout en ayant de bons liens avec les Européens, les Américains et même – et j’y suis sensible – les Israéliens.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Christian Poncelet. C’est également un pays charnière qui fait la jonction entre plusieurs cultures et différents États.

Enfin, son régime politique est le moins controversé de tous dans cette partie du monde. Dans cette région, la Turquie est bien plus crédible que d’autres ! Pour ces raisons, c’est un partenaire utile – un partenaire, j’y insiste –, notamment dans la résolution des crises que connaissent déjà certains pays et que d’autres vont, à l’évidence, connaître prochainement.

Cette proposition de loi sonnerait en quelque sorte comme une provocation.

M. Philippe Kaltenbach. Non, c’est la vérité !

M. Christian Poncelet. Elle entraînerait un grave préjudice pour nos exportateurs, alors que la Turquie a tout fait pour faciliter les exportations de nos entreprises. N’oublions pas que c’est un marché important dans lequel nos producteurs peuvent trouver des débouchés.

C’est aux Turcs eux-mêmes – j’y insiste – qu’il appartient de tirer les conclusions de leur propre histoire.

Mme Natacha Bouchart. Il y a des morts derrière cette histoire !

M. Christian Poncelet. Ne nous substituons pas à un peuple, dont on oublie aussi la sagesse et la finesse.

Cette initiative me met d’autant plus mal à l’aise que la Turquie a fait des efforts.

M. Christian Poncelet. Laissons les petits pas que, grâce à la diplomatie parlementaire, nous avons pu faire se poursuivre et évitons les enjambées machinales !

Pour toutes ces raisons, je voterai contre l’adoption de cette proposition de loi qui n’a pas sa place dans le débat parlementaire. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue, pour explication de vote.

M. Robert Hue. Avant de voter, je souhaite expliquer mon choix de façon publique, dans la plus totale clarté et dans le respect de la diversité des positions qui se sont exprimées au sein de mon groupe.

En toute cohérence avec mes précédents votes sur les lois mémorielles sur lesquelles j’ai été amené à me prononcer, je voterai contre cette proposition de loi.

Ce choix, je le fais d’autant plus facilement qu’en janvier 2001 j’ai voté, alors comme député, la reconnaissance du génocide arménien, des souffrances et des drames subis par ce peuple. Il n’y a aucune ambiguïté en la matière.

Aujourd’hui, la question est, pour moi, tout autre : il s’agit de savoir si le législateur peut ou doit écrire l’histoire. J’estime que non.

Le sujet n’est pas de définir la mission de l’historien, dont je dirai toutefois un mot.

Au-delà de l’aspect moral, évoqué à de nombreuses reprises, je veux dire simplement que, s’il adoptait ce texte, le législateur outrepasserait les pouvoirs qui lui ont été conférés par la Constitution.

Je suis, mes chers collègues, sincèrement et intimement convaincu que cette proposition de loi contrevient à la séparation des pouvoirs. C’est en effet au juge qu’il revient de qualifier pénalement les faits.

Il n’entre pas dans les missions du législateur de prendre part au travail des historiens, seuls habilités à faire des recherches historiques, non plus qu’au travail des juges.

Si ce texte est adopté et que le Conseil constitutionnel est saisi – mais pourra-t-il l’être ? –, il y a de fortes chances pour que ce dernier le déclare inconstitutionnel.

Mais, dans le même temps, le Conseil constitutionnel pourrait tout aussi bien remettre en cause la loi de 2001 reconnaissant le génocide arménien. Or ce n’est pas ce que la grande majorité des parlementaires, toutes sensibilités confondues, souhaitent.

Par ailleurs, personne ne doit oublier le contexte dans lequel nous sommes. Je le dis sans esprit polémique : il est pour le moins étrange que la droite relance un tel débat à quelques semaines de l’élection présidentielle, quelques mois après avoir rejeté un texte équivalent ici-même.

Il s’agit tout simplement d’une proposition de loi d’opportunité, pour ne pas dire d’opportunisme !

Sur des questions aussi sensibles, les arguments d’autorité ne sont pas acceptables. C’est au regard des droits de l’homme, portés si haut par notre pays à travers le monde, que l’on peut dire que cette proposition de loi contrevient à la liberté d’expression et à la liberté de la recherche.

Commémorer les barbaries, quelles qu’elles soient, poursuivre et renforcer le devoir de mémoire est une chose. Légiférer, ainsi que c’est notre rôle, en est une autre.

Par conséquent, de même que j’ai voté en toute responsabilité et conscience le 29 janvier 2001 la reconnaissance publique par la France du génocide arménien de 1915, de même, aujourd'hui, parce que je ne confonds pas l'histoire et la mémoire, je voterai contre un texte qui nous conduit à une violation des principes de la Constitution de notre République et fait courir les pires risques aux lois qui ont été votées antérieurement. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, Monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de ce débat, on ne peut que regretter que ce texte, que je ne voterai pas, ait été déposé dans un contexte forcément très polémique, au début d’une campagne présidentielle et sous la pression constante des deux parties. Les porte-parole des descendants des victimes arméniennes veulent croire que les opposants à cette proposition de loi manquent de respect à l’égard des victimes des massacres de 1915.

Or personne, que ce soit dans cet hémicycle ou ailleurs, n’oserait aujourd’hui nier les événements qui ont conduit à la mort tant d’Arméniens voilà un siècle. L’injustice et l’élimination dont ce peuple fut victime ne sauraient être effacées, tout comme ne sauraient d’ailleurs être oubliées les souffrances infligées à tant d’autres minorités dans l’Empire ottoman et plus près de nous : Juifs, Grecs, Kurdes. On peut espérer que la Turquie moderne, qui conforte chaque jour son implication dans le concert international, assume enfin les fautes du passé et trouve tout particulièrement avec l’Arménie les voies d’une réparation et d’un voisinage serein.

Je ne doute pas que la question de la constitutionnalité de ce texte sera tôt ou tard tranchée par le juge constitutionnel. Cependant, il nous faut dénoncer dès aujourd'hui l’opportunisme et la manipulation politique opérée par le Président de la République qui, avec ce texte, espère faire coup double à quelques mois de l’élection présidentielle. D’une part, il croit s’acquérir ainsi les voix des Arméniens de France ; je veux croire que ceux-ci sont maîtres de leur vote et se détermineront en fonction de leurs convictions. D’autre part, il trouve de nouveau arguments pour faire barrage à la candidature de la Turquie à l’Union européenne, dont il a fait depuis longtemps son cheval de bataille, sur fond d’hostilité déclarée au monde musulman. Qui plus est, il tente de maquiller le but de cette proposition de loi en prétendant qu’elle ne vise pas un peuple ou un État en particulier. Or nous savons bien qu'il s'agit du génocide arménien et de la Turquie.

Mes chers collègues, ne laissons pas Nicolas Sarkozy instrumentaliser ainsi le Parlement ! (Protestations sur plusieurs travées de lUMP.) Posons-nous au contraire sincèrement, et en toute liberté de pensée, comme nous y oblige notre mandat, les questions suivantes.

Ce texte sert-il les intérêts de l’Arménie ? Assurément pas, car il intervient comme un jugement venu de l’extérieur. Aucun peuple ne peut souhaiter se voir dicter son histoire.

Ces dernières années, quelques progrès ont été enregistrés dans le dialogue entre la Turquie et l’Arménie. L’ingérence brutale du législateur français peut mettre à mal cette démarche, voire la condamner durablement. Les réactions violentes du gouvernement turc ne peuvent que susciter notre inquiétude sur l’avenir du dialogue entre les deux pays. Nous devons plutôt prendre en compte l’évolution de l’opinion publique turque sur ce sujet et le rôle positif de certaines élites intellectuelles et des modernistes de progrès qui travaillent justement à une réconciliation.

Cette proposition de loi ne peut qu’affermir la voix des fractions les plus dures et du nationalisme le plus réactionnaire en Turquie. Craignons pour nous l’effet boomerang que nous avons déjà subi par la mise en cause de nos actions en Algérie.

Ce texte sert-il les intérêts de la France ? Assurément pas, car il compromet gravement les chances d’une diplomatie française vigilante et constructive, en partenariat respectueux avec la Turquie. En outre, il ne conditionne en rien nos relations avec l’Arménie. Le Parlement français doit rester à sa juste place : ni juge ni historien, il peut contribuer efficacement à la compréhension et à l’amitié entre les peuples turc et français, ce à quoi s’attache notre groupe d’amitié. En revanche, il ne doit pas interférer avec l’action diplomatique.

Comme je l’ai souligné lors de l’examen de l’article 1er, la politique étrangère ne se définit pas au Parlement : cette responsabilité relève du Gouvernement. En revanche, il nous revient de contrôler cette politique. En l’espèce, je considère que Nicolas Sarkozy fait porter au Parlement une responsabilité qui n’est pas la sienne et que, sur le fond, il sacrifie les chances d’un dialogue avec la Turquie. Pouvons-nous prêter la main à une opération politicienne et renoncer à un dialogue équitable avec la Turquie, ce grand pays qui joue un rôle croissant dans cette région du monde ? Je pense qu’il s’agit d’une erreur grave de politique étrangère et je ne souhaite pas que la Haute Assemblée s’y associe.

Cela a été rappelé, notamment par notre collègue Gaëtan Gorce, la cohésion nationale doit être l’une de nos préoccupations. Notre pays compte nombre de citoyens ou de résidents d’origine arménienne ou turque. Ce serait une faute de réveiller entre eux une hostilité que le vivre ensemble a forcément estompée.

Enfin, je veux souligner que, en s’opposant à l’adoption de ce texte, la commission des lois et son rapporteur défendent non pas la force du droit pour lui-même mais le respect de notre Constitution comme indispensable vigile de nos principes fondamentaux et rempart contre tous les arbitraires.

Pour toutes ces raisons, je voterai contre cette proposition de loi. Certes, je suis consciente que ce n'est pas la position de la majorité de mon groupe, mais c'est aussi l'honneur des parlementaires de pouvoir quelquefois assumer leurs convictions, quitte à être minoritaires. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe a suffisamment eu l’occasion d’exposer sa position en utilisant les moyens procéduraux à sa disposition, je me contenterai donc de rappeler que nous voterons contre ce texte.

Il est assez rare que l'on devine dans cette assemblée les divisions souterraines qui nous agitent et qui, d’ordinaire, ne s'expriment pas. Elles sont souvent inversement proportionnelles aux positions qui sont affichées en public.

Lors de nos réunions, nous nous exprimons librement. Ainsi, les membres du groupe d'amitié France-Turquie se sont tous élevés contre ce texte. De la même façon, au cours des travaux de la commission des lois, la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité a été adoptée par 23 voix contre 9. Pourtant, et notre collègue M. Jean-Claude Peyronnet a bien insisté sur ce point, je ne sais par quel miracle ou synthèse mystérieuse, dans l'hémicycle, la majorité s’est renversée et la motion n'a pas été votée.

M. Jean-Louis Carrère. Deus ex machina !

M. Nicolas Alfonsi. Dans cette affaire, la division est partout, notamment au niveau de l'exécutif. Où est le garde des sceaux, alors qu’il s’agit d’un texte pénal ? Certes, on a entendu la position du ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, et, hier soir, sur France 3, Bruno Le Maire s'est déclaré opposé aux lois mémorielles. En un mot, on sent confusément que tout le monde est contre cette proposition. Par quel mystère, aujourd'hui, tout le monde est-il pour ?

J'ai pour habitude de considérer qu’il est toujours suspect que les groupes les plus importants de la majorité et de l'opposition soient d'accord et ma nature profonde m'incite alors souvent à voter de façon opposée. Les Radicaux, pour leur part, s’appuient toujours sur des valeurs essentielles, notamment le principe de la séparation des pouvoirs.

Ce texte est ambigu. Qui plus est, il est inutile, parce que d'autres lois existent qui peuvent permettre de condamner pénalement ceux qui contestent la réalité historique et incitent à la haine. Par ailleurs, il est terriblement dangereux. Comme l’a dit Gaëtan Gorce dont je salue les propos, la mémoire doit rassembler et non diviser ou porter atteinte à la cohésion sociale.

Enfin, ce texte est inopportun car il compromet nos relations avec la Turquie. C’est un grand pays, dont la puissance intrinsèque et régionale lui permettra d’étendre son influence dans le bassin méditerranéen.

Je conclurai en rappelant cette règle selon laquelle, lorsque le chef d'État se rend à l'étranger, il ne se prononce jamais sur les affaires françaises. Une règle identique devrait nous inciter à ne jamais intervenir dans les problèmes de politique intérieure d’un autre pays. Imaginez-vous aujourd'hui le général de Gaulle à l’Élysée invitant sa majorité parlementaire à voter des textes de cette nature ? Poser la question, c'est y répondre ! Nous voterons donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Carrère. De Gaulle était grand !

M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains.

Mlle Sophie Joissains. Je voterai ce texte avec beaucoup d'enthousiasme. Depuis que ce débat a commencé, on parle de la Turquie comme d’un grand pays, d’une grande puissance. C'est évidemment vrai. Mais, derrière tous ces propos, je devine des relations d'argent très importantes. Or, à mes yeux, le respect et la mémoire des morts sont bien plus sacrés que l'argent. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.) De ce point de vue, je considère que nous faisons le bon choix en adoptant cette proposition de loi.

La France est la patrie des droits de l'homme. Nous devons être dignes de ce titre et le porter avec honneur.

Ce texte concerne nos ressortissants, et non pas seulement les affaires intérieures de la France. Je rappelle que notre pays compte 600 000 ressortissants d'origine arménienne, qui sont arrivés sur notre territoire dans des conditions épouvantables et y ont reconstruit leur vie. Nous avons le devoir de les protéger.

Cette loi serait liberticide ? En aucun cas. Roger Karoutchi a très bien établi la différence entre l’historien, le législateur, le juge. Je partage son analyse et pense, comme lui, que cette loi est tout à fait bienvenue. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité du groupe UMP votera ce texte. Je ne rappellerai pas l’ensemble des arguments qui ont été avancés au cours de ce débat, toutefois, j’insisterai sur ce point : il faut cesser de vouloir faire des historiens les relais du pouvoir.

Vous mettez sur les historiens une pression inadmissible en affirmant que c’est à eux, et non au législateur, de déterminer quelles décisions doivent prendre les États ! Certes, il leur revient de mener des travaux de recherche et de procéder à des analyses – eux seuls peuvent le faire –, mais le reste relève de la responsabilité des politiques, des parlements et des États.

Nicolas Alfonsi, pour qui j’ai un profond respect, a déclaré que nous n'avions pas à intervenir dans les affaires des autres pays. Mais la France, comme d'autres, est sur tous les fronts : elle s’est par exemple mêlée de ce qui se passait au Cambodge – beaucoup d’entre nous n’étaient pas parlementaires à l'époque. En réalité, ne pas le faire signifierait que nous n'avons plus du tout de pouvoir, y compris celui de dire – évidemment, avec mesure – ce qui est juste et ce qui ne l'est pas à l’étranger. Mais, je le répète, cette tâche incombe aux politiques : ce n’est pas le rôle des historiens.

J’ai bien entendu tout ce qui a été dit à propos de la Turquie ; celle qui fut l'Empire ottoman n'a de leçons à recevoir ni de nous ni de personne !

De Osman Ier jusqu’à Bayezid Ier, de Soliman le Magnifique jusqu’à Selim le Grand, tous ont été des exemples de liberté, de tolérance, d'ouverture. Oui, bien des conseillers de ces sultans étaient des chrétiens ou des juifs et il est vrai que ces communautés, qui étaient persécutées ailleurs, furent protégées par la Sublime Porte. L’histoire est là.

En 1919, les tribunaux turcs ont condamné ce qui s’était passé en 1915 en punissant de mort ceux qui en étaient les auteurs.

Il n'y a pas de remise en cause ni de la puissance turque ni du rôle de la Turquie. Aujourd'hui, les dirigeants turcs héritiers d’Atatürk n'ont pas à dire qu'ils sont responsables de ce qui s’est passé voilà cent ans.

M. Roger Karoutchi. La puissance turque a une place suffisamment importante dans le monde pour s'exprimer par elle-même et pour être respectée.

Lorsque nous disons aux 600 000 Français d’origine arménienne que nous reconnaissons ce qu’ils ont subi, nous affirmons que tous nos concitoyens - je le dis pour M. Gorce -, qu’ils soient Juifs ou Arméniens, ont, à parts égales, le droit d’être protégés. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de ce débat, je souhaiterais exprimer à la fois des craintes et des satisfactions.

Les satisfactions tiennent à la qualité de nos échanges aujourd’hui, mais également au fait que les clivages qui se sont opérés ne sont pas habituels.

Dans la plupart des groupes politiques, il y a eu à la fois des adversaires et des partisans de cette proposition de loi. Il est donc important que nous ayons pu, les uns et les autres, nous exprimer librement.

Je suis également satisfait d’avoir pu observer du respect, vis-à-vis de leurs contradicteurs, chez les tenants d’une opinion, à quelques petits dérapages près. Cette attitude s’explique d’autant mieux que personne, dans cet hémicycle, ne nie l’existence du génocide arménien.

En revanche, mes craintes sont de trois ordres.

En premier lieu, je crains que ce texte ne soit inutile - vous me rétorquerez que ce ne serait pas le premier que nous voterions ! -, dans la mesure où il existe déjà, dans notre droit pénal ou notre droit de la responsabilité civile, des dispositions permettant de sanctionner le négationnisme.

En deuxième lieu, j’ai peur que nous ne soyons sur le point d’adopter un texte inconstitutionnel. La plupart des grands juristes, qu’il s’agisse du célèbre doyen Vedel, de Robert Badinter, mais également – pardonnez-moi ce manque de modestie ! – des présidents successifs de la commission des lois du Sénat et de plusieurs de ses membres, estiment qu’il y a plusieurs motifs d’inconstitutionnalité, notamment le non-respect du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et la violation des dispositions de l’article 34 de la Constitution.

Mes chers collègues, gardons à l’esprit que la loi n’est l’expression de la volonté générale que lorsqu’elle respecte la Constitution.

Ma dernière crainte est que cette loi n’ait des connotations dangereuses, et ce pour deux raisons.

J’y vois tout d’abord un risque de contamination : des propositions de loi successives pourraient nous amener à discuter d’autres événements semblables, comme le génocide tzigane, le génocide ukrainien, le génocide au Rwanda ou le génocide tibétain. Savez-vous qu’aujourd’hui même, mes chers collègues, la police chinoise a tiré sur des manifestants tibétains, faisant de nombreux morts dans ce « pays martyr » ?

Ensuite, il est vraisemblable que cette proposition de loi fera l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, que ce soit par lettre collective de soixante députés ou soixante sénateurs ou par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité. À cet égard, je tiens à dire que cette dernière procédure, introduite dans notre droit par la révision constitutionnelle de 2008, constitue un apport considérable pour la défense des libertés.

Mais si le Conseil constitutionnel se rallie aux voix des juristes les plus éminents que j’ai évoqués, nous subirons non seulement l’annulation de la proposition de loi que nous sommes sur le point de voter, mais également la remise en cause de la loi de 2001 puisqu’elles reposent toutes les deux sur le même principe.

Nous ne ferons alors qu’ajouter une détresse supplémentaire au désarroi de nos amis arméniens.

Telles sont les raisons pour lesquelles, personnellement, je voterai contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du RDSE. – MM. Christian Poncelet et Alain Dufaut applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.

M. Jean-Noël Guérini. Des historiens et spécialistes de l’Holocauste, dont Elie Wiesel, ont fait connaître publiquement leur position à l’orée de ce siècle, pour que soit déclarée « incontestable la réalité du génocide arménien et inciter les démocraties occidentales à le reconnaître officiellement ».

En reconnaissant l’existence de ce génocide, la République française a rendu au peuple arménien la place dans l’histoire que certains ont cherché à occulter, à effacer, à détruire.

Mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui placés devant nos responsabilités et, sans céder au rituel des lois mémorielles, sans vouloir écrire l’histoire à la lumière des textes de loi, comment ne pas reconnaître que, « presque toujours, la responsabilité confère à l’homme de la grandeur. »

Aujourd’hui, nous avons un devoir de cohérence en nous donnant les moyens de sanctionner la négation du génocide.

J’entends bien les arguments de certains de mes collègues, mais la question de la constitutionnalité est-elle à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres ?

L’objectif premier du négationnisme, j’y insiste, est de falsifier l’histoire pour nier une réalité historique et effacer toute trace des génocides de la mémoire.

Personne ne peut l’accepter !

Je conclus mon propos en réaffirmant que garantir à chacun le respect auquel il a droit en tant qu’être humain est un moyen efficace pour combattre le communautarisme.

Notre inertie et notre silence seraient coupables : ne pas légiférer sur la pénalisation du négationnisme serait un sinistre retour en arrière !

Pour toutes ces raisons, je voterai cette proposition de loi. (M. Philippe Kaltenbach applaudit.)