M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. La passion que j’ai mise tout à l’heure dans mon propos a manifestement soulevé quelques réactions. Si mes paroles, par la confusion qu’elles ont pu susciter dans les esprits, ont choqué certains parmi nous, je le regrette. Mon objectif n’était pas de blesser qui que ce soit, au travers de la mémoire qu’il porte, de la souffrance qu’il ressent ou qu’il veut faire partager.

Il n’y a donc aucun doute pour moi, comme, me semble-t-il, pour l’ensemble de cette assemblée : ce dont nous parlons aujourd’hui, à savoir l’extermination des Arméniens en 1915, est bien un génocide.

J’ai simplement voulu indiquer que nous ne pouvons pas traiter les génocides les uns à l’égal des autres. Je ne dis pas qu’ils ne se valent pas ou que la souffrance ressentie n’est pas la même, mais je pense que chaque sujet doit être traité spécifiquement, dans sa singularité, avec le souci de toujours apporter à la fois une compassion et une réponse propres.

À mes yeux, la Shoah a laissé sur chaque homme une marque indélébile que nous ne saurons jamais effacer.

La liberté de vote qui nous est offerte me permet d’indiquer que je voterai contre ce texte.

Je me réjouis des débats que nous pouvons avoir et déplore les incompréhensions que, malheureusement, ils peuvent parfois susciter. Néanmoins, je pense que ce débat ne relève pas des groupes et des partis politiques. Chacun de nos concitoyens doit le vivre intimement dans son cœur, dans son esprit, et avoir sa réflexion propre. Nul ne doit pouvoir être empêché de le mener jusqu’à son terme. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en tant que législateur que, à titre personnel, je voterai contre cette proposition de loi.

En novembre 2008, alors que je venais d’être élu président du Sénat, j’ai relayé les positions prises par la mission d’information sur les questions mémorielles présidées par Bernard Accoyer, qui avait recueilli l’unanimité des sensibilités représentées à l’Assemblée nationale.

Il s’agit pour moi d’être fidèle, non pas à un engagement, mais à quelques principes qui me paraissent essentiels pour le Parlement, au regard de notre Constitution.

Ce qui m’est apparu vrai en mai 2011 au sujet de la proposition de loi présentée par Serge Lagauche, l’est tout autant en janvier. Il n’y a pas de question d’agenda politique, en ce qui me concerne.

Nous avions défini qu’il n’appartenait pas au Parlement de fixer la mémoire, car il y avait d’autres instances pour le faire, à savoir non seulement la communauté des historiens, mais également l’ensemble des juridictions internationales, construites au fil du temps et au fil des drames. Nous pensions qu’il revenait à ces autorités de porter un regard sur l’histoire, avant que nous, parlementaires, n’en tirions les conséquences.

Personnellement, souscrivant aux propos tenus par Jean-Jacques Hyest puis par Robert Badinter en mai dernier, mais également aux conclusions de la majorité de la commission des lois, c’est d’abord en législateur attentif à la Constitution que je voterai contre ce texte.

Naturellement, je ne peux imaginer que quiconque parmi nous ait envie de nier le drame absolu qu’est le génocide. Mais la question fondamentale qui se pose à nous porte sur l’attitude que nous devons avoir, en tant que parlementaires, sur ces questions mémorielles. Nous avons bien vu qu’au fil des débats ont pu se faire jour des tentations de nature à porter atteinte aux principes fondamentaux d’une République héritée d’hommes et de femmes dont cet hémicycle porte le souvenir.

Tel est le sens de mon vote négatif. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du groupe écologiste et de l’UCR, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin.

M. Jean-Claude Gaudin. En préambule, permettez-moi de faire un rappel historique.

Avant 2001, la présidente du groupe communiste du Sénat avait tenté, à plusieurs reprises, de faire reconnaître le génocide arménien. Nous avions eu de nombreuses discussions sur ce sujet.

Avec Bernard Piras, nous avions indiqué à Mme Hélène Luc – qui nous écoute en tribune à cet instant – que nous ne parviendrions à obtenir l’adhésion du Parlement que si sa proposition visant à faire reconnaître le génocide arménien était cosignée par au moins un représentant de chaque groupe de la Haute Assemblée.

À cette époque, de fortes pressions se sont exercées sur le Sénat. Jacques Chirac, alors Président de la République, était totalement contre, de même que Lionel Jospin, qui était Premier ministre.

M. Bernard Piras. Hubert Védrine aussi !

M. Jean-Claude Gaudin. Ils ne se sont pas privés de nous le faire savoir !

Le rôle de la Haute Assemblée a été d’enregistrer, d’écouter, de dialoguer respectueusement avec ces autorités politiques, mais nous avons voté en toute liberté, en 2001, afin que soit officiellement reconnu le génocide arménien.

Des voix se sont alors élevées pour dire que le vote du Sénat était suffisant. Pourtant, juridiquement, l’accord de l’Assemblée nationale était indispensable pour que le texte devienne formellement une loi. Et ce sont les centristes, monsieur Marseille, qui ont offert leur « fenêtre » d’ordre du jour réservé afin qu’à l’Assemblée nationale le texte puisse être adopté définitivement.

Bien sûr, nous nous interrogeons sur la légitimité du Parlement et sur celle des historiens – qui, eux, ne prennent jamais de décision définitive – à qualifier l’histoire.

Néanmoins, ici, sans pressions extérieures, nous avons voulu, en quelque sorte, apporter un point final à cette loi de 2001 en ajoutant une sanction pour les négationnistes du génocide perpétré en 1915.

Je veux le dire aujourd’hui, notamment à d’éminents collègues ici présents, ce ne fut pas aussi simple que cela quand les Arméniens sont arrivés en France.

À Marseille, par exemple, le maire de l’époque, par ailleurs sénateur et qui aura dirigé la ville pendant presque aussi longtemps que Gaston Defferre qui exerça ce mandat durant trente-six années, interpella le ministre de l’intérieur pour lui dire en substance : « Deux navires arrivent avec des Arméniens à bord. Ils apportent la peste et le choléra. Je ne les veux pas dans ma ville. » C’est donc en vain que vous chercherez à Marseille une rue, une place ou un monument portant le nom de ce maire, qui était pourtant un médecin, un humaniste, un homme respecté.

Oui, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce soir, c’est un moment de liberté pour chacune et chacun d’entre nous qu’il nous est donné de vivre. À l’inverse de parlementaires que j’apprécie beaucoup et pour lesquels j’ai un immense respect, je voterai ce texte ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Bernard Piras applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai dit en début de séance que j’intervenais aujourd’hui non pas en tant que représentant d’un groupe ou d’un parti politique, mais au nom d’une commission, la commission des lois. Or celle-ci a une histoire : elle a toujours défendu, dans la diversité des membres qui la composent et dans des contextes différents, la même position.

Au terme de notre débat, même si les opinions sont partagées, je dois dire que j’ai été frappé, comme beaucoup d’entre vous sans doute, par la qualité des échanges, par l’écoute et par le pluralisme qui s’est exprimé sur toutes les travées, de part et d’autre de l’hémicycle.

Ce qui nous préoccupe vraiment, c’est la loi : ce qu’elle peut dire ou non, ce qu’elle peut faire ou non, ce qu’elle doit dire ou non. Nous devons nous poser cette question : quel est notre champ de compétences ?

Nous sommes intimement persuadés qu’il y a, en l’espèce, de très lourds risques d’inconstitutionnalité. Nous disons cela tout en rappelant l’infini respect dû à la mémoire des Arméniens et de leurs martyrs. Ce n’est pas contradictoire.

Mes chers collègues, nous nous sommes tous écoutés. J’ai entendu les grandes voix qui se sont exprimées de part et d’autre. Le fait que deux anciens présidents du Sénat, notamment, prennent la parole n’est pas anodin, vous en conviendrez. Après avoir suivi l’ensemble du débat, qui a été riche, je n’ai pas de doute sur l’issue du vote. Je répète que la commission est contre cette proposition de loi, pour les raisons que nous avons exposées.

En cet instant, je souhaite simplement que chacun d’entre nous s’interroge : le vote de ce soir va-t-il faire avancer l’histoire ? Va-t-il résoudre les problèmes, permettre de réels progrès diplomatiques, favoriser le rapprochement des peuples, préparer l’avenir ? Va-t-il clore le débat ? Personne ne le pense ici.

Si nous pouvons nous tromper, sur ce point, nous croyons avoir raison. C’est pourquoi nous continuerons, à la commission des lois – mais nous ne sommes pas exclusifs –, à défendre comme une vigie une certaine idée de la loi et, partant, de l’histoire. Nous ne cesserons de dire et de répéter que l’œuvre de mémoire est nécessaire, indispensable, pour les Arméniens comme pour tous les autres.

Dans mon département, il y a eu deux camps où l’on internait les enfants et leurs mères avant de les envoyer vers Drancy et Auschwitz. Je suis, comme tout le monde, hanté par la Shoah, par le génocide arménien, mais aussi par ce qui s’est passé au Rwanda, en Corée, dans nombre d’endroits du monde. Je pourrais continuer la liste, tant elle est longue.

Notre rôle est de défendre le droit, en France, au niveau international, les droits de tous les hommes et de toutes les femmes, sans aucune distinction. Nous devons faire œuvre de mémoire pour tous les martyrs de l’histoire, car, jamais, ils ne doivent être oubliés. Ceux qui prétendent bâtir un avenir rayonnant sur l’amnésie, l’oubli du passé ou la déformation des faits sont des imposteurs. Nous devons, inlassablement, faire œuvre d’histoire, de science, de connaissance. Quelqu’un a dit que les historiens n’étaient pas toujours d’accord. C’est vrai, mais c’est ainsi que progresse le savoir.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui s’est déroulé dans le respect, et c’est sur ce mot que je veux terminer. À notre sens, le vote de ce soir ne clôt pas la discussion ni la controverse, n’apaise pas ce qui doit l’être. Mais nous aurons l’occasion de continuer à travailler ensemble sur toutes ces questions. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Jacques Mézard et Christian Poncelet applaudissent également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que l’avis du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 93 :

Nombre de votants 237
Nombre de suffrages exprimés 213
Majorité absolue des suffrages exprimés 107
Pour l’adoption 127
Contre 86

Le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi. (Plusieurs sénatrices et sénateurs du groupe UMP, de l’UCR, du groupe CRC et du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi
 

10

Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame Mme Hélène Conway Mouret membre du conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 24 janvier 2012 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales

(Le texte des questions figure en annexe.)

À quatorze heures trente :

2. Hommage aux soldats français en Afghanistan.

3. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France (n° 251, 2011-2012) ;

Rapport de M. Marcel-Pierre Cléach, fait au nom de la commission de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 262, 2011-2012).

Texte de la commission (n° 263, 2011-2012).

Le soir :

4. Éventuellement, suite du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

5. Proposition de loi relative à l’exercice des professions de médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien et sage-femme pour les professionnels titulaires d’un diplôme obtenu dans un État non membre de l’Union européenne (n° 273, 2011-2012) ;

Rapport de M. Yves Daudigny, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 274, 2011 2012).

Texte de la commission (n° 275, 2011-2012).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures trente.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART