M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Nous ne sommes pas une moitié de Sénat, pas plus que l’Assemblée nationale n’est une moitié d’Assemblée nationale ! Aucune des deux chambres n’est censée ne se prononcer que ce sur quoi le Gouvernement a décidé de la consulter, comme sous le Directoire, où le Conseil des Cinq-Cents ne pouvait que proposer des lois et le Conseil des Anciens les accepter ou les rejeter sans que jamais délibération et vote puissent se rencontrer !

Il me semble que ce n’est pas ainsi que les choses doivent se passer dans notre démocratie, même sous la Ve République.

J’en viens au dernier élément que nous avons introduit dans le texte et contre lequel vous vous élevez.

Dans l’hypothèse où l’infraction relative au compte de campagne aurait été commise par le candidat élu Président de la République, la sanction ne peut pas être prononcée en même temps que le résultat : on ne va pas remettre en cause la décision du suffrage universel, même si le vote a pu être biaisé par d’éventuelles irrégularités graves. Le Conseil constitutionnel l’a dit, en son temps, par la voix de M. Roland Dumas, qui a reconnu qu’on avait « arrangé » certains comptes pour éviter que cette question puisse être posée. Vous imaginez la plus haute juridiction, celle qui est appelée à se prononcer sur la plus importante des élections, qui « arrange » les comptes de tel ou tel candidat pour lui permettre d’exercer normalement ses fonctions !

Admettons donc que l’on ne puisse contester le suffrage universel une fois qu’il s’est exprimé ! Je le comprends, c’est la sagesse. Faut-il pour autant que les infractions commises ne soient jamais punies ? Faut-il demander à un conseiller général de renoncer à son mandat et le déclarer inéligible pendant un an parce qu’il n’aura pas, à tort, imputé telle dépense sur son compte de campagne ou qu’il aura utilisé la voiture du conseil général pour faire une tournée électorale et, dans le même temps, décider que celui qui est élu à la plus haute charge de l’État n’encourra aucune autre sanction qu’une éventuelle réduction des remboursements qui lui seront versés par l’État quand bien même il aurait abusé des moyens mis à sa disposition, qu’il aurait bénéficié de financements illégaux, comme on a pu le craindre quand certaines affaires ont été relatées dans les médias ?

Voler un œuf, c’est la prison ! Voler un bœuf, c’est l’absolution ! Ce n’est pas acceptable dans la République qui est la nôtre et pour une élection aussi importante.

Quelle est, à cet égard, la proposition de la commission, sur l’initiative de M. Collombat ? Dans le cadre des nouvelles dispositions qui prévoient la mise en cause de la responsabilité du chef de l’État devant nos assemblées pour manquement grave aux devoirs de sa charge, la procédure peut s’engager sur la base du constat d’une infraction par la Commission nationale des comptes de campagne.

Si, bien après l’élection du Président de la République, il s’avère que des infractions de cette nature ont été commises par celui qui occupe la plus haute fonction de l’État, il est normal que les deux assemblées s’en saisissent et qu’elles décident souverainement, librement, selon les règles que nous avons débattues et dont nous débattrons à nouveau bientôt concernant cette mise en cause, de la suite à donner auxdites infractions.

C’est bien le moins de faire en sorte que, sur des sujets de cette importance, le couvercle ne soit pas mis et que, au contraire, le débat soit entièrement ouvert !

Si nous avons simplement le souci de protéger la République, allons-nous, les uns et les autres, nous satisfaire de ce que certains candidats, de quelque couleur politique qu’ils aient été, aient pu, par le passé, être soupçonnés de financer leur campagne soit à partir de commissions versées illégalement au titre de certains marchés, soit grâce à des fonds qui leur auraient été fournis par des gouvernements étrangers ? Quelle serait la liberté d’un chef de l’État élu dans ces conditions lorsqu’il aurait à défendre les intérêts de la France ? Comment pourrait-il faire la leçon à des chefs d’État étrangers au nom des valeurs que nous défendons ? En vérité, il serait contraint au silence parce que son élection aurait, en quelque sorte, été « achetée » ! Peut-on accepter cela ? Est-ce l’intérêt du pays que d’y consentir ? Cela ne s’est-il pas déjà produit ? Je n’en sais rien ! Mais nous devons avoir la garantie que cela ne pourra pas se produire à l’avenir ou que, si cela devait se produire, nous le saurions et nous pourrions le sanctionner.

Tel est l’esprit dans lequel nous nous sommes situés par rapport à ce projet de loi organique.

Dès lors que vous avez convoqué le Sénat et l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, il était normal que nous posions ces questions. Il aurait même été anormal que nous ne le fassions pas, « que nous ne le fissions pas », dirait M. Sueur ! (Sourires.)

Si j’ai souhaité reprendre nos différentes propositions et ouvrir une nouvelle discussion, c’est qu’il me semble que l’on ne peut pas regarder cette question par le petit bout de la lorgnette, d’autant que l’économie que vous nous promettez ne sera probablement pas au rendez-vous. Vous avez évoqué les 3 ou 4 millions d’euros qui seraient ainsi épargnés. C’est même, paraît-il, la seule justification du texte ! Nous nous en sommes expliqués : non seulement la somme est dérisoire – je dis cela sans ignorer le fait que c’est beaucoup d’argent pour chacun de nos concitoyens –, mais, en plus, elle n’est pas garantie puisque ces crédits ne sont pas limitatifs. Il suffit que le nombre de candidats soit plus important cette fois-ci qu’il ne l’a été la dernière fois – ce qui nous ramène au débat sur les signatures – pour que tout ou partie de cette économie s’envole.

La proposition que nous faisons me paraît, sur le plan des finances publiques comme sur celui de la justice, beaucoup plus satisfaisante. Nous proposons en effet que le remboursement soit proportionnel aux voix obtenues ; nul ne peut en contester le bien-fondé d’une telle solution, car elle découle d’un principe fondamentalement démocratique, s’agissant d’une élection présidentielle. Cette mesure supprimerait les injustices créées par les effets de seuil que j’ai évoqués en première lecture et elle garantirait en outre que l’État ne dépensera pas plus qu’il ne le souhaite.

Aujourd’hui, vous nous dites que cette campagne ne va coûter que 41 millions ou 42 millions d’euros. Nous n’en avons aucunement la certitude ! Non seulement le dispositif que propose le Sénat introduit plus de justice, mais il vous permet, monsieur le ministre, de vous prévaloir auprès de Mme la ministre du budget d’avoir réussi à réaliser une économie de 3 ou 4 millions d’euros dont elle a bien besoin pour couvrir les quelques dizaines de milliards d’euros du déficit de l’État ! Et cette économie, vous l’aurez obtenue grâce à la majorité sénatoriale, qui s’est montrée particulièrement coopérative pour faire faire des économies au budget de l’État, alors qu’on nous reproche parfois d’être trop inconscients pour agir en ce sens !

Telles sont nos propositions. Elles nous paraissent inspirées par le simple bon sens. Et, connaissant votre propre bon sens, monsieur le ministre, je sais que vous ne les rejetterez qu’au nom d’instructions plus fortes, et aussi parce que nos idées dérangent. Elles dérangent le Gouvernement, qui espérait voir ce débat se dérouler dans la quiétude. Elles dérangent le Président de la République. En effet, faute d’avoir conçu une campagne au financement d’une grande transparence, il ne peut qu’être gêné qu’on veuille y introduire cette grande transparence ! Il n’envisageait pas du tout les choses ainsi !

D’ailleurs, qu’il tarde tant à déclarer sa candidature montre bien quelle confusion règne. Il faut en sortir !

Mme Éliane Assassi. C’est sûr !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Et, si le Sénat peut contribuer à introduire de la transparence, à faire reculer la confusion et à donner à la République des bases de fonctionnement claires, saines et acceptées par tous, alors, je crois que nous aurons bien travaillé. Cela suppose que le Sénat imite la commission en adoptant à nouveau le texte dans la rédaction que nous avions transmise à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Richert, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de ce texte de façon très approfondie en première lecture. Nous nous retrouvons maintenant exactement dans la même situation.

Il ne m’avait pas indispensable de développer une nouvelle fois la logique qui avait présidé au dépôt de ce projet de loi ni de réitérer l’ensemble des arguments qui en justifiait le dispositif aux yeux du Gouvernement.

Après avoir entendu le rapporteur, je me permets néanmoins de reprendre brièvement la parole pour dire qu’il n’y a évidemment pas, d’un côté, une majorité sénatoriale favorable à la transparence et, de l’autre, une majorité présidentielle faisant tout pour freiner cette marche vers la transparence, la justice et l’équité !

Je retrouve dans vos propos, permettez-moi de vous le dire, monsieur le rapporteur, une forme d’arrogance, pour ne pas dire de suffisance que nous avons déjà eu l’occasion d’apprécier à d’autres moments ! (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Anziani. C’est un peu juste, comme argument !

M. Philippe Richert, ministre. Si l’on souhaite effectivement aller vers un texte élargi à de nombreux sujets, je me demande au nom de quels arguments nous refuserions tout à l’heure d’examiner de façon très approfondie les amendements de M. Masson, qui méritent autant de développements. Il en va d’ailleurs ainsi de beaucoup d’autres que nous n’avons pas repris. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce projet de loi organique est le complément d’un projet de loi définitivement adopté qui concerne le financement des campagnes pour toutes les élections, à l’exception de l’élection présidentielle !

Toutes ces campagnes électorales se voient affecter une baisse des remboursements de manière à faire participer les candidats aux différents niveaux d’élection à l’effort national de réduction des dépenses. Et si nous avons déposé un projet de loi organique, c’est uniquement parce qu’on ne peut légiférer sur les dépenses engagées à l’occasion d’une élection présidentielle que dans le cadre d’un texte de cette nature !

Il s’agit donc, au travers de ce texte, non pas d’éviter des débats, mais simplement de s’aligner, concernant l’élection présidentielle, sur ce qui a été fait pour toutes les autres élections.

Dès lors que vous considérez que, à trois mois d’une élection présidentielle, l’ensemble des conditions qui entourent cette élection présidentielle doivent être à nouveau débattues, je ne vois au nom de quoi on ne discuterait pas aussi de toutes les autres propositions, y compris, par exemple, celles de M. Masson !

Le Gouvernement ne se désintéresse pas de ces sujets, mais il considère que, à trois mois d’une élection, autant il est possible d’introduire une modification à la marge – 2,5 % de remboursement en moins –, autant il est difficile de remettre en cause les principes mêmes de l’organisation de ladite élection.

Et qui, aujourd’hui, peut raisonnablement contester ce point de vue ?

Je ne dis pas que tous les arguments que vous avez développés, monsieur Gorce, n’ont pas leur place dans le débat. Ce que je dis, c’est que, à trois mois d’une élection, il est difficilement acceptable de modifier l’ensemble des conditions de désignation du candidat et de remboursement des frais de campagne. Et je ne peux pas accepter de vous entendre suggérer que, si nous ne voulons pas d’un nouveau mode de déroulement des élections, c’est parce que le Président de la République actuellement en place sera éventuellement candidat !

Je n’ai reçu d’injonction de personne, mais il me paraît normal de nous limiter, en cet instant, à ce qui a été, à l’origine, la démarche du Gouvernement, démarche au demeurant partagée par les parlementaires de sa majorité. Dès lors que nous demandons un effort à nos concitoyens, il me paraît normal que nous en demandions un à tous les candidats, quelle que soit l’élection à laquelle ils se présentent, y compris donc l’élection présidentielle. Telle est la raison d’être de ce texte.

Mme Éliane Assassi. C’est trop tard !

M. Philippe Richert, ministre. Il me semblait que tout avait déjà été dit. Cependant, compte tenu du caractère quelque peu arrogant de l’intervention du rapporteur, il m’a paru indispensable de préciser à nouveau ces points. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Je suis ravi d’avoir fait sortir le ministre de ses gonds, car ce débat, qui est en effet politique, doit avoir lieu. Il s’était auparavant contenté de dresser, à la tribune, un aimable compte rendu des discussions qui se sont déroulées, jusqu’à présent, sur ce sujet.

Nous avons bien compris, monsieur le ministre, que vous ne souhaitiez pas que ce débat ait lieu. C’est aussi ce que nous avons retenu des propos tenus à l’Assemblée nationale, au sein de la commission mixte paritaire : personne ne souhaitait débattre de cette question !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Pourquoi ? Je laisse à nos concitoyens et à vous-même, monsieur le ministre, le soin de répondre !

Je passe sur l’argument de l’arrogance. J’ai bien compris que vous l’invoquiez à l’encontre de tous ceux qui s’exprimaient au nom de l’opposition.

M. Philippe Richert, ministre. Je ne fais que la constater !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Est arrogant, selon vous, celui que les sondages placent en tête, tandis qu’est humble celui qui est largement devancé.

L’humilité serait du côté de celui qui n’est pas encore candidat ; l’arrogance du côté de celui qui est assez franc pour l’être. Je vous laisse assumer cette distinction, que je ne partage pas...

Pour en revenir au fond du texte, je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le ministre, que nous proposons de modifier la totalité des règles relatives à l’organisation de l’élection présidentielle ! (M. Michel Delebarre acquiesce.)

Nous proposons simplement quelques règles visant à clarifier des données qui ne sont pas claires, ce qui est de nature à troubler l’opinion.

Vous ne pouvez pas nier que la manière dont le Président use des moyens de la République avant sa déclaration de candidature a suscité, suscite et suscitera le débat. N’est-il pas souhaitable, pour mettre fin à la polémique, qu’une juridiction indépendante rende une décision claire en la matière ? Telle est en tout cas notre position.

Contrairement à ce que vous soutenez, nos propositions n’ont pas pour objectif de bouleverser les règles en vigueur, mais de les asseoir sur des fondements juridiques et politiques plus solides, afin de permettre à nos concitoyens, comme aux candidats, d’y voir plus clair.

Comme je l’ai dit lors de mon intervention liminaire, il est paradoxal de nous reprocher de vouloir des règles claires, des comptes de campagne transparents et des dépenses régulièrement inscrites ! Je rappelle que le candidat de la gauche est en campagne et que d’autres candidats se sont déclarés, alors même que celui qui assume la plus haute charge de l’État, et sera probablement candidat, ne se déclare pas, mais joue de la confusion et de l’ambiguïté.

Ne mélangeons pas les genres : nous voulons la clarté, vous voulez rester dans la confusion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. C’est en toute conscience que je ferai preuve de ce que M. le ministre appelle de l’arrogance. En la circonstance, il s’agit pour moi d’un appel à la clarté.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Très bien !

Mme Éliane Assassi. S’il fallait trouver une bonne raison de rétablir la rédaction de ce projet de loi organique adoptée en première lecture par notre assemblée, nul doute que l’intervention télévisée du Président de la République, dimanche dernier, ferait pleinement l’affaire.

Le Président de la République, qui ne s’est pas encore déclaré candidat, tout en l’étant suffisamment pour critiquer ceux qui le sont, s’est en effet livré, sans la moindre considération pour l’équité et le simple respect de la démocratie, à un exercice d’autosatisfaction propre à susciter des interrogations sur le sens des mots et la nature des choses.

M. David Assouline. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Ce jour, 31 janvier, à moins de trois mois du premier tour de l’élection présidentielle, nous débattons des conditions de déroulement du « match ». Le délai qui nous sépare de la date limite de dépôt des déclarations de candidatures est encore plus court : environ un mois et demi. Or le présent texte tend à modifier ces règles.

Il ne s’agit que d’une répétition, me direz-vous. Soit, mais que s’agit-il au juste de répéter, alors même que les règles du jeu démocratique sont de plus en plus perverties par ceux-là mêmes qui devraient les appliquer de manière exemplaire ?

Que M. le ministre chargé des transports fasse le tour de toutes les capitales de cet étrange objet juridique qu’est la onzième circonscription des Français de l’étranger avec les avions de la flotte mise à disposition des membres du Gouvernement, soit. Il n’en demeure pas moins qu’il peut ainsi exploser le plafond des dépenses de transport aérien liées à la campagne électorale. Il s’agit d’une discrimination objective à l’égard des candidats qui n’ont pas la chance d’être ministre !

Que Mme la ministre chargée de l’outre-mer, qui s’est déclarée candidate dans la quatrième circonscription de la Guadeloupe, fasse de même, cela ne me surprend guère : elle avait déjà dépensé plus de 200 000 euros de frais de transport en 2009, tandis qu’elle préparait les élections régionales de 2010.

C’est désormais du côté de l’Élysée que les limites semblent largement dépassées. Après tout, comme le dit l’adage, « une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites ».

Au cours de ce surprenant mois de janvier, à l’occasion d’un nombre incalculable de cérémonies de vœux adressés à toutes les composantes du corps social, ou à peu près, le chef de l’État a décliné un certain nombre de propositions et d’idées, et critiqué assez longuement les positions exprimées par d’autres candidats.

Lors de la soirée de dimanche, qui a constitué à bien des égards le point d’orgue de cette période très spéciale de l’année 2012, le Président de la République, plus que jamais représentant d’une sorte de « parti-État » ayant vocation à confisquer la souveraineté populaire au profit d’une seule organisation, a bénéficié plus d’une heure durant d’un traitement de faveur. Son allocution, à peine ponctuée par les questions des journalistes, a en effet occupé le créneau horaire de début de soirée sur huit chaînes de télévision.

Étrange manière de disposer de l’argent public, qu’il s’agisse de la redevance audiovisuelle ou des crédits dévolus au fonctionnement de l’État ! Nous ne pouvons, décemment, que contester ces pratiques qui donnent un relief tout particulier à notre débat d’aujourd’hui.

Qu’on le veuille ou non, la rédaction initiale de ce projet de loi organique n’offre aucune garantie constitutionnelle supplémentaire et n’établit aucune égalité de traitement entre les parties concernées : il ne visait en effet, au départ, qu’à traduire la vision populiste de la gestion des deniers publics ayant cours depuis quelques temps dans notre pays.

En prétendant réduire le montant des dépenses électorales remboursables à chaque candidat, en fondant cette réduction sur la simple reconduction d’une situation électorale donnée, celle de 2007, dont il semble de plus en plus vraisemblable qu’elle ne se renouvellera pas, ce texte visait à apporter le concours d’un peu plus de 3 millions et demi d’euros à l’effort de réduction des dépenses publiques.

Je ne sais pas combien a coûté le déplacement présidentiel en Guyane, destiné à la présentation des vœux aux Ultramarins, ni celui de Marseille, durant lequel il s’est adressé aux acteurs du monde de la culture. Il conviendrait, pour le savoir, d’ajouter aux frais directement induits par ces manifestations ceux liés à la surveillance et à la sécurité. J’ai cependant l’impression que les économies ont déjà été dépensées ! (Mme Corinne Bouchoux applaudit.)

Il existe un sentiment très fort de non-respect des règles et d'iniquité derrière les thématiques du projet de loi organique qui nous est de nouveau présenté.

L’intervention de dimanche dernier, tout comme les derniers voyages et réceptions présidentiels, devraient objectivement être comptabilisés au titre des dépenses de campagne de l’élection présidentielle. Foin de cette hypocrisie !

Nous voterons pour le texte adopté en commission des lois, tout en proposant de le modifier légèrement au travers d’un amendement relatif à la répartition de l’enveloppe de remboursement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Lors de la première lecture du présent projet de loi, notre assemblée avait apporté des éléments de réponse à deux problèmes difficiles – ignorés par la loi de novembre 1962 et soigneusement contournés lors de sa révision en 2006 –, que posent les modalités d’élection du Président de la République : tout d’abord, le champ des dépenses à prendre en compte dans l’établissement des comptes de campagne ; ensuite, l’impossibilité de sanctionner un candidat élu, même en cas de comportements gravement délictueux.

Suivant le Gouvernement, l’Assemblée nationale a supprimé les propositions du Sénat et rétabli le projet de loi dans sa rédaction initiale, en vertu d’arguments sur lesquels je souhaite revenir.

Premier argument : les innovations sénatoriales débordent l’objet du projet de loi initial, limité à la réduction du coût des campagnes pour le budget de l’État. Ambition limitée, en effet !

Selon le Gouvernement, ce qui est compréhensible, et les parlementaires qui le soutiennent, ce qui l’est moins, députés et sénateurs sont priés de s’occuper des seuls sujets sur lesquels le Gouvernement veut qu’ils se penchent. On connaissait le parlementarisme « rationalisé », voici le parlementarisme « rationné » ! (Sourires sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)

L’argument est irrecevable, et le restera tant que la Constitution n’aura pas privé les parlementaires du droit d’amendement. C’est évidemment fâcheux, monsieur le ministre... Cela vaut d’ailleurs pour tous les amendements, et si vous souhaitez que l’on en discute d’autres, nous le ferons volontiers.

Le Gouvernement ayant décidé – et non pas nous ! –, à une poignée de semaines de l’élection présidentielle, d’en modifier les modalités, autant le faire sérieusement, et traiter des vrais problèmes plutôt que des faux.

Pour présenter le deuxième argument, le mieux est de citer les propos tenus en séance publique par le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, Charles de La Verpillière, au sujet de dispositions votées par le Sénat : « [...] des dispositions assez extravagantes et à la limite de l’inconstitutionnalité, comme celle selon laquelle, en cas de rejet du compte de campagne d’un candidat élu Président de la République, “ le Conseil constitutionnel en informe le Parlement, afin d’apprécier si les motifs du rejet renvoient à des actes constituant un manquement manifestement incompatible avec l’exercice du mandat de Président de la République ” ! Cela revient à réécrire la Constitution dans la loi organique ! ».

Il écrivait par ailleurs dans son rapport : « Outre que sa rédaction est loin d’être parfaite, une telle disposition est dénuée de toute portée juridique, le Parlement demeurant tout à fait libre de mettre en œuvre ou non la procédure de destitution prévue à l’article 68 de la Constitution ».

J’aimerais que l’on m’explique ce que sont des dispositions « à la limite de l’inconstitutionnalité » ! Une disposition est compatible ou incompatible avec la Constitution. Dire qu’elle est « à la limite de l’inconstitutionnalité » revient à parler pour ne rien dire. Quoi qu’il en soit, nous avons compris quel était le but de ces propos...

Où réécrit-on la Constitution dans la loi organique ?

L’obligation faite au Conseil constitutionnel d’informer le Parlement du rejet du compte de campagne d’un candidat élu n’est pas d’une nature juridique différente de celle qui lui enjoint, dans la loi organique, de « veiller à la régularité des opérations » électorales. Ce qui s’est passé en 1995 montre que la disposition en question n’a pas plus de portée juridique que l’obligation d’information du Parlement, puisque le Conseil constitutionnel avait alors choisi de s’abstenir de veiller à la régularité des opérations électorales !

Pour le coup, si le Conseil constitutionnel pouvait saisir le Parlement, au sens strict du terme, alors oui, la Constitution aurait été violée.

L’article 68 de la Constitution n’est en rien modifié. Conformément à celle-ci, aucune injonction n’est faite aux chambres quant aux suites à donner aux informations reçues.

Une disposition dont la rédaction « est loin d’être parfaite » ? Que n’en propose-t-on une autre, au lieu de se défiler !

Des « dispositions extravagantes » ? Et quand bien même ! Elles vaudraient largement une absence de disposition hypocrite. Elles vaudraient bien l’acceptation, de fait, d’un système qui institutionnalise l’hypocrisie, d’autant plus rigoureux pour les petits maladroits qu’il est tolérant pour les gros malins, et plus sévère à l’égard d’un conseiller général distrait que d’un Président de la République indélicat.

Mme Nathalie Goulet. Selon que vous serez puissant ou misérable...

M. Pierre-Yves Collombat. Car telle est la question !

Dois-je rappeler à nos censeurs suffisants ce qui s’est passé en 1995, et qui remonte aujourd’hui à la surface en ondes glauques, ces valises de billets qu’ils ne veulent pas plus voir que Tartuffe le sein de Dorine ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Par manque de temps, et pour avoir largement exposé ce qui s’était passé en 1995, je me contenterai de rappeler ce court témoignage de Jacques Robert, éminent juriste, alors membre du Conseil constitutionnel, dans Le Parisien du 1er décembre 2011 : « Juste avant le vote, Roland Dumas [président du Conseil constitutionnel] a passé une heure à l’Élysée avec Jacques Chirac. Sans doute lui a-t-il dit que la situation était délicate et qu’il avait dû manœuvrer pour faire régulariser les comptes. Mon impression, c’est que Roland Dumas, Jacques Chirac et Édouard Balladur se tenaient à l’époque par la barbichette. Et que nous avons servi de caution à une belle entourloupe ».

Toute la question est là : faut-il se résigner à servir de caution aux futures entourloupes au motif qu’il est urgent de faire économiser 3,7 millions d’euros au budget de l’État ? Nous pensons que non ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui contraints de réexaminer le projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l’élection présidentielle, sur lequel la commission mixte paritaire a échoué.

Sur ce sujet, dont nous avons déjà longuement débattu, la position du groupe UMP est simple : nous soutenons très clairement l’initiative prise par le Gouvernement de présenter un projet de loi organique visant exclusivement à réduire les remboursements des dépenses de campagne électorale.

Une première série de réformes, dite « paquet électoral », avait été engagée dès le printemps 2011. Mais, le 7 novembre dernier, le Premier ministre, François Fillon, a invité les partis politiques à participer à l’effort budgétaire nécessaire à l’assainissement des finances publiques de l’État.

Faut-il rappeler, en effet, que nous sommes en période de crise et que l’État doit trouver des solutions pour rééquilibrer ses finances ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Or ce retour à l’équilibre, madame Borvo Cohen-Seat, passe notamment par une révision des modes de remboursement des dépenses de campagnes de l’élection présidentielle.

La spécificité de l’élection présidentielle justifie que nous adoptions une loi organique, puisqu’il s’agit de modifier la loi référendaire du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Selon l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi organique, si nous décidons que les nouvelles dispositions s’appliqueront dès la campagne de 2012, nous pourrons économiser jusqu’à 4 millions d’euros ; cette somme n’est pas négligeable, même si, comme l’a indiqué M. le rapporteur tout à l’heure, elle est naturellement soumise à l’aléa.

Alors que la réduction des dépenses passe par la réforme du mode de remboursement applicable à toutes les élections, y compris l’élection présidentielle, il semble que le caractère symbolique de l’élection du Président de la République au suffrage universel et, surtout, l’imminence des échéances de 2012 aient pris le pas sur l’objectif initial d’économie…

Comme je l’ai rappelé lors du débat en première lecture, les avancées en matière de transparence financière de la vie politique ont été considérables au cours des dernières années : c’est à l’actuel gouvernement et au Président de la République que nous les devons, qu’on le veuille ou non !

Il est dès lors regrettable que le débat d’aujourd’hui soit détourné par des considérations qui dépassent les simples intérêts budgétaires sur lesquels nous devrions nous focaliser, puisque tel était l’objectif du projet de loi organique.

Mes chers collègues, la question dont nous sommes saisis nécessite toute notre attention. Il nous appartient donc de nous dégager de toute tentative de manipulation du symbole fort qui s’attache à l’élection présidentielle de 2012, ce qui n’élèverait en rien le débat démocratique dans notre hémicycle et appauvrirait le contenu du projet de loi organique.

J’ajoute que les mesures que nous adopterons devront s’appliquer dès la prochaine campagne. Son imminence, ainsi que l’urgence de la situation budgétaire de la France nous interdisent d’attendre davantage.

Pour ces raisons, le groupe UMP suivra la position du Gouvernement en s’opposant au texte élaboré par la commission des lois.

Chers collègues qui siégez sur les travées de la gauche, nous avons prouvé que, comme vous, nous avions le souci prioritaire d’améliorer la transparence du financement de la vie politique et de la gestion des comptes de campagne.

En temps de crise, les stratégies partisanes devraient être reléguées au second plan. J’en appelle à vous, chers collègues de la majorité sénatoriale : rendons au projet de loi organique son sens et sa portée initiale ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, le présent projet de loi organique n’est pas dépourvu d’une certaine hypocrisie : il se présente comme destiné à réduire de 3,7 millions d’euros les dépenses de l’État liées au remboursement des dépenses de campagne de l’élection présidentielle, mais sans toucher au reste…

Selon nous, il ne répond pas réellement aux préoccupations d’un grand nombre de candidates et de candidats déclarés, ainsi que de citoyennes et de citoyens.

Avec beaucoup de brio, de solidité et d’aura, dans un propos qu’on a qualifié d’« arrogant » mais qui nous a semblé brillant et convaincant, M. le rapporteur a déjà posé un certain nombre de jalons.

En réalité, monsieur le ministre, une question en apparence technique et financière en masque une autre, éminemment politique : celle de l’accès à l’élection présidentielle et de la validation de celle-ci.

Il est à l’honneur du Sénat de poser des questions qui dérangent, qui vous dérangent – même si ce n’est pas agréable à entendre.

L’accès à l’élection présidentielle est déjà verrouillé par la nécessité de réunir cinq cents parrainages avant de pouvoir se présenter aux suffrages des électeurs, ainsi que par le coût faramineux d’une candidature.

À ce propos, un « non-candidat » fait campagne sur tous les médias, y compris certaines chaînes publiques – c’est-à-dire aux frais du contribuable, comme l’a dit Mme Assassi… Selon nous, il réalise ainsi un véritable hold-up sur l’audiovisuel, qu’il conviendrait de comptabiliser au titre de la campagne officielle.

Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure que rien n’avait changé. Pour ma part, je pense au contraire que tout a changé avec l’allocution que le Président de la République a donnée dans la soirée du dimanche 29 janvier. Aussi, permettez-moi de vous faire, très respectueusement et modestement, quelques propositions pour la prochaine déclaration du « non-candidat ».

Premièrement, je vous suggère que toutes les télévisions publiques et privées soient réquisitionnées – pourquoi, en effet, se limiter à huit ? Toutes les radios privées et publiques le seraient également, sans oublier les réseaux sociaux à propos desquels nos amis chinois pourraient nous conseiller un certain nombre de techniques très simples.

Deuxièmement, toute séance de cinéma, de théâtre et toute manifestation sportive seraient interdites une heure avant la prestation et jusqu’à une heure après.

M. André Reichardt. Excellente idée !

Mme Corinne Bouchoux. Troisièmement, la déclaration serait obligatoirement diffusée dans les écoles pour les élèves de plus de seize ans, ainsi que dans les transports en commun et les espaces publics, sans oublier les aéroports, afin de faire profiter le public international de cet exercice, inédit – nous l’avons vérifié – dans les annales démocratiques depuis dix ans !

Plus sérieusement, on se croirait revenu au temps de l’ORTF de mon grand-père… (M. le ministre s’exclame.)