M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.

M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, peut-on imaginer aujourd'hui un village, même reculé, dépourvu d’électricité ?

Eh bien, ce qui nous semble évident pour l’électricité ou le téléphone fixe l’est aussi pour l’accès à Internet très haut débit et la couverture de téléphonie mobile.

L’enjeu est immense ! Internet est un outil de recherches et de connaissances, ainsi évidemment qu’un outil social et économique. Cela représente plus du quart de la croissance et 40 % des gains de productivité de l’économie.

Je ne m’attarderai donc pas sur l’opportunité d’une bonne couverture numérique de notre territoire pour répondre à ces enjeux fondamentaux, dans l’intérêt tant des citoyens que des entreprises. Aujourd'hui, nous nous rejoignons tous sur ce point.

Demandons-nous plutôt comment déployer avec équité, efficacité et au meilleur coût les kilomètres de fibre optique et les antennes-relais pour la téléphonie mobile sur tout le territoire.

Un an avant l’annonce par le Gouvernement du plan d’aménagement numérique du territoire, au Sénat, la loi dite « Pintat » relative à la lutte contre la fracture numérique posait déjà les fondations. Elle favorisera – nous en sommes tous persuadés – la construction de la France du très haut débit à horizon 2025.

Le dispositif repose sur trois piliers, que le présent texte tend à renforcer pour en corriger les faiblesses.

Premier pilier, la répartition de l’investissement entre les opérateurs privés, dans les zones denses, et les financements publics, dans les zones moins denses.

Deuxième pilier, la constitution d’un fonds d’aménagement numérique du territoire qui permettra de cofinancer les réseaux d’initiative publique, auquel le fonds national pour la société numérique s’est substitué. Ce dernier fonds finance majoritairement les contenus, comme l’e-éducation ou l’e-santé, mais réserve 900 millions d’euros au profit du déploiement des réseaux. L’État, qui a confié la gestion de ce fonds à la Caisse des dépôts et consignations, s’occupe de l’abondement, du fonctionnement et détermine les projets éligibles.

Troisième pilier de la loi Pintat, la mise en œuvre de documents de planification d’infrastructures numériques des collectivités territoriales. Aujourd'hui, 79 départements et régions ont déjà adopté les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, les SDTAN.

En outre, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie dispose que les promoteurs et constructeurs devront équiper les logements neufs en fibre optique. Une telle obligation ancre désormais le très haut débit en tant que commodité essentielle.

Comme pour tout chantier de cette envergure, les bonnes intentions n’ont pas réussi à se traduire pleinement dans les actes.

Notre collègue Hervé Maurey a d’ailleurs identifié à juste titre les points faibles du déploiement du plan national pour le très haut débit dans son excellent rapport, qui a été adopté à l’unanimité de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire le 6 juillet dernier.

La présente proposition de loi s’appuie évidemment sur les recommandations du travail constructif mené en amont et est fondée sur des analyses partagées par tous les membres de la commission.

Pour les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine, la question qui est au cœur de cette proposition de loi porte sur la conciliation entre l’objectif de rentabilité pour les opérateurs privés et celui d’aménagement équilibré du territoire.

Le texte initial y apportait trois éléments fondamentaux de réponse : le caractère obligatoire des schémas directeurs d’aménagement numérique du territoire, un financement pérenne pour le FANT et des sanctions en cas de manquement des engagements d’investissement des opérateurs privés, afin de rééquilibrer la relation avec les collectivités territoriales.

L’accès au très haut débit constitue, je le répète, une commodité essentielle, donc un élément fondamental de l’aménagement du territoire. À ce titre, il me semble indispensable que le SDTAN, outil stratégique d’aménagement du territoire, revête un caractère obligatoire, comme cela figure dans la proposition de loi.

Il me paraît aussi déterminant qu’il constitue la base d’une contractualisation, sous l’autorité de l’État, entre les collectivités territoriales et les opérateurs, afin que ces derniers soient réellement liés par leur contenu et leurs propres engagements concernant la couverture en très haut débit.

La question de la répartition de l’investissement est également centrale, puisque le manque d’investissements aujourd’hui se traduira par un décrochage demain.

Il faut donc que les conditions de cet investissement à long terme soient acceptables et soutenables financièrement.

Dans le département de la Somme, où le SDTAN a été approuvé, sans les opérateurs privés, nous, c'est-à-dire le conseil général et les établissements publics de coopération intercommunale, devrons mobiliser 12 millions d’euros par an sur vingt ans. En effet, pour l’instant, la région Picardie ne s’est pas encore engagée. (M. Yves Rome s’exclame.) J’espère qu’elle le fera, mon cher collègue, et je compte sur votre soutien…

M. Yves Rome. Il vous est acquis.

M. Daniel Dubois. … pour qu’il en soit ainsi. Car 12 millions d’euros par an, c’est loin d’être neutre.

Les opérateurs privés n’auront pas de mal à avoir de retour sur investissement dans les zones denses.

En revanche, les capacités d’investissement des collectivités ont réduit comme peau de chagrin. La question est donc la suivante : pourront-elles demain financer les boucles dans les zones rurales et semi-rurales, qui ne sont pas rentables, si on ne leur donne pas sur la durée la capacité financière d’assurer de tels investissements ?

Par conséquent, il faut évidemment assurer la pérennité des soutiens financiers de l’État, qui doit donc s’engager sur la durée à participer très largement aux investissements non rentables.

Mais, pour cela, il faut que le FANT soit abondé de manière pérenne par le produit de taxes dédiées, ou par des dotations. À cet égard, mes chers collègues, je regrette que la commission ait décidé de supprimer le dispositif qui figurait dans le texte initial ; il était prévu d’abonder le Fonds avec une contribution de solidarité numérique de 75 centimes d’euro par mois et par abonnement triple play. Il y avait aussi une petite dotation pour les achats. Ces dispositions étaient utiles au FANT.

La pérennité de l’abondement du Fonds par des contributions est la condition sine qua non – souvenons-nous de ce que le Fonds d’amortissement des charges d’électrification, le FACE, a représenté pour l’alimentation électrique – d’un déploiement assuré dans la durée et dans les moindres recoins de France.

De même, il me semble normal que la collectivité puisse se substituer en cas de carence de l’opérateur privé engagé sur une zone rentable dans le cadre de la contractualisation précédemment définie.

Enfin, pour s’assurer de la bonne exécution des engagements des opérateurs privés et respecter l’équilibre entre opérateurs privés et collectivités territoriales, il faut impérativement un arbitre, avec un pouvoir de sanction. Aujourd’hui, personne n’exerce cette mission, pourtant nécessaire à la bonne exécution du programme national.

Pour reprendre ce qui figure dans le rapport : « ce n’est qu’en disposant de mécanismes de contrainte clairs, complets et connus à l’avance que les “règles du jeu” seront claires et que l’on minimisera les risques de carence des opérateurs ».

La proposition de loi confie donc à juste titre ce rôle à l’ARCEP, à qui le statut d’autorité administrative indépendante permet d’exercer une telle mission.

Mes chers collègues, ce texte, qui est issu de l’excellent travail de notre rapporteur – je salue l’esprit constructif ayant présidé à nos débats en commission –, permettra certainement de concilier l’enjeu de rentabilité pour les opérateurs avec un objectif d’aménagement équilibré du territoire.

Il y va de l’avenir de nos territoires ruraux, de leurs entreprises, et de leurs habitants.

C’est pourquoi le groupe de l’Union centriste et républicaine soutiendra cette proposition de loi, tout en regrettant la suppression du financement pérenne au profit du FANT. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et sur quelques travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, Aménagement numérique du territoire : passer des paroles aux actes, tel était l’intitulé du rapport d’information remis le 6 juillet dernier au nom de la commission de l’économie. Le Sénat a donc décidé de passer aux actes avec cette proposition de loi. Je m’en félicite et je remercie nos collègues Hervé Maurey et Philippe Leroy de cette initiative.

Je ne m’étendrai pas sur les problèmes de la ruralité, pas plus que je n’insisterai sur l’espoir que fait naître le désenclavement numérique dans nos territoires.

Dans mon département, le Gers, le schéma qui vient d’être réalisé nous amène à constater que le coût de l’aménagement numérique représente 120 millions d’euros pour 190 000 habitants. Savez-vous, monsieur le secrétaire d’État, à quelle hauteur s’élèvera la participation de l’opérateur historique, associé à d’autres ? Eh bien, cet opérateur prendra en charge exactement 30 000 habitants, soit 15 % de la population du département… Les autres attendront que l’on trouve des solutions, lesquelles dépendront du bon vouloir de l’opérateur historique et des autres, dont chacun sait ici le goût pour la rentabilité !

Les territoires ruraux ont beaucoup espéré du développement des infrastructures de transport. Il leur a été néanmoins répondu que Réseau ferré de France, RFF, avec plus de 30 milliards d’euros de déficit, ne pouvait plus assumer l’entretien des voies ferrées. Certaines lignes ont été fermées, les trains ne passent plus, et ce alors même que la région a consacré 900 000 euros à l’achat de trains neufs !

Nous avions également fondé de grands espoirs sur le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, qui prévoyait spécialement la construction de douze routes nationales reconnues comme indispensables pour le désenclavement des territoires. Mais l’État n’y consacrera pas un euro dans son budget pour 2012 !

La fibre optique constitue donc notre dernière chance de maintenir des activités sur nos territoires.

En Midi-Pyrénées, comme partout, il y a un pôle central et des activités périphériques. Dans la ville dont je suis le maire est implantée une entreprise qui a construit tous les bâtiments pour Airbus. Elle ne peut travailler sans le haut débit, et son bureau d’études également. Si nous ne trouvons pas de solution, elle devra se délocaliser.

Oui, ce texte nous redonne un peu d’espoir, notamment l’article 20, qui prévoit « le déploiement du très haut débit de façon prioritaire dans les zones rurales, en commençant par les zones d’activité et les services publics ».

Comment fonctionneront en effet les maisons de santé sans accès aux fichiers, sans télémédecine ?

Certes, le désenclavement numérique pose un problème de financement. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer, car je suis très surpris. Sur les 2 milliards d’euros du Fonds d’aménagement numérique des territoires, le FANT, seulement 900 millions seront consacrés à la ruralité. Et comment ce fonds sera-t-il alimenté ? En 2010, et vous le savez, les over the top, ou OTT, c'est-à-dire les opérateurs qui se servent de ces tuyaux, ont réalisé 4 milliards d’euros de revenus en 2010 et la somme de 9 milliards est envisagée pour 2015. Est-il normal que des opérateurs de distribution se servent des infrastructures payées par l’État sans participer à proportion des énormes bénéfices qu’ils engrangent ? Il y a là un problème, et une piste intéressante à creuser.

M. Jean-Luc Fichet. Très bien !

M. Raymond Vall. Je vous propose, l’idée n’est pas de moi, de créer un groupe de travail afin d’étudier les voies et moyens de fiscaliser ces opérateurs OTT qui font fortune en utilisant des réseaux appartenant à la puissance publique ou financés par l’argent public.

Voilà une piste qui mérite d’être explorée, je pense que nous pourrons tous tomber d’accord sur ce point.

Pour respecter mon temps de parole, et parce que tout a été dit et fort bien dit, monsieur le secrétaire d’État, je conclurai en insistant : nous avons là une occasion qu’il nous faut saisir. À défaut, l’espoir de la ruralité s’éteindra à jamais ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Léonard.

M. Claude Léonard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Hervé Maurey et Philippe Leroy d’avoir déposé sur le bureau de la Haute Assemblée la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Ils s’attaquent ce faisant à un problème qui est bien réel, à savoir l’aggravation de la fracture numérique sur notre territoire.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. C’est sûr !

M. Claude Léonard. En effet, la réalité du terrain est très différente des discours officiels, souvent très rassurants, et à bien des égards la situation est inquiétante.

L’architecture du réseau téléphonique historique français sur lequel s’appuient la très grande majorité des accès à l’internet haut débit est déjà, en elle-même, une très grande source d’inégalité. Dans mon secteur, par exemple, l’accès au haut débit relève du miracle, puisque le réseau cuivre date des années cinquante. On a d’ailleurs peur quand l’opérateur France Télécom, ou un autre prestataire, ouvre les boîtes de connexion !

Comme l’ont souligné mes collègues, près de 2 % des lignes téléphoniques ne bénéficient pas d’un accès à l’ADSL, soit environ 600 000 foyers. De plus, 8 % des lignes téléphoniques – près de 2 millions de foyers –, ne permettent pas une connexion à plus de 512 Kbits par seconde, ce qui ne correspond pas vraiment à de l’internet à haut débit et entraîne, pour de nombreux sites, un accès très lent ou trop lent.

Quant au 2 Mbits par seconde, le seuil minimum pour du haut débit, il concerne 27 % des lignes, soit 8 millions de foyers. Néanmoins, ceux-ci risquent très rapidement d’être exclus des sites internet, très gourmands en bande passante. Les foyers installés en zones rurales seront tout particulièrement pénalisés.

Pour ce qui est du 8 Mbits par seconde, environ la moitié de la population peut en bénéficier, mais la couverture est très inégale suivant les territoires et ressemble souvent à une peau de léopard !

Certes, l’arrivée de la fibre optique et du très haut débit entraînera un progrès notable, mais, hélas ! elle ne réduira pas l’actuelle fracture numérique. Je crains, au contraire, que cette dernière ne s’aggrave, car les déploiements qui seront mis en œuvre par les opérateurs concerneront, bien évidemment, ce point a été souligné tout l’après-midi, les secteurs les plus rentables, c’est-à-dire les zones denses, notamment celles qui sont proches des centraux téléphoniques. Une fois de plus, les zones rurales seront délaissées et pénalisées.

Je dirai maintenant un mot de la téléphonie mobile. Nos collègues ont eu raison de souligner que, si le taux de couverture était relativement satisfaisant pour la technologie 2G, il n’en va pas encore tout à fait de même pour la technologie 3G. Cette analyse se vérifie aisément dans le département de la Meuse, que j’ai l’honneur de représenter au Sénat.

La téléphonie mobile donne encore lieu à des plaintes de la part d’élus et de certains de nos concitoyens dans les communes qui ne bénéficient que d’une réception médiocre. Je fais référence à la technologie 2G, la situation étant bien pire pour la 3G !

Concernant le haut débit, de très nombreuses personnes doivent se contenter d’une connexion internet à 512 Kbits par seconde, et ce résultat n’aurait même pas été possible sans l’action énergique du conseil général. En tout état de cause, ces personnes ne peuvent utiliser Internet dans de bonnes conditions. Pour elles, un accès internet à 2 Mbits, à 8 Mbits ou encore à l’internet à très haut débit relèvent plus du rêve que d’une réalité à portée.

Cette situation est très gênante pour les particuliers, mais également, et surtout, pour les entreprises, qui ont un besoin urgent de pouvoir utiliser ces nouvelles technologies.

Il faut reconnaître, cependant, que les collectivités territoriales ont souvent consenti de réels efforts afin de désenclaver numériquement les territoires. C’est le cas du département de la Meuse, qui a développé la technologie du WiMax, ce qui a permis d’améliorer la situation de nombreuses communes rurales. Toutefois, cette technologie a rapidement montré ses limites pour un usage au quotidien.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. C’est sûr !

M. Claude Léonard. Les collectivités territoriales sont également prêtes à s’engager en faveur du déploiement de la fibre optique, mais pas à n’importe quelles conditions. À l’heure actuelle, en effet, l’État favorise les opérateurs existants pour l’installation de la fibre dans les zones les plus rentables – environ 3 200 communes –, ce qui laissera aux collectivités territoriales la lourde charge de s’occuper des zones qui le sont moins.

Je citerai un exemple chiffré. Dans mon département, sur 500 communes, seules 16 seront concernées par la mise en place de la fibre optique par les opérateurs privés. Même si nos appartenances politiques sont différentes, monsieur Vall, les élus de la Meuse ont les mêmes préoccupations que ceux du Gers ! Cette opération représentera 27 500 foyers et 570 kilomètres de fibre à tirer pour un coût de 20 millions d’euros, soit en moyenne 700 euros par foyer.

Il resterait donc aux collectivités territoriales meusiennes 484 communes et 78 500 foyers à connecter, 4 200 kilomètres de fibre optique à poser, pour un coût de 170 millions d’euros, soit environ 2 200 euros par foyer. Si ce n’est pas une fracture…

Monsieur le secrétaire d’État, si on ne laisse pas la possibilité aux collectivités territoriales de s’occuper à la fois des zones rentables et de celles qui le sont moins, il leur sera impossible d’intervenir tant leurs finances sont déjà contraintes.

Si nous ne voulons pas aboutir à une France à deux vitesses dans le domaine technologique et si nous refusons de devoir attendre près d’un siècle avant que les territoires ruraux soient connectés au très haut débit, il faut prendre le taureau par les cornes.

Tout d’abord, il faut assurer une meilleure couverture en téléphonie mobile 3G dans les zones grises ou les zones blanches.

Ensuite, il faut mettre en place un droit au haut débit opposable, qui concerne tout naturellement les zones rurales.

Il faut également permettre aux collectivités territoriales qui le souhaitent d’installer la fibre optique dans tous les secteurs de leur département.

Il faut aussi mettre en œuvre un financement suffisant et pérenne du Fonds d’aménagement numérique des territoires, ce que l’adoption de la présente proposition de loi ne permettra malheureusement pas.

Enfin, il faut assigner un objectif prioritaire de couverture des territoires ruraux à la politique d’aménagement du territoire. En ce début de XXIsiècle, en effet, l’aménagement du territoire concerne non plus le seul désenclavement routier ou ferroviaire, mais également le désenclavement numérique.

J’ose espérer que ces mesures seront mises en œuvre dans les meilleurs délais. Si tel n’était pas le cas, ce serait non plus une fracture numérique, mais plutôt un véritable abîme qui séparerait les zones denses, disposant du meilleur en matière de nouvelles technologies de l’information et de la communication, et les zones rurales, définitivement reléguées en deuxième, voire en troisième division ! Ces territoires, dès lors, perdraient tout espoir d’attirer des entreprises qui ont désormais toutes besoins des nouvelles technologies. Quant aux particuliers, leur mécontentement serait à tous égards légitime.

Les entreprises de pointe ne sont pas toutes implantées dans les zones denses et urbaines. Elles travaillent également dans les territoires ruraux, certaines même pour la défense. Elles doivent pouvoir être connectées et joignables.

Mon département, si le Parlement en décide ainsi, accueillera bientôt un projet industriel de grande ampleur - il s’étalera sur un siècle -, je veux parler de Cigéo, qui concerne l’enfouissement de matières radioactives en couches géologiques profondes. Que penseront l’ANDRA, EDF, AREVA et le CEA, qui sont les quatre partenaires sur ce territoire, si demain ils n’ont pas accès, comme ils le font dans les zones denses, à la technologie de communication moderne ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’existence d’infrastructures de transport de qualité – routes, autoroutes, voies ferrées, aéroports – a longtemps été considérée comme le seul moyen efficace de désenclaver les territoires.

Le développement des technologies numériques a changé la donne en faisant apparaître que même les territoires bien desservis par les infrastructures de transport risquaient de connaître le déclin s’ils ne bénéficiaient pas aussi d’une bonne couverture numérique.

Or les projets actuels du Gouvernement en matière de déploiement de la fibre optique risquent d’engendrer une fracture entre les zones denses, très rentables pour les opérateurs privés, et les zones non denses, rurales notamment, où l’investissement sera laissé à la charge des collectivités.

M. Michel Teston. Le Programme national très haut débit, le PNTHD, mis en place en juin 2010 distingue trois types de zones : les zones très denses, où le déploiement sera laissé à l’initiative privée, sans aides publiques ; les zones moyennement denses, où les opérateurs privés pourront bénéficier de prêts et de garanties d’emprunt ; les zones peu denses où seul l’investissement public sera possible.

Ce plan favorise donc l’initiative privée, y compris dans les zones moyennement denses. Quant aux collectivités territoriales, elles sont cantonnées dans le déploiement des réseaux en zones rurales sans pouvoir opérer une péréquation territoriale. En effet, l’interprétation restrictive du PNTHD par le Gouvernement leur interdit de s’engager dans des projets intégrés associant dans un même déploiement des zones rentables et des zones non rentables.

Le modèle de déploiement choisi par le Gouvernement fait donc la part belle aux opérateurs privés, qui de surcroît ne sont pas engagés par leurs projets de déploiement et qui peuvent bloquer l’initiative des collectivités.

Enfin, les opérateurs privés ne contribuent nullement au financement du déploiement des réseaux dans les zones peu denses, alors que les instruments de financement public en zones très denses sont largement insuffisants.

Ce constat conduit à la conclusion qu’un autre modèle de déploiement est nécessaire à l’avenir, si l’on veut éviter une France à deux vitesses.

La proposition de loi de MM. Hervé Maurey et Philippe Leroy que nous examinons aujourd’hui n’a pas l’ambition de changer de modèle mais a simplement pour objet d’apporter un certain nombre d’améliorations à l’existant.

Au titre de ces aménagements, on peut citer le caractère obligatoire des schémas directeurs territoriaux et l’élargissement de leur spectre à toutes les technologies ; une meilleure couverture en téléphonie mobile ; la contractualisation des engagements des opérateurs ; le financement public national des projets intégrés des collectivités dans les zones non rentables ; un pouvoir de sanction reconnu à l’ARCEP en cas de non-respect des engagements pris par les opérateurs, ou encore la reconnaissance, dans le code des postes et des communications électroniques, du statut d’opérateur aux collectivités intervenant dans le cadre de réseaux d’initiative publique.

D’autres améliorations du modèle actuel de déploiement découlent de l’adoption d’amendements en commission, tout particulièrement sur l’initiative du groupe socialiste. Il en va notamment ainsi de l’affirmation du principe selon lequel l’aménagement numérique du territoire relève de l’intérêt général, ou encore de l’édiction de mesures favorisant la complétude des réseaux de boucle locale.

Monsieur le secrétaire d’État, nous avons considéré que, dans une réelle logique d’aménagement du territoire, le financement du FANT relevait avant tout de la compétence de l’État. Nous sommes donc opposés à l’instauration de taxes pour alimenter ledit fonds.

En outre, nous avons voté l’amendement rectifié de M. le rapporteur permettant d’alimenter le FANT par le produit des sanctions financières prononcées par l’ARCEP à l’encontre des opérateurs qui ne respectent pas leurs engagements.

Au cours des débats, nous défendrons un certain nombre d’amendements, dont les plus significatifs visent à obtenir la garantie que les opérateurs assureront bien la complétude de leur réseau de desserte en aval du point de mutualisation, ou encore à inscrire dans la loi que l’insuffisance de souscriptions à l’issue de la procédure d’appel à cofinancements a priori sur les réseaux en fibre jusqu’à l’abonné permet également de constater l’insuffisance d’initiatives privées. (M. Yves Rome acquiesce.)

Enfin, j’ajouterai un mot sur l’article 13 bis, qui prévoit la remise d’un rapport au Parlement sur les conséquences d’une séparation entre les activités de gestion du réseau et les activités de fourniture du service de la boucle locale cuivre.

Dans mon esprit, et tout mon engagement au Sénat en témoigne, ainsi que dans l’esprit de mes collègues du groupe socialiste, il ne s’agit en aucun cas de demander la séparation des activités de l’opérateur historique. Il s’agit simplement d’en connaître les conséquences, si la Commission européenne venait à s’orienter dans ce sens, ce qui n’est pas impossible.

M. Yves Rome. Tout à fait !

M. Michel Teston. À l’évidence, notre légitime préoccupation n’a pas été très bien comprise : nous avons donc déposé un amendement de suppression de cet article.

En conclusion, dans l’attente de la mise au point d’un autre modèle de déploiement, et il est absolument nécessaire, il convient de ne pas bloquer l’extension de la couverture en matière de très haut débit et d’améliorer le mode actuel. Tel est l’objet du débat que cette proposition de loi a rendu possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)