M. Benoist Apparu, ministre. Votre projet est plus ambitieux que celui de François Hollande !

M. Thierry Repentin, rapporteur. Plusieurs raisons justifient le choix de cette mesure.

En premier lieu, c’est une mesure simple et rapide. Nul besoin de demander aux 17 300 communes dotées d’un PLU ou d’un plan d’occupation des sols, un POS, de délibérer. Nul besoin de modifier des documents d’urbanisme complexes, au risque de provoquer un contentieux abondant.

En deuxième lieu, c’est une mesure qui souligne clairement la différence de philosophie – elle existe – entre l’opposition et la majorité gouvernementale sur la question du logement. Le Gouvernement explique l’insuffisance de l’offre de logements par des réglementations locales malthusiennes. À partir de ce diagnostic, il avance une solution très libérale : s’affranchir des règles de constructibilité pour « libérer » les droits à construire ; moins d’État, moins de règles et, miraculeusement, les choses iraient mieux !

La mesure que nous proposons traduit une autre vision de l’État : un État qui s’engage, qui n’est pas là pour tout faire, certes, mais qui répond présent pour impulser, donner l’exemple et accomplir sa part du travail. En effet, l’État ne peut pas, d’un côté, constater le manque de foncier pour construire du logement, et, de l’autre, se contenter de se tourner vers les communes en les mettant en demeure d’appliquer strictement la proposition du Gouvernement.

C’est dans ce cadre, monsieur le ministre, que s’ouvre le débat sur ce projet de loi. J’espère que la Haute Assemblée, dans sa sagesse, légendaire mais bien réelle, adoptera le texte issu des travaux de la commission de l'économie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme elle le fait pour tous les textes relatifs au droit de l’urbanisme dont l’examen au fond revient à la commission de l’économie, la commission des lois s’est saisie pour avis de ce projet de loi relatif à la majoration des droits à construire.

Si le constat d’une pénurie de logements en France est amplement partagé, la réponse de circonstance que le Gouvernement souhaite apporter à ce problème n’est pas à la hauteur des enjeux.

Force est de constater que, lors de toutes les auditions auxquelles Thierry Repentin et votre serviteur ont procédé, les acteurs du secteur de la construction et de l’urbanisme ont fait preuve d’un véritable scepticisme, et même, pour certains d’entre eux, ont exprimé leur rejet de la proposition du Gouvernement. Quant aux élus locaux et leurs associations, ils n’ont pas été consultés avant l’annonce du chef de l’État ; autant dire que les élus du terrain ne souhaitent pas la mise en œuvre de cette réforme à l’élaboration de laquelle le Gouvernement ne les a pas associés. Tous ont souligné, lors des auditions, l’absence de concertation préalable, le caractère improvisé de la mesure et, surtout, sa déconnexion des réalités locales.

La mesure principale du projet de loi est la majoration de 30 % des droits à construire résultant des règles de gabarit, de hauteur, d’emprise au sol ou de coefficient d’occupation des sols, fixés par les PLU.

Cette hausse généralisée des droits à construire prend deux voies. D’une part, le projet de loi prévoit une modification de l’actuel article L. 123-1-11 du code de l’urbanisme, qui a été introduit – cela vient d’être rappelé – par la loi MOLLE de 2009 et qui permet déjà aux autorités locales de décider une majoration pouvant aller jusqu’à 20 % ; ce taux maximal serait porté à 30 %. D'autre part, le projet de loi prévoit d’insérer un nouvel article L. 1231-11-1 dans le même code, qui imposerait une majoration automatique de 30 % des droits à construire sur l’ensemble du territoire national pendant trois ans, sauf délibération contraire de l’autorité locale compétente, commune ou EPCI. Ces deux majorations ne pourraient pas se cumuler puisque, en tout état de cause, l’ensemble des majorations existantes et à venir resteraient limitées à un plafond de 50 %.

Pour respecter la Charte de l’environnement de 2004, et plus précisément son article 7, qui dispose que la population a le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, le projet de loi prévoit une consultation du public, qui consistera essentiellement à recueillir les observations de la population pendant un mois.

Lors de l’examen en commission de ce texte à l’Assemblée nationale, les députés, qui ont bien perçu le coût important que cette procédure risque d’entraîner pour les collectivités territoriales, ont remplacé l’obligation de réaliser une étude d’impact par celle de rédiger une simple note d’information.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement visant à lever une autre ambiguïté rédactionnelle. En effet, dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait que l’assemblée délibérante statuerait « au vu des résultats » de la consultation du public, ce qui pouvait laisser penser que l’organe délibérant devait se conformer à l’avis de la population. Il est désormais précisé que l’organe délibérant se prononcera « à l’issue » de la consultation.

Vous l’aurez compris, la commission des lois ne partage pas l’enthousiasme du Gouvernement quant à l’utilité de ce projet de loi. La situation du logement est pourtant préoccupante : selon la Fondation Abbé Pierre, 3,6 millions de personnes sont sans logement ou mal-logées en France, soit plus de 5 % de nos concitoyens !

On estime que, pour faire face à cette pénurie, il faudrait construire 400 000 à 500 000 logements par an pendant dix ans.

M. Benoist Apparu, ministre. C’est pour cela que nous en avons construit 425 000 en 2011 !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Je vais tenter de vous montrer que les deux postulats qui sous-tendent ce projet de loi sont erronés et que ce texte est même contraire aux objectifs visés par le Gouvernement.

Le premier postulat, chacun l’a en tête, est que la contrainte réglementaire que font peser les PLU limiterait l’offre privée de logements. Le Gouvernement espère donc que la majoration des droits à construire peut libérer un potentiel inexploité, cette mesure ayant en outre l’avantage de n’entraîner aucune dépense supplémentaire pour l’État.

Qui plus est, selon le Gouvernement – M. le ministre l’a confirmé lors de son audition –, l’impact inflationniste de cette mesure sur les prix du foncier serait compensé par l’augmentation du nombre de logements construits, si bien que les prix de vente des logements demeureraient inchangés. Le Gouvernement a même évoqué un effet modérateur sur l’évolution des prix.

Nous estimons que ce raisonnement est biaisé : même en admettant qu’aucun acteur de la chaîne ne conservera la plus-value acquise, ce qui serait étonnant, rien ne permet d’espérer que s’enclenchera un tel mécanisme vertueux, la majoration n’étant assortie d’aucune condition.

Nous risquons d’assister au contraire à une augmentation du prix des logements, non seulement parce que le foncier conserve, notamment en Île-de-France, un poids déterminant dans le prix des habitations, mais aussi, comme l’a souligné Thierry Repentin, parce que plus les constructions sont denses, plus le coût de la construction augmente de façon exponentielle. C’est donc assez inexactement que l’étude d’impact jointe au projet de loi cite, parmi les effets attendus de la majoration, une « modération des prix du foncier ».

Je tiens également à souligner, monsieur le ministre, que le nombre de logements – l’ensemble des associations de constructeurs nous l’ont dit – est limité bien moins par les PLU que par le pouvoir d’achat des ménages. La prétendue – car je la nie – saturation des droits à construire qui briderait le marché de la construction ne se rencontre que rarement ; en revanche, le décalage de plus en plus évident entre la stagnation des revenus et la flambée des prix immobiliers constitue le quotidien de beaucoup de territoires et de nombreux ménages.

Le second postulat, tout aussi discutable, sur lequel repose le projet de loi, est que le problème du logement appellerait une solution unique sur l’ensemble du territoire national, qui devrait venir d’en haut et être imposée aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

Mes chers collègues, votre commission des lois étant attachée à l’autonomie locale et à la préservation de l’esprit de la décentralisation, elle ne peut admettre un tel postulat.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Je rappelle que les règles d’urbanisme contenues dans les PLU constituent l’expression d’un équilibre politique au niveau communal ou intercommunal et, surtout, sont le résultat d’un travail de contextualisation d’un projet urbain à l’échelle locale, qui permet d’adapter la densité aux besoins de la population et aux contraintes de la collectivité. Pourquoi remettre autoritairement en cause ce travail de longue haleine ?

De fait, c’est bien le caractère autoritaire du dispositif qui le distingue des mécanismes de majoration des droits à construire préexistants. Ceux-ci, au nombre de trois, sont exempts d’autoritarisme, puisqu’ils relèvent des autorités locales ; ils sont modulables, pour tenir compte du contexte urbain ; enfin, ils sont assortis d’un minimum de conditions d’intérêt général – je pense notamment à la construction de logements sociaux ou à la performance énergétique des logements.

Autre désavantage pour les élus locaux : le projet de loi constitue – ce point a été relevé par toutes les commissions – un véritable nid à contentieux. Fort habilement – qui peut en douter ? –, M. le ministre affirme que la note d’information pourra aisément être rédigée par les services municipaux ou intercommunaux, et que, de toute manière, elle ne pourra pas être directement attaquée en justice puisqu’elle ne fait pas grief. En réalité, si la note d’information ne sera effectivement pas attaquée, la délibération prise au vu de ce document le sera, et les insuffisances de la note pourront alors conduire à l’annulation de la procédure.

Je voudrais vraiment mettre les choses au clair. Le Gouvernement prétend que cette note d’information pourra être courte et ne consister qu’en une simple et rapide évaluation des conséquences de la majoration de 30 % pour la réalisation des objectifs des documents locaux d’urbanisme.

Cependant, ces objectifs, énumérés à l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, sont si nombreux que, dans la dernière édition de ce code, ils occupent une page entière. L’obligation de présenter une note d’information emporte donc un risque réel de contentieux, les délibérations de l’assemblée locale pouvant faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

M. Pierre Jarlier. Bien sûr !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. En tout état de cause, les collectivités territoriales doivent s’attendre à des coûts supplémentaires, puisqu’elles seront obligées, pour se prémunir contre le risque de contentieux, de recourir à des bureaux d’études.

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Dans un second temps de mon intervention, je voudrais montrer que ce texte est également en contradiction avec les objectifs affichés par le Gouvernement.

Il va tout d’abord à l’encontre – c’est un constat, même si je ne pense pas que ce soit prémédité – de la volonté de démocratiser et de faciliter l’accès au logement pour les plus démunis.

M. Benoist Apparu, ministre. Pourquoi ?

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Je vais vous l’expliquer, monsieur le ministre.

Aujourd’hui, le code de l’urbanisme permet la majoration des droits à construire pour le logement social et les logements à haute performance énergétique, en vertu des dispositions résultant de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, ou loi MOLLE. Mais cela ne sera plus possible.

Si, par extraordinaire, le nouveau système que vous proposez était adopté, on pourrait atteindre le plafond de 50 % sans avoir de logements sociaux, simplement en cumulant la majoration inconditionnelle de 30 % que vous établissez de manière non modulable et la majoration pour logements à haute performance énergétique. Cela risque d’aller à l’encontre de la priorité donnée aux logements sociaux ou très sociaux, dont la production est insuffisante en France, comme le dénonçait encore récemment la Fondation Abbé Pierre.

La première contradiction est donc un effet d’éviction, voulu ou non – personnellement, je présume l’innocence –, du logement social. Et le risque est ici réel.

La deuxième contradiction a déjà été évoquée, mais j’y reviendrai. La loi dite « Grenelle II » a tout de même constitué un progrès et, quoi qu’on en dise, elle a permis de mettre en place le seul échelon cohérent pour construire un projet urbain à échelle intercommunale, dont la traduction est le plan local d’urbanisme, avec une compétence relevant des communes et une possibilité de délégation – c’est vrai dans les grandes agglomérations – à un établissement public de coopération intercommunale.

Or, pour la première fois, en contradiction avec les principes de la décentralisation territoriale, une compétence déléguée, en l’occurrence la mise en œuvre de la planification urbaine, les plans locaux d’urbanisme, peut être démentie par une sorte de droit de veto exercé par une commune membre de l’EPCI.

Je vais vous raconter une anecdote à ce propos. Quand j’ai expliqué cela, les grands sages de la commission des lois, tels que M. Hyest ou d’autres, m’ont d’abord dit que ce n’était pas vrai. Toutefois, la lecture à haute voix de l’article correspondant l’a confirmé : ce texte porte en germe une contradiction assez frontale, susceptible de démanteler les cohérences territoriales des plans locaux d’urbanisme ou des programmes locaux de l’habitat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument, il en démantèle toutes les logiques !

M. Benoist Apparu, ministre. Il ne sert à rien ou il démantèle ? C’est l’un ou l’autre !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Sur ce point, votre commission s’est montrée très critique.

Enfin, monsieur le ministre, par rapport aux majorations des droits à construire qui préexistaient, que n’avez-vous profité de ce texte pour assortir la majoration d’un certain nombre de conditions d’intérêt général ?

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. On ne les voit pas !

M. Benoist Apparu, ministre. Le logement social est d’intérêt général !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. J’attire votre attention sur deux risques.

À supposer que la majoration de 30 % soit généralisée, on ne trouve pas, dans le texte, un mot sur les conséquences de cette mesure sur le financement des équipements,...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Eh voilà !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. ... des voiries, des réseaux divers, pas un mot non plus sur les conditions nécessairement changées de la maîtrise foncière ou, si vous préférez, sur les conditions d’exercice du droit de préemption urbain.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est parce que c’est un texte improvisé !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Vous constaterez nécessairement une majoration automatique ! C’est déjà le cas dans la métropole lilloise, où les propriétaires se disent que, d’un coup d’un seul, tout va être majoré de 30 %. Ensuite, la collectivité locale qui voudra exercer le droit de préemption urbain dans un objectif d’intérêt général devra grimper aux rideaux...

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. ... et suivre le propriétaire dans ses velléités de vendre son bien à une valeur « de constructibilité future ».

En effet, dans le texte que nous examinons ce soir, à aucun moment il n’est prévu une condition d’intérêt général à la majoration des droits à construire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Monsieur le ministre, on a bien vu dans quelles conditions vous avez dû, avec le talent qui vous caractérise, reprendre l’annonce du Président de la République.

M. Benoist Apparu, ministre. C’est moi qui l’ai proposé !

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Quoi qu’il en soit, je vois pour ma part dans ce texte le cheval de Troie d’une réaction de méfiance, de recentralisation, d’urbanisme jacobin, au détriment de tous les acquis de la décentralisation en matière territoriale et d’un urbanisme de projet ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Roland Courteau. Très bien dit !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Charles Guené.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la majoration des droits à construire.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire ne saurait constituer à nos yeux une déclaration recevable d’achèvement des travaux de la session législative. (Sourires.)

S’il est un sujet sensible pour les collectivités locales du bloc communal, c’est bien celui de l’urbanisme, du droit des sols, des permis de construire.

Comment le Gouvernement peut-il justifier l’absence de toute réelle concertation avec les associations d’élus locaux, lesquelles ont d’ailleurs clairement fait savoir, en l’état, leur opposition à ce projet de loi ?

M. Benoist Apparu, ministre. Ce n’est pas vrai !

M. Jacques Mézard. Ce projet de loi est la dernière cerise sur le gâteau indigeste des textes pré-élection présidentielle. Il constitue très clairement une mauvaise réponse à un véritable problème, celui du logement en France.

Certes, il n’est jamais trop tard pour bien faire !

M. Martial Bourquin. Il n’est jamais trop tard pour ne rien faire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jacques Mézard. Toutefois, après les cinq années nécessaires pour parvenir à ce diagnostic tardif, nous étions au moins en droit d’espérer un projet permettant d’apporter un réel progrès sur le dossier du logement. Tel n’est pas le cas.

Il est vrai qu’il est plus facile de déposer un projet de loi visant à majorer les droits à construire que de faire appliquer par les communes réfractaires les dispositions de la loi SRU concernant le pourcentage de logements sociaux.

Le vrai problème, c’est la situation des 3,6 millions de personnes non ou mal logées. Ainsi 600 000 Français sont-ils privés de domicile personnel, plus de 2,5 millions de nos concitoyens vivent dans des logements inconfortables ou surpeuplés, plus de 1,2 million de locataires se trouvent en situation d’impayés de loyers et nombre de propriétaires occupent un logement dans une copropriété en difficulté. En outre, 3,8 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique.

Élus locaux, nous savons tous cela. Il n’est pas une agglomération où la question de la demande de logement social ne se pose pas, y compris, monsieur le ministre, dans les zones que vous avez qualifiées de « détendues ».

Les dix dernières années ont été caractérisées par une flambée des prix et des loyers. Les prix d’acquisition des logements anciens ont plus que doublé, voire triplé, dans certaines communes. Le niveau des loyers moyens dans le parc privé a, pour sa part, progressé de 50 %. Le taux d’effort des ménages en locatif après déduction de l’APL, l’aide personnalisée au logement, frôle les 50 % dans le parc privé et dépasse les 25 % dans le parc social.

Constatons aussi que, dans le domaine de l’accession à la propriété, la rareté du foncier, des taux d’intérêt faibles et une fiscalité de niches ont alimenté la demande.

Comme l’emploi, la santé et l’éducation, le logement constitue une préoccupation fondamentale et légitime de nos concitoyens. Ce que l’on peut qualifier de grande cause nationale mérite mieux que ce projet de loi tardif révélant surtout, de notre point de vue, l’échec d’une politique.

Le rapport public annuel de la Cour des comptes de février 2012, dont je vous recommande la lecture, mes chers collègues – mais je sais que vous êtes nombreux à l’avoir lu ! –, est on ne peut plus clair. Concernant le financement du logement social, il y est relevé que « le contexte des finances publiques a conduit en 2011 et pour 2012 à prévoir une sensible réduction de cet effort budgétaire. »

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. C’est un euphémisme !

M. Jacques Mézard. Par ailleurs, la Cour des comptes fustige la politique menée en faveur du recentrage des priorités en matière de logement social, considérant que celle-ci a été « conduite de manière paradoxale, par référence non au zonage conçu spécifiquement pour les logements sociaux, mais à une cartographie du territoire dessinée pour les aides à l’investissement locatif privé ».

Elle ajoute : « La politique de concentration des financements sur les zones les plus tendues, mise en œuvre de façon effective depuis 2010, s’appuie ainsi sur des instruments inadaptés, parfois même contre-productifs, et ses résultats sont, à ce jour, modestes. »

Au lieu de tirer la substantifique moelle de ce rapport de la Cour des comptes, vous avez préféré rebondir avec ce projet de loi relatif à la majoration des droits à construire.

Monsieur le ministre, comment oublier que vous avez mis en place une mesure conduisant à ponctionner financièrement nombre d’organismes HLM publics et privés, ce qui met en péril leur capacité d’autofinancement, donc de construction de logements sociaux.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et de rénovation !

M. Jacques Mézard. Dans le département dont je suis l’élu, deux organismes – l’un est public, l’autre est une société anonyme –, sont ainsi ponctionnés de 2 millions d’euros. Et je vois là-haut, sur les travées de l’UMP, un autre responsable de cette situation ! (Sourires.)

M. Philippe Dallier. Elle est bien bonne celle-là !

M. Jacques Mézard. Ce projet de loi témoigne tout d’abord d’un profond mépris pour les collectivités locales, qui, pour la plupart d’entre elles, définissent leurs orientations en matière d’urbanisme et de logement par les POS, les PLU, les PLH, et les SCOT.

Non seulement vous passez outre leurs orientations et paraissez oublier qu’il existe déjà des dispositifs de majoration des droits à construire, mais, alors même que vous prônez à juste titre la simplification du droit et l’allégement des normes, vous infligez à nos collectivités la charge d’une nouvelle usine à gaz par l’obligation, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, de mettre à la disposition du public une note d’information présentant les conséquences de l’application de la majoration de 30 % des droits à construire, avec note de synthèse sur les observations, publication dans les conditions prévues en ce qui concerne la modification des règles d’urbanisme et présentation à l’organe délibérant.

C’est la simplification par la complexification et la multiplication des recours préservant les intérêts particuliers, sans parler des chantages au recours, déjà observés dans certaines de nos métropoles, alors même que nous avons tous, y compris, très certainement, le Gouvernement, la volonté de mettre fin à de telles pratiques !

Comment, d’autre part, imaginer qu’une telle augmentation, aussi soudaine, de 30 % des droits à construire n’aurait pas d’effet sur la valeur du foncier, en particulier dans les zones où le terrain nu est déjà très cher, trop cher ?

L’effet de hausse du foncier sera inéluctable. En la matière, seule la fiscalité foncière peut accélérer la mise sur le marché de terrains constructibles.

M. Benoist Apparu, ministre. Tout à fait d’accord !

M. Jacques Mézard. C’est aussi parfois le cas du recours à l’expropriation, pour laquelle, depuis fort longtemps, l’utilisation obligatoire en parallèle d’une procédure administrative pour obtenir la DUP, la déclaration d’utilité publique, et d’une procédure judiciaire pour obtenir l’ordonnance d’expropriation valant transfert de propriété ainsi que, le cas échéant, le jugement sur le prix constituent des mécanismes lents et complexes qui mériteraient d’être simplifiés. À tout le moins, le recours à la procédure d’urgence devrait être facilité. (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve.)

Comment, par ailleurs, ne pas rester perplexe devant une mécanique s’imposant, sauf délibération contraire, à une grande partie de nos collectivités, alors que vous-même, monsieur le ministre, avez signalé les distorsions considérables qui existent entre les territoires ?

Comment oublier aussi que chaque permis de construire est délivré sans préjudice des droits des tiers, et que, ainsi, sur le bâti existant, cette augmentation aveugle de droits à construire risque de se faire souvent en contradiction absolue non seulement avec les règlements de lotissement et de copropriété horizontale et verticale, mais aussi, et surtout, avec les servitudes de droit privé découlant de l’application stricte du code civil ?

M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis. Très juste !

M. Jacques Mézard. Je note que vous avez heureusement exclu du dispositif les zones exposées au bruit et les secteurs sauvegardés.

Vous n’avez pas prévu de modifier les règles édictées par l’une des servitudes d’utilité publique prévues à l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme, alors que, dans certains cas – je pense, par exemple, aux ZPPAUP, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager –, il serait opportun de pouvoir modifier ces dispositifs beaucoup plus facilement et rapidement.

Monsieur le ministre, comment concevez-vous l’intercommunalité, comment avoir une vision prospective du territoire lorsque le III de l’article unique du projet de loi initial dispose que « les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme peuvent décider d’appliquer [la majoration de droits à construire], nonobstant toute délibération contraire de l’établissement public, ou d’écarter cette application » ?

Par cette mesure, vous introduisez volontairement des éléments de conflit dans la gestion intercommunale. C’est, une fois de plus, une illustration de votre politique de rupture.

Alors que, globalement, un consensus existe sur la nécessité d’aller, en matière d’urbanisme et de logement, vers la densification, du niveau des métropoles à celui des bourgs centres de nos communes rurales, pour permettre, en particulier, une meilleure gestion du développement durable et des services au public, en matière d’eau, d’assainissement, de déchets, de politique des transports, d’énergie, votre projet ne résout rien, bien au contraire.

Oui, ce que nous attendons, c’est un engagement fort de l’État pour faire du logement une priorité, avec un accroissement fort du budget des aides à la pierre, l’augmentation du plafond du livret A, les incitations, y compris par les pénalités, en direction des communes qui renâclent à développer le logement social.