M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors qu’il s’agit, dans ce débat, de faire un état des lieux de l’application de la loi de 2009, la tonalité de mon intervention sera légèrement différente. Je reprendrai en effet un certain nombre de faits que nous avons connus lors de la dernière campagne présidentielle, qui a révélé un véritable déséquilibre dans l’expression des médias, avec des comportements souvent incompatibles avec une démocratie pluraliste.

La liberté des médias a pour corollaire le respect du pluralisme au sens de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. De nombreux articles parus dans la presse étrangère ont dénoncé, par rapport à ce texte, de véritables caricatures et certaines comparaisons, madame la ministre, ne furent guère flatteuses pour la République française.

Le Conseil constitutionnel lui-même a réaffirmé à plusieurs reprises la nécessité du pluralisme, des supports comme des expressions, afin que les auditeurs et les téléspectateurs puissent, notamment, exercer « leur libre choix ».

À vrai dire, si les différentes lois de 1986 sur la presse et la liberté de communication s’efforçaient d’organiser le pluralisme, nous sommes obligés de constater aujourd’hui qu’elles sont largement contournées et dépassées, et qu’elles ne permettent plus vraiment « une libre communication des pensées et des opinions ». Au contraire, elles coproduisent un véritable asservissement au seul corpus idéologique du « politiquement correct ».

Cette tendance, pesante au quotidien, devient insupportable en période électorale et connaît des accélérations suspectes pour peser à des moments clefs où se forgent les opinions.

Ces phénomènes ont indiscutablement aidé les favoris des élections présidentielles de 2007 comme de 2012, avec, pour ces dernières, une indécence caricaturale. Ce syndrome médiatique du « favori des médias » s’explique partiellement par la sensibilité des rédactions, majoritairement de gauche, mais, plus encore, par le jeu des groupes propriétaires des entreprises médiatiques, dont beaucoup prospèrent dans les contrats et commandes publiques. Ces relations économiques stratégiques, pour nombre de ces entreprises, n’inclinent pas à l’indépendance, mais plutôt à l’anticipation de la victoire.

C’est ce que nous venons de vivre, et c’est ce qu’il conviendrait de réformer.

À vrai dire, mes chers collègues, il existe sur ce sujet un large consensus entre nous, illustré par plusieurs propositions de loi : celle de M. Ayrault, cosignée par Mme la ministre, celle du groupe socialiste au Sénat, celle de M. Lagarde et du groupe centriste à l’Assemblée nationale et, enfin, présentement, celle du groupe UMP au Sénat. Ce consensus devrait nous permettre de légiférer utilement et rapidement, car il ouvrirait « la possibilité à de véritables entreprises de médias d’investir dans le secteur sans être concurrencées par des conglomérats industriels cherchant uniquement à contrôler des vecteurs d’information au service de leur propre communication ».

On peut, sur ce point, observer que nombre des titres de la presse écrite régionale et nationale n’ont pu, ces dernières années, construire de véritables entreprises de médias, alors qu’il s’agit de leur cœur de métier.

Pour le pluralisme, les attributions récentes de canaux de télévision numérique terrestre ont surtout défrayé la chronique, un groupe s’étant notamment offert une plus-value de plusieurs centaines de millions d’euros en cédant ses deux licences à Canal+, filiale de Vivendi, trois ans après les avoir obtenues, ce qui lui a permis de s’installer comme un actionnaire de référence de ce groupe.

À vrai dire, mis devant le fait accompli, le CSA a entériné, faute de moyens suffisants pour faire respecter ses propres règles.

Les entreprises éditrices de la presse écrite sont, elles, soumises à des règles de transparence de leur actionnariat et à une charte interne régissant les rapports avec les rédactions, qu’il serait urgent d’étendre aux groupes de médias des radios et télévisions. En effet, ceux-ci, quotidiennement impliqués dans la communication commerciale de masse, ont un pouvoir de « bourrage de crâne » qui peut éventuellement contribuer avec la même efficacité au « bourrage des urnes », d’autant qu’ils n’hésitent pas à pratiquer la publicité comparative illustrée par le récent « tout sauf Sarkozy », comme ils vendent le « tout sans OGM », deux mentions aussi erronées l’une que l’autre.

Plus insidieusement, le paysage audiovisuel des six derniers mois, avant le premier tour de l’élection présidentielle, a vu également défiler, dans les émissions les plus disparates, une cohorte de savants, sociologues, experts, chercheurs, psychologues, environnementalistes, jusqu’aux podologues, qui expliquaient fort doctement que leur dernière éruption de boutons ne pouvait se comprendre que dans un anti-sarkozysme tout aussi éruptif, créant ainsi un climat de méfiance, si ce n’est d’hostilité généralisée envers un candidat !

M. Jacques Chiron. Quel est le sujet, au juste ?

Mme Catherine Génisson. Oui, le sujet ?

M. Francis Delattre. Il me semble que nous sommes réunis aujourd’hui pour dresser un état des lieux, et que l’on peut librement s’expliquer. Je comprends toutefois que cela puisse vous déranger… (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

Vous devriez d’ailleurs relire vos propres propositions. Ainsi, à travers votre proposition de loi, monsieur Assouline, vous souhaitiez que, en application de la nouvelle rédaction de l’article 34 de notre Constitution, le législateur mette la République à l’abri de ces contingences en redéfinissant les règles susceptibles de garantir l’honnêteté de l’information, l’effectivité des pratiques du pluralisme et de l’indépendance des médias, d’une part, en donnant de véritables pouvoirs de contrôle et d’investigations à la Haute Autorité, d’autre part, en limitant strictement les participations financières des groupes, acteurs réguliers de la commande publique, au capital des sociétés de radio et télévision, pour quasiment vous citer, monsieur Assouline.

Nos propositions de loi, sur toutes les travées, convergent. Permettez-moi, madame la ministre, de faire en sorte que, lors de nos prochains débats, ces véritables sujets pour notre démocratie puissent être évoqués sereinement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Ce n’est pas gentil pour MM. Hersant, Bouygues et tous les autres !

M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent.

M. Maurice Vincent. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous sommes ici pour débattre des résultats de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, trois ans après son adoption.

Cette loi fixait plusieurs objectifs qui ont été abondamment commentés.

Le premier objectif était de réduire la dictature de l’audimat. Ce soir, quelle que soit notre appartenance politique, nous avons tous constaté que cet objectif n’avait pas été atteint.

Le deuxième objectif était de transposer deux directives européennes dans le droit français, l’une sur les médias audiovisuels, l’autre sur la télévision sans frontières. Sur ce point, tout le monde s’est accordé pour dire que la loi avait été utile et qu’elle avait consacré une modernisation du droit français.

Le troisième objectif était de refondre le modèle économique de financement du service public, en supprimant la publicité après 20 heures. Deux conséquences de cette mesure apparaissent aujourd’hui clairement, de mon point de vue. D’abord, et cela n’a peut-être pas été suffisamment souligné, cette suppression s’est en effet traduite par un accroissement important des ressources financières du secteur privé, à laquelle fait écho une sorte de précarité financière de l’audiovisuel public.

En effet, le financement de la réforme a été marqué par la création de deux nouvelles taxes, qui ont été largement explicitées, et qui sont pour moi marquées du sceau de l’amateurisme et de la confusion.

Amateurisme pour la première taxe, sur les recettes publicitaires des opérateurs privés, qui devait susciter une ressource de 450 millions d’euros, mais qui en a rapporté à peine un peu plus de la moitié.

Confusion pour la seconde de ces taxes, assise sur le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie, qui s’est révélée plus rentable, mais qui fait l’objet d’une grave contestation de la part de la Commission européenne. Comme cela a été souligné, le risque est aujourd’hui important pour notre pays de devoir rembourser ces sommes.

Le gouvernement actuel se trouve donc aujourd’hui contraint de faire face à ces engagements très importants. Il devra peut-être provisionner des sommes, et en tout cas trouver de nouvelles ressources stables pour l’audiovisuel public.

Un quatrième objectif était de changer de mode de nomination des présidents de sociétés de l’audiovisuel public. Chacun a pu donner son avis sur la question. Quant à moi, je constate que cet objectif a conduit à une intrusion beaucoup plus directe que par le passé du pouvoir politique dans les choix des responsables.

La loi avait un cinquième objectif, la fusion des différentes sociétés de France Télévisions ; elle a été à peine engagée, conduite très partiellement avec une méthode et une approche qui produisent – chacun le voit – une lourde inquiétude pour les agents des sociétés concernées.

Le gouvernement actuel hérite donc d’un dossier particulièrement difficile, doté d’une sorte de bombe à retardement financière dans le contexte général très difficile des finances publiques de notre pays. C’est à lui qu’il reviendra de remettre en place un système de financement stable pour notre audiovisuel public.

À cet instant – et pour me tourner rapidement vers l’avenir –, je voudrais souligner une des dimensions particulières de notre système audiovisuel public : sa relation avec nos territoires. Il existe, je le rappelle, un fort attachement des populations, dans toutes les régions de France, à une information liée à leurs territoires et pluraliste. Cet attachement est d’autant plus important que la mondialisation de l’information se développe.

L’une des spécificités du service public est justement qu’il est très implanté sur le territoire à un moment où, dans le contexte que nous connaissons, à l’inverse, la presse quotidienne régionale est souvent réduite à un seul titre et où les quotidiens gratuits diffusés dans les villes ne donnent souvent que des informations minimalistes.

Enfin, les radios commerciales, qui sont nombreuses, restent essentiellement axées sur le divertissement.

Pour ces raisons, la présence d’un service public puissant et diversifié me semble importante, madame la ministre, qu’il s’agisse de la télévision publique ou de Radio France, une radio dont chacun constate et apprécie aujourd’hui la grande qualité.

Je voudrais souligner, en terminant, qu’il me paraît important de réfléchir à une organisation de notre secteur audiovisuel public qui garantisse pleinement les capacités des chaînes à remplir ces missions, particulièrement sur l’ensemble des territoires, ce qui ne doit pas être incompatible, me semble-t-il, avec une bonne gestion des deniers publics et la recherche d’une réelle maîtrise des équilibres budgétaires.

Tel est, de mon point de vue, l’un des enjeux majeurs de la période à venir et je vous souhaite, madame la ministre, compte tenu de la situation, bon courage pour aller au bout de cette lourde tâche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir de l’organisation de ce débat, qui entre pleinement dans la mission de contrôle du Parlement à laquelle nous sommes, nous centristes, très attachés.

Il fait utilement suite au débat organisé en mai 2010, sur notre initiative, un an après la promulgation de la loi du 5 mars 2009.

Si, lors de l’examen du projet de loi, j’avais, en tant que porte-parole du groupe de l’Union centriste, souligné les apports positifs de ce texte, sur lesquels je ne redeviendrai pas ce soir par manque de temps, j’avais également insisté, sans complaisance aucune, sur le point faible de la réforme : le financement de l’audiovisuel public.

C’est ce sujet que je souhaite évoquer aujourd'hui.

Force est en effet de constater que nos inquiétudes étaient fondées.

Nous avions à l’époque souligné que la suppression de la publicité à la télévision privant France Télévisions de 450 millions d’euros était certes une idée sympathique, mais totalement inadaptée à la situation économique.

M. François Rebsamen. C’est vrai !

M. Hervé Maurey. La création d’une taxe sur les fournisseurs d’accès à internet et d’une taxe sur la publicité devait compenser cette perte de recettes.

J’avais souligné le caractère inapproprié de ces taxes et regretté, concernant la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet, que l’on n’ait pas imposé aux opérateurs des obligations en termes d’aménagement numérique des territoires plutôt que de les taxer d’une manière aussi inadaptée.

M. François Rebsamen. C’est vrai, mais il ne fallait pas voter !

M. Hervé Maurey. Si, sur l’absurdité de ces taxes, le gouvernement et la majorité de l’époque ne nous avaient pas entendus, nous avions, en revanche, obtenu gain de cause, contre l’avis de l’Assemblée nationale, sur la revalorisation de 2 euros hors indexation de la redevance rebaptisée, sur l’initiative de notre rapporteur Catherine Morin-Desailly, « contribution à l’audiovisuel public ».

Nous avions également proposé, comme vous, madame la ministre, d’élargir l’assiette de la contribution aux terminaux susceptibles de recevoir la télévision et aux propriétaires de résidences secondaires dans la limite d’une fois et demie le montant de la redevance.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Censée rapporter à l’origine 94 millions d’euros, la taxe sur la publicité, dont le taux initial de 3 % a été ramené à 1,5 % par la loi puis à 0,5 % par la loi de finances pour 2011, rapporte non pas les 94 millions d’euros annoncés, mais 18 millions d’euros...

Quant à la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet, censée rapporter 380 millions d’euros, elle ne rapporte que 250 millions d’euros environ et, surtout, il y a tout lieu de penser qu’elle sera annulée par les instances européennes, ce qui pourrait conduire la France à rembourser près de 1 milliard d’euros.

On le voit, l’équilibre financier de la réforme assuré artificiellement en 2009 ne l’est toujours pas mieux aujourd’hui.

Face à ce fiasco financier, j’avais dès 2010 insisté auprès de votre prédécesseur pour qu’il renonce à la suppression de la publicité avant 20 heures qui aurait coûté encore 330 millions d’euros par an. Sur ce point, me semble-t-il, nous sommes en phase, madame la ministre.

Le Gouvernement vient d’annoncer une augmentation de la contribution à l’audiovisuel public de 2 euros hors inflation. J’avoue que j’aurais préféré l’élargissement de l’assiette aux résidences secondaires à cette mesure qui frappera tous les ménages, même les plus modestes.

Quoi qu’il en soit, cette augmentation ne suffira pas à assurer l’équilibre de l’audiovisuel public.

À cet égard, comment ne pas s’inquiéter de la diminution des ressources publiques affectées au groupe France Télévisons, en baisse de 3,4 % pour 2013, ajoutée à la diminution de leurs ressources publicitaires, qui devraient être inférieures de 50 millions d’euros par rapport aux prévisions du contrat d’objectifs et de moyens ?

Je ne peux donc, madame la ministre, que vous inviter à honorer les engagements de vos prédécesseurs en créant le groupe de travail chargé de réfléchir à l’évolution de la contribution à l’audiovisuel public ou le comité de suivi prévu par l’article 75 de la loi de 2009.

Il y a, vous le voyez, madame la ministre, une réelle inquiétude sur l’avenir de l’audiovisuel public et de l’audiovisuel dans son ensemble, puisque la multiplication des chaînes privées n’est pas sans conséquences sur l’équilibre financier de l’ensemble de l’audiovisuel.

Nous sommes donc impatients de connaître les propositions du Gouvernement en ce domaine.

Vous avez indiqué devant la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, le 16 juillet, qu’il fallait « être sans tabou sur le sujet du financement », ajoutant que « les difficultés budgétaires n’affectent pas nos ambitions ». Nous le souhaitons sincèrement, madame la ministre.

Le groupe de l’Union centriste et républicaine, fidèle à ses positions en la matière, sera extrêmement attentif à vos propositions sur ce sujet.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Vous n’allez pas être déçus !

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, si je précise l’intitulé de la commission, mes chers collègues, c’est parce que je suis le dernier orateur à intervenir dans ce débat avant Mme la ministre et je voudrais souligner l’utilité de cette commission – certains en doutaient – créée par la volonté de Jean-Pierre Bel avec l’appui de sa majorité.

M. Claude Domeizel. Il est vraiment bon d’observer et d’analyser notre propre travail : comment les lois sont-elles appliquées ? Le Gouvernement remplit-il son rôle ? Comment est-il perçu par les usagers ? Pour le coup, ce travail effectué par la commission et par nos collègues David Assouline et Jacques Legendre m’inspire une remarque générale : la précipitation est toujours nuisible.

La loi relative à la communication audiovisuelle, dont on analyse aujourd’hui l’impact, a jailli comme par génération spontanée d’une idée avancée un matin par le Président de la République. Aucune expertise, aucune simulation, aucune étude d’impact, aucune concertation ! Ce rapport, je le pense et je le dis très sincèrement, nous invite à bannir une telle méthode.

Cela étant, je vous parlerai tout de même du sujet qui nous intéresse…

Rappelez-vous, mes chers collègues, nos propos lors de l’examen, au titre de la procédure d’urgence, de la loi du 5 mars 2009, relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision ; c’était en janvier 2009. Ce sentiment de malaise dans nos rangs – et même dans ceux de la majorité d’alors – anticipait celui que nous ressentons aujourd’hui face au bilan de ce dispositif élaboré dans l’urgence, et pour rien, si ce n’est pour fragiliser le service public audiovisuel.

Il y a presque quatre ans, nous avions déjà senti que l’on nous roulait dans la farine.

Comment pouvait-on croire au bien-fondé de ce projet de loi visant prétendument à rénover le service de télévision publique, alors qu’une procédure accélérée s’y appliquait ? Y avait-il un terrible danger imminent pour aller si vite et pour anticiper son application avant même son vote par le Sénat ?

Monsieur Legendre, vous disiez tout à l’heure que si, pour David Assouline, le verre était à moitié vide, pour vous, le verre était à moitié plein. Soit, mais, pour le coup, il est à moitié plein d’erreurs et d’échecs ! Vous le reconnaissez vous-même en page 121 du rapport : « Je regrette que pour des raisons économiques, la suppression totale de la publicité ait dû être reportée. » Vous voyez, c’est déjà un échec !

M. Jacques Legendre, rapporteur. Je persiste !

M. Claude Domeizel. Autre argument : le maintien après 20 heures du parrainage – ce fameux parrainage dont on a beaucoup parlé, mais auquel personne n’a rien compris – était une erreur.

Monsieur Legendre, ce ne sont que quelques exemples, mais je pourrais en citer d’autres. Vous voyez bien que le verre était vraiment à moitié plein d’erreurs !

Cette initiative de 2009 s’apparente en fait à une réforme idéologique qui serait la résultante d’une idée dominante chez les gouvernements successifs de droite depuis vingt ans, selon laquelle le service public audiovisuel n’est pas un bien sacré. Sans parler du fait que l’une des « mesures phare » de ce projet de loi, la suppression de la publicité en prime time sur la télévision publique, était déjà entrée en vigueur dès le 5 janvier, avant même que nous ayons fini d’en débattre. Avouez que c’est le comble du mépris à l’égard du Parlement !

Nous l’avions dit haut et fort, mais nos protestations étaient restées vaines Nous avons cependant joué le jeu en présentant près de 150 amendements, dont certains ont même été votés – je le précise – par la majorité d’alors.

La France a été l’un des rares pays à aller si loin dans la transposition de la directive Services. Sous le prétexte de la transparence, la loi de mars 2009 a institué également la nomination et la révocation des présidents des sociétés de l’audiovisuel public, France Télévisions, Radio France et Audiovisuel extérieur de la France, par décret présidentiel.

Eh oui, mes chers collègues, priver la télévision publique de ses moyens financiers, la rendant ainsi dépendante, n’était pas suffisant ; cette nouvelle procédure de nomination et de révocation y ajoutait une dépendance politique. C’est dire, mes chers collègues, combien cette loi est toxique !

Rarement nous avions connu un tel entêtement de la part de l’exécutif.

Aujourd’hui, quel bilan pouvons-nous tirer ? Le rapport de nos collègues David Assouline et Jacques Legendre est édifiant, implacable, même si les conclusions de ce rapport « à deux voix » ne sont pas en phase sur tout. De notre clairvoyance passée nous n’avons nulle gloire à tirer, plutôt du découragement, car nous n’avons pas été entendus.

Trois ans après, que pouvons-nous dire de l’application de cette loi ?

En ce qui concerne la mesure emblématique de cette loi, la suppression de la publicité en première partie de soirée, son application n’a été que partielle, puisque son extension en fin de soirée – vous l’avez dit, monsieur Legendre –, prévue pour la fin de l’année 2011, ne s’est jamais concrétisée, faute de financement compensatoire suffisant et compte tenu des mauvaises prévisions de l’évolution du marché publicitaire.

La dictature de l’audimat a perduré. Le tunnel publicitaire avant 20 heures est devenu interminable ! Peut-être parce que les raisons de cette réforme n’ont jamais été clairement spécifiées. Peut-être parce que la définition d’une télévision publique de qualité n’a jamais été réfléchie et déclinée.

On se demande si le jeu en valait la chandelle.

En ce qui concerne l’audiovisuel extérieur, la publication très tardive de son cahier de charges est le symbole des errements qui ont marqué ce chantier, pour aboutir à surseoir à la fusion de RFI et France 24.

Mais le bouquet, mes chers collègues, madame la ministre, c’est le mode de financement sorti du chapeau de prestidigitateur de MM. Sarkozy, Copé et alliés. C’est peu dire que le financement est un fiasco !

Le produit des deux taxes instituées pour compenser la perte de recettes publicitaires n’a pas atteint le montant espéré. Cela coûte désormais 180 millions d’euros par an à l’État.

De plus, la taxe dite « télécoms », soit 250 millions d’euros, risque fort d’être annulée par la Cour de justice de l’Union européenne. Le jugement doit être rendu à la fin du premier semestre de l’année 2013. Si l’État est contraint de rembourser, c’est plus de 1 milliard d’euros qu’il devra rendre aux opérateurs de télécommunications !

Le financement prévu par le gouvernement Fillon n’assure pas la relève et fragilise la télévision publique. Cela augmente la dépendance à l’égard de l’État, qui est contraint de renflouer le budget de l’audiovisuel public.

À ce gâchis s’ajoute donc la bombe à retardement dont le Gouvernement vient d’hériter ; une de plus ! Madame la ministre, sachez que vous nous trouverez toujours à vos côtés quand il s’agira de garantir le financement et l’indépendance du service public audiovisuel ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord vous remercier de m’avoir conviée au présent débat sur l’application de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. Le contrôle de l’action publique fait partie des missions du Sénat, et c’est une nécessité. Le Gouvernement est dans son rôle en étant présent ce soir pour vous écouter.

Même si nous n’en sommes pas encore à l’examen du projet de loi de finances pour 2013, la concomitance entre ce qui vient d’être annoncé dans cette perspective et le débat de ce soir a amené un certain nombre de sénateurs à s’exprimer par anticipation sur les aspects budgétaires. Vous le comprendrez, je ne pourrai pas répondre à toutes vos interrogations sur le sujet. Je tenterai cependant de vous apporter l’éclairage du Gouvernement sur les questions qui ont été soulevées dans le rapport ou pendant le débat.

Je veux auparavant saluer la qualité du travail fourni par MM. David Assouline et Jacques Legendre dans leur rapport d’information. Comme vous le verrez, mes propos rejoindront un certain nombre de leurs analyses.

La loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, adoptée sous le précédent gouvernement, a posé quelques bases utiles ; je pense notamment aux services de médias audiovisuels à la demande. Mais elle a surtout abouti à une véritable déstabilisation de la télévision publique, aussi bien dans son financement que dans son indépendance, via les nominations de dirigeants.

Je vais tenter d’évaluer devant vous le bilan de la loi à la lumière de la situation dont nous héritons aujourd’hui. J’aborderai les cinq points qui ont été évoqués, c’est-à-dire la modernisation de la réglementation audiovisuelle, la procédure de nomination des présidents de l’audiovisuel public, la suppression de la publicité en soirée sur France Télévisions, la fusion des chaînes de France Télévisions en une entreprise unique et la réforme de l’audiovisuel extérieur de la France.

Premièrement, on peut effectivement dire, à l’instar de M. le rapporteur, Jacques Legendre, qu’il y a eu une certaine modernisation de la réglementation audiovisuelle. Je pense en particulier à l’adaptation aux nouveaux services de médias audiovisuels à la demande, les fameux « SMAD », qui sont principalement les services de vidéo à la demande et ceux de la télévision de rattrapage. M. Jacques Legendre ayant parfaitement exposé cet apport, je ne m’étendrai pas sur le sujet.

L’univers numérique est en constante mutation. On constate de nouvelles évolutions, imputables, notamment, au phénomène de convergence des médias. Il devient donc nécessaire d’avancer de nouveau dans la réflexion sur la modernisation.

C’est pourquoi M. le Premier ministre a décidé de confier à trois membres du Gouvernement, M. le ministre du redressement productif, Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique et moi-même en tant que ministre de la culture et de la communication, une réflexion sur un éventuel rapprochement entre les deux instances de régulation que sont le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP. La réflexion sera menée jusqu’à la fin du mois de novembre de cette année sur les implications d’une telle évolution pour la régulation des secteurs de l’audiovisuel et des communications électroniques.

Cette mission relève d’une nécessité : examiner le périmètre d’une réforme des autorités de régulation pour les rendre plus efficaces, notamment à l’heure de la « télévision connectée ». En effet, les appareils sont désormais disponibles et tous les mécanismes de régulation qui ont été mis en place jusqu’à présent pour la télévision risquent d’être bouleversés par les programmes non linéarisés.

Nous proposerons donc dans les prochains jours de rencontrer les membres du Sénat et de l’Assemblée nationale spécialistes des questions liées à l’audiovisuel et aux télécommunications pour entendre leur point de vue sur le sujet. Cela aboutira ensuite à un projet de loi qui sera soumis au Parlement en 2013.

Deuxièmement, et le projet de loi que je viens d’évoquer portera évidemment aussi sur le sujet, le mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public était l’un des volets, et non des moindres, de la réforme décidée par Nicolas Sarkozy en 2008. Les choix qui ont été faits alors n’étaient pas, et ne sont toujours pas compatibles avec les impératifs d’une démocratie moderne.

Selon M. Charon, garantir par la loi l’indépendance des présidents de l’audiovisuel public en modifiant leur mode de nomination serait faire preuve d’hypocrisie ; un tel argument n’est absolument pas recevable. (M. Pierre Charon s’exclame.) Les garanties d’indépendance doivent évidemment être définies par la loi, ce qui n’ôte rien à la qualité des personnes qui ont pu être choisies jusqu’à présent.

Ainsi que plusieurs orateurs l’ont souligné, le mode de nomination retenu en 2008 jette un doute sur l’indépendance des personnes nommées, contrariant ainsi leur travail, la relation de confiance qu’elles doivent entretenir avec les salariés et, au final, la réalisation de leur projet pour le service public de l’audiovisuel.

Il faut donc aujourd’hui modifier la procédure. Comme cela a été annoncé, nous le ferons au début de l’année 2013. Conformément à l’engagement de M. le Président de la République, le mode de nomination qui sera retenu associera largement la future instance de régulation de l’audiovisuel.

Il faut donc attendre, et c’est bien logique, que la réflexion sur l’éventuel rapprochement entre le CSA et l’ARCEP soit menée à son terme pour que nous puissions ensuite jeter les bases d’une telle réforme, l’objectif étant évidemment de rétablir l’indépendance la plus absolue pour tous les présidents de l’audiovisuel public afin de les mettre à l’abri de toute pression ou de la moindre suspicion.

Contrairement à ce qui a été affirmé ce soir – je pense en particulier à certaines attaques de M. Pierre Charon (M. Pierre Charon ironise.) –, la nomination en cours de la présidente de l’Audiovisuel extérieur de la France s’effectue dans des conditions qui, en quelque sorte, anticipent déjà sur la future réforme. En effet, M. le Président de la République a demandé au CSA de lui proposer une candidature et il a pris acte du choix émis par le Conseil. Il a ainsi choisi de se soumettre lui-même, et par anticipation, à un mode de nomination garantissant l’indépendance du futur président de l’Audiovisuel extérieur de la France.

Troisièmement, et M. Assouline l’a démontré de manière implacable, la suppression de la publicité en soirée a considérablement fragilisé le financement des missions du service public.

L’ambition affichée lors de l’annonce de cette suppression, était de « libérer » le service public des contraintes commerciales imposées par le marché publicitaire, afin de lui donner la liberté de proposer une offre plus novatrice, distincte de celle des chaînes commerciales. Force est bien de constater que, si l’on ne discute pas avec France Télévisions d’un véritable projet éditorial en accompagnement d’une telle mesure, cela ne peut pas porter de fruits.

Quatre ans donc après cette annonce, nous constatons que, comme nous le craignions, le seul résultat tangible a été la déstabilisation du financement de France Télévisions.

En effet, pour compenser les pertes de recettes publicitaires de l’entreprise en soirée, la réforme de 2009 a introduit deux taxes dont il a été montré à quel point elles-mêmes ont ensuite été rognées par la volonté du précédent gouvernement, que ce soit dans leur taux – je ne reviens pas sur le passage de 3 % à 0,5 % – ou dans leur assiette, tout simplement par la diminution des ressources publicitaires sur les chaînes privées.

Et la compensation par des ressources budgétaires introduite par la réforme de 2009 était par définition fragile – nous l’avions dit lors du débat parlementaire à l’Assemblée nationale et au Sénat –, puisque soumise aux aléas de la conjoncture économique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de la situation extrêmement dégradée des finances publiques dont nous héritons du précédent gouvernement, nous sommes en quelque sorte soumis à une forme de double peine.