M. Jean-Louis Carrère. Si c’était pour dire cela !

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, notre commission d’enquête sur la fuite des capitaux et ses conséquences fiscales a donc travaillé de février à juillet. Ces travaux se sont déroulés dans une ambiance empreinte de sérénité, avec le souci d’appréhender le phénomène, d’en comprendre les mécanismes, de commencer à chercher des solutions à ce mal des temps modernes qui ronge notre société ; je veux parler de la cupidité organisée, accompagnée, nous l’avons vu, d’une culture de la faille, totalement indifférente à l’intérêt général.

Je tiens dès à présent à remercier notre rapporteur, Éric Bocquet, pour le sérieux et l’objectivité de ses conclusions, ainsi que le président Philippe Dominati, qui a su faire preuve de l’attention et du respect indispensables à nos travaux. Je remercie également les services de notre assemblée, qui ont dû supporter le rythme accéléré, parfois effréné, de nos auditions. Leur efficacité a été particulièrement remarquée !

Nos travaux se sont tenus avec, en toile de fond, les difficultés économiques, sociales et financières traversées par notre pays. Mais nous avions aussi présente à l’esprit la Déclaration universelle des droits de l’homme qui, dans son article XIII, indique : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés. »

Je ferai, tout d’abord, un triple constat sur le contexte environnant nos réflexions. Les derniers chiffres parus sur la pauvreté en France nous indiquent qu’il y a 8 600 000 personnes sous le seuil de pauvreté, soit plus de 12 % de notre population. Par ailleurs, durant la période qui vient de s’écouler, seuls les 5 % les plus riches ont vu leur niveau de vie augmenter. Enfin, nous le savons tous, notre dette est astronomique : elle représente environ 27 000 euros par habitant, risquant ainsi d’obérer l’avenir des jeunes et des prochaines générations.

Face à cela, l’évasion fiscale annuelle représenterait une somme comprise entre 30 milliards et 50 milliards d’euros. Comme François Patriat vient de le souligner, c’est l’équivalent des intérêts de la dette française !

De nos auditions, nous pouvons d’abord tirer l’enseignement suivant : manifestement, ce n’est ni le Français moyen, ni la PME locale, ni la très petite entreprise qui pratiquent l’évasion fiscale par la fuite des capitaux. Sont en cause les plus fortunés et les grandes, voire très grandes entreprises, bref, ceux qui ont les moyens de rétribuer une certaine compétence pour transgresser la loi, en en méprisant l’esprit et en guettant d’éventuelles insuffisances de forme, car il en existe parfois !

Tout cela est insupportable financièrement, insupportable économiquement, insupportable socialement, insupportable moralement, et doit être condamné avec la plus grande fermeté !

L’urgence d’agir devant cette profonde injustice a été partagée par tous les membres de notre commission d’enquête, ce qui nous donne, je l’espère, un ancrage important et déterminant pour faciliter la mise en œuvre des mesures préconisées.

À travers les 61 propositions adoptées, c’est une action de très grande envergure qui est envisagée, notamment sur les plans législatif et réglementaire, mais qui est aussi souhaitable au niveau européen et – rêvons un instant ! – au niveau international.

Tout d’abord, clarifions la politique pénale en matière fiscale et portons le délai de prescription à quinze ans, afin de nous appuyer aussi sur l’exemplarité. Cela, c’est bien du ressort national !

Créons une obligation, pour les entreprises, de transmettre, à la demande de l’administration fiscale, le détail des comptes consolidés. Cela permettra de vérifier si les bénéfices ne sont pas exfiltrés dans une filiale opportunément située dans un paradis fiscal. Pour cela, il faudra en outre proposer l’adoption d’une règle générale anti-évasion.

Renforçons aussi, dans les entreprises, les prérogatives des institutions représentatives du personnel en matière de prévention de la fraude et de l’évasion fiscales. Nos actions et notre détermination méritent, en effet, d’être collectivement partagées, et la citoyenneté doit l’emporter sur l’avidité !

Il est aussi indispensable de faciliter le travail de la justice et son indépendance pour agir, l’exemplarité pouvant, nous le savons, avoir des vertus pédagogiques.

Par ailleurs, il apparaît nécessaire de créer un haut- commissariat à la protection des intérêts financiers publics. Le développement d’outils statistiques précis relatifs à la fraude et à l’évasion fiscale serait également très utile, si ce n’est indispensable.

La tâche serait, bien sûr, plus aisée si les autres pays, notamment européens, partageaient notre démarche. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas ! Notre déplacement en Suisse aura suffi à le démontrer. Et le résultat de la consultation récemment organisée dans le canton de Berne ne répond évidemment pas à notre attente !

Nous devrons donc, pour une meilleure efficacité, obtenir l’obligation de transparence comptable, pays par pays, pour les multinationales communautaires, mais aussi internationales.

Toutes ces recommandations méritent d’être mises en application au plus tôt, parce que la situation dans laquelle nous sommes l’exige, parce que l’égalité des citoyens par la contribution qu’ils apportent à la collectivité nationale l’impose. Nous devrons aussi, et peut-être est-ce le plus important, assurer un suivi précis de nos préconisations et évaluer en permanence l’efficacité des mesures mises en œuvre.

Je suis convaincu que c’est un travail de très longue haleine. Peut-être un comité de suivi est-il indispensable, à travers une commission regroupant députés et sénateurs. Toujours est-il qu’il faut impérativement nous donner les moyens de réussir, avec une évaluation annuelle des progrès accomplis et des recettes apportées.

Mes chers collègues, cette fuite de capitaux et cette évasion fiscale, ce sont des moyens en moins pour notre pays, donc, des recettes en moins pour la solidarité, mais aussi des difficultés en plus pour rembourser notre dette. C’est inacceptable !

Pour permettre, au bout du compte, plus d’égalité, plus de fraternité et plus de liberté, il faut combattre sans relâche et sans merci ceux qui, du haut de leur richesse parfois extrême, toisent et méprisent, de par leur comportement, ceux qui n’ont même plus la force de crier leur infinie souffrance. Victor Hugo, qui fut notre glorieux prédécesseur dans cet hémicycle, n’écrivit-il pas un jour : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches » ?

Mme Nathalie Goulet. C’est beau !

M. Yannick Vaugrenard. Notre devoir, en cette période particulièrement difficile que vit notre nation, c’est d’être juste. Et la justice impose que chacun verse sa contribution en fonction de ses moyens.

C’est pourquoi nous devons désormais, en nous appuyant sur les conclusions de notre commission d’enquête, privilégier l’efficacité et pérenniser nos efforts, afin que cesse ce fléau sans frontières qui permet à quelques-uns de s’extraire de l’indispensable solidarité nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Michel Bécot applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland du Luart.

M. Roland du Luart. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens, en propos liminaire, à souligner la qualité du rapport de la commission d’enquête de notre Haute Assemblée sur l’évasion fiscale. Il est le fruit d’un travail remarquable et très approfondi qui, pour l’essentiel, a fait primer le fond sur l’idéologie.

C’est la raison pour laquelle il est important pour moi de rappeler que la problématique de l’évasion fiscale ne saurait être appréhendée au travers de la seule fraude fiscale.

Le rapport de la commission d’enquête évalue le volume de l’expatriation fiscale à un montant compris, au minimum, entre 30 milliards et 36 milliards d’euros, sans pouvoir le chiffrer plus précisément, par manque d’information de l’administration fiscale. Je n’insisterai pas sur ce point, mon collègue Louis Duvernois en ayant déjà excellemment parlé. Le montant de l’évasion fiscale pourrait, en réalité, se chiffrer à près de 50 milliards d’euros, voire plus.

Quoi qu’il en soit, la réalité est spectaculaire.

Il reste que, pour la plupart d’entre eux, les expatriés fiscaux français ne sont pas des fraudeurs. Pas plus qu’ils ne sont les commanditaires de montages financiers complexes ! La réelle optimisation fiscale ne concerne que quelques grandes fortunes. Pour l’essentiel, il s’agit de créateurs d’entreprises, ou de cadres dirigeants d’entreprises dont les sièges sociaux se délocalisent.

Nombre d’entre eux font ce choix à contrecœur, en raison de la pression fiscale en France, l’une des plus élevées de l’OCDE. Il nous faut, à mon sens, œuvrer à une harmonisation fiscale en Europe.

Madame la ministre, je suis au regret de vous annoncer que ce phénomène est amplifié depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Tous les avocats fiscalistes vous le confirmeront !

Le matraquage fiscal est la marque de fabrique de ce gouvernement : 3 milliards d’euros de taxation supplémentaire des entreprises déjà votés dans le collectif budgétaire de juillet, 10 milliards d’euros prévus dans le projet de loi de finances pour 2013, soit, au total, pour les entreprises, 13 milliards d’euros de plus à régler. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Patriat. Et 15 milliards du fait de Sarkozy l’année dernière !

M. Roland du Luart. C’est exactement le montant qu’aurait rapporté la mise en place de la « TVA compétitivité » prévue par Nicolas Sarkozy, que vous avez détricotée dans votre velléité obsessionnelle de faire table rase du passé !

Ces 13 milliards d’euros auraient permis de baisser le coût prohibitif du travail en France, dont vous reconnaissez depuis peu la réalité, en même temps que son impact sur notre compétitivité et, partant, sur la croissance. Alors même que ce problème devrait être la priorité, vous supprimez une mesure qui eût été efficace et reportez toute réforme en la matière à plus tard !

Votre politique fiscale repose uniquement sur le matraquage. Quel signal catastrophique envoyé aux chefs d’entreprise, aux créateurs de richesses et d’emplois en France !

Vous prétendez, à tort, avoir réorienté la politique européenne vers plus de croissance – nous aurons ce débat la semaine prochaine –, mais vous risquez fort de tuer la croissance en France en étranglant les chefs d’entreprise. C’est cette réalité qui, hélas ! pousse à l’expatriation fiscale, et je le déplore.

Surtout, et c’est le plus grave, vous découragez la création de nouvelles entreprises en France. Or décourager la création d’entreprises, c’est décourager la création de richesses, et c’est autant de croissance économique potentielle en moins pour le futur.

L’évasion fiscale, nous en sommes d’accord, est dramatique pour notre pays, car elle nous prive de richesses et de croissance. Telle est la réalité ! Je regrette d’ailleurs que Bercy ne puisse nous donner les chiffres réels des capitaux qui ont quitté notre territoire depuis une quinzaine d’années. Ces sommes colossales, que l’on évalue à plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliards d’euros,...

M. Jacques Chiron. Surtout au cours des cinq dernières années !

M. Roland du Luart. ... auraient été bien utiles à la création d’emplois, un objectif sur lequel nous sommes tous d’accord.

Les chefs d’entreprise sont étranglés par les charges pesant sur leur outil de travail, mais ils le sont également à titre personnel : 4,8 milliards d’euros de hausse de la fiscalité pesant sur les particuliers votés dans le collectif budgétaire de juillet, et plus du double prévu dans le projet de loi de finances pour 2013 !

Je déplore surtout la stigmatisation des gens les plus fortunés induite par cette taxation à 75 % des revenus supérieurs à 1 million d’euros.

M. François Patriat. Quel cynisme !

M. Roland du Luart. Vous me direz que cette disposition ne concerne que 1 000 ou 1 500 personnes, selon les chiffres fournis par les indicateurs. Certes, mais c’est le signal envoyé qui est grave !

Je ne suis pas du tout opposé à la progressivité de l’impôt. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Il est vrai que les plus fortunés doivent contribuer davantage en période de crise, mais ce taux de 75 % est prohibitif, presque confiscatoire, et encourage sans doute l’évasion fiscale. Le nier, mes chers collègues, c’est méconnaître ce qui se passe partout ailleurs en Europe. Nous ne sommes plus à l’époque où les gouvernements travaillistes britanniques pouvaient imposer les contribuables à 98 % ! Nous vivons dans une économie mondialisée, ne l’oubliez pas !

Hélas, le mal est fait : le signal est envoyé et les conséquences en matière d’expatriation fiscale sont réelles. Je le déplore. Au demeurant, c’est aussi un très mauvais signal envoyé à ceux qui voudraient investir en France.

J’ajoute que cela revient à délivrer un message selon lequel la réussite ne doit pas être encouragée ; que travailler de manière harassante plusieurs fois 35 heures par semaine pour créer une entreprise, créer des emplois et de la richesse, ce sera, pendant neuf mois sur douze, uniquement pour pouvoir s’acquitter de ses impôts.

Quel message adressé à notre jeunesse ! Étudiez longtemps, travaillez dur, pour pouvoir payer vos impôts !

M. Yannick Vaugrenard. Surréaliste !

M. Roland du Luart. Je suis d’ailleurs affolé par le nombre de jeunes qui partent étudier à l’étranger et qui, à cause de la fiscalité en vigueur dans notre pays, ne veulent plus revenir une fois qu’ils sont bien formés.

Mon propos peut sembler caricatural, mais il ne l’est malheureusement pas. La différence entre vous et nous, c’est que, selon une expression chère à notre ancien Président de la République, nous voulons moins de pauvres et pas moins de riches. C’est la création de richesses qui engendrera la croissance et permettra de réduire nos déficits.

M. François Patriat. On ne l’a pas vu au cours des cinq dernières années !

M. Roland du Luart. Lutter efficacement contre l’évasion fiscale, ce n’est pas trouver des remèdes a posteriori, reposant notamment sur la sanction, c’est au contraire la prévenir en s’attaquant aux raisons qui poussent nos compatriotes à s’expatrier.

Voilà ce qui eût permis de faire bénéficier notre économie de 50 milliards d’euros supplémentaires, une somme sans commune mesure avec les recettes engendrées par des décisions qui poussent nos compatriotes à s’expatrier, encore aujourd’hui et plus que jamais. Car n’oublions pas que la richesse crée la richesse et que la bonne santé d’une entreprise suscite une démultiplication d’activité : c’est un cercle vertueux.

Là réside la faille de votre raisonnement, empreint plus de contingences idéologiques que de pragmatisme et de rationalité économique. En cette période, notre économie en eût eu pourtant grandement besoin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la présidente, monsieur le président de la commission d’enquête, cher Philippe Dominati, monsieur le rapporteur, cher Éric Bocquet, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord vous faire part du grand plaisir que j’éprouve à me retrouver parmi vous. Ce plaisir, je le dois aux contraintes imposées à mon collègue Jérôme Cahuzac, qui, retenu à l’Assemblée nationale, vous prie de bien vouloir excuser son absence.

Le débat que vous venez d’avoir sur la base du rapport de la commission d’enquête a été riche, et les nombreuses critiques que j’ai entendues il y a quelques instants l’ont rendu assurément stimulant. Ce débat a, en tout cas, confirmé dans une large mesure ce que l’adoption du rapport de cette commission à l’unanimité de ses membres avait permis de faire apparaître, à savoir l’existence de très larges convergences au sein de votre assemblée quant à la réponse à apporter au défi de la fraude fiscale, en particulier dans sa dimension internationale.

J’ai bien perçu, il est vrai, de la part de l’opposition sénatoriale, différentes tentatives de travestir ce débat au travers de polémiques sur le niveau des prélèvements obligatoires et la concurrence entre systèmes fiscaux. J’y reviendrai, mais cette approche biaisée de la question ne saurait nous détourner de l’essentiel.

Au nom du Gouvernement, permettez-moi de saluer l’initiative prise par le Sénat, dès le début de l’année 2012, de s’emparer de ce dossier au titre de ses missions de contrôle et d’évaluation.

La richesse des auditions auxquelles a procédé la commission d’enquête et la remarquable qualité du rapport publié en juillet dernier, sur laquelle on a bien voulu attirer mon attention, permettront en effet d’éclairer très utilement le débat public sur ces questions. Le Gouvernement voit dans les convergences qui se dégagent ce soir au sein de votre assemblée un signal de la plus haute importance pour persister dans la mise en œuvre de notre volonté, telle que le Président de la République l’avait exprimée durant la campagne, de franchir une étape dans le traitement de la fraude fiscale internationale.

Je vous dirai plus précisément dans quelques instants comment nous entendons prolonger les efforts qui ont déjà été engagés.

Le temps du débat public sur ces questions est essentiel, au plan tant national qu’européen, voire international, comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné : c’est à la condition de l’avoir approfondi, comme vous l’avez fait ce soir, et de n’avoir laissé dans l’ombre aucun élément de diagnostic, que pourront être admises et mises en œuvre les réponses adaptées. J’ai ainsi entendu et relevé que vous préconisiez dans ce rapport 61 propositions, plus intéressantes les unes que les autres.

Car, il ne faut pas se le cacher, les réponses à apporter aux défis évoqués ce soir devront être innovantes et leur mise en œuvre effective nécessitera de la ténacité. Elles rencontreront forcément des résistances, ne serait-ce que celles des fraudeurs. L’important est que notre cap soit clair et que nous nous gardions bien de nous payer de mots, pour nous attacher à l’efficacité de cette lutte.

La conviction du Gouvernement est qu’aujourd’hui, plus que jamais, le temps est à l’action. Il nous faut franchir effectivement l’étape appelée de ses vœux par le Président de la République et souhaitée sur la plupart des travées de votre assemblée.

Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac ont présenté, à la fin de semaine dernière, un projet de loi de finances et un projet de loi de programmation des finances publiques dont ils n’ont pas hésité à dire qu’ils témoignaient d’une démarche de combat contre la crise et pour la justice, un mot qui a été prononcé à plusieurs reprises cet après-midi.

Disons-le tout net : le combat contre l’endettement public, qui menace nos finances publiques d’embolie, a pour indispensable corollaire une lutte implacable contre toute forme de fraude.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Comme l’a souligné M. Patriat, en particulier, il serait en effet proprement incompréhensible pour nos concitoyens et nos entreprises, et profondément injuste, qu’au moment où un effort est consenti pour le redressement des finances publiques et de notre économie, les différentes formes de fraude restent sans réponse adaptée. Il y va non seulement des exigences de la gestion des comptes publics, mais aussi de l’égalité devant les contributions publiques et du bon fonctionnement de l’économie, y compris dans nos échanges avec l’ensemble de nos partenaires commerciaux.

En toute période, la fraude fragilise l’échange entre partenaires en donnant au fraudeur un avantage indu par rapport à ses homologues. Sans une réponse adaptée de la puissance publique à tous les niveaux, elle finit par corrompre l’esprit public et nourrir toutes les défiances, jusqu’à menacer le consentement à l’impôt, qui est le ciment du pacte démocratique.

La spécificité des temps de crise, telle que celle que nous traversons depuis quelques années déjà, est de révéler de manière éclatante nos forces comme nos faiblesses en ce domaine. Il n’y a pas d’échappatoire à une politique déterminée visant à remédier à ces dernières.

Devant vous, ce soir, je voudrais revenir sur chacun des éléments du diagnostic établi de manière très convergente par les travaux du Sénat et plusieurs rapports publics de la Cour des comptes sur le contrôle fiscal datant du début de l’année 2012, de manière à vous dire comment le Gouvernement entend y répondre.

Avant de vous apporter ces précisions, je voudrais balayer sans la moindre ambiguïté la thèse que M. le président Dominati et M. du Luart paraissent faire leur, et selon laquelle la réponse au défi de l’évasion des capitaux et de la fraude fiscale internationale serait à rechercher dans l’abaissement du niveau de nos prélèvements obligatoires, suivant une logique de concurrence permanente entre systèmes fiscaux à l’échelle internationale.

J’appelle l’attention des tenants de cette thèse sur un fait récent, qui a pu leur échapper, mais qui est tout sauf anecdotique : après s’être prévalu, aux premiers temps de son mandat et au moment même où il déployait un plan d’austérité sans précédent, d’avoir abaissé le taux marginal d’imposition des ménages les plus aisés, le gouvernement britannique, que l’on ne soupçonnera sans doute pas de complaisance excessive envers l’impôt, vient d’annoncer que, confronté à de nouveaux dépassements de ses objectifs budgétaires structurels, il allait désormais intensifier sa lutte contre l’évasion fiscale.

Vous avez là une nouvelle illustration de ce qu’est la réalité du phénomène de l’évasion des capitaux depuis des décennies, sinon, disent certains spécialistes, depuis le XIXe siècle : ainsi que l’a justement souligné Yvon Collin, elle est le moteur d’une concurrence déstabilisatrice pour l’ensemble des systèmes fiscaux des pays en voie de développement comme des pays développés.

N’ayez aucun doute : il se trouve des agents économiques obnubilés par la fuite devant l’impôt, ainsi que, sur les marchés financiers, des forces qui s’y entendent pour presser chaque fois davantage des pays où la puissance publique est faible à se muer – souvent au détriment d’un véritable développement économique – en paradis fiscaux susceptibles d’attirer chez eux des capitaux mobiles, à la recherche permanente de nouvelles exonérations.

Regardez comment évolue au fil des décennies la carte des paradis fiscaux et vous vous convaincrez que les pays développés qui sont entrés dans cette course effrénée, jusqu’à laisser se constituer chez eux ou au plus près d’eux des mini-paradis fiscaux, sont aujourd’hui au nombre des premières victimes de cette logique folle.

La proposition d’adapter notre politique fiscale, et donc notre politique budgétaire, au seul objectif de retenir des capitaux mobiles serait en réalité proprement suicidaire budgétairement, en plus d’être profondément injuste. Car les victimes en seraient naturellement ceux que la fuite ne tente pas ou que cette tentation ne saurait même effleurer.

Le Gouvernement en fait la démonstration par les choix budgétaires et fiscaux qu’il vient de présenter au Parlement : son choix est le redressement dans la justice. Ne comptez pas sur nous pour dévier de cette ligne !

Ce choix implique, en contrepartie, une grande intransigeance dans le traitement de la fraude fiscale internationale, dans nos relations avec les autres États membres de l’Union européenne comme au-delà des frontières de l’Europe. Il implique également la plus grande intransigeance dans notre action sur le plan national. Cette intransigeance ne nous fera pas défaut, et je veux m’employer à vous le démontrer ce soir.

Avant d’en venir à la fraude proprement dite, j’évoquerai brièvement la question de la distinction, qu’opère le rapport de la commission d’enquête sénatoriale, entre l’optimisation fiscale et la fraude fiscale. Celle-là se différencie de celle-ci en ce qu’elle est légale dans la mesure où elle consiste, pour un agent économique, à utiliser au mieux les dispositions en vigueur pour minimiser son imposition. Il reste que la frontière entre ces deux notions est ténue.

Il est bien évidemment de la responsabilité de la puissance publique de s’interroger sur ce que l’optimisation révèle d’éventuelles imperfections du droit fiscal, notamment lorsque l’impôt finit par distordre les comportements qui seraient économiquement les plus rationnels dans une perspective de moyen et long terme.

Un pas plus loin, il est de la responsabilité de la puissance publique d’identifier ce qui, dans l’optimisation, confine à l’abus de droit, entendu comme l’utilisation des dispositifs légaux à rebours des objectifs qui leur sont assignés.

S’agissant des entreprises, chacun a bien à l’esprit que l’optimisation est beaucoup plus couramment pratiquée par les plus grandes d’entre elles plutôt que par les plus petites. Cela pour une raison que chacun perçoit : la recherche de l’optimisation suppose de mobiliser des moyens, en matière de conseil notamment, dont les premières disposent bien plus aisément que les secondes.

Nul n’ignore que là gît l’explication de cette situation des plus surprenantes que nous avons trouvée à notre arrivée – situation qui, si mes souvenirs sont bons, avait été découverte in extremis par le précédent Président de la République, au terme de son mandat… –, à savoir que le taux d’imposition effectif des entreprises du CAC 40 est, en moyenne, nettement inférieur à celui des PME. Ce n’est pas un constat dont on puisse se satisfaire, sachant le rôle que le tissu des petites et moyennes entreprises a à jouer dans le dynamisme de notre économie.

Vous le savez, le Président de la République et le Gouvernement ont inscrit cette réflexion au premier rang des travaux visant à redessiner, pour la nouvelle législature, le cadre fiscal des entreprises et des particuliers.

Le projet de loi de finances pour 2013, dont le Parlement est saisi, comprend en particulier deux mesures majeures de ce point de vue : d’une part, l’aménagement de la déductibilité des charges financières ; d’autre part, la limitation, sur le modèle de ce qui se pratique déjà en Allemagne ou en Italie, de l’avantage lié à l’exonération totale des plus-values à long terme réalisées par les entreprises à l’occasion de la cession de titres de participation, autrement connue sous le nom de « niche Copé ».

À ce dernier égard, je veux vous rassurer, monsieur Bocquet : la mesure couvre l’ensemble des cas de risque de perte de recettes.

MM. Jean-Claude Requier et Robert Tropeano. Très bien !

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Par ailleurs, dès le mois de juillet dernier, le Parlement a adopté, conformément à la proposition du Gouvernement, une série de mesures anti-abus, dont le renversement de la charge de la preuve pour les transferts de bénéfices vers les pays à fiscalité privilégiée, ainsi que des dispositions de lutte contre les transferts abusifs de déficit et les schémas de désinvestissement dits « coquillards ».