M. le président. Monsieur Hyest, l’amendement n° 16 est-il maintenu ?

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le ministre, si vous avez dit clairement, comme je l’attendais, que les deux lois visées n’étaient pas des lois d’exception, force est de constater, tout de même, que le dispositif adopté en 2006 était, lui, exceptionnel.

En effet, à l’époque, les moyens faisaient défaut pour permettre une intégration immédiate du dispositif dans la loi de 1991, compte tenu de nombreux problèmes techniques, au niveau du GIC notamment. La décision fut dont prise d’instaurer un nouveau dispositif.

Aujourd’hui, le plus important, ce n’est pas que le délai soit fixé à deux ou trois ans, c’est que l’objectif affiché de résoudre le problème soit tenu. Il ne faudrait pas qu’à l’échéance on n’ait rien fait et que l’on se retrouve dans l’obligation de prolonger de nouveau.

Personne ne souhaite pérenniser ce dispositif particulier : c’était l’une des options sur la table, mais vous la rejetez, en prônant un autre dispositif unificateur. Je m’en félicite.

Puisqu’un livre blanc est en cours d’élaboration, mettez-vous au travail le plus tôt possible, monsieur le ministre. Je n’imagine pas que le Parlement soit contraint, en 2014 ou en 2015 – peu importe la date – de prolonger encore le dispositif.

L’essentiel est d’avancer effectivement vers un dispositif unificateur, donc plus protecteur des libertés publiques et de nature à éviter un certain nombre de dysfonctionnements bien réels, je vous l’assure.

Comme je ne suis pas obstiné, je retire mon amendement, monsieur le président, dans un esprit constructif. En tout état de cause, si la situation n’évoluait pas assez rapidement, il resterait toujours l’initiative parlementaire…

M. le président. L’amendement n° 16 est retiré.

Madame Benbassa, retirez-vous l’amendement n° 19 ?

Mme Esther Benbassa. Monsieur le rapporteur, ceux qui, comme moi, travaillent à l’Université, prennent garde à ne pas confondre les auteurs qu’ils citent. La citation que vous avez faite est tirée d’un rapport de Julien Dray et d’Éric Diard, publié en 2008, au nom du parti socialiste.

M. Alain Richard. Au nom de l’Assemblée nationale, pas du parti socialiste !

Mme Esther Benbassa. Quoi qu’il en soit, je ne retire pas mon amendement, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(L’article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Articles additionnels après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l’article 32 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, le chiffre : « 3, » est supprimé.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. J’ai déjà défendu cet amendement lors de mon intervention sur l’article 1er ; je n’y reviens pas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer la possibilité d’effectuer des contrôles d’identité dans les trains transfrontaliers, mesure instaurée par l’article 3 de la loi du 23 janvier 2006. S’il est vrai que ces contrôles sont instaurés, selon l’article 78-2 du code de procédure pénale « pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière », et non pour la seule lutte contre le terrorisme, dans les faits, ils permettent aux services de recueillir des informations qui leur sont nécessaires dans le cadre de cette lutte.

Là aussi, les auditions auxquelles nous avons pu procéder démontrent que ces contrôles ont leur utilité. Il est donc souhaitable de les maintenir. C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 18 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 20 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Blandin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard, Gattolin et Labbé, Mme Lipietz et M. Placé, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Un rapport d’information évaluant la pertinence et l’efficacité des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 précitée est rendu au plus tard le 30 septembre 2014.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. En complément de ce que nous avons proposé dans le cadre de l’amendement n° 19 présenté précédemment, nous demandons qu’un rapport soit établi sur le même sujet et remis trois mois avant la prochaine prorogation, c’est-à-dire, dans notre logique, à la date du 30 septembre 2014.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, qui tend à prévoir qu’un rapport d’évaluation sur l’efficacité des articles 3,6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 soit rendu au plus tard le 30 septembre 2014.

À nos yeux, un nouveau rapport ne s’impose pas en l’espèce.

Si le Gouvernement souhaite une prolongation supplémentaire – tel ne semble pas être le cas, compte tenu des propos que nous venons d’entendre de la part de M. le ministre de l’intérieur –, il devrait alors justifier sa demande, comme il l’a fait dans le cas présent par le biais de l’étude d’impact, qui a établi un bilan de l’application de ces mesures.

M. le ministre nous a apporté une réponse parfaitement claire et nette, en précisant l’objectif recherché par le Gouvernement, à savoir instaurer un système unifié. Dans ces conditions, nous ne voyons pas l’intérêt qu’il y aurait à réaliser un nouveau rapport.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 20 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Articles additionnels après l’article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Articles additionnels après l'article 2

Article 2

(Non modifié)

La section 2 du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code pénal est complétée par un article 113-13 ainsi rédigé :

« Art. 113-13. – La loi pénale française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme et réprimés par le titre II du livre IV, commis par un Français hors du territoire de la République. »

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’aurais souhaité pouvoir m’exprimer devant vous plus tôt dans l’après-midi, avant que vous-même, monsieur le rapporteur, n’interveniez, mais, ayant quitté tardivement l’Assemblée nationale, je n’ai pu vous rejoindre qu’au moment où vous montiez à la tribune !

Je me contenterai donc de dire quelques mots en cet instant, alors que nous en arrivons à l’examen du seul article de ce texte de loi contenant des dispositions pénales.

Après le ministre de l’intérieur, je veux souligner à mon tour le travail consciencieux et sérieux que nous avons effectué pour préparer ce projet de loi. Je saluerai surtout l’apport, dans ce cadre, de nos équipes et des experts dont nous nous sommes attaché les services.

Nous avons tous, bien entendu, en mémoire l’affaire Merah, évoquée à plusieurs reprises encore aujourd’hui, cette tragédie marquée par le meurtre d’enfants, d’adultes, civils comme militaires. Nous avons tous vécu cette émotion, cette colère aussi, tout comme ces peurs, qui ne sont pas toutes infondées. Les événements de ces derniers jours nous ont donné d’autres raisons de nous inquiéter.

C’est donc non seulement avec la conscience de la menace actuelle, de la nécessité d’en prendre toute la mesure, d’en connaître toutes les formes d’expression pour mieux l’anticiper, mais aussi avec le souci de l’efficacité que nous avons travaillé sur ces nouvelles dispositions particulières du code pénal.

Nous avons souhaité répondre à la question de l’amélioration des dispositifs déjà existants, qu’il s’agisse du repérage par le renseignement, de la prévention par les enquêtes préliminaires et les informations judiciaires, ou de la répression.

Cette question n’est pas anodine. Dans le cadre de nos réflexions, nourries de l’apport de certains experts, il est apparu que l’ajout de précisions sur des incriminations pouvait aboutir à fragiliser les possibilités d’initiative des magistrats.

Nous avons voulu construire un nouvel outil législatif propre à améliorer la procédure tant administrative que judiciaire. Nous avons veillé à bien identifier ce qui pouvait relever du domaine législatif et du domaine réglementaire, et ressortir d’une meilleure coordination entre les services, au sein même de l’administration, au travers de telle ou telle mesure prenant éventuellement la forme d’une instruction de politique pénale.

C’est donc sur la base de ces interrogations très précises que nous avons confronté les différentes situations. Je le disais, nous nous sommes attaché les services d’experts, de praticiens, de magistrats du siège, tels que les juges d’instruction du pôle antiterroriste, de magistrats du parquet, œuvrant en particulier dans le cadre de la section centrale de la lutte antiterroriste, de policiers spécialisés et de juristes, notamment de la Cour de cassation.

Nous nous sommes également fondés sur la jurisprudence, qui, parce qu’elle donne une interprétation large de l’incrimination d’association de malfaiteurs à visée terroriste, permet aux magistrats de travailler correctement. Nous avons été alertés sur la nécessité de ne pas prendre le risque, par l’ajout d’incriminations complémentaires plus précises, de fragiliser le dispositif. Il faut garder à l’esprit qu’une telle incrimination d’association de malfaiteurs, lorsqu’elle est mobilisée, peut faire l’objet d’une exigence de précision par les magistrats.

Les dispositions figurant à l’article 2, qui introduit, au sein du livre Ier du code pénal, un article 113-13, entraînent des modifications importantes en ce sens qu’elles élargissent la compétence territoriale de nos juridictions françaises.

La rédaction retenue est sensiblement différente et plus large que celle qui figurait dans un texte précédent, porté par l’ancien garde des sceaux Michel Mercier. Au-delà de l’incrimination d’association de malfaiteurs, elle permet également de cibler des personnes liées au terrorisme sous une nature et une forme différentes. Je pense à des personnes ne pouvant justifier la détention de revenus ou d’autres moyens, ou simplement convaincues de financer des actes terroristes.

Par cet élargissement du champ d’application de la mesure concernée, la justice sera en mesure de poursuivre des Français qui agiraient dans des pays étrangers, quand bien même il n’existerait pas localement d’incrimination visant les actes ainsi perpétrés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, outre ce travail effectué sur le code pénal, je rappellerai d’autres dispositions essentielles de ce projet de loi qui concernent la sécurité intérieure ainsi que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Je veux souligner plus largement, comme certains d’entre vous l’ont fait dans leurs interventions cet après-midi, l’action publique engagée par le Gouvernement.

J’ai entendu vos interrogations portant sur la radicalisation qui pourrait s’opérer dans nos établissements pénitentiaires. Sachez que j’ai conscience de cette réalité, dont il faut prendre la mesure sans pour autant la surestimer, au risque de sous-estimer, en retour, ce qui peut se passer dans certaines parties du territoire et qui serait l’œuvre de personnes n’ayant pas eu un parcours judiciaire et pénitentiaire.

En tout cas, à peu près 20 % des personnes incriminées dans le cadre de l’attentat de Sarcelles et dans le réseau détecté et combattu par nos policiers et nos magistrats ont eu un parcours judiciaire et pénitentiaire. Cela veut dire, et nous ne devons pas le perdre de vue, qu’il existe d’autres lieux de radicalisation.

S’agissant de ce qui se passe dans nos établissements pénitentiaires, nous nous heurtons actuellement à deux difficultés auxquelles nous essayons d’apporter des réponses.

L’une des difficultés avait déjà été repérée par le garde des sceaux qui m’a précédée. Nous avons conforté les mesures qui avaient été prises. Cette difficulté, c’est la présence, dans nos établissements pénitentiaires, d’imams ou, en tout cas, de prêcheurs autoproclamés qui prônent un islam radical parfois haineux. Ces prêcheurs autoproclamés sont identifiés, repérés et font l’objet d’un transfèrement lorsque le prosélytisme est établi. Les surveillants pénitentiaires, quant à eux, suivent, notamment à l’École nationale de la magistrature, une formation destinée à leur fournir les éléments propres à détecter ces pratiques et à prendre la mesure du risque réel.

Toutes les sénatrices et les sénateurs le savent sans doute, il existe un bureau de renseignement pénitentiaire qui travaille avec les services de renseignements de la police. Il nous permet de contenir ce phénomène de radicalisation dans nos établissements pénitentiaires.

Cela étant, nous avons étudié le profil des personnes qui se trouvent impliquées dans ces processus de radicalisation à l’intérieur de nos établissements et nous avons constaté que la plupart d’entre elles sont dans un état de vulnérabilité économique, ce qui est, non un élément d’atténuation, mais un élément factuel. Elles sont souvent prises en charge sur le plan matériel à l’intérieur des établissements et, parfois, assez souvent même, à l’extérieur.

Il serait donc nécessaire de prendre en compte la réalité de l’indigence qui existe dans certains de nos établissements et de faire en sorte de réduire cette vulnérabilité économique.

Une autre difficulté réside dans notre incapacité à répondre, le cas échéant, à la demande de culte dans nos établissements pénitentiaires. Nous constatons, pour l’instant, un grand déséquilibre dans la répartition des vacations pour la pratique des cultes. Et ce grand déséquilibre est très défavorable à la confession musulmane.

Nous avons donc décidé de créer, pour l’année 2013, un certain nombre de vacations supplémentaires qui nous permettront de couvrir une trentaine d’établissements supplémentaires. En 2014, nous couvrirons à nouveau une trentaine d’établissements supplémentaires. Nous rééquilibrerons progressivement la situation pour ménager les conditions propices à la pratique du culte en question. Cette pratique est légale dans notre société laïque. Notre République laïque ne conteste pas l’exercice du culte. Elle respecte le principe de coexistence de l’athéisme, de l'agnosticisme, de la libre conscience, de la libre-pensée et de toutes les confessions. Nous cherchons à créer les conditions nécessaires pour que toute confession puisse être pratiquée, dans le respect des lois et des principes républicains.

Voilà donc ce qui accompagne, en termes de politique publique, les dispositions pénales contenues dans l’article 2 de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 10 rectifié bis, présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

ou par une personne titulaire d'un titre de séjour l'autorisant à résider sur le territoire français

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Le Gouvernement propose que puisse être poursuivi un Français qui, à l’étranger, se livre à des actes de terrorisme.

Je proposais, pour ma part, d’aller un peu plus loin afin que puissent être poursuivies également les personnes résidant habituellement en France. Pour essayer de bien cibler une catégorie et ne pas arriver à une définition trop large, la commission des lois a beaucoup travaillé ce matin. J’ai accepté, sans problème, de tenir compte de ses observations et de modifier l’amendement. Désormais, il est fait mention d’« une personne titulaire d’un titre de séjour l’autorisant à résider sur le territoire français. »

Cette proposition, qui répond à l’objectif recherché, permettra de parfaire l’arsenal juridique dont disposeront les policiers et les magistrats.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. L’amendement, tel qu’il vient d’être présenté par M. Michel Mercier, recueille un avis favorable de la commission. Il est le fruit d’une œuvre collective accomplie ce matin sur la base de la proposition de notre collègue.

L’article 2, qui est la novation principale de ce texte, ne crée pas une nouvelle incrimination. Il étend les incriminations et permet de poursuivre les crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis par un Français hors du territoire de la République.

M. Mercier proposait que puissent être également poursuivis ceux dont la résidence habituelle était en France. Pour la commission des lois, les mots « résidence habituelle » risquaient de poser des problèmes. La formulation ne nous paraissait pas suffisamment précise.

Nous sommes donc arrivés à un texte dans lequel cette incrimination viserait des crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis par un Français ou par une personne titulaire d’un titre de séjour l’autorisant à résider sur le territoire français. Cette définition recueille, en effet, l’accord de toute la commission.

J’émets donc un avis tout à fait favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Il est difficile au Gouvernement de s’opposer à une œuvre collective de la commission des lois du Sénat ! (Sourires.)

Vous le savez, la loi pénale est déjà applicable à un ressortissant français qui a commis un crime ou un délit puni d’emprisonnement hors du territoire de la République. Il n’y a donc pas d’obstacle à l’élargissement des dispositions de l’article 113–13 du code pénal aux ressortissants étrangers résidant habituellement en France.

La commission a très utilement remplacé cette notion de résidence habituelle par l’exigence de la détention d’un titre de séjour.

Il serait, au fond, cohérent que les résidents habituels en France soient passibles des mêmes sanctions pénales que les Français pour les mêmes faits commis à l’étranger.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 10 rectifié bis.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Je ne siège pas à la commission des lois, ce qui me donne peut-être un regard plus neutre. Le mérite de cet amendement n’en revient pas moins à cette dernière et je comprends parfaitement cette proposition, présentée avec beaucoup de brio par notre collègue Michel Mercier, qui fut garde des sceaux. Je veux rappeler et saluer après lui tout le travail fait au sein de la commission présidée par M. Sueur, tout le travail accompli par le rapporteur, tout le travail produit par nos collègues sur ce texte et sur cet amendement, en particulier.

Tout à l’heure, Mme la garde des sceaux a fait état de la sécurité intérieure. Il s’agit de la sécurité intérieure au sens large, celle qui, au-delà des interventions au sens de la justice, revêt toutes sortes de formes. Et je n’oublie pas non plus de faire référence à un texte que M. Jean-Jacques Hyest, en sa qualité d’ancien président de la commission des lois, connaît bien, je veux parler de la loi LOPSI II votée en janvier 2011. Une partie de ce texte soulignait la nécessité de travailler sur la sécurité intérieure au sens large. Dans le même esprit, cet amendement ajoute aux notions de justice la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes. Les témoignages des différents intervenants vont dans ce sens.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Article 3

Articles additionnels après l'article 2

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 2 rectifié bis est présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf.

L'amendement n° 11 rectifié est présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 2° de l’article 421-1 du code pénal, après les mots : « les extorsions, », sont insérés les mots : « le chantage, ».

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié bis.

M. Jean-Jacques Hyest. Je serai bref, car M. Mercier, qui fut le rédacteur du projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme, est beaucoup plus qualifié que moi pour défendre cet amendement.

Il s’agit simplement de transposer la décision-cadre du 28 novembre 2008 relative à la lutte contre le terrorisme, qui exige de réprimer comme acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme.

Même si l’on m’objecte que cela existe déjà, il faudra préciser les choses. Il me paraît indispensable de faire figurer le mot « chantage » dans la loi si l’on veut respecter la décision-cadre précitée.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter l'amendement n° 11 rectifié.

M. Michel Mercier. Nous voulons poser une question au Gouvernement : pourquoi refuser de transposer la décision-cadre du 28 novembre 2008. Dès lors qu’elle existe et qu’il faudra la transposer, pourquoi attendre un autre texte ? Je crois qu’il y a là l’occasion de procéder à cette transposition et, surtout, de montrer que la lutte contre le terrorisme ne passe pas uniquement par le droit national, qu’elle a nécessairement une dimension européenne. On sait bien que les frontières ne font pas peur aux terroristes !

Nous proposons donc de transposer la décision-cadre du 28 novembre 2008 en ajoutant le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme.

Nous examinerons ultérieurement d’autres amendements tendant à reprendre d’autres dispositions de cette même directive.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. La commission vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir retirer ces amendements, à défaut de quoi son avis serait défavorable.

En effet, nous considérons que l’exigence posée la décision-cadre du 28 novembre 2008 relative à la lutte contre le terrorisme de réprimer comme acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme est déjà satisfaite par le droit en vigueur.

Je m’explique. Dans la liste des infractions constituant des actes de terrorisme figure l’extorsion. Or celle-ci, dans notre code pénal, recouvre différentes incriminations, parmi lesquelles le chantage. J’ai, sous les yeux, cher collègue Mercier, l’article 312–1 du code pénal, qui définit l’extorsion. Il figure dans un chapitre qui a pour titre « De l’extorsion » et comporte deux sections : une section 1 intitulée « De l’extorsion » et une section 2 intitulée « Du chantage ».

Nous considérons donc que la précision que vous proposez d’introduire n’est pas utile.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce qui importe, c’est le contenu des articles, pas les titres des chapitres ou des sections !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de la commission. Lors de la discussion sur la décision-cadre de 2008, le gouvernement de l’époque avait considéré que le droit français satisfaisait à cette disposition et à aucun moment les autorités communautaires n’ont estimé que ce ne fût pas le cas.

Votre demande est donc satisfaite par le droit en vigueur dans la mesure où les extorsions comprennent d’ores et déjà le chantage.

M. le président. Monsieur Mercier, l’amendement n° 11 rectifié est-il maintenu ?

M. Michel Mercier. Personne ne conteste ici que le code pénal fait mention du chantage ni que celui-ci constitue une infraction pénale. Là n’est pas la question.

Nous parlons, en l’occurrence, de terrorisme. Je veux bien m’incliner autant que vous le voudrez, monsieur le rapporteur, mais, dans le code pénal, le chantage ne constitue pas un acte de terrorisme.

Nous vous proposons donc de transposer la décision-cadre européenne afin d’inscrire le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme et de le faire tomber dans le droit du terrorisme.

Il faut, bien sûr, interpréter la loi pénale de façon stricte, étroite et restrictive, ainsi que le rappelait Portalis, qui veille sur nos travaux ce soir,…

M. Charles Revet. Ce n’est pas vraiment inhabituel ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. … dans le Discours préliminaire du premier projet de code civil. Et je rappelle à ceux qui seraient tentés de ricaner que c’est tout de même lui qui a fait l’essentiel de notre droit !

Quoi qu’il en soit, je maintiens mon amendement.

M. Jean-Jacques Mirassou. Moi, d’où je suis, je vois surtout Turgot !

Un sénateur du groupe socialiste. Et Colbert !

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai lu aussi cet ouvrage, monsieur Mercier.

Dans les actes de terrorisme, il y a les extorsions. Or, dans les extorsions, il y a le chantage. C’est à la fois très simple et très précis !

M. Michel Mercier. Ne vous mettez pas en colère, madame le ministre ! J’essaie simplement de vous donner des armes...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pardonnez-moi ! Ne voyez là que la manifestation de mon tempérament amazonien ! (Rires.)

Il faut se reporter au deuxième alinéa de l’article 421-1 du code pénal : « Constituent des actes de terrorisme, [...] les vols, les extorsions, les destructions [...] ». Dans la déclinaison des actes constitutifs de l’incrimination de terrorisme figurent donc les extorsions, et parmi celles-ci, aux termes dudit code pénal, il y a le chantage.

Il ne s’agit nullement pour moi de vous être désagréable, monsieur Mercier ! Simplement, l’ajout que M. Hyest et vous-même suggérez est superfétatoire.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. le président. Monsieur Hyest, l’amendement n° 2 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Jean-Jacques Hyest. Nous pouvons tomber d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, madame la garde des sceaux. Pour autant, je pense qu’il vaut mieux apporter cette précision dans l’article 421-1.

Je connais un peu cette partie du code pénal, madame le garde des sceaux : y sont mentionnées globalement les extorsions, puis, en tant que deux incriminations différentes, les extorsions et le chantage. Nous ne nous prononçons pas sur des titres, mais sur des infractions ! Dans ce cadre, le chantage, ce n’est pas l’extorsion. L’un et l’autre ne sont d’ailleurs pas visés aux mêmes articles.

Je maintiens donc, moi aussi, mon amendement, car mon souci, à moi aussi, est de vous rendre service.