compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures cinq.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Dépôt d’un rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Marc Durand-Viel, président du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, le rapport pour l’année 2011, établi en application de l’article 20 de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédures aux contribuables en matière fiscale et douanière.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances et est disponible au bureau de la distribution.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l'absentéisme scolaire
Discussion générale (suite)

Absentéisme scolaire

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l'absentéisme scolaire
Question préalable

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à abroger la loi n° 2010-1127 du 27 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, présentée par Mme Françoise Cartron et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 756 [2011-2012], texte de la commission n° 57, rapport n° 56).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi.

Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous allons débattre ce matin vise à abroger le dispositif de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire, celui-là même qui avait été rétabli en septembre 2010, suscitant de vives discussions dans cet hémicycle.

Je souhaite que les échanges d’aujourd’hui se déroulent dans un climat constructif et apaisé. Je tiens d’ailleurs à réaffirmer devant les sénatrices et les sénateurs de l’opposition que ma démarche n’illustre en rien un clivage partisan. En effet, en 2004, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait lui-même supprimé le mécanisme existant depuis 1966, mécanisme identique à celui qui a été restauré par la proposition de loi de M. Ciotti.

Dans un rapport de 2003 consacré aux manquements à l’obligation scolaire, M. Machard, délégué interministériel à la famille, avait mis en avant que le non-respect de l’obligation scolaire était un phénomène éminemment complexe et qu’une réponse univoque ne pouvait en aucun cas être satisfaisante, affirmant que la suspension des allocations familiales, en vigueur depuis quarante ans, était sans effet dissuasif sur les familles et contre-productive pour celles qui s’étaient vu retirer leurs prestations. Devant vous, ce matin, je ne défends pas autre chose.

De façon connexe, nous estimons que le contrat de responsabilité parentale, le CRP, issu de la loi de 2006 pour l’égalité des chances, doit lui aussi être abrogé. Redondant au regard des dispositifs déjà existants, jugé le plus souvent inutile, il est resté largement inappliqué par les conseils généraux, toutes tendances politiques confondues.

Un chiffre parle de lui-même : 38 CRP ont été signés sur notre territoire entre 2006 et 2010 – 38 en quatre ans, on ne peut pas parler de réussite ! En 2011, il est vrai, 174 CRP ont été signés, dont 165 dans les Alpes-Maritimes, département dont M. Ciotti est président du conseil général et député. Il conviendrait sans doute de s’interroger sur ce particularisme local afin de comprendre la réalité de ces contrats. Cela dit, dans cette introduction au débat, je veux rappeler dans quel esprit s’inscrit cette proposition de loi que je vous appelle à voter.

Pourquoi toutes les personnes auditionnées par le Sénat, en 2010 comme en 2012, représentant les fédérations de parents d’élèves, les associations familiales, les personnels de direction de l’éducation nationale, l’Assemblée des départements de France ou la Caisse nationale des allocations familiales ont-elles désapprouvé ce dispositif ? Pour une raison simple : le mécanisme proposé repose sur une erreur fondamentale de diagnostic et propose donc une mauvaise thérapie.

Quel est ce diagnostic ? L’absentéisme scolaire serait dû à une défaillance parentale, voire à un laxisme coupable qu’il convient de sanctionner.

Or le phénomène de l’absentéisme scolaire est assurément plus complexe, il est protéiforme, autant dans ses causes que dans ses manifestations. En effet, l’éloignement de l’école peut être ponctuel, perlé ou durable. Ce défaut d’assiduité peut être ciblé sur une matière, une plage horaire, une période de l’année scolaire. Dans certains cas, il conduit au décrochage total, parfois définitif.

Il existe autant de types d’absentéisme que d’enfants absentéistes, autant de sources aussi. Ces problématiques, extrêmement diverses, peuvent être familiales ou sociales : elles sont parfois l’expression de souffrances psychologiques, souvent la conséquence de détresses humaines.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Françoise Cartron. Elles peuvent être aussi éducatives, qu’il s’agisse d’un phénomène de violence scolaire, d’une distanciation liée à l’environnement de l’établissement, à des difficultés scolaires accumulées parfois dès le plus jeune âge, à une orientation non choisie qui intervient le plus souvent à la fin du collège et se manifeste le plus durement au lycée professionnel où, d’ailleurs, le taux d’absentéisme lourd est trois fois plus élevé que la moyenne observée dans l’enseignement du second degré public.

Par ailleurs, si tous les publics sont touchés et tous les territoires concernés, une large majorité des absentéistes est présente dans l’éducation prioritaire qui regroupe majoritairement les familles rencontrant les plus grandes difficultés sociales, familles qui se sentent le plus souvent éloignées de l’école et de ses codes. Les témoignages, notamment ceux des directeurs académiques des services de l’éducation nationale, les DASEN, de l’académie de Créteil, ainsi que les indicateurs dont nous disposons, l’ont mis en exergue.

Si un quart des établissements n’a jamais été touché, les absentéistes sont trois plus nombreux dans les collèges de l’éducation prioritaire. En janvier 2010, le taux d’absentéisme était de 6,4 % dans les établissements du réseau « ambition réussite », ou RAR, et du réseau de réussite scolaire, ou RRS, et de 2,3 % dans les autres établissements. Eu égard à ces constats, le dispositif de la loi Ciotti se révèle clairement inadapté, injuste et inefficace.

Rappelons que ce dispositif devait, initialement, être intégré au projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Cette démarche du législateur ne servait en rien, ni dans son esprit ni dans sa conception, un quelconque intérêt éducatif. Seule une réelle ambition pour l’école aurait pu apporter une réponse efficace, juste, aux problèmes multiples et complexes qui sont à l’origine du décrochage scolaire.

Par ailleurs, cette sanction ne s’applique pas à toutes les familles d’enfants absents : celles avec un seul enfant ou n’ayant plus qu’un enfant à charge ne perçoivent tout simplement pas d’allocations familiales. En outre, celles pour lesquelles les prestations familiales ne représentent qu’une infime partie des ressources resteront insensibles à leur suspension comme à leur suppression. Une loi qui ne s’applique pas à tous est-elle une bonne loi ?

Seules les familles nombreuses, avec plusieurs enfants scolarisés, les familles les plus pauvres, en particulier les familles monoparentales, dont la subsistance matérielle nécessite la solidarité de l’État, sont susceptibles d’en subir les conséquences. Peut-on imaginer que ces familles trouveront dans cette sanction la motivation et la capacité nécessaire pour permettre à leur enfant le retour sur le chemin de l’école ? L’argent peut-il être le moteur de l’éducation parentale ? Bien sûr que non ! Seul un soutien à la parentalité, un accompagnement dans la durée constituent les réponses adéquates à ce problème.

En fait, la loi Ciotti procédait non seulement d’une approche répressive et stigmatisante, mais aussi d’une méconnaissance totale de la réalité des familles, portées par une vision très négative du rôle des parents. En effet, soyons-en certains, tous les parents souhaitent a priori la réussite de leurs enfants, mais les conditions de vie sociales et économiques, extrêmement difficiles au sein de certains foyers, peuvent expliquer en grande partie le phénomène de l’absentéisme.

Une femme seule avec plusieurs enfants, contrainte à exercer un temps partiel ou subissant des horaires de travail décalés tôt le matin, tard le soir, particulièrement exposée à la précarité, doit-elle être tenue responsable de l’absentéisme d’un de ses enfants et voir une partie de ses faibles revenus disparaître ? Bien entendu, non !

Je pourrais citer d’autres cas aussi douloureux, comme ceux des familles confrontées à la maladie, au handicap, résultant parfois d’un accident du travail : ces familles doivent-elles être sanctionnées et montrées du doigt ? Bien évidemment, non !

D’ailleurs les sanctions règlent-elles le problème ? La comparaison des années scolaires 2009-2010 et 2010-2011, qui encadrent la mise en place du dispositif, conduit à constater une progression du taux d’absentéisme, celui-ci passant de 4,3 % à 5 %. Le constat est identique en Grande-Bretagne, pays où la répression est encore plus sévère.

Comment pourrait-il en être autrement ? À un problème avant tout social et scolaire, la réponse répressive telle qu’elle est envisagée par ce texte, en l’occurrence à travers une sanction financière injuste, non seulement est un aveu d’impuissance mais aussi participe in fine au renforcement du phénomène.

D’une part, le dialogue sous la contrainte, loin d’inverser la tendance, peut venir rompre de manière définitive le lien de confiance souvent difficile à tisser entre les parents et les représentants institutionnels.

D’autre part, cette logique répressive conduit dans certains cas à une baisse des signalements d’absentéistes, rendant le phénomène encore plus difficile à traiter. En outre, elle pourrait laisser croire que, par des réponses simplistes, un phénomène aussi complexe que l’absentéisme pourrait être freiné.

À l’inverse de cette démarche, il est nécessaire de développer une politique de dialogue et de coresponsabilité au sein de l’école de la République. Aujourd’hui, après des années de fragilisation, l’école est de nouveau une priorité.

Aussi, la loi Ciotti me paraît incompatible avec cette nouvelle orientation politique dont l’axe structurant est la confiance et le redressement dans la justice, et dont l’objectif est une solution globale afin que diminue de manière sensible l’échec scolaire dans notre pays.

Le Président de la République, présentant les conclusions de la concertation sur l’école, le rappelait le 9 octobre dernier : « Je propose d’utiliser face au décrochage scolaire toute la gamme des instruments, de l’alerte jusqu’au traitement personnalisé à travers un encadrement dans l’établissement, et parfois hors de l’établissement [...]. Mais c’est en amont que l’efficacité peut être la plus grande. »

Il évoquait alors la nécessité d’un référent dans les établissements de l’enseignement secondaire les plus touchés par l’absentéisme, notamment les lycées professionnels.

À cet effet – et j’en profite pour saluer l’excellent travail effectué par M. le rapporteur –, je me félicite de l’adoption en commission de l’amendement prévoyant un dispositif adapté au sein même de l’établissement réunissant les membres de la commission éducative.

Selon le diagnostic établi, ce sont les partenaires appropriés sur le terrain qui seront mobilisés afin de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés à la problématique spécifique, leur rappelant leur devoir d’assiduité.

Cette nouvelle méthode de traitement fera appel à tous ceux qui participent à l’accomplissement des missions de l’école – personnels de direction, enseignants, conseillers principaux d’éducation, médecins scolaires, parents d’élèves et collectivités territoriales –, non dans une logique de sanction, mais avec l’objectif d’un suivi régulier et rigoureux. En effet, comme le dit très justement Edgar Morin, « si vous avez le sens de la complexité, vous aurez le sens de la solidarité. »

Finissons-en avec les politiques d’affichage reposant sur des analyses simplistes qui s’avèrent au mieux inefficaces, souvent contre-productives. Finissons-en aussi avec la création de structures nouvelles dont ne se saisiront pas les acteurs concernés. Proposons des solutions à la fois ciblées et globales.

C’est le sens de la grande loi de la refondation de l’école qui sera discutée dans les prochaines semaines au Parlement, qui aura pour objectifs de concentrer les moyens dans les établissements de l’éducation prioritaire, de relancer la préscolarisation, de donner la priorité à l’école primaire, en particulier dans les zones les plus en difficulté pour éviter que ne se sédimentent et ne s’accroissent les inégalités, mais aussi de créer un service public territorialisé de l’orientation afin de lutter le plus efficacement possible contre l’orientation par défaut.

Il faudra également rétablir des liens de confiance et de coopération entre la famille et l’établissement scolaire, développer les actions de l’aide à la parentalité. Il faudra rapprocher les temps éducatifs et les temps scolaires afin de prendre en compte la globalité de l’enfant dans son parcours d’apprentissage et dans ses problématiques.

En conclusion, je répète qu’il s’agit pour nous non pas de faire table rase du passé pour des raisons idéologiques, mais bien de faire table rase du passif pour le redressement durable de notre école, si abîmée par endroits.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Françoise Cartron. Il s’agit également de veiller à ce que le signe de l’éloignement de l’enfant soit repéré très rapidement, suscitant alors la mobilisation de toute une équipe éducative.

Je propose donc d’abroger la loi Ciotti parce que c’est une loi de défiance, et je vous invite à soutenir les propositions que je viens d’expliciter, issues du texte de confiance que j’ai déposé : confiance envers les jeunes, confiance envers leurs parents, confiance envers l’école et en sa capacité à apporter à chacune et à chacun les outils nécessaires à sa réussite ; confiance envers les partenaires sociaux éducatifs qui, tous ensemble, œuvrent pour une intégration réussie dans notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi, déposée et excellemment défendue à l’instant par Françoise Cartron, vise à abroger deux dispositifs distincts : premièrement, le mécanisme de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire instauré par la loi Ciotti de 2010 ; deuxièmement, le contrat de responsabilité parentale issu de la loi Borloo de 2006.

Ces deux dispositifs étaient naguère liés étroitement. Initialement, le contrat de responsabilité parentale permettait en effet au président du conseil général de demander la suspension des allocations familiales en cas de non-respect de leurs engagements par les familles.

Toutefois, le contrat de responsabilité parentale, ou CRP, est demeuré inappliqué par l’ensemble des conseils généraux de toutes sensibilités politiques, hormis dans le département des Alpes-Maritimes présidé par Éric Ciotti lui-même. En 2010, sur 194 contrats signés, seuls dix l’étaient hors des Alpes-Maritimes, en Vendée pour l’essentiel.

Tant l’Assemblée des départements de France que la Caisse nationale des allocations familiales et la Direction générale de la cohésion sociale ont souligné que ce contrat n’avait pas pris, parce qu’il perturbe la logique même de l’accompagnement parental mis en place dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance. Rejeté par les acteurs sociaux, le CRP est redondant avec les autres dispositifs existants et ne présente aucune mesure concrète d’accompagnement parental.

En outre, le CRP n’est plus aujourd’hui corrélé avec la lutte contre l’absentéisme. En effet, pour contourner les réticences des présidents de conseil général, la loi Ciotti du 28 septembre 2010 a retiré à ces élus la faculté de demander la suspension des allocations familiales. Elle a brisé le lien entre le contrat de responsabilité parentale et la suspension des allocations, et instauré à la place un mécanisme automatique de suspension sur saisine de l’inspecteur d’académie.

Le CRP instauré en 2006 est donc devenu caduc et ne peut plus aujourd’hui être considéré comme un instrument de lutte contre l’absentéisme. Il présente toutes les caractéristiques d’un dispositif inconsistant et inutile. C’est pourquoi la commission de la culture soutient sa suppression.

J’aimerais insister sur le manque d’évaluation en amont comme en aval du dispositif de suspension des allocations familiales introduit par la loi Ciotti de 2010, l’un des deux dispositifs qu’il s’agit d’abroger. Cette loi a été adoptée sans étude d’impact en amont – et vous savez combien j’y suis attaché, a fortiori sur un tel sujet – et son application n’a fait l’objet, en aval, d’aucune évaluation.

Cette méthode de législation, vous en conviendrez, n’est pas convenable. Elle est la marque de fabrique de ces lois qui ne visent qu’à créer les conditions d’un affrontement idéologique, à mettre en place une posture politique.

Sur le fond, l’approche de l’absentéisme scolaire développée dans la loi du 28 septembre 2010 s’inscrit dans la seule perspective de la prévention de la délinquance. Il n’est pas inutile de revenir aux motivations premières de M. Ciotti. N’oublions pas que son propos concernait à l’origine la lutte contre la délinquance et non la lutte contre l’absentéisme scolaire. Ce dispositif, initialement prévu pour figurer dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, a finalement atterri dans le code de l’éducation !

Le mode de traitement retenu est donc la sanction des familles concernées, parfois la menace. Pourtant, l’absentéisme est un phénomène complexe et protéiforme, qui nécessite toute notre attention et l’action de tous les acteurs pouvant lutter contre ce phénomène. Ses causes sont extrêmement diverses. Il est donc impossible de pointer comme seul facteur la démission supposée des parents.

Les fédérations de parents d’élèves, quelles que soient leurs sensibilités, ont toutes affirmé que, en dehors de cas extrêmes liés à une profonde exclusion sociale, elles ne rencontraient jamais de parents démissionnaires par irresponsabilité, insouciance ou désintérêt à l’égard de leurs enfants, mais voyaient uniquement des parents démunis et désemparés.

Alors que le lycée professionnel est massivement touché par l’absentéisme, la question de l’orientation par défaut ne peut être occultée. La première année de lycée professionnel concentre 18 % de l’absentéisme scolaire : il y a donc beaucoup à faire à ce niveau-là. L’orientation subie, à cette période de la vie entre l’adolescence et l’âge adulte, provoque forcément le désintérêt, y compris parfois pour chercher de petits boulots si l’on pense que l’on ne poursuivra pas dans cette voie.

Au collège, les élèves absents sont souvent ceux qui connaissent déjà l’échec scolaire, après un parcours difficile dans l’enseignement primaire.

Quant à la relation avec la violence scolaire, le lien de causalité suggéré dans la loi Ciotti devrait être inversé. Ce sont les cas de violence, parfois de harcèlement constitué, qui poussent certains enfants à ne pas aller en cours pour éviter leurs agresseurs. On constate en effet que les élèves qui subissent des violences, affichées ou sourdes, ne viennent plus à l’école : ce seraient donc eux, et non pas ceux qui exercent ces violences, qui seraient sanctionnés ! Le résultat obtenu est exactement l’inverse de celui qui était recherché par M. Ciotti.

Il existe aussi un absentéisme de confort, proche du zapping scolaire, où l’on évite un professeur en particulier, une discipline spécifique ou bien certains horaires, comme le premier cours après la pause méridienne.

En dehors de la scolarité et de l’établissement, les absences peuvent également plonger leurs racines dans des difficultés d’ordre social ou familial. Même si l’absentéisme touche tous les milieux, il semble plus élevé chez les familles dont la situation est précaire, qui sont frappées par le chômage et sont allocataires des minima sociaux. Les facteurs de fragilisation, comme un divorce, une recomposition familiale difficile ou un décès, pèsent également sur l’assiduité. En outre, l’existence de conflits intrafamiliaux peut entraîner un absentéisme, à un âge où l’autorité des parents est contestée par l’adolescent et doit se reconfigurer.

D’autres facteurs peuvent encore entrer en jeu. Il ne faut pas négliger, par exemple, d’éventuels problèmes psychologiques individuels rencontrés par l’adolescent – cela a été évoqué – ou l’exercice de plus en plus courant, notamment pour les élèves de lycée professionnel, d’un travail salarié à côté des études.

Dès lors, il paraît profondément irréaliste de proposer une solution commune à tous ces types d’absentéisme. Une solution purement répressive semble, en outre, particulièrement inadaptée.

La suspension des allocations familiales sur saisine de l’éducation nationale reprend un vieux dispositif, en vigueur pendant près de quarante ans. Je tiens à insister sur ce point, qui me permet de souligner que nous ne cherchons pas à faire de ce débat un conflit idéologique. Peut-être certains le veulent-ils ? De 1966 à 2004, ce dispositif avait déjà fait la preuve de son manque d’efficacité et d’équité. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Raffarin l’avait supprimé, par l’entremise du ministre de l’éducation nationale de l’époque, Luc Ferry.

À l’époque, de 6 000 à 7 000 familles étaient sanctionnées chaque année. Cela a été le cas pendant quarante ans, jusqu’à ce que le gouvernement Raffarin abroge le dispositif, lequel n’avait aucun effet positif sur l’évolution de l’absentéisme. Au contraire, celui-ci progressait du fait de l’aggravation des problèmes économiques et sociaux.

Avec le nouveau dispositif, 472 suspensions ont été prononcées de février 2011 à mars 2012, soit environ un an.

Depuis la mise en œuvre de la loi Ciotti, aucune amélioration tangible et durable des statistiques d’absentéisme ne peut être observée. En un an, le taux moyen de l’absentéisme dans l’enseignement du second degré est passé de 4,3 % en 2009-2010 à 5 % en 2010-2011, avec une augmentation généralisée au collège, au lycée général et au lycée professionnel.

L’un des effets pervers de la logique répressive de la loi Ciotti est d’avoir, dans certains cas, conduit à une baisse des signalements d’absentéisme, ce qui rend le phénomène plus difficile à traiter parce que moins visible. Après quatre demi-journées d’absence, le signalement doit être effectué par les responsables d’établissement. Vous pensez bien que ces derniers, sachant les conséquences que leur signalement peut avoir sur les allocations attribuées à des familles qu’ils connaissent, ne veulent pas mettre le doigt dans cet engrenage, et préfèrent ne pas le lancer. Au lieu de lutter contre le phénomène, on le masque. Certains chefs d’établissement, donc, évitent d’enclencher un mécanisme qui risque d’aboutir à fragiliser la situation déjà difficile de certaines familles qu’ils connaissent bien.

Il est un autre point qui mérite l’attention : l’essentiel des retours à l’assiduité intervient au moment de l’avertissement adressé aux parents par le DASEN. C’est bien la solennité de la procédure d’alerte et du rappel à la loi qui importe et non la sanction elle-même. De ce point de vue, la proposition de loi déposée par Françoise Cartron est parfaitement calibrée, puisqu’elle maintient l’avertissement solennel – ces articles de loi ne sont pas supprimés – ainsi que le rappel des règles en vigueur et des sanctions pénales applicables. Je rappelle qu’il existe deux incriminations comme contravention et comme délit. Tout l’effet dissuasif est donc conservé par la proposition de loi, qui ne supprime qu’une sanction administrative inutile, inefficace et injuste, comme j’ai essayé de le démontrer.

L’inefficacité du dispositif est patente. La suppression effective des allocations familiales n’entraîne pas le retour à l’assiduité des enfants absentéistes. C’est ce que m’a clairement expliqué, sur la base des rapports des DASEN, le recteur de Créteil, lequel, particulièrement exposé au phénomène, a d’ailleurs entrepris beaucoup d’actions pour y faire face.

Après ce constat d’inefficacité, permettez-moi de rappeler quelques critiques de principe. La suspension des allocations stigmatise et frappe de manière disproportionnée les familles modestes. Dans l’académie de Créteil, par exemple, les familles convoquées à l’inspection se trouvent dans des situations socioéconomiques très difficiles. De même, le contexte familial est souvent dégradé, avec des élèves suivis par l’aide sociale à l’enfance et faisant l’objet d’actions éducatives en milieu ouvert. On retrouve également une proportion non négligeable d’élèves placés en familles d’accueil. Pour ces familles qui connaissent la précarité, les allocations représentent une ressource importante, alors que les familles plus aisées sentent peu le poids de la sanction, comme Mme Cartron l’a expliqué.

La suspension des allocations constitue une sorte de double peine, qui frappe des familles déjà fragiles et risque d’éloigner encore plus ces dernières de l’institution scolaire, alors même qu’on prétend les en rapprocher. De plus, sont laissées dans l’angle mort de nombreuses familles qui, n’ayant qu’un seul enfant à charge, ne perçoivent pas ou plus les allocations familiales. C’est pourquoi la commission de la culture accueille très favorablement la suppression du dispositif, proposée par Françoise Cartron.

Pour ne pas en rester à une simple abrogation de mauvaises mesures, la commission a intégré dans le texte initial une nouvelle méthode de traitement de l’absentéisme scolaire. Tout ce qui est négatif est éliminé, tandis que des solutions plus positives sont recherchées. D’autres mesures seront probablement intégrées dans le prochain projet de loi d’orientation sur l’école, notamment en matière d’orientation et d’association constructive des parents à la vie des établissements. C’est ce que la concertation pour la refondation de l’école laisse apparaître. Des actions multiples sont engagées pour ouvrir l’école, y associer les parents et permettre un travail sur l’orientation scolaire : autant d’angles, en somme, par lesquels l’absentéisme peut être attaqué.

En attendant cette étape, la commission a souhaité que puisse être immédiatement inscrite dans la loi la nécessité de mobiliser autour de l’établissement tous les acteurs de terrain, afin qu’ils trouvent la solution la plus adaptée à chaque cas particulier. Ainsi, en cas de persistance du défaut d’assiduité, le directeur de l’établissement d’enseignement réunira les membres concernés de la communauté éducative en vue de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés et contractualisés avec celles-ci.

Afin d’éviter les confusions sur ce point – les débats en commission ont montré qu’elles étaient possibles –, je vous rappelle que, aux termes de l’article L. 111-3 du code de l’éducation, la communauté éducative comprend tous ceux qui participent à l’accomplissement des missions de l’école, du collège ou du lycée. Elle réunit les personnels de direction, les enseignants, les conseillers principaux d’éducation, les infirmières et médecins scolaires, les psychologues et assistantes sociales, les parents d’élèves, mais également les collectivités territoriales, ainsi que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, associés au service public de l’éducation.

Le champ est donc très vaste et déborde le seul personnel de l’éducation nationale. Y sont intégrés le maire de la commune de résidence, le président de conseil général, le président de conseil régional, de même que les services sociaux et jusqu’à la protection judiciaire de la jeunesse.

Bien évidemment, nous ne proposons pas que tout le monde soit systématiquement convié. Nous suggérons plutôt que, dans ce très vaste panel, le directeur d’école ou le chef d’établissement choisisse de réunir, en fonction de ses premières observations, les membres les mieux à même de formuler un diagnostic rigoureux sur la situation de l’élève et de sa famille. Il est important que les représentants des parents d’élèves y soient systématiquement associés – ils nous l’ont d’ailleurs demandé –, car ils pourront agir comme des médiateurs pour faciliter l’adhésion de la famille concernée au processus.

Il s’agit non pas d’une structure nouvelle qui s’empilerait sur les autres, mais d’une méthode de coordination de tous les dispositifs et services qui existent et qui demeurent, pour l’heure, cloisonnés. L’objectif est de mettre le plus rapidement possible à la disposition des familles les outils les plus efficaces pour faire face à leur situation spécifique. Pour l’instant, les dispositifs communs à l’éducation nationale et à l’action sociale comme les contrats locaux d’accompagnement à la scolarité demeurent trop centrés sur l’enseignement primaire et sur l’aide aux devoirs. Ils prennent trop peu en compte l’adolescence et le soutien à la parentalité. Le texte adopté en commission fournit une base législative qui permettra leur rénovation, à laquelle, je le sais, Mme la ministre déléguée à la famille travaille.

La réunion de diagnostic doit permettre d’aiguiller la famille. S’il s’agit avant tout d’un problème pédagogique ou éducatif, des solutions lui seront proposées dans l’établissement. S’il s’agit d’un problème d’orientation, notamment dans la voie professionnelle, la coordination avec le président du conseil régional et le rectorat permettra d’envisager un accompagnement de l’élève, un transfert ou une passerelle. S’il s’agit d’un problème social et familial, les services du conseil général et les CAF interviendront pour guider la famille vers des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, des lieux d’accueil enfants-parents ou des modules de médiation familiale.

La commission a souhaité que l’aide et l’accompagnement soient contractualisés avec la famille. Il s’agit non pas de réintroduire une logique de sanction, mais de permettre un suivi rigoureux et une évaluation précise de l’évolution de la situation. C’est aussi un moyen de garantir que la solution ne soit pas imposée à des parents infantilisés et stigmatisés, mais qu’elle soit au contraire discutée avec eux jusqu’à leur adhésion et leur approbation.