Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Vos interventions sont toujours pour moi de grands moments, même si, en l’occurrence, votre question est teintée d’une certaine forme de perversité, que je veux souligner.

En effet, vous expliquez que nous avons vu le danger et que, conscients de ce danger, nous nous dirigeons tout droit dans la direction que nous savons être une impasse, à l’instar de ces héros des tragédies grecques, incapables de maîtriser leur destin et contraints d’aller à leur perte, sans jamais pouvoir arrêter la machine qui les guide. (Sourires.) Monsieur Chevènement, vous prêtez là une forme de cruauté à la politique gouvernementale ! Mais vous faites aussi preuve d’une forme d’injustice à notre égard, compte tenu de ce que nous voulons faire.

En effet, nous avons bien vu le ressort de la politique menée par l’Union européenne. D'ailleurs, nous ne sommes pas le seul pays à l’avoir vu !

Sur ces questions, nous devons faire preuve à la fois d’équilibre et, autant que faire se peut, de subtilité car, avec l’équilibre et la subtilité, on peut parvenir à arrêter les machines tragiques que vous avez décrites avec beaucoup de pertinence.

Comment corriger la politique menée par l’Union européenne ?

Premièrement, il faut de l’équilibre. Vous êtes vous-même trop attaché au principe de la méthode, de la rigueur, dans ce qu’elle a de plus positif – c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de la démarche politique, et non des politiques économiques –, pour ne pas accepter que nous ne parviendrons pas à sortir de la crise si nous ne faisons pas des efforts de redressement de nos comptes publics.

Si nous pouvons discuter des modalités de ce redressement, nous ne pouvons nous y soustraire. Par conséquent, nous serons d’autant plus crédibles à réorienter les politiques de l’Union européenne que nous apparaîtrons aux yeux de nos interlocuteurs européens comme totalement déterminés à rétablir nos comptes.

Deuxièmement, comme nous savons que le rétablissement de nos comptes n’est pas possible s’il n’y a pas de croissance, nous devons être absolument déterminés à créer les conditions de la croissance.

Troisièmement, – c’est là qu’intervient la dimension de subtilité, après l’équilibre entre croissance et disciplines, et l’Europe n’est plus une maison de redressement s’il y a de la croissance à côté des disciplines, elle est alors simplement une maison bien tenue ; et, entre une maison bien tenue et une maison de redressement, il y a toute la différence qui sépare le bon ordonnancement des choses de la rudesse des disciplines lorsqu’elles sont exclusives de tout le reste – nous devons donner aux concepts le contenu qui correspond à nos orientations.

Si l’on veut faire converger les politiques économiques et que la contractualisation est l’outil de la convergence, alors donnons à la contractualisation un périmètre qui permet d’aborder tout le champ de ces politiques. Et, si les politiques économiques ne peuvent converger que dès lors que les pays qui le jugent utiles opèrent les réformes structurelles nécessaires, faisons également en sorte que les grands investissements de croissance dont l’Europe a besoin et la politique de l’emploi soient contractualisés.

Monsieur le sénateur, pour reprendre une expression qui vous est chère, ne laissons pas la contractualisation ajouter au « cliquetis de chaînes » ! (Sourires.) Faisons en sorte que la contractualisation soit appréhendée ainsi. Et c’est parce que nous voulons que la contractualisation soit appréhendée de la sorte que nous la préemptons comme un sujet auquel nous donnons un contenu qui correspond à nos orientations politiques. Dans ce cadre, le budget de la zone euro doit devenir un véritable outil d’amortissement des chocs conjoncturels et, par conséquent, un véritable outil contracyclique.

Pour terminer, vous avez raison de dire que dans le blueprint de la Commission européenne, plus que dans les propositions d’Herman Van Rompuy, est évoquée la possibilité, pour la Commission, d’imposer la contractualisation aux pays qui sont en déficit excessif.

Un contrat ne s’impose pas ! Il faut deux parties pour le signer. Ce n’est pas un acte unilatéral que l’on impose à celui qui ne veut pas apposer son paraphe ! La contractualisation suppose un consentement. Elle n’est pas compatible avec une mesure que l’on impose au terme du constat d’un déficit excessif par une instance non désignée démocratiquement.

Sur ce point, nous serons très vigilants, très clairs et très pugnaces.

Tout le monde a bien compris qu’un débat doit avoir lieu et que, pour cette raison, cette question ne pourra pas être tranchée lors du Conseil européen des 13 et 14 décembre prochain, car il est de bonne méthode de consacrer un certain temps à ce débat.

Nous aurons donc l’occasion de reparler de ce sujet de façon approfondie, monsieur le sénateur Chevènement, ce qui permettra de confronter votre vigilance à nos orientations, exercice toujours utile dans cet hémicycle où tous les sénateurs présents, même s’ils sont ce soir moins nombreux que l’on ne pourrait le souhaiter, le sont parce qu’ils sont parfaitement avertis des questions évoquées.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs pays européens connaissent une situation financière particulièrement difficile, nous le savons tous. Les objectifs de réduction des déficits publics qui leur sont assignés, assortis de délais trop courts, risquent de provoquer des effets inverses à ceux qui sont recherchés.

Ainsi, en Espagne, les plans d’austérité se suivent sans réels résultats positifs et ce qui se passe en Espagne et dans d’autres pays pourrait accroître le phénomène de contagion de la récession à l’ensemble des économies européennes, puisqu’elles sont bien sûr interconnectées.

Pourtant, dans ses recommandations économiques, la Commission continue de s’appuyer sur un modèle qui a très fortement sous-estimé l’impact des budgets d’austérité sur la croissance et l’emploi. Or la zone euro a besoin de plus de temps pour réduire ses déficits et ses dettes publics. Du reste, de nombreux économistes dans le monde, y compris les experts du Fonds monétaire international, reconnaissent aujourd’hui que la cure d’austérité dans la zone euro est trop brutale. Une analyse et des recommandations économiques différentes de celles de la Commission s’avèrent donc nécessaires. Dans cette perspective, il est important de concrétiser la conférence interparlementaire pour permettre une réflexion et une prise de position collectives sur une coordination des politiques indispensable à la relance et à la croissance.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, le rôle que la France compte jouer afin de promouvoir, à la fois, le sérieux budgétaire et la souplesse dans le temps, pour arriver à un équilibre sain mais aussi raisonné ? Ne pensez-vous pas que cette souplesse dans le temps permettrait d’éviter une récession généralisée et de favoriser, au contraire, le retour de la croissance économique sans asphyxier les peuples européens, déjà éprouvés par de très grandes difficultés sociales ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, votre question est très importante, puisqu’elle pose à nouveau le problème, que nous avons tous à l’esprit, de l’équilibre à trouver entre le redressement des comptes publics et la croissance.

Si le redressement des comptes publics s’inscrit dans une logique exclusivement « austéritaire », l’austérité appelant l’austérité, la volonté de redresser les comptes publics conduira à une aggravation des déséquilibres de ces comptes et à une austérité plus grande encore. Elle provoquera surtout un divorce progressif entre les peuples et le projet européen, parce que les peuples paient la facture de l’austérité, c’est-à-dire la facture de la finance devenue démente, dont ils ne sont pas responsables. Une crise politique s’ajoutera alors à la crise économique et sociale.

Nous assisterons aussi à un triple phénomène qui commence à apparaître en Europe et constitue un sujet d’inquiétude profond pour tous ceux qui sont résolument européens.

Tout d’abord, le retour des nationalismes. Il n’est pas encore aussi manifeste qu’il l’a été avant que le projet européen existe et nous rassemble, mais nous voyons au moins poindre un des prolégomènes du nationalisme, l’égoïsme national – l’exercice budgétaire dans lequel nous sommes engagés collectivement nous en a donné quelques exemples.

Ensuite, une forme de séparatisme, que l’on voit poindre en Belgique, en Espagne, dans un certain nombre de pays où les difficultés économiques conduisent à des manifestations d’autonomisme qui posent question.

Enfin, le populisme, qui gagne, prospérant non pas sur le terreau de l’euroscepticisme, mais sur celui de l’eurohostilité, conjuguée à l’éloignement des valeurs démocratiques que défend l’Europe comme le creuset de son identité. Tout cela est préoccupant.

Il faut donc essayer de rééquilibrer les politiques de rigueur par des ambitions de croissance. Comment le faire ? Plusieurs pistes sont envisageables.

Premièrement, il convient de remettre en ordre la finance et, dès lors que celle-ci est remise en ordre, de faire en sorte que les fonds de solidarité puissent contribuer à recapitaliser les banques, parce que tout ce que les États paient sur les marchés pour recapitaliser leurs banques est répercuté sur les peuples. Casser le lien entre dettes souveraines et dettes bancaires est une manière d’épargner aux peuples une austérité à venir : il faut donc le faire !

Deuxièmement, les pays qui ne connaissent pas la difficulté du redressement doivent procéder, chez eux, à des relances économiques dont l’Europe, dans son ensemble, bénéficiera : c’est aussi cela, la solidarité européenne. Je ne dirai pas quels pays doivent agir ainsi, ni dans quelles proportions, car je risquerais de susciter des agacements, mais il faut aussi le faire !

Troisièmement, il faut également mettre en place des politiques de financement des investissements structurants dont l’Europe a besoin pour restaurer sa compétitivité, et le faire de manière contractuelle. L’extension du périmètre de la contractualisation peut nous aider à sortir des logiques récessives. Si nous menions le raisonnement à son terme, nous pourrions considérer que les investissements structurants que nous décidons de contractualiser entre États, avec la Commission, pour assurer notre compétitivité durable dans les domaines de l’énergie, des transports, de la numérisation des territoires, pourraient être déduits du déficit structurel. Le TSCG le permet, puisqu’il introduit précisément cette notion de déficit structurel.

Si nous parvenions à atteindre l’ensemble de ces objectifs, nous articulerions de façon équilibrée rétablissement des comptes et initiatives de croissance, répondant ainsi, monsieur le sénateur, à la préoccupation que vous avez formulée et que le gouvernement français partage également, rassurez-vous !

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 13 et 14 décembre prochain.

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Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. Lors de sa réunion du mercredi 12 décembre 2012, conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 2111-16 du code des transports, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière de transports, a émis, à l’unanimité, un vote favorable – 8 voix pour – sur le projet de nomination de M. Jacques Rapoport à la présidence du conseil d’administration de Réseau ferré de France.

Acte est donné de cette communication.

11

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 13 décembre 2012 :

De neuf heures à treize heures :

1. Proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (n° 171, 2012-2013) ;

Rapport de Mme Patricia Schillinger, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 201, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 202, 2012-2013).

À quinze heures :

2. Questions cribles thématiques sur l’hébergement d’urgence.

À seize heures :

3. Proposition de loi visant à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie pour les successions supérieures à 150 000 euros (n° 92, 2012-2013) ;

Rapport de M. Ronan Kerdraon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 183, 2012-2013).

4. Proposition de résolution, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires (n° 132, 2012-2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART