MM. Jean-Louis Carrère et Alain Bertrand. Le Parlement passe après le groupe national loup !

Mme Delphine Batho, ministre. Sur le fond, son article unique contrevient à nos engagements européens et internationaux transposés en droit français aux articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement.

Le principe en droit français comme en droit international est la protection de l’espèce protégée que constitue le loup. La destruction du loup est interdite, mais certaines dérogations sont autorisées.

Les conditions de mise en œuvre de ces dérogations sont strictes. L’une d’entre elles exige que la destruction envisagée ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, de l’espèce protégée.

Cette formulation a été intelligemment reprise par M. le rapporteur dans ces amendements en commission, mais cet ajout ne suffit pas à rendre compatible le texte avec le principe d’interdiction de la destruction du loup.

La préservation du loup sur le territoire national n’est rendue possible qu’en fixant un plafond global, et non par zone, de prélèvement annuel.

Or la proposition de loi prévoit que « l’abattage de loups est autorisé dans des zones de protection renforcée délimitées […], indépendamment du prélèvement défini au niveau national ».

De plus, cette disposition créerait, de fait, une distorsion de concurrence entre les éleveurs des zones de protection renforcée et ceux des autres parties du territoire national concernées par la présence du loup. (M. Jean-Louis Carrère proteste.)

En pratique, ce dispositif serait contre-productif pour les éleveurs et créerait des zones de tension insupportables. D’ailleurs, lors de tous les entretiens que j’ai eus avec des associations d’éleveurs, ces derniers ont fermement désapprouvé cette distinction entre les territoires, selon qu’ils seraient protégés ou abandonnés.

M. Alain Bertrand. Nous n’avons pas rencontré les mêmes !

Mme Delphine Batho, ministre. C’est pourquoi la profession agricole ainsi que les associations de protection de la nature se sont opposées à ce type de zonage.

Cette proposition de loi affirme une volonté, et je comprends l’intention qui anime son auteur, mais, les dispositions prévues ne résolvent rien et n’apportent aucune efficacité supplémentaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais aujourd’hui à bien vous expliquer la démarche du Gouvernement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)

Nous avons travaillé main dans la main avec Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, sur ce sujet. Il n’en a pas toujours été ainsi auparavant !

Mme Delphine Batho, ministre. Nous ne voulons pas entrer dans une logique qui consisterait, sur ce dossier ô combien difficile, à opposer les uns aux autres. Le soutien à la méthode que nous avons conduite est l’une des conditions de la réussite du plan loup sur le territoire et de la force, ainsi que de la légitimité, qu’il doit avoir dans son application.

M. Jackie Pierre. N’importe quoi !

Mme Delphine Batho, ministre. J’espère que cette approche pragmatique et sérieuse pourra tous nous rassembler. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

(M. Charles Guené remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Teston. (Mme Gisèle Printz applaudit.)

M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les indices de présence du loup sur de nouveaux territoires en dehors de l’arc alpin se sont multipliés au cours des derniers mois. Plusieurs attaques de troupeaux, notamment dans le Massif central – en Lozère, dans le Cantal, dans la montagne ardéchoise – ont été reconnues avec « une responsabilité du loup non écartée », selon la prudente formule de l’administration.

Face à cette nouvelle situation, les éleveurs de ces territoires ont exprimé une compréhensible exaspération, conséquence des pertes subies et de la dégradation des conditions d’exercice de l’activité pastorale.

Pour de nombreuses raisons humaines, économiques et environnementales, les éleveurs ont besoin d’être soutenus et ils veulent que des réponses soient apportées à leurs légitimes inquiétudes.

Dans ce contexte, je comprends qu’Alain Bertrand se soit saisi de cette question. Néanmoins, des dispositions existent, contenues dans le plan d’action national sur le loup 2008-2012, et un nouveau plan loup pour la période 2013-2017 est en cours d’élaboration au terme d’un travail important.

Dès lors, la discussion de cette proposition de loi ne doit pas virer à la caricature. Il ne s’agit pas, mes chers collègues, d’un débat manichéen opposant ceux qui souhaiteraient une prolifération sans limite du loup et ceux qui ne penseraient qu’à l’élimination de cette espèce sur le territoire français.

M. Pierre Hérisson. Surtout dans cette enceinte ! (Sourires.)

M. Michel Teston. D’ailleurs, dans ce dossier, Mme la ministre vient de le rappeler, les ministres de l’agriculture et de l’écologie partagent la même position, preuve que des compromis peuvent être trouvés entre les conditions d’exercice des activités d’élevage et la conservation des espèces sauvages.

M. Jean-Louis Carrère. C’est déjà arrivé !

M. Michel Teston. Pour être efficaces et utiles, de nouvelles dispositions concernant le loup doivent non seulement être déclaratoires, mais aussi viser à rechercher un équilibre entre deux protections : celle des troupeaux et des activités d’élevage et celle du loup, conformément à la convention de Berne du 19 septembre 1979 ainsi qu’à la directive européenne « Habitats, faune, flore » du 21 mai 1992.

Les questions que l’on doit se poser à propos de ce texte sont les suivantes : cette proposition de loi apporte-t-elle des éléments supplémentaires utiles et efficaces pour répondre aux inquiétudes des éleveurs ? Est-elle conforme à la directive « Habitats » et à la jurisprudence ? Enfin, sa date d’examen est-elle opportune eu égard aux travaux menés pour l’élaboration du nouveau plan loup ?

Mes chers collègues, mon intime conviction est que tel n’est pas le cas, et ce pour trois principales raisons.

Première raison, les dispositions de ce texte ne paraissent pas en conformité avec la convention de Berne et la directive européenne « Habitats ».

M. Alain Bertrand. Nous avons démontré qu’elles l’étaient !

M. Michel Teston. En effet, ces deux textes qui fondent la protection du loup ne prévoient des dérogations qu’à titre exceptionnel et dans des conditions clairement déterminées.

Ces conditions ont été rappelées dans l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 14 juin 2007 : la chasse au loup ne peut intervenir qu’en l’absence de toute autre solution satisfaisante, après évaluation de l’état de conservation de l’espèce et en ayant identifié les loups causant les dommages.

En autorisant l’abattage des loups sans véritables conditions et indépendamment du niveau de prélèvement défini à l’échelon national, les « zones de protection renforcée contre le loup » qu’il nous est proposé de créer à la suite des modifications apportées en commission, sur la proposition du rapporteur, ne semblent pas plus conformes au droit international et au droit européen que les zones d’exclusion figurant dans le texte initial.

M. Jean-Vincent Placé. Tout à fait !

M. Michel Teston. Le niveau de prélèvement est déterminé à l’échelon national en fonction de nombreux critères techniques qui prennent en compte non seulement la population totale estimée de loups, mais aussi les caractéristiques locales de cette population – individus isolés ou meutes installées – et les évolutions de colonisation des territoires.

Au total, la gestion du loup est adaptative et différenciée, ce qui permet beaucoup de souplesse dans le respect du plafond de prélèvement fixé annuellement par arrêté ministériel après avis du groupe national loup.

Ensuite, même si je partage la volonté des auteurs du texte de permettre un exercice serein de l’activité pastorale, les termes adoptés en commission tels que « zones de protection renforcée contre les loups » me paraissent en contradiction avec l’objet même de la convention de Berne et de la directive « Habitats ».

En outre, envisager un tel zonage, c’est faire peu de cas de la mobilité du loup et risquer, en conséquence, une augmentation de la pression de prédation exercée sur les territoires non inclus dans ces zones. Ce serait donc simplement déplacer le problème et mettre les éleveurs situés hors des zones délimitées dans une situation bien plus difficile encore. Le dispositif proposé apparaît ainsi ingérable.

Deuxième raison de ma très grande réserve à l’égard de ce texte, les dispositions actuelles du plan loup répondent en partie aux inquiétudes des éleveurs.

Les dispositions actuelles issues du plan d’action national sur le loup 2008-2012 et des arrêtés ministériels annuels encadrant les dérogations permettent une gradation des interventions, qui, en définitive, peuvent aboutir à une autorisation de chasser le loup, dans des conditions conformes au droit.

En effet, par la mise en œuvre de mesures de protection des élevages et d’aide à la garde des troupeaux, puis, si nécessaire, par l’autorisation de tirs d’effarouchement, et enfin, si cela ne suffit pas, par l’autorisation de tirs de défense pouvant être létaux, le représentant de l’État a les moyens de lever graduellement la protection du loup, mais en agissant en conformité avec le droit international et européen, comme l’ont indiqué plusieurs arrêts du Conseil d’État, que je n’analyserai pas ici.

Ainsi, tout récemment, en Ardèche, un éleveur dont le troupeau a subi près de la moitié des attaques recensées, avec « une responsabilité du loup non écartée » – je reprends la formule de l’administration –, a été autorisé par le préfet à effectuer des tirs de défense létaux, les différentes mesures mises en œuvre n’ayant pas suffi à stopper les attaques.

M. Pierre Bernard-Reymond. Quel résultat concret ?

M. Michel Teston. Depuis, il n’y a plus d’attaque de loups !

Pourtant, l’Ardèche ne figure pas dans la liste des départements cités dans l’arrêté du 7 mai 2012, au sein desquels peuvent être délimitées les unités d’action – c’est-à-dire les zones d’intervention où les loups sont constitués en meute –, unités prévues par l’arrêté du 9 mai 2011 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup.

L’actuel plan loup permet donc de répondre de manière spécifique et graduelle aux évolutions du peuplement des territoires par le loup, même si les dispositions de ce plan doivent être adaptées aux nouveaux territoires de colonisation du loup, afin de réduire le plus possible ses conséquences sur les activités d’élevage.

Troisième, et dernière, raison, ce texte paraît inopportun au moment de l’aboutissement de la discussion en vue de l’élaboration du plan loup 2013-2017.

Ainsi que l’a rappelé Mme la ministre, les ministères de l’écologie et de l’agriculture travaillent avec le groupe national loup, composé notamment d’élus, de représentants des professions agricoles, des associations environnementales et des administrations concernées, à élaborer de nouvelles dispositions pour les quatre années à venir.

Il semble donc particulièrement inopportun que la représentation nationale adopte de nouvelles dispositions relatives au loup, alors que les conclusions de ce groupe national devraient être connues dans les tout prochains jours. Ce serait, pour le moins, nier le patient travail de l’ensemble des membres de ce groupe pour parvenir à un compromis.

Lors de la publication des conclusions de ce groupe de travail, nous serons plus à même de juger si les dispositions prévues répondent aux inquiétudes exprimées par les éleveurs. Nous pensons, en outre, que les représentants des organisations agricoles au sein du groupe national loup sont les mieux placés pour faire valoir les intérêts des éleveurs.

Toutefois, madame la ministre, vous avez clairement indiqué à propos du futur plan que, « pour être efficace, il faut tenir compte de situations très différentes selon les territoires ».

Si nous comprenons bien que vous ne puissiez nous donner « la primeur » des dispositions du plan d’action national sur le loup 2013-2017, nous vous demandons de nous confirmer – vous l’avez fait tout à l’heure, semble-t-il, lors de votre intervention – que les éleveurs confrontés à des prédations attribuées au loup et dont les pratiques agropastorales sont très différentes de celles des éleveurs de l’arc alpin, notamment ceux du Massif central, pourront, eux aussi, bénéficier de mesures spécifiques leur permettant d’assurer leur activité économique dans des conditions correctes.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Michel Teston. En conclusion, il est tout à fait compréhensible qu’Alain Bertrand se soit saisi de ce dossier et que le rapporteur, Stéphane Mazars, ait apporté sa contribution à la réflexion. Pour autant, nous considérons que cette proposition de loi n’apporte pas une réponse adaptée.

Outre le télescopage inopportun avec les prochaines annonces concernant le nouveau plan loup, ce texte, s’il était adopté, risquerait de créer une grande insécurité juridique sans, pour autant, améliorer véritablement la protection des activités d’élevage.

Par conséquent, dans sa grande majorité, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà près de vingt-cinq ans, le loup entrait de nouveau en France après y avoir été exterminé entre le XIXsiècle et le début du XXe siècle, pour disparaître en 1939.

Aujourd’hui, il est de nouveau présent dans de nombreux territoires, notamment les Alpes, le Jura, le sud du Massif central, les Pyrénées orientales, les Vosges,…

M. Pierre Hérisson. La Haute Savoie !

Mme Évelyne Didier. … et j’en oublie sans doute !

C’est un prédateur sociable et intelligent qui se nourrit essentiellement d’espèces sauvages. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Celles-ci représentent environ les trois quarts de son régime alimentaire.

M. Jean-Louis Carrère. Et ces espèces ne sont pas menacées ?...

Mme Évelyne Didier. Certes, mes collègues ont cité les chiffres, le nombre d’attaques de troupeaux d’ovins augmente. Toutefois, ne nous y trompons pas, cette évolution est surtout due à l’extension de l’aire de présence du loup. Ce dernier prend simplement de plus en plus de place en France.

M. Alain Bertrand. Précisément !

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. Il faut donc la juguler !

Mme Évelyne Didier. Il s’agit donc non pas d’une densification, mais d’une présence de plus en plus étendue, d’un étalement de l’aire géographique des loups.

Mme Évelyne Didier. Cet accroissement de la population de loups n’a pas vocation à être infini, puisque le territoire est, de fait, limité.

M. Dominique Watrin. Soit, ils s’arrêteront à Brest ! (Sourires.)

Mme Évelyne Didier. Pour autant, nous sommes tout à fait conscients de la préoccupation des éleveurs qui perdent régulièrement des bêtes et voient ainsi une partie de leur travail anéanti. Même si le bénéfice du doute leur est toujours favorable, l’indemnisation parvient difficilement à compenser les préjudices subis et nécessite surtout des procédures très lourdes.

Ainsi, la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise prévoit d’établir un zonage au niveau de la commune, soit quelques dizaines de kilomètres carrés, pour une espèce dont le territoire est d’un tout autre ordre de grandeur. En effet, une meute de loups couvre un espace représentant, en moyenne, 200 à 300 kilomètres carrés.

De surcroît, ce zonage, changeant d’une année à l’autre, permettrait d’abattre des loups dans chacune de ces zones et dans des proportions déterminées selon des modalités que le présent texte ne définit pas. Il reste également à interpréter ce qu’est une « perturbation de grande ampleur aux activités pastorales ». Voilà une notion juridiquement peu claire !

La motivation de ce texte réside dans une volonté de contraindre les populations de loups à s’adapter aux activités humaines par une régulation plus adaptée.

Cependant, la France est tenue par ses engagements européens, avec la directive « Habitats » de 1992, et internationaux, avec la convention de Berne de 1979 : il faut protéger le loup.

Par ailleurs, notre pays s’est engagé dans une politique claire de protection de la biodiversité, que traduit la stratégie nationale pour la biodiversité et qui est désormais au cœur de la conférence environnementale.

C’est bien cette protection nationale et internationale qui a, de fait, permis l’expansion du loup depuis les Apennins italiens.

Le groupe CRC est profondément attaché à la stratégie de protection des espèces vulnérables, qui est nécessaire pour assurer l’équilibre des écosystèmes. C’est une nécessité légale et, surtout, une nécessité pour le bon fonctionnement de la nature.

De fait, le loup rend des services écosystémiques par la prédation d’animaux sauvages : la dispersion de certaines espèces évite des concentrations excessives dommageables à la flore comme à d’autres espèces animales. Le loup assure également l’élimination d’animaux faibles et malades. Il permet sans aucun doute à d’autres espèces moins connues de bénéficier également de ces moyens de protection. C’est ce qu’il est convenu d’appeler le principe de « l’espèce parapluie », qui vaut également pour le panda ou la baleine bleue.

Nous avons tendance à plaindre davantage les baleines bleues et les tigres,…

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Que les moutons !

Mme Évelyne Didier. … ce qui revient à sous-entendre que ce qui est très bien chez les autres ne l’est pas nécessairement chez nous. Prenons garde à ces contradictions !

La régulation de la population des loups se fait avant tout naturellement par la compétition pour les territoires que j’ai déjà évoquée. Néanmoins, la survenance de dommages importants causés sur les troupeaux d’ovins exige également que l’homme adopte des mesures supplémentaires de régulation, en prélevant un certain nombre d’individus (M. le président de la commission manifeste son scepticisme.), qui, en dépit des moyens de protection, causent des dommages répétés susceptibles de prendre une plus grande ampleur si rien n’est fait.

De telles dispositions sont prévues par l’article 9 de la convention de Berne, qui énumère un certain nombre de dérogations possibles, en particulier pour « prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts ». Telle est l’action qui est actuellement menée par l’État. Je relève, au passage, qu’un changement de gouvernement a eu lieu il y a quelques mois :…

MM. Jacques Mézard et Henri de Raincourt. Ah bon ? (Sourires.)

Mme Évelyne Didier. Le plan loup a été mis en place par un gouvernement de sensibilité politique différente. L’État agit conjointement avec l’aide de ses agents bénévoles, des louvetiers, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS.

En vérité, ce texte révèle un tout autre malaise : celui du pastoralisme.

Les difficultés ne datent pas des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix. La concurrence internationale est forte, par exemple face à la Nouvelle-Zélande. Les troupeaux sont de plus en plus grands et la main-d’œuvre de moins en moins nombreuse. La faible présence humaine n’est d’ailleurs sans doute pas étrangère au problème qui nous occupe aujourd’hui.

Pour autant, le secteur ne survit que grâce au soutien de l’État et de l’Union européenne : en moyenne, les deux tiers du revenu des éleveurs sont constitués de subventions publiques, sans compter les aides liées au loup, qui profitent également au pastoralisme, même s’il s’agit de traiter des dommages. Je pense aux subventions pour l’achat de matériels de protection, pour l’acquisition de chiens ou encore pour l’emploi de bergers et d’aides-bergers.

Cette politique de soutien doit être poursuivie, car le pastoralisme est une activité nécessaire et structurante pour nos territoires. La France est déjà très dépendante de l’étranger en matière de viande de mouton notamment. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devons protéger l’élevage ovin.

De plus, la question de l’entretien des alpages est manifeste.

Le plan loup nous permet de dresser un état des lieux régulier de la situation, et son élaboration doit être l’occasion de mener une véritable concertation. Le plan d’action national sur le loup 2008-2012, engagé, je le répète, par un gouvernement de droite, arrive à son terme, et le plan 2013-2017 est en cours d’achèvement.

Il est indispensable que le ministère de l’écologie, qui mène ce travail avec ambition, aboutisse à des résultats en y intégrant toutes les parties prenantes. Les conclusions du groupe national loup seront d’ailleurs rendues publiques la semaine prochaine, et le plan sera dévoilé en avril. J’espère vivement qu’il tiendra compte de tout ce qui aura été dit aujourd’hui dans cet hémicycle, comme de tout ce qui s’est dit dans les différents territoires.

D’ici là, profitons de cette occasion pour dire ce qu’il y a à dire, afin que le nouveau plan loup puisse satisfaire tous les acteurs. Quelles que soient les conclusions de ce plan, les dispositifs d’accompagnement existent, ainsi que les mesures de défense et de régulation.

On peut estimer que l’accompagnement n’est pas satisfaisant, ni même suffisamment mobilisé. C’est pourquoi il est avant tout nécessaire d’encourager les pratiques innovantes, les retours d’expérience et les échanges entre éleveurs sur les pratiques pastorales pour les adapter.

M. Alain Bertrand. Des études ! Toujours des études !

Mme Évelyne Didier. Il convient donc d’anticiper en toute transparence l’expansion future de la population des loups, afin de préparer les évolutions à venir et de laisser le temps aux hommes de prendre la mesure des changements nécessaires.

Le loup a sa place en France, et une cohabitation avec les activités pastorales doit être possible. Elle doit être organisée ; il faut donc la préparer. Cependant, chaque région a ses spécificités culturales, pastorales et historiques : il est donc indispensable d’adapter les modalités d’action à chaque territoire.

En la matière, les déclarations de Mme la ministre me semblent aller dans le bon sens. Même si je comprends l’appel lancé par notre collègue Alain Bertrand, j’estime qu’il faut laisser le travail de long terme engagé par le ministère de l’écologie s’accomplir sereinement dans le cadre du nouveau plan loup, fondé sur la concertation avec tous les acteurs.

Croire qu’une loi peut résoudre une question aussi complexe ne me semble pas raisonnable.

M. Jacques Mézard. À quoi sert le législateur ?

M. Alain Bertrand. C’est cela, supprimons le Parlement !

Mme Évelyne Didier. Au contraire, cette démarche est de nature à créer un clivage sur ce débat, ainsi que nous pouvons le constater ici ; mais cela ne doit pas être.

C’est pourquoi, dans sa grande majorité, le groupe CRC n’est pas favorable à la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.

M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les auteurs de cette proposition de loi d’avoir permis d’élever au niveau du Parlement un débat qui, jusqu’à présent, était resté, pour l’essentiel, confiné à des échanges entre administrations locales et acteurs de terrain (M. le rapporteur acquiesce.), et limité à de fréquentes alertes adressées au Gouvernement pour appeler l’attention sur les difficultés grandissantes causées par l’arrivée, puis l’expansion du loup.

Au-delà de la question, souvent passionnelle, de la cohabitation entre le loup et l’agneau, le débat que nous engageons me semble mettre en évidence une contradiction assez forte entre deux grandes politiques : d’une part, celle qui a été voulue par les pouvoirs publics, en particulier depuis la loi de 1972 relative à la mise en valeur pastorale et, d’autre part, celle qui relève de la protection de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, formalisée par la convention de Berne et la directive « Habitats, faune, flore ».

La loi pastorale de 1972, dont nous avons fêté le quarantième anniversaire l’an dernier, a permis au pastoralisme de s’affirmer comme une opportunité inestimable dans les régions les moins propices à l’agriculture intensive, en particulier en montagne.

En effet, traditionnellement source de richesses et facteur de diversité biologique et paysagère, le pastoralisme vise non seulement à soutenir l’élevage et la production, mais aussi à garantir une gestion équilibrée des éléments naturels – telle la ressource en eau et la protection de la biodiversité –, tout en reconquérant des espaces pastoraux par le soutien aux élevages extensifs. J’emploie le verbe « reconquérir » à dessein, car il fut un temps où, dans ces territoires, l’abandon de l’agriculture était véritablement manifeste et très dommageable.

Ainsi, la réouverture des paysages, par la lutte contre la friche, la prévention des risques d’avalanche par l’entretien de sols – je pense notamment aux Alpes – et l’ouverture des espaces à un public de plus en plus nombreux sont autant de résultats à mettre à l’actif de l’agropastoralisme.

Dans le droit-fil de la loi pastorale précitée, cette politique de long terme a nécessité la mobilisation de financements publics nationaux, européens, régionaux et départementaux, en complément des moyens et des efforts consentis par les propriétaires, les agriculteurs, les communes et leurs groupements.

Les objectifs visés étaient nombreux : aménager des accès et des dessertes, opérer des restructurations foncières et organiser l’alimentation en énergies. Rappelons que les aides européennes accordées aux éleveurs de montagne tendent davantage à compenser un handicap qu’à concourir à l’enrichissement de ces professionnels.

Cependant, cette méritante action collective ne doit pas occulter la fragilité constante de l’activité pastorale, sujette aux aléas climatiques et affectée tant par les handicaps inhérents à la montagne que par le contexte économique défavorable concernant la détermination des niveaux de prix des produits.

De plus, comme si cela ne suffisait pas, la réapparition du canis lupus est venue resserrer d’un cran l’étau des handicaps qui pèsent sur l’activité pastorale.

Dès les premières réapparitions du loup en Haute-Savoie, nous avons exprimé nos plus vives inquiétudes quant à la menace que ce prédateur faisait courir aux élevages extensifs.

En 2002, la mission sénatoriale d’information chargée de dresser le bilan de la politique de la montagne, dont j’ai eu l’honneur de rapporter les travaux, avait relevé la gravité de cette question dans un rapport adopté à l’unanimité. (M. Alain Bertrand acquiesce.)

La situation actuelle et le vécu des montagnards depuis le début des années 2000 confirment la justesse de nos pronostics. Les chiffres cités tant par notre collègue Alain Bertrand que par M. le rapporteur et Mme la ministre en apportent l’illustration, et je n’y reviendrai pas.

À mon sens, on ne peut qu’être circonspect sur le sens et la finalité écologique que prétend servir la protection d’une espèce dont les besoins grandissants de subsistance nécessitent des prélèvements croissants sur la faune sauvage, qui vont à l’encontre d’une biodiversité équilibrée, et dont la présence engendre fatigue, stress et agressivité dans des espaces traditionnellement paisibles et ouverts à tous.

Au-delà des pertes d’animaux domestiques et du préjudice économique qui en résulte, prenons conscience du stress auquel sont soumis des troupeaux entiers d’ovins et du sort réservé aux éleveurs, chez qui les réflexes de veille, jour et nuit, sur les troupeaux entraînent fatigue et découragement, certains d’entre eux, que j’ai connus, abandonnant souvent leur activité et se livrant même parfois à des actes de désespoir.

Pouvons-nous accepter l’atteinte ainsi portée à la dignité d’un métier, de ces hommes et de ces femmes qui ont fait avec courage le choix de vivre dans un milieu aux conditions particulièrement difficiles ?

Les pouvoirs publics ont décidé de participer au financement de dispositifs de protection.

Néanmoins, comme les précédents orateurs l’ont déjà souligné, ces moyens de protection ne s’adaptent pas à tous les systèmes d’exploitation et se heurtent à des limites : le regroupement journalier des animaux peut dégrader les pâturages et ainsi favoriser les parasitoses, ce qui nuit à une gestion équilibrée des pelouses.

En outre, la présence de chiens de troupeau engendre aussi de réels problèmes pour la faune sauvage comme pour la fréquentation touristique des alpages, lieux de sérénité et de convivialité.

Au demeurant, est-il besoin d’ajouter que les tirs d’effarouchement sont d’une insigne inefficacité ?

Par ailleurs, en dépit de l’adhésion des éleveurs à ces moyens de protection, les attaques ne cessent d’augmenter, car le loup, animal remarquablement intelligent, s’adapte. Il craint de moins en moins l’homme, et s’approche de plus en plus des habitations – des preuves photographiques peuvent évidemment être fournies.

Enfin, le coût de la protection du loup peut-il être passé sous silence ? Le montant des indemnisations versées aux éleveurs dont les troupeaux ont été attaqués, conjugué au coût des moyens de protection – clôtures, chiens de protection, aides-bergers – s’élève, cela a déjà été dit, à 8 millions d’euros environ.

De surcroît, si l’on prend en compte la mobilisation des services de l’État qui se consacrent au dossier « loup », on estime que, au total, la protection de l’espèce en France entraîne une dépense de l’ordre de 20 millions d’euros par an.

Beaucoup de nos concitoyens s’interrogent, fort légitimement, sur les contradictions qui se font jour, d’une part, entre le soutien financier au pastoralisme et les crédits engagés pour la protection du loup et, d’autre part, entre l’objectif affiché de défense de la biodiversité par la protection de l’espèce et les atteintes causées par cette même espèce à la faune sauvage et, partant, à la biodiversité.

Nous pouvons aujourd’hui regretter que la France n’ait pas émis de réserves en ratifiant la convention de Berne, à l’instar d’autres pays signataires, tels que la Bulgarie, la République tchèque, la Finlande, la Lituanie, la Pologne, la Slovénie, l’Espagne et la Turquie.

De même, contrairement à certains État membres de la Communauté européenne, aucune réserve n’avait été formulée par notre pays sur l’article 12 de la directive « Habitats, faune, flore », qui impose l’instauration d’un système de protection stricte des espèces animales, parmi lesquelles figure le loup.

Ainsi, les populations de loups de certaines contrées d’Espagne, de Grèce ou de Finlande ne sont pas concernées par les dispositions de protection stricte de la directive. Il en est de même sur le territoire du peuple sami, au nord de la Suède, où l’élevage de rennes est roi.

Dans nos massifs français, la population de loups est en constante augmentation, malgré les dérogations à la protection des loups accordées par nos préfets et qui sont encadrées par des arrêtés ministériels fixant chaque année un plafond de tirs de prélèvement.

Ces mesures de régulation s’avèrent insuffisantes. Il convient donc d’envisager un dispositif mieux adapté aux zones où l’élevage extensif est trop gravement impacté.

Sans méconnaître la complexité inhérente au comportement biologique du loup, une définition géographique précise des territoires où la protection s’impose de façon plus efficace est véritablement souhaitable et me paraît possible.

Comme le propose notre rapporteur, il s’agit de territorialiser la problématique ainsi que les solutions apportées et de confier à l’autorité préfectorale le soin de fixer le point d’équilibre entre la préservation du loup, dont la survie n’est pas menacée, et l’agropastoralisme, qui doit rester la priorité sur les territoires.

Comme vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC, dans sa grande majorité, votera cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE. ― MM. Jean-Louis Carrère et Claude Domeizel applaudissent également.)