Sommaire

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

Secrétaires :

Mmes Odette Herviaux, Catherine Procaccia.

1. Procès-verbal

2. Mise au point au sujet d'un vote

MM. Michel Teston, le président.

3. Cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (suite) : Mme Catherine Deroche, MM. René Teulade, Dominique Watrin, Hervé Marseille, Ronan Kerdraon, Jean Desessard, Jean-Pierre Plancade.

Mmes Isabelle Debré, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales ; Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme le rapporteur.

Adoption de l'article.

Article 1er bis (nouveau). – Adoption

Article 2

Amendement n° 1 du Gouvernement. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Vote sur l'ensemble

M. Jean Desessard.

Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance

4. Fiscalité numérique neutre et équitable. – Discussion d'une proposition de loi

Discussion générale : MM. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi ; Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances ; Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques ; Claude Domeizel, rapporteur pour avis de la commission de la culture.

Suspension et reprise de la séance

M. Yves Rome, rapporteur pour avis de la commission du développement durable ; Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique.

MM. Jean Arthuis, André Gattolin, Michel Le Scouarnec, Jean-Pierre Plancade, Francis Delattre, Yannick Botrel.

Renvoi de la suite de la discussion.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

5. Questions cribles thématiques

commerce extérieur

M. Aymeri de Montesquiou, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur.

M. Claude Bérit-Débat, Mme Nicole Bricq, ministre.

Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Nicole Bricq, ministre.

Mmes Leila Aïchi, Nicole Bricq, ministre.

M. Yvon Collin, Mme  Nicole Bricq, ministre.

M. Alain Fouché, Mme Nicole Bricq, ministre.

M. Jean-Yves Leconte, Mme Nicole Bricq, ministre.

M. André Ferrand, Mme Nicole Bricq, ministre.

Suspension et reprise de la séance

6. Réforme de la biologie médicale. – Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : M. Jacky Le Menn, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.

M. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud, M. Alain Milon, Mme Laurence Cohen, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Catherine Génisson.

Mme Marisol Touraine, ministre.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Laurence Cohen, M. René-Paul Savary.

Adoption de l'article.

Article additionnel après l'article 1er

Amendement n° 26 de Mme Laurence Cohen. – Mme Laurence Cohen, M. le rapporteur, Mme Marisol Touraine, ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 2

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Adoption de l'article.

Article 3

Amendement n° 10 de M. Alain Milon. – MM. Alain Milon, M. le rapporteur, Mmes Marisol Touraine, ministre ; Catherine Génisson, MM. René-Paul Savary, Gilbert Barbier. – Retrait.

Mme Marisol Touraine, ministre.

Adoption de l'article.

Article 4

Amendement n° 11 de M. Alain Milon. – M. René-Paul Savary.

Amendement n° 57 du Gouvernement. – Mme Marisol Touraine, ministre.

M. le rapporteur, Mmes Marisol Touraine, ministre ; Catherine Génisson, MM. René-Paul Savary, Gilbert Barbier. – Rejet de l’amendement no  11 ; adoption de l’amendement no 57.

Amendement n° 12 de M. Alain Milon. – M. Alain Milon.

Amendement n° 37 rectifié de M. Gilbert Barbier. – M. Gilbert Barbier.

Amendements identiques nos 3 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe et 27 de Mme Laurence Cohen. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Laurence Cohen.

M. le rapporteur, Mme Marisol Touraine, ministre ; MM. Gilbert Barbier, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Laurence Cohen.

Suspension et reprise de la séance

Rejet des amendements nos 12, 37 rectifié, 3 et 27.

Amendement n° 28 rectifié de Mme Laurence Cohen. – Mme Laurence Cohen, M. le rapporteur, Mme Marisol Touraine, ministre. – Rejet.

Amendement n° 29 rectifié de Mme Laurence Cohen. – Mme Laurence Cohen, M. le rapporteur, Mme Marisol Touraine, ministre. – Rejet.

Adoption de l'article modifié.

Article 5

Mme Laurence Cohen.

Adoption de l'article.

Articles additionnels après l'article 5

Amendements identiques nos 2 rectifié sexies de M. Jean-François Mayet et 8 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – MM. Alain Milon, Jean-Marie Vanlerenberghe.

Amendement n° 39 rectifié de M. Gilbert Barbier. – M. Gilbert Barbier.

M. le rapporteur, Mmes Marisol Touraine, ministre ; Catherine Génisson, MM. René-Paul Savary, Gilbert Barbier, Jean-Marie Vanlerenberghe, Claude Dilain, Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. – Rejet des amendements nos 2 rectifié sexies, 8 et 39 rectifié.

Article 6

M. le rapporteur, Mme Laurence Cohen.

Amendements identiques nos 6 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, 14 de M. Alain Milon et 40 rectifié de M. Gilbert Barbier. – MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Milon, Gilbert Barbier.

M. le rapporteur, Mmes Marisol Touraine, ministre ; Catherine Génisson.

M. le rapporteur.

Suspension et reprise de la séance

Adoption, par scrutin public, des amendements nos 6, 14 et 40 rectifié supprimant l'article.

Amendement n° 1 rectifié ter de M. Daniel Raoul. – Devenu sans objet.

Amendement n° 30 de Mme Laurence Cohen. – Devenu sans objet.

Article additionnel après l'article 6

Amendement n° 50 rectifié de M. François Patriat. – Mme Virginie Klès, M. le rapporteur, Mme Marisol Touraine, ministre. – Rejet.

Mme la présidente.

Renvoi de la suite de la discussion.

7. Communication du Conseil constitutionnel

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaires :

Mme Odette Herviaux,

Mme Catherine Procaccia.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, dans les résultats du scrutin public n° 88 sur l'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Chantal Jouanno et M. Christian Namy, tendant à supprimer l'article unique de la proposition de loi visant à créer des zones d’exclusion pour les loups, M. Marc Daunis a été annoncé comme votant pour, alors qu’il souhaitait ne pas prendre part au vote.

M. Jean Desessard. Il y avait un loup ! (Sourires.)

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
Discussion générale (suite)

Cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la suite de la discussion de la proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels, présentée par Mme Isabelle Debré et plusieurs de ses collègues (proposition n° 555 [2011-2012], texte de la commission n° 182, rapport n° 181).

Je rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le mercredi 12 décembre dernier et que nous avions entendu l’intervention de Mme le rapporteur et de Mme la ministre.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Deroche.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
Article 1er

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée examine en première lecture la proposition de loi de notre collègue Isabelle Debré visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, avec des revenus professionnels.

Le nombre d’allocataires de l’ASPA est en augmentation et pourrait s’accroître.

Dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2012, la Cour des comptes observe que « la dégradation récente des ressources moyennes des allocataires traduit une évolution préoccupante ». En effet, d’après une enquête réalisée par le Fonds de solidarité vieillesse sur les allocations du minimum vieillesse au 31 décembre 2010, le nombre de bénéficiaires de l’ASPA a connu une progression de près de 20 % par rapport à 2010. L’enquête révèle également que les femmes représentent plus des trois quarts de l’ensemble des allocataires isolés et 62 % des allocataires isolés âgés de 65 à 70 ans.

Je tiens à rappeler que, compte tenu de l’écart important qui s’était creusé entre le montant du minimum vieillesse et le seuil de pauvreté, le précédent gouvernement avait décidé, dans le cadre du « rendez-vous de 2008 sur les retraites », d’accroître de 25 % le montant de l’ASPA pour les personnes isolées et des deux allocations du minimum vieillesse pour les personnes seules.

L’arrivée à l’âge de la retraite de générations nombreuses aux carrières professionnelles plus discontinues que leurs devancières pourrait conduire à une augmentation à venir du nombre d’allocataires. Qui plus est, les effectifs d’allocataires demeurent probablement inférieurs au nombre de personnes éligibles, en raison d’un défaut d’information. Cette situation s’explique par la difficulté d’identifier les populations concernées. Certaines personnes âgées n’avaient en effet pas droit au minimum vieillesse quand elles ont liquidé leur retraite. Lorsque le plafond de cette aide sociale a été progressivement revalorisé, ces dernières n’ont pas forcément pensé – elles n’ont peut-être pas été alertées – qu’elles pouvaient bénéficier d’un complément de revenu via ce dispositif.

L’état actuel du droit place les allocataires du minimum vieillesse dans une situation d’iniquité par rapport aux autres retraités qui peuvent bénéficier, depuis 2003, du cumul emploi-retraite.

Comme vous le savez, le dispositif du cumul emploi-retraite permet de percevoir simultanément une pension de retraite et des revenus d’activité. D’abord soumis à certaines conditions, notamment de plafonnement, le cumul a été intégralement libéralisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Dans le cadre de ses premiers travaux, le Conseil d’orientation des retraites faisait d’ailleurs valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, le droit au travail ».

Dans son rapport relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, note un développement très important du recours à ce dispositif depuis l’assouplissement intervenu en 2009. Selon les estimations les plus récentes, environ un demi-million de personnes y recourent à l’heure actuelle. Cela souligne l’effet bénéfique de cet assouplissement. Cependant, en l’état actuel du droit, lorsqu’ils perçoivent des revenus professionnels, les titulaires de l’ASPA sont particulièrement pénalisés : non seulement la sécurité sociale leur prélève des cotisations, mais elle retire aussi, mécaniquement, du montant de la prestation les revenus d’activité perçus, ce qui conduit à annuler le bénéfice financier de l’activité professionnelle.

Face à ces règles de calcul de l’ASPA, le texte qui nous est soumis aujourd’hui prévoit d’introduire davantage d’équité en ouvrant la possibilité aux titulaires du minimum vieillesse, lorsqu’ils souhaitent travailler et qu’ils sont bien évidemment en mesure de le faire, de cumuler cette allocation avec les revenus professionnels perçus sans être pénalisés. Je tiens d’ailleurs à rappeler que ce n’est qu’une faculté. Il n’y a bien évidemment rien d’obligatoire dans ce dispositif.

Ce système permettrait en outre de répondre à des demandes d’emploi non couvertes. Je pense par exemple au coup de main qui pourrait être apporté par une personne âgée un ou deux jours par semaine pour assurer l’ouverture d’un petit commerce dans nos campagnes. Et je pourrais multiplier les exemples de travaux qui ne trouvent pas forcément preneur !

Face à la situation injuste que je viens d’évoquer, la proposition de loi est pleinement cohérente avec une recommandation de l’IGAS, qui, dans un rapport publié au mois de juin dernier, affirmait qu’« un mécanisme d’intéressement pour le minimum vieillesse corrigerait un facteur d’inégalité dans l’accès au cumul emploi-retraite », ajoutant que cette évolution devait « intervenir dans une logique d’intéressement comparable à celle qui existe déjà pour d’autres minimums sociaux ».

De plus, cela n’entraînera aucun surcoût pour les finances sociales, puisque le minimum vieillesse aurait été payé de toute façon et que les activités donneront lieu à des cotisations supplémentaires qui seront versées aux caisses de sécurité sociale.

Il s’agit donc de permettre aux titulaires du minimum vieillesse de cumuler leur allocation avec des revenus d’activité dans la limite de 1,2 SMIC pour une personne seule et de 1,8 SMIC pour un couple. La fixation d’un plafond de cumul paraît nécessaire, puisqu’il s’agit d’une allocation qui relève de la solidarité nationale.

Mme Catherine Deroche. Pour conclure, je tiens à remercier notre collègue Isabelle Debré d’avoir proposé un dispositif destiné à corriger une injustice. Certes, ce texte ne pourra pas résorber l’ensemble des situations de pauvreté dans lesquelles se trouve une partie des personnes âgées. Il permettra toutefois aux personnes âgées de 65 à 75 ans environ qui souhaitent travailler et qui peuvent le faire de compléter leurs ressources par un revenu d’activité et de maintenir un lien social.

Le groupe UMP dans son ensemble votera avec conviction ce texte cosigné par un grand nombre de ses membres.

Mme Isabelle Debré, rapporteur de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. le président. La parole est à M. René Teulade.

M. René Teulade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une étude publiée au mois de décembre dernier nous rappelle, s’il en était nécessaire, la priorité absolue que constitue la lutte contre les facteurs d’exclusion sociale et de pauvreté. Au début de ce mois, Eurostat relayait le même message, soulignant que, en 2011, près d’un quart de la population européenne, soit 120 millions de personnes, était menacé par ces deux tragiques phénomènes.

Ces chiffres, réalité glaciale sans concession, viennent heurter de plein fouet la chaleureuse illusion qu’a fait naître notre modèle économique, celle d’un bien-être et d’une prospérité partagés. Il n’en est rien. Au contraire, comme le démontre une récente étude de l’INSEE – la péroraison ne surprendra personne –, les inégalités se sont encore creusées sous l’effet de la crise économique.

Ainsi, comment s’étonner qu’au-delà de la pauvreté monétaire et matérielle la perception du sentiment de pauvreté progresse inexorablement au sein de la société française, des classes populaires aux classes moyennes, de la jeunesse aux personnes âgées ? L’incertitude du lendemain, la peur du déclassement créent une angoisse qui peut être « anéantissante ». Au bout de cet obscur tunnel, l’anxiété provoque cette perte d’espoir dans l’avenir dont le sentiment de devenir pauvre est l’une des nombreuses facettes, au même titre que la perte de croyance dans notre système de protection sociale ou cette sensation qu’aucun horizon ne se lève devant notre jeunesse. Heureusement, des mesures sont prises par le Gouvernement pour pallier ces difficultés.

Parmi ceux qui estiment vivre dans l’indigence, les seniors et les personnes âgées sont malheureusement au premier plan. Aussi, les allocataires du minimum vieillesse, destinataires de la proposition de loi présentement soumise à notre examen, sont par essence affectés par la pauvreté et l’exclusion sociale. En effet, ce dispositif de solidarité, fortement remanié en 2007 avec la création de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, vise à garantir un revenu minimal aux personnes âgées d’au moins 65 ans n’ayant pas suffisamment cotisé, ou n’ayant pas pu le faire, aux régimes de retraite au cours de leur carrière. Pour bénéficier de cette allocation de dernier ressort, les titulaires doivent faire valoir en priorité l’ensemble de leurs droits en matière de pensions de retraite avant de recourir éventuellement au minimum vieillesse. Depuis le mois d’avril dernier, ce minimum vieillesse s’établit à 777 euros par mois et concerne environ 580 000 personnes, soit 4 % des 60 ans et plus.

Pour autant, les revalorisations successives de cette allocation ne masquent pas l’écart persistant avec le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, c’est-à-dire 964 euros. En d’autres termes, eu égard au renchérissement général du coût de la vie, bénéficier du minimum vieillesse ne garantit aucunement de sortir de la pauvreté ; tout au plus, permet-il de mieux y faire face, de mieux survivre.

M. Jean Desessard. C’est déjà bien !

M. René Teulade. Certes, mais il ne permet en aucun cas de mieux vivre.

Devant ce tableau, la proposition de loi entend ouvrir la possibilité de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus professionnels. Étant donné la situation dans laquelle peuvent se trouver les bénéficiaires de cette allocation, la tentative de parvenir à une solution immédiate qui participe à l’amélioration de leurs conditions de vie peut se comprendre. Nous ne pouvons pas rester insensibles à la précarisation des personnes âgées et faire fi de la paupérisation croissante dont elles sont victimes au nom d’un quelconque dogme ; ce serait une erreur.

En outre, il est évident qu’un nombre non négligeable des plus de 65 ans travaillent aujourd’hui au noir et cumulent, de fait, leur allocation avec un emploi illégal. Encadrer juridiquement cet état de fait serait donc de nature à mieux protéger les intéressés et, par conséquent, à faire respecter leurs droits.

Néanmoins, à la lecture du texte, plusieurs problématiques apparaissent et des incohérences doivent être soulevées.

Ainsi, un élément majeur affaiblit la portée du dispositif proposé. Selon une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques de 2010, l’âge moyen des allocataires du minimum vieillesse est de 75 ans ; seul un tiers des bénéficiaires a entre 60 et 75 ans et plus d’un tiers a plus de 80 ans. Sachant que l’espérance de vie moyenne en France est de 81 ans, n’est-il pas illusoire et pernicieux d’envisager un retour à l’emploi de ces personnes ?

Ne nous voilons pas la face, nous savons pertinemment quels types d’emplois seraient occupés par les intéressés : des emplois pénibles, à temps partiel compte tenu du plafonnement mis en place ; les conditions de travail douteuses pourraient in fine nuire à leur santé.

Or nous ne pouvons accepter que l’amélioration des conditions matérielles de vie se fasse au détriment de la condition sine qua non de l’existence : la santé. La nécessité ne doit pas conduire à reprendre une activité forcée, à un âge peut-être trop avancé et déraisonnable, qui pourrait alors aboutir à une mort précoce.

Au-delà de l’aspect sanitaire, qui ne peut être négligé, une interrogation importante questionnant la philosophie de la proposition de loi mérite d’être posée : est-il réaliste d’envisager que la grande majorité des allocataires du minimum vieillesse puissent obtenir un emploi, alors même que le chômage est en hausse depuis vingt mois ?

Je ne vais pas m’attarder sur ce sujet, mais, loin d’être un problème conjoncturel, le taux d’emploi des jeunes et des seniors est particulièrement préoccupant. À titre d’exemple, le taux d’emploi des personnes âgées de 60 à 64 ans est de 18,1 %. À cet égard, la priorité accordée par le Gouvernement à l’emploi, qui trouve notamment sa traduction dans le contrat de génération qui sera discuté au sein de notre hémicycle la semaine prochaine, doit être soutenue. Seules des réformes structurelles permettront d’enrayer la spirale négative actuelle et de lutter contre des phénomènes iniques tels que la surreprésentation des femmes parmi les allocataires isolés du minimum vieillesse, qui résulte, en particulier, de l’extrême faiblesse des droits à pension de retraite qu’elles ont acquis au cours de leur vie active.

Pour conclure, je dirai que l’objectif assigné à cette proposition de loi, à savoir l’amélioration des conditions de vie matérielles des titulaires du minimum vieillesse, est respectable. La conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est tenue le mois dernier, fait écho à cette préoccupation et témoigne de l’acuité de ce fléau qu’est l’exclusion sociale.

Au demeurant, le Gouvernement en a pris la mesure, comme en témoignent le rétablissement de l’allocation équivalent retraite par décret et les annonces du Premier ministre lors de la présentation du plan contre la pauvreté, adopté en amont par le Comité interministériel de lutte contre l’exclusion, la semaine dernière. D’ici à 2017, ce seront entre 2 milliards et 2,5 milliards d’euros par année qui seront investis afin de lutter contre l’indigence. Pour exemple, le revenu de solidarité active socle sera relevé de 10 %, un contrat d’insertion sera mis en place pour combattre la pauvreté des jeunes non diplômés, tandis que la couverture maladie complémentaire sera étendue à 750 000 personnes supplémentaires.

Enfin, le plus substantiel réside peut-être dans le changement de regard porté sur les victimes de la pauvreté, prémisses d’une réconciliation avec ceux que la société a souvent feint de ne pas voir et qui étaient, dans la bouche de Jean Gabin, les « salauds de pauvres », insulte lourde de sens, aux multiples interprétations et d’une violence insupportable, mais qui a pu trouver, par le passé, ses ardents défenseurs.

La négation de tout déterminisme social, la croyance aveugle dans un système méritocratique en proie à de graves difficultés et la montée de l’individualisme ont accouché d’harangues stigmatisantes à l’endroit des bénéficiaires d’allocations, accusés, au gré des vents populistes, d’être des fainéants, des assistés ou des profiteurs. Ce temps-là, celui de la misère politique, est désormais révolu.

Par conséquent, le groupe socialiste ne s’opposera pas à l’ouverture d’un droit au cumul emploi-minimum vieillesse. Pour autant, il répète, sans vergogne, que ce dispositif n’est qu’un palliatif à l’augmentation des minima sociaux, qui reste la solution idoine, la vraie réponse. Il s’abstiendra donc sur cette proposition de loi parcellaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, n’en déplaise à notre collègue du groupe UMP, la proposition de loi qui tend à autoriser le cumul des ressources issues d’une reprise d’activité professionnelle et l’allocation de solidarité aux personnes âgées est, pour nous, l’exemple même d’une mauvaise réponse à une vraie question.

Que l’on partage ou non l’objet de cette proposition de loi, le sujet qui s’impose est celui de la paupérisation des retraités et des personnes âgées.

Nous rencontrons de plus en plus fréquemment des retraités qui vivent dans une plus ou moins grande fragilité sociale. Comment ne pas rappeler que la retraite médiane se situe autour de 1 100 euros par mois et que, selon l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, sous l’effet conjugué de la précarité croissante qui touche les salariés et de la baisse du taux de remplacement, le niveau moyen des pensions pour les nouveaux retraités devrait passer, en 2020, à 850 euros nets mensuels ! Cet effondrement des pensions est l’une des conséquences des réformes initiées depuis 1993 en matière de retraites.

Par ailleurs, le rapport de Mme Debré le rappelle, nous sommes confrontés à une importante hausse des bénéficiaires de l’ASPA, preuve, là encore, de cette paupérisation qui frappe, faut-il le rappeler, principalement les femmes, victimes des temps partiels et des inégalités salariales. Pour autant, bien que nos vues puissent converger sur certains éléments du constat, nous ne partageons pas la solution formulée dans cette proposition de loi.

Les travaux de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale interrogent clairement le Gouvernement sur les mesures qu’il lui incombe de prendre pour rompre avec la spirale de la précarité dans laquelle de plus en plus de nos concitoyens sont enfermés. Celle-ci atteste de l’urgence qu’il y a à revaloriser les minima sociaux, afin qu’aucun d’entre eux ne soit inférieur au seuil de pauvreté.

Ainsi, s’agissant de cette proposition de loi, nous ne considérons pas que, pour renforcer le pouvoir d’achat des bénéficiaires de l’ASPA – d’une partie seulement d’entre eux en réalité –, il n’y aurait qu’une piste possible : la reprise de l’activité professionnelle. Cette solution, apparemment simple, voire simpliste, méconnaît les situations personnelles dramatiques dans lesquelles peuvent se trouver certains bénéficiaires. En effet, on voit mal comment un bénéficiaire de l’ASPA reconnu définitivement inapte au travail pourrait reprendre une activité professionnelle.

Certains à droite – nous l’avons vu lors des travaux en commission – considèrent que cette inégalité est naturelle. C’est méconnaître le fait que, dans la majorité des cas, cette inaptitude est la conséquence directe de l’activité professionnelle précédente. Il y aurait donc, d’un côté, des travailleurs détruits par le travail, qui devraient survivre avec l’ASPA, et, de l’autre, des bénéficiaires en meilleure santé, à qui l’on ne préconiserait rien d’autre que de continuer à s’user au travail…

Qui plus est, la proposition de loi, en faisant explicitement référence au cumul emploi-retraite, ignore le « portrait social » des bénéficiaires de l’ASPA. Si les retraités qui cumulent pension et activité sont d’abord et avant tout des cadres, avec des revenus et des pensions élevés, ce n’est évidemment pas le cas des bénéficiaires de l’ASPA. Il s’agit, par définition, de publics fragilisés, pour qui la reprise d’une activité professionnelle relèverait plus d’une question de survie que de la volonté de rester actif.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Dominique Watrin. Notre collègue Isabelle Debré présente sa proposition comme une mesure de liberté. Nous considérons pour notre part que c’est une mesure profondément libérale…

Mme Isabelle Debré, rapporteur. Je veux bien accepter ce terme !

M. Dominique Watrin. … puisqu’elle tend à faire croire que chacun serait libre de reprendre une activité, c’est-à-dire responsable pour lui-même. Tout cela sans que soit jamais abordée la question de la responsabilité sociale des entreprises, qu’il s’agisse du maintien des seniors dans l’emploi, de l’émiettement des temps de travail, de la précarisation des contrats et des rémunérations ou encore de la dégradation des conditions de travail.

C’est en réalité une mesure corsetée, qui ne tient compte ni de la précarité sociale, sanitaire et physique des bénéficiaires de l’ASPA, qui les enferme dans la pauvreté, ni de la réalité même de ce qu’on appelle le « marché du travail ».

Si j’en crois l’esprit de la proposition de loi, il suffirait que les bénéficiaires de l’ASPA souhaitent reprendre une activité professionnelle pour qu’ils puissent le faire. Or les chiffres montrent le contraire : le taux d’emploi des seniors est en France particulièrement bas. Je vous fais grâce des statistiques, mes chers collègues, mais sachez, à titre d’exemple, que le taux d’activité des 55-64 ans en France est inférieur de plus de 7 points au taux d’activité moyen dans l’Union européenne.

Prétendre que les bénéficiaires de l’ASPA pourraient reprendre une activité professionnelle constitue donc, selon nous, une analyse erronée du marché du travail. Au contraire, les employeurs sont de plus en plus enclins à se séparer des salariés les plus âgés, qu’ils considèrent comme étant peu productifs et trop chers. En outre, 23 % des ruptures conventionnelles concernent les plus de 58 ans. De plus en plus de salariés âgés, classés dans la catégorie des actifs, sont en réalité inscrits à Pôle emploi.

Pour conclure, je voudrais que nous nous interrogions toutes et tous sur le projet de société que nous voulons léguer à nos enfants. Voulons-nous, comme c’est le cas dans de très nombreux pays – j’en ai visité certains –, que des retraités, déjà usés par le travail, soient contraints, en raison de leur pauvreté, de tenter de reprendre une activité, qui s’apparente le plus souvent à un sous-travail ou à un mal-travail ? Voulons-nous obliger des retraités issus de la fraction la plus pauvre des salariés à reprendre une activité professionnelle, alors que leur activité passée a déjà réduit leur espérance de vie de sept ans en moyenne ?

Pour notre part, nous ne voulons pas de cette société et nous appelons le Gouvernement à répondre à l’urgence sociale que cette proposition de loi a le mérite de souligner en mettant en œuvre, dans les meilleurs délais, une revalorisation des minima sociaux de sorte qu’aucun d’entre eux ne soit inférieur au seuil de pauvreté.

Serait-ce un défi trop ambitieux à l’heure où le Gouvernement sait trouver 20 milliards d’euros de crédit d’impôt pour les entreprises ? Nous ne le pensons pas. Nous invitons au contraire chacun, à partir de ce constat partagé de paupérisation d’une part non négligeable des retraités, à prendre en compte cette donnée essentielle lors du prochain rendez-vous des retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des mesures dont on peut s’étonner qu’elles n’aient pas été prises plus tôt. Celle que nous propose notre collègue Isabelle Debré aujourd’hui en fait bien partie.

Je tiens dès à présent à saluer, au nom de mon groupe, la qualité du travail réalisé par la commission des affaires sociales et, en son sein, par notre collègue, à la fois comme auteur et rapporteur du présent texte.

Cela a été rappelé, il s’agit d’ouvrir un droit, une liberté : la possibilité pour les titulaires du minimum vieillesse et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées de pouvoir cumuler leur allocation avec des revenus d’activité, dans la limite de 1,2 SMIC. Il s’agit, ni plus ni moins, de corriger un étonnant archaïsme, puisque les allocataires du minimum vieillesse et de l’ASPA sont aujourd’hui les seuls retraités à ne pas pouvoir bénéficier du cumul emploi-retraite. En effet, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 en a totalement libéralisé le régime pour tout autre pensionné.

Voilà bien un paradoxe puisque, par définition, les allocataires du minimum vieillesse et de l’ASPA sont ceux qui en ont le plus besoin. En effet, comme cela vient d’être rappelé, ils sont ceux des retraités dont les revenus sont les plus faibles. Il s’agit donc simplement là, je le répète, de corriger un archaïsme connu, que l’IGAS avait parfaitement identifié dans son rapport relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite.

Cette analyse, combinée avec les prévisions de la Cour des comptes, selon lesquelles le minimum vieillesse et l’ASPA devraient encore monter en charge dans les années à venir, rend la présente réforme d’autant plus pertinente et urgente à réaliser. De surcroît, sur le plan juridique, le texte qui nous est proposé ne paraît pas critiquable. Le minimum vieillesse et l’ASPA étant des prestations de solidarité, le cumul emploi-retraite autorisé sera logiquement plafonné.

Les seules critiques qui auraient pu être adressées à la mouture initiale sont tombées avec l’adoption des amendements de Mme la rapporteur. Afin qu’il n’y ait pas d’incohérence ou de rupture d’égalité, il paraît en effet nécessaire d’établir un plafond différencié pour les couples et de permettre le cumul aux bénéficiaires du minimum vieillesse, de la même manière que le texte le prévoyait initialement pour les allocataires de l’ASPA.

Si nous soutenons la présente proposition de loi pour des raisons juridiques et d’équité, nous sommes également totalement en phase avec sa philosophie. Le cumul emploi-retraite représente en effet un élément important de ce que nous avons toujours défendu, à savoir la retraite à la carte, c’est-à-dire la possibilité, pour ceux qui veulent et peuvent s’arrêter, de le faire, et pour ceux qui souhaitent et veulent continuer, même partiellement, de le faire également.

Nous soutenons aussi ce texte en raison de sa dimension psychologique, sociologique voire sociétale. Permettre aux personnes retraitées de poursuivre, même partiellement, une activité n’est neutre ni pour eux ni pour la société.

Pour eux, c’est fondamental, parfois vital : beaucoup de retraités ont besoin de maintenir une activité pour ne pas perdre prise avec la société ni même avec la vie. Telle est leur volonté.

Mme Isabelle Debré, rapporteur. Tout à fait !

M. Hervé Marseille. Pour la société, ce n’est pas neutre non plus : les actifs d’aujourd’hui ont besoin de l’expérience de leurs aînés. Ce n’est pas au moment où nous allons discuter du contrat de génération que nous pouvons dire le contraire.

Si donc ce texte nous paraît difficilement contestable, à la fois juridiquement et philosophiquement, il n’en a pas moins, à notre grande surprise, fait l’objet de reproches.

Ces observations ont été exprimées lors des débats en commission, notamment du côté de nos collègues du groupe CRC. Il est reproché à cette proposition de loi d’engendrer des situations d’inégalité entre ceux qui pourront reprendre une activité et ceux qui ne le pourront pas. Cette remarque est juste.

Cependant, mes chers collègues, est-ce le texte ou la vie elle-même qui est à l’origine de ce type d’inégalité ? En effet, à tout âge, des gens ont la possibilité de travailler et d’autres ne le peuvent pas, en raison soit de la situation du marché du travail, comme l’a rappelé notre collègue René Teulade tout à l'heure, soit, simplement, de problèmes de santé. Mais il ne faut pas oublier la volonté d’agir, la volonté de rester dans la vie.

Il est une autre critique, plus fondamentale sans doute : ce texte serait une fausse bonne réponse à une vraie question, celle de la pauvreté du public concerné. La vraie bonne réponse, évidemment, est à trouver dans le relèvement du minimum vieillesse et de l’ASPA.

Cependant, l’un n’est pas exclusif de l’autre : en quoi ouvrir un droit au cumul emploi retraite interdirait-il de relever les allocations ? Nous connaissons les contraintes budgétaires qui pèsent sur les comptes publics aujourd’hui et qui ne permettent pas de décider de relèvements importants. Pour autant, nous avons pu augmenter ces allocations de 25 % – et ce n’était pas suffisant – il y a quelques années dans le cadre du rendez-vous 2008 sur les retraites.

Faut-il aller plus loin ? Certainement. Mais cela engendrerait une dépense supplémentaire et nous connaissons le poids des déficits publics, aujourd’hui. Il s’agit d’un choix politique et il convient dès lors de se tourner vers le Gouvernement, ce que je fais, madame la ministre, en vous demandant s’il est prévu de mettre en place un plan de revalorisation pour le minimum vieillesse et l’ASPA ? Si tel était le cas, nous ne pourrions que nous en féliciter, et cela constituerait à nos yeux une raison supplémentaire de voter cette pertinente proposition de loi. (Mme la rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.

M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son discours de clôture de la conférence contre la pauvreté, M. le Premier ministre a dressé, mardi 11 novembre dernier, un diagnostic réaliste et sans appel de la pauvreté en France, un diagnostic que, je crois, nous sommes nombreux à partager, quel que soit le côté de l’hémicycle où nous siégeons.

Le débat auquel nous invite cette proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels repose sur un constat irréfutable : à l’âge de la retraite, de plus en plus de Français sont obligés de reprendre une activité salariée. Le débat est donc légitime.

Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, plus de 500 000 retraités, sur un total de 15 millions, travaillent tout en percevant une pension. Ce chiffre a presque triplé en moins de six ans, passant de 120 000 en 2005 à 310 000 en 2011. Une telle situation est alarmante en raison de tout ce qu’elle traduit.

Cette augmentation peut être en partie attribuée à la crise mais en partie également à la politique libérale menée depuis plusieurs années dans notre pays, laquelle va à l’encontre des politiques sociales. Ces dernières se doivent de combattre, mais aussi de prévenir, la pauvreté.

Ainsi, à l’âge de la retraite, certains seniors se trouvent dans la plus grande des précarités, souvent après un parcours de vie déjà difficile et chaotique.

Ces derniers mois, nous avons à juste titre beaucoup parlé des jeunes et de leurs difficultés à se former ou à s’insérer dans le marché du travail. La semaine prochaine, lors de la discussion sur les contrats de génération, nous parlerons des seniors. Mais n’oublions pas les retraités, car, avec les jeunes, ce sont eux qui sont les plus exposés !

Plus de 10 % des retraités – majoritairement des femmes vivant seules – perçoivent une pension inférieure à 600 euros par mois, bien en dessous du seuil de pauvreté. À la fin de l’année 2010, 576 300 personnes étaient bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées et percevaient 709 euros par mois. Près des deux tiers de ces personnes étaient des femmes, pénalisées parce qu’elles n’avaient pas suffisamment cotisé durant leur vie professionnelle.

Les retraités représentent aujourd’hui 15 % des personnes venant solliciter auprès des organisations caritatives, une aide alimentaire ou un soutien financier pour régler un loyer, une facture d’électricité, de gaz ou de frais médicaux.

Maire d’une collectivité de 14 000 habitants et président du comité communal d’action sociale, le CCAS, j’observe le même phénomène. Il s’agit d’une constatation tout simplement inadmissible, mes chers collègues.

Alors, oui, dans ces conditions, il n’y a rien de surprenant à ce que les seniors soient de plus en plus nombreux à offrir leurs services pour distribuer publicités ou journaux.

Combien de sites spécialisés se sont-ils ainsi créés, sur lesquels on peut trouver toute une panoplie d’offres et de services qui échappent aux chiffres officiels, car ce sont bien souvent des activités non déclarées ?

Dans toute cette panoplie figurent le bricolage, le jardinage, la garde d’enfants, des heures de ménage, tout ce qui tourne autour des aides aux personnes âgées – et c’est d’ailleurs assez paradoxal…

Au travers de toutes ces annonces, ce sont des hommes, des femmes qui connaissent d’importantes difficultés et cherchent malgré tout à conserver une certaine dignité : « À la retraite depuis mars 2011 mais toujours de l’énergie à donner, cherchant des heures de bricolage, car il n’a qu’une très petite retraite », pouvait-on lire dans un quotidien régional de Bretagne ; ou bien encore cette femme qui propose « Petit ménage et repassage, qui lui permettront de trouver un complément de retraite avec le plaisir du contact avec de nouvelles personnes », proposait également une femme .

Ces annonces, ces témoignages se multiplient et reflètent à la fois la paupérisation d’une partie des retraités et leur isolement.

Alors oui, la question de permettre le cumul de l’ASPA avec des revenus professionnels peut sans doute se poser.

Je crois cependant qu’il faut trouver un équilibre afin de répondre aux difficultés de ces seniors et leur permettre de vivre une retraite digne.

Bien entendu, l’autorisation du cumul de l’ASPA avec des revenus professionnels permettrait de lutter contre le travail au noir, voire le travail « au gris », tout en rendant possible un meilleur état des lieux.

Mais souhaitons-nous vraiment voir le marché de l’emploi senior promis à un bel avenir ou, au contraire, préférons-nous répondre de nous-mêmes aux difficultés de ces seniors en augmentant leurs droits ? La question est posée, mes chers collègues.

Il est important de se rendre compte que, si la situation est certes délicate aujourd’hui, les prochaines vagues de retraités correspondront à des générations qui auront connu le chômage ou le temps partiel, autant de périodes où l’on cotise moins pour sa retraite.

Et que dire de tous ceux qui auraient dû bénéficier de l’allocation équivalent retraite, l’AER, et qui ont dû attendre ce mois de janvier et l’initiative heureuse du Premier ministre qui l’a rétablie par décret ? Je tiens à souligner au passage la persévérance de mon collègue Martial Bourquin sur cette question.

Ce n’est pas en maintenant les prestations en dessous du seuil de pauvreté que l’on pourra lutter contre cette paupérisation des retraités. Il convient d’analyser la situation dans sa globalité et, surtout, sur le long terme.

Madame la ministre, vous avez annoncé qu’un état des lieux précis de ces situations était en cours, que les résultats seraient rendus publics et que le Gouvernement mettrait ensuite en place un dispositif permettant de répondre durablement à l’urgence sociale dont nous héritons aujourd’hui. Je ne peux que m’en féliciter.

À partir de 2014, les pensions des retraités imposables seront soumises à un prélèvement annuel de 0,15 % pour financer la perte d’autonomie. C’est un premier effort solidaire, mais je ne peux m’empêcher de m’insurger en voyant que, face à cette pauvreté croissante, les salaires des patrons du CAC 40, eux, ne connaissent pas la crise ! Toujours plus haut, toujours plus ! En 2011, les salaires des grands patrons ont progressé de 4,7 % par rapport à 2010.

Où est ce juste équilibre, je vous le demande ? D’un côté, la pauvreté s’accroît, de l’autre les rémunérations s’envolent ! Tout cela sans parler des exilés fiscaux, ces personnes qui souhaitent devenir encore plus riches en s’exonérant de la solidarité envers les autres Français. Heureusement, ils sont encore peu nombreux. Cependant, nous nous devons de lutter maintenant contre toutes les formes de fraudes, et en particulier, en période de grande crise, contre la fraude fiscale. C’est une obligation, un devoir !

Le sentiment de pauvreté touche près d’un Français sur deux. Il est donc de notre devoir d’enrayer ce sentiment, qui est aussi une réalité. Nous devons proposer des dispositifs durables et en adéquation avec notre politique sociale. Aussi, comme l’a brillamment expliqué notre collègue René Teulade tout à l'heure, le groupe socialiste s’abstiendra-t-il sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me contenterai donc de prendre l’exemple de deux personnes à la retraite.

La première personne est un homme, âgé de 60 à 70 ans. Il a connu une carrière continue depuis qu’il a commencé à travailler, il a gravi les échelons dans sa profession, terminé sa carrière et liquidé ses trimestres. Il dispose aujourd’hui d’une pension moyenne de 1 955 euros par mois, soit un niveau de vie supérieur à 25 930 euros. Il se situe, pour reprendre les termes de nos statisticiens, dans le quatrième quartile en termes de niveau de vie, soit le plus élevé. M. Watrin résume la situation en un mot : c’est un cadre. Il a raison.

La seconde personne est une femme. Elle a plus de 65 ans et a atteint l’âge de la retraite bien qu’elle n’ait pas liquidé tous ses trimestres. Pourquoi ? Parce que, comme beaucoup de femmes, elle a eu une carrière incomplète ; elle a parfois aidé son mari agriculteur, par exemple, sans avoir pu bénéficier du statut de conjoint exploitant. Elle a eu des enfants et a travaillé un temps comme salariée à temps partiel. Sa petite retraite ne lui permettant pas d’atteindre un niveau de vie suffisant, elle bénéficie aujourd’hui du niveau maximal de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, soit 777 euros par mois.

La première personne, le cadre, a choisi de continuer à travailler. Le travail lui plaît – quand on est cadre, le travail plaît en général davantage –, et sa femme continue à travailler. Il lui fallait une « occupation » et il en avait la possibilité grâce aux contacts conservés dans l’entreprise. Bref, il reprend une activité et, point positif pour lui, non seulement il en a la possibilité, mais encore ne perd-il aucun droit sur sa pension. Mieux : il peut, lui, cumuler revenu et pension. Certes, il ne s’ouvre pas de nouveaux droits à pension en reprenant l’activité qu’il avait déjà.

Elle aussi continue à travailler pour donner un coup de main, par exemple à son fils s’il a repris l’exploitation ; juste de temps en temps. Cependant, elle ne peut pas dégager de revenu puisqu’il n’est pas possible de cumuler un revenu d’activité avec la pension.

Nous voilà donc, d’une part, avec un cadre qui, lui, peut continuer à travailler et cumuler une retraite relativement importante avec le revenu d’activité, et, d’autre part, une personne ayant un revenu bien inférieur qui, même si elle travaille, ne peut pas bénéficier de ce cumul.

Vous me dites qu’il faut attendre des lendemains meilleurs pour régler cette situation… Cependant, vous ne pouvez pas ne pas voir combien il paraît injuste que la personne ayant la pension la plus basse ne puisse pas en cumuler le montant avec un revenu d’activité !

Alors, certes, il existe une difficulté liée au mécanisme même de l’ASPA : les revenus d’activité sont pris en compte pour déterminer l’éligibilité à ce dispositif et pour calculer le montant à percevoir. Dès lors que l’on travaille, on court le risque de perdre tout ou partie de cette allocation. C’est le cas aujourd’hui.

Mme Debré, rapporteur, propose de contourner cette difficulté en autorisant un cumul avec plafonds. Il s’agit d’une bonne chose même si, madame la ministre, il sera nécessaire de mener une réflexion plus large.

L’Inspection générale des affaires sociales a d’ailleurs souligné dans son évaluation du système de cumul emploi retraite que le système est complexe, source d’inégalités. Pour ma part, je vous l’ai démontré au travers de ces deux exemples. Ce système pourrait être amélioré en fusionnant les différents mécanismes existants, intra et inter-régime – il faudrait s’assurer que ce ne soit pas producteur de nouveaux droits –, en faisant en sorte qu’il devienne un atout pour la politique d’emploi des seniors.

Aujourd’hui, les carrières professionnelles ne sont plus une ligne continue – cela a été dit – ni un long fleuve tranquille ; elles sont constituées d’une succession d’emplois différents, d’une alternance de période d’emploi et de non-emploi. Les temps de la reconversion, de la formation, des stages, de l’installation sont autant de périodes considérées comme perdues pour préparer sa retraite ; ce sont autant de trimestres non acquis. Le risque est donc grand, au moment de la retraite, d’avoir une pension trop faible et de solliciter l’ASPA.

Et encore, je ne parle même pas des ruptures professionnelles subies en raison de la situation économique, de l’allongement de la durée des études, de la multiplication des stages et des premiers contrats précaires, entrecoupés de périodes de chômage souvent non indemnisées.

L’évolution permanente du marché du travail, conjuguée aux aspirations des personnes, va mécaniquement augmenter le nombre de personnes éligibles à l’ASPA, et donc celui des personnes âgées en situation financière difficile.

Ce qu’il faut, c’est la garantie d’un minimum à vivre. Sur ce point, je suis d’accord avec vous. Mais en attendant ces jours meilleurs, nous devons bien trouver des solutions. Aussi, dans l’attente d’un vrai débat sur la place du travail, sur son organisation, sur la garantie de revenus et de droits – c’est le plus important –, je m’en tiendrai à la question posée ce matin et vous confirme le vote favorable du groupe écologiste sur cette proposition de loi. (Mme la rapporteur et M. Hervé Marseille applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a pour ambition d’apporter une réponse à cette question qui nous alarme tous, celle de la pauvreté des personnes qui vivent avec le minimum vieillesse.

Pour ce faire, les auteurs de ce texte ont repris à leur compte cette piste de travail ouverte par Jean-Baptiste de Foucauld en 2010 : permettre aux titulaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées d’arrondir leurs fins de mois en cumulant leur pension avec les revenus qu’ils pourraient retirer d’un emploi déclaré. Selon lui, une telle mesure permettrait de corriger, en quelque sorte, un environnement incitatif au travail clandestin et en totale contradiction avec les politiques publiques destinées à promouvoir l’emploi des seniors. Plus globalement, sa réflexion s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées. Voilà une cause juste ! Et comment ne pas en convenir ?

En outre, le système proposé comblerait une lacune. Effectivement, dans le droit actuel, seules deux catégories de retraités peuvent accéder au dispositif de cumul emploi-retraite. Aux termes de l’article 88 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, il s’agit, tout d’abord, des assurés âgés de plus de 65 ans disposant d’une carrière complète – parfois, certains peuvent en bénéficier dès 60 ans. Puis, avec la publication du décret n° 2011-62 du 14 janvier 2011, le dispositif a été étendu aux personnes ayant exercé des professions libérales. Dans ces conditions, comment refuser aux retraités les plus précaires la possibilité d’améliorer leur pouvoir d’achat tandis que d’autres, mieux lotis, bénéficient déjà de cette faculté ?

Pour trancher cette question, encore faut-il faire l’effort de prendre en considération la réalité du terrain. Qui sont ces personnes auxquelles il est proposé de se remettre au travail pour arrondir leurs fins de mois ? Qui sont les allocataires de l’ASPA ? Ce sont des personnes âgées de plus de 65 ans qui n’ont pas suffisamment cotisé pour pouvoir disposer d’un revenu d’existence une fois l’âge de la retraite venu, ou encore celles qui sont âgées de plus de 60 ans et qui ont été déclarées inaptes au travail.

De ce point de vue, l’enquête sur les allocations du minimum vieillesse, publiée à la fin de l’année 2010 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, permet de mieux comprendre de qui l’on parle. Voici comment y sont décrits les allocataires de l’ASPA : « Les personnes âgées de 80 ans ou plus et les personnes isolées sont surreprésentées parmi les bénéficiaires des allocations du “minimum vieillesse”. Les femmes, qui représentent les trois quarts des allocataires isolés, sont également largement majoritaires. Les bénéficiaires des allocations du minimum vieillesse sont proportionnellement plus nombreux dans les régions du sud de la France et les départements d’outre-mer. » Dans ces conditions, peut-on affirmer avec la plus grande sincérité que l’ouverture du cumul emploi-retraite aux allocataires de l’ASPA est de nature à constituer une solution nouvelle permettant à nos concitoyens les plus modestes de recouvrer plus de pouvoir d’achat, comme l’affirment les auteurs de la présente proposition de loi ? Nous ne le pensons pas.

Au-delà de son affichage ambitieux, cette proposition de loi cible une frange vraiment très étroite de la population, à savoir, parmi les bénéficiaires de l’ASPA, ceux qui sont encore en état de travailler, desquels il faut retrancher ceux qui parviendront effectivement à trouver un emploi. Je rappelle, mes chers collègues, que plus d’un tiers d’entre eux ont compté plus de quatre-vingts printemps ! De surcroît, les études relatives à l’évolution du nombre d’inscriptions à Pôle emploi publiées par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le démontrent : à partir de 50 ans déjà, les salariés sont éjectés du monde professionnel. En l’état actuel des choses, tout laisse accroire que ceux qui ont au minimum 65 ans ne seront pas mieux considérés !

In fine, seuls quelques rares bénéficiaires de l’ASPA pourraient profiter de la mesure proposée par nos collègues. Le présent texte pourrait effectivement permettre à ceux qui exercent actuellement des petits boulots au noir de bénéficier d’une protection juridique. On peut aussi arguer du fait qu’il corrigerait une injustice : si un retraité ayant accompli une carrière complète peut cumuler pension et revenu d’activité, pourquoi un bénéficiaire de l’ASPA, dont la situation est par définition bien plus précaire, ne pourrait-il pas lui aussi arrondir ses fins de mois ?

Tels sont les deux apports concrets et positifs de la proposition de loi que nous examinons qui ont retenu notre attention.

Mais certains membres de mon groupe s’interrogent : s’il adoptait ce texte, quel message le Sénat enverrait-il à tous les allocataires de l’ASPA dans l’incapacité de retrouver un travail ?

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe du RDSE attendent de nos débats des éclaircissements. Nous déciderons donc de notre vote à l’issue de nos travaux. En cet instant, nous aurions plutôt tendance à opter pour une abstention positive.

Madame la ministre, je profiterai de cette intervention pour vous faire une remarque : il faut élargir le débat et mener une réelle réflexion car, dans les prochaines années, nous allons être confrontés à un problème de société, voire de démocratie. En effet, la situation actuelle de certains de nos concitoyens – et pas seulement celle des personnes qui sont visées par la présente proposition de loi – est très compliquée. Je pense aux jeunes qui sont aujourd'hui sans travail, qui n’ont aucune assurance quant à leur future pension de retraite mais qui sont censés payer les retraites de leurs aînés. Ils risquent de s’interroger un jour sur ces retraités privilégiés, majoritaires dans notre pays, qui ne travaillent pas et imposent, par exemple – c’est une hypothèse d’école –, un gouvernement qui n’a pas leur préférence… Je me permets d’attirer votre attention sur ce point important pour le devenir de notre démocratie. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. Michel Le Scouarnec applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, auteur de la proposition de loi et rapporteur.

Mme Isabelle Debré, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, j’ai écouté de manière très attentive les arguments qui ont été développés au sujet de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui.

À mes yeux, ce texte répond à un double objectif : tout d’abord, mettre fin autant que possible à la situation de grande précarité dans laquelle se trouvent de nombreux retraités percevant une pension de retraite très faible – je rappelle que près de 600 000 retraités sont aujourd’hui allocataires du minimum vieillesse – ; ensuite, instaurer au bénéfice des retraités les plus modestes la possibilité de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus générés par une reprise d’activité : ce serait une mesure d’équité, puisque le droit en vigueur autorise les autres retraités des secteurs public et privé à percevoir leur pension et des revenus professionnels sans limitation depuis 2009.

Certes, le nombre de retraités susceptibles de bénéficier de cette mesure ne peut être connu par avance avec précision. Cependant, plusieurs institutions ont souligné l’intérêt à agir et à légiférer en ce sens.

Ainsi, dans un rapport de 2012 relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite, l’Inspection générale des affaires sociales affirme qu’« un mécanisme d’intéressement pour le minimum vieillesse corrigerait un facteur d’inégalité dans l’accès au cumul emploi-retraite », qui plus est sans « aucun surcoût pour les finances sociales ».

Le Conseil d’orientation des retraites, dont M. Teulade, Mmes Demontès, Beaufils et moi-même faisons partie, a fait valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, le droit au travail ».

En outre, le texte que nous examinons ce matin est en pleine cohérence avec l’une des préconisations récemment émises à l’occasion de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qu’a réunie le Gouvernement au mois de décembre dernier. Je vous renvoie, mes chers collègues, à la recommandation n° 53 du groupe de travail « Accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux », présidé par Bernard Fragonard, président délégué au Haut conseil de la famille, qui invite à « étudier la possibilité d’une formule de cumul entre le minimum vieillesse et l’activité ».

En tout état de cause, la proposition de loi qui vous est soumise apporte une réponse humaine, pragmatique et de bon sens à la situation particulière des allocataires du minimum vieillesse désireux de compléter leurs ressources par des revenus d’activité et de garder un lien social, comme d’autres orateurs l’ont souligné.

À l’heure où le cumul emploi-retraite est autorisé, pouvons-nous légitimement continuer de priver les titulaires du minimum vieillesse de la possibilité de travailler lorsqu’ils le souhaitent et qu’ils ont la faculté de le faire ? Nous ne le pensons pas. La recherche d’une plus grande équité ne peut que conduire à faire évoluer l’état du droit actuel le plus rapidement possible, et ce quel que soit le nombre exact de personnes concernées.

Par ailleurs, madame la ministre, si le montant des minima sociaux a été augmenté pendant cinq ans, vous seule pouvez prendre la décision de poursuivre encore dans cette voie.

Monsieur Watrin, au cours de votre intervention, vous avez dit que la mesure proposée était de nature libérale. Je l’assume ! Et pour ma part, j’ai un principe : je pense que l’on ne perd jamais à donner plus de liberté. En revanche, il faut que ces libertés soient encadrées et que les abus éventuels soient sévèrement sanctionnés.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente discussion nous honore, car elle montre que nous abordons de vraies questions sans dogmatisme et tout en étant proches de la réalité. Après ce débat, on ne pourra plus dire que les élus, les parlementaires, méconnaissent les problèmes de la société ou en sont éloignés. Ils en ont pleinement conscience. Vous en avez d’ailleurs donné des exemples très concrets au cours de vos interventions.

Je suis frappée par la place laissée dans toutes les interventions aux interrogations – je pense en particulier aux propos de Mme Deroche et M. Teulade –, au pragmatisme – vous l’avez vous-même souligné, madame Debré –, voire à l’inquiétude. Il s’agit là en effet d’une question majeure pour notre société, et je reviendrai ultérieurement sur ce point.

Il est vrai que des questions peuvent être soulevées, et c’est d’ailleurs ce qu’a fait M. Watrin. L’âge moyen des allocataires du minimum vieillesse est de 75 ans. Nous devons avoir comme préoccupation de ne pas nuire à leur santé. Mais, dans le même temps, avec la même honnêteté, la même bonne foi, force est de reconnaître que le meilleur gage de santé, ce sont des revenus décents. Nous devons souhaiter que les travaux accomplis par les personnes âgées – en particulier les travaux au noir, car cela existe, et j’ai personnellement rencontré sur les marchés des personnes travaillant dans de telles conditions – ne soient pas pénibles. Or tel est souvent le cas des travaux présentiels.

M. Kerdraon a évoqué une espèce de paradoxe apparent, à savoir les aides aux personnes âgées dispensées par d’autres personnes âgées. Aujourd’hui, vous le savez – et pour ma part je m’en félicite –, l’espérance de vie est très élevée. La solidarité peut alors être intragénérationnelle.

Dans les différents exemples exposés, on peut trouver le meilleur, comme le moins bon. J’ai été très frappée par l’illustration donnée par M. Kerdraon : oui, les allocataires du minimum vieillesse sont majoritairement des femmes ; oui, notre cœur saigne lorsque nous constatons qu’un grand nombre d’entre elles – 15 % – doivent faire appel à des associations de solidarité alors qu’elles ont été confrontées, au cours du XXe siècle, aux guerres et aux restrictions – ne l’oublions jamais – et qu’elles les ont vécues dans la dignité.

M. Desessard, quant à lui, a donné deux exemples particulièrement éloquents et qui ébranlent le débat : pourquoi l’un pourrait-il cumuler sans pénalité pension de retraite et salaire contrairement à l’autre qui semble pourtant avoir davantage besoin d’un revenu supplémentaire ?

Monsieur Plancade, il faut bien évidemment protéger le travail, et ce ne sont pas les socialistes qui diront qu’ils sont favorables au travail au noir.

Vous avez déclaré qu’il fallait élargir le débat. C’est une évidence, et tout mon ministère se consacre à cet élargissement du débat, c'est-à-dire à la réflexion sur la place des personnes âgées dans notre société. Les personnes âgées représenteront bientôt 30 % de la population. Aujourd'hui déjà, la retraite dure souvent une trentaine d’années. C'est pourquoi nous devons poser la question de la place des personnes âgées dans notre société. Le projet de loi que nous vous présenterons prochainement constituera, j’ose le dire, un premier pas dans cette direction. Il couvrira tout le champ de l’âge, et nous placerons ceux qui ont le moins de moyens au cœur de nos préoccupations.

Nous venons d’avoir un débat de qualité, mais il reste des incertitudes. Les inquiétudes et les interrogations sont légitimes. Les questions posées sont bonnes, mais les réponses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait l’espérer. Il y a une marge d’inquiétude pour nous tous, quelles que soient nos opinions politiques. C’est dans le respect de cette marge d’inquiétude que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
Article 1er bis (nouveau)

Article 1er

L’article L. 815-9 du code de la sécurité sociale est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Par dérogation à l’alinéa précédent et dans des conditions définies par décret, lorsque le demandeur ou le bénéficiaire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité perçoivent, au jour du dépôt de la ou des demandes ou en cours de service, des revenus d’activité, ces revenus peuvent être cumulés avec la ou les allocations de solidarité aux personnes âgées et les ressources personnelles de l’intéressé ou des époux, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité dans la limite d’un plafond.

« Ce plafond est fixé à 1,2 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance lorsque l’allocation de solidarité aux personnes âgées est versée à une personne seule ou à un seul des conjoints, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité et à 1,8 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance lorsque l’allocation de solidarité aux personnes âgées est versée aux deux conjoints, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Isabelle Debré, rapporteur. Je tiens à expliquer pourquoi les revenus professionnels ne pourront être cumulés avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées que dans la limite d’un plafond : cette allocation est financée par la solidarité nationale, et c'est pourquoi il nous a semblé juste de fixer un plafond de 1,2 SMIC pour une personne seule et de 1,8 SMIC pour un couple.

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Article 1er bis (nouveau)

L’article L. 815-9 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions prévues aux deux alinéas précédents sont applicables, dans des conditions définies par décret, aux personnes qui sont titulaires des allocations mentionnées à l’article 2 de l’ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse. » – (Adopté.)

Article 1er bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

(Non modifié)

Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Cet amendement vise, en supprimant l’article 2, à lever le gage.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Isabelle Debré, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 2 est supprimé.

Vote sur l'ensemble

Article 2 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à autoriser le cumul de l'allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. J’ai un peu toussé quand Mme la rapporteur a dit qu’elle assumait le terme « libéral » employé par Dominique Watrin, notre collègue du groupe CRC. Personnellement, je n’assume pas ce terme, et c'est pourquoi je me suis senti obligé d’intervenir.

Je comprends la logique de votre intervention, monsieur Watrin. Vous pensez que, si l’on autorise le cumul des revenus professionnels avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées, on refusera ensuite d’augmenter cette allocation en prétextant que ses bénéficiaires peuvent travailler. Mais le travail, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, surtout quand on a un certain âge et a fortiori quand on appartient à cette population bénéficiaire de l’ASPA ! Je suis d'accord avec votre analyse, mon cher collègue : vous avez raison de dire qu’il ne faut pas laisser le libéralisme gérer la situation des seniors.

Cependant, aujourd'hui, il ne s’agit non pas de cela mais de mettre fin à une situation inégalitaire, comme je l’ai montré. Actuellement, les cadres peuvent cumuler leur emploi avec leur retraite, alors que les personnes en situation difficile ne peuvent pas déclarer leurs revenus et sont contraintes de travailler au noir. Quelle perspective ! Nous voulons donc permettre à ces dernières de déclarer leurs revenus. Nous répondons à une situation d’urgence. Cher collègue, lorsqu’on est parlementaire, il faut avoir une vision de l’avenir qu’on souhaite mais aussi agir en fonction de l’urgence. Je rejoins votre vision d’une nouvelle société, je vous rejoins quand vous demandez au Gouvernement d’augmenter les minima sociaux, mais, tant que cela n’est pas fait, il faut bien traiter les situations d’urgence, et c'est pourquoi le groupe écologiste votera cette proposition de loi ! (Mme la rapporteur applaudit.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 90 :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 203
Majorité absolue des suffrages exprimés 102
Pour l’adoption 183
Contre 20

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l’UDI-UC et du groupe écologiste. – Mme la rapporteur applaudit également.)

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures dix, est reprise à dix heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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4

 
Dossier législatif : proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable
Discussion générale (suite)

Fiscalité numérique neutre et équitable

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, présentée par M. Philippe Marini (proposition n° 682 rectifié [2011-2012], rapport n° 287, résultat des travaux de la commission n° 288, avis nos 291, 298 et 299).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’organiserai la présentation de cette proposition de loi en trois phases.

Tout d’abord, je rappellerai que nous partons, les uns et les autres, Gouvernement et Parlement, les différentes commissions, de constats très largement partagés sur l’optimisation fiscale mise en œuvre par les grandes sociétés multinationales de l’Internet.

Ensuite, j’exposerai brièvement les axes de ma proposition de loi et de la feuille de route que j’ai initiée. Je pense qu’Yvon Collin, notre excellent rapporteur de la commission des finances, le fera bien mieux que moi. Permettez-moi, d’ores et déjà, de rendre hommage à la qualité de son travail.

M. David Assouline. Au fait ! Au fait !

M. Philippe Marini. Enfin, madame la ministre, je vous interrogerai sur vos projets à venir en vue de faire avancer ce sujet.

Mes chers collègues, vous vous souvenez que, dès 2010, la question de l’évasion fiscale dans le domaine de l’économie numérique a été au cœur des préoccupations du rapport de Patrick Zelnik, qui avait été missionné par le président de la République d’alors. L’idée d’une approche fiscale de ce sujet avait d’ailleurs trouvé une expression en droit positif par un vote du Sénat, en 2010, même si cette première version était assurément imparfaite.

Sur le fond, je voudrais commencer par une citation d’un philosophe, Bernard Stiegler, qui s’exprimait en ces termes lors d’un forum organisé voilà près d’un an au Sénat : « L’industrie numérique menace la puissance publique de devenir incapable. N’ayant pas la capacité de percevoir l’impôt et de percevoir des taxes, elle est mise dans une situation d’incapacitation structurelle ».

Bien entendu, il s’agit d’une langue de philosophe, mais le constat de l’inadaptation croissante des législations fiscales nationales face aux phénomènes d’optimisation fiscale des grands groupes, non seulement de l’Internet, mais également d’autres secteurs, est désormais largement partagé.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Absolument !

M. Philippe Marini. Les problématiques rencontrées ne connaissent pas de frontières et concernent tout aussi bien les États européens que les États-Unis, notamment dans le domaine de la taxation du commerce électronique.

Aussi, je me réjouis que ce sujet, sur lequel je travaille au sein de la commission des finances depuis plus de trois ans, soit devenu une véritable question de société, à savoir la territorialité, ou l’absence de territorialité, de l’économie numérique. Je remercie donc mes collègues du groupe UMP d’avoir bien voulu demandé l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour réservé à notre groupe.

Ce sujet, dont le caractère est transversal et – je pense que nos débats le montreront – trans-partisan, a intéressé trois commissions, qui se sont saisies pour avis de ce texte. Je salue leurs rapporteurs pour avis, qui sont groupés solidairement au banc des commissions : Claude Domeizel, Yves Rome et Bruno Retailleau. Je me félicite de leur contribution à l’enrichissement du débat et de leur soutien à ma démarche d’ensemble.

Au demeurant, le Sénat avait également traité de ce sujet en 2012, dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, dont notre collègue Éric Bocquet était rapporteur.

Pour ma part, j’ai effectué plusieurs déplacements en Italie, en Grande-Bretagne et en Allemagne, lesquels m’ont permis d’identifier des points d’intérêt communs aux différents États européens.

Comme en France, ces grands pays de consommation ont entamé des procédures à l’encontre de Google, d’Amazon et d’Apple dans le domaine du contrôle fiscal. Il s’agit d’affaires en cours, sur lesquelles je ne dispose pas d’éléments de première main, mais les informations publiques disponibles font état de montants très importants de « dilution » de la matière fiscale. En outre, mes chers collègues, nous savons bien que ces schémas ne sont pas l’apanage de la seule industrie numérique.

Par ailleurs, parallèlement au volet fiscal, nos voisins allemands se sont focalisés sur la question de la captation de valeur publicitaire des moteurs de recherche sur les contenus éditoriaux offerts par les sites de presse. Il en résulte une voie, que je considère comme très intéressante, consistant à accorder aux éditeurs de presse un droit voisin aux droits d’auteurs. Cette approche, reprise selon des variantes par les presses française et italienne, me semble tout à fait complémentaire du volet fiscal.

Pour ma part, je me suis efforcé d’entrer dans un travail prospectif sur ce que devrait appréhender à l’avenir le droit fiscal au regard des nouveaux modes numériques de création de richesses. À mes yeux, le cœur de réacteur de la nouvelle économie numérique est la publicité, laquelle permet la fourniture de services gratuits, du moins apparemment, et favorise le commerce électronique comme nouveau mode de consommation.

Mes chers collègues, la voie que je défends au travers de cette proposition de loi n’est pas exclusive des autres approches. Elle se conjugue avec le contrôle fiscal, l’utilisation, en particulier, de la notion d’abus de droit en droit fiscal français, ainsi qu’avec la préoccupation d’une juste rétribution des auteurs.

Naturellement, ce texte ne prétend pas résoudre l’ensemble du problème. Je ne réclame aucun copyright et n’ai aucun amour-propre d’auteur. (Expressions amusées au banc des commissions.) Je souhaite simplement que les choses avancent et que l’on fasse du concret !

À cet égard, la presse, plus tardivement en France qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne, a maintenant, me semble-t-il, après des débuts un peu difficiles, pleinement pris la mesure du problème.

Ainsi, dans une parution récente du magazine Challenge, j’ai pu lire ceci : « Partout, des idées émergent pour créer un impôt adapté à l’économie du XXIe siècle, dématérialisée et sans frontières, donc peu concernée par les outils anciens (TVA, impôt sur les sociétés, etc.). »

Mes chers collègues, le défi que nous impose l’économie numérique est d’œuvrer pour la création d’une fiscalité du XXIe siècle : à nouvelles assiettes, nouveaux impôts !

Ma proposition de loi, dont je ne reprendrai pas le détail, dévoile une dynamique, un ensemble d’initiatives, dont le dispositif purement juridique n’est que le premier terme, le premier étage, en quelque sorte.

Les enjeux politiques s’appellent « compétitivité », « croissance des marchés », « impact sur l’industrie européenne ». Pour s’orienter de manière opérationnelle, il me semble que trois termes doivent à mon avis être distingués.

Il y a le court terme, qui correspond à l’échelon national, où prend place cette proposition de loi prévoyant un dispositif de déclaration fiscale applicable aux acteurs étrangers pour une série de taxations destinées à rétablir la neutralité et l’équité fiscale.

Ensuite vient le moyen terme, qui correspond à l’échelon communautaire, où prend place l’enjeu du raccourcissement du délai de basculement de la TVA sur les services électroniques vers l’État de consommation, dont il convient de pratiquer le taux.

M. Jean Arthuis. Évidemment !

M. Philippe Marini. Enfin, les moyen et long termes correspondent au niveau international, où l’OCDE et le G20 doivent s’attacher à la renégociation des conventions entre États régissant les concepts de la fiscalité pour ce qui est de la répartition territoriale des bénéfices au sens de l’impôt sur les sociétés.

Sur le plan national, vous avez pu constater que la proposition de loi comporte deux volets : un volet procédural et un volet fiscal. Yvon Collin nous fera part de son analyse sur le dispositif lui-même.

M. Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances. Tout à fait !

M. Philippe Marini. Je passerai donc immédiatement au rappel de l’enjeu européen.

Madame la ministre déléguée, il faut renégocier le calendrier de mise en œuvre de la directive TVA relative aux services électroniques du 12 février 2008 afin d’avancer son échéancier d’application. Je sais bien qu’une telle décision se prend à l’unanimité ; néanmoins, les grands États de consommation, à savoir la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, seraient à mon avis plus forts dans le débat si une telle proposition était officiellement mise sur la table de l’Ecofin. En effet, l’écart des taux de TVA représente un manque-à-gagner annuel de l’ordre de 1 milliard d’euros pour la France, de 1,5 milliard d’euros pour l’Allemagne et de 1,2 milliard d’euros pour la Grande-Bretagne. Vous le voyez, le compteur tourne et il est inutile, mes chers collègues, de vous rappeler la situation de nos finances publiques et nos engagements, en particulier nos engagements de convergence européenne.

Au niveau international, il y a une sorte de conjonction favorable des astres. Il faut donc sensibiliser et convaincre les parlementaires et les gouvernements des États membres de l’Union européenne d’engager un processus de renégociation des règles d’imposition des bénéfices établies par l’OCDE, en prenant en compte la spécificité de l’économie numérique et de la dématérialisation.

Mais, nous le savons, le processus de réflexion au sein de l’OCDE a été relancé, sur l’initiative du G20, plus précisément du chancelier de l’échiquier britannique, à la suite d’une campagne d’opinion, et du ministre allemand des finances, M. Schäuble, rejoints par Pierre Moscovici, notre ministre de l’économie et des finances, lesquels ont missionné le centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE pour initier un nouveau processus de définition des concepts de l’impôt sur les sociétés. En réalité, dans ce plan d’action, que l’OCDE appelle le BEPS, base erosion and profit shifting, soit érosion des bases d’imposition et transfert des bénéfices, se joue l’avenir de cet impôt.

Mes chers collègues, il ne faut pas sous-estimer cet enjeu. Nous le savons, l’impôt sur les sociétés est de plus en plus inégalitaire…

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Exactement !

M. Philippe Marini. … selon qu’il s’applique à des entreprises ancrées sur nos territoires…

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. À nos PME !

M. Philippe Marini. … ou à des entreprises multinationales.

C’est toute la question de la répartition des résultats entre les territoires, des prix de transfert, de l’imputation des redevances, de toutes les charges qui viennent limiter le produit fiscal, territoire par territoire.

Ce processus doit être validé par la réunion des ministres des finances du G20 à Moscou, le mois prochain, et déboucher ensuite sur un plan d’action opérationnel ; il constitue un enjeu absolument essentiel, madame la ministre, et le sujet de notre débat s’inscrit parfaitement dans cette réflexion.

Mes chers collègues, la question de notre rôle au sein du Parlement national se pose évidemment : il s’agit pour nous d’ouvrir le débat et d’en appeler à l’opinion publique.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Philippe Marini. Dans cette perspective, la proposition de loi que nous examinons ce matin me semble tout à fait utile.

Certes, nous avons été très attentifs aux conclusions du rapport de Pierre Collin et de Nicolas Colin qui, avant Yvon Collin, se sont emparés du dossier et ont engagé une démarche extrêmement intelligente – c’est le moins que l’on puisse attendre d’un conseiller d’État et d’un inspecteur des finances ! Notre commission et les rapporteurs pour avis ont beaucoup apprécié le caractère fondamental de leur démarche, car cette dernière aborde toutes les problématiques que je viens d’évoquer.

Les auteurs du rapport posent le diagnostic suivant : « L’économie numérique n’est pas un secteur de l’économie. Elle est un vecteur de transformation de tous les secteurs de l’économie, dans lesquels elle provoque de puissants déplacements de marges des entreprises traditionnelles vers les entreprises opérant des services logiciels en réseau ». Si ce devait être le seul apport de ce travail, celui-ci serait déjà essentiel, me semble-t-il, pour la prise de conscience des parlementaires. Les auteurs du rapport ajoutent que « le droit fiscal, tant national qu’international, peine à s’adapter aux effets de la révolution numérique ». Ces constats rejoignent les enseignements que la commission des finances a tirés des travaux qu’elle a engagés dès 2009 et 2010, sur l’initiative de son président, Jean Arthuis.

MM. Collin et Colin ont constaté que « le point commun à toutes les grandes entreprises de l’économie numérique est l’intensité de l’exploitation des données issues du suivi régulier et systématique de l’activité de leurs utilisateurs ».

Ils estiment que « la collecte des données […] est le seul fait générateur qui garantisse la neutralité du prélèvement », celui-ci n’ayant pas pour vocation d’imposer la collecte de données en tant que telle, mais d’inciter les entreprises à adopter des pratiques conformes à des objectifs d’intérêt général. En effet, vous le savez, mes chers collègues, MM. Pierre Collin et Nicolas Colin mettent en évidence le fait que la valeur de fonds de commerce des réseaux et des systèmes est créée par les internautes, grâce à l’apport des informations gratuites qu’ils produisent et font circuler sur la Toile.

Bien entendu, madame la ministre, créer un mécanisme fiscal frappant les données personnelles pour, en quelque sorte, sortir de cette aliénation économique que nous décrivent les auteurs du rapport, relève d’une démarche louable, intéressante, intelligente, mais comment définir l’assiette fiscale et les redevables ? J’espère que les excellents spécialistes de la direction de la législation fiscale pourront nous donner rapidement une réponse, car nous ne siégeons pas dans un colloque universitaire, mais au Parlement, et nous devons prendre des décisions !

Quelle traduction législative concrète donner à ces réflexions ? J’ai naturellement entendu émettre de nombreuses réserves à l’égard de ma proposition de loi : je sais que celle-ci n’est pas parfaite et qu’elle ne se propose de traiter que d’une toute petite partie d’un ensemble très contraint, à la fois par le droit communautaire et par le droit international public.

On m’a opposé qu’une obligation de déclaration de chiffre d’affaires publicitaire, pour Google, ou de commerce électronique, pour Amazon, serait difficile à faire appliquer et à contrôler. Toutefois, il me semble que ce problème existe déjà pour les sites extracommunautaires qui ne déclarent pas correctement la TVA dans le cadre de la procédure dite du « mini-guichet ».

Ce portail électronique mis en œuvre à l’échelle européenne a rapporté à la France en 2012 20 millions d’euros, un chiffre ridiculement faible eu égard au volume des échanges. Pour autant, on ne remet pas en cause le système de la TVA dans son ensemble. Or la critique que l’on m’adresse vaut aussi, me semble-t-il, pour le régime de la TVA !

On me dit aussi qu’une taxe sur la publicité en ligne, même modeste, tuerait l’écosystème français. Néanmoins, la taxe locale sur la publicité extérieure, la TLPE, qui est utile pour nos collectivités locales, a-t-elle tué la publicité sur la voie publique ? Je constate que cette forme de publicité fleurit toujours et que la taxe qui la frappe apporte quelques ressources budgétaires aux communes, ce qui n’est pas absolument négligeable. Par ailleurs, je rappelle que ma proposition de loi ne prévoit d’instaurer une taxation qu’au-delà d’un seuil d’activité tout à fait élevé.

Enfin, on m’oppose la nécessité, en droit communautaire, de défendre un motif d’intérêt général pour instaurer une procédure dérogatoire de déclaration de chiffre d’affaires, à l’exemple du régime de l’agrément des jeux en ligne.

Mes chers collègues, permettez-moi d’adopter à présent un ton un peu plus solennel : je défends l’idée que la sauvegarde des intérêts du marché intérieur et la lutte contre les abus de positions dominantes doivent être considérées comme des motifs d’intérêt général…

M. Philippe Marini. Jean Desessard est parti…

M. Philippe Marini. … ce que je regrette, car j’allais évoquer le libéralisme. En effet, nous ne devons pas oublier que la libre concurrence est l’un des principes fondateurs de l’Union européenne.

Lundi dernier, je me suis rendu dans les bureaux de la Commission européenne, à la faveur de la réunion des parlementaires européens avec le Parlement européen.

M. David Assouline. Vous avez épuisé votre temps de parole. Ne nous racontez pas votre vie !

M. Philippe Marini. À cette occasion, j’ai rencontré le chef de cabinet du vice-président de la Commission, commissaire chargé de la concurrence, M. Almunia. Il m’a indiqué que quatre griefs étaient établis par les services de la Commission contre Google, sur la base de documents et de procédures.

Il s'agit, premièrement, de la manipulation des résultats de recherche, due au défaut d’objectivité des algorithmes utilisés par Google ; deuxièmement, de l’utilisation d’informations de sites tiers en tant que « données Google », une pratique proche du vol ; troisièmement, des clauses de contrats abusives entre ce groupe et ses partenaires ; quatrièmement, et enfin, de la restriction à la portabilité des campagnes de publicité de Google vers les autres sites.

Il appartiendra à la Commission européenne de se déterminer en choisissant de recourir soit au contentieux, soit à la transaction. Je demande au Gouvernement d’y être particulièrement attentif, car la décision qui sera prise sera une décision prise collégialement par la Commission, et non par un seul commissaire. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.)

Je comprends bien que, les techniques évoluant très vite, une transaction, en faveur de laquelle, naturellement, un lobbying considérable serait mis en œuvre, répondrait à une inclination naturelle. Toutefois, une transaction sans indemnité, qui éviterait à Google de reconnaître ses torts à l’égard du droit de la concurrence, est-elle acceptable ? En l’espèce, est-ce que transaction rime avec transparence ? J’achèverai mon propos sur cette question, pour donner satisfaction à M. David Assouline, ce dont je serai ravi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui, à savoir la fiscalité de l’économie numérique, est au premier plan de l’actualité, mais il est aussi au cœur de la construction des nouveaux modèles économiques de croissance et de création de richesses.

Les phénomènes de distorsion de concurrence et les stratégies d’optimisation fiscale employées par les grands groupes de l’internet, dans les secteurs de la publicité en ligne et du commerce électronique, ainsi que le danger que représente la concurrence déloyale des grands acteurs de la Toile basés dans les pays à fiscalité réduite sont devenus une préoccupation majeure de l’ensemble des acteurs de l’économie numérique.

À cet égard, il faut savoir gré à Philippe Marini d’avoir été à l’initiative du travail d’information parlementaire engagé par notre commission depuis 2009, de l’avoir animé dans la durée et de l’avoir constamment enrichi par plusieurs rapports successifs, pour aboutir à la présente proposition de loi, intitulée Pour une fiscalité numérique neutre et équitable. Que cette problématique soit désormais appréhendée, dans le débat public et institutionnel, comme un enjeu majeur pour nos finances publiques et la politique de croissance constitue en soi un premier succès pour l’auteur de ce texte, en particulier, et pour l’activité sénatoriale, en général.

Je salue également l’implication très large du Sénat dans ce domaine et, en particulier, les travaux de nos trois collègues rapporteurs pour avis, Bruno Retailleau pour la commission des affaires économiques, Claude Domeizel pour la commission de la culture et Yves Rome pour la commission du développement durable.

De son côté, il faut le reconnaître, le Gouvernement s’est également saisi de la question de l’optimisation fiscale pratiquée par les multinationales de l’internet, même s’il ne l’a fait que tardivement. Ainsi, à l’échelon national, il a lancé, en juillet 2012, une mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique dont l’un des objectifs consistait précisément à dégager des propositions en matière de localisation et d’imposition des bénéfices, du chiffre d’affaires, ou, éventuellement, de définition d’autres assiettes taxables. Nous avons auditionné la semaine passée les auteurs de ce rapport d’expertise, rendu public le 18 janvier dernier.

Le Gouvernement a également prolongé son action sur le plan international et européen. En effet, il s’est associé à la saisine de l’OCDE, en novembre dernier, sur la question de la territorialité des bénéfices et de l’érosion des bases fiscales et à celle de la Commission européenne, afin de définir une approche européenne de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales dans le domaine de l’économie numérique.

Les questions soulevées sont très techniques et s’insèrent dans un environnement juridique national, européen et international très complexe. Aussi ai-je procédé en urgence à de nombreuses auditions et consultations pour tenter d’acquérir un vernis de connaissance sur ce sujet.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Belle preuve de modestie !

M. Yvon Collin, rapporteur. Avant de vous proposer d’adopter une position sur le texte qui nous est soumis, mes chers collègues, je vous en rappellerai rapidement l’économie générale et le dispositif.

L’enjeu principal soulevé par cette proposition de loi porte sur la neutralité et l’équité fiscales. Pour Philippe Marini, « la neutralité est la taxation, quelle que soit la technologie employée pour une même fonction, et l’équité est le traitement selon des règles du jeu communes des agents économiques […] lorsqu’ils interviennent sur un même secteur ».

Les objectifs visés par l’auteur de la proposition de loi ne s’inscrivent donc pas spécifiquement dans une problématique de financement de tel ou tel secteur d’activité, qu’il s’agisse de la culture, des réseaux numériques ou des collectivités territoriales, sans écarter pour autant la question de l’affectation de ces recettes fiscales.

Ainsi, c’est à partir du constat selon lequel la taxation de la publicité est une pratique de droit commun en matière fiscale, sur les médias télévisuels, radiophoniques ou par voie de la publicité extérieure, que l’absence de taxe spécifique à la publicité sur internet a été clairement identifiée.

Pour Philippe Marini, rien ne justifie, a priori, que la publicité sur l’internet échappe par nature à un prélèvement supporté par la publicité dans les médias traditionnels. C’est en vertu du même raisonnement qu’il a observé que les services de commerce en ligne échappent à la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM.

S’agissant de l’équité fiscale, les acteurs de l’économie numérique – les opérateurs de télécommunications, l’industrie du livre et de la musique, entre autres – ont été les premiers à mettre en lumière cette problématique. Ils font remarquer qu’ils sont concurrencés par des sites internet basés à l’étranger qui ne supportent ni les mêmes charges fiscales en matière de TVA et d’impôt sur les sociétés ni les taxations spécifiques à notre pays destinées à financer l’industrie cinématographique, l’audiovisuel public, les réseaux et les collectivités locales.

C’est donc sur ce fondement que la proposition de loi prévoit, au moyen d’une obligation déclarative, l’extension aux acteurs installés à l’étranger des dispositifs fiscaux jusqu’alors applicables aux seules entreprises françaises.

Comme l’a excellemment et rapidement rappelé Philippe Marini, le dispositif proposé est composé de deux volets.

Tout d’abord, un volet procédural institue une obligation de déclaration d’activité par les acteurs de services en ligne basés à l’étranger à partir de certains seuils d’activité, et selon deux variantes. L’entreprise assujettie opterait soit pour la désignation d’un représentant fiscal sur le modèle procédural de l’agrément accordé aux sites de jeux en ligne, soit pour le régime spécial de déclaration des services fournis par voie électronique, qui est une procédure simplifiée et dématérialisée permettant de respecter les principes du droit européen de non-discrimination et de proportionnalité.

Ensuite, autour de ce volet procédural, s’organise un volet fiscal comportant une série de taxations : la taxe sur la publicité en ligne, la taxe sur l’achat de services de commerce électronique, la TASCOE, et la taxe sur les ventes et les locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public.

La taxe sur la publicité en ligne s’appliquerait dorénavant aux régies, où qu’elles se situent, et non aux annonceurs comme le prévoyait la première version de la taxe votée en 2010, afin que les acteurs étrangers soient redevables de la taxe comme le sont les régies françaises au titre de leur audience sur le marché national.

Cette taxe serait calculée sur les recettes publicitaires, en appliquant un taux de 0,5 % à la fraction comprise entre 20 millions d’euros et 250 millions d’euros et de 1 % au-delà. Il ne s’agit pas d’une mesure de rendement, car le gain fiscal escompté se situerait à un niveau inférieur ou égal à 20 millions d’euros pour un marché de 2,7 milliards d’euros.

S’agissant de la taxe sur les services de commerce électronique, le dispositif s’articule selon un triple volet.

Tout d’abord, la taxe est due par les personnes qui vendent ou louent, par un procédé de communication électronique, des biens et des services à toute personne, établie en France, y compris dans les départements d’outre-mer, qui n’a pas elle-même pour activité la vente ou la location de biens et de services, c’est-à-dire la vente aux particuliers.

Ensuite, la taxe ne s’applique pas lorsque le chiffre d’affaires annuel du prestataire du service de commerce électronique est inférieur à 460 000 euros. Son taux, de 0,25 %, est assis sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée du prix acquitté.

Enfin, pour tenir compte de la situation des commerçants opérant à la fois dans la grande distribution et dans le commerce électronique, il serait instauré une déduction du montant acquitté par le redevable de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, dans la limite de 50 % de son montant.

Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, le rendement d’une taxe de 0,25 % pourrait atteindre environ 100 millions d’euros dès 2013 et 175 millions d’euros en 2015. En outre, au même titre que la TASCOM, le produit de cette taxe serait affecté au bloc communal, qui en a bien besoin, dans les conditions de versement du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC. Il s’agit de tenir compte de la perspective d’érosion du commerce physique au profit du e-commerce, donc de compenser le préjudice ainsi causé aux territoires.

Par ailleurs, pour rétablir une forme d’équité fiscale entre acteurs français et étrangers, la proposition de loi vise à étendre aux acteurs de l’internet établis hors de France la taxe sur la fourniture de vidéogrammes à la demande, la VOD.

Le rendement actuel de cette taxe est limité – il n’est que de 32 millions d’euros –, mais, dans son principe, et hormis la difficulté à en assurer le recouvrement à l’étranger, l’ensemble des professionnels auditionnés ont émis un avis favorable sur ce dispositif, lequel n’implique aucune charge supplémentaire pour les entreprises établies en France.

Enfin, le dernier article de la proposition de loi prévoit la remise au Parlement par le Gouvernement d’un rapport évaluant l’impact sur les finances publiques des pratiques d’optimisation fiscale mises en œuvre par certains acteurs de l’économie numérique basés hors du territoire français en matière de taxe sur la valeur ajoutée, d’imposition des bénéfices et de toutes taxations spécifiques. Sur ce dernier point, nous pouvons considérer que la remise du rapport Collin et Colin de la mission d’expertise satisfait en grande partie cette demande ; c’est, en tout cas, notre sentiment.

Pour conclure cette présentation du dispositif, je pense pouvoir dire, sans trahir la pensée de Philippe Marini, que l’auteur de la proposition de loi défend « l’idée de jeter les bases de la fiscalité numérique, d’abord, sur le plan national, car, même incomplète, elle préfigurerait l’adoption d’une taxation plus globale au niveau européen ».

Il me semble clair que le Gouvernement et les auteurs du rapport « Col[l]in au carré » (Sourires.) visent le même objectif.

La question est donc à présent de savoir quel dispositif adopter.

La mission d’expertise dresse un état des lieux de l’inadaptation de la fiscalité directe, comme de la fiscalité indirecte. Les constats relatifs à l’érosion des bases d’imposition ne sont, certes, pas inédits ni spécifiques à l’économie numérique, mais ils ont le mérite d’être posés pour justifier l’urgence pour les États d’agir au niveau européen et international. Je ne reviendrai pas sur la teneur de ce rapport, dont nous avons longuement entendu et interrogé les auteurs. J’irai donc directement aux propositions.

La mission a identifié le fait que le point commun à toutes les grandes entreprises de l’économie numérique est l’intensité de l’exploitation des données issues du suivi régulier et systématique de l’activité de leurs utilisateurs. Tandis que les données, notamment les données personnelles, sont la ressource essentielle de l’économie numérique, la collecte de ces données est rendue possible par l’émergence du « travail gratuit » que fournissent les utilisateurs soit à leur insu, soit par leur contribution volontaire.

C’est sur la base de ce diagnostic que la mission propose de créer de nouvelles assiettes fiscales fondées sur les données. Elle considère que la collecte des données issues du suivi régulier et systématique des utilisateurs est le seul fait générateur qui garantisse la neutralité du prélèvement. La vocation de ce dernier est non d’imposer la collecte de données en tant que telle, mais d’inciter les entreprises à adopter des pratiques conformes à des objectifs d’intérêt général, comme la protection des libertés individuelles, l’innovation sur le marché de la confiance numérique, l’émergence de gains de productivité, la croissance et la création de nouveaux services au bénéfice des utilisateurs. Cette fiscalité incitative se fonderait sur un principe similaire au « pollueur-payeur », qui serait celui du « prédateur-payeur ».

Cette proposition concernerait, d’une part, les entreprises françaises, afin de les inciter à mieux utiliser les données de leurs clients et utilisateurs, et, d’autre part, les entreprises non établies sur le territoire. Pour ces dernières, la mission soumet l’idée selon laquelle l’objectif de protection des libertés individuelles, qui sous-tend la taxation des données personnelles, pourrait, au-delà du seul souci d’assurer le recouvrement de l’impôt, être considéré comme un motif d’intérêt général suffisant et de nature à justifier une restriction à la libre prestation de services au sein de l’Union européenne.

Cependant, au-delà de ces éléments généraux, il ne semble pas que cette proposition de taxation de la collecte et de l’utilisation des données soit immédiatement opérationnelle et transposable sur le plan législatif.

D’ailleurs, je constate, avec bien d’autres parlementaires, que cette piste pose davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. C’est probable !

M. Yvon Collin, rapporteur. Quelles données, personnelles ou non, seront concernées par le dispositif ? Comment sera fixée la valeur de ces données ou de leur traitement afin de déterminer l’assiette d’imposition ? Qui seront les redevables ? À partir de quels volumes de données et pour quelles utilisations ? L’objectif d’intérêt général portant sur la protection des données personnelles sera-t-il suffisant au regard du droit communautaire pour justifier d’une dérogation à la libre circulation des biens et services, comme cela a été admis pour l’encadrement législatif des jeux en ligne ?

À ce stade, outre l’avis de la Commission européenne qu’il conviendra que le Gouvernement sollicite, le rapport de la mission d’expertise ne délivre aucun chiffrage et ne précise aucune modalité de recouvrement de cette proposition de taxe incitative. Il faut donc constater, pour l’heure, que les propositions remises au Gouvernement ne constituent pas une solution de rechange opérationnelle à la proposition de loi de Philippe Marini.

Au surplus, on peut considérer que les critiques déjà formulées à l’encontre de la taxation de la publicité en ligne et du commerce électronique peuvent, dans une certaine mesure, être transposées à la taxation de la collecte et l’utilisation des données.

En effet, comme dans le cas de la proposition de taxation de la publicité en ligne ou du commerce électronique, la fiscalisation des données affecterait nécessairement les acteurs français, avec la même incertitude sur l’efficacité de la procédure déclarative applicable aux acteurs étrangers.

D’ailleurs, la mission propose que les entreprises quantifient elles-mêmes, sous le contrôle de l’administration fiscale, le volume de données qu’elles collectent et exploitent. Paradoxalement, cela conforte le principe de la procédure déclaratoire proposée par Philippe Marini.

Au final, je remarque aussi que les arguments utilisés en faveur de la taxation des données, à savoir l’instauration de seuils d’assujettissement et la mise en place d’une phase d’expérimentation, reprennent ceux qui ont déjà été avancés par Philippe Marini. Ainsi, la taxe sur la publicité en ligne prévoit, d’ores et déjà, un barème progressif d’imposition.

Je ne m’engagerai pas plus avant dans l’examen du dispositif, car il me semble prématuré de porter un jugement définitif tant sur les propositions présentées par Philippe Marini que sur celles qui émanent du rapport de la mission d’expertise. Par des voies différentes, ces deux approches ont en commun de promouvoir l’élaboration d’un droit national propre à peser dans les négociations internationales et le rapport de forces avec les entreprises multinationales de l’internet.

Si l’objectif est commun, il se dégage toutefois une différence d’appréciation.

D’une part, la proposition de loi qui nous est présentée se veut concrète et opérationnelle sur le plan législatif, quitte à provoquer le débat sur ses effets économiques.

D’autre part, le rapport de la mission apparaît davantage comme une étude académique et prospective destinée à présenter une solution globale, laquelle reste, à nos yeux, à approfondir et à expertiser pour parvenir à un éventuel dispositif.

Or la date d’examen de la proposition de loi est trop précoce pour que ce travail puisse concrètement aboutir à une solution pleinement opérationnelle et susceptible d’être comparée aux dispositions proposées par Philippe Marini.

Même si, vous l’avez dit et répété, madame la ministre, le Gouvernement semble pleinement convaincu d’agir rapidement au niveau national, sa démarche s’inscrit dans un calendrier que vous nous préciserez peut-être et qui nécessite de prolonger la réflexion : tout d’abord, ont été nommés, le 18 janvier dernier, les trente nouveaux membres du Conseil national du numérique, lequel aura notamment pour vocation de donner un avis sur l’ensemble de ces propositions ; ensuite, le rapport commandé à Pierre Lescure sur les contenus numériques et la politique culturelle à l’ère du numérique sera remis en mars prochain, et ce document ne sera pas sans lien avec les préoccupations qui nous réunissent aujourd’hui ; enfin, il importera également de tenir compte des discussions engagées au niveau international et, en particulier, des décisions qui seront prises par le G20 sur la base du rapport de l’OCDE.

À cet égard, je souhaite que le Gouvernement précise, à l’occasion de cet important débat, ses intentions et ses projets.

C’est pourquoi, à l’issue de la discussion générale, je vous proposerai, mes chers collègues, au nom de la commission des finances, d’adopter une motion de renvoi à la commission de la proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je commencerai par rendre hommage à notre excellent président de la commission des finances, auteur de la présente proposition de loi, pour sa ténacité et sa persévérance. Il mène ce combat pour l’équité et la neutralité de la fiscalité numérique, avec Jean Arthuis, depuis plusieurs années, et même si nous avons parfois divergé sur les modalités proposées, il existe aujourd’hui une convergence entre nous sur l’intérêt de faire vivre ce débat.

Mes chers collègues, dans un souci d’équilibre de nos échanges, je débuterai mon intervention par un constat assez simple : l’économie numérique est, bien sûr, notre avenir, mais aussi, d’ores et déjà, notre présent. Son poids dans notre économie est en effet bien plus important que celui de nombreux autres secteurs traditionnels, par exemple ceux des transports et de l’énergie. Elle représente un peu plus de 5 % de notre PIB et a créé, au cours des quinze dernières années, environ 750 000 emplois. Les analyses et études menées dans ce domaine montrent que, en France comme dans les autres pays occidentaux, entre le quart et le tiers de la croissance et de la productivité provient directement de ce secteur.

L’économie numérique fait donc bien partie de notre actualité, de notre présent. Je vous rappelle que la première capitalisation boursière, aujourd’hui, c’est Apple !

Elle est d’ailleurs non pas seulement notre présent, mais aussi notre avenir. Le rapport de MM. Collin et Colin, cité par notre collègue Yvon Collin – décidément ! –, indique ainsi que 80 % de l’économie française seront affectés, demain, par ce secteur.

Aujourd'hui, la présence au banc de la commission de quatre rapporteurs, l’un au fond et trois pour avis, est une preuve de la transversalité absolue du numérique, qui non seulement pèse de tout son poids dans notre économie, mais envahit aussi – au bon sens du terme ! –, progressivement, les autres secteurs.

L’économie numérique est donc notre avenir et notre présent.

Pour vos moments de loisir, je vous conseille, mes chers collègues, la lecture de l’excellent ouvrage, paru l’an dernier, de Jeremy Rifkin. Cet économiste américain, qui s’est parfois trompé dans le passé, notamment en prédisant la fin du travail, défend une thèse très intéressante. Selon lui, tous les grands basculements qui se sont produits au cours de notre histoire ont eu pour origine une conjonction entre l’émergence de nouveaux moyens de communication et celle de nouvelles énergies.

Ce fut le cas en Mésopotamie, où les Sumériens furent les premiers à créer de grands systèmes hydrauliques pour l’agriculture, mais aussi à inventer l’écriture.

Ce fut encore le cas lors de la deuxième révolution industrielle, avec la conjonction de l’apparition d’une nouvelle source d’énergie, l’électricité, et celle de nouveaux moyens de communication, le télégraphe et le téléphone.

Aujourd’hui, nous assistons à une nouvelle conjonction entre, d’une part, l’essor de l’internet et de l’économie numérique, et, d’autre part, celui des énergies renouvelables, qui sont moins centralisées et mieux distribuées, puisqu’on peut les trouver « à la porte » de chacune de nos collectivités et de nos maisons.

L’économie numérique, que nous appréhendons aujourd’hui d’un point de vue fiscal, représente, n’en doutons pas, un enjeu énorme. Je tiens d’ailleurs à rappeler à cette tribune qu’elle est non pas une menace, mais d’abord une chance.

Il nous faut néanmoins prendre garde à deux écueils, qui constituent en quelque sorte deux pôles opposés.

Nous devons éviter, tout d’abord, de céder à la tentation de punir un secteur particulier, au motif qu’il bouscule les anciennes règles et les secteurs de l’économie traditionnelle. Cela n’aurait aucun sens et serait absolument inefficace.

Nous devons éviter, ensuite, d’adopter l’attitude diamétralement opposée, consistant à dire que les tenants du numérique sont d’anciens étudiants philanthropes, qui ne viseraient d’autre objectif que le bien de l’humanité tout entière (Sourires.), et qu’il faut donc laisser ce secteur se développer librement en se contentant, pour toute régulation, de la foi en l’empathie universelle.

Ces deux attitudes sont vouées à l’échec. D'ailleurs, aujourd’hui, dans les pays occidentaux les plus libéraux, les choses changent. Je citerai, pour illustrer cette situation, deux exemples symboliques.

Premièrement, en 1998, Bill Clinton faisait passer l’Internet Tax Freedom Act, l’ITFA, loi par laquelle il entendait prohiber toute intervention fiscale intempestive de la part des États fédéraux dans le domaine des transactions électroniques, au motif que l’économie numérique, notamment l’internet, représentait un gisement d’emplois et de productivité. Il avait raison sur ce point !

Deuxièmement, voilà une huitaine de jours, à Davos, David Cameron exposait ses trois priorités pour la présidence britannique du G8, parmi lesquelles figure en bonne place – Philippe Marini doit s’en réjouir ! – la lutte contre l’évasion et l’évitement fiscaux.

Rappelons à cet égard, même si cette affaire n’a rien à voir avec le numérique, qu’une polémique a récemment fait grand bruit en Grande-Bretagne, à la suite de la révélation par l’agence Reuters que l’entreprise multinationale Starbucks avait échappé, pendant trois années, à toute taxation sur le territoire du Royaume-Uni.

Si les choses changent aujourd’hui, c’est parce que Google, Apple, Facebook et Amazon, que l’on appelle aussi les GAFA, ces grandes sociétés qualifiées également d’« over the top », sont actuellement en position dominante dans de nombreux secteurs, profitant de l’intimité qu’elles ont su créer avec l’utilisateur final pour se déployer progressivement et remonter toute la chaîne de valeur.

Une autre raison de ce changement, c’est que tous les États, où qu’ils se trouvent, sont aujourd’hui menacés par la crise des dettes souveraines et souhaitent remplir leurs caisses.

Enfin, et c’est une raison supplémentaire, nous voyons se creuser une double fracture.

La première fracture a lieu entre l’ancienne économie, c’est-à-dire l’économie physique, et la nouvelle, l’économie numérique.

Comme le souligne Philippe Marini dans sa proposition de loi, cette fracture est d’abord fiscale. La TASCOM ne concerne ainsi que les entreprises qui disposent d’une surface physique de vente, mais non celles qui pratiquent le commerce en ligne. Par ailleurs, si l’on examine la situation du point de vue de l’équité fiscale, on observe que les grands groupes du secteur de l’internet sont taxés à moins de 0,4 % de leur chiffre d’affaires, contre près de 6 % pour l’économie traditionnelle. La distorsion de concurrence est donc ici patente.

La seconde fracture a lieu au sein même de l’économie numérique. Ces grandes sociétés profitent en effet, et les représentants de la commission de la culture y reviendront sans doute, des contenus créés par nos créateurs, ce qui peut être considéré comme une externalité extrêmement positive.

Or elles bénéficient, aussi, des investissements réalisés par les opérateurs de télécommunications qui, eux, sont surfiscalisés par rapport aux entreprises traditionnelles, puisqu’ils sont taxés dans notre pays à 25 % de leur chiffre d’affaires, alors même qu’ils ont la charge de déployer les réseaux de nouvelle génération, c’est-à-dire la fibre optique pour le téléphone fixe et la 4G pour le téléphone mobile.

Ces groupes profitent donc de ces réseaux, de ces contenus, et même du soutien des collectivités territoriales – Yves Rome y reviendra sans doute –, puisque celles-ci sont appelées, nous le savons tous, à financer le déploiement des réseaux là où le marché est en état de carence, là où la rentabilité est insuffisante pour nos opérateurs de réseaux.

Il fallait donc faire quelque chose. Or la difficulté en ce domaine – le rapport de MM. Collin et Colin l’explique parfaitement – tient aux caractéristiques propres de ces grands groupes de l’internet, qui rendent si malaisée l’appréhension de l’équité et de la neutralité fiscales.

Ces sociétés sont très agiles fiscalement, parce qu’elles sont jeunes et ont su se conformer au dernier cri de l’optimisation fiscale, et aussi parce qu’elles jouent avec de l’immatériel et de l’incorporel. Elles sont également faciles à délocaliser, car rien n’est plus fluide que les données, qui sont le cœur de leur activité. La fiscalité française reposant sur le principe de territorialité, l’extraterritorialité qui s’attache à ces groupes pose donc un problème fondamental, en matière tant de fiscalité que de régulation générale. La fiscalité n’est pas seule affectée !

J’ai commencé par rendre hommage à Philippe Marini car je pense qu’il est temps, aujourd’hui, de faire quelque chose. Pour cela, il nous faut tenir, avec volontarisme, trois fronts à la fois, à commencer par le front national. (Sourires.)

Le Gouvernement doit désormais résolument porter cette ambition, en France, mais aussi dans les assemblées européennes et au sein du G20.

Nous avons aujourd'hui devant nous deux propositions très différentes.

Celle de Philippe Marini, très concrète, opérationnelle et qui peut avoir des effets collatéraux, procède par analogie avec la fiscalité en vigueur : la TASCOM, la TASCOE, la taxation pour la fourniture de services de communication au public en ligne, qui concerne les vidéogrammes, et celle qui est applicable aux jeux en ligne. Il s’agit donc d’une proposition assez robuste et concrète, qui fonctionne par analogie.

Quant à la proposition de MM. Collin et Colin, elle constitue un sommet intellectuel, tel qu’en produisent de temps en temps des cerveaux issus du Conseil d’État et de l’Inspection des finances. (Sourires.)

Plus abstraite que la première, elle se situe à un tel degré d’altitude intellectuelle qu’elle procure, à la lecture, une sorte d’émotion, je dirais même un vrai plaisir.

M. Yvon Collin, rapporteur. Un vertige ! (Nouveaux sourires.)

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Pour parler plus sérieusement, je considère que les auteurs de ce rapport ont parfaitement décrypté le fonctionnement de l’économie numérique. C’est donc une excellente base de départ.

Certes, leur proposition sera complexe à mettre en œuvre, car ils visent deux objectifs quelque peu contradictoires.

Le premier objectif, partagé par Philippe Marini, est de rapatrier les assiettes fiscales. Le second est de créer des comportements vertueux et d’assigner à l’impôt un objectif de liberté publique. Concilier les deux se révélera complexe, d’autant que cette seconde proposition, si j’ai bien lu le rapport, aboutirait à une intensification de l’utilisation des données. Il y a là en quelque sorte un paradoxe, qu’il faudra résoudre.

Nous pouvons retenir de cette proposition, me semble-t-il, une nouvelle définition de la notion d’établissement stable virtuel, qui ne manquera pas d’être utile lors des discussions du G20.

Le rapport quelque peu intellectuel de MM. Collin et Colin, qui s’apparente parfois à une usine à gaz, fournit donc aussi un décryptage de l’économie numérique, ainsi que certains éléments concrets dont nous pourrions tirer profit.

Toutefois, les solutions que nous apporterons au niveau national seront parfaitement inopérantes, s’agissant notamment du problème de l’extraterritorialité, si nous ne menons pas, de façon conjointe, une action résolue auprès de la Commission européenne et du G20.

À l'échelle européenne, la directive sur les services électroniques devait s’appliquer en 2015, mais, pour partie grâce ou à cause de l’action du Luxembourg – je rappelle au passage que le chef de gouvernement de ce pays n’était pas le dernier à nous donner de bons conseils, d’ailleurs, de gestion de nos finances publiques ! –, elle s’est progressivement vidée de sa substance, une période transitoire ayant été négociée jusqu’en 2019 pour son entrée en vigueur !

Madame la ministre, il faut rapprocher ces deux échéances de 2015 et de 2019 et obtenir un glissement vers 2014 plutôt que 2015 pour une application, peut-être en sifflet, mais sur une durée plus réduite pour la collecte de la TVA. C’est important pour nos entreprises et pour l’équité fiscale chère à Philippe Marini !

S’agissant maintenant du G20 et de l’OCDE, on constate pour la première fois une convergence – Philippe Marini parlait tout à l’heure d’alignement des astres ou des planètes ! – qui est extraordinairement importante et qu’il nous faut saisir. Elle résulte d’une prise de conscience des grands pays occidentaux, notamment des États-Unis. En effet, on parle souvent, à propos de Google, du « sandwich irlandais » et d’une société aux Pays-Bas. Toutefois, il faut aller au bout du système ! Le transfert des bénéfices ne s’arrête pas aux États-Unis. Il se fait jusqu’aux Bermudes !

Ceux qui connaissent mieux la fiscalité que moi le savent, le système fiscal américain a un aspect extrêmement intéressant s’agissant d’optimisation fiscale. En effet, ce sont aujourd’hui près de 1 400 milliards de dollars qui sont bloqués dans des paradis fiscaux ! Aussi, les États-Unis veulent désormais mener une action extrêmement volontaire et ils seront nos alliés, tout comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne et beaucoup d’autres pays.

Heureuse conjonction, si j’ose dire, à l’ouest, heureuse conjonction aussi à l’est et au sud, puisque les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – seront aussi nos alliés. En effet, ces grands pays émergents, s’ils reçoivent des capitaux, voient les dividendes ou les bénéfices leur échapper pour ces mêmes raisons d’optimisation fiscale.

Selon moi, le rapport de l’OCDE est fondamental. L’idée qui consiste à oublier les actifs, en tout cas à changer notre perception pour avoir une autre vision et à requalifier l’activité, pas seulement en fonction des biens matériels, des actifs corporels et des données d’ailleurs, comme le suggèrent Pierre Collin et Nicolas Colin, est une piste sérieuse. Elle pourrait enfin voir le jour, peut-être même par le biais de conventions multilatérales – la France en a déjà signé plus de 150 ! –, ce qui nous permettrait d’être plus efficaces et beaucoup plus rapides.

Nous devons vraiment faire preuve d’imagination et avoir une vision d’autant plus anticipatrice qu’il n’est pas possible de calquer sur la nouvelle économie les règles de l’ancienne !

Je terminerai comme j’ai commencé, en soulignant la pertinence de la proposition de loi de M. Philippe Marini. Rendons à César ce qui est à César et à Philippe Marini ce qui lui appartient : saluons sa persévérance, son côté précurseur et sa ténacité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis.

M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les chiffres que vient de citer voilà un instant le rapporteur de la commission des finances, que je remercie ici de son exposé fort complet.

Pour les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, l’identité est différente, mais le constat demeure : la démesure des chiffres d’affaires et des bénéfices, le montant proportionnellement ridicule des impôts payés et, chaque fois, un manque à gagner pour les finances publiques des États et une distorsion de concurrence insoutenable pour les entreprises nationales.

Oui, les États sont aujourd’hui largement démunis face aux GAFA, ces géants de l’internet dont ils peinent à fiscaliser les activités, par définition dématérialisées et mondialisées.

Pourtant, nous ne devons pas renoncer à trouver la voie, les voies qui conduiront ces sociétés à participer à l’effort fiscal à la juste mesure des richesses créées sur un territoire.

La proposition de loi pour une fiscalité du numérique neutre et équitable, déposée par notre collègue Philippe Marini, constitue une réaction à ce constat d’impuissance et une tentative pour sortir de l’impasse, en proposant une taxation ad hoc de certaines transactions de l’économie numérique réalisées en France. Son initiative a été, à ce titre, saluée par l’ensemble de la commission de la culture.

À l’article 1er de la présente proposition de loi, il est prévu la création de deux taxes nouvelles sur la publicité en ligne et sur les services de commerce électronique, dont serait redevable toute entreprise tirant des revenus en France, au titre de l’une ou l’autre de ces activités. L’assiette de ces taxes serait calculée en fonction de la déclaration, volontaire ou par le biais d’un représentant fiscal, de ces revenus par l’entreprise.

Il est également proposé, à l’article 2, d’étendre aux entreprises établies hors du territoire national la taxe existante sur les ventes et locations de vidéogrammes à la demande, dont le produit, rappelons-le, bénéficie au Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC.

Par ailleurs, il est demandé au Gouvernement, à l’article 3 de la proposition de loi, de fournir un rapport au Parlement sur plusieurs pistes, plus ambitieuses, de réforme de la fiscalité numérique sur les plans tant national que communautaire et international.

La commission de la culture s’est saisie pour avis de l’ensemble de cette proposition de loi, en cohérence avec les travaux que nous avions menés sous la forme de plusieurs tables rondes tout au long de l’année 2012, en collaboration avec le groupe d’études « Médias et nouvelles technologies ».

Nous nous étions alors particulièrement intéressés aux enjeux de la fiscalité numérique sous l’angle de la rémunération des créateurs de contenus culturels diffusés en ligne et de la recherche de ressources dynamiques destinées au financement des industries culturelles.

La commission de la culture s’est donc attachée à analyser le dispositif figurant dans la proposition de loi à l’aune de ces préoccupations, laissant aux autres commissions saisies pour avis – affaires économiques et développement durable – le soin de se pencher sur les questions relatives à la taxation du e-commerce et au financement du haut débit et du très haut débit sur l’ensemble du territoire.

Les opérateurs de la culture, auxquels notre commission prête évidemment une attention particulière, ne peuvent en effet rester étrangers au débat sur la fiscalité numérique. L’essentiel de leurs ressources consiste en des taxes affectées, qui reposent d’ores et déjà sur les acteurs de l’industrie numérique. Toute modification de la réglementation fiscale applicable à ce secteur d’activité est donc de nature à avoir un impact sur les acteurs de la culture.

En outre, il ne vous aura pas échappé, mes chers collègues, que l’industrie numérique est une industrie de contenus, qui bénéficie de la valeur ajoutée et des revenus liés à l’édition et à la distribution des œuvres françaises, et plus largement européennes, qui ont un lourd besoin de financement.

M. Jean-Pierre Plancade. Il est bien de le rappeler !

M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis. Enfin, le changement des modes de consommation des contenus culturels entraîne une stabilisation, voire un ralentissement, des marchés classiques, donc une érosion de l’assiette de la taxation, qui met en péril le rendement des taxes affectées au financement de l’ensemble de la filière.

Or, pour intéressante que soit l’initiative prise par notre collègue Philippe Marini d’instaurer une taxation, même modeste, des revenus créés en France par l’économie numérique, elle n’en demeure pas moins inopérante quant à l’affectation d’une partie du produit de la fiscalité numérique au financement de la culture.

Ainsi, seul l’article 2 de la proposition de loi, qui étend la taxe sur la vente et la location de vidéogrammes à la demande aux sociétés étrangères réalisant ce type de transactions au bénéfice d’un consommateur établi en France, instaure un mécanisme qui bénéficie à un opérateur de la culture, en l’espèce le CNC.

A contrario, à l’article 1er, qui constitue le cœur de la proposition de loi en ce qu’il crée la taxe sur la publicité en ligne et celle sur le commerce électronique, il n’est pas prévu d’affecter, même en partie, ces nouvelles ressources aux industries culturelles. Elles iront au budget général de l’État pour la taxe sur la publicité en ligne et aux collectivités territoriales pour la TASCOE.

Pourtant, les besoins de financement des opérateurs de la culture sont considérables. Je citerai notamment le cas du Centre national du livre, le CNL, confronté aux difficultés des librairies indépendantes, ce qui, vous le savez, mes chers collègues, préoccupe particulièrement la commission de la culture. Toutefois, le CNL doit également répondre aux enjeux de la numérisation du patrimoine littéraire que constituent les « sous-droits », dans un contexte où les évolutions technologiques font peser une menace sur le rendement de la taxe sur la vente des appareils de reprographie, de reproduction et d’impression.

Je pense également aux défis qui attendent les acteurs français de la musique. Le succès de Deezer masque en effet la fragilité du secteur : en 2012, la FNAC a ainsi abandonné sa musique en ligne à iTunes et AlloMusic a fermé. Parallèlement, les ventes de supports physiques s’effondrent, ce qui met en grande difficulté tant les disquaires indépendants que les grandes enseignes.

Si le secteur de la musique ne dispose pas de son propre opérateur, depuis l’abandon du projet de création d’un Centre national de la musique, ou CNM, il n’en demeure pas moins qu’il a plus que jamais besoin de soutien financier. À cet égard, l’élargissement à la musique des missions du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz me semblerait pouvoir être envisagé, dès lors qu’une nouvelle ressource est affectée au centre, ce qui avait manqué au projet de création du CNM.

Quoi qu’il en soit, le CNL et le CNV pourraient utilement bénéficier de nouvelles ressources issues de la fiscalité numérique, notamment de la taxe sur la publicité en ligne créée par l’article 1er de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. On rappellera que son rendement est estimé par l’auteur de ce texte à 20 millions d’euros par an, ce qui, divisé entre les deux opérateurs, permettrait de répondre à de nombreux besoins.

Si la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est incomplète sur le sujet du fléchage indispensable d’une partie des ressources issues de l’instauration d’une fiscalité numérique vers l’industrie culturelle, elle a en réalité pour principal défaut d’anticiper par trop les bouleversements qui pourraient intervenir en 2013 dans ce domaine.

À l’échelon national, tout d’abord, la mission confiée par le Gouvernement à Nicolas Colin et à Pierre Collin a rendu ses conclusions le 18 janvier dernier. Les propositions présentées sont ambitieuses et quelque peu iconoclastes. Il s’agit en effet pour les auteurs d’instaurer une fiscalité incitative assise sur la collecte et l’exploitation par les acteurs de l’internet des données personnelles des internautes.

Autre signe, s’il en était besoin, que le sujet constitue désormais une priorité gouvernementale : le même jour, vous organisiez, madame la ministre, une table ronde sur la fiscalité du numérique et la neutralité d’internet avec l’ensemble des acteurs concernés.

Enfin, la mission Lescure, qui concerne plus spécifiquement la politique culturelle à l’ère du numérique et les moyens qui y sont accordés, devrait, pour sa part, rendre ses conclusions au mois de mars prochain.

Le constat est identique aux échelons communautaire et international, tant il est vrai que la fiscalité numérique et son équité concernent l’ensemble des grands pays consommateurs de services en ligne, qui, tous, sont confrontés à la question du recouvrement de l’impôt et aux distorsions de concurrence.

La commission de la culture a donc également souhaité étayer son analyse en replaçant les propositions de notre collègue Philippe Marini dans un contexte de bouleversement à venir, aux plans national, européen et international.

De fait, si le législateur français a certainement vocation à porter un message fort sur l’instauration nécessaire d’une fiscalité numérique, il ne peut, à lui seul, en déterminer le contenu. Ainsi, en marge du G20 des 5 et 6 novembre 2012, les ministres des finances de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la France ont publié une déclaration commune appelant à une action coordonnée en vue de renforcer les normes fiscales internationales et ont conjointement demandé à l’OCDE de mener à bien une réflexion sur les mesures permettant de remédier à l’érosion des bases imposables, due au transfert des bénéfices vers des pays à basse fiscalité.

Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, des propositions gouvernementales devraient donc prochainement voir le jour, afin de faire participer les grands acteurs du numérique à l’effort fiscal à due proportion des revenus importants qu’ils tirent de leurs activités sur le territoire national.

S’il paraît aujourd’hui prématuré d’envisager le contenu précis de telles dispositions, peut-être pourriez-vous, madame la ministre, nous en dévoiler ce matin les grandes lignes ? En tout état de cause, la commission de la culture veillera à ce que les mesures qui seront proposées prennent en compte les enjeux liés au financement des industries culturelles.

Dans l’attente des réformes nationales, communautaires et internationales qui seront adoptées, du moins nous l’espérons, dans les prochains mois en matière de fiscalité numérique, il nous semble qu’il est urgent d’attendre, avant de modifier unilatéralement et, du reste, de manière fort modeste au regard des enjeux, notre réglementation fiscale dans ce domaine.

C’est pourquoi, après avoir examiné, le 24 janvier dernier, la proposition de loi déposée par M. Marini, la commission de la culture a émis un avis favorable sur la motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Yves Rome, rapporteur pour avis.

M. Yves Rome, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons, à titre liminaire, nous féliciter aujourd’hui de ce que le projet de réserver aux lois financières le monopole de la fiscalité, qui avait été tant défendu dans cette enceinte, n’a pas vu le jour. En effet, nous n’aurions pas l’occasion de débattre d’une proposition de loi qui, pour être perfectible, aborde un problème préoccupant appelant des solutions durables.

Sans doute aurions-nous pu caser au cours de la discussion des articles d’une loi de finances quelques échanges sur la fiscalité numérique, comme nous le fîmes dans un passé assez récent, mais nous aurions été contraints par le calendrier particulièrement serré de la discussion budgétaire et le vote de notre assemblée n’aurait pu bénéficier de l’éclairage apporté par le processus parlementaire aujourd’hui en œuvre.

L’abandon, voire l’échec, des tentatives précédentes de mise en ordre de notre fiscalité numérique n’a-t-il pas été dû, en partie, à la précipitation à laquelle nous oblige souvent la procédure budgétaire ?

Ainsi, de nouveau, félicitons-nous de pouvoir débattre de la proposition de loi de notre collègue au cours d’un processus parlementaire préservant notre pouvoir d’initiative, notre rôle et, finalement, notre raison d’être, puisqu’il nous offre le cadre d’un examen approfondi de notre législation fiscale.

La commission des finances nous fait la très sage proposition de prolonger le temps parlementaire. Mes chers collègues, votre commission du développement durable a décidé à l’unanimité d’émettre un avis favorable sur cette proposition.

Pour autant, ce n’est pas le souci de lenteur qui motive le ralliement de notre commission à la motion tendant au renvoi à la commission. Bien au contraire, l’affaire qui nous réunit est importante, et il est même plus qu’urgent que notre fiscalité soit adaptée non seulement à la nouvelle économie, mais aussi à des défis qu’elle incarne, certes, tout particulièrement, mais qui s’étendent à bien d’autres secteurs de notre économie. Je veux parler de l’évasion fiscale internationale.

La proposition de loi s’inscrit sans conteste dans un tel objectif. Elle témoigne que la concurrence fiscale internationale ne saurait être correctement régulée par le marché et qu’il est justifié de protéger la souveraineté fiscale des États contre la mise à l’encan à laquelle celle-ci est livrée du fait des défaillances des lois fiscales et de l’optimisation fiscale abusive pratiquée par de si nombreux grands acteurs de l’économie globalisée.

Toutefois, il faut bien tenir compte de l’excellent exposé des motifs de la motion présentée par notre collègue Yvon Collin, lequel fait valoir, à très juste titre, la nécessité de s’inscrire dans une perspective plus large, qui est celle du calendrier fourni et précis du Gouvernement sur les sujets qui nous occupent.

Par ailleurs, je voudrais évoquer quelques considérations qui, aux yeux de la commission du développement durable, apportent des justifications supplémentaires pour que la méritoire proposition de loi aujourd’hui en débat fasse l’objet d’un complément d’instruction par le Sénat.

L’adoption de la motion ne doit en rien diminuer la vigilance du Sénat et votre commission, à qui la multiplication des avis sur la proposition de loi n’a pas échappé, non plus que la diversité des rapports consacrés en tout ou partie à la fiscalité numérique, souhaite au contraire qu’elle débouche sur la perpétuation d’un investissement de la Haute Assemblée au regard des enjeux immenses soulevés par la neutralité fiscale du numérique. L’économie numérique occupe en effet une part croissante de la création de richesses, suivant très certainement une trajectoire que l’on peut qualifier d’exponentielle.

Le Gouvernement aurait d’ailleurs, je le crois, grand profit à une telle mobilisation au service d’une fiscalité plus juste. Car, ne nous le dissimulons pas, c’est de la plus grande détermination que nous devrons faire preuve pour parvenir à des solutions satisfaisantes.

Autant le dire tout de suite, les objectifs de la proposition de loi, dont l’intitulé, Pour une fiscalité numérique neutre et équitable, promet plus que ne tient le corps de la proposition, situent bien les enjeux.

La commission du développement durable partage la préoccupation que ce texte traduit ; elle est malgré tout préoccupée par certaines dispositions proposées et souhaite resituer les questions abordées dans le contexte particulier du financement de l’ambition du très haut débit pour tous, qui, conformément à l’engagement n° 4 du Président de la République, est l’horizon de notre politique d’équipement numérique des territoires : la fibre optique pour tous et partout, dans les dix ans !

Alors que, dans les versions initiales des dispositifs visant à assurer la neutralité fiscale du Net, celle-ci n’était atteinte que dans le cadre franco-français, il s’agit désormais d’une neutralité à deux dimensions : entre les secteurs traditionnels et l’économie numérique, d’une part, entre les acteurs résidant en France et ceux qui sont localisés en dehors de notre aire de souveraineté fiscale, d’autre part.

L’adjonction de cette seconde dimension est particulièrement opportune. Plus encore, elle est nécessaire tant les caractéristiques mêmes de l’économie numérique l’imposent.

Nous devons en effet nous garder de deux processus conjoints : le renforcement de la part dans notre PIB d’une économie numérique qui, exposée à un taux d’imposition effectif sensiblement inférieur à celui de l’économie traditionnelle, réduit en quelque sorte les dividendes fiscaux de la croissance ; l’évaporation fiscale résultant de la combinaison d’arrangements institutionnels défaillants et des pratiques d’optimisation fiscale de grands acteurs du secteur, pratiques éminemment abusives puisque, par exemple, elles conduisent une part de plus en plus considérable des dépenses de consommation de nos compatriotes à atterrir dans des paradis fiscaux, sous la forme de royalties, dont le trésor des États-Unis, de son côté, bénéficie un peu, mais qui alimentent surtout les comptes offshore des paradis fiscaux.

Cet « âge de l’offshore » est malheureusement nourri par des territoires appartenant à l’Union européenne, qui servent de conduits à une évasion fiscale internationale à laquelle la Haute Assemblée a consacré de longs travaux au premier semestre de l’année 2012.

Les enjeux d’une remise en ordre de l’économie numérique sont ainsi particulièrement essentiels. Il y va de la justice fiscale et, donc, de l’acceptabilité même de l’impôt ; il y va de l’équité fiscale et de l’égalité des conditions de concurrence.

M. Philippe Marini. Tout à fait !

M. Yves Rome, rapporteur pour avis. Il y va du rendement fiscal et, donc, de notre capacité à remettre nos finances publiques sur une trajectoire soutenable et à maintenir notre modèle social et la possibilité de financer les biens publics indispensables à une croissance potentielle et équilibrée.

Par rapport à ces formidables enjeux, l’objet limité de la proposition de loi peut inspirer deux attitudes opposées.

Il va de soi, et l’auteur de la proposition en convient, que l’aménagement des trois taxes indirectes qu’il nous propose ne répond pas aux attentes d’un aggiornamento de la fiscalité du numérique. Sans doute peut-on être sensible à l’intention de combler les lacunes de la proposition de loi par la prescription faite au Gouvernement de rendre un rapport couvrant plus complètement les enjeux et embrassant notamment l’imposition des bénéfices et le régime de TVA appliqué à l’économie numérique.

C’est d’ailleurs un vœu qui se trouve en partie satisfait par la remise très récente du rapport de MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, qui justifie pour partie l’ajournement de notre œuvre législative.

Mais enfin, on pourrait tout aussi bien décider de prendre ce qui ne serait plus à prendre et, ainsi, adopter les dispositifs de la proposition de loi ! La commission du développement durable a été d’avis de ne pas céder à cette tentation. Elle a considéré que l’exploration d’une démarche globale, dans laquelle le Gouvernement s’est justement engagé, devait prévaloir pour réussir la réforme fiscale qu’appelle le développement du numérique.

Il y a d’ailleurs des inconvénients non négligeables à procéder sur le mode de la proposition de loi.

La distorsion de notre système de prélèvements obligatoires, qui est le résultat du relais pris par les impositions indirectes devant les transferts des bases d’imposition directe destinés à les soustraire à l’impôt, n’est pas neutre pour nos équilibres économiques et sociaux.

Toutefois, et surtout, il existe des doutes sérieux quant à la solidité de la construction fiscale proposée par notre collègue. Certes, nous devons déplorer l’intégrisme manifesté par les juridictions européennes dès que sont en cause les libertés fondamentales inscrites dans les traités européens, mais nous ne pouvons pas le négliger. Et nous ne savons pas au juste si l’astucieuse alternative entre le régime de la représentation fiscale et celui de la déclaration, qui est censée permettre d’ancrer fiscalement les bases d’imposition couvertes par la proposition de loi, trouverait grâce aux yeux du droit européen.

Nous avons trop l’habitude de censures qui finissent par coûter cher à nos finances publiques. Qu’il s’agisse de certaines formes de retenue à la source ou de certaines taxes supposées assurer l’équilibre de notre paysage audiovisuel, nous sommes payés d’expérience !

Je ferai une remarque incidente à ce propos pour vous demander, madame la ministre, de faire part haut et fort de notre réprobation face à des attitudes ignorant l’état réel de la concurrence fiscale abusive qui fait rage dans l’Union européenne et qui tarit les financements si nécessaires à l’atteinte de l’objectif, aussi inlassablement martelé que désespérément reporté, de faire de l’Europe l’économie la plus compétitive du monde.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Yves Rome, rapporteur pour avis. Entre la dilapidation des ressources au service de quelques professionnels de l’évasion fiscale et l’investissement dans l’avenir de l’Europe, il faut choisir ! J’y reviendrai dans un instant.

À supposer même que nous passions l’écueil juridique que je viens de mentionner, force est d’anticiper les difficultés d’application pratique des dispositifs envisagés.

On se doute bien que leur portée dépend de la bonne volonté des contribuables impliqués ou des États où ils sont localisés. Or nous pouvons nourrir des doutes raisonnables sur ce point, et le simple renvoi aux conditions de gestion du recouvrement de la TVA, non plus que la seule confiance mise dans des conventions fiscales dont il n’est pas sûr qu’elles s’appliqueraient aux cas d’espèce ne suffisent à nous rassurer.

Le risque est alors grand que le volet international de la neutralité fiscale à laquelle prétend la proposition de loi ne soit qu’une fausse fenêtre. Sans doute en subsisterait la dimension purement interne, mais il faudrait alors reprendre la discussion sur de tout autres bases et resurgirait le spectre de la concurrence fiscale.

En bref, l’objectif serait manqué, et plutôt que de résoudre le problème envisagé, on l’accentuerait peut-être.

Convenons qu’il s’agit d’une perspective qui invite à approfondir la réflexion. Explorons à fond les solutions de rechange, parmi lesquelles celles que proposent dans leur rapport MM. Pierre Collin et Nicolas Colin ; mobilisons notre diplomatie fiscale internationale pour que le processus mis en route à Los Cabos aboutisse ; plaçons au sommet de l’agenda européen la lutte contre l’évasion fiscale internationale et le combat en faveur d’une fiscalité juste et durable. Et que notre Haute Assemblée tienne toute la place qu’elle occupe depuis déjà longtemps dans la réalisation de cette tâche !

Voilà les vœux qu’on peut aujourd’hui former. Néanmoins, la commission du développement durable souhaite en ajouter un dernier, et pas le moindre, qu’elle regrette de ne pas voir traduit comme il faudrait par la proposition de loi.

La fiscalité numérique doit être un élément de résolution de l’équation à laquelle nous confronte l’urgence de mettre à niveau l’équipement numérique du territoire. L’ambition du très haut débit pour tous, portée par le Président de la République et que vous-même, madame la ministre, mais nous aussi, représentants des collectivités territoriales, avons la responsabilité historique de mettre en œuvre, exige une mise à niveau de ses moyens financiers. Une amélioration du fonctionnement de l’économie numérique doit créer les conditions d’une contribution juste de chaque partie prenante au financement des infrastructures du XXe siècle.

Aujourd’hui, les passagers clandestins des réseaux s’arrogent indûment une partie de la valeur économique du secteur. Cette rente d’accès, qui justifie un prélèvement destiné à la corriger et son affectation au financement des biens qui en permettent le constant développement, doit être appréhendée, alors même qu’elle est aujourd’hui distraite vers des territoires où elle est échappe à cette juste contribution.

Nous savons tous ici que les modalités retenues pour le déploiement des réseaux de troisième génération, parce qu’elles négligent la péréquation de premier niveau qu’aurait sans doute permis un paradigme de substitution, engageront les ressources publiques, celles de l’État, mais aussi celles de collectivités territoriales.

C’est dans ce contexte que l’internalisation de la rente de ceux qu’on nomme les GAFA est un impératif. Le contribuable national, et moins encore celui de notre France rurale, n’a à financer les dividendes ou les plus-values de l’habitant de Los Angeles ou ceux qui sont déversés sur un compte tenu dans quelque territoire timbre-poste. Cette valeur doit participer au financement des réseaux qu’elle conduit à développer et grâce auxquels elle se crée.

Cette affectation est logique, elle est donc indispensable. Imaginerait-on un seul instant que le contrôleur de la SNCF verse autrement qu’aux entreprises du rail le produit des billets contrôlés ?

C’est également parce que la proposition de loi néglige cette logique, qui doit être pleinement prise en compte dans nos projets de réforme de la fiscalité numérique, mais qui sans doute, j’y insiste, ne suffira pas à doter le financement de l’aménagement numérique du territoire des ressources pérennes et dynamiques, que la commission du développement durable vous invite, mes chers collègues, à adopter la motion de renvoi à la commission.

À titre personnel, je veux à mon tour saluer l’inspiration de ce texte, puisque, monsieur Retailleau, j’ai cru comprendre que le Vendée Globe avait soufflé en direction de la proposition de loi de Philippe Marini… (Sourires.) Je ne peux que m’en réjouir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui afin d’examiner la proposition de loi de M. Marini, dont le but est de bâtir une fiscalité du numérique à la fois neutre et équitable.

Permettez-moi, à cette tribune, de saluer d’emblée la qualité des échanges auxquels nous avons procédé la semaine dernière au sein de la commission des finances. Nous avons eu, de mon point de vue, un débat de grande qualité, parfois technique, au terme duquel il me semble que nous avons abouti à une forme de consensus.

Une fiscalité « neutre et équitable »… C’est bien cela qui fait aujourd’hui défaut lorsque l’on regarde le paysage fiscal des entreprises de l’économie numérique. Je l’ai dit en commission des finances voilà quelques jours et je le répète aujourd’hui, le Gouvernement partage pleinement les préoccupations de M. Marini.

Monsieur le sénateur, vous avez porté ce sujet délicat en précurseur au sein de votre commission. Vous avez eu raison, car il fait aujourd’hui débat dans tous les pays d’Europe ou presque et il est inscrit à l’agenda de plusieurs grands rendez-vous internationaux à venir.

Je veux saluer ici votre travail de longue haleine et vos propositions visant à établir des taxes sur les géants de l’internet proposant des ventes et prestations en France, afin de mettre fin à la situation particulièrement choquante de franchise fiscale dont bénéficient, de fait, ces entreprises au regard des grands impôts tels que l’impôt sur les sociétés et la TVA.

Étant moi-même consciente que le changement radical de notre économie rend absolument nécessaire une adaptation urgente de notre fiscalité, j’ai demandé, avec Pierre Moscovici, Arnaud Montebourg et Jérôme Cahuzac, à Pierre Collin et à Nicolas Colin, dès le mois de juillet 2012, de formuler des propositions d’évolution de notre droit pour taxer les géants de l’internet qui échappent aujourd’hui à l’impôt.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a urgence à trouver les moyens d’assujettir les grandes multinationales du numérique aux impôts acquittés par toute entreprise qui commerce en France.

En tant que ministre chargée de l’économie numérique, je suis en effet quotidiennement alertée sur les problèmes de distorsions de concurrence liées au fait que les grands opérateurs du Net, américains notamment, mais pas seulement, échappent à la fiscalité de droit commun des entreprises européennes grâce à des montages juridiques leur permettant d’optimiser leurs impôts.

Au-delà des recettes de l’État, la fiscalité est devenue un facteur structurant pour la protection de notre tissu économique et la compétitivité des acteurs européens du numérique.

Or, trop souvent, les débats qui ont eu lieu autour de l’économie numérique se sont polarisés sur les seules problématiques culturelles. Celles-ci sont bien entendu importantes et sensibles et, effectivement, internet se nourrit de contenus culturels ou de productions de l’esprit, dont la diffusion a été facilitée et démultipliée grâce à la dématérialisation. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le glissement de valeur provoqué par la numérisation touche tous les secteurs de la vie économique. Si l’on n’y prend pas garde, ce sont les fondements de l’assise territoriale de l’impôt qui peuvent être remis en cause.

Le constat dressé dans le rapport sur la fiscalité du numérique, qui a été remis au Gouvernement le 18 janvier 2013, ne doit pas être pris à la légère.

Aujourd’hui, ni les règles de droit interne ni le cadre communautaire ne permettent de répondre aux problèmes nouveaux que pose l’économie numérique.

Toutes les règles qui existaient jusqu’à présent en matière de domiciliation fiscale des entreprises n’ont plus d’accroche sur ces sociétés, et les schémas d’optimisation et d’évasion fiscales leur sont particulièrement accessibles. Il existe un décalage entre le lieu où se crée la valeur et celui où elle est monétisée.

Un véritable plan de sauvetage de l’impôt sur les sociétés s’impose donc avant tout si l’on veut rendre une assise territoriale à l’impôt, mettre fin aux ruptures d’équité et en finir avec le « siphonage » unilatéral de la valeur, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui par les géants du net.

C’est pourquoi, après avoir passé en revue les principales propositions de ce texte, je vous exposerai le plan d’action gouvernemental.

La première proposition est la création d’une obligation de déclarer et de payer les taxes, soit par l’intermédiaire d’un représentant fiscal, soit selon le régime spécial de déclaration des services par voie électronique.

Cette proposition est intéressante pour asseoir les prélèvements sur notre territoire. Cela étant, pour justifier l’obligation de désigner un représentant fiscal, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne rend nécessaire de démontrer des considérations ayant trait plutôt à l’ordre public, comme pour les jeux en ligne, par exemple.

Sur ce point, le rapport Collin et Colin nous donne une piste à travers les données personnelles. Car, après avoir démontré que la collecte des données se trouve au cœur même de la création de valeur des entreprises du numérique, il propose de l’utiliser comme critère de territorialité pour l’établissement stable.

Par ailleurs, nous nous engageons, avec le ministère du redressement productif, dans une stratégie de protection des données personnelles. Cette protection pourrait, à terme, justifier d’imposer une représentation en France pour les entreprises qui collectent des données.

À ce stade, il paraît cependant difficile de mettre en place cette obligation déclarative sans démontrer en premier lieu un motif qui dépasse la simple considération administrative.

Ensuite, la proposition de loi vise à créer deux taxes.

La première est la taxe sur les publicités en ligne, sur le modèle de celle qui avait été créée en 2011, mais portant sur les régies publicitaires et non plus sur les annonceurs.

Je vous le répète, le Gouvernement n’est pas favorable à la création de cette nouvelle taxe, qui, inévitablement, sera répercutée sur les annonceurs et souffrira donc des mêmes maux que la première taxe, dite « taxe Google ». Le risque serait notamment de frapper les PME qui accèdent au marché publicitaire grâce à des coûts d’entrée extrêmement bas.

Il existe d’ores et déjà de nombreuses taxes sur la publicité. En instaurant une nouvelle taxe, nous risquons de manquer la cible des géants de l’internet tout en ajoutant une couche de fiscalité sur des acteurs français déjà fragiles. C’est pourquoi ce projet de taxation de la publicité ne paraît pas constituer une voie exploitable en l’état.

La deuxième taxe proposée est la taxe sur les services de commerce électronique.

Cette taxe aurait là encore pour effet paradoxal de mettre à contribution des acteurs français sans que l’État ait réellement les moyens de taxer les entreprises sises à l’étranger.

Certes, la possibilité de déduire cette taxe de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, vise à ne pas ajouter un nouveau prélèvement obligatoire sur des acteurs qui sont déjà soumis à la fiscalité de droit commun. Néanmoins, cette distinction entre les contribuables établirait, entre les résidents et les non-résidents, une différence de traitement qui paraît peu compatible avec le droit communautaire.

De surcroît, elle soumettrait les acteurs de la vente à distance à une nouvelle fiscalité, au moment où leur transition technologique est absolument nécessaire, sinon indispensable.

Les acteurs de ce secteur d’activité, comme plus largement d’ailleurs la plupart des représentants du commerce physique, ont fait part de leur forte inquiétude sur ce projet de taxe ; ces préoccupations me semblent parfaitement légitimes.

Le Gouvernement est défavorable en l’état à cette taxe, qui ne paraît pas propice au développement de notre économie numérique.

Enfin, la proposition de loi vise à instaurer une extension de la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes. Celle-ci étend aux opérateurs établis à l’étranger le champ de la taxe existante, qui est affectée au Conseil national du numérique.

Étendre cette taxe qui ne frappe aujourd’hui que les opérateurs établis en France est pertinent dès lors que les services rendus sont identiques. Cependant, là encore, il paraît difficile de la mettre en œuvre aujourd’hui, car l’administration ne disposerait d’aucun élément de recoupement pour s’assurer de la bonne estimation.

En revanche, à compter de 2015, seront établies de nouvelles règles de territorialité de la TVA, ainsi que le guichet unique. Les services seront alors en mesure d’avoir une estimation des recettes générées par les opérateurs sur les services en ligne.

L’extension de la taxe sur les vidéogrammes semble donc une bonne idée, mais, en l’état, et à échéance de 2013, elle paraît prématurée.

En définitive, le Gouvernement proposera de voter le renvoi à la commission de la présente proposition de loi, dont les propositions ne sont pas mûres à ce stade.

Le Gouvernement a cependant annoncé un plan d’action à la suite de la remise du rapport sur la fiscalité de l’économie numérique par MM. Collin et Colin. Je veux, à l’occasion de la discussion du présent texte, vous en donner les grandes lignes.

Ce plan d’action comporte en premier lieu un volet international.

Il s’agit d’une part, au sein de l’Union européenne, de faire adopter des règles communes afin que les États membres se dotent tous de réglementations permettant de mettre fin à l’évasion des produits et profits vers les paradis fiscaux. C’est la lutte contre les « États tunnels ».

Nous travaillons avec les services de la Commission européenne sur ce point. Benoît Hamon a indiqué, lors de l’Ecofin du 22 janvier 2013, que la France présenterait des propositions opérationnelles sur l’imposition des profits de l’économie numérique. Ces propos ont été salués par le commissaire Šemeta, qui nous invite à coordonner les solutions à l’échelon de l’Union européenne.

À ceux qui m’opposent que ce chemin est trop long, je rappellerai que, il y a trois ans, la Commission a tendu la main à la France pour l’élaboration d’un plan d’action à l’échelon européen sur ces problématiques d’impôt sur les sociétés. Le précédent gouvernement ne s’est toutefois pas saisi de cette proposition de la Commission, manquant ainsi, et je le regrette, une véritable occasion de lancer ce débat ; d’où le statu quo de ces dernières années.

Aujourd’hui, nous voyons que nos partenaires européens sont tous mobilisés pour faire évoluer les choses ; le Royaume-Uni lui-même en fait un axe prioritaire de son action à la présidence du G8.

Il est donc temps de définir une démarche commune au sein de l’Europe, mais également dans l’OCDE, pour établir une nouvelle définition de l’établissement stable. Les États-Unis eux-mêmes sont engagés dans la démarche BEPS, c’est-à-dire « érosion des bases et déplacement des profits », de l’OCDE pour mettre fin aux stratégies d’évasion fiscale dont ils souffrent également. Nous soutiendrons cette démarche activement. L’OCDE présentera son programme d’action dans le cadre du G20 qui se tiendra les 14 et 15 février prochain.

En matière de TVA, la France exigera de ses partenaires au moins un strict respect du calendrier concernant la mise en place du « mini-guichet » européen, qui doit permettre, dès 2015, de taxer la consommation de services en ligne dans l’État du consommateur.

Nous examinerons de quelle manière nous pourrons éventuellement peser sur une amélioration de ces perspectives et une accélération du calendrier, cette dernière se heurtant néanmoins à des objections de nature technique qui me paraissent valables. Nous nous engageons à envisager ce que nous pouvons faire dans ce domaine.

Ces deux axes sont absolument prioritaires. Tout projet de taxe sectorielle pour financer tel ou tel segment de l’économie ne nous paraît pas un bon moyen d’asseoir la crédibilité de la France auprès de ses partenaires européens.

Au-delà de l’intense campagne de conviction et d’influence que le Gouvernement entend mener sur la scène européenne et internationale, notre intention est d’expertiser toutes les voies de taxation qui sont aujourd’hui évoquées, et pas seulement dans cette proposition de loi. Je veux parler, notamment, de la taxe sur les données personnelles que le rapport Collin et Colin nous invite à créer, de la taxe au clic, de la rémunération de l’usage de bandes passantes.

Le Conseil national du numérique sera l’organe de concertation sur ces sujets. Je l’ai déjà, cette semaine, saisi des propositions du rapport Collin et Colin et des perspectives que j’ai évoquées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il me semblait important de vous restituer, à l’occasion de la discussion de la présente proposition de loi, l’ambition gouvernementale sur un sujet qui renvoie à la place de la France dans la compétition économique mondiale.

En l’état, le Gouvernement vous invitera à voter la motion de renvoi à la commission de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Philippe Marini applaudit également.)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à saluer la belle initiative et l’opiniâtreté de notre collègue Philippe Marini. Celui-ci a le mérite d’avoir permis l’inscription à l’ordre du jour du Sénat d’une question particulièrement sensible en ce début d’année.

Je remercie M. le rapporteur et MM. les rapporteurs pour avis de l’éclairage qu’ils viennent de nous donner. Je remercie également Mme la ministre des précisions qu’elle a apportées et les engagements qu’elle a pris devant le Sénat.

L’annonce récente de la fermeture du Virgin Megastore des Champs-Élysées, avec le plan social qui l’accompagne, est le signal brutal d’un bouleversement qui n’avance plus masqué et qui n’est pas assimilable à la seule crise économique que nous traversons.

Le numérique est, avec la finance, l’une des expressions les plus achevées et les plus abouties de la globalisation. En moins de vingt ans, ce sont toutes nos habitudes de consommation, d’accès aux biens culturels notamment, qui ont été bouleversées par la dématérialisation et la généralisation de la vente à distance.

Je ne cesserai de le dire, mes chers collègues, la mondialisation remet en cause des pans entiers de nos législations. En l’occurrence, le numérique est un défi majeur lancé à tous les États. Quelle que soit la rive de l’Atlantique ou du Pacifique concernée, l’activité de grandes firmes internationales, comme Google ou Amazon, interroge, et c’est peu dire, les Trésors publics des États et remet en cause la forme même de la territorialité de l’impôt.

À ce point du débat, un constat simple et élémentaire s’impose. Dans une économie globalisée, il est absurde de taxer la production. L’absurdité confine parfois même au suicidaire. Taxer sans relâche la production, c’est inciter purement et simplement aux délocalisations, à l’asphyxie de l’activité économique et, plus précisément, à la désindustrialisation.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Absolument !

M. Jean Arthuis. La France en fait amèrement l’expérience. Notre ratio « valeur ajoutée industrielle dans la valeur ajoutée totale » est tombé à 12,55 %, nous plaçant juste devant Chypre et le Luxembourg parmi les dix-sept pays de la zone euro, contre plus de 26 % en Allemagne. Cessons donc, mes chers collègues, de taxer la production et taxons enfin ce qui est réellement imposable dans le cadre de nos frontières : les produits !

Je suis très réservé sur l’instauration de nouvelles taxes, car elles créeront de la complexité et ouvrir des voies à l’optimisation et à la fraude. À mes yeux, un seul impôt est adapté à cette fin : la TVA. Elle seule peut assurer aux États la conservation de leurs ressources et aux marchés la garantie de leur bon fonctionnement au regard des règles de concurrence et des exigences de compétitivité. Or, je ne peux que regretter que cette question de la TVA soit à ce point emblématique des incohérences européennes en matière de fiscalité du numérique, qu’elle soit à ce point révélatrice de nos contradictions et de nos frilosités sur le plan national !

En l’état actuel de la législation européenne, il est patent que les ventes à distances posent problème. Tout opérateur dont les ventes annuelles dans un pays autre que le sien n’excèdent pas 100 000 euros peut facturer la TVA au taux de son pays et en verser le montant au Trésor de son pays. Il est commode de le rappeler lorsque nous sommes interpelés dans l’une ou l’autre de nos assemblées. Néanmoins, mes chers collègues, le respect de ce plafond est invérifiable !

Cette tartuferie profite amplement au Luxembourg. Au surplus, le Grand-Duché a obtenu une dérogation pour les transactions immatérielles : musique, téléphonie, plateforme de vente aux enchères. Il va ainsi pouvoir exercer un véritable dumping fiscal jusqu’en 2019, au détriment de ses partenaires européens.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Ce n’est pas normal !

M. Jean Arthuis. Au Luxembourg, je le rappelle, le taux normal de TVA est de 15 %. Je ne reviens pas sur les subtilités de l’assiette de la TVA sur le livre numérique telle qu’elle est pratiquée par ce pays.

Le régime actuellement applicable confère au Luxembourg des dérogations totalement injustifiées. Dans le même registre, l’Irlande pratique un taux d’imposition des bénéfices des sociétés étonnamment faible, 12,5 %, contre une moyenne européenne supérieure à 30 %. L’Irlande, en difficulté budgétaire du fait de ce dumping, de cette pratique déloyale, n’hésitera pas à faire appel à l’Union européenne pour assurer l’équilibre de son budget !

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Quel paradoxe !

M. Jean Arthuis. Dans une telle guerre fiscale de chacun contre tous, il nous tarde de voir la directive de 2008 définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, ou directive TVA, entrer en vigueur de manière à assoir la perception de la TVA selon le barème du pays du consommateur, l’impôt étant perçu par l’État de résidence du consommateur et non plus celui du seul opérateur, au profit de l’État de domiciliation de l’opérateur.

Évidemment, une fraction du produit de la TVA devra être allouée aux collectivités territoriales. Le commerce en ligne est un défi à la territorialisation de l’impôt. Nous devons donc concevoir un mécanisme équitable de répartition entre les États, les administrations locales et sans doute aussi des institutions culturelles.

Aussi, mes chers collègues, je veux profiter de ce débat pour dénoncer l’incohérence et l’inconséquence de la Commission européenne et du Conseil européen sur ces questions. Il est inadmissible de menacer la solidarité des États membres en les assujettissant ainsi à des règles qui mettent en péril les budgets nationaux, au seul profit des optimisateurs en tout genre, sans doute aussi des fraudeurs.

Cette complaisance insupportable est patente sur la TVA comme pour l’impôt sur les sociétés. Tartufferie encore ! Google est l’exemple absolu des pires comportements de passager clandestin de la fiscalité internationale.

M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Jean Arthuis. Cette société, filiale irlandaise du groupe américain, profite de son établissement domicilié aux Bermudes, référencé comme un paradis fiscal, pour effacer près de 4,5 milliards de dollars de son bénéfice déclaré en Europe, plus exactement en Irlande, bénéfice résiduel qui sera ensuite imposé à 12,5 %. En outre, pour éviter des taxes sur le transfert de siège, elle imagine le passage par les Pays-Bas, qui contribuent complaisamment à ce fameux mécanisme du « double sandwich ».

C’est sans doute en raison de cette capacité à l’indulgence fiscale que les gouvernements de l’Eurogroupe ont désigné le ministre des finances néerlandais à la présidence de celui-ci… Certes, son prédécesseur était le ministre des finances du Luxembourg ! (Sourires.) On voit ainsi à quel point nos gouvernements sont attentifs à la prévention des conflits d’intérêts…

Madame la ministre, je fais grief au Gouvernement de cette indulgence à l’égard d’un ministre qui pratique si spontanément, si promptement la complaisance fiscale et qui devient le complice de Google pour transférer 4,5 milliards d’euros aux Bermudes.

Ce « double sandwich » nous semble bien indigeste quand on sait qu’une grande part de la renommée et du succès de Google est due à sa position dominante, voire quasi-monopolistique sur le marché des moteurs de recherche en Europe.

Madame la ministre, mes chers collègues, osons le dire, l’absence de régulation européenne nous condamne à la gesticulation. Ce défi doit donc être assumé avec force et détermination par l’Union européenne. Peut-être parviendrons-nous à convaincre certains États membres de cesser de faire cavalier seul, notamment l’Autriche, qui s’apprête à signer avec les États-Unis une convention d’échange d’informations bancaires qu’elle refuse à ses partenaires européens.

L’économie du numérique n’en est qu’à ses balbutiements, et son marché est déjà vicié de monopoles en tout genre, de fraudes insupportables et de distorsions de concurrence tellement impitoyables que nos entreprises et nos PME du numérique sont évincées alors même que les entreprises plus classiques du secteur culturel souffrent : éditeurs, libraires, disquaires au premier chef.

Le mouvement que je viens d’esquisser ne constitue que les prémices d’une lame de fond, qui mettra à rude épreuve nos systèmes fiscaux. L’économie dématérialisée remet purement et simplement en cause le principe de la territorialité de l’impôt, et nous ne pouvons pas nous contenter de jeter un voile pudique sur cet enjeu majeur des décennies à venir.

De nombreux travaux sont en cours et bien d’autres questions restent en suspens. L’OCDE a créé en son sein un groupe de travail depuis 1999, mais celui-ci est assez peu fertile, tant nous sommes impatients de connaître ses propositions.

La mission demandée par le Gouvernement à Pierre Collin et Nicolas Colin a rendu des conclusions intéressantes, notamment en matière d’exploitation des données personnelles, mais elle peine encore, je le crois, à prendre la réelle mesure de la porosité de nos assiettes aux vagues de la mondialisation.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Arthuis. Enfin, je tiens à saluer l’engagement de nos collègues de la commission des affaires culturelles, plus particulièrement de Catherine Morin-Desailly.

L’Europe est le cadre naturel dans lequel ces questions doivent être résolues. Elle seule dispose de marchés numériques de taille suffisamment critique pour contraindre les entreprises telles que Google, Facebook ou encore Amazon à revenir à la table des négociations et à accepter une bonne fois pour toutes de contribuer, à juste proportion de leurs profits, au financement des politiques publiques.

M. le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !

M. Jean Arthuis. Je terminerai en disant que nous nous associerons à la motion tendant au renvoi du texte à la commission. Je me permets toutefois d’insister sur un point : il est urgent que nous nous retrouvions, madame la ministre, pour constater les avancées de la fiscalité numérique effective. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier notre collègue et président de la commission des finances, M. Philippe Marini, de sa proposition de loi et de tous les travaux préalables et rapports qu’il a produits en amont sur l’économie numérique et sur sa fiscalité.

Au-delà des clivages politiques qui peuvent exister au sein de notre assemblée, il est bon de souligner l’importance et la qualité du travail qui a été effectué.

Cette proposition de loi ne nous offre pas seulement l’occasion de débattre de la fiscalité numérique ; elle nous permet également, et plus généralement, de réfléchir à notre capacité à financer, demain, les politiques publiques que nous aurons à mettre en œuvre pour répondre aux défis nouveaux qui bouleversent notre société et à leurs conséquences tant économiques que sociales.

L’objectif de rétablir une neutralité fiscale en taxant équitablement les géants américains de l’internet proportionnellement à leurs chiffres d’affaires en France est régulièrement débattu au Sénat depuis 2010.

La proposition de loi qui vise à introduire une nouvelle taxe sur les revenus publicitaires en ligne via une déclaration d’un représentant fiscal sur le territoire s’inscrit dans cette réflexion.

Elle constitue une piste intéressante pour recouvrer le pouvoir d’imposer des bénéfices qui sont réalisés sur notre territoire par les entreprises de l’économie numérique.

Elle est positive en ce qu’elle rééquilibre un peu la situation non concurrentielle des entreprises françaises victimes des stratégies d’optimisation fiscale des groupes Google, Amazon, Facebook, Apple – ceux que l’on appelle les GAFA –, du fait de l’établissement de leur siège social dans des pays européens pratiquant une forme de dumping fiscal.

Elle est également pertinente dans la mesure où elle affecte les taxes prélevées sur le budget général de l’État, et non sur un secteur particulier de l’économie, ce qui permet d’augmenter nos marges pour financer l’ensemble des politiques publiques que nous devons mettre en œuvre face à des mutations qui ont des effets sur notre économie et nos équilibres sociaux bien au-delà du seul domaine des industries culturelles.

Toutefois, elle n’est malheureusement, à notre sens, que trop partielle du fait qu’elle n’explore qu’une partie de l’économie numérique, en ciblant essentiellement les GAFA et en laissant de côté toutes les autres entreprises qui collectent des données personnelles ou agrègent des contenus produits par d’autres pour les redistribuer et les commercialiser à leur compte. Cela contribue à réduire considérablement l’assiette de l’impôt qui devrait normalement être prélevé et rend malheureusement assez marginale la ressource que devrait générer la fiscalité du numérique au regard de la fiscalité globale.

De ce point de vue, le rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, remis au Gouvernement le 18 janvier dernier, apporte de nouvelles pistes pour élargir l’assiette fiscale dans ce domaine.

Le groupe écologiste estime donc indispensable de se donner le temps nécessaire pour étudier avec attention les conclusions du rapport de MM. Collin et Colin.

À cet égard, permettez-moi de souligner l’intérêt du dispositif d’incitation fiscale qui privilégie les bonnes pratiques en matière de protection des données personnelles. L’application du principe « prédateur-payeur » en matière de protection des libertés individuelles, telle qu’elle est préconisée par le rapport, s’inspire fort justement du dispositif « pollueur-payeur », qui sous-tend la fiscalité environnementale ; il s'agit d’une piste très intéressante.

Par conséquent, le groupe écologiste s’associera à la motion tendant au renvoi à la commission du texte, tout en insistant sur la nécessité d’instaurer, à un terme très rapproché, une régulation fiscale du secteur de l’économie numérique.

Au-delà de l’urgence qu’il y a à circonscrire l’optimisation fiscale massive des géants de l’industrie numérique, j’aimerais également souligner que nous ne pourrons pas nous dispenser, à moyen terme, d’appréhender plus généralement l’ampleur des mutations qui bouleversent nos sociétés en ce domaine.

Notre économie connaît depuis vingt ans une transformation rapide et profonde, mais la fiscalité qui s’y attache demeure, elle, très largement fondée sur les structures qui prévalaient dans l’économie d’hier.

Pour résumer, nous dirions que notre fiscalité reste encore très largement inscrite dans le cadre national d’une production matérielle et territorialisée, fondée sur une logique de stock, avec pour horizon l’idée d’une croissance illimitée se refusant à intégrer dans ses coûts les externalités négatives qui résultent de la surexploitation des richesses naturelles, de l’accaparement et de la privatisation de plus en plus systématique du bien commun.

Or la réalité d’aujourd’hui, c’est que notre économie évolue dans un cadre de plus en plus mondialisé, déterritorialisé, où les biens produits sont de plus en plus immatériels, où les relations humaines et les échanges commerciaux sont de plus en plus dématérialisés, où la frontière entre production et consommation devient de plus en plus difficile à établir, où la création de valeur et de richesse est toujours davantage déconnectée des actifs physiques et se fonde de plus en plus sur des logiques de flux et non plus de stocks, enfin où la destruction de notre environnement local et global, ainsi que la surexploitation des ressources naturelles de la planète, ont désormais des impacts considérables en termes de coûts immédiats sur l’économie et dans nos comptes publics.

On le voit, pour faire face à ces mutations profondes, c’est l’architecture globale de notre fiscalité que nous devons repenser.

Pour les écologistes, répondre à ces trois grands défis majeurs que sont la mondialisation économique et financière, la révolution numérique et l’impératif de transition écologique de notre économie suppose de mettre en place et de développer trois types de fiscalités nouvelles pour abonder nos moyens d’intervention, de régulation et d’accompagnement des changements qui s’opèrent dans notre société.

L’instauration d’une fiscalité numérique est l’un de ces trois piliers indispensables. Néanmoins, celle-ci doit aussi être compatible avec deux autres grandes initiatives en matière fiscale.

La première, c’est naturellement l’instauration rapide d’une véritable fiscalité écologique dans notre pays. Le Président de la République et le Gouvernement ont pris des engagements en ce sens,…

M. Philippe Marini. Oh, cela reste encore un peu flou !

M. André Gattolin. … mais le retard à combler est énorme, car notre pays figure actuellement dans les derniers rangs des États de l’Union européenne en la matière.

La seconde concerne la taxation des flux financiers à l’échelle nationale et internationale. Monsieur Marini, cela fait quinze ans que les écologistes soutiennent le principe d’une telle taxe, et le consensus politique qui semble aujourd’hui émerger en France sur cette question ne peut que nous satisfaire.

M. Philippe Marini. Londres s’en réjouit !

M. André Gattolin. Toutefois, avouons-le, les assiettes fiscales actuellement retenues en la matière sont encore bien trop étroites pour donner aux pouvoirs publics les ressources nécessaires pour compenser les coûts économiques et sociaux induits par la mondialisation financière.

Pour conclure, je dirai que nous avons, dans les trois domaines que je viens d’évoquer, d’importants efforts à accomplir. Nous devons être très ambitieux en matière de contrôle, de taxation et de régulation des flux financiers comme en matière de fiscalité tant écologique que numérique.

Pour le dire très concrètement, je ne vois pas comment l’État pourrait raisonnablement faire face à tous les défis auxquels nous sommes confrontés si l’ensemble de ces trois domaines de fiscalité nouvelle ne correspondait pas, à horizon de dix ans, à au moins 15 % de ses recettes budgétaires. (M. Jean-Pierre Plancade applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, l’optimisation fiscale est au cœur de la stratégie de développement des grandes entreprises du Net, Google, Amazon, Facebook, etc.

Leur activité dématérialisée leur permet de développer des pratiques scandaleuses, notamment en s’installant dans des pays à fiscalité très allégée comme le Luxembourg, l’Irlande ou les Bermudes. Ces entreprises élaborent alors des montages fiscaux complexes pour échapper définitivement à tout impôt.

Il existe donc une véritable fuite des recettes fiscales liées à l’impôt sur les sociétés. Quand on sait que l’évasion fiscale annuelle a été évaluée, pour la France, à 50 milliards d’euros, il est temps de s’emparer de cette question.

Le Conseil national du numérique estime ainsi que les revenus des quatre grands acteurs du numérique oscillent entre 2,5 milliards et 3 milliards d’euros par an. Or ceux-ci s’acquittent seulement de 4 millions d’euros par an d’impôt sur les sociétés, alors que, au regard du régime français, ils seraient redevables de 500 millions d’euros, soit 125 fois plus. Il est rare de pouvoir appliquer un tel coefficient multiplicateur !

La fiscalité se heurte donc à la révolution numérique. Dès lors, l’évolution technologique suscite des interrogations sur la territorialité des bénéfices et sur l’érosion des bases fiscales, fondée sur un plan international et européen.

À services égaux, les sociétés numériques échappent à l’impôt sur les sociétés, mais aussi à la TVA. Techniquement différentes, elles remplissent une même fonction, ce qui remet doublement en cause l’équité fiscale.

La publicité est taxée sur les médias télévisuels et radiophoniques, mais pas sur internet. Les surfaces commerciales sont soumises à la TASCOM, mais le commerce en ligne n’est assujetti à aucune taxe équivalente.

La perte concernant la TVA est évaluée à 300 millions d’euros pour 2008 en France, mais elle serait, selon une étude du cabinet Greenwich consulting, de 600 millions d’euros en 2014.

Une réflexion a donc été engagée concernant la TVA sur les services électroniques et de télécommunication en Europe. Elle est actuellement perçue en fonction du lieu où le prestataire est établi. À partir de 2015, en Europe, elle sera due au pays du consommateur final, même si, entre 2015 et 2019, un régime transitoire permettra au pays du prestataire de continuer à en percevoir une part.

Forte de ces constats, la présente proposition de loi entend lutter contre l’évasion fiscale des principaux géants d’internet, objectif auquel nous souscrivons pleinement. À cette fin, elle avance des pistes intéressantes.

Elle tend à créer un régime d’obligation de déclaration d’activité des acteurs de services en ligne qui ne sont pas établis en France. Ce régime s’appliquerait aux revenus de la publicité en ligne, du commerce électronique et de la vidéo à la demande.

Ce régime de déclaration sert à asseoir des taxes visant à rétablir l’équité fiscale : c’est bien notre objectif commun.

À cette fin, diverses impositions sont prévues : taxe sur la publicité en ligne assise sur les sommes payées par les annonceurs aux régies, pour les services dont l’audience est établie en France, quel que soit leur pays d’implantation ; taxe sur les services de commerce électronique due par les vendeurs qui effectuent une vente à destination d’un particulier établi en France dans le cas où le chiffre d’affaires est au moins égal à 460 000 euros ; extension de la taxe sur la fourniture de vidéogrammes à la demande, la VOD, aux entreprises établies hors de France.

Si nous soutenons ces impositions dans leur principe, nous nous interrogeons quant à leur montant. À nos yeux, le rendement de ces taxes est en effet insuffisant. Il est estimé à 20 millions d’euros au maximum pour la publicité et à 32 millions d’euros pour la VOD. Seul le produit de la taxe sur le commerce en ligne pourrait atteindre 100 millions d’euros en 2013 et 175 millions d’euros en 2015. Néanmoins, nous restons loin des 500 millions d’euros qu’évoque le Conseil national du numérique !

Comment ces taxes ont-elles été calibrées ? Selon quels critères ? Le taux et l’assiette méritent débat. Sur ce sujet également, il convient de choisir le bon coefficient multiplicateur. Yves Rome a insisté sur les besoins de la France en matière de haut débit,…

M. Yves Rome, rapporteur pour avis. Et de très haut débit !

M. Michel Le Scouarnec. … qui recouvrent notamment des besoins en matière de culture.

Ceux que je me permettrai de nommer, pour aller vite, les « carrément Col[l]in » (Sourires.) viennent de rendre leurs conclusions. Leur rapport soulève d’autres interrogations en proposant de taxer l’utilisation des données personnelles pour engendrer non seulement des recettes fiscales, mais aussi des comportements vertueux.

Sans préjuger la pertinence ou l’efficacité de cette mesure, la réflexion en matière de fiscalité numérique mérite encore d’être approfondie. On ne peut faire l’économie d’aucune piste tant l’enjeu est énorme, comme l’a souligné Bruno Retailleau il y a quelques instants.

Tout en saluant les réflexions amorcées par la présente proposition de loi, il nous semble prématuré de porter un jugement définitif sur leur applicabilité, comme sur celle du rapport de la mission d’expertise. Aussi, il nous paraît nécessaire de prolonger l’étude engagée, afin d’envisager ces problématiques de la manière la plus globale et la plus adaptée possible.

Madame la ministre, concernant la fiscalité numérique, vous avez affirmé qu’il fallait cesser de centrer le débat sur les problématiques culturelles. Je crois, au contraire, que la force d’une loi en la matière résiderait dans sa capacité à aborder le sujet dans sa globalité, sans le segmenter entre fiscalité, contenus culturels et « tuyaux » techniques, comme nous avons l’habitude de le faire.

De fait, ces différentes problématiques constituent un ensemble cohérent sur lequel s’appuient et fonctionnent les grandes entreprises de l’internet, qui exploitent chaque faille.

La loi doit aborder la question du financement de la culture sur le Web, du respect des droits d’auteur, de la récupération et de la captation de la valeur des œuvres, notamment par Google, et ce sans contrepartie financière. Elle doit évoquer les problèmes d’utilisation des articles de presse dans les mêmes conditions et envisager la possibilité d’instaurer un droit voisin du droit d’auteur.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Michel Le Scouarnec. Elle devrait traiter la question de l’utilisation des données personnelles comme source de profit, non seulement par l’institution d’une taxe sanction, comme le prévoit le rapport Collin et Colin, mais par une véritable réglementation de ses usages.

Enfin, placée au cœur de l’actualité avec le récent blocage des publicités par Free, la question de la neutralité du Net s’impose à nous. Free vise notamment l’entreprise Google, qui utilise les infrastructures des fournisseurs d’accès à internet sans les financer alors qu’elle en est bénéficiaire et utilisatrice, notamment à travers You Tube.

Cette situation n’est pas sans soulever des questions fondamentales, notamment sur le principe de neutralité d’internet, en vertu duquel les communications électroniques ne doivent subir aucune discrimination entre leurs émetteurs et leurs destinataires.

Dans un double souci de justice et d’efficacité, nous souhaitons que cette proposition de loi soit renvoyée à la commission afin qu’elle puisse être enrichie dans ce sens : elle sera ainsi pleinement opérante dès son adoption et, partant, totalement incontournable.

Tous ensemble, nous devons lutter contre l’évasion fiscale pour construire de nouvelles solidarités.

M. François Marc. Très bien !

M. Michel Le Scouarnec. L’Europe peut et doit nous y aider ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Yvon Collin, rapporteur. Parfait !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous intéressons aujourd’hui à la fiscalité du numérique, ou plutôt à l’ébauche d’une telle fiscalité, puisque celle-ci reste pour l’heure inexistante. Il s’agit d’un sujet aussi complexe que passionnant, qui dépasse largement les clivages politiques : nos débats, depuis plus d’une heure, l’ont bien montré.

Il s’agit également d’une problématique très transversale, comme l’illustre le nombre de commissions de la Haute Assemblée qui se sont penchées sur cette proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable de notre collègue Philippe Marini, dont je tiens à saluer la très grande expertise sur ce thème.

Monsieur le président de la commission des finances, vous avez été un véritable précurseur concernant la réflexion sur les défis que pose le numérique pour les finances publiques. Vous vous battez depuis plusieurs années pour que ce sujet, sur lequel vous avez accompli un travail important, fasse l’objet d’actions concrètes. C’est dans cette perspective que vous nous présentez aujourd’hui ce texte. Nous souscrivons tous, je le crois, aux objectifs qu’il vise.

Je n’aurai garde d’oublier Jean Arthuis, qui a de longue date fait sienne cette préoccupation générale, même si les solutions qu’il propose sont sensiblement différentes.

M. Jean Arthuis. C’est vrai.

M. Jean-Pierre Plancade. Je tiens naturellement à féliciter mon collègue du RDSE Yvon Collin pour son excellent rapport sur ce texte réalisé au nom de la commission des finances. Tout à l’heure, il a été question des Collin et Colin ou de « Col[l]in au carré ». Pour ma part, je parlerai même de « Col[l]in au cube » ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Plancade. Je remercie Bruno Retailleau, qui a tenu des propos à la fois forts et pertinents, notamment en nous invitant à nous méfier des copier-coller fiscaux. Il nous faudra certainement faire preuve d’inventivité et nous montrer plus productifs.

Yves Rome a tout à fait raison d’évoquer la fracture territoriale. Je tiens à le féliciter pour ses propos. Souvenons-nous que, dans les années soixante, les départements ont apporté l’électricité jusque dans les cours de ferme.

M. Yves Rome, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Plancade. À nous de mener le même chantier pour le numérique.

M. Yvon Collin, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. Quant à Claude Domeizel, il a eu, au nom de la commission de la culture, des mots absolument formidables. Force est de reconnaître que nos collègues de la commission des finances, qui s’expriment naturellement en experts, ont parfois tendance à occulter les enjeux culturels. Mon cher collègue, il était donc bon de rappeler cette dimension du sujet, qui plus est dans les termes que vous avez choisis.

M. David Assouline. C’est l’exception culturelle !

M. Jean-Pierre Plancade. Le numérique est parfois considéré comme une menace. Les rapporteurs de la mission d’expertise lancée par le Gouvernement en juillet dernier, MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, qui viennent de remettre leur rapport, parlent à cet égard d’une « économie numérique vorace » qui « s’attaquera » demain à tous les secteurs. C’est bien vrai !

Certes, le numérique bouscule complètement notre système d’imposition et constitue un véritable défi pour notre droit fiscal, qui est totalement inadapté aux spécificités de la netéconomie. Mais il est en même temps porteur de croissance et d’emplois : à ce titre, il constitue bien une chance.

Il n’en reste pas moins que les stratégies fiscales des entreprises de ce secteur, et plus particulièrement des Big Four, également désignés par l’acronyme GAFA, ont totalement remis en cause les conditions de perception qui prévalaient jusqu’à présent pour des prélèvements comme l’impôt sur les sociétés ou la TVA.

Les stratégies déployées par ces grandes sociétés pour échapper à l’impôt, ou du moins pour en réduire considérablement le montant, sont d’une grande variété : localisation des sièges sociaux dans des pays à fiscalité basse – eBay en Suisse, Amazon au Luxembourg, Google en Irlande –, utilisation des prix de transfert, versements de royalties sur la propriété intellectuelle, etc. Ces méthodes sont choquantes, surtout au regard des bénéfices dégagés par ces mêmes sociétés.

Ainsi, Google qui vient de publier un chiffre d’affaires en hausse de 32 %, dépassant les 50 milliards de dollars, soit environ 37 milliards d’euros, paierait 5 millions d’euros d’impôt sur les sociétés.

M. Yves Rome, rapporteur pour avis. Exact !

M. Jean-Pierre Plancade. Ces chiffres ne sont pas surprenants lorsqu’on connaît la stratégie d’optimisation fiscale de cette entreprise, qui commence à Dublin pour se terminer aux Bermudes. M. Arthuis a exposé ce mécanisme avec grand soin et je l’en remercie.

Si l’on retrouve, en examinant la situation de ces entreprises, des pratiques classiques d’évasion et d’optimisation fiscales, communes à d’autres secteurs de l’économie, les enjeux et les difficultés sont démultipliés dans le cas de l’économie numérique, notamment à cause de la dématérialisation.

Notre droit fiscal doit donc développer d’urgence de nouveaux instruments pour appréhender l’économie numérique, qui lui échappe totalement à l’heure actuelle. C’est tout l’enjeu de la proposition de loi de Philippe Marini. Je le répète, ce texte a le mérite d’exister. Toutefois, comme l’a souligné Yvon Collin, il risque de ne pas atteindre son objectif. Il pourrait même, dans certains cas, avoir des effets contraires aux buts visés.

Ainsi, les deux impositions que la proposition de loi tend à créer – la taxe sur la publicité en ligne et la taxe sur les services de commerce électronique, la TASCOE –, plutôt que de renforcer la neutralité de la taxation par rapport à la technologie et l’équité fiscale entre opérateurs français et étrangers, risqueraient de peser essentiellement sur les acteurs nationaux et, partant, de les pénaliser.

Quant au volet non fiscal de la proposition de loi – l’obligation de déclaration d’activité par les entreprises de services en ligne au-delà de certains seuils d’activité –, il pose des difficultés pratiques de mise en œuvre, également soulignées par les différents rapporteurs.

Enfin, Mme la ministre l’a annoncé, le Gouvernement explore actuellement différentes pistes pour adapter notre système fiscal à l’économie numérique et parvenir à rétablir la justice en faisant contribuer les grandes entreprises de ce marché que sont les GAFA sans pénaliser les petits acteurs français ou européens, qui ont besoin de se développer. Je la remercie, à cet égard, des propos équilibrés et prospectifs qu’elle a tenus.

Bien sûr, la globalisation, associée à la dématérialisation – caractéristique de l’économie numérique –, rend nécessaires des solutions à l’échelle européenne et internationale. Nous pouvons d’ailleurs espérer des avancées en ce sens avec la saisine récente de l’OCDE par l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France sur le projet BEPS, pour lutter contre l’érosion des bases d’imposition et les transferts de bénéfices. La préparation de propositions sur ce sujet, dans la perspective du prochain G20, va également dans ce sens.

Toutefois, les possibles avancées au niveau international n’empêcheront pas, comme pour la taxe sur les transactions financières, la France d’être éventuellement conduite à mettre en place, dans un premier temps au niveau national, un certain nombre de mesures qui serviront ensuite d’exemple et de base pour une réflexion internationale sur la fiscalité numérique.

Dans cette perspective, le groupe du RDSE souscrit à l’analyse du rapporteur et votera donc la motion de renvoi à la commission qu’il a déposée, afin de permettre au Gouvernement de présenter prochainement des propositions concrètes qui viendront, je n’en doute pas, enrichir, améliorer et compléter celles de notre collègue Philippe Marini. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Philippe Marini applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi s’inscrit dans une démarche et une réflexion engagées depuis 2009 par son auteur, au sein de la commission des finances. Naturellement, notre groupe tient à saluer la persévérance de Philippe Marini et la qualité de son travail, ainsi que celle des travaux que la Haute Assemblée consacre aujourd’hui à ce sujet sensible et complexe.

Le présent texte se fonde sur le constat suivant : les quatre grandes multinationales de services en ligne et de commerce électronique surnommées GAFA, installées en Irlande ou au Luxembourg, échappent à presque toute taxation de leurs bénéfices en France. Pour ces entreprises, l’optimisation fiscale est simple : elle revient avant tout à ignorer toute dimension territoriale de l’impôt. Cette pratique est d’autant plus regrettable qu’une partie non négligeable de leurs bénéfices mondiaux, qui atteignent des records, sont réalisés en Europe, notamment en France.

Normalement, à de nouvelles assiettes qui, au demeurant, en vident d’autres, correspondent de nouvelles taxations. Chaque année, Google réalise 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires à travers le monde et 10 milliards d’euros de bénéfices. Or cette entreprise n’acquitte en France qu’un montant marginal d’imposition !

Au surplus, ces chiffres traduisent une position dominante, avec les abus qui en découlent, et cela a des conséquences logiques sur le marché. Ainsi, l’été dernier, le changement de l’algorithme Google a subitement provoqué l’éviction de quelques PME, notamment françaises, d’internet.

M. Philippe Marini. Très juste !

M. Francis Delattre. La taxation de ces bénéfices pourrait rapporter près d’un demi-milliard d’euros au budget de la France, ce qui n’est pas anodin !

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui entend ouvrir des pistes qui permettraient d’assujettir fiscalement les GAFA en France.

Sous l’impulsion du président de la commission des finances, un amendement avait déjà été adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2011. Cette disposition instaurait un dispositif dit « taxe Google », visant simplement à taxer la publicité en ligne. La taxe Google, qui devait entrer en vigueur le 1er juillet 2011, a été abrogée dans le collectif budgétaire discuté au mois de juin de la même année, car elle semblait mal calibrée pour atteindre sa cible. Faute de seuil, elle aurait du reste touché quelques PME françaises.

Un second amendement de Philippe Marini fut adopté par la commission des finances dans le projet de loi de finances pour 2011. Il proposait une taxe sur l’achat des services de commerce électronique, dite TASCOE, s’inspirant de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM. Il s’agissait d’un prélèvement de 0,5 % sur le montant des dépenses engagées pour l’achat de biens ou services effectué au moyen d’une communication électronique.

Cet amendement fut retiré en séance à la suite de l’engagement du gouvernement de l’époque d’engager une réflexion globale. Nous y sommes !

C’est dans un contexte où étaient dépassées les frontières partisanes que le nouveau gouvernement a confié à un conseiller d’État et à un inspecteur des finances une mission d’expertise sur la fiscalité numérique ; leur rapport a été publié le 18 janvier dernier.

Ce rapport cerne parfaitement les enjeux du numérique et indique que nous ne sommes qu’au début d’une véritable révolution, qui sera facteur de transformation de toute l’économie. Il préconise donc une fiscalité neutre et équitable. À cette fin, il ouvre de nouvelles pistes de fiscalisation, notamment par une taxation qui serait fonction du comportement des acteurs numériques, plus précisément de leur manière de collecter les données et de les utiliser. C’est ce que les économistes et vous-même, cher Bruno Retailleau, appelez l’« externalité positive ».

Dans cette optique d’avancée de la réflexion sur la fiscalité numérique, Philippe Marini a déposé sa proposition de loi suggérant la mise en place d’une taxe s’inspirant notamment des dispositifs de taxation de la publicité en ligne, mais bénéficiant d’un meilleur calibrage.

Cette nouvelle taxe sur la publicité en ligne viserait ainsi désormais non plus les annonceurs mais les régies de publicité, établies en France comme à l’étranger, et introduirait un dispositif de seuils : un taux de 0,5 % s’appliquerait à partir de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, taux qui passerait à 1 % au-delà de 250 millions d’euros.

Cette taxe pourrait ainsi s’appliquer au milliard d’euros de chiffre d’affaires dégagé sur le marché français par Google, dont les commerciaux distribuant la publicité dans notre pays sont basés en Irlande.

La TASCOE, quant à elle, s’appliquerait au vendeur professionnel au consommateur final et non plus, comme le prévoyait le dispositif envisagé dans le projet de loi de finances pour 2011, aux activités de commerce électronique entre professionnels.

S’il apparaît que le rendement de la taxe sur la publicité devrait être symbolique, se situant autour de 20 millions d’euros, la TASCOE pourrait procurer 200 millions d’euros de recettes en 2013 et 300 millions en 2015.

Dans les deux cas, les redevables de ces taxes, qu’ils soient basés en France ou à l’étranger, seraient soumis à une obligation de déclaration d’activité. Il s’agit de s’inspirer du modèle procédural de l’agrément accordé aux sites de paris en ligne, tout en respectant les principes de non-discrimination et de proportionnalité.

La proposition de loi prévoit également d’étendre aux acteurs étrangers de l’internet établis en France et à l’étranger la taxe actuelle sur la fourniture de vidéogrammes à la demande, afin de rétablir une forme d’équité fiscale.

Sur proposition de son excellent rapporteur, Yvon Collin, la commission des finances a voté à l’unanimité, le 23 janvier dernier, une motion de renvoi en commission. Le groupe UMP se rallie à cette position et votera cette motion afin de permettre à la proposition de loi de notre collègue de prospérer. Nous comptons sur tous les acteurs ici présents pour que les différentes inspirations qui ont guidé sa démarche figurent dans le texte final.

Madame la ministre, vous vous êtes engagée devant la commission des finances à ce que vos services poursuivent ce chantier, de manière à aboutir cet été à un texte inscrivant la démarche de la France dans le cadre des travaux mis en œuvre actuellement par l’OCDE et l’Union européenne.

À titre personnel, je crois beaucoup à l’instrument mis en place par l’OCDE. Lors des auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête sur l’évaporation fiscale, ou plus exactement sur l’évasion des capitaux, nos interlocuteurs de l’OCDE nous sont apparus parfaitement au fait des sujets qui nous préoccupent. L’OCDE a déjà obtenu d’une trentaine de pays, dont les plus importants, qu’ils procèdent entre eux, sous son contrôle, à des échanges d’informations fiscales. C’est par ces échanges d’informations, plutôt que par des conventions, que nous pourrons régler le problème, au moins en partie.

Le prochain G20 sera également l’occasion d’avancer sur ce dossier.

Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour respecter les engagements que vous avez pris.

S’agissant de l’assujettissement des GAFA à la TVA, nous partageons l’avis de notre collègue Jean Arthuis, qui y voit le socle principal de la fiscalité à leur appliquer, mais cela ne vaudra qu’à partir de 2015, c'est-à-dire quand la TVA, au sein de l’Union européenne, sera facturée dans le pays du consommateur.

Le groupe UMP soutient donc la démarche de la présente proposition de loi, non seulement parce que les recettes fiscales escomptées seront particulièrement bienvenues au regard de la situation de nos finances publiques, mais aussi au nom du principe de neutralité et d’équité fiscale.

Ce type de débats fait honneur à la Haute Assemblée. La seule réserve que nous pouvons exprimer concerne le ciblage de la future taxe, qu’il faudra préciser afin de ne pas pénaliser les PME françaises.

Nous considérons cette proposition de loi comme un rendez-vous d’étape avant des décisions concrètes. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi relative à la fiscalité numérique, déposée par le président de la commission des finances.

Nous auditionnions la semaine dernière, en commission, MM. Nicolas Colin et Pierre Collin, auteurs du rapport de la mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, commandé par le Gouvernement. L’actualité du sujet est donc évidente.

Ces experts ont insisté sur l’importance fiscale et économique de cette question ainsi que sur l’impact de la révolution numérique, que nous n’avions pas perçu aussi précisément. Le président Marini, quant à lui, signale le fait depuis au moins trois ans – ce fut notamment le cas dans le rapport parlementaire publié en juin dernier. Il a donc été précurseur sur ce sujet, je lui en donne volontiers acte.

De son côté, en nommant une ministre dont l’expertise en ce domaine est indéniable et qui est, de surcroit, complètement vouée au sujet de l’économie numérique, le Président de la République a montré qu’il avait bien pris la mesure des actions stratégiques à mener dans ce domaine.

Dès le 12 juillet 2012, une mission d’expertise a donc été mise en place afin de « dégager des propositions en matière de localisation et d’imposition des bénéfices, du chiffre d’affaires, ou, éventuellement, sur d’autres assiettes taxables de l’activité numérique ».

L’action du Gouvernement à l’échelon national a trouvé un prolongement international lorsque, en novembre dernier, la France s’est associée à la saisine de l’OCDE sur la question de la territorialité des activités numériques. La Commission européenne a également été saisie afin de définir une approche européenne de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales dans le domaine de l’économie numérique. Cette question est donc aujourd’hui l’objet d’un intérêt général en Europe.

De la même manière, un consensus existe dans notre assemblée pour agir dans cette direction.

Sur le plan économique, la proposition de loi met en évidence la captation des marges des entreprises de production par les entreprises de services de l’économie numérique. Les propos de la ministre vont également dans ce sens.

Sur le plan fiscal, ces entreprises numériques se distinguent par un faible niveau d’imposition. Mettant en œuvre une stratégie d’optimisation, elles échappent à l’impôt dans les pays où elles réalisent leurs affaires et dégagent des bénéfices considérables et en perpétuelle expansion. Le quotidien Le Monde a publié hier un article très éclairant à ce sujet, qui concernait Amazon.

Dans un souci d’équité fiscale, y compris à l’égard de nos propres entreprises, cela doit être combattu.

Toutefois, les rapporteurs soulignent combien il est difficile d’appréhender l’activité de ces entreprises pour définir précisément les bases d’imposition, tant la nature de cette activité est atypique en regard de ce qui existe.

Le rapport sur l’économie numérique précise d’ailleurs que « le droit fiscal, tant national qu’international, peine à s’adapter à la révolution numérique ». Dès lors, notre réponse doit prendre toutes les précautions et s’assurer du contexte européen. En un mot, nous devons agir sans précipitation, mais avec détermination et méthode, afin de garantir la sécurité du résultat, qui ne devra donner lieu à aucune espèce de contestation.

La proposition de loi et le rapport poursuivent donc un but identique, mais envisagent, il est vrai, des moyens différents. Le rapport préconise une fiscalité liée à l’exploitation des données issues du suivi des utilisateurs sur le territoire national. Ses auteurs estiment qu’à terme, d’ailleurs, l’impôt sur les sociétés serait l’outil le plus adapté, pourvu que l’on parvienne à ajuster précisément la notion d’établissement stable aux spécificités de l’économie numérique.

La proposition de loi, quant à elle, envisage deux taxes : l’une sur le commerce en ligne, l’autre sur la publicité en ligne, ainsi que l’extension aux opérateurs étrangers de la taxe relative à la vidéo à la demande. Ces réponses sont donc de nature différente.

Le Gouvernement a commandé un rapport sur l’économie numérique. Il a commencé à l’étudier et à réfléchir aux propositions qui vont en découler. Dès lors, il importe de lui laisser un délai raisonnable pour se prononcer. Nous devons également tenir compte des discussions engagées au niveau international et, en particulier, des observations qui seront formulées par le G20 « finances » sur la base d’un premier rapport de l’OCDE.

Mme la ministre s’est engagée avec clarté et netteté à ce que la fiscalité numérique soit un objectif prioritaire pour le Gouvernement. C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, je me rallie à la proposition du rapporteur d’adopter une motion de renvoi en commission de ce texte. Il s’agit, tout en saluant le travail accompli par notre collègue Philippe Marini, de ménager au Parlement comme au Gouvernement le temps nécessaire pour étudier des solutions, notamment celle d’une taxation de la collecte et de l’exploitation des données, cela dans le souci de la sécurité juridique de la démarche.

Telle est la position, qui me semble équilibrée, à laquelle est parvenu le groupe socialiste.

M. le président. La suite de la discussion de la proposition de loi est renvoyée à la séance du 28 février 2013.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable
Discussion générale (suite)

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Questions cribles thématiques

commerce extérieur

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur le commerce extérieur.

Je rappelle que l’auteur de la question et la ministre, pour sa réponse, disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Ce débat étant retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat, ainsi que sur France 3, il importe que chacun respecte son temps de parole.

La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, l’augmentation, totalement antiéconomique, des impôts et des charges, en entraînant mécaniquement une augmentation des coûts, pèse lourdement sur la compétitivité des entreprises et aggrave la situation dont le Gouvernement a hérité.

De plus, en diminuant les marges des entreprises, elle conduit souvent celles-ci à renoncer à prendre le risque d’investir dans une recherche de clients extérieurs.

Dans ces conditions, je crains que notre déficit commercial ne s’aggrave encore.

Quels appuis financiers et fiscaux le Gouvernement met-il en œuvre pour inciter et aider les entreprises à exporter ? Quelles sont les aides pratiquées par nos concurrents européens ? Je vous pose cette seconde question, madame le ministre, parce que les difficultés d’accès à l’information ne nous permettent pas d’évaluer le contexte concurrentiel dans l’Union européenne.

Vous avez raison de cibler un nombre limité de pays, car tous les produits français ne sont pas exportables sur tous les terrains. Votre méthode s’apparente au laser beaming du Japon, mais quelle est votre ligne directrice ?

Par exemple, j’ai constaté que le Kazakhstan ne figurait pas parmi les pays cibles du secteur prioritaire « mieux vivre en ville », alors que ce thème a précisément été choisi pour l’exposition universelle d’Astana en 2017.

Les soldats de l’An II qui se battaient contre l’Europe entière avaient au moins pour eux leur enthousiasme ; dans la guerre économique mondiale, la France envoie des soldats démoralisés se battre contre le monde entier ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Yannick Vaugrenard. Comment pouvez-vous dire cela ? C’est honteux !

M. Aymeri de Montesquiou. Quelle politique fiscale incitative comptez-vous mettre en œuvre pour doper nos exportations ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur de Montesquiou, vous avez raison de vous préoccuper des politiques menées à l’étranger : vous faites ainsi du benchmarking, comme l’on dit en bon français ! Le fait que nous soyons dans une compétition mondiale rend d’autant plus nécessaire que nous connaissions la manière dont agissent nos concurrents.

C’est la raison pour laquelle j’ai confié à Mme Claude Revel une mission sur notre stratégie en matière de normes européennes et internationales. Mme Revel m’a remis son rapport ce matin et j’en tiens des exemplaires à votre disposition, réservant ainsi au Sénat la primeur de sa communication.

Nous nous faisons trop souvent imposer des normes parce que nous ne sommes pas suffisamment présents dans les lieux où elles sont définies : il nous faut occuper les sièges qui nous y sont réservés dès le début du processus, pour peser sur l’élaboration des normes en Europe et dans le monde.

Vous m’avez interrogé sur ma stratégie, en vous appuyant sur l’exemple du Kazakhstan, un pays que vous connaissez bien.

Le Kazakhstan fait partie des quarante-sept pays que j’ai identifiés comme porteurs de 80 % de la demande mondiale dans les dix prochaines années. Mon travail consiste à organiser pour chacun de ces pays une offre commerciale performante afin d’atteindre les objectifs précis que le Premier ministre m’a fixés, notamment celui de rétablir l’équilibre de notre balance commerciale hors énergie d’ici à la fin du quinquennat.

S’agissant du Kazakhstan, une commission mixte pour la coopération économique se réunira le 7 mars prochain : nous aurons ainsi un échange complet avec les représentants de ce pays au sujet des domaines dans lesquels nous pouvons travailler ensemble. Je pense aux produits de la famille « mieux vivre en ville », qui sont particulièrement performants : notre offre de qualité autour de la ville durable est en phase avec la demande mondiale, y compris celle du Kazakhstan. Agir ainsi, c’est faire preuve d’anticipation par rapport à nos concurrents ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour la réplique.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame le ministre, je vous félicite d’avoir commandé ce rapport qui sera très précieux. (Mme la ministre du commerce extérieur fait passer un exemplaire du rapport à l’orateur.) Merci beaucoup, madame le ministre !

Je suis très heureux que le Kazakhstan n’ait pas échappé à votre sagacité. Toujours est-il que, dans les listes que j’ai consultées, ce pays ne figure pas parmi les pays cibles au titre de « mieux vivre en ville ». Or, je le répète, la ville d’Astana a été choisie pour accueillir en 2017 une exposition internationale sur ce thème. Le Kazakhstan doit donc être ajouté à cette liste, d’autant que c’est un pays plein d’avenir. Je suis certain que les produits français, de très haute qualité, y trouveront leur place, ainsi que beaucoup d’entreprises françaises.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, que notre balance commerciale soit indéfiniment déficitaire n’est pas une fatalité.

Pour revenir à l’équilibre hors énergie d’ici à cinq ans, alors que notre déficit s’est élevé à 70 milliards d’euros l’an dernier, nous avons besoin d’une politique volontariste. C’est cette politique que vous conduisez, madame la ministre, grâce à une stratégie de reconquête qui s’appuie sur les forces de notre tissu industriel et sur nos entreprises les plus innovantes.

Dans cette perspective, vous avez récemment conclu un partenariat avec les régions, qui se sont engagées à mettre en place, dès le premier trimestre de l’année 2013, des plans régionaux pour l’internationalisation des entreprises, les PRIE, dont elles seront les chefs de file. Il s’agit de mettre en place des guichets uniques et des actions unifiées au service des entreprises, afin notamment de faire progresser de 10 000 en trois ans le nombre des PME et des ETI exportatrices.

Reste que ces plans ne seront efficaces que si nous parvenons à nous doter d’une organisation institutionnelle préservant le lien de proximité si nécessaire dans ce domaine. Des initiatives existent déjà en matière de détection, d’information, de diagnostic et d’aide logistique à l’export. Comment s’inscriront-elles dans les futurs PRIE ?

Pour ne prendre qu’un exemple, je signale qu’une convention régionale de l’export a été conclue en 2011 en Aquitaine, où la chambre de commerce et d’industrie régionale – CCIR – a institué un guichet unique de l’export régional et finance déjà certaines actions. Les premiers résultats de ce dispositif sont encourageants. Nous devons donc éviter la redondance institutionnelle et préserver le savoir-faire et l’expérience déjà acquis.

Madame la ministre, je soutiens sans réserve vos mesures et je suis d’accord avec vous sur le rôle moteur que doivent jouer les régions. Je souhaiterais seulement savoir de quelle manière vous entendez articuler les futurs PRIE avec les initiatives qui existent déjà. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Monsieur Bérit-Débat, j’ai indiqué, très peu de temps après mon entrée en fonction, que j’entendais faire des régions les pilotes de l’exportation, puisque la loi leur attribue les compétences du développement économique et de l’innovation. Du reste, je crois savoir que le projet de loi sur l’acte III de la décentralisation que présentera ma collègue Marylise Lebranchu, et que les sénatrices et les sénateurs attendent avec impatience, confortera les régions dans ce rôle.

Je ne suis pas un caporal et je fais confiance aux territoires parce qu’ils sont proches des entreprises, comme je le constate tous les jours. J’ai déjà visité onze régions – j’étais lundi dernier en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Monsieur Bérit-Débat, lorsque je me suis rendue dans votre belle région d’Aquitaine, le 15 novembre dernier, j’ai dit au président du conseil régional ainsi qu’aux responsables de la CCIR que c’était à eux de s’organiser, sachant que, dans mon esprit, la région doit être le chef de file.

J’ai donné rendez-vous aux régions à partir du mois de mars prochain, pour qu’elles me remettent leurs plans régionaux d’internationalisation des entreprises. Mon intention est que chaque région s’organise suivant ses particularités territoriales, car l’Île-de-France n’est pas la Bretagne, la Bretagne, ce n’est pas le Nord–Pas-de-Calais, et le Nord–Pas-de-Calais, ce n’est pas Provence-Alpes-Côte d’azur.

Aujourd’hui, de premières informations me parviennent et je constate que les régions s’organisent. Dans certains cas, c’est la CCIR qui pilote ; dans d’autres cas, il y a fusion ; dans d’autres encore, une complémentarité intelligente est mise en place.

C’est un fait que notre système territorial est souvent illisible et trop compliqué : pour une PME ou une ETI, il est très difficile de se repérer parmi tous les acteurs impliqués. De plus, la multiplicité des acteurs n’est pas une garantie de succès, puisque notre déficit commercial a atteint l’an dernier le niveau historique de 73 milliards d’euros. Nous devons donc trouver des complémentarités sur nos territoires pour être performants à l’international ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour la réplique.

M. Claude Bérit-Débat. Je vous remercie, madame la ministre, de vos explications particulièrement claires. Elles montrent votre détermination et celle du Gouvernement à tout faire pour réduire le déficit de notre balance commercial, conformément aux engagements que vous avez pris.

Je pense que nous devons jouer la carte du partenariat le plus large et celle de la proximité. Autour des régions, dont il est très bon qu’elles soient chefs de file, il faut que la démarche se diffuse sur le terrain, au sein des compagnies consulaires, des communautés d’agglomération et des départements, qui ont une bonne connaissance du tissu industriel et artisanal, et par conséquent des entreprises capables d’exporter.

J’espère aussi que l’action de la Banque publique d’investissement permettra de doper l’activité de nos entreprises, non seulement sur le plan intérieur mais aussi à l’exportation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le commerce extérieur de notre pays est déficitaire ; il est réalisé pour plus de 60 % avec les pays de l’Union européenne. Cette réalité essentielle, si elle pose la question de la construction européenne, doit sans cesse être rappelée pour que nous ne fassions aucune erreur dans le diagnostic de nos difficultés.

D’ailleurs, si nous allions plus loin dans l’analyse, nous nous rendrions compte que notre déficit résulte assez largement de l’inégalité de nos échanges avec l’Allemagne. En 2011, par exemple, nous avons totalisé 17 milliards d’euros de déficit commercial avec notre premier partenaire économique.

Cependant, ma question porte sur un autre sujet. La France n’a sans doute pas attendu l’instauration, par la loi de finances rectificative du 29 décembre 2012, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi pour mettre en œuvre une politique favorisant l’implantation de ses entreprises à l’étranger et leur coopération avec des entreprises extérieures, ces deux objectifs étant autant de points d’appui de notre commerce extérieur.

La pratique des investissements extérieurs a d’ailleurs été si peu mise en œuvre qu’en 2013 Sanofi, première capitalisation boursière de la place de Paris, fait fabriquer à l’étranger 50 % de ses médicaments génériques vendus en France. De même, Peugeot réimporte la majorité des modèles vendus dans l’Hexagone, tandis que Renault construit à l’étranger plus de 70 % de ses équipements et les deux tiers de ses voitures vendues en France.

Ces choix, plus souvent guidés par un objectif de rentabilité financière que par une volonté de coopération, pourtant nécessaire, avec l’étranger ou par un souci de qualité de nos échanges extérieurs, sont mortifères pour l’emploi industriel et coûteux pour notre commerce extérieur.

Au moment où ces entreprises mettent en place des plans sociaux et suppriment des emplois, que compte faire le Gouvernement pour peser sur leur stratégie afin de maintenir et de développer l’emploi industriel en France, tout en réduisant notre déficit commercial ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Pierre Sueur et Claude Bérit-Débat applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Force est de constater que, dans la première phase de la nouvelle mondialisation commencée au début des années 1990, la France n’a pas trouvé sa place. Je reste néanmoins convaincue qu’elle peut la trouver en défendant en Europe et ailleurs le principe très important de la réciprocité des échanges : nous considérons que notre ouverture doit trouver sa contrepartie dans l’ouverture des pays partenaires.

Madame Gonthier-Maurin, votre question soulève le problème de la stratégie à l’international. Aujourd’hui, pour exporter, nos entreprises, qu’il s’agisse des grands groupes, des ETI ou des PME, ne peuvent plus se contenter d’offrir un produit, fût-il le meilleur possible.

En effet, même si je pense que la croissance peut repartir en Europe, notamment grâce aux initiatives prises par le Président de la République, à court terme, la dynamique de la demande se situe essentiellement hors d'Europe, en particulier dans les grands pays émergents. Or ceux-ci ne veulent pas importer simplement nos produits : ils souhaitent aussi des implantations industrielles ou la conclusion de partenariats industriels, de manière à favoriser leur développement. La capacité d’essor de nos entreprises à l’international suppose donc qu’elles trouvent des partenaires locaux, distributeurs ou producteurs.

Du reste, je constate que, quand une entreprise s'installe durablement dans un pays étranger, qu'elle y produit des biens et des services, cela profite à ses établissements situés en France.

Madame la sénatrice, vous avez cité Sanofi. Il ne faut surtout pas rendre l'implantation internationale de Sanofi responsable des difficultés que le groupe rencontre sur le territoire national. C’est même tout le contraire et je pourrais vous le démontrer, chiffres à l'appui.

En revanche, dans la mesure où les grands groupes se sont souvent internationalisés grâce à l’aide de la puissance publique, ils doivent une sorte de contrepartie aux territoires. Il nous faut donc veiller avec soin à ce que les ETI et PMI, notamment sous-traitantes, puissent elles aussi se projeter à l'export. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour la réplique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Vous avez évoqué la question de la réciprocité et la nécessité de l'exigence publique. Cependant, la puissance publique doit être plus clairement exigeante encore. Dans l'entreprise Renault, par exemple, l’État est certes actionnaire minoritaire, mais sa voix peut encore porter pour que soit donnée une traduction concrète à de telles exigences.

Les cas de PSA ou de Sanofi sont sans doute emblématiques, mais il y a malheureusement bien d’autres exemples. Lorsqu’une grande entreprise engage un processus de réduction d’effectifs ou de fermeture de sites, la puissance publique est habilitée à exiger des contreparties bien plus substantielles.

Voilà qui plaide assurément pour que nous travaillions à accorder beaucoup plus de droits nouveaux d’intervention dans la gestion aux organisations syndicales et au personnel, notamment dans les secteurs industriels stratégiques.

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le constat est sévère : la part de la France dans les exportations mondiales ne cesse de se dégrader et notre pays se situe désormais au cinquième rang ; en quinze ans, notre balance commerciale est passée d’une situation d’excédents réguliers à une situation de déficits récurrents. En 2010, le déficit commercial a atteint 52 milliards d’euros et la part de la France sur le marché mondial est maintenant de 4 %, après avoir atteint 6 % au début des années quatre-vingt.

Dans ce contexte, madame la ministre, je salue le plan ambitieux que vous avez lancé le 17 septembre dernier et qui vise à remettre la balance commerciale de notre pays, hors énergie, à l’équilibre d’ici à 2017.

Dès lors, ma question concernant la stratégie de notre pays en matière de commerce extérieur est double.

Je m’interroge, tout d’abord, sur la fragmentation institutionnelle encore trop grande des organismes d’aide à l’exportation : UBIFRANCE, l’Agence française de développement, l’Union des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger, etc. Il est vrai qu’OSEO fait désormais partie de la Banque publique d’investissement, à côté du Fond stratégique d’investissement. Malgré tout, madame la ministre, ne pensez-vous pas que le millefeuille actuel des outils institutionnels est encore trop important ? Ne nous faudrait-il pas penser des structures ad hoc réactives et adopter une démarche partant des besoins du terrain ?

Je m’interroge, ensuite, sur l’exportation des technologies écologiques, domaine dans lequel notre pays pourrait exceller s’il s’en donnait les moyens.

Le gouvernement précédent avait lancé le label France Greentech et le plan stratégique Ecotech 2012, dans le sillage du Grenelle de l’environnement. Quelles sont les initiatives du gouvernement actuel pour promouvoir nos écoentreprises à l’exportation dans le domaine du développement durable, en particulier nos entreprises de taille intermédiaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Madame la sénatrice, vous avez évoqué la fragmentation de notre offre commerciale. C'est vrai pour le territoire national, mais aussi pour notre présence à l'étranger.

Vous êtes très attachée au développement de nos entreprises sur le territoire ; c'est bien tout le sens de ma mission. Je pense que la création de la Banque publique d'investissement va obliger tous les acteurs territoriaux à se positionner dans l'unité.

En effet, quel est notre problème, à nous, Français ? Individuellement, nous sommes relativement bons ; nous ne sommes pas toujours les meilleurs, mais nous avons des pôles d'excellence. En revanche, nous ne savons pas travailler ensemble. C’est à la lumière de ce constat que, hier, mon collègue Arnaud Montebourg et moi-même avons lancé la mission de réflexion « marque France », que je qualifie de « marque ombrelle ».

Il s’agit de promouvoir cette appellation au profit de la diversité de notre production, qui est souvent notre force dans nos régions et dans nos territoires. Il faut que l’ensemble des entreprises développent ensemble leur implantation à l’étranger, quelles que soient leur filière, leur famille de produits ou leur organisation institutionnelle.

Mme Nicole Bricq, ministre. Il faut que tout le monde trouve sa place, mais il faut agir ensemble, ce que nos concurrents font, à l’heure actuelle, bien mieux que nous.

Vous avez évoqué à juste titre les écotechnologies. Elles font partie des secteurs de produits d'excellence que j’encourage. Je pense notamment au secteur « mieux vivre en ville », qui recouvre la notion de ville durable, pour laquelle nous avons une offre très intéressante à promouvoir en ce qui concerne le transport de proximité ou l'efficacité énergétique. En Turquie, en Chine et ailleurs, ces besoins doivent être couverts et ces pays nous demandent notre contribution en la matière. La ville durable constitue d’ailleurs l’objet de mon déplacement prochain en Inde, où je vais me rendre avec le Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le fameux rapport Gallois énonce dans l’un de ses chapitres : « Devant le déficit de notre commerce extérieur, la progression de l’exportation est une priorité nationale. Notre indépendance et le niveau de vie des Français en dépendent. » Face à cette affirmation, le niveau de notre déficit en 2012, qui devrait baisser par rapport à 2011, apparaît néanmoins toujours comme une menace.

Nous le savons, cette réalité économique pèse très lourdement sur l’activité industrielle, donc sur le niveau de l’emploi dans notre pays. C’est pourquoi il n’y aura pas d’inversion de la courbe du chômage sans une action vigoureuse sur l’exportation.

À cet égard, je me félicite des premières orientations de votre politique, madame la ministre, que ce soient celles qui touchent au dispositif de financement à l’export ou encore à la simplification des procédures douanières.

Vous avez aussi décidé de définir quatre secteurs prioritaires relevant davantage du commerce courant et de sortir du seul prisme des grands contrats. J’espère toutefois que ces derniers bénéficieront de votre vigilance. Je pense en particulier à l’aéronautique.

Ce secteur représente une part non négligeable de nos exportations : les livraisons d’Airbus devraient notamment contribuer à l’amélioration de notre solde commercial de 2012. Or, selon une étude récente d’analyse prospective conduite par la direction du Trésor, le potentiel d’exportation du secteur aéronautique à l’horizon 2022 est relativement faible par rapport à celui d’autres secteurs.

Certes, les entreprises aéronautiques n’ont pas besoin du soutien direct de l’État, compte tenu de leur taille et de leur notoriété. Mais je m’inquiète des attaques spécifiques auxquelles elles peuvent être confrontées.

Au cours de l’été dernier, des responsables chinois ont indiqué à notre ministre des affaires étrangères, en visite en Chine, que leur pays comptait, à partir de sa chaîne d’assemblage d’Airbus de Tianjin, exporter des avions vers des pays tiers, exportations qui entreraient ainsi directement en concurrence avec nos propres exportations. Sur ce point, madame la ministre, avez-vous quelques éléments rassurants à nous communiquer ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Monsieur le sénateur, vous connaissez bien le sujet et vous savez que les grands contrats concernent essentiellement l'aéronautique, le nucléaire et le luxe.

Je disposerai des chiffres du commerce extérieur pour l'année 2012 le 7 février prochain, mais les informations dont je dispose concernant les onze premiers moins de l'année me font mesurer la part qu’occupe l'aéronautique, laquelle a effectivement permis à la France d’enregistrer des résultats moins mauvais qu’en 2011. La courbe du déficit ne s’inverse pas encore, mais le mouvement est amorcé. Ce n’est pas d'ailleurs forcément pour de bonnes raisons, car il faut aussi tenir compte du fait que nous importons moins. Nous devons donc faire en sorte que nos exportations augmentent à un rythme supérieur à celui de la baisse de nos importations.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Nicole Bricq, ministre. C'est mon challenge !

Nous avons besoin des grands contrats, derrière lesquels se trouve un tissu de PME très important. Je travaille avec le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, le GIFAS, pour aider ces PME équipementières de premier et deuxième rangs à être autonomes sur des marchés qu'elles peuvent prospecter grâce à la couverture que leur apporte le grand groupe.

Il en est de même dans le nucléaire. Lorsque je me rends en Chine pour visiter notre chantier de l'EPR, je rencontre les quatre-vingt-cinq PME et ETI qui travaillent dans la filière nucléaire et qui, parce qu'elles disposent du label des grands du secteur – EDF, AREVA, Alsthom –, sont à même de conquérir leur propre autonomie. Quand on sait faire de la robinetterie dans le nucléaire, on doit savoir en faire dans d’autres secteurs là où l'on est implanté !

Les grands groupes concourent donc à l'activité des PME de leur filière.

Cela étant, il ne faut pas faire de la Chine le bouc émissaire de nos difficultés. Dans le cadre d’une commission mixte avec nos partenaires chinois, nous avons abordé tous ces sujets dans un dialogue franc et direct. J'ai bien évidemment évoqué l'aéronautique et le problème que vous avez soulevé, monsieur le sénateur. Mais il faut savoir que, dans un avion, la valeur ajoutée chinoise représente seulement 7 % : le reste incombe aux Européens et notamment, bien sûr, aux Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin, pour la réplique.

M. Yvon Collin. Madame la ministre, je vous remercie de votre excellente réponse et je tiens ici à saluer votre détermination, votre volontarisme pour infléchir la courbe du solde de notre commerce extérieur, qui pose un véritable problème.

Je vous suis également reconnaissant de soutenir l'aéronautique. Nous savons que vous mesurez parfaitement l’importance de ce dossier, notamment dans le Sud-Ouest, la région de Toulouse, le Tarn-et-Garonne, département dont je suis l'élu et qui compte de nombreuses entreprises sous-traitantes, lesquelles forment des gisements d'emplois tout à fait essentiels.

J'ai parlé de la Chine, mais j'aurais très bien pu citer les États-Unis, qui, pendant longtemps, nous ont « taillé des croupières » avec des subventions déguisées, tout en critiquant les avances remboursables dont bénéficiait l'aéronautique européenne. Je sais, madame le ministre, que l’Union européenne discute actuellement d’un projet d’accord de libre-échange avec les États-Unis. J’espère qu’un tel accord mettra fin au dumping très bien caché auquel se livrent parfois les États-Unis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la part de marché de la France en matière d’exportations de produits manufacturés s’est effondrée entre 2000 et 2011, passant de 8,1 % à 4,7 %. Celle de l’Allemagne n’est passée que de 13,6 % à 11,5 % et notre voisin exporte deux fois plus que nous.

Tout aussi alarmante est la détérioration de notre solde extérieur courant, jadis en équilibre et aujourd’hui en déficit, contrairement à celui de l’Allemagne.

Nos exportations, qui représentent 27 % du PIB, seront notre seul vecteur de croissance en 2013, car les autres moteurs – consommation, dépenses publiques, investissement – sont en panne.

Afin de les renforcer, nous devons remédier à trois maux majeurs.

D’abord, notre présence est trop timide sur les marchés émergents. Ces pays ne sont destinataires que de 20 % de nos exportations. Notre présence en Chine ne représente que 3 %, alors que celle de l’Espagne est de 7 %, celle de l’Italie, 8 %.

Ensuite, notre tissu de PME exportatrices n’est pas assez étoffé. Leur nombre est passé de 120 000 à 95 000 en dix ans, alors qu'en Allemagne elles sont quatre fois plus nombreuses. En outre, 70 % de nos exportations sont réalisées par seulement 1 % des acteurs : Airbus, le secteur énergétique, l'agroalimentaire, le luxe, ainsi que vous venez de le rappeler, madame la ministre. Il faut donc absolument renforcer l'idée de travailler à l'export « en escadrille ». Par exemple, une grosse entreprise allemande qui s'installe à l'étranger est nécessairement entourée de tout un tissu de PME d'origine allemande.

Se pose enfin le problème de notre positionnement sur le marché. Notre modèle fiscal et social, qu’il n’est pas ici question de critiquer, pénalise notre compétitivité sur le bas de gamme.

Si l’aéronautique reste un domaine fort en matière d’exportations, le secteur de l’automobile a vu les siennes diminuer de 26 % en dix ans. En dehors du haut de gamme et du luxe, nous sommes donc très faibles à l’export.

Face à ce constat, madame la ministre, quelles mesures votre gouvernement entend-il prendre afin que la France puisse retrouver son rang au regard de la productivité internationale ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Monsieur Fouché, même si cela ne nous exempte pas d’agir – et c’est bien ce que je fais, avec le Gouvernement –, je veux d’abord relativiser votre propos en rappelant quelques faits.

S’il est vrai que la part de marché de la France a considérablement diminué en dix ans, il ne faut pas oublier que le marché mondial s’est considérablement étendu dans l’intervalle, notamment avec la montée en puissance des émergents, grands ou intermédiaires.

Vous avez raison, nous ne sommes pas assez présents dans les pays émergents, et c’est pourquoi je concentre mon action de court terme dans cette direction.

Nous savons que l’Europe est en difficulté et nous avons besoin de relais de croissance. Nous devons donc nous porter vers ces marchés plus lointains, qui sont certes difficiles, mais qui vont concentrer 80 % de la demande mondiale dans les dix années qui viennent.

Dans cette optique, j’ai structuré l’offre commerciale autour de quatre grandes familles : « mieux vivre en ville », « mieux se soigner » – l’économie du bien-être –, « mieux se nourrir » – c’est tout le domaine de l’agroalimentaire, du champ à l’assiette – et « mieux communiquer », cette dernière famille recouvrant des segments à très forte valeur ajoutée, telles les nouvelles technologies portant sur la sécurité numérique. Cette offre sera focalisée sur quarante-sept pays dans lesquels nous réorganisons en priorité notre présence, notamment celle de notre opérateur commercial.

Vous avez parlé des contraintes fiscales, monsieur le sénateur. Je voudrais quand même rappeler l’action du Gouvernement à cet égard. Le pacte de compétitivité contient des objectifs très précis dans mon champ de compétences. Outre que nous avons créé le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, qui représente 20 milliards d’euros pour les entreprises, nous avons stabilisé cinq dispositifs fiscaux, notamment le crédit d’impôt recherche, très profitable au tissu industriel français et très attractif pour les entreprises étrangères qui s’implantent en France et exportent à partir de la France.

Il nous faut aussi garder notre première place en attractivité pour les centres industriels et attirer les investissements étrangers en France, pour pouvoir ensuite produire et créer de l’emploi. Je vous rappelle que 1 milliard d’euros à l’export, c’est 10 000 emplois supplémentaires créés en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.

M. Alain Fouché. J’ai bien noté votre réponse, madame la ministre.

Je souhaite effectivement que des mesures soient prises, car je suis très inquiet, comme beaucoup de Français, sur l’avenir de l’industrie et, par conséquent, sur l’avenir d’un certain nombre de travailleurs.

Nous sommes vraiment confrontés à de grandes difficultés.

Quoi qu’il en soit, nos objectifs se rejoignent et je souhaite, madame la ministre, que vous engagiez les moyens nécessaires pour les atteindre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi fixe l’objectif d’un équilibre de la balance commerciale hors énergie pour 2017. C’est un objectif très ambitieux, qui représente 25 milliards d’euros supplémentaires à l’export et qui nécessite de revenir sur le démantèlement du service public de soutien à l’exportation mis en œuvre lors du précédent quinquennat, démantèlement dont nous voyons aujourd’hui les conséquences sur notre balance commerciale.

Dans cette optique, depuis votre arrivée au ministère du commerce extérieur, de nouveaux outils et de nouvelles orientations se mettent en place. Ainsi, un partenariat État-régions a été établi, reconnaissant les régions comme « pilotes de l’export ». On a également confié à la Banque publique d’investissement la mission d’assurer le financement de l’internationalisation de nos entreprises. En outre, la politique du chiffre d’UBIFRANCE a été abandonnée au profit d’un suivi plus qualitatif de l’accompagnement de nos entreprises. Enfin, un ciblage pays-secteurs a été élaboré, vous l’avez rappelé, madame la ministre.

Dans mon intervention de novembre 2011 sur le budget d’UBIFRANCE, je rappelais une grande part des critiques formulées tant par les acteurs de terrain que par la Cour des comptes sur l’orientation donnée à cet organisme par le gouvernement Fillon.

Je soulignais en particulier deux points.

Premièrement, il y a urgence à assurer une complémentarité totale entre les acteurs de terrain – les chambres de commerce françaises à l’étranger au premier chef, mais aussi nos communautés d’affaires – et l’ensemble des institutions françaises ayant l’ambition d’intervenir sur cette question – particulièrement UBIFRANCE et les missions économiques et commerciales –, qui doit jouer tant dans la définition des priorités que dans l’action de soutien aux entreprises.

Deuxièmement, en raison du déficit record de notre balance commerciale, tous les services de l’État doivent se mobiliser.

Dans beaucoup de pays, l’absence de mission économique et commerciale ou de mission UBIFRANCE fait que notre ambassade se retrouve seule pour l’accompagnement de nos entreprises. Dès lors, ne faudrait-il pas densifier géographiquement notre réseau UBIFRANCE pour mieux coller aux besoins et spécificités d’un grand nombre de pays, plutôt que de constituer de grands bureaux compétents sur de nombreux pays et dont les moyens peuvent faire double emploi avec ceux des chambres de commerce ?

Parfois, la structure de l’économie du pays cible, ses projets d’infrastructures ou l’absence d’expertise privée française locale, qu’il convient pourtant de favoriser, rendraient indispensable l’existence d’un service de soutien à l’export sur place.

Cette même préoccupation me conduit à vous interroger sur la complémentarité des rôles de vos services, des ambassadeurs et des plénipotentiaires du Gouvernement qui ont été nommés pour la Chine, l’Algérie ou la Russie, ou encore sur la complémentarité des rôles des conseillers du commerce extérieur et des conseils économiques annoncés par Laurent Fabius en août 2012.

Comment permettre au service public de l’export d’avoir une connaissance aussi fine que possible des opportunités qui s’offrent à nos entreprises et des moyens de les saisir ?

Comment mieux mobiliser les opérateurs français vivant à l’étranger au service de nos ambitions, sans que cela fasse doublon avec UBIFRANCE ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Comme moi, vous parcourez le monde, monsieur Leconte ; nous nous croisons d’ailleurs quelquefois.

UBIFRANCE, notre opérateur commercial, a pour mission d’aider nos PME et PMI à se projeter à l’étranger.

Avec Jean-Marc Ayrault, nous avons souhaité réorganiser la manière de travailler de cet organisme, en nous gardant de toute réforme de structure qui nous aurait emmenés trop loin et aurait pris trop de temps.

En revanche, nous avons décidé qu’UBIFRANCE, plutôt que de faire du quantitatif, ferait du qualitatif, en accompagnant dans la durée, sur trois ans, 1 000 PME innovantes et ETI indépendantes chaque année. Croyez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un vrai challenge !

La semaine dernière, UBIFRANCE m’a présenté son plan de montée en charge : 250 entreprises en 2013, 600 en 2014 et 1 000 en 2015. Je ne doute pas que ces objectifs seront atteints.

De la même manière, nous avons décidé d’augmenter le nombre de volontaires internationaux en entreprise, ces jeunes qui partent à l’étranger au service d’une PME ou d’un grand groupe, et qui sont parfois aidés, pour partie, par les régions. J’en profite pour rendre hommage à l’action de ces collectivités : quand elles s’impliquent, elles le font très bien ; il faut simplement qu’elles le fassent encore davantage !

Ces jeunes sont actuellement 7 400 et nous souhaitons, en trois ans, porter leur nombre à 9 000. Là encore, c’est un vrai challenge, qui doit mobiliser tout le monde, grands groupes comme petites entreprises. Et les grands groupes doivent aider les plus petites entreprises à bénéficier elles aussi de l’apport que représentent ces volontaires.

Vous avez également évoqué la présence des services de l’État à l’étranger. Quand on dit aux représentants d’UBIFRANCE : vous devez aller au Kenya, parce que c’est un pays porteur, qui fait partie de la liste des quarante-sept, ils s’implantent dans ce pays. Quand on leur dit : vous devez très vite prendre place en Birmanie, car la concurrence y est déjà implantée, ils le font. Cela impose des redéploiements, car je vous rappelle que nous sommes soumis, comme les autres, aux contraintes des finances publiques, qui imposent de faire des économies. Cela nous oblige à être meilleurs.

Quant aux chargés de mission nommés par mon collègue ministre des affaires étrangères, ils font partie de la panoplie de la diplomatie économique. J’y vois, en priorité, une aide au commerce extérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Je salue la mobilisation et les réorientations qui sont annoncées, de même que le renforcement du rôle de l’État à l’export.

Je salue aussi la réflexion sur les normes, un outil très important pour arriver à exporter.

Il me semble qu’une réflexion sur les marchés publics à l’exportation mériterait aussi d’être menée.

En vérité, c’est une véritable révolution culturelle que nous devons opérer pour remettre l’industrie au cœur de notre économie. C’est un véritable projet de société, qui dépasse la simple relance de nos exportations.

Parce qu’il n’y aura pas d’exportation sans production, et parce que, à terme, il n’y aura pas non plus d’emplois ni de civilisation sans production, il faut remettre la production au centre de l’économie.

Madame la ministre, vous êtes au premier rang pour accomplir cette révolution culturelle.

Mme la présidente. La parole est à M. André Ferrand.

M. André Ferrand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me réjouir de l’organisation, aujourd’hui au Sénat, d’une séance tout entière consacrée au commerce extérieur.

Notre pays n’a en effet que trop rarement pris conscience de la très grande importance du sujet !

Je voudrais ensuite vous adresser, personnellement, chère ancienne collègue et rapporteur générale du budget, mes compliments et encouragements. Nous apprécions votre saine estimation de la gravité de la situation, votre volontarisme affiché – et au demeurant bien réel, je le crois –, ainsi que votre volonté de mobiliser tous les acteurs des secteurs public et privé, en France comme à l’étranger, pour les faire agir collectivement. J’ai lu avec une attention particulière la feuille de route que vous avez adressée aux conseillers du commerce extérieur de la France.

Cependant, madame la ministre, permettez-moi aussi de regretter que tous les membres du Gouvernement n’aient pas la même conscience de la gravité de la situation.

Si c’était le cas, les priorités seraient différentes et vous ne seriez pas privée, dans votre action, de l’apport si précieux de beaucoup d’entrepreneurs que nous voyons avec grande tristesse partir à l’étranger, où ils créent ces richesses et ces emplois dont nous avons tant besoin.

Quand la maison brûle, n’y a-t-il pas mieux à faire pour notre pays que d’occuper la scène médiatique et parlementaire avec des sujets dont l’urgence est pour le moins discutable ?

Mais je reviens à votre mission. On ne peut qu’approuver et soutenir les priorités que vous avez affichées dans votre plan d’action. Il reste à les mettre en œuvre. D’où mes trois questions.

Comment, concrètement, obtenir enfin un jeu collectif qui impliquerait tous les acteurs ? Je n’ose pas parler d’équipe de France, car je crois avoir compris que vous préfériez d’autres expressions… (Sourires.)

J’espère vivement que l’expérience du « comité Asie », que vous avez installé avec votre collègue Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l’agroalimentaire, sera un tel succès que ce comité pourra servir de modèle.

Ma deuxième question a trait à l’articulation entre l’aval du processus, c’est-à-dire notre dispositif à l’étranger, et l’amont, c’est-à-dire, en France, les secteurs ou filières professionnelles et les régions.

À supposer que, en aval, un dispositif très performant permette d’identifier des marchés prometteurs, comment s’assurer que les acteurs français de la filière sont bien informés et réagissent efficacement. Ensuite, s’il faut effectivement mobiliser les régions, comment articuler la connexion entre filières et régions ?

Avec votre autorisation, madame la présidente, je poserai très rapidement ma troisième et dernière question, car je m’aperçois que j’ai dépassé mon temps de parole.

Mme la présidente. J’allais vous le dire, mon cher collègue !

M. André Ferrand. Il me semble que chacun s’accorde sur le fait que, à l’étranger, l’ambassadeur doit avoir la responsabilité de coordonner l’action et d’assurer la nécessaire synergie entre tous les acteurs.

Que pensez-vous, dès lors, de l’idée d’une cosignature par vous-même et le ministre des affaires étrangères de la partie économique des lettres de mission de nos ambassadeurs ?

M. Jean-Pierre Sueur. Bonne question !

M. André Ferrand. Quoi qu’il en soit, madame la ministre, je vous souhaite de réussir, car il y va de l’intérêt supérieur de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Monsieur Ferrand, vous avez en fait, en un temps record, posé quatre questions et formulé une suggestion. (Sourires.)

Pour ce qui est de cette dernière, je vous fais confiance ! (Sourires.) Je pense l’avoir expliqué tout à l'heure, en matière de diplomatie économique, sur le plan opérationnel et de manière très concrète, c’est moi qui suis l’animatrice sur le terrain.

Vous avez évoqué les chiffres du commerce extérieur. J’ai pour habitude de dire qu’il s’agit là du véritable juge de paix de nos faiblesses. Or il est clair que, de ce point de vue, la situation actuelle n’est pas du tout satisfaisante.

Mais le tocsin de l’année 2011 a tout de même permis de mobiliser les énergies. J’ai déjà assisté à onze réunions dans onze régions différentes, je me rends partout à l’étranger et, à chaque déplacement, je vois des entrepreneurs et des personnels extrêmement mobilisés. Je constate aussi qu’il y a tout de même des secteurs qui marchent : nous devons nous appuyer sur eux comme sur des leviers afin d’être plus efficaces à court terme.

Je l’ai dit, il nous faut jouer collectif. Vous savez que je me méfie des grandes formules, et notamment de celles qui font référence à l’équipe de France de football, qui n’a pas toujours donné le meilleur exemple par le passé. Le match France-Allemagne aura lieu très bientôt : attendons le résultat ! (Nouveaux sourires.)

Au-delà des formules, je souhaite que l’on soit plus opérationnel, que l’on avance groupé. Voilà qui est clair ! Chaque filière, quelle que soit sa taille – grande, moyenne, petite –, doit avancer de manière groupée, notamment en matière d’offre commerciale.

C’est pour cette raison que j’ai défini quatre familles correspondant à quarante-sept pays qui vont assurer 80 % de la demande mondiale. Cela ne signifie pas qu’il faille laisser tomber l’Europe, c’est évident. En Europe, les parts de marché valent très cher. C’est aussi ce qui explique que nos principaux partenaires européens soient souvent nos principaux concurrents à l’étranger. Nous devons donc, pour être plus efficaces, déployer notre intelligence économique de manière plus collective.

Je finirai par là où j’ai commencé : il me semble que le commerce extérieur est devenu une priorité pour ce gouvernement. Dès le mois d’août, le Premier ministre a repris à son compte la stratégie que je lui ai proposée. Ce qui a été fait au travers du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi en témoigne. En effet, ce pacte ne se limite pas au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi : il comporte aussi tout un volet sur la modernisation de l’action publique. Soyez attentifs, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce volet.

Je pense que nous arriverons – le Premier ministre y tient – à ce que la modernisation de l’action publique constitue enfin la véritable réforme de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – M. André Ferrand et Mme Christiane Kammermann applaudissent également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur le commerce extérieur.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la biologie médicale
Discussion générale (suite)

Réforme de la biologie médicale

Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale, présentée par M. Jacky Le Menn et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 243, texte de la commission n° 278, rapport n° 277).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacky Le Menn, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la biologie médicale
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. Jacky Le Menn, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi déposée par les membres du groupe socialiste est, en quatre ans, le cinquième texte dont l’examen amène le Sénat à se pencher sur l’avenir de la biologie médicale. Elle fait suite à la proposition de loi de Valérie Boyer et Jean-Luc Préel, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale voilà un an, le 26 janvier 2012. Comme cette dernière, le présent est exclusivement consacré à cette question.

Le souhait de voir ratifier l’ordonnance du 13 janvier 2010, qui s’applique depuis trois ans, est partagé de façon quasi unanime dans la profession et largement transpartisan.

Le texte qui nous est soumis reprend plusieurs dispositions de la proposition de loi Boyer-Préel tout en se rapprochant des positions du Sénat, notamment pour ce qui concerne l’interdiction des « ristournes ». Il a été élaboré en étroite concertation avec des collègues députés particulièrement impliqués en la matière. Un large processus de concertation avec les professionnels publics et privés et d’auditions a été mené pendant plusieurs mois.

L’objet de la présente proposition de loi est à la fois restreint et ambitieux. Il s’agit de garantir la sécurité des examens par l’accréditation et de limiter la financiarisation du secteur libéral, dont les bénéfices attirent des investisseurs extérieurs aux professions de santé.

Quelle que soit la qualité des professionnels qui exercent dans les laboratoires de biologie médicale, leur infaillibilité n’est pas plus démontrée que celle des autres professionnels de santé. Or le nombre d’actes de biologie médicale augmente de façon constante depuis 1998. Il faut donc garantir aux patients que les examens qu’ils subissent seront pratiqués d’une manière telle que les diagnostics et traitements prescrits sur leur fondement soient adaptés à leur pathologie.

Le système de contrôle antérieur à l’ordonnance précitée comportait des limites importantes. En moyenne, et selon les départements, un laboratoire ne faisait l’objet d’une visite d’inspection que tous les vingt ou quarante ans, ce qui ne permettait pas de garantir aux patients la qualité des examens. Or, malgré ce très petit nombre d’inspections, en France, sur un total d’environ 4 000 laboratoires de biologie médicale privés, dix à quinze sont fermés chaque année par les autorités sanitaires. On peut donc craindre que des laboratoires n’offrant pas toutes les garanties de qualité ne soient encore en exercice.

Par ailleurs, le renouvellement constant des technologies impose un effort continu de formation et d’adaptation de la part des laboratoires et des investissements lourds en capital.

À ces éléments s’ajoute le fait que la biologie médicale est particulièrement présente sur notre territoire : près de 10 500 biologistes, soit 16,5 pour 100 000 habitants, alors que la moyenne communautaire est de 5,8.

À la suite d’un rapport particulièrement sévère de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, de 2006, les pouvoirs publics ont confié à Michel Ballereau, conseiller général des établissements de santé, l’élaboration d’une réforme du secteur. Celle-ci, conduite en 2010, s’est appuyée sur plusieurs constats dressés dans le rapport qu’il a remis à la ministre de la santé de l’époque.

Il a tout d’abord été relevé que certains laboratoires de biologie médicale avaient une activité trop faible pour pouvoir s’adapter aux techniques d’analyse les plus modernes et qu’ils présentaient le plus grand nombre de défauts au contrôle national de qualité.

Il a toutefois été observé qu’il était nécessaire de lutter contre les situations monopolistiques, notamment en raison des risques qu’elles font peser sur l’organisation de l’offre de soins.

Le rapport constatait enfin qu’il fallait opérer un choix entre une biologie analytique, plus coûteuse et de moindre efficacité pour les patients, et une biologie médicale, davantage attachée à la fiabilité des examens et à l’efficience des pratiques. C’est cette dernière voie qui a été retenue dans la présente proposition de loi, dans la ligne de l’ordonnance de 2010.

Ce que l’on appelle généralement la « médicalisation » de la biologie médicale découle d’une double volonté : d’une part, garantir le plus haut niveau de qualité pour les examens, quelle que soit la structure publique ou privée qui les pratique ; d’autre part, limiter la possibilité pour des investisseurs, légitimement motivés d’abord par le taux de retour sur leur capital, de contrôler cette activité de plus en plus importante en volume.

La médicalisation doit néanmoins être appréciée dans le cadre du droit européen. En effet, les limites posées par le législateur à l’ouverture des cabinets de biologie médicale posent un problème au regard des principes de liberté d’installation et de prestation qui sont aux fondements du droit de l’Union européenne. Ainsi, la Commission européenne n’est pas habilitée à se prononcer sur l’opportunité du choix par un État membre de réserver l’exercice de certaines activités aux professions de santé. En revanche, elle peut exiger que cette restriction ne soit pas une entrave déguisée au droit de la concurrence.

Si la France ne se conformait pas aux exigences du droit de l’Union européenne et ne parvenait pas à justifier les restrictions qu’elle apporte à l’installation de laboratoires par des motifs de santé publique, elle pourrait se voir contrainte par la Cour de justice de l’Union européenne d’ouvrir la biologie médicale à la concurrence.

J’en viens au contenu de la proposition de loi tel qu’il a été modifié par la commission des affaires sociales.

L’ordonnance du 13 janvier 2010 s’applique depuis sa publication. Toutefois, tant qu’elle n’a pas été ratifiée, ses dispositions législatives sont susceptibles d’un recours devant le Conseil d’État. De fait, l’ordre des médecins, qui s’opposait à l’accréditation obligatoire, a déféré l’ordonnance devant le juge administratif qui n’a annulé qu’une seule de ses dispositions, jugée inintelligible. Dès lors, la stabilité juridique du dispositif peut être considérée comme largement acquise.

Il convient cependant de noter que, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, une mesure réglementaire prise sur le fondement de cette ordonnance mais contraire au droit européen reste susceptible d’annulation par le juge administratif.

Néanmoins, la ratification explicite de l’ordonnance est considérée par la profession comme une garantie de l’engagement des pouvoirs publics dans la réforme. C’est l’objet de l’article 1er de la présente proposition de loi.

La qualité des soins est la finalité fondamentale de la proposition de loi. Elle dépend de l’accréditation. La commission des affaires sociales a choisi de rétablir l’objectif d’une accréditation à 100 % en 2020.

Je considère que la mise en place de paliers imposant progressivement un taux d’accréditation de plus en plus élevé est nécessaire à la création d’un mouvement qui changera les mentalités en même temps que les pratiques dans les laboratoires. Cette évolution passera successivement par un palier d’accréditation à 50 % en 2016 et à 80 % en 2018, pour aboutir à un taux d’accréditation à 100 % en 2020. Ainsi que nous l’ont affirmé les chercheurs, ce mouvement n’entravera nullement l’innovation puisque celle-ci est prise en compte dans les procédures d’accréditation.

Je n’en suis pas moins conscient des problèmes spécifiques qui se posent pour la biologie spécialisée, par exemple dans le cadre de la recherche en génétique. Compte tenu de l’évolution très rapide des techniques dans ces domaines de pointe, les équipes de recherche n’ont parfois pas matériellement le temps de s’engager dans l’accréditation de procédures en constante évolution. J’attire donc l’attention de vos services, madame la ministre, ainsi que ceux de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur ces enjeux très particuliers.

Toute accréditation est conduite sous l’égide du Comité français d’accréditation, le COFRAC, qui est chargé d’une mission de service public et dispose d’un monopole national pour son action. En pratique, ce sont les pairs qui conduisent les accréditations et contrôlent la conformité des équipements et des pratiques à la norme définie par l’Association française des normes. On ne peut donc affirmer que le niveau de contrainte serait sans lien avec la pratique quotidienne et la réalité des procédures, car ce sont des praticiens de terrain qui exercent à temps partiel la fonction d’accréditeur.

J’insiste sur le fait que l’accréditation ne se substitue pas au contrôle que doivent exercer les agences régionales de santé, les ARS, sur les laboratoires. Madame la ministre, peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions sur les moyens, notamment informatiques, qui seront mis à leur disposition pour exercer cette mission.

Par ailleurs, je ne pense pas que le choix du mode de garantie de la qualité des examens de biologie médicale recouvre une volonté de regroupement du secteur. Le regroupement des entités qui détiennent les laboratoires et la fermeture des sites des laboratoires de biologie médicale sont en effet deux choses différentes. L’obligation de concentration imposée par les appareils et leurs coûts est contrebalancée par deux éléments. D’abord, la pratique ancienne des industriels du secteur est de prêter les appareils aux laboratoires afin de vendre les consommables. Surtout, rien n’empêche des biologistes d’ouvrir, dans le respect des règles d’implantation, de nouveaux laboratoires accrédités utilisant des technologies plus compactes.

Des questions se posent néanmoins relativement au coût de l’accréditation. D’après la direction générale de la santé, celui-ci représenterait 1 % à 2 % du chiffre d’affaires ; l’ordre des médecins, dont nous avons auditionné des représentants, l’évalue plutôt au double. Ce débat et celui qui porte sur la nature juridique du COFRAC – ce comité est une simple association – m’ont conduit à demander à la commission des affaires sociales d’inscrire l’accréditation en santé humaine parmi les sujets dont elle confie l’examen à la Cour des comptes. Plusieurs amendements ont par ailleurs été déposés, et nous attendons des précisions du Gouvernement sur ce point.

Le refus de la financiarisation de la profession constitue la seconde priorité de la proposition de loi. Sans porter de jugement sur l’éthique des entreprises d’actionnaires détenant plusieurs laboratoires, l’indépendance des biologistes de laboratoire est mieux garantie par la possibilité pour eux d’acquérir une fraction, voire la totalité du laboratoire dans lequel ils travaillent. C’est le cas pour 85 % des laboratoires, et cette proportion devrait rester stable ou augmenter du fait de l’application des dispositions des articles 8 et 9 de la proposition de loi, qui limitent les formes juridiques que sont susceptibles de prendre les laboratoires de biologie médicale.

Plusieurs professionnels libéraux s’inquiètent des possibilités de contournement des restrictions qui seraient imposées par le législateur. Je considère cependant qu’il convient de ne pas rendre trop complexes les normes applicables à l’exercice libéral de la profession, sous peine d’augmenter le nombre de contentieux et, surtout, de risquer une condamnation sur le fondement du droit européen de la concurrence. Une telle condamnation priverait en effet les biologistes de toute protection.

De plus, conformément à la position constante du Sénat, l’article 5 de la proposition de loi interdit, en dehors du cadre des contrats de coopération passés entre laboratoires, de déroger au prix réglementé des actes, et donc de pratiquer des tarifs inférieurs, communément appelés « ristournes ». Il convient de noter que l’interdiction porte également sur la pratique des dépassements d’honoraires.

La proposition de loi traite également, à son article 6, de la question du recrutement de personnels enseignants et hospitaliers universitaires non titulaires du DES – diplôme d’études spécialisées – de biologie médicale. La position adoptée par la commission des affaires sociales est une position de compromis, qui permet de concilier les préoccupations des biologistes hospitaliers et des doyens de faculté, et qui ne saurait être remise en cause sans compromettre cet équilibre.

Il m’est apparu qu’un accès dérogatoire à ces postes était rendu nécessaire par les impératifs des activités spécifiques de soins, de recherche et d’enseignement des CHU. Le DES de biologie médicale permet en effet de former des biologistes généralistes compétents, mais ne forme pas spécifiquement aux surspécialités sur lesquelles repose la biologie médicale hospitalo-universitaire, telles que la biochimie-biologie moléculaire, la parasitologie ou encore l’immunologie. Il est donc crucial d’ouvrir les équipes hospitalo-universitaires à des personnels ayant une double compétence dans les spécialités cliniques et dans les surspécialités considérées, tant pour assurer la dimension médicale de l’enseignement en DES de biologie médicale que pour préserver la qualité des soins en CHU.

Il ne s’agit pas pour autant d’ouvrir ces postes à l’ensemble des scientifiques ; car cette demande nous a été faite. Seuls des médecins ou pharmaciens pourront y accéder, conformément à l’objectif de médicalisation qui guide cette proposition de loi, et ils ne pourront exercer que dans leur surspécialité.

Un dernier point me semble important. La réforme de 2010 impose les mêmes obligations aux secteurs public et privé. L’accréditation s’impose à tous et à tous les actes de biologie, ce qui signifie que les laboratoires hospitaliers ne disposent pas d’une présomption de conformité. Je note d’ailleurs que les laboratoires des hôpitaux publics sont en cours de restructuration rapide et qu’ils se sont pleinement engagés dans le processus d’accréditation. On peut néanmoins regretter que le dialogue entre secteurs public et privé reste difficile et marqué par le soupçon réciproque d’une volonté d’expansion.

Dans l’ensemble, l’ordonnance de 2010 est, malgré ses défauts, porteuse d’un renouveau de la biologie médicale, auquel nous pouvons tous adhérer et qui doit maintenant être consacré par la loi. J’estime que, après trois ans de débats, la procédure accélérée prend tout son sens, et je suis convaincu que nous parviendrons, au plus tard en commission mixte paritaire, à trouver une rédaction qui pourra être largement adoptée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales – je ne suis pas habituée à voir tant de présidentes ! (Sourires.) –, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a excellemment souligné M. le rapporteur, ce texte s’inscrit dans le prolongement de la proposition de loi de Valérie Boyer et Jean-Luc Préel. Celle-ci avait été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, après qu’une grande partie des amendements déposés par l’opposition de l’époque, c'est-à-dire par le groupe socialiste, républicain et citoyen, eut été adoptée.

Nous sommes aujourd'hui dans une situation nouvelle, pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas. C’est donc un nouveau texte qui vous est présenté par Jacky Le Menn, au nom de son groupe. Je tiens à saluer le travail effectué en lien avec l’Assemblée nationale pour que nous puissions avancer rapidement sur un sujet qui appelle des décisions.

Si le Gouvernement fait le choix de soutenir très clairement et très fortement cette proposition de loi, c’est parce qu’il nous revient aujourd’hui de tout mettre en œuvre pour permettre à la biologie médicale française de relever le double défi de la qualité et de l’efficience. Je souhaite que ces défis importants donnent lieu à des débats constructifs dans cet hémicycle, afin que nous avancions de manière collective et aussi consensuelle que possible.

La première de nos priorités est d’assurer la qualité des examens en biologie médicale. Nous savons évidemment qu’un résultat fiable est indispensable pour garantir un bon diagnostic et un traitement adapté.

Le développement des connaissances scientifiques a donné à la biologie médicale une place centrale dans le parcours de soins du patient. Le texte que nous examinons aujourd'hui prend la mesure de la diversité de la biologie médicale française. Il faut rappeler que, en ville et à l’hôpital, elle détermine plus de trois diagnostics sur cinq. Les biologistes médicaux jouent un rôle pivot : ils sont quotidiennement au contact de millions de Français et assurent la qualité de leur prise en charge. Ils sont également en relation étroite avec l’ensemble des professionnels de santé.

Or ce secteur connaît une profonde mutation, du fait notamment – mais pas exclusivement – des progrès techniques qui ont, ces dernières années, transformé la pratique de cette profession. La médecine s’est technicisée et la biologie s’est automatisée. Ces évolutions imposent à la fois une formation permanente des professionnels et de lourds investissements financiers, qui ne sont pas sans poser un certain nombre de difficultés.

Dans le même temps, le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques, la complexité des diagnostics médicaux et, il faut bien le dire, le niveau d’exigence croissant des patients – on peut le comprendre –, ont considérablement modifié l’exercice de ce métier.

Pourtant, comme cela a été rappelé, depuis 1975, le secteur n’a connu aucune réforme ambitieuse, lui permettant de faire face à ces nouveaux enjeux. Cela signifie que, pendant presque quarante ans, la profession a été confrontée à des changements importants des techniques et des pratiques médicales – l’évolution s’est même accélérée ces dernières années – sans pour autant être réorganisée. Nous devons donc poursuivre la réorganisation du secteur de la biologie médicale si nous voulons garantir la qualité des soins.

Ces dernières années, plusieurs rapports ont mis en évidence de graves défauts de qualité et insisté sur la nécessité d’une nouvelle structuration du secteur. Un rapport de l’IGAS sur la biologie médicale publié en 2006 indiquait ainsi que la moitié des laboratoires de biologie médicale de notre pays n’étaient pas en mesure de « remplir les conditions de qualité » dues à chaque patient. Certains d’entre eux présenteraient même un fonctionnement à risque.

Nous devons aujourd'hui garantir la qualité des analyses et des examens. C’est un enjeu de sécurité sanitaire, car la qualité, c’est la juste prescription. On voit bien, à suivre les débats qui traversent notre pays, que nos concitoyens sont, à juste titre, particulièrement sensibles à tout ce qui touche à leur sécurité sanitaire.

Il nous faut donc mettre en place un dispositif qui garantisse la sécurité de nos concitoyens : c’est tout le sens de l’accréditation, qui permettra de s’assurer de la fiabilité des résultats, quel que soit l’examen pratiqué et quel que soit le laboratoire qui le pratique.

Vous avez également rappelé, monsieur le rapporteur, que l’accréditation ne devait pas se substituer aux contrôles effectués par les ARS. Je peux vous assurer que je veillerai à la mise en œuvre de cette double démarche.

Le renforcement de la médicalisation de la biologie médicale vise, lui aussi, à garantir le plus haut niveau de qualité des examens. L’ordonnance du 13 janvier 2010 a fait le choix de réserver la pratique de la biologie médicale aux seuls médecins et pharmaciens ayant suivi une formation spécifique au cours de leurs études. Le biologiste médical, médecin ou pharmacien spécialisé en biologie médicale, acquiert ainsi une responsabilité à part entière : il devient le garant de la qualité des résultats.

Garantir cette qualité, c’est aussi s’assurer que chaque patient a accès à ses résultats dans des délais raisonnables, et le plus rapidement possible en cas d’urgence. C’est pourquoi la loi prévoit déjà que les résultats doivent être rendus au prescripteur et au patient « dans un délai compatible avec l’état de l’art ». Ils doivent être fiables et interprétés biologiquement en des termes compréhensibles et clairs.

Le second défi que nous devons relever est celui de l’efficience du secteur de la biologie médicale. Ses modèles économique et juridique constituent aujourd’hui un frein au progrès.

Il nous revient donc de préparer l’avenir en offrant aux laboratoires les moyens de se réorganiser, de diminuer leurs coûts et d’investir. Nous devons tout mettre en œuvre pour ne prendre aucun retard technologique et pour assurer la qualité des examens.

La modernisation de notre système de soins commence par sa réorganisation, laquelle permettra aux laboratoires d’investir dans des outils de haut niveau, donc de gagner en efficience, de dégager des économies et, aussi, de maîtriser, il faut le dire, les dépenses de santé.

Je le répète, ce n’est pas parce que nous dépenserons plus que la qualité des soins s’en trouvera améliorée. Quels que soient le niveau et l’évolution des dépenses en matière de santé, nous devons évidemment faire en sorte que celles-ci soient justes et appropriées, et que leur correspondent des soins de qualité pour nos concitoyens.

Ce texte a pour objet d’accompagner un mouvement qui a déjà été engagé. En effet, si cette proposition de loi est adoptée, les laboratoires de biologie médicale gagneront en souplesse d’organisation. Ainsi, ils pourront être « multisites » et se réorganiser sans heurt. La nouvelle réglementation a déjà largement contribué à soulager les budgets hospitaliers.

Les objectifs visés par la réorganisation de la biologie médicale sont donc l’amélioration de l’efficience du système et celle de la qualité du service rendu aux cliniciens, donc aux patients.

Enfin, nous devons garantir le maintien d’une offre en biologie médicale dans tous nos territoires. Telle est bien l’ambition de ce texte, qui vise notamment à préserver la biologie médicale des abus de la financiarisation et à empêcher la constitution de monopoles.

Le maillage de notre territoire est aujourd’hui bien assuré par l’existence de nombreux établissements de proximité. Il s’agit d’un atout, auquel les citoyens français sont attachés, comme ils le sont à une offre de soins de proximité. Nous devons donc préserver ce maillage, car c’est le seul moyen de garantir l’accès aux examens biologiques à l’ensemble de la population, quel que soit son lieu d’habitation.

À travers les schémas régionaux d’organisation des soins, les SROS, les agences régionales de santé, les ARS, s’attachent à répondre aux besoins de santé de nos concitoyens. Elles auront pour mission de maintenir une offre adaptée en biologie médicale dans chaque territoire. Il s’agit d’un point important, qui doit être explicitement intégré dans les SROS, car c’est précisément à l’échelle des territoires que nous pouvons lutter efficacement contre les inégalités sociales et territoriales de santé, lesquelles, nous le savons bien, sont intimement liées.

Ce qui est vrai pour l’offre de soins en termes médicaux doit l’être aussi pour la biologie médicale. En effet, on ne peut pas concevoir une offre de soins complète dans un territoire sans accès à une biologie de qualité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la volonté de ratifier l’ordonnance de 2010 est aujourd’hui quasi unanime et dépasse largement les clivages politiques et partisans. Nous devons envoyer un message fort pour mettre un terme à toute forme d’insécurité juridique et garantir la qualité et l’efficience de la biologie médicale française.

C’est pourquoi je vous appelle tous à un débat constructif, dans l’intérêt des patients. Je souhaite que, par-delà les clivages partisans, nous aboutissions, comme cela avait été le cas à l’Assemblée nationale sous la précédente législature, à un texte commun. Il y va de la sécurité sanitaire de nos concitoyens et de leur égalité face à l’offre de soins dans toute sa diversité.

Je remercie M. le rapporteur et les membres de la commission des affaires sociales, mais aussi tous ceux d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui se sont fortement impliqués. J’espère que nous pourrons, collectivement, faire œuvre utile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, d’emblée, je dois saluer Jacky Le Menn : il a le mérite d’avoir déposé cette proposition de loi qui vise à mettre un terme à une situation confuse et à un fiasco législatif suscitant l’amertume de toute la profession.

En proposant la ratification de l’ordonnance du 13 janvier 2010, il a aussi apporté des modifications substantielles, qui, je l’espère, subsisteront, pour « remédicaliser » une frange importante du parcours de soins laissée à la merci de puissants groupes financiers ayant trouvé là matière à profit.

Cependant, je regrette une certaine retenue sur des points essentiels, retenue qui risque d’empêcher le texte d’atteindre complètement son objectif, lequel est, à mon sens, de rendre à la profession de biologiste médical la maîtrise de sa pratique dans l’intérêt du patient, et de lui seul.

Depuis le rapport Ballereau de 2008, qui préconisait une réforme de la biologie médicale, cette question est revenue pas moins de cinq fois dans les débats législatifs. Elle a en effet été abordée lors de l’examen de la loi HPST ; de la loi relative à la bioéthique, à l’occasion de laquelle certains ont tenté d’abroger l’ordonnance prise par le gouvernement d’alors ; de la loi relative aux activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur, lorsqu’il a été question de permettre aux personnels enseignants et hospitaliers des CHU non titulaires de la formation qualifiante d’exercer dans ces centres comme biologistes médicaux et d’assumer la responsabilité des pôles de laboratoires ; de la loi Fourcade, partiellement annulée par le Conseil constitutionnel ; enfin, de la loi Boyer, adoptée à l’Assemblée nationale en janvier 2012.

Il n’est pas superflu de mettre un terme à ces tribulations, car il y a urgence ! Trente-huit ans après la réforme de la loi du 11 juillet 1975 et près de vingt ans après l’instauration des sociétés d’exercice libéral, la biologie médicale a, en effet, considérablement évolué, en ce qui concerne tant son rôle dans le parcours de soins que sa pratique, transformée par l’automatisation et l’informatisation.

Malheureusement, ces changements ayant nécessité de gros investissements de la part des laboratoires, elle a aussi vu l’arrivée de groupes financiers, plus intéressés par la rentabilité d’une nomenclature des actes peu évolutive.

L’enjeu de ce texte devrait être la réaffirmation de l’indépendance des professionnels par rapport aux pratiques, la préservation d’un maillage territorial qui s’est considérablement restreint depuis quelques années, du fait de regroupements sous la mainmise de groupes financiers opérant à coup d’offres de rachat à des biologistes en fin de carrière désirant, très légitimement, rentabiliser leurs investissements.

Sur ce point, je dois dire que les craintes que l’on peut avoir pour l’avenir ne concernent pas les seuls laboratoires de biologie, mais l’ensemble du secteur de la santé. Il n’est qu’à voir ce qui se passe pour les cliniques, les maisons de retraite, les maisons de santé, les cabinets dentaires, les officines, détenus par des puissances financières, qu’elles soient privées, spéculatives ou non, ou mutualistes.

Pour les uns et les autres, les soucis de rentabilité ou, simplement, d’équilibre budgétaire conduisent à des mesures qui ne prennent pas toujours en considération l’intérêt du patient. Dans le domaine de la biologie médicale, cela se traduit par des fermetures le week-end, des résultats d’examens différés, le regroupement des prélèvements, etc.

Les professionnels de santé ayant fait le choix consenti de l’exercice libéral – avec ses obligations, ses contraintes, ses emplois du temps surchargés, mais aussi ses satisfactions résultant du contrat singulier entre le malade et le soignant, qui fait la grandeur et la qualité de la médecine française – se voient dépouillés de ce que certains ont appelé leur toute-puissance et se trouvent aujourd’hui soumis à des contraintes qui ne riment pas forcément avec qualité et écoute du malade. C’est en particulier le cas pour les jeunes biologistes sous contrat précaire et licenciables à merci.

Je crains que notre texte ne puisse empêcher cette évolution, qui, si l’on n’y prend garde, conduira à la disparition des laboratoires indépendants et de proximité – là où ils existent encore… –, au profit d’une concentration de l’activité sur des plateaux techniques éloignés des territoires ruraux.

La proposition de loi vise à remédier au problème des biologistes médicaux en situation ultra-minoritaire dans les sociétés d’exercice libéral, mais je doute, au vu du dernier amendement déposé par Mme la ministre, voilà quelques heures, qu’elle y parvienne…

Il s’agirait pourtant d’une importante avancée, même si le texte présentait quelques failles, notamment pour assurer la transmission intergénérationnelle, très aléatoire en l’état.

S’agissant de l’accréditation, à laquelle je suis bien évidemment favorable, il faut, à mon sens, éviter une marche forcée, coûteuse, qui risque de placer les laboratoires indépendants dans l’obligation de renoncer. Nombreux sont les cas qui nous sont signalés de biologistes qui, à l’évidence, vont baisser les bras !

De même, vouloir à tout prix une accréditation à 100 % est bien irréaliste face à l’évolution perpétuelle des techniques. Comment cet organisme qu’est le COFRAC, le Comité français d’accréditation, pourra-t-il, à une date donnée, délivrer une telle accréditation à l’ensemble des laboratoires français ?

Cette proposition de loi a pourtant le mérite, même si elle est encore perfectible, d’avoir pour objet de redonner à la profession de biologiste médical ses prérogatives et la maîtrise de ses actes, de donner aussi un peu d’espoir aux jeunes générations, ce qui pourrait nous éviter de connaître les déboires liés au manque cruel de professionnels que nous connaissons dans d’autres secteurs de la santé. Le domaine de la santé doit absolument rester une prérogative nationale par le jeu de la subsidiarité.

Le groupe RDSE souhaite donc que la discussion qui va s’engager aboutisse à des améliorations. Sous cette réserve, il soutiendra la proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte sur la biologie médicale est, M. Barbier vient de le rappeler, le cinquième sur ce thème à avoir été inscrit à l’ordre du jour du Sénat en quatre ans.

Le moins que l’on puisse dire est que le sujet suscite un débat assez animé et que la réforme de la biologie médicale suit un parcours législatif plutôt tortueux, avec de multiples rebondissements.

C’est notamment pour cette raison que je souhaite tout d’abord remercier Jacky le Menn, qui n’a pas ménagé sa peine pour susciter la concertation sur cette question quelque peu épineuse.

Son travail, déterminé et minutieux, a permis l’émergence d’un juste compromis entre qualité, accessibilité, proximité et indépendance de la biologie médicale française, en lien avec les deux problématiques fondamentales que sont l’accréditation et la lutte contre la financiarisation.

Sur l’accréditation, la proposition qui nous est faite nous paraît équilibrée. Un quasi-consensus semble d’ailleurs avoir émergé.

Il faut bien l’avouer, l’accréditation est difficile à critiquer sur le fond. Elle permet en effet, si toutefois les conditions de travail sont convenables, d’assurer la permanence des procédures, d’améliorer l’information et la communication interne, donc, globalement, la qualité, la traçabilité et la transparence, évolutions que nous, écologistes, réclamons dans d’autres contextes.

Nous ne sommes pas pour autant naïfs : il ne fait aucun doute que les gros laboratoires ont valorisé au maximum l’accréditation aux yeux des pouvoirs publics, non pas seulement pour des raisons vertueuses, mais parce qu’ils savaient pouvoir l’assumer plus facilement que d’autres.

Quoi qu’il en soit, il est vrai que l’accréditation des laboratoires a, dans un premier temps, soulevé le mécontentement et l’inquiétude de certains biologistes, car elle est onéreuse, chronophage et qu’elle les éloigne de leur cœur de métier quand ils ne sont pas en situation de déléguer cette tâche à un nouveau salarié, mais force est de constater que le processus est aujourd’hui enclenché. Elle a, en effet, déjà été obtenue ou est en cours d’obtention par un grand nombre d’établissements.

Je rejoins le constat fait par M. le rapporteur : le problème est, non pas l’accréditation en elle-même, mais le rythme et les modalités de sa mise en œuvre.

Concernant le rythme de l’accréditation, d’une part, je soutiens la proposition faite à l’article 7 de la proposition de loi de mettre en place des paliers, en l’occurrence un minimum de 50 % exigé en 2016, puis de 80 % en 2018.

S’agissant des modalités de l’accréditation, d’autre part, je partage les doutes et inquiétudes dont ont fait part plusieurs de mes collègues, lors de l’examen du texte en commission, à l’égard du COFRAC, organisme chargé d’une mission de service public et disposant d’un monopole national pour son action.

Cet organisme pose en effet un problème, tant en raison de son manque d’indépendance, car les experts biologiques censés délivrer l’accréditation sont souvent issus des grands laboratoires, qu’en raison des tarifs élevés qu’il applique. Sur cette question, je soutiendrai les amendements déposés par plusieurs de nos collègues.

La financiarisation est le second enjeu important de la réforme de la biologie médicale que nous engageons aujourd’hui au Sénat avec l’examen de cette proposition de loi.

L’objectif est clairement établi par l’auteur dès les premières pages de son rapport : « limiter la possibilité pour des investisseurs légitimement motivés au premier titre par le taux de retour sur leur capital de contrôler cette activité ».

Le fait que des fonds de pension ou d’autres investisseurs spéculent ainsi sur des établissements à vocation sanitaire est en effet choquant – dans le domaine de la biologie médicale comme dans d’autres spécialités, soit dit en passant.

L’exposé des motifs de l’article 8, qui précise qu’il « vise à freiner la financiarisation du secteur, en rétablissant le principe d’une détention majoritaire du capital des sociétés d’exercice libéral par les biologistes exerçants au sein de cette société », marque donc, selon nous, une avancée substantielle.

Cependant, nous estimons qu’en l’état le dispositif prévu pourrait malheureusement ne pas suffire et être assez facilement contourné par certaines structures, notamment au moyen de clauses extrastatutaires, lesquelles ne sont actuellement visées par aucun texte.

Nous ne sommes pas les seuls à éprouver cette inquiétude : plusieurs organisations représentatives du secteur nous ont alertés à ce sujet et les débats de la commission des affaires sociales ont montré que plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, y étaient également sensibles. Aussi, je compte sur votre soutien aux deux amendements déposés sur ce point par le groupe écologiste.

Partant du constat que l’indépendance des biologistes de laboratoire est mieux garantie par la possibilité pour eux d’acquérir une fraction, voire la totalité, du laboratoire dans lequel ils travaillent, notre premier amendement vise à faire passer de « plus de la moitié » à « plus de 60 % » la part du capital et des droits de vote d’un laboratoire de biologie médicale devant obligatoirement être détenue par des biologistes en exercice au sein de la société.

Quant au second amendement, il tend à permettre que soient rendus publics, à la demande de l’un des détenteurs de capital, l’ensemble des contrats et des conventions signées dans le cadre des sociétés d’exercice libéral.

Justifiés par des motifs de santé publique, ces deux amendements ne nous semblent pas susceptibles d’être considérés par le juge communautaire comme des entraves déguisées au droit commercial.

En conclusion, le groupe écologiste votera cette proposition de loi, parce qu’il partage l’espoir formulé par Jacky Le Menn, dans l’introduction de son rapport, de voir ce texte « apporter une solution sinon définitive, du moins durable » aux problèmes de la biologie médicale, mais aussi parce que cette spécialité est devenue un élément central du parcours de soins des patients, déterminant pour l’élaboration d’environ 60 % des diagnostics. La biologie médicale ne doit donc plus souffrir de la crispation et des turpitudes dans lesquels elle est plongée depuis maintenant plusieurs années. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, presqu’un an, jour pour jour, après l’adoption par l’Assemblée nationale, le 26 janvier 2012, de la proposition de loi de Valérie Boyer et Jean-Luc Préel portant réforme de la biologie médicale, nous sommes réunis pour examiner celle de notre collègue Jacky Le Menn, qui reprend partiellement la précédente.

La biologie médicale représente un enjeu majeur des politiques publiques en termes de santé et de maintien d’une profession de qualité sur notre territoire. Comme il est rappelé dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, « la biologie médicale est un élément central du parcours de soins des patients, déterminant l’élaboration d’environ 60 % des diagnostics, en ville et à l’hôpital ».

Aussi est-ce pour réaffirmer le caractère médical de la profession de biologiste et permettre des évolutions de structure en cohérence avec l’évolution des connaissances scientifiques et technologiques que le précédent gouvernement avait souhaité entreprendre une nouvelle réforme, la première depuis la loi du 11 juillet 1975 relative aux laboratoires d’analyses de biologie médicale et à leurs directeurs et directeurs adjoints.

Il s’agissait, d’une part, de garantir la qualité des actes et la confiance des professionnels et des patients, et, d’autre part, d’assurer l’efficience des dépenses, nécessité économique et éthique, ainsi qu’une bonne adéquation entre nos exigences nationales et celles de l’Union européenne.

La réflexion sur la nécessité de réformer la biologie médicale a débuté en 2006, trente ans donc après l’entrée en vigueur de la loi de 1975, avec le rapport de l’inspection générale des affaires sociales et celui de Michel Ballereau. Ces deux rapports concluaient à l’urgence de modifier la législation.

Or cette réforme a connu un parcours parlementaire pour le moins chaotique. L’article 69 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », a habilité le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour mettre en œuvre la réforme de la biologie médicale. Dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, l’Assemblée nationale avait inopinément proposé l’abrogation de l’ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale. Quelques mois plus tard, une dizaine d’articles consacrés à cette réforme étaient insérés dans la loi Fourcade, mais censurés par le Conseil constitutionnel, qui les considérait comme des cavaliers législatifs. Enfin, comme je le rappelais au début de mon intervention, la proposition de loi « Boyer-Préel », adoptée par l’Assemblée nationale, n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour du Sénat.

Nous voici donc enfin réunis pour débattre de cette nouvelle proposition de loi, après que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. Une fois n’est pas coutume, madame la ministre, nous considérons que le recours à cette procédure est légitime puisque, comme je viens de le rappeler, nous avons déjà débattu à maintes reprises de ce sujet. Il est en effet urgent d’en finir !

J’en viens au fond. La proposition de loi s’articule autour de quatre axes : la ratification de l’ordonnance de 2010, le renforcement de la médicalisation de la profession de biologiste médical, l’amélioration de la qualité des examens biomédicaux et, enfin, l’organisation de la biologie médicale.

Sur ces objectifs, monsieur le rapporteur, nous ne pouvons évidemment que nous entendre.

Je rappelle que l’absence de ratification de l’ordonnance crée une insécurité juridique préjudiciable, tant pour les professionnels de santé que pour les pouvoirs publics.

Avant d’évoquer les mesures contenues dans le texte de la commission, je tiens à souligner l’importance de la sauvegarde de la biologie médicale et de son maillage territorial. Quant au caractère de l’acte de biologie, il s’agit bien d’un acte médical ; il est essentiel qu’il soit de qualité et rapide.

La commission, sur proposition de son rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, a modifié le texte initial de la proposition de loi. Certaines de ces modifications vont dans le bon sens.

Je pense notamment à la nouvelle rédaction du 2° de l’article 4 qui précise les lieux de prélèvements hors laboratoire. En effet, seuls 5 % des prélèvements sanguins seraient réalisés en dehors des laboratoires ou des établissements de santé, pour répondre à des situations spécifiques, particulièrement en zone rurale, où le patient est parfois éloigné des laboratoires.

Il est cependant important que le reste de la phase pré-analytique soit sous le contrôle du biologiste médical. C’est pourquoi notre groupe souhaite revenir sur cet article avec un amendement qui réintroduit le terme de « prélèvement » en remplacement de celui de « phase pré-analytique ».

À l’article 7, la suppression de la possibilité donnée à l’Ordre des pharmaciens de prononcer une interdiction définitive de pratiquer la biologie médicale permet d’éviter une inégalité entre les professionnels inscrits à cet ordre et ceux qui le sont à l’Ordre des médecins.

L’accréditation à 100 % au 1er novembre 2020 avait été insérée par la commission. En tant que rapporteur de la loi Fourcade, j’avais considéré que limiter à 80 % les accréditations ne satisfaisait pas les objectifs majeurs de la loi HPST et de la réforme de la biologie médicale, à savoir « la qualité prouvée par l’accréditation ». Rendre obligatoire l’accréditation des laboratoires est la seule modalité envisageable pour prouver la qualité des examens de biologie médicale. Cette discipline médicale sera ainsi la seule soumise à une accréditation.

En revanche, certaines dispositions du texte de la commission ne nous satisfont pas. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la défense de nos amendements, mais je souhaite d’ores et déjà évoquer certains points.

Nous parlons souvent de l’importance du maillage territorial, mais certains départements ne disposent pas de laboratoire public de biologie médicale et leurs hôpitaux sont trop éloignés d’autres établissements équipés d’un laboratoire. Or il pourrait être envisagé de mettre en place une dérogation permettant aux hôpitaux de continuer à bénéficier de « ristournes », comme le propose notre collègue Jean-François Mayet.

Cela étant, sur le fond, nous soutenons l’objectif de l’article 5, à savoir la suppression de ces « ristournes » qui dévalorisent le travail des biologistes médicaux.

L’article 6 tend à permettre le recrutement, par les centres hospitaliers universitaires et les établissements qui leur sont liés par convention, soit de professeurs des universités-praticiens hospitalier, soit de maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers non titulaires du diplôme d’études spécialisées de biologie médicale, diplôme créé en 1984.

Il ne s’agit pas là de trouver une solution pour quelques cas exceptionnels pendant une période transitoire. En réalité, cet article tend à organiser une filière parallèle et pérenne de recrutement de responsables hospitaliers auxquels il serait seulement demandé de justifier d’un service de trois ans dans un laboratoire de biologie.

En même temps qu’elle décourage les étudiants en biologie médicale d’envisager une carrière hospitalière, cette perspective crée un sentiment d’injustice et de dévalorisation de leur formation. Le Sénat a déjà rejeté, en 2011, une disposition analogue, à laquelle s’opposaient l’ensemble de la profession et les ordres concernés ; ils s’y opposent toujours et il n’y a pas plus de raisons d’accepter cette dérogation aujourd’hui qu’il n’y en avait en 2011.

L’article 7 ter, qui prévoit la suppression de l’article L. 6211-9 du code de la santé publique, ne nous paraît pas justifié. En effet, un des objets de la réforme de la biologie médicale est de permettre au biologiste médical de participer à la prescription des examens, de proposer les plus utiles pour éclairer le médecin et de rendre la prescription la plus efficace et la plus pertinente possible. Il sera ainsi possible d’éviter des examens inutiles ou redondants, mais l’objectif principal est d’obtenir la réponse la plus claire aux questions que l’on se pose et qui justifient le recours à l’examen de biologie médicale. Il s’agit donc de tirer le meilleur parti des compétences du biologiste médical.

Enfin, l’organisation de la biologie médicale, visée aux articles 8 et 9, est au cœur de l’inquiétude des jeunes biologistes, mais aussi de ceux qui veulent préserver une biologie médicale de proximité et non financiarisée.

Avec la législation actuelle, cet objectif est hors de portée : les jeunes sont de fait interdits d’accès à la profession. Il est donc nécessaire de les associer au capital des sociétés et de prévoir des dispositions qui empêchent la financiarisation de cette filière.

Le renforcement du rôle des agences régionales de santé, à l’article 9, leur permettra de réguler l’offre de biologie médicale sur les territoires. Il s’agit de garantir le maintien d’une biologie médicale de proximité, puisque le directeur d’une ARS peut s’opposer à une fusion ou acquisition de laboratoire si la part d’activité réalisée par l’entité issue de l’opération dépasse le seuil de 25 % du total des examens sur le territoire.

Cet article 9 va donc dans le sens du rapport Ballereau, puisque ce dernier préconisait de conserver le principe de liberté d’installation, tout en mettant en place une régulation. Celle-ci doit permettre à la fois de protéger la proximité territoriale et de favoriser les restructurations nécessaires aux laboratoires pour qu’ils atteignent une taille critique et puissent ainsi faire face aux enjeux économiques et techniques de l’avenir.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, comme les autres groupes, celui de l’UMP est particulièrement attaché à la préservation et au renforcement d’une médecine de qualité sur l’ensemble du territoire.

C’est pourquoi, tout en soutenant ce texte dans ses finalités, nous présenterons différents amendements afin de l’améliorer en espérant aboutir à l’adoption rapide d’une loi satisfaisante.

Mes chers collègues, je souhaite que nous arrivions à trouver un compromis. Nous sommes, en effet, convaincus que l’absence de loi produirait des effets pervers, notamment sur l’étendue de la financiarisation de la biologie médicale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Jacky Le Menn est d’une grande importance puisqu’elle a l’ambition de freiner la financiarisation du secteur libéral de la biologie médicale et de renforcer la sécurité des examens pratiqués.

Il s’agit d’un sujet techniquement complexe dont les enjeux sont essentiels non seulement en termes de santé publique, d’accès aux soins au sens large, de vie et de dynamisme de nos territoires, mais aussi pour tout ce qui touche au cadre même de l’exercice de la profession.

Cette pluralité d’enjeux explique sans doute le cheminement particulier, commencé par la voie d’une ordonnance et déjà passé par quatre textes, de la réforme de la biologie médicale. C’est ainsi que la présente proposition de loi est la cinquième occasion récente pour notre assemblée de se pencher sur ce sujet.

J’y vois, mes chers collègues, la validation du bien-fondé de notre opposition à l’utilisation de l’article 38 de la Constitution, qui, au lieu de permettre une application rapide de l’ordonnance du 13 janvier 2010, aura surtout permis de créer une instabilité juridique dont personne ne peut se réjouir.

Pour notre part, cette ordonnance n’est pas sans nous inquiéter ou, pour le moins, nous interroger. Notre groupe l’avait d’ailleurs explicitement dit en 2009, par la voix de notre ancien collègue François Autain, lors de la présentation du projet de loi de ratification par la ministre de l’époque, Mme  Roselyne Bachelot-Narquin.

Nous avions accueilli avec satisfaction la disposition portant création d’un article 6213-2 au sein du code de la santé publique, article qui prévoyait que seul un titulaire du diplôme d’études spécialisées de biologie médicale pourrait exercer la responsabilité de biologiste médical.

Nous avons pris acte des modifications proposées à cet égard dans la présente proposition de loi. Notre groupe défendra un amendement identique à celui qui a été déposé par nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste de l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi présentée par Mme Valérie Boyer.

En revanche, nous avions été et nous demeurerons particulièrement vigilants sur le fait qu’en application de l’ordonnance, que l’article 1er de la proposition de loi vise donc à ratifier, un laboratoire médical pourra demain être considéré comme une structure constituée d’un ou plusieurs sites où pourront être effectués les examens de biologie médicale.

Nous y voyons deux risques, qui inquiètent également de nombreux professionnels et patients.

Le premier de ces risques est la transformation de certains laboratoires médicaux existants en de simples structures de prélèvements dont les analyses seraient effectuées au sein d’une structure mère regroupant des machines particulièrement performantes, hautement techniques et coûteuses.

Cet éloignement entre le lieu de prélèvement et celui dans lequel est réalisé l’examen biologique à proprement parler peut engendrer certaines difficultés inhérentes à un traitement à grande échelle. Le transfert des prélèvements vers le centre d’analyse n’est pas sans supposer également quelques risques. Notre rapporteur partage en partie nos craintes puisqu’il a pris soin, en commission des affaires sociales, de présenter un amendement précisant que « les examens de biologie médicale sont pratiqués dans des conditions permettant le traitement des situations d’urgence ».

Chacun mesure, en effet, combien les analyses biologiques peuvent jouer un rôle majeur, voire vital, dans la détermination de la pathologie. Cette précision, utile face aux éventuels dangers, nous semble, certes, protectrice, mais assez faiblement, raison pour laquelle nous avons déposé de nouveaux amendements.

Le second risque est la financiarisation du secteur de la biologie médicale. Personne ne l’ignore, certains groupes financiers sont aux aguets et tentent, depuis plusieurs années, de conquérir la biologie médicale, comme ils l’ont déjà fait dans d’autres pays ou dans d’autres secteurs économiques. Pour eux, la santé n’est qu’un marché dont les différents acteurs ne sont que des opérateurs.

Disant cela, je pense particulièrement à l’action en justice introduite par la Commission européenne contre la France à la suite de la plainte de l’un de ces grands groupes financiers nous reprochant, ni plus ni moins, d’avoir une législation nationale incompatible avec la directive dite « services », qui exige la libre concurrence.

L’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue, depuis, la Cour de justice de l’Union européenne, a conforté notre droit interne. L’alinéa 89 de cet arrêt, qui ne souffre aucune interprétation, autorise en effet clairement la France à prendre les mesures qu’elle estime nécessaires, y compris en réduisant l’applicabilité des principes de libre concurrence et de liberté d’installation, dès lors que ces restrictions sont justifiées par un objectif de santé publique.

C’est la pleine reconnaissance par la Cour européenne de l’application du principe de subsidiarité en matière de santé. C’est dire que nous n’avons pas à craindre qu’une éventuelle législation nationale limitant l’accès des groupes financiers au capital des laboratoires de biologie médicale ne soit sanctionnée.

Nous proposerons donc une série d’amendements à l’article 8 dont l’esprit est de réduire clairement, dans les laboratoires existants comme dans ceux qui se créeraient demain, soit ex nihilo, soit du fait d’une fusion ou d’un regroupement, la part totale de capital social et de droit de vote détenu par les groupes financiers.

Nous ne pouvons pas accepter que, par le biais de holdings et de sociétés en cascade, la quasi-totalité des parts de certains laboratoires de biologie médicale soit détenue par des personnes morales exerçant la biologie médicale, c’est-à-dire par des groupes financiers qui n’ont qu’un objectif, accroître leurs dividendes en « cannibalisant » le monde de la santé.

Enfin, je dois vous dire que les dispositions relatives à l’accréditation suscitent notre inquiétude. Bien entendu, comme notre rapporteur et comme le Gouvernement, comme d’ailleurs l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens, nous sommes vigilants en matière de sécurité sanitaire. Il n’y a pas, d’un côté, celles et ceux qui voudraient garantir la sécurité des patients et, de l’autre, ceux qui pourraient l’ignorer.

Pour autant, nous ne sommes pas dupes et savons pertinemment que, malgré les amendements présentés par notre rapporteur et adoptés par la commission des affaires sociales, un grand nombre d’établissements de proximité ne pourront pas entreprendre les travaux et mises aux normes exigées pour pouvoir être accrédités. Ces derniers n’auront alors plus que deux choix : fermer, en agrandissant encore un peu plus ces déserts sanitaires que nous combattons, ou bien vendre aux groupes financiers, au risque de voir l’activité des centres se réduire aux seuls prélèvements.

Fondé sur un principe de sécurité sanitaire, sans accompagnement particulier, notamment financier, le passage des normes existantes à l’accréditation pourrait ainsi participer, au final, à ce mouvement de financiarisation que la présente proposition de loi entend pourtant freiner. Je pense en particulier aux centres de santé.

Vous le voyez, mes chers collègues, nos inquiétudes sont grandes et les réponses apportées par cette proposition de loi n’y répondent pas totalement. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé plusieurs amendements, et c’est au regard du traitement qui leur sera réservé ainsi que de la nature de nos échanges que notre groupe se déterminera quant à son vote sur l’ensemble de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis sa constitution après-guerre, la biologie médicale est devenue une spécialité de santé stratégique. Un peu comme l’industrie pharmaceutique, elle se situe en effet au carrefour de la santé publique et du marché de la santé, entre risque maladie et enjeu économique.

On le voit, la matière n’est pas facile. Elle soulève des questions proprement médicales, bien sûr, mais aussi de gouvernance du système de santé, de droit de la concurrence, communautaire en particulier, de droit des sociétés et de financement de la recherche.

Face à ces difficultés, l’ordonnance Ballereau de 2010 a globalement relevé le défi.

Ce n’est pas sans malice, monsieur le rapporteur, que nous vous voyons contraint de l’admettre, alors que le groupe socialiste s’y était, à l’époque, opposé ! Je vous cite, avec plaisir d’ailleurs : « Dans l’ensemble, l’ordonnance de 2010, malgré ses défauts, est porteuse d’un renouveau de la biologie médicale auquel nous pouvons tous adhérer et qui doit maintenant être consacré par la loi. »

Ce propos, nous y souscrivons totalement, y compris, d’ailleurs, pour ce qui touche aux réserves qu’il exprime. L’ordonnance Ballereau n’est en effet pas parfaite, ce qui nécessite de procéder à des ajustements.

Ces ajustements, nous avons été les premiers à les formaliser au Parlement, avec Jean-Luc Préel, coauteur, avec Valérie Boyer, de la proposition de loi adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 26 janvier 2012. Bien sûr, avec le présent texte, nous ne pouvions partir que d’une base favorable puisqu’il reprend les principaux axes de cette proposition de loi.

Puisqu’il faut procéder à des ajustements, quels sont-ils ? Schématiquement, je dirai qu’il faut concilier qualité et proximité, qui ne sont pas toujours compatibles !

Il y a, à nos yeux, un troisième impératif dont on parle peu, malgré son importance, c’est l’impératif budgétaire. L’on consomme, en effet, de plus en plus d’actes de biologie médicale, ce qui pèse évidemment sur les comptes sociaux.

Dans l’immédiat, je dirai que cette problématique peut être décomposée en cinq questions.

La première est la question du rythme et de l’ampleur de l’accréditation. Sur cette question clé, monsieur le rapporteur, nous vous apporterons notre plein et entier soutien.

Le calendrier fixé par la présente proposition de loi nous semble un bon modus vivendi entre les desiderata des grands laboratoires, dits financiers, et ceux des indépendants.

De plus, et c’est à nos yeux essentiel, le texte issu des travaux de notre commission rétablit l’objectif d’une accréditation à 100 %. Pour des raisons techniques, les actes de biologie médicale étant en constante évolution, une accréditation ne pourra jamais être, comme nous l’avons appris, de 100 %, mais seulement de 96  ou de 97 %. Du moins doit-elle tendre vers l’objectif des 100 % parce que c’est la meilleure garantie de qualité que nous ayons.

La deuxième question est celle de la financiarisation. Nous souscrivons à l’objectif consistant à maintenir des limites en matière de détention du capital et de liberté d’installation pour les non-biologistes. Il s’agit d’aider les biologistes à conserver le contrôle capitalistique de leurs laboratoires. Les articles 8 et 9 sont supposés permettre d’atteindre cet objectif.

Cependant, monsieur le rapporteur, vous le relevez vous-même, nombre de professionnels libéraux s’inquiètent des possibilités de contournement des restrictions qu’imposerait le législateur.

Cette crainte, on ne peut pas la balayer d’un revers de main, madame la ministre, sous prétexte de ne pas excessivement complexifier le droit positif, objet de l’amendement que vous avez déposé à l’article 8. En effet, c’est l’efficacité même du dispositif proposé qui est en jeu.

C'est précisément pour éviter tout risque de contournement que nous présenterons un amendement visant à encadrer le régime des sociétés d’exercice libéral et à imposer une transparence sur les conventions extrastatutaires pour écarter tout risque de contournement.

La troisième question est celle des fameuses « ristournes ». Nous ne voyons absolument rien de choquant à ce que le public puisse favoriser le public ! En revanche, l’impératif économique peut se heurter à l’impératif de proximité, dont dépend la qualité du service rendu au patient.

Nous défendrons donc un amendement en vertu duquel les établissements publics seront tenus de lancer un appel d’offres au cas où il n’y aurait pas de laboratoires publics à proximité.

La quatrième question est celle de la médicalisation de la spécialité, laquelle pose, à nos yeux, deux problèmes : celui de la phase pré-analytique et celui de l’exercice de la biologie médicale en CHU.

Le traitement de la phase pré-analytique est l’un des seuls points sur lesquels, monsieur le rapporteur, nous semblons avoir un désaccord. Pourquoi faire échapper au contrôle du biologiste médical la totalité de la phase pré-analytique ? Nous ne nous l’expliquons pas et nous défendrons donc un amendement destiné à revenir sur ce point. C’est une question de responsabilité. Je ne pense pas que celle-ci puisse être partagée.

Nous retrouvons d’ailleurs le même type d’interrogation en ce qui concerne l’exercice de la profession en CHU. La proposition de loi ouvre de nouvelles dérogations à l’exercice de la biologie médicale par des non-biologistes. Or ces dérogations ne nous semblent en rien se justifier.

La cinquième et dernière question est celle de la facturation. Pour être moins fondamentale que les précédentes, elle a toutefois son importance. Nous avions déposé un amendement, mais nous le retirerons, car le texte que vous proposez, monsieur le rapporteur, nous paraît bien tendre à harmoniser et à clarifier ces règles de facturation des actes de biologie. Je vois dans la facture unique un facteur de responsabilité, qui vaut pour tous les établissements, qu’ils soient publics ou privés, et même en cas de sous-traitance.

En conclusion, vous l’aurez compris, madame la ministre, hormis les quelques réserves que je viens d’émettre, nous sommes globalement favorables à ce texte qui précise, encadre et procède à de bons ajustements.

Je tiens à saluer le travail de la commission, en particulier, celui de notre rapporteur, Jackie Le Menn.

Spécialiste du sujet, puisqu’ancien directeur d’hôpital, vous avez su mener ce dossier avec intelligence et esprit d’ouverture, monsieur le rapporteur, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Jacky Le Menn de l’énergie qu’il a consacrée à la réécriture, ô combien délicate ! de ce texte qui a connu tant de péripéties ; il nous a permis, grâce à sa remarquable capacité d’écoute, de parvenir à la meilleure solution possible sur ce sujet aussi politique que technique.

Les biologistes médicaux, on l’a rappelé, participent pour beaucoup au parcours de soins de nos concitoyens, puisqu’ils contribuent à établir 60 % du diagnostic des pathologies.

Reconnaissance de la dimension médicale exercée par les médecins et les pharmaciens, qualité des soins, proximité, égalité d’accès aux soins, efficience : tels sont les défis qu’il nous faut relever. Nous devons par ailleurs stabiliser la situation juridique des biologises médicaux en prévoyant une égalité de traitement entre laboratoires privés et publics.

Nous devons légiférer dans le cadre du droit européen, qui nous laisse deux voies alternatives en matière d’organisation de la biologie : il nous faut soit considérer la biologie comme une prestation susceptible de relever d’une définition très large de la communauté scientifique, soit réserver la possibilité de pratiquer les examens de biologie relatifs à la santé humaine aux seuls médecins et pharmaciens ayant suivi une spécialisation en biologie.

Nous avons choisi la seconde voie, celle la médicalisation de la biologie médicale. Il faut nous en féliciter, alors même que nous devons répondre à un double enjeu : garantir le haut niveau de qualité des examens pratiqués et limiter la possibilité pour des investisseurs soucieux du taux de retour de leur capital de contrôler l’activité de biologie médicale. Nous avons en effet la volonté de lutter contre la financiarisation de cette activité.

Notre marge de manœuvre est étroite. La Communauté européenne n’est certes pas habilitée à se prononcer sur l’opportunité du choix, par un État membre, de réserver l’exercice de certaines activités aux professions de santé, mais elle peut, en revanche, exiger que cette restriction ne constitue pas une entrave déguisée au droit de la concurrence.

Si notre marge de manœuvre est étroite, elle ne doit pas, pour autant, entraver notre détermination à lutter contre la financiarisation de la biologie médicale.

Défendre la qualité des examens biologiques, c’est mettre en place une méthodologie d’évaluation qualitative qui permette d’en déduire une preuve objective : l’accréditation de l’ensemble des laboratoires.

Cette procédure inquiète une grande partie des biologistes. Nous devons les entendre et mettre en place des garde-fous afin que l’accréditation soit au service de la biologie médicale, et non une entrave à son développement, en particulier pour les jeunes biologistes qui souhaitent s’installer.

L’accréditation doit être généralisée afin de contrecarrer la tentation de qualifier différemment des laboratoires de tailles diverses, mais elle ne doit pas être uniforme. Elle doit tenir compte, entre autres choses, des familles d’examens biologiques médicaux.

Nous devons par ailleurs veiller à ce que ne soit pas validée l’idée selon laquelle l’accréditation impose une forme particulière d’exercice de la biologie médicale, impliquant une forte concentration de l’exercice autour d’appareils volumineux et très coûteux.

Pour être acceptée et réalisable dans de bonnes conditions, l’accréditation doit pouvoir être pratiquée de façon progressive, par paliers ; nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles.

Au-delà des principes, nous avons à répondre de façon précise aux questions relatives à la pratique de l’accréditation.

Toute accréditation est conduite sous l’égide du Comité français d’accréditation, le COFRAC, chargé d’une mission de service public, qui dispose pour mener son action d’un monopole national.

Le coût de ses prestations est dénoncé par nombre de biologistes ; certains d’entre eux considèrent même qu’il peut mettre en cause la viabilité de leur laboratoire. Alors qu’il est censé représenter, en théorie, de 1 % à 2 % du chiffre d’affaires d’un laboratoire, il atteint en réalité, selon l’Ordre des médecins, plus du double de ce taux.

Si le coût de l’accréditation est un enjeu central, ses modalités pratiques, notamment la sélection des experts et l’établissement des normes, ne manquent pas non plus de nous interpeller.

La sélection des experts doit permettre de représenter l’ensemble de la profession. Il faut aussi des normes visant à prendre en compte les conditions de sécurité du prélèvement, de la réalisation de l’examen, mais aussi la qualité et la permanence de l’investissement humain. Doivent ainsi être appréciées la présence effective du biologiste dans son laboratoire, ainsi que la rapidité avec laquelle il transmet les examens.

Sans chercher de boucs émissaires, je salue donc votre volonté, monsieur le rapporteur, de demander à la commission des affaires sociales de solliciter auprès de la Cour des comptes un rapport d’évaluation relatif au COFRAC.

L’accréditation, dont la réussite dépendra de son efficacité, est la première priorité de cette proposition de loi ; le refus de la financiarisation est la seconde.

L’indépendance des biologistes de laboratoire est mieux garantie, grâce à la possibilité qui leur est réservée d’acquérir une fraction, voire la totalité, du laboratoire dans lequel ils travaillent. Cela semble une évidence ; d’ailleurs, 85 % des laboratoires sont d’ores et déjà détenus par des professionnels.

L’engagement que nous manifesterons au cours de nos débats sera déterminant pour faire obstacle à cette financiarisation, délétère pour la pérennisation de nos laboratoires, de proximité en particulier.

Je souhaite à présent évoquer certaines questions qui, je le crois, sont propres à susciter le débat.

Tel est le cas, tout d’abord, de la détermination de la responsabilité des différents intervenants lors de la phase dite « pré-analytique » de l’examen biologique, qui court du moment où l’on pratique le prélèvement jusqu’au transport de celui-ci, et qui précède la pratique de l’examen lui-même. Il me semble en effet important de déterminer à partir de quel moment la responsabilité du biologiste peut être engagée.

Nous devrons par ailleurs nous pencher et, partant, sans doute prendre position – négativement, en ce qui me concerne ! – sur la décision de ne pas confier à l’Établissement français du sang les examens biologiques du receveur. On constate en effet l’existence de doublons, sources de dépenses supplémentaires.

M. Gilbert Barbier. Tout à fait !

Mme Catherine Génisson. Je tiens d’ailleurs à dire, même si tel n’est pas l’objet de cette proposition de loi, que l’Établissement français du sang est en grand danger. En effet, le don éthique, gratuit et anonyme dont nous sommes si fiers se heurte actuellement aux dispositions prises aux niveaux européen et mondial. La France est ainsi complètement isolée sur la question du rappel des lots de médicaments dérivant du sang, en particulier du plasma.

Il est urgent de se pencher sur ce problème. Pour autant, ce n’est pas une raison pour confier aux centres de transfusion des examens qui sont excellemment pratiqués par les laboratoires d’hématologie publics et privés.

Il nous faudra également réfléchir à la nécessité de rétablir une consultation médicale dans le cadre des examens biologiques relatifs à la création médicale assistée. Nous avions proposé un amendement en ce sens, mais celui-ci n’a pas été retenu, l’article 40 de la conséquence l’ayant « sabré ».

Nous devrons également mettre en place des procédures visant à lutter contre les inégalités territoriales. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, certains de nos collègues estiment que le maintien des ristournes serait une solution pour y parvenir ; tel n’est pas mon avis. Vous avez indiqué une voie, en suggérant que les agences régionales de santé parviendraient à trouver une solution.

Il nous revient aussi de trouver un équilibre entre la légitime revendication des étudiants en DESS de biologie, qui doivent pouvoir accéder à cette spécialisation sans difficulté, et la possibilité offerte aux étudiants des centres hospitaliers universitaires, non diplômés en biologie, de travailler sur des objectifs de recherche. Je pense que nous aurons de beaux débats à l’article 6...

Bien que peu d’entre nous l’aient abordé, peut-être évoquerons-nous aussi le sujet de la facturation unique. Je considère néanmoins que cette discussion serait plus à sa place dans le cadre d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale.

En conclusion, nous pouvons nous féliciter, et remercier derechef notre rapporteur, de l’occasion qui nous est donnée de débattre de cette proposition de loi, car elle doit nous permettre d’assurer le statut juridique de nos biologistes médicaux et d’optimiser la qualité des soins de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier de la grande qualité de ce débat. Celui-ci montre qu’il existe une volonté partagée d’avancer sur ce sujet qui, vous l’avez souligné, fut trop longtemps laissé en jachère, pour des raisons diverses.

Je salue votre engagement à tous et je souhaite que nous puissions, lors du débat sur les articles, avancer ensemble.

Vos interventions, vos préoccupations, voire vos motifs d’interrogation et d’inquiétude, se concentrent autour de certains sujets : la financiarisation du modèle d’exercice de la biologie médicale, l’accréditation des laboratoires, la formation des professionnels. Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur ces points lors de l’examen des amendements que vous avez déposés.

Gilbert Barbier a été le premier à poser clairement la question de la financiarisation.

Je tiens à lui dire que le Gouvernement partage les inquiétudes qui se sont exprimées, en des termes différents, sur l’ensemble de ces travées, et qui se rejoignent en ce qu’elles traduisent votre volonté de garantir la présence de laboratoires de biologie médicale sur l’ensemble du territoire national.

Allons-nous laisser libre cours, dans le domaine de la santé, à la logique de financiarisation ? Au reste, comme l’a souligné M. Barbier, celle-ci ne concerne d’ailleurs pas uniquement les laboratoires de biologie médicale.

Cette logique de pure rentabilité financière des capitaux investis, sans lien avec l’activité elle-même, est à l’œuvre dans d’autres secteurs d’activité, mais elle est inacceptable dans le secteur de la santé, qui touche au bien-être, aux soins, à l’avenir et à la vie même de nos concitoyens.

La logique capitalistique, je le réaffirme, est sans lien avec nos engagements et nos objectifs en matière de santé. C’est l’une des raisons majeures pour lesquelles le Gouvernement soutient cette proposition de loi : la volonté qui s’est exprimée sur toutes les travées du Sénat, il la fait sienne !

La question de l’accréditation a également été évoquée par tous les intervenants.

Madame Archimbaud, le Gouvernement partage votre point de vue : l’accréditation est en effet une condition de la qualité et de la transparence, et donc un élément socle d’une sécurité sanitaire renforcée et améliorée.

Je n’insisterai pas outre mesure sur les débats actuels sur l’usage de certains médicaments, mais l’enjeu est bien là : la sécurité sanitaire est directement liée à la capacité de garantir une information et des procédures transparentes, qui sont gages de confiance.

J’ai bien entendu, par ailleurs, que vous souteniez la démarche de l’accréditation par paliers.

Celle-ci permettra de répondre à la préoccupation que vous avez exprimée avec force, madame Cohen. J’en suis parfaitement d’accord avec vous, il ne faudrait pas que l’on assiste à un effet boomerang de l’accréditation et que les objectifs poursuivis ne soient pas atteints du fait même des instruments mis en place à cette fin.

Si tel devait être le cas, nous mettrions en effet en danger les petits laboratoires, mais il me semble que la mise en place de la démarche de l’accréditation par paliers, saluée comme un point positif par Mme Archimbaud, devrait éviter une telle évolution.

Si j’ai bien noté votre soutien en la matière, madame Archimbaud, j’ai également relevé vos inquiétudes, que vous partagez d’ailleurs avec plusieurs de vos collègues, concernant l’indépendance et les tarifs du Comité français d’accréditation.

M. le rapporteur a indiqué comment il entendait assurer la transparence du fonctionnement de ce comité. Je n’y vois pour ma part que des avantages. Nous avons besoin d’avoir confiance dans les instruments que nous mettons en place pour encadrer nos politiques et garantir la qualité de nos procédures et de nos institutions. Sinon, le doute subsistera. Je ne peux donc que me rallier aux propos tenus par M. Le Menn.

Monsieur Milon, j’ai été particulièrement sensible à votre intervention, dans laquelle vous avez affirmé votre soutien à la démarche d’ensemble. Vous avez très justement fait remarquer que la situation dans laquelle nous nous trouvions ne pouvait pas perdurer : elle est source d’insécurité tant juridique que sanitaire.

Vous avez par ailleurs souligné que les actes de biologie médicale étaient des actes médicaux. Nous ne pouvons pas, comme on l’a trop souvent fait par le passé, présenter la biologie médicale comme un secteur à part du système de santé. Elle est indissociable d’une chaîne de soins, qui va de la phase pré-analytique au soin et à son accompagnement.

Je souhaite que nous parvenions à trouver des solutions satisfaisantes pour l’ensemble de nos concitoyens, car c’est bien là notre préoccupation commune, afin d’effacer vos inquiétudes.

Madame Cohen, au-delà du point que je viens d’évoquer, je suis sensible, je le répète, à la démarche que vous avez prônée. Tout l’enjeu est de réussir à apporter des réponses sur les deux tableaux : d’une part, celui de la maîtrise d’un processus, qui, aujourd’hui livré à lui-même, nous conduit droit dans le mur d’une financiarisation excessive, dont l’objectif est non pas la santé de nos concitoyens, mais plutôt l’intérêt des actionnaires de différents groupes ; d’autre part, celui de la garantie de la qualité des actes, qui nous impose de ne pas laisser les procédures sans contrôle ni maîtrise.

Il nous faut trouver un équilibre satisfaisant entre ces deux impératifs. Tel est l’objet de ce texte. Sans doute pouvons-nous encore l’améliorer : ce sera tout l’enjeu de la discussion des articles, conformément à la volonté de M. le rapporteur.

Monsieur Vanlerenberghe, je ne reviendrai ni sur la financiarisation ni sur l’accréditation, dont je viens de parler.

Je vous remercie d’avoir apporté votre soutien à l’accréditation par paliers pour atteindre notre objectif de qualité. Il serait évidemment irréaliste et insensé de fixer un objectif à atteindre immédiatement !

Vous avez particulièrement insisté sur la formation des professionnels et l’accès à l’exercice de la biologie médicale dans les hôpitaux, sujets qui doivent, en effet, être liés à l’exigence d’une permanence des soins sur tout notre territoire.

Il s’agit non pas d’ouvrir sans contrôle la pratique d’une profession, mais de faire en sorte que celle-ci s’exerce dans des conditions et un cadre déterminés, comportant des exigences en matière de permanence des soins, par des professionnels aux compétences médicales identifiées possédant l’expérience nécessaire. On ne peut pas dire, d’un côté, que la biologie médicale fait partie de la chaîne des soins et, de l’autre, l’en détacher lorsque l’on parle d’assurer la permanence des soins de proximité.

Madame Génisson, j’ai bien entendu vos propos sur les contraintes juridiques extérieures, européennes notamment. Tout l’enjeu, pour nous, est de nous frayer un chemin entre nos propres exigences en matière de sécurité sanitaire et ces contraintes juridiques dont nous ne pouvons nous abstraire.

Comme vous l’avez dit, cet objectif nous oblige à faire preuve d’une ténacité et d’une volonté absolues : nous ne pouvons pas renoncer. Telle est bien, d’ailleurs, la volonté du Gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous soutenons cette proposition de loi. Elle nous paraît en effet porter l’expression d’une volonté forte, notamment s’agissant de l’accréditation, que vous avez vous-même présentée comme une démarche positive.

Nous espérons mettre ainsi en place un cadre pour l’exercice de la biologie médiale, à la fois satisfaisant pour les professionnels et rassurant pour les patients.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale (suite)
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Article additionnel après l'article 1er

Article 1er

(Non modifié)

L’ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale est ratifiée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.

Mme Laurence Cohen. Cet article a pour objet de ratifier l’ordonnance du 13 janvier 2010, afin de permettre aux dispositions qu’elle contient et qui ont aujourd’hui force réglementaire d’avoir demain, après promulgation de la loi, force législative.

Il est naturellement souhaitable que des règles qui encadrent l’exercice d’une profession aussi déterminante que celle de la biologie médicale dans le parcours de santé des patients puissent figurer dans la loi.

Toutefois, nous considérons que le processus utilisé ici, qui consiste à faire ratifier une ordonnance par l’adoption du premier article d’une proposition de loi pour ensuite, à l’occasion de l’examen des dix articles suivants, modifier le texte qui vient d’être ratifié, est un exercice particulier, même s’il est conforme aux pratiques habituelles et au droit.

Au-delà du recours à l’ordonnance, contre lequel chacun des groupes de gauche, je me permets de le rappeler, s’était à l’époque élevé, le contexte même de l’élaboration de cette ordonnance paraît problématique. De très nombreux interlocuteurs dénoncent l’absence de concertation réelle entre les autorités en charge de sa rédaction et les professionnels de terrain.

Elle a fait suite au rapport remis par M. Ballereau, missionné par la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot-Narquin, rapport qui a servi de base à la rédaction de la réforme adoptée au début de l’année 2010.

Si, à l’image des professionnels concernés, nous souscrivons à la volonté de renforcer la médicalisation de la profession, nous regrettons que celle-ci s’inscrive dans la même logique que celle qui a conduit, peu après, à l’adoption de la loi HPST.

Il n’est pas indifférent de constater que c’est dans ce premier support juridique que cette ordonnance a commencé à prendre vie, puisque, comme pour la loi HPST, il y est question, au nom de la réduction des dépenses publiques, de diminuer le nombre de centres existants, en favorisant les fusions et les regroupements.

Comme pour les hôpitaux et maternités de proximité, on prend prétexte du besoin légitime de sécurité sanitaire pour fermer les plus petits sites, avec la conviction que la réduction de l’offre entraînera mécaniquement une réduction des dépenses. Les groupes financiers, ceux qui rêvent depuis des années de faire main basse sur le secteur, n’ont d’ailleurs pas manqué de rappeler que, par la fusion des structures et la concentration en un lieu des machines les plus performantes et les plus coûteuses, ils permettraient de réaliser des économies d’échelle profitables à la sécurité sociale.

Voilà le contexte dans lequel cette ordonnance a pris forme. Pour autant, certaines des dispositions qu’elle contenait initialement allaient dans le bon sens. Je pense par exemple à l’interdiction de recruter un candidat ne possédant pas un DES de biologie médicale à un poste à responsabilité au sein d’un CHU. Cette interdiction était cependant toute relative, dans la mesure où les dérogations existantes étaient maintenues…

Approuver aujourd’hui la ratification de cette ordonnance, même rectifiée par la proposition de loi – je salue à cet égard le travail mené par M. le rapporteur –, revient donc à entériner la logique comptable qui a présidé à sa rédaction.

Vous le savez, ce n’est pas un scoop, nous sommes pour l’abrogation de la loi HPST et contre sa logique comptable. C’est la raison pour laquelle le groupe CRC s’abstiendra sur cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l'article.

M. René-Paul Savary. La ratification de l’ordonnance de 2010 vise à instaurer une stabilité juridique et, comme vous l’avez fort bien dit, madame la ministre, financière.

À cet égard, nous sommes nombreux à nous inquiéter du sort des laboratoires de proximité dans les territoires ruraux. Maintenant que vous avez déclaré votre flamme à ces laboratoires, madame la ministre, il va falloir leur donner un certain nombre de gages !

On voit bien que la logique de médicalisation va à l’encontre des logiques de proximité, de lutte contre la financiarisation et d’implantation de jeunes diplômés. Je pense notamment à l’un des amendements que nous avons étudié en commission, quelques minutes avant ce débat, à propos des actionnaires ultra-minoritaires et dont l’adoption aurait pour effet de freiner l’implantation des jeunes.

Si nous voulons maintenir les laboratoires de proximité, il faut impérativement donner des perspectives aux jeunes qui s’engagent dans une formation visant à obtenir un DES de médecin-biologiste.

Demeurent donc un certain nombre d’orientations contradictoires, raison pour laquelle il serait important, madame la ministre, que vous nous donniez des gages de votre volonté de trouver un consensus transpartisan dans cette proposition de loi fort importante pour la biologie médicale.

En tout état de cause, nous allons voter l’article 1er.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
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Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel après l'article 1er

Mme la présidente. L'amendement n° 26, présenté par Mmes Cohen, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 6222-6 du code de la santé publique est ainsi modifié :

« Art. L. 6222-6. – Sur chacun des sites, un biologiste du laboratoire doit être en mesure de répondre aux besoins du site et, le cas échéant, d’intervenir dans des délais compatibles avec les impératifs de sécurité des patients. Pour assurer le respect de cette obligation, le laboratoire doit comporter un nombre de biologistes au moins égal au nombre de sites qu’il a créés. Le biologiste assumant la responsabilité du site doit être identifiable à tout moment. »

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. L’adoption de l’article 1er de cette proposition de loi aura pour effet la ratification de l’ordonnance du 13 janvier 2010. Dès lors, un laboratoire de biologie médicale pourra être constitué de plusieurs sites.

Afin de répondre au besoin légitime de sécurité sanitaire de nos concitoyens – la sécurité sanitaire est présentée comme le principe fondamental ayant conduit à l’adoption de ladite ordonnance –, il nous semble important de modifier l’article L. 6222-6 du code de la santé publique, afin que celui-ci prévoie que chaque laboratoire comporte un nombre de biologistes au moins égal au nombre de sites créés.

Il revient en effet aux biologistes et non aux techniciens d’assurer le respect des règles de sécurité, notamment en contrôlant personnellement le strict respect des obligations prudentielles et de sécurité.

Les biologistes, parce qu’ils sont formés spécifiquement à cette mission, sont les professionnels les plus sensibilisés au respect impératif des règles d’hygiène et de sécurité. Il paraît donc logique qu’au moins un biologiste soit présent sur chacun des sites.

Un même amendement, déposé fort opportunément par nos collègues socialistes, avait déjà fait l’objet d’une discussion lors de l’examen en seconde lecture par le Sénat de la proposition de loi Fourcade. M.  Milon, rapporteur de ce texte, avait émis un avis défavorable ou de retrait, au motif que l’article que cet amendement visait à modifier ne prévoyait que « des règles minimales », qui revenaient d’ailleurs, comme celles qui étaient proposées, « à exiger qu’il y ait au moins un biologiste médical par site »…

L’objectif que nous visons est bien de garantir à chacun de nos concitoyens le droit d’être suivi dans un laboratoire où au moins un biologiste exerce. La médicalisation de cette profession et l’importance des nouvelles missions qui lui sont confiées, notamment dans l’aide à la prescription, ainsi que les éventuelles situations d’urgence rendent cette présence minimale sur chacun des sites indispensable.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Comme je l’ai souligné en commission, je souscris bien évidemment à l’objectif des auteurs de cet amendement, à savoir lutter contre la financiarisation des laboratoires de biologie et assurer la sécurité de leurs patients.

La rédaction proposée est néanmoins en retrait des obligations déjà prévues par l’actuel article L. 6222–6 du code de la santé publique, lequel impose déjà la présence d’au moins un biologiste aux heures d’ouverture sur chacun des sites d’un laboratoire de biologie médicale. Surtout, il prévoit que ce biologiste doit être en mesure d’intervenir à tout moment en dehors des heures d’ouverture. Cette obligation est bien plus contraignante que celle qui lui impose d’être simplement identifiable à tout moment.

Cet amendement est donc déjà satisfait par les dispositions existantes, et même au-delà. Aussi, j’en demande le retrait ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. J'avais émis un avis a priori favorable sur cet amendement, à l’objet duquel nous souscrivons tous, mais j’ai été sensible aux arguments avancés par M. le rapporteur.

De fait, madame la sénatrice, la rédaction que vous proposez pour l'article L. 6222–6 du code de la santé publique me paraît, sinon en retrait par rapport à sa rédaction actuelle, tout au moins redondante, mais je m’en remets à la sagesse du Sénat pour en juger.

Mme la présidente. Madame Cohen, l'amendement n° 26 est-il maintenu ?

Mme Laurence Cohen. En réalité, nous visons le même objectif, mais nous faisons une lecture différente de l’article L. 6222–6.

Aux termes de cet article, la présence d’au moins un biologiste médical est obligatoire sur chacun des sites du laboratoire de biologie médicale aux heures d’ouverture, mais pas au-delà. Compte tenu de la spécificité de la profession, nous demandons, nous, qu’un biologiste soit en mesure de répondre aux besoins sur chaque site, par exemple pour étudier les résultats des examens.

Notre lecture n’est peut-être pas la bonne, mais elle reste différente. C’est pourquoi nous maintenons notre amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin applaudit.)

Article additionnel après l'article 1er
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Article 3 (Texte non modifié par la commission)

Article 2

(Non modifié)

Après le mot : « Pharmaciens », la fin de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 4232-1 du code de la santé publique est ainsi rédigée : « exerçant dans un laboratoire de biologie médicale et pharmaciens exerçant la biologie médicale ou l’un de ses domaines dans un établissement de santé ; ».

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Notre groupe fait preuve depuis toujours d’une certaine défiance à l’égard des ordres professionnels, particulièrement lorsque ces derniers interviennent dans le champ de la santé.

Si l’heure n’est plus, comme en 1981, à la suppression de ces ordres, nous continuons à regretter qu’ils se voient confier des missions importantes qui pourraient et, théoriquement, devraient relever des pouvoirs publics.

En effet, sans reprendre à notre compte nos motifs d’hostilité aux ordres professionnels, liés aux origines de leur création, sous le régime de Vichy et pour se substituer aux syndicats existants, comment ne pas regretter que des pouvoirs quasi judiciaires leur soient confiés ?

Les membres des ordres sont en effet appelés à sanctionner leurs pairs en cas de conflit avec les patients ou de manquements aux règles déontologiques. Bien que la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ait quelque peu réformé cette justice interne, force est de constater qu’elle demeure essentiellement corporatiste. Rappelons que rares, pour ne pas dire inexistantes, furent les sanctions dans les cas de pratiques, par les professionnels de santé, de tarifs exorbitants, dépassant de très loin le tact et la mesure.

Qui plus est, en dehors même des compétences « judiciaires » des ordres professionnels, il faut admettre que ces derniers, dans le domaine de la santé, ont toujours fait preuve d’une grande réticence face aux évolutions médico-économiques.

Sans aller jusqu’à rappeler leur opposition à la création de la sécurité sociale en 1945, comment ne pas nous souvenir qu’à l’occasion de la loi HPST l’ordre des médecins s’était opposé à ce que figure dans les cabinets copie des sanctions prononcées à l’encontre des professionnels ayant été sanctionnés, notamment pour discrimination financière à l’égard des publics relevant de la couverture maladie universelle ou de l’aide médicale de l’État ?

Enfin, nous considérons que les ordres professionnels ne sont pas les structures les plus adéquates pour représenter les intérêts des personnels et des professionnels de santé, dès lors que ces derniers n’exercent pas à titre libéral.

C’est évidemment le cas pour les personnels salariés, mais cela demeure pertinent pour ceux qui ne sont ni réellement libéraux ni réellement salariés, comme les travailleurs non salariés, qui sont de plus en plus nombreux au sein des laboratoires de biologie médicale. Ils risquent d’ailleurs de l’être encore plus si, malgré l’adoption de cette proposition de loi, nous ne parvenons pas, ce que nous redoutons, à mettre un frein à la financiarisation de la biologie médicale.

Pour eux, comme pour les salariés, nous considérons que les représentants légitimes ne sont non pas les ordres, mais les syndicats. C’est d’ailleurs ce même constat qui nous a conduits à déposer une proposition de loi tendant à rendre facultative l’adhésion aux ordres des masseurs-kinésithérapeutes et des infirmiers.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRC s’abstiendra sur cet article.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2 (Texte non modifié par la commission)
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Article 4

Article 3

(Non modifié)

Le même code est ainsi modifié :

1° L’article L. 6211-1 est complété par les mots : « , hormis les actes d’anatomie et de cytologie pathologiques, exécutés par des médecins spécialistes dans ce domaine » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 6211-23, après les mots : « et des examens d’anatomie et de cytologie pathologiques », sont insérés les mots : « effectués dans un laboratoire de biologie médicale » ; 

3° Après la première occurrence des mots : « cytologie pathologiques » du dernier alinéa de l’article L. 6212-2, sont insérés les mots : « effectué dans un laboratoire de biologie médicale » ;

4° Au 2° de l’article L. 6221-1, les mots : « effectués à l’aide de techniques relevant de la biologie médicale » sont remplacés par les mots : « figurant soit à la nomenclature des actes de biologie médicale, soit à la nomenclature générale des actes professionnels » ;

5° L’article L. 6221-12 est abrogé ;

6° L’article L. 6241-2 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa du I, les mots : « ou la structure qui réalise les examens d’anatomie et de cytologie pathologiques » sont supprimés ;

b) Au premier alinéa du II, les mots : « ou de la structure qui réalise des examens d’anatomie et de cytologie pathologiques » et les mots : « ou cette structure » sont supprimés.

Mme la présidente. L'amendement n° 10, présenté par MM. Milon, Gilles et Savary, Mmes Deroche et Bruguière, M. Cardoux, Mme Cayeux, M. de Raincourt, Mme Debré, MM. Dériot et Fontaine, Mmes Giudicelli, Hummel et Kammermann, MM. Laménie, Longuet, Lorrain et Pinton et Mmes Procaccia et Bouchart, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Cet amendement vise à maintenir l’article L. 6221–12 du code de la santé publique dans sa rédaction actuelle, qui est issue de l’ordonnance du 13 janvier 2010, et donc à supprimer son abrogation, prévue à l’alinéa 6 de l’article 3 de la présente proposition de loi.

Il faut rappeler que l’article L. 6221–12 dispose que « les structures qui réalisent des examens d'anatomie et de cytologie pathologiques à l'aide de techniques relevant de la biologie médicale sont soumises, au titre de ces examens », à l’obligation d’accréditation.

Ces examens d'anatomie et de cytologie pathologiques effectués à l'aide de techniques relevant de la biologie médicale peuvent être réalisés soit dans un laboratoire de biologie médicale ayant un secteur d'anatomie et de cytologie pathologiques, soit dans un laboratoire ou un cabinet d'anatomie et de cytologie pathologiques non adossé à un laboratoire de biologie médicale.

Afin qu'il y ait égalité des soins pour tous les patients, il est nécessaire, quelle que soit la structure dans laquelle sont réalisés les examens, que des garanties de qualité soient identiques et prouvées par l'accréditation.

En conséquence, il est nécessaire, dans tous les cas, que l'accréditation soit obligatoire pour tous les types de structures.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur la distinction opérée entre les examens de biologie médicale et les actes d’anatomie et de cytologie pathologiques pratiqués par les spécialistes de cette discipline. Il vise ainsi à inclure les actes relevant de cette spécialité dans le champ de l’accréditation.

La rédaction retenue dans la proposition de loi ne fait cependant que reprendre la position constante du Sénat sur cette question. Elle permet de prendre en compte le fait que la biologie médicale, d’une part, l’anatomie et la cytologie pathologiques, d’autre part, sont des spécialités médicales différentes.

En outre, cette solution d’équilibre ne ferme aucune porte : les structures spécialisées dans l’anatomie et la cytologie pathologiques peuvent entreprendre une démarche d’accréditation de manière volontaire.

Il reviendrait sans doute à un texte spécial de trancher définitivement la question de la place de cette discipline spécifique dans le champ médical et dans celui de la recherche. Or aucun projet de texte n’existe à ce jour.

La commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Comme l'a dit M. le rapporteur, les actes accomplis dans le cadre d'examen d'anatomie et de cytologie pathologiques ont une spécificité propre. La biologie et ce qu'on appelle l’« anapath » sont deux spécialités différentes et, par conséquent, il n’est pas possible de lier l’une et l’autre en les soumettant à des règles d’organisation identiques.

Je rappelle d'ailleurs que, à la demande du Conseil national des pathologistes, le CNPath, qui regroupe l'ensemble des professionnels et des associations œuvrant dans le secteur de l’anatomie et de la cytologie pathologiques, un rapport a été rendu en avril 2012, dans lequel il est indiqué que cette discipline spécifique ne peut pas être considérée comme une partie de l'activité de biologie médicale et qu'il importe de la dissocier clairement de la biologie afin de lui donner une organisation et des règles propres, notamment lorsqu'elle est pratiquée hors d'un laboratoire de biologie médicale.

Il paraît donc nécessaire que les actes d'anatomie et de cytologie pathologiques relèvent de règles et de techniques spécifiques. Tel est le sens de l'abrogation de l'article L. 6221–12 du code de la santé publique.

À mon regret, monsieur Milon, j’émets donc un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.

Mme Catherine Génisson. J'ai bien écouté les arguments de M. le rapporteur et de Mme la ministre, auxquels je ne peux que souscrire. D’ailleurs, personne ne conteste que l'anatomopathologie et la biologie médicale sont deux activités différentes, mais, comme vous l'avez fait, madame la ministre, il est important de souligner que cette différence de nature entre l’une et l’autre n’implique aucunement que seule l’une d’entre elles, en l’occurrence la biologie médicale, soit expressément soumise à une obligation d'accréditation. Pour quelle raison l’anatomopathologie ne serait-elle pas soumise à cette même obligation ?

Si nous avions l’assurance que les structures qui réalisent des examens d’anatomie et de cytologie pathologiques à l’aide de techniques relevant de la biologie médicale sont soumises, au titre de ces examens, à l’obligation d’accréditation, nous nous rangerions à l’avis de la commission et du Gouvernement.

Madame la ministre, il serait souhaitable que vous puissiez nous le confirmer.

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Bien évidemment, je soutiens l'amendement présenté par Alain Milon.

Là encore, je relève une contradiction, madame la ministre. Si les laboratoires qui réalisent des examens d’anatomie et de cytologie pathologiques ne sont pas accrédités, comment envisager que des laboratoires de proximité qui ne sont pas spécialisées spécifiquement dans l’anapath puissent passer des conventions avec des laboratoires spécialisés dans l'anatomopathologie et non accrédités ?

Il y a vraiment là une ambiguïté, que l'amendement d'Alain Milon permettait justement de lever, étant entendu, je ne le conteste pas, que l’anapath et la biologie médicale sont deux spécialités différentes. La logique voudrait que les actes médicaux accomplis dans le cadre de ces deux disciplines fassent l’objet d’une reconnaissance identique.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends bien le sens de vos observations.

Je ne dis pas que les actes d’anatomopathologie ne doivent pas relever d’un contrôle et d’une démarche d’accréditation, mais je considère que l’on ne peut pas, lors de la discussion d’un texte portant sur la seule biologie médicale, décider l’extension de règles propres à cette dernière à des actes qui relèvent d’une spécialité différente.

Vous me demandez, madame Génisson, si l’anapath sera soumise à accréditation obligatoire. Cette considération me paraît répondre à votre question. Cela étant dit, soyez assurée qu’une démarche est d’ores et déjà engagée pour déterminer des règles de contrôle spécifiques à l’anatomopathologie.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Madame la ministre, je vous remercie des précisions que vous m’avez apportées. Dès lors que vous nous indiquez que la démarche d’accréditation vaut pour cette autre spécialité qu’est l’anatomopathologie, nous suivrons votre avis et celui du rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Je tiens à lever toute ambiguïté. Je n’ai pas dit que la démarche d’accréditation engagée valait pour les actes d’anatomopathologie. J’ai dit que, parallèlement à la démarche que nous avons engagée pour la biologie médicale et qui aboutit aujourd'hui à cette proposition de loi, nous avons engagé au sein des services administratifs une démarche afin de déterminer de quelle manière encadrer également les actes d’anatomopathologie.

Je n’affirme pas que la même démarche, le même label d’accréditation sera ensuite étendu. Je veux, je le répète, lever toute ambiguïté afin que l’on ne puisse pas ensuite reprocher au Gouvernement d’avoir entretenu le flou sur ses objectifs.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Il ne faut pas, en effet, jouer sur l’ambiguïté. Les laboratoires d’anatomopathologie ne sont pas soumis à accréditation ; seule une autorisation, délivrée sous certaines conditions, est obligatoire pour leur ouverture.

Envisager de les soumettre à accréditation serait, certes, parfaitement logique, mais, à l’heure actuelle, je ne crois pas qu’une telle démarche soit envisagée. Je ne soutiendrai pas l’amendement de mon ami Alain Milon, car il s’agit de deux démarches différentes.

Mme la présidente. Monsieur Milon, l’amendement no 10 est-il maintenu ?

M. Alain Milon. J’ai bien entendu les divers arguments comme les explications de Mme la ministre, et je suis plutôt de l’avis de Gilbert Barbier s’agissant de l’accréditation des laboratoires d’anatomopathologie. Quoi qu’il en soit, je retire mon amendement.

Mme Marisol Touraine, ministre. Je vous en remercie, monsieur le sénateur !

Mme la présidente. L’amendement no 10 est retiré.

Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.

Article 3 (Texte non modifié par la commission)
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Article 5

Article 4

Le même code est ainsi modifié :

1° Avant la dernière phrase du second alinéa de l’article L. 1223-1, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Chaque établissement de transfusion sanguine peut disposer d’un laboratoire de qualification biologique du don comportant plusieurs sites, localisés sur plus de trois territoires de santé par dérogation aux dispositions de l’article L. 6222-5, dans la limite de son champ géographique d’activité déterminé en application de l’article L. 1223-2. » ;

2° L’article L. 6211-13 est ainsi rédigé :

« Art. L. 6211-13. – Lorsque la totalité ou une partie de la phase pré-analytique d’un examen de biologie médicale ne peut être réalisée dans le laboratoire de biologie médicale, elle peut l’être dans un établissement de santé, au domicile du patient ou dans des lieux en permettant la réalisation, par un professionnel de santé autorisé, sous sa responsabilité et conformément aux procédures déterminées avec le biologiste-responsable du laboratoire mentionné à l’article L. 6211-11.

« Les catégories de professionnels de santé autorisés à réaliser cette phase et les lieux permettant sa réalisation sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé. » ;

3° À l’article L. 6211-17, les mots : « au domicile du patient » sont supprimés ;

4° L’article L. 6223-5 est complété par un 3° ainsi rédigé :

« 3° Une personne physique ou morale qui détient, directement ou indirectement, une fraction du capital social d’une société de professionnels de santé autorisés à faire des prélèvements dans les conditions mentionnées à l’article L. 6211-13 et ne répondant pas aux dispositions du chapitre II du titre Ier du présent livre. »

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 11, présenté par MM. Milon, Gilles et Savary, Mmes Deroche et Bruguière, M. Cardoux, Mme Cayeux, M. de Raincourt, Mme Debré, MM. Dériot et Fontaine, Mmes Giudicelli, Hummel et Kammermann, MM. Laménie, Longuet, Lorrain et Pinton et Mmes Procaccia et Bouchart, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 3

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Une réglementation spécifique aux établissements de transfusion sanguine est prévue aux articles L. 1223-1 et suivants du code de la santé publique pour leur activité principale, la qualification du don et pour leurs activités d’immunohématologie.

Aussi, il ne paraît pas utile d’introduire dans cette réglementation des éléments dérogatoires à l’exercice de la biologie médicale.

Par ailleurs, l’article L. 1223-1 du code de la santé publique prévoit d’ores et déjà que les établissements de transfusion sanguine sont admis à exploiter, dans le cadre d’un laboratoire, une activité de biologie médicale, sous réserve que celle-ci conserve un caractère accessoire.

L’exécution d’examens de biologie médicale dans le cadre du laboratoire de l’établissement de transfusion sanguine respecte pleinement les dispositions légales qui s’imposent, pour une telle activité, aux laboratoires de biologie médicale.

En particulier, aucune considération de santé publique non plus qu’aucune « spécificité particulière » d’une telle activité de biologie médicale, fût-elle exercée à titre accessoire, ne justifie qu’un laboratoire de biologie médicale, même s’il est exploité par un établissement de transfusion de sanguine, ne soit pas soumis aux dispositions de l’article L. 6222-5 applicable à tous les laboratoires de biologie médicale.

Une telle dérogation serait, au contraire, de nature à contrarier l’un des objectifs majeurs recherchés par la proposition de loi qui est de « garantir une biologie médicale de proximité et de qualité ».

Par ailleurs, toute dérogation aux règles fixées par l’article L. 6222-5 du code de la santé publique accordée aux établissements de transfusion sanguine serait de nature, en ce qui concerne les activités de biologie médicale réalisées sur le territoire national, à porter une atteinte au principe de libre concurrence tel qu’il est prévu par le droit communautaire.

Mme la présidente. L'amendement n° 57, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

qualification biologique du don

par les mots :

biologie médicale

La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Cet amendement est évidemment très différent du précédent.

Une des difficultés que rencontre l’Établissement français du sang du fait de la réforme de la biologie médicale réside dans le respect de la règle de territorialité.

Nous estimons que la règle qui vise à éviter ou à empêcher que des établissements se retrouvent sur plus de trois territoires de santé limitrophes ne doit pas s’appliquer à l’Établissement français du sang. En effet, de par les missions qu’il mène et de par son statut, cet établissement ne peut pas être considéré comme un laboratoire de biologie de droit commun.

Je précise d’emblée, même si j’aurai sans doute l’occasion d’y revenir après l’avis de la commission, que, si nous adoptions cette interdiction, nous mettrions en danger l’activité de plusieurs sites de collecte de dons de sang dans les régions les plus densément peuplées. Vingt-sept sites fonctionnent actuellement en Île-de-France et, à l’évidence, ils sont répartis sur plus de trois territoires de santé limitrophes.

En conséquence, si nous voulons préciser les conditions dans lesquelles la collecte de sang est réalisée, nous ne voulons pas remettre en question l’exception de territorialité pour l’Établissement français du sang.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les amendements n° 11 et 57 ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Les amendements déposés sur les alinéas 2 et 3 de l’article 4 illustrent l’alternative dans laquelle nous sommes placés s’agissant de la situation de l’Établissement français du sang.

L’amendement n° 57 vise à étendre les dérogations accordées à l’EFS à des activités qu’il pratique actuellement, mais qui ne relèvent pas de son monopole législatif. C’est le cas de l’immunohématologie du receveur, voire de la biologie médicale.

L’amendement n° 11 tend, au contraire, à limiter les dérogations accordées à l’EFS à ses seules activités de qualification biologique du don, pour lesquelles le droit existant lui accorde un monopole et auquel les règles de territorialité des sites de laboratoires ne s’appliquent pas.

Je comprends, bien sûr, les préoccupations qui ont inspiré la proposition du Gouvernement. Ne pas légitimer une pratique qui existe déjà, et qui semble-t-il fonctionne bien, pourrait entraîner une forte désorganisation de l’Établissement français du sang. Or, celui-ci rend des services indispensables puisqu’il effectue 85 % des actes de délivrance des dons.

J’attire cependant votre attention, mes chers collègues, sur les risques que présenterait une telle légitimation. L’Établissement français du sang n’intervient aujourd’hui que pour 28 % des examens d’immunohématologie des receveurs, qui ne relèvent pas de son monopole, tandis que les laboratoires de biologie médicale privés en effectuent 55 % et les centres hospitaliers 15 %. Lui accorder une dérogation pour ces actes et, plus encore, pour les examens courants de biologie médicale pourrait porter atteinte aux principes de libre concurrence.

Placée devant ce choix, la commission des affaires sociales, après en avoir longuement délibéré, a décidé de donner un avis de sagesse sur ces amendements. Il appartient donc à chacun de vous de se déterminer, mes chers collègues !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 11 ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement lui préfère, bien évidemment, son propre amendement ! (Sourires.)

J’apporterai simplement quelques précisions.

L’activité de l’Établissement français du sang ne se limite pas à la qualification biologique des dons sanguins. Les laboratoires de l’EFS réalisent des analyses qui vont très au-delà des simples analyses biologiques d’immunologie cellulaire et humorale, de cytologie hématologique, d’hémostase ou encore de biologie moléculaire, et se livrent donc à des activités qui relèvent de différentes spécialités.

Cependant, l’EFS est l’opérateur unique de la transfusion sanguine sur notre territoire. Il ne peut donc pas être placé sur le même pied que les autres opérateurs de la biologie. Il ne s’agit pas d’une question de concurrence ou de distorsion de concurrence, mais bien de garantir la pérennité de l’ensemble des activités de l’EFS, qui, on l’a dit, est en proie à des difficultés, ce qui justifie qu’une mission de réflexion ait été engagée en vue de l’accompagner et de le consolider.

M. le rapporteur l’a dit et je tiens à le souligner, certaines analyses de biologie médicale concernant le sang sont réalisées aujourd’hui dans des établissements de santé, de sorte que l’EFS n’a pas le monopole de fait de l’ensemble des analyses réalisées. En maintenant la dérogation territoriale, nous n’empêchons pas la réalisation des actes dans d’autres structures, notamment dans les hôpitaux ou dans les établissements de santé ; nous apportons simplement des garanties pour des activités qui, aujourd’hui, sont réalisées sur des sites qui peuvent être considérés comme proches territorialement mais qui sont avant tout proche de l’Établissement français du sang.

C’est en ce sens que je disais tout à l’heure qu’il ne s’agissait pas d’une question de distorsion de concurrence. L’objectif n’est pas de dénier à d’autres établissements le droit de réaliser certains actes de biologie médicale, mais simplement de ne pas empêcher l’Établissement français du sang de mener à bien ses propres activités, dans le cadre du statut particulier dont il jouit dans notre paysage sanitaire, compte tenu de l’importance de tout ce qui a trait au don du sang et à la transfusion sanguine.

J’insiste sur ce point : nous sommes face à des enjeux de sécurité sanitaire majeurs. Je le répète donc, il ne s’agit pas d’empêcher les établissements de santé de réaliser les actes qu’ils pratiquent déjà, mais il ne faut pas renverser la situation en adoptant des dispositions qui fragiliseraient l’Établissement français du sang, sans que personne n’y trouve avantage par ailleurs, et désorganiseraient tout le système.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.

Mme Catherine Génisson. Ce qui compte avant tout, c’est la sécurité de nos concitoyens et donc la fiabilité des examens hématologiques pratiqués tant sur les donneurs que sur les receveurs.

Il existe peu d’établissements de santé, qu’ils soient publics où privés, qui ne disposent pas d’un laboratoire d’hématologie à même de pratiquer les examens qu’effectue l’Établissement français du sang. Il est tout à fait légitime que ce dernier procède aux examens concernant le donneur, mais les examens de compatibilité, eux, sont couramment faits dans les laboratoires des établissements de santé.

Je pense donc que, dans la mesure où ces laboratoires existent, les prérogatives qui seront accordées à l’Établissement français du sang ne pourront que créer une situation de concurrence. Je ne crois pas, par ailleurs, qu’elles puissent être la solution aux difficultés réelles qu’il rencontre.

Nous mélangeons deux sujets, majeurs l’un et l’autre, mais ce n’est pas parce que l’EFS est confronté à une situation délicate qu’il faut, pour lui donner une bouffée d’oxygène, l’autoriser à pratiquer des examens qui sont réalisés par ailleurs.

Je peux vous garantir que dans mon exercice professionnel j’ai vu beaucoup d’examens redondants parce que fournis et par le centre de transfusion sanguine et par le laboratoire d’hématologie du centre hospitalier concerné.

J’avoue, madame la ministre, que votre démonstration me laisse assez perplexe et je ne vois pas très bien quel intérêt supérieur du patient nous défendrions en votant votre amendement !

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Je tiens à préciser une nouvelle fois que l’amendement que j’ai défendu ne résulte pas de la volonté de déstabiliser l’Établissement français du sang. Je crois, madame la ministre, que nous avons des objectifs communs mais que nous empruntons des voies différentes pour les atteindre.

Ce qui nous préoccupe aussi, comme Catherine Génisson l’a fort bien dit, c’est la redondance des examens. Tous les praticiens le constatent, les examens sont régulièrement pratiqués deux fois, et c’est donc toute l’économie de la santé qui est en jeu.

Il ne s’agit pas de déstabiliser l’un ou de favoriser les autres, mais de trouver une solution, et je crois que vous n’échapperez pas, madame la ministre, à la nécessité de trouver un équilibre un peu mieux construit entre les prérogatives des centres de transfusion et celles des autres partenaires.

Voilà quelques instants, on a vu que les laboratoires d'anapath n’entraient pas dans le champ de la proposition de loi, et l’on constate maintenant que les centres de transfusion peuvent eux faire l’objet d’amendements susceptibles d’être retenus : il me semble qu’il y a deux poids, deux mesures !

En tout état de cause, j’estime que la question méritait d’être posée. Ce n’est pas forcément aujourd’hui, je le concède bien volontiers, que nous pourrons y répondre, mais il faudra bien trouver une solution. C’est pourquoi nous maintenons notre amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Il n’y a pas deux poids, deux mesures, monsieur Barbier.

L’Établissement français du sang et ses sites pratiquent bien une activité de biologie, et c’est au regard de celle-ci que l’ensemble de leurs actes doivent être considérés.

Par ailleurs, madame Génisson, certains sites de l’Établissement français du sang réalisent l’ensemble des actes concernant le sang du donneur, y compris la vérification de compatibilité, qui n’est donc pas systématiquement réalisée par un établissement de santé, contrairement à ce que vous dites.

À Pontoise, par exemple, c’est le site de l’EFS qui réalise l’ensemble des examens d’hématologie sur les donneurs…

M. Gilbert Barbier. Pas sur les receveurs !

Mme Marisol Touraine, ministre. L’établissement de santé a, en quelque sorte, délégué à ce site de l’Établissement français du sang l’ensemble de l’activité. Or Pontoise est située dans un secteur où la question de l’enjeu territorial se pose très concrètement : s’il n’y a pas demain de dérogation à la règle de la territorialité, le site de l’EFS ne pourra pas être maintenu, ce qui ne manquera pas d’entraîner une désorganisation de la pratique des actes d’hématologie.

Au-delà de cet exemple, il est évident que la région Île-de-France, qui recouvre huit territoires, de surcroît limitrophes, serait la plus directement impactée.

Pour conclure, je tiens à signaler que nous avons engagé une mission sur l’ensemble de la filière du sang, car les enjeux qui s’attachent à la sécurité de toute la chaîne sont essentiels, et pas seulement pour les donneurs et les receveurs. Dans le cadre de cette mission, nous serons amenés à nous interroger, monsieur Savary, sur l’articulation entre l’Établissement français du sang et les différentes structures qui procèdent, à un titre ou à un autre, à des examens sanguins.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Il faut voir la réalité des choses. Ce n’est pas avec les centres de biologie privés qu’il y a concurrence. C’est entre les sites de l’Établissement français du sang et les laboratoires d’hématologie et d’immunologie des CHU et des grands hôpitaux qu’une véritable rivalité existe, et c’est bien là le problème !

Cette « guéguerre » ne date pas d’aujourd’hui et, comme l’a souligné Mme Génisson, même si des examens ont été pratiqués par l’Établissement français du sang, lorsque le patient arrive au CHU, on les refait, et cette redondance a évidemment un coût qu’il faut bien que quelqu’un supporte…

Je ne connais pas la situation en Île-de-France, mais je peux vous dire que dans ma région, la Franche-Comté, l’activité de biologie médicale ne peut représenter plus de 15 % des actes qu’effectue l’Établissement français du sang et qu’elle est donc limitée comparée à celle du CHU. Du fait de cette limitation, même s’il capte une certaine clientèle, l’EFS ne peut pas toujours effectuer l’ensemble des examens biologiques à pratiquer sur l’un de ses clients, ce qui d’ailleurs ne doit pas être sans conséquence sur le plan financier.

Je soutiendrai cependant l’amendement de M. Milon parce qu’il répond peut-être, en l’état actuel des choses, à un problème qui se pose de façon plus générale sur l’ensemble du territoire français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, que je prie de bien vouloir être concise.

Mme Catherine Génisson. Je le serai, madame la présidente, d’autant que ce n’est certainement pas aujourd'hui que nous parviendrons à traiter totalement le sujet !

Forte des explications que vient de donner Mme la ministre, je pense que ce qu’il y a de gênant dans cet alinéa 3 de l’article 4, c’est qu’il prévoit que chaque établissement de transfusion sanguine pourra disposer d’un laboratoire de qualification biologique du don.

Autant je peux entendre que, lorsque des inégalités territoriales sont constatées, l’ARS intervienne pour favoriser localement des conventions entre l’établissement de transfusion sanguine et établissements de santé, autant j’ai du mal à admettre que ce droit soit accordé à tous les établissements de transfusion sanguine sur l’ensemble du territoire national.

Pour autant, je veux bien adhérer à l’argumentation de Mme la ministre, sachant que le texte doit et va encore évoluer.

Mme Catherine Procaccia. La CMP sert à cela !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 57.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 12, présenté par MM. Milon, Gilles et Savary, Mmes Deroche et Bruguière, M. Cardoux, Mme Cayeux, M. de Raincourt, Mme Debré, MM. Dériot et Fontaine, Mmes Giudicelli, Hummel et Kammermann, MM. Laménie, Longuet, Pinton et Lorrain et Mmes Procaccia et Bouchart, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 5

1° Remplacer les mots :

la totalité ou une partie de la phase pré-analytique d’un examen de biologie médicale ne peut être réalisée

par les mots :

le prélèvement d’un échantillon biologique ne peut être réalisé

2° Remplacer le mot :

elle

par le mot :

il

II. - Alinéa 6

Remplacer les mots :

cette phase

par les mots :

ce prélèvement

La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. La rédaction actuelle de l’alinéa 1 de l’article L. 6211-13 du code de la santé publique autorise la réalisation, en dehors du laboratoire, de l’ensemble de la phase pré-analytique d’un examen – comprenant le prélèvement d'un échantillon biologique, le recueil des éléments cliniques pertinents, son transport ainsi que sa préparation en vue des analyses –, ce qui, du point de vue de la santé publique et de la sécurité sanitaire, n’est évidemment pas souhaitable.

En effet, cette rédaction est contraire aux exigences de la santé publique, dont le seul objet est de contribuer à la qualité de l’examen de biologie médicale.

En l’état, la répartition des laboratoires et de leurs sites sur le territoire national leur permet de réaliser cette phase de l’examen de biologie dans des conditions de sécurité et de qualité. 

Seuls 5 % des prélèvements sanguins environ seraient réalisés en dehors des laboratoires ou des établissements de santé. Cette pratique correspond à des situations particulières, notamment en zone rurale du fait de l’éloignement du patient.

Le présent amendement prévoit donc de restreindre le champ de l’examen de biologie médicale réalisable en dehors du laboratoire de biologie médicale au seul prélèvement des échantillons biologiques.

J’ajoute que cette nouvelle rédaction de l’article L. 6211-13 du code de la santé publique est en totale adéquation avec les avancées qualitatives de la « médicalisation » de la biologie médicale.

M. le président. L'amendement n° 37 rectifié, présenté par MM. Barbier, Alfonsi, Baylet, Bertrand, Chevènement, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Mézard, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 5

1° Remplacer les mots :

la totalité ou une partie de la phase préanalytique d’un examen de biologie médicale ne peut être réalisée

par les mots :

le prélèvement d’un échantillon biologique, sa conservation, son transport ne peuvent être réalisés

2° Remplacer les mots :

elle peut

par les mots :

ils peuvent

3° Après les mots :

un établissement de santé

insérer les mots :

dans une pharmacie d’officine,

La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Cet amendement diffère un peu du précédent…

L’ordonnance de 2010 prévoit la suppression de l’article L. 6211-5 du code de la santé publique, selon lequel « la transmission des prélèvements aux fins d’analyses n’est autorisée qu’au pharmacien d’officine installé dans une agglomération où n’existe pas de laboratoire exclusif ».

Mme Bachelot-Narquin, alors ministre, avait été alertée des conséquences de cette suppression qui prive les officines de pharmacie de la possibilité de recueillir des prélèvements biologiques, utile notamment en milieu rural. Elle avait promis que ce point serait revu, mais, hélas, le problème est toujours pendant.

Les pharmaciens d’officine assuraient un service efficace et de qualité. Le recueil et la transmission des prélèvements en milieu rural risquent donc de se trouver ralentis en raison des distances à parcourir entre le laboratoire, d’une part, et les cabinets d’infirmières ou le domicile du patient, d’autre part. Pourtant, l’ordonnance avait été conçue pour améliorer, entre autres objectifs, l’accessibilité aux examens de biologie médicale !

Le nouvel article L. 6211-13 du code de la santé publique prévoit que, « lorsque la totalité ou une partie de la phase pré-analytique d’un examen de biologie médicale ne peut être réalisée dans le laboratoire de biologie médicale, elle ne peut l’être que dans un établissement de santé, au domicile du patient, ou dans des lieux permettant la réalisation de cette phase par un professionnel de santé […] », la liste de ces lieux et leurs caractéristiques étant déterminées par décret en Conseil d’État. Le même article prévoit par ailleurs que les catégories de professionnels de santé habilités à réaliser cette phase pré-analytique sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé. Pourquoi avoir exclu les pharmacies d’officine ?

À ce jour, ce problème, qui se pose maintenant depuis trois ans, n’est pas tranché.

Si, au regard des dispositions de l’ordonnance, les pharmaciens ne sont plus autorisés à transmettre les prélèvements remis par leurs patients, nombre d’entre eux, notamment en milieu rural, continuent à recueillir, conserver et transmettre ou à recevoir en dépôt des prélèvements dans le plus grand flou juridique, ce qui les place dans une situation très incertaine et dangereuse en cas de problème. Est-il envisagé de corriger cette omission dans le décret qui pourrait intervenir, pour l’application de ces soins ?

Le second point concerne le problème de la phase pré-analytique. En la matière, l’amendement que je présente varie quelque peu par rapport à celui de mes collègues. En effet, limiter la partie hors laboratoire aux prélèvements est beaucoup trop restrictif. Partant, cette définition est inadaptée aux réalités. Il convient de prévoir la conservation et l’éventuel transport des prélèvements, en définissant les modalités de ces trois actes par décret ou par arrêté.

En effet, il est très courant que les professionnels de santé, notamment les infirmières, soient conduits à transporter directement au laboratoire les prélèvements qu’ils effectuent.

Par ailleurs, il faut souligner le changement fondamental – là réside l’aspect capital du texte qui nous est proposé – par rapport aux dispositions en vigueur. Actuellement, la phase pré-analytique est placée sous la responsabilité du biologiste médical ; le présent texte tend à la transférer à la responsabilité du professionnel de santé, qui assume tout ou partie de cette phase. Cela revient à ôter au biologiste une partie fondamentale de l’examen qui comprend également, ne l’oublions pas, le recueil des éléments cliniques pertinents et la préparation de l’échantillon.

Qu’adviendra-t-il des responsabilités respectives du professionnel de santé qui effectue le prélèvement et le transporte, et du biologiste médical, lequel assure les phases suivantes ? Quel est le rôle de chacun des intervenants en cas de problème ?

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 3 est présenté par MM. Vanlerenberghe et Amoudry, Mmes Dini et Jouanno, MM. Marseille, Roche et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC.

L'amendement n° 27 est présenté par Mmes Cohen, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5

1° Remplacer les mots :

la totalité ou une partie de la phase pré-analytique d’un examen de biologie médicale ne peut être réalisée

par les mots :

le prélèvement d’un échantillon biologique ne peut être réalisé

2° Remplacer le mot :

elle

par le mot :

il

La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour présenter l’amendement n° 3.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, je serai bref. En effet, mon amendement étant quasiment identique à celui qu’a présenté M. Milon et proche de celui que vient de proposer M. Barbier, les arguments que je pourrais développer sont peu ou prou les mêmes que ceux qui viennent d’être invoqués.

Je relève toutefois une exception, concernant un enjeu que M. Barbier a souligné : la responsabilité du laboratoire d’analyses médicales.

Monsieur le rapporteur, si j’ai bien lu l’article 4, c’est sous la responsabilité de l’opérateur que s’effectue le prélèvement ou la phase pré-analytique. Mais qu’advient-il, dès lors, du laboratoire d’analyses, qui reste, en définitive, le seul et unique responsable vis-à-vis du patient ?

Je ne suis certes pas médecin mais, en tant que scientifique, je m’interroge sur cette question : si la phase pré-analytique n’est pas bien réalisée, qui sera responsable du mauvais jugement, de la mauvaise analyse ? Le laboratoire ! Il s’agit là d’un véritable problème, que je me permets de soulever et qui, je l’espère, sera résolu par notre assemblée via une nouvelle rédaction de cet article.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 27.

Mme Laurence Cohen. Nos arguments rejoignent ceux qui viennent d’être avancés.

Naturellement, nous ne sommes pas opposés à ce que, dans certaines circonstances particulières et limitées, d’autres professionnels de santé que les biologistes médicaux puissent être autorisés à effectuer des prélèvements, notamment sanguins. Je songe par exemple à la faculté dont disposent les infirmiers de prélever des échantillons biologiques en cabinet, voire au domicile des patients.

Pour autant, la phase pré-analytique ne saurait être limitée au seul prélèvement. À nos yeux, il convient de réserver les autres étapes aux biologistes médicaux, ne serait-ce que pour garantir l’intégrité du prélèvement, composante indispensable à la qualité de l’examen et à l’exactitude des conclusions qu’en tireront les biologistes.

Qui plus est, il y a, selon nous, un paradoxe certain à vouloir tout à la fois encadrer la chaîne d’examen afin d’en renforcer la sécurité – c’est, au regard des arguments avancés, tout le sens de la procédure d’accréditation – et extraire de cette obligation de sécurité une phase qui est essentielle à l’analyse et, par voie de conséquence, à l’établissement du diagnostic.

Est-ce à dire que la phase pré-analytique est moins importante que les autres étapes ?

En outre, cette disposition est de nature à engendrer une distorsion de droits et d’obligations avec les laboratoires de biologie médicale qui mènent eux-mêmes cette phase, à moins que l’accréditation qui s’imposera demain aux laboratoires de biologie médicale ne concerne pas cette étape.

Mes chers collègues, cette question a déjà fait l’objet d’un débat similaire à l’Assemblée nationale. Alors que nos collègues députés examinaient la proposition de loi présentée par Valérie Boyer, Mme Catherine Lemorton, en défendant un amendement identique à celui que nous sommes en train d’examiner, avait pris un exemple particulièrement éclairant, que je souhaite vous livrer : « Lorsqu’un échantillon urinaire devra être transporté sur soixante ou soixante-dix kilomètres – car, à force, c’est ce qui va arriver, avec la disparition des laboratoires de proximité – dans quelles conditions ce transport s’effectuera-t-il, et à qui incombera la responsabilité si les choses ne se passent pas bien ? »

Les infirmières et infirmiers ruraux, qui se plaignent déjà de la baisse des tarifs kilométriques, seront sans doute peu nombreux à vouloir assurer ce transport, surtout si celui-ci s’accompagne de contraintes – légitimes – en matière de mise aux normes. C’est la raison pour laquelle nous considérons que cette mission doit continuer à relever de la responsabilité matérielle et juridique des biologistes médicaux.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie de cet excellent exercice d’analyse.

Ces quatre amendements tendent à limiter les étapes de l’examen biologique qui peuvent se dérouler en dehors des laboratoires de biologie médicale et des établissements de santé, afin que la phase pré-analytique ne soit pas concernée dans son ensemble par cette possibilité.

Les amendements nos 12, 27 et 3 limitent ces étapes au seul prélèvement d’un échantillon biologique, tandis que l’amendement n° 37 rectifié, présenté par M. Barbier, concerne le prélèvement, la conservation et le transport.

En premier lieu, je tiens à préciser que la rédaction de l’article 4 n’impose en rien que l’intégralité de la phase pré-analytique se déroule hors des laboratoires de biologie médicale. Elle en ouvre simplement la possibilité, pour une partie de la phase pré-analytique, voire pour sa totalité, et ce par souci de pragmatisme, lorsqu’il est impossible que cette phase ait lieu dans un tel laboratoire.

L’article 4 n’empêche pas non plus le biologiste médical de se déplacer pour accomplir lui-même ces actes. Il permet uniquement, si le biologiste ne souhaite pas ou ne peut pas se déplacer – par exemple en raison des obligations de présence que lui impose le code de la santé publique –, que cette phase soit réalisée par des professionnels de santé. Celle-ci est alors accomplie sous leur responsabilité et dans le cadre d’une convention conclue avec le biologiste.

Il me paraît difficile de dissocier clairement les différentes composantes de la phase pré-analytique, telles qu’elles sont définies à l’article L. 6211–2 du code de la santé publique, auquel je vous renvoie.

D’un point de vue pratique, on ne peut imaginer qu’un biologiste qui ne se déplace pas pour effectuer un prélèvement sur un patient se déplace en revanche pour assurer le recueil des éléments cliniques pertinents pour ce même patient. Le même raisonnement s’applique pour les autres étapes de la phase pré-analytique mentionnées dans le code : la préparation, la conservation et le transport de l’échantillon biologique. Une telle dissociation conduit donc à vider l’article 4 de son objet, qui est d’assurer l’accès aux soins de biologie médicale sur l’ensemble du territoire.

De plus, en dissociant ces différentes étapes, l’on dissocie également les responsabilités applicables, ce qui me paraît dangereux.

Je suis bien conscient des enjeux de santé et de sécurité ainsi que des enjeux de responsabilité qui s’attachent à la phase pré-analytique, notamment aux stades du prélèvement et de la préparation. Néanmoins, il me semble que ceux-ci sont pris en compte dans la rédaction actuelle.

S’agissant des enjeux de sécurité sanitaire, la présente proposition de loi prévoit la définition de procédures directement avec le biologiste-responsable. En pratique, ces procédures sont fixées par une convention conclue entre les professionnels de santé – notamment les cabinets infirmiers – et les laboratoires de biologie médicale.

Est également résolue la question de la responsabilité applicable. Celle-ci est attribuée dans sa globalité au professionnel de santé qui effectue tout ou partie de la phase pré-analytique. Il s’agit d’une évolution importante par rapport aux textes précédents, qui conservaient au biologiste sa responsabilité sur l’ensemble des phases de l’examen.

Le principe retenu par le présent texte est le suivant : celui qui effectue un acte est également celui qui en assume la responsabilité. Il ne nous semble pas opportun de faire peser aujourd’hui sur les biologistes la responsabilité d’actes qu’ils n’accomplissent pas eux-mêmes.

Cette évolution permet par ailleurs de répondre aux attentes des professionnels de santé, qui ne souhaitent pas être placés sous la tutelle des biologistes. Ce n’est pas incompatible avec le contrôle par les biologistes de la phase pré-analytique, par le biais des conventions passées notamment avec les cabinets infirmiers.

L’amendement n° 37 rectifié prévoit en outre, à l’article 4, que les pharmacies d’officine soient mentionnées parmi les lieux dans lesquels peut se dérouler la phase pré-analytique. Cette rédaction ne me semble pas opportune.

De fait, la rédaction proposée tendrait à autoriser toutes les pharmacies, dans leur ensemble, à accomplir des actes dans le cadre de la phase pré-analytique. Or celles-ci ne sont pas toutes adéquatement équipées pour sa réalisation, ce qui pose un problème de sécurité sanitaire.

Le texte de la présente proposition de loi, tel qu’il a été modifié par la commission, n’exclut en rien une ouverture aux pharmacies, puisqu’il permet au pouvoir réglementaire d’accorder à certains lieux la possibilité de réaliser cette première phase de l’examen de biologie médicale. Pourront alors être définis des critères spécifiques qui permettront d’accorder cette possibilité aux pharmacies disposant de l’équipement nécessaire, ce que je vous ai rappelé en commission des affaires sociales.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur ces quatre amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur ces quatre amendements, pour les raisons qu’a excellemment présentées M. le rapporteur.

Concernant les amendements nos 12, 3 et 27, présentés par M. Milon et un certain nombre de collègues de son groupe, et, au nom de leurs groupes respectifs, par M. Vanlerenberghe et par Mme Cohen, je souscris totalement aux propos de Jacky Le Menn : il s’agit de ne pas dissocier les différentes étapes de la phase pré-analytique. En réalité, que signifierait, pour un patient, le fait de disposer d’une sécurité pour l’acte de prélèvement si on ne peut lui garantir que l’ensemble de la chaîne présente les mêmes garanties de sécurité ? Il va de soi que la qualité de l’acte est en jeu dès la phase de prélèvement, et jusqu’au terme de la phase analytique.

M. Gilbert Barbier. Sans oublier la phase post-analytique.

Mme Marisol Touraine, ministre. Tout à fait, monsieur le sénateur ! Cela ne fait que renforcer ce constat : les garanties doivent être les mêmes du début jusqu’à la fin du processus. On ne peut pas tronçonner l’ensemble de cette chaîne et affirmer : « Nous allons garantir une sécurité pour un acte de prélèvement, sans nous préoccuper, notamment, de la phase de transport. »

Aux yeux des auteurs de ces trois amendements, il n’est pas souhaitable que la responsabilité ne pèse que sur un des acteurs et il faut donc que chacun d’eux soit responsabilisé. Toutefois, une identification est nécessaire : à cet égard, des conventions existent déjà entre celui qui prélève, éventuellement celui qui transporte, et le laboratoire qui réalise l’analyse du prélèvement. Ces conventions pourront être dénoncées si toutes les conditions de la garantie ne sont pas assurées. Aussi, j’émets un avis défavorable sur les amendements nos 12, 3 et 27.

Monsieur Barbier, l’amendement n° 37 rectifié, que vous avez présenté, tend également à permettre le prélèvement en pharmacie d’officine. Or ce souhait est de facto satisfait par le présent article : les pharmaciens pourront figurer au nombre des professionnels autorisés. Il faudra naturellement que les conditions de sécurité et de garantie soient satisfaites, vous ne le contestez pas.

Dès lors qu’un pharmacien sera habilité, il faudra que les procédures soient déterminées via une convention préétablie entre celui-ci et le laboratoire qui traitera, dans un second temps, l’échantillon prélevé dans ces conditions. Rien ne s’oppose à ce qu’une convention soit conclue entre le pharmacien d’officine et le laboratoire.

Ainsi, étant donné que la rédaction actuelle du présent texte permet déjà l’aménagement que vous suggérez, j’émets également un avis défavorable sur votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Madame le ministre, j’avoue ne pas saisir très bien votre raisonnement.

En effet, vous affirmez que les amendements déposés par mes collègues et moi-même reviendraient à extraire la totalité ou une partie de la phase pré-analytique de la responsabilité du biologiste médical. Mais c’est bien le texte actuel qui l’autorise ! Or cela pose un véritable problème, ne serait-ce que pour ce qui concerne la rémunération de ces actes : on le sait fort bien, c’est le biologiste médical qui encaissera le prix de l’acte et rétribuera ainsi le professionnel de santé qui aura concouru à cette phase pré-analytique.

Bref, le texte que vous nous proposez sort beaucoup plus que nous le souhaitons cette phase pré-analytique de la responsabilité du biologiste. Pour notre part, nous entendons restreindre l’étape extraite de la phase pré-analytique au prélèvement et – pour ce qui me concerne – au transport et à la conservation. Sur ce point, une ambiguïté demeure, et vous ne l’avez pas levée.

À mon sens, cette situation risque de se révéler très complexe sur le plan juridique. Elle placera sans nul doute le biologiste responsable dans une position très délicate.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je partage tout à fait les propos de M. Gilbert Barbier. Vous l’avez dit, madame la ministre, c’est un ensemble, on ne peut séparer la phase pré-analytique de la phase analytique. Pourtant le texte les dissocie.

Je vous mets en garde, parce que c’est sous sa responsabilité que l’opérateur va effectuer le prélèvement (M. Gilbert Barbier opine) et mener la phase pré-analytique, dans le cadre d’une convention, c’est vrai. Mais on sait ce que vaut une convention en la matière !

Certes, la responsabilité de l’opérateur est engagée, mais c’est quand même le laboratoire de biologie médicale qui sera responsable en fin de compte de la qualité de l’analyse, du diagnostic, et en quelque sorte de la fiabilité de l’examen.

C’est sérieux, vous savez ! Cette phase pré-analytique peut conduire à des erreurs très graves. Je pense que nous devons établir une autre rédaction, conforme à ce que vous dites, d’ailleurs, quand vous affirmez qu’on ne peut pas dissocier les phases de l’examen. Écrivons donc, « sous la responsabilité du laboratoire de biologie médicale, et conformément à la convention » et ce problème sera réglé. Cette rédaction n’enlèverait rien à la responsabilité de l’opérateur. Exerçant une profession médicale, il est de toute façon responsable au regard du code de déontologie.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Comme vous l’avez dit, monsieur le sénateur, le prélèvement est un acte qui peut emporter des conséquences très importantes.

Comment peut-on admettre, dites-vous, qu’un biologiste, au fond, soit garant d’un ensemble d’actes dont le défaut pourrait être porteur de nombreuses conséquences négatives ? (M. Jean-Marie Vanlerenberghe s’exclame.)

M. Gilbert Barbier. Mais c’est déjà le cas aujourd’hui !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je voudrais vous retourner l’argument ! Comment peut-on imaginer qu’un biologiste maintienne des liens conventionnels avec des organismes qui n’effectueraient pas les actes dont la qualité de son diagnostic dépendrait ?

De facto, donc, dans la réalité professionnelle, il est inenvisageable qu’un laboratoire ou un biologiste puisse se désintéresser de l’ensemble de la chaîne. En outre, on ne voit pas comment il pourrait ne pas rompre une convention s’il disposait d’éléments l’amenant à conclure que la sécurité de son diagnostic et des actes qu’il réalise lui-même est mise en cause.

C’est bien de cela qu’il s’agit dans cet article et c’est cela que vous voulez remettre en cause en fractionnant la phase pré-analytique !

L’enjeu n’est pas mince ! C’est la sécurisation de l’opérateur qui intervient dans différents établissements. Il s’agit de garantir que la responsabilité sera clairement identifiée pour des actes qui seront réalisés dans des maisons de retraite, dans des services d’aide à domicile, etc.

On ne peut imaginer que des actes soient simplement exécutés comme cela, indépendamment de leur insertion dans la chaîne. Il paraît important que la qualité des actes soit l’objet d’une responsabilité globale. À cette fin, une convention reliera les différentes phases de l’analyse les unes aux autres et un acteur sera en charge de déterminer la nature des relations qu’il entretient avec l’ensemble des autres membres de la chaîne.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Dans le texte actuellement en vigueur, l’article L. 6211–13 précise : « … elle ne peut l’être que dans un établissement de santé, au domicile du patient, ou dans des lieux permettant la réalisation de cette phase par un professionnel de santé, sous la responsabilité d’un biologiste médical et conformément aux procédures qu’il détermine. ». On a modifié ce texte, et une ambiguïté a été introduite : « … elle peut l’être […] par un professionnel de santé, sous sa responsabilité et conformément… ».

Pourquoi ne pas être plus clair et dire que l’ensemble du processus est placé sous la responsabilité d’un biologiste médical, comme c’est le cas dans le texte en vigueur ?

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je voulais dire exactement cela, en reprenant les propos de Mme la ministre évoquant la responsabilité globale ! Je crois donc qu’il y a véritablement une ambiguïté dans le texte. Si vous la maintenez, c’est à vos risques et périls !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Étant déjà intervenu longuement, je vais résumer au plus court : c’est celui qui fait l’acte qui est responsable.

M. Gilbert Barbier. Mais non ! C’est la responsabilité sous la responsabilité du biologiste médical ! L’examen, c’est un tout !

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Nous avons une analyse différente de cet article !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le rapporteur, vous devez comprendre que la responsabilité ne se partage pas, surtout dans le cas d’une analyse médicale,…

M. Gilbert Barbier. D’autant plus qu’il y a la rémunération à l’acte !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … dont la conclusion peut entraîner de très graves erreurs de diagnostic !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Il est clair que, sur toutes les travées, une ambiguïté a été identifiée. Si cet article était bien écrit, il ne provoquerait pas ces réactions unanimes ! Je pense que nous pouvons le rédiger différemment en tenant compte de ces avis.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous propose d’interrompre nos travaux quelques instants. (Assentiment.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-neuf heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale.

Nous en sommes parvenus à la mise aux voix de l’amendement n° 12. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que l’adoption de ce dernier rendrait sans objet l’amendement n° 37 rectifié, ainsi que les amendements identiques nos 3 et 27.

Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 37 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 27.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. L'amendement n° 28 rectifié, présenté par Mmes Cohen, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

dans des lieux en permettant la réalisation

par les mots :

dans les lieux figurant sur une liste établie par le ministre chargé de la santé, selon des caractéristiques déterminées par lui

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Avec cet amendement, nous poursuivons notre démarche visant à l’encadrement et à la sécurisation de la phase pré-analytique.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 4 de la proposition de loi prévoit que la phase pré-analytique d’un examen de biologie médicale peut se dérouler « dans des lieux en permettant la réalisation ». Cette formulation ne nous semble pas satisfaisante, dans la mesure où elle donne l’impression que l’on vise une possibilité matérielle, en quelque sorte pratique.

La proposition de loi visant à apporter toutes les garanties de sécurité à l’examen pour que son interprétation soit la plus juste possible, on ne peut pas se satisfaire d’une expression qui suggère que la phase pré-analytique pourrait se dérouler dans un lieu où sa réalisation serait certes possible techniquement, mais en dehors de toute contrainte de sécurité ou de confidentialité.

C’est pourquoi nous proposons de confier au ministre chargé de la santé le soin d’établir une liste de lieux où la réalisation de cette phase serait possible, sur la base de critères et de caractéristiques arrêtés par décret.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Cet amendement vise à préciser la procédure selon laquelle les lieux permettant la réalisation de la phase pré-analytique de l’examen biologique peuvent être fixés par le pouvoir réglementaire. Il prévoit que la liste de ces lieux sera arrêtée par décret en Conseil d’État.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Il me semble qu’une telle procédure n’offre pas de garantie supplémentaire en matière de sécurité, dans la mesure où le Conseil d’État se prononcera sur la base des propositions du ministère de la santé.

Mme Laurence Cohen. Il n’est pas question du Conseil d’État !

M. Jacky Le Menn, rapporteur. En outre, elle pose un problème de cohérence avec la rédaction de l’alinéa suivant de l’article 4, l’alinéa 6, qui prévoit sur cette question un arrêté du ministre chargé de la santé.

En conséquence, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y serait défavorable.

Mme Laurence Cohen. L’amendement n° 28 a été rectifié : il n’est plus question d’un décret en Conseil d’État !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. En effet.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement, même rectifié.

L’enjeu principal est de s’assurer que le professionnel est autorisé à effectuer l’acte. Or il ne semble pas que les conditions supplémentaires prévues par l’amendement soient de nature à renforcer la sécurité telle qu’elle est définie à cet article 4.

Mme la présidente. Madame Cohen, l’amendement n° 28 rectifié est-il maintenu ?

Mme Laurence Cohen. Oui, madame la présidente. Je tiens simplement à préciser que, pour tenir compte des travaux en commission, nous avons abandonné l’intervention du Conseil d’État afin de rendre la procédure moins lourde.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 28 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 29 rectifié, présenté par Mmes Cohen, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Les conditions pour lesquelles la phase pré-analytique d’un examen de biologie médicale ne peut être réalisée dans un laboratoire de biologie médicale ou dans un établissement de santé sont définies par décret. »

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, l’ordonnance du 13 janvier 2010, en permettant la création de laboratoires multisites et en freinant la financiarisation du secteur de la biologie médicale sans la stopper, risque de conduire à une baisse du nombre de laboratoires sur le territoire national. Cette réduction résulterait de la concentration de toutes les phases d’examen au sein d’antennes régionales, dans le seul but de réduire les coûts et d’accroître les dividendes versés aux actionnaires.

Les groupes financiers ont également compris que la diminution des coûts de fonctionnement et, donc, l’augmentation de leurs marges bénéficiaires et de leurs dividendes pouvaient passer par une forme d’externalisation de la phase pré-analytique vers d’autres professionnels de santé. À quoi bon investir dans cette phase quand d’autres peuvent la réaliser pour vous ? Cette politique va conduire à la fermeture de centaines de laboratoires médicaux de proximité.

Je souligne qu’un amendement analogue avait été déposé par nos collègues du groupe socialiste lors de l’examen de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « proposition de loi Fourcade ».

La pratique de proximité doit demeurer, notamment en milieu rural, mais elle doit être encadrée. Nous proposons aussi d’empêcher la séparation de la phase pré-analytique et de la phase analytique. Cette séparation est espérée par certains grands groupes, parce que la phase analytique est la seule qui rapporte réellement.

Dès lors qu’à l’évidence toutes les circonstances de la vie ne se prêtent pas à la réalisation de la phase pré-analytique d’une analyse biologique au sein d’un laboratoire ou d’un établissement public de santé, il apparaît nécessaire que l’autorité réglementaire établisse une liste des cas dans lesquels cette opération pourrait être réalisée en d’autres lieux.

J’insiste sur le fait que notre intention est toujours la même depuis le début de la discussion de la proposition de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Cet amendement tend à confier au pouvoir réglementaire le soin de définir les cas dans lesquels la phase pré-analytique d’un examen de biologie médicale pourrait, par exception, être réalisée en dehors d’un laboratoire de biologie médicale ou d’un établissement de santé.

Je pense que, dans sa rédaction actuelle, l’article 4 de la proposition de loi assure un encadrement satisfaisant de la phase pré-analytique. Il prévoit que les procédures applicables à cette phase sont déterminées avec le biologiste-responsable du laboratoire et que « les catégories de professionnels de santé autorisés à réaliser cette phase et les lieux permettant sa réalisation sont fixés par arrêté du ministre chargé de la santé ».

Dans ces conditions, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 29 rectifié.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Il ne me semble pas que la proposition défendue par Mme Cohen présente un intérêt pratique du point de vue de la sécurité des procédures de prélèvement, qui est l’enjeu de fond de l’article 4.

En effet, je ne vois pas en quoi le fait d’établir par décret les conditions auxquelles la phase pré-analytique peut ne pas être réalisée dans un laboratoire de biologie médicale apporterait une sécurité supplémentaire.

Madame Cohen, vous avez tiré argument de la multiplication de petits sites de prélèvement sous l’égide de laboratoires importants. Il me paraît peu probable que la dérive dont vous avez parlé se produise, dans la mesure où les frais d’installation et de fonctionnement d’une telle organisation ne diminueraient pas les charges que les laboratoires supportent en tout état de cause.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 29 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4, modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la biologie médicale
Articles additionnels après l'article 5

Article 5

L’article L. 6211–21 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 6211–21. – Sous réserve des coopérations dans le domaine de la biologie médicale menées entre des établissements de santé dans le cadre de conventions, de groupements de coopération sanitaire ou de communautés hospitalières de territoire, et sous réserve des contrats de coopération mentionnés à l’article L. 6212–6, les examens de biologie médicale sont facturés au tarif des actes de biologie médicale fixé en application des articles L. 162–1–7 et L. 162–1–7–1 du code de la sécurité sociale. »

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. La biologie médicale et ses acteurs de terrain participent pleinement à l’excellence de notre système de santé. Comme celui-ci, la biologie médicale connaît de profondes modifications, parmi lesquelles celle qu’il est convenu d’appeler la médicalisation.

Ce mouvement, que nous appelons de nos vœux, tend à resituer le biologiste dans un contexte de santé publique : il ne doit plus être considéré comme un technicien de la santé – lequel est par ailleurs respectable –, mais comme un véritable conseiller médical capable, en même temps qu’il informe les patients, d’échanger avec les autres professionnels de santé et même, le cas échéant, de conseiller les médecins. Je ne parle pas de conseils portant sur les thérapeutiques les plus adaptées, mais sur la nécessité de réaliser des examens complémentaires ou des investigations plus poussées afin d’aider le prescripteur à élaborer le meilleur diagnostic possible.

Nous souscrivons pleinement à cette médicalisation, qui doit théoriquement profiter aux patients. Toutefois, elle ne doit pas servir de prétexte à la transformation d’une biologie médicale assise sur le colloque singulier entre professionnels et patients en une biologie médicale de type industriel. Je dois dire qu’en la matière nous avons quelques craintes.

Il n’en demeure pas moins qu’en actant la médicalisation de la profession, il était nécessaire de rompre avec certaines pratiques passées. Comme M. le Menn le rappelle à raison dans son rapport, celles-ci sont très mal vécues par la profession, qui les interprète comme « une négation de la "médicalisation" de la biologie médicale ».

En effet, personne n’accepterait d’une autre profession médicale qu’elle puisse négocier les tarifs qu’elle applique à un établissement de santé, en raison de son intervention dans celui-ci. Encore moins si cette négociation a pour effet de réduire les tarifs appliqués, au point qu’ils puissent se trouver inférieurs aux tarifs figurant dans la nomenclature.

Cette pratique dite des ristournes, qui renvoyait la biologie médicale à un acte technique, ne doit plus avoir cours. C’est la raison pour laquelle les sénateurs du groupe CRC voteront en faveur de l’article 5 de la proposition de loi.

Les ristournes avaient tendance, de manière incidente, à rouvrir le débat sur la nature de la biologie médicale. En effet, si les professionnels de ce secteur pouvaient pratiquer des tarifs inférieurs à ceux fixés par la nomenclature, c’est qu’ils ne procédaient pas à un acte médical à proprement parler, mais à une simple prestation de service. Dès lors, comment la France pouvait-elle justifier au plan européen son refus d’appliquer à ce secteur les principes de libre concurrence imposés par les directives sur les services ?

Pour autant, la suppression des ristournes ne réglera pas toutes les difficultés que rencontrent les professionnels de santé, dont la médicalisation exigera qu’ils assurent des missions nouvelles : les biologistes médicaux devront interpréter plus et mieux les analyses médicales, au risque de voir leur responsabilité civile professionnelle engagée, et consacrer davantage de temps à un travail d’interprétation non rémunéré alors même que, depuis des années, leurs tarifs n’ont cessé d’être réduits.

Par ailleurs, personne ne peut ignorer que le renforcement du rôle du biologiste médical dans l’interprétation des résultats rend nécessaire la rencontre entre le professionnel et le patient, afin que le premier puisse réaliser, à l’image des médecins, un véritable interrogatoire du second. Seulement, ces rencontres seront d’autant moins possibles que la nature multisites des laboratoires tendra progressivement à éloigner les biologistes des patients.

Malgré leurs réserves, les sénateurs du groupe CRC voteront en faveur de l’article 5, qui permettra de mettre un terme à la concurrence par les prix pratiquée par certains laboratoires. C’est d’autant plus nécessaire que, lorsqu’elles sont consenties aux établissements de santé privés commerciaux, les baisses de tarifs ne profitent qu’à ces derniers, lesquels baissent leurs coûts de revient sans réduire les tarifs imposés aux patients.

C’est pourquoi, tout en restant vigilants, nous approuvons l’article 5 de la proposition de loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

Article 5
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Article 6

Articles additionnels après l'article 5

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 2 rectifié sexies est présenté par MM. Mayet, Pinton, Chauveau, Cointat, Gournac, Leleux, Milon, Revet, du Luart et B. Fournier, Mmes Sittler et Cayeux, MM. Portelli, Magras et Pillet, Mme Giudicelli, M. Beaumont, Mlle Joissains et M. Vial.

L'amendement n° 8 est présenté par MM. Vanlerenberghe et Amoudry, Mmes Dini et Jouanno, MM. Marseille, Roche et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 6211–21 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. L. ... -  À titre dérogatoire, l’article L. 6211–21 n'est pas applicable aux établissements de santé publics situés dans un département ne disposant pas d’un laboratoire public de biologie médicale.

« Cette dérogation est accordée sur proposition de l’agence régionale de santé. Cette dernière prend en compte des critères d’éloignement de l’établissement par rapport à d’autres établissements de santé publics équipés d’un laboratoire de biologie médicale, ainsi que la convention le liant à un laboratoire privé.

« Les critères d’éloignement visés à l’alinéa précédent combinent des données objectives de distance et de temps de parcours appréciées par l’agence régionale de santé. »

La parole est à M. Alain Milon, pour présenter l'amendement n° 2 rectifié sexies.

M. Alain Milon. Les premiers signataires de cet amendement sont MM. Mayet et Pinton.

Certains départements ne possèdent pas de laboratoires publics de biologie médicale et leurs établissements de santé publics sont trop éloignés d’autres établissements équipés d’un laboratoire. Dans ces départements, conformément à la réglementation, les établissements de santé publics traitent avec des laboratoires privés, qui consentent alors des remises.

Cet amendement a pour objet de maintenir cette possibilité, afin de conjuguer efficacité médicale, c'est-à-dire la proximité, et nécessité budgétaire, par le biais de « ristournes ».

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour présenter l'amendement n° 8.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, Alain Milon ayant très bien présenté son amendement, je considère que le mien est défendu. Il s’agit ici de cas limites, qui justifient que soient négociées des remises, terme que je préfère à celui de ristourne. Il faut procéder par appel d'offre, ce qui me paraît légitime dans la mesure où cela concerne un établissement public.

Mme la présidente. L'amendement n° 39 rectifié, présenté par MM. Barbier, Alfonsi, Baylet, Bertrand, Chevènement, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Mézard, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 6211–21 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. L. ... - À titre dérogatoire, les dispositions de l’article L. 6211–21 ne sont pas applicables à un établissement de santé public ne disposant pas d’un laboratoire public de biologie médicale dans un rayon de 50 km. »

La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Nos collègues des départements ruraux ont souligné la difficulté que rencontrent certains établissements publics de santé ne disposant pas d’un laboratoire public de biologie dans un périmètre rapproché, voire dans tout un département. Ils ont insisté sur la nécessité de sous-traiter les examens à un laboratoire privé et d’obtenir de celui-ci un contrat approprié sans obérer les finances de l’établissement.

Le non-recours à la pratique de la ristourne peut se concevoir. Une procédure d’appel d’offre pourrait être décidée, sur le modèle de ce qui se pratique pour la sous-traitance de certaines activités ou prestations de l’établissement public – restauration, lavage du linge, etc. – qui sont confiées à des entreprises privées.

En revanche, la limite départementale ne me paraît pas adaptée. Il faut tenir compte du réseau de laboratoires publics et prendre en compte la distance par rapport à l’établissement. C'est la raison pour laquelle je propose la distance de cinquante kilomètres ; elle me paraît raisonnable et me semble correspondre davantage aux difficultés que peut rencontrer un établissement public pour faire effectuer les examens dans un établissement public de biologie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. L’amendement n° 2 rectifié sexies, que nous avons déjà examiné très longuement lors de l’élaboration du texte de la commission, porte sur les ristournes. Même s’il concerne un cas très précis, nous pensons que les problèmes financiers que rencontrent certains hôpitaux doivent plutôt trouver leur solution dans une intervention des agences régionales de santé ou dans une renégociation des tarifs. Le maintien même restreint des ristournes est contraire à la volonté de médicalisation de la biologie médicale.

C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, de même que sur l’amendement identique n° 8.

Même s’il encadre plus encore le cas de dérogation à l’interdiction des ristournes, l'amendement n° 39 rectifié pose le même problème de principe. Il ne peut y avoir de concurrence par les prix, par quelque mécanisme que ce soit. Seul le tarif réglementé est applicable.

La commission émet donc également un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. J’entends parfaitement les préoccupations qui ont été exprimées quant au maintien de la capacité d’analyses médicales dans des territoires isolés. Vous ne voulez pas qu’aux déserts médicaux s’ajoutent des déserts d'analyses biologiques.

La question est de savoir si les ristournes sont la solution adaptée au problème.

M. Claude Dilain. Tout à fait !

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous vous placez sur le terrain exclusif de la relation financière, alors qu’il s’agit bien plutôt de déterminer des coopérations entre les établissements de santé et des laboratoires. Il faut en effet établir des conventions de bonne qualité avec des laboratoires situés plus loin géographiquement, quand les laboratoires de proximité font défaut, ce qui arrive. En revanche, quand les laboratoires sont « petits » et, par conséquent, fragiles, il est nécessaire de prévoir des conventions renforçant leur rôle en lien avec les établissements de santé.

Les agences régionales de santé ont indiscutablement un rôle à jouer dans la structuration de l'offre de santé sur un territoire.

Cela étant, comment considérer que l'enjeu est exclusivement financier et que l’on puisse contester, de façon générale, la logique du dumping – car c'est bien de cela qu’il s’agit –, mais l'accepter pour certains territoires ? Je doute d’ailleurs que cela permette d’atteindre l’objectif que l’on se fixe, car, si l’on fait du dumping, viendra un moment où les petits laboratoires seront eux-mêmes mis en danger.

Je suis particulièrement sensible aux inquiétudes que vous exprimez. Je doute cependant que la réponse retenue soit appropriée. C'est la raison pour laquelle j’émets un avis plutôt défavorable sur ces trois amendements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.

Mme Catherine Génisson. Les revendications exprimées par les auteurs de ces amendements sont tout à fait légitimes, vous l'avez d'ailleurs souligné, madame la ministre, et votre réponse est tout à fait convaincante.

Il faudrait toutefois que cela figure noir sur blanc dans la loi : oui, il relève de la responsabilité des agences régionales de santé d'assurer l'égalité d'accès aux examens biologiques sur l'ensemble du territoire, en fonction des spécificités de chaque territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. J’évoquerai un cas concret. Les groupements hospitaliers interdépartementaux existent ; il faut donc s'affranchir de la barrière départementale. Le groupement hospitalier Aube-Marne que je connais, étant un élu de la Marne, n'a pas encore la taille critique suffisante pour maintenir un laboratoire accrédité et est en train d’établir une convention avec le laboratoire du centre hospitalier de Troyes.

Cette situation entraîne indéniablement des frais de transports pour les analyses quotidiennes, mais également en période d'urgence. La difficulté n’est pas tant d'organiser un transport pour acheminer l'ensemble des analyses d'un groupement hospitalier vers le laboratoire qui est loin que d’intervenir en cas d'urgence ou lorsqu’il convient de réaliser dans la journée des examens à la demande du praticien. Cela engendre des frais supplémentaires. Or ces groupements hospitaliers sont soumis à la tarification à l’activité et ont besoin d'équilibrer leurs budgets, alors que ceux-ci sont déjà déficitaires.

Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, nous avons pu constater les difficultés auxquelles doivent faire face les hôpitaux. Il ne me paraît pas aberrant d’établir une convention qui contienne un chapitre financier, de façon que chaque groupement ou hôpital puisse s’y retrouver financièrement. Il y va de l'équilibre budgétaire, me semble-t-il.

Il s'agit d'une ristourne au sens non pas mercantile du terme, mais fonctionnel, afin que le groupement hospitalier local n’ait pas à assumer la prise en charge totale des frais. Ce serait sinon lui infliger une double peine : plus de laboratoire et une pénalisation financière.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Je vous ai écouté avec attention, madame le ministre. Vous avez évoqué des conventions passées avec les petits laboratoires. Comporteront-elles des clauses financières ? Parler de « ristourne » est inapproprié. Cela étant, un laboratoire qui est situé à une certaine distance et vient effectuer une dizaine ou une vingtaine de prélèvements dans un établissement public est en droit de facturer pour chacun des actes la totalité de ce qui correspond à cet acte.

Dans ces conditions, si aucun accord financier n’est adossé à la convention qui sera conclue avec les laboratoires, l'établissement public en subira bien entendu les conséquences. En revanche, si ce volet financier existe, compte tenu du nombre d'actes qu’il effectue chaque jour dans cet établissement, le laboratoire pourra consentir non pas une ristourne, mais un abattement financier.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je partage tout à fait les propos de Gilbert Barbier.

Je précise simplement, madame la ministre, qu’il ne faut pas priver les établissements publics d'une ressource, eu égard à la répétition de l’acte. Les établissements publics, en particulier les hôpitaux, se trouvent dans une situation financière telle qu’il faut leur permettre de réaliser des économies.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Dilain, pour explication de vote.

M. Claude Dilain. Je suis sensible aux difficultés qui sont exposées, y compris dans l’exemple concret qui a été évoqué. Il n'en demeure pas moins que je trouve extrêmement dangereux de faire intervenir la notion non pas de ristourne, mais de moins-disant financier pour un acte médical. C’est un précédent qui pourrait avoir des conséquences extrêmement inquiétantes.

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, hier matin, lors de la réunion de la commission, nous avons adopté l’amendement n° 52 déposé par le rapporteur à l'article 7 bis, dont l’objet peut satisfaire les préoccupations que vous exprimez.

En revanche, je partage les propos de notre collègue concernant les dangers de l'introduction de tarifs différenciés. L'article 5 prévoit justement un même tarif pour tous.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Oui !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Il ne faut pas introduire une concurrence par les prix. Aussi, il convient d’être vigilant à cet égard, en évitant de parler de rémunération et en tout cas dans la convention qui pourrait être mise en place.

L'amendement n° 52 apporte déjà une première réponse. Il va de soi que, lors de l’examen de ce texte par l'Assemblée nationale, Mme la ministre et les députés pourront faire évoluer le dispositif, en précisant encore le rôle des agences régionales de santé afin de prendre en compte la réalité des territoires dépourvus de laboratoires de biologie médicale.

J’ai tenu dès à présent à évoquer l’article 7 bis. Il ne faut pas introduire de concurrence par les prix, qui pourrait être préjudiciable au secteur de la biologie médicale.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos  2 rectifié sexies et 8.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 39 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels après l'article 5
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la biologie médicale
Article additionnel après l'article 6 (début)

Article 6

Après l’article L. 6213–2 du même code, il est inséré un article L. 6213-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 6213–2–1. – Dans les centres hospitaliers et universitaires et dans les établissements liés par convention en application de l’article L. 6142–5, des professionnels médecins ou pharmaciens, non qualifiés en biologie médicale et recrutés dans une discipline biologique ou mixte, sur proposition des sections médicales et pharmaceutiques du Conseil national des universités, exercent les fonctions de biologiste médical, après avis de la commission mentionnée à l’article L. 6213–12, lorsqu’ils justifient d’un exercice effectif d’une durée de trois ans dans des structures et laboratoires de biologie médicale. Ces professionnels exercent leurs fonctions dans le domaine de spécialisation correspondant à la sous-section médicale ou à la sous-section pharmaceutique du Conseil national des universités dont ils dépendent. »

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. J’ai souhaité m’exprimer sur l’article afin de rappeler les raisons pour lesquelles, selon moi, il est non seulement équilibré, mais important.

Cet article est équilibré parce qu’il est le fruit d’une longue négociation entre les biologistes hospitaliers et la Fédération hospitalière de France, d’une part, les doyens de facultés et plusieurs professeurs de sur-spécialité de la biologie médicale, d’autre part.

Le Sénat s’est opposé à ce que l’on puisse recruter des scientifiques et des vétérinaires sur des postes de CHU. Cet article rend ces recrutements impossibles. Seuls pourront être recrutés sur ces postes sans avoir le DES de biologie médicale des médecins et des pharmaciens, dans le cadre d’une procédure contraignante et sans possibilité d’exercer autrement que dans leur spécialité d’origine.

Évidemment, pour les postes en CHU, priorité sera donnée aux titulaires du DES. À l’heure actuelle cependant, il semble qu’il n’y ait pas suffisamment de candidats issus de la filière de biologie médicale.

Écarter les scientifiques et les vétérinaires des postes en CHU n’est pas une solution si évidente qu’il y paraît. J’ai reçu un professeur au collège de France, Jean-Louis Mandel, qui est titulaire de la chaire de génétique humaine et médecin hospitalier. Il est venu plaider pour le recrutement de scientifiques et de vétérinaires au nom de l’intérêt de la recherche dans les CHU. Son analyse et son expérience ne sont pas à prendre à la légère et il faudra que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la santé se rapprochent pour trouver une solution.

Nous avons néanmoins écarté tous ceux qui ont une autre formation de base que la médecine ou la pharmacie, afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur la volonté de médicalisation de la profession et pour trouver une voie moyenne entre des positions divergentes mais également légitimes.

Cet article vise donc à trouver un équilibre, ce qui n’est jamais facile. Je pense de surcroît que cette disposition est très importante pour la formation des biologistes eux-mêmes. L’enseignement des sur-spécialités comme l’hématologie, la génétique ou la virologie, qui prennent de plus en plus de place dans l’évolution de cette discipline, doit pouvoir être confié à des spécialistes. Sinon, on risque d’appauvrir la formation, non seulement des biologistes, mais de tous les médecins.

Aussi, je souhaite que l’article 6 sorte de nos débats le moins altéré possible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Au cours de la discussion générale, j’ai eu l’occasion de préciser que notre groupe s’était, dès 2010, réjouit que l’ordonnance du 13 janvier de la même année encadre plus strictement le recours par les établissements publics de santé à des non-titulaires du DES de biologie médicale pour diriger un service de biologie.

Encadrement plus strict et non interdiction, puisque, contrairement à ce qui a pu être dit, notamment lors de l’examen de l’article 52 de la proposition de loi due à l’initiative de Jean-Pierre Fourcade, les CHU pouvaient, malgré l’ordonnance de 2010, continuer à recruter des non-titulaires dès lors que ces derniers remplissaient les conditions posées par les dérogations existantes.

Cet article permet donc aux dirigeants des centres hospitaliers et universitaires de recruter et de nommer des professeurs des universités-praticiens hospitaliers et des maîtres de conférences des université-praticiens hospitaliers non titulaires du DES de biologie médicale à la tête d’un service hospitalier de biologie médicale.

Nous prenons acte de cet article, qui semble aujourd’hui faire l’objet d’un certain consensus, y compris auprès des organisations syndicales, et c’est donc un point important.

Pour autant, nous émettons un doute.

Notre groupe est, pour l’ensemble des professions, particulièrement sensible à la reconnaissance et au respect des diplômes et des qualifications. Le diplôme constitue en effet le premier passeport des jeunes professionnels pour accéder à un emploi et aux responsabilités. Il atteste de l’acquisition de connaissances spécifiques par le jeune professionnel. Or, recruter des non-titulaires, malgré les conditions posées par cet article, revient au final à faire comme si ces années passées à se former, comme si cet enseignement particulier, dédié à la biologie, n’étaient pas si indispensables que cela pour exercer.

Les jeunes peuvent alors légitimement s’interroger sur le bien-fondé de poursuivre une formation spécialisée si cette dernière ne leur garantit en rien d’être prioritairement recruté au sein des services qui leur sont normalement destinés par leur formation.

Cela étant, nous ne sommes pas partisans d’une fermeture totale, mais d’une ouverture encadrée.

Nous avons voulu, davantage encore que lui, garantir l’équilibre dont vient de parler M. le rapporteur à travers un amendement de précision qui concerne la qualité de l’avis donné par la commission. Nous espérons que cet amendement sera retenu par notre assemblée.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L'amendement n° 6 est présenté par MM. Vanlerenberghe et Amoudry, Mmes Dini et Jouanno, MM. Marseille, Roche et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC.

L'amendement n° 14 est présenté par MM. Milon, Gilles et Savary, Mmes Deroche et Bruguière, M. Cardoux, Mme Cayeux, M. de Raincourt, Mme Debré, MM. Dériot et Fontaine, Mmes Giudicelli, Hummel et Kammermann, MM. Laménie, Longuet, Lorrain et Pinton et Mmes Procaccia et Bouchart.

L'amendement n° 40 rectifié est présenté par MM. Barbier, Alfonsi, Baylet, Bertrand, Chevènement, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Mézard, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour présenter l’amendement n° 6.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. L’objet de cet amendement est de supprimer l’article 6 du texte. Bien que M. le rapporteur juge sa rédaction équilibrée, il crée une dérogation nouvelle qui permet à des professionnels médecins ou pharmaciens non qualifiés en biologie médicale d’exercer en CHU les fonctions de biologiste médical. Cette dérogation ne se justifie pas à nos yeux.

En effet, l’ordonnance Ballereau n’a pas réservé l’exercice de la biologie médicale aux seuls détenteurs du diplôme d’études spécialisées de biologie médicale. Différentes voies dérogatoires sont déjà prévues.

C’est notamment le cas pour les médecins et les pharmaciens non titulaires du DES de biologie médicale, après obtention de la qualification en biologie médicale par les ordres respectifs.

De plus, à condition qu’ils n’exercent pas d’activité de biologie médicale, les personnels enseignants et hospitaliers des CHU n’ayant pas les diplômes requis peuvent continuer à réaliser des activités d’enseignement et de recherche fondamentale et appliquée, après nomination par le Conseil national des universités, le CNU, sans induire une rupture d’égalité de la prise en charge des patients.

Cette ordonnance ouvre également une troisième voie, dont je vous épargnerai les détails, pour l’exercice de la biologie médicale dans un domaine de spécialisation par des biologistes non-titulaires du DES.

Notre sentiment est donc qu’il n’y a pas de raisons objectives de créer une voie nouvelle pour l’exercice de la biologie médicale.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, pour présenter l'amendement n° 14.

M. Alain Milon. Tout d’abord, madame la présidente, je vous informe que nous demanderons un scrutin public sur ces trois amendements identiques.

L’ordonnance du 13 janvier 2010 sur la biologie médicale n’a pas réservé l’exercice de la biologie médicale aux seuls détenteurs du diplôme d’études spécialisées de biologie médicale.

Différentes voies dérogatoires sont donc d’ores et déjà prévues.

Cette ordonnance prévoit en effet une dérogation pour les médecins et pharmaciens non titulaires du DES de biologie médicale, après obtention de la qualification en biologie médicale par les ordres respectifs.

De plus, les personnels enseignants et hospitaliers – médecins, pharmaciens ou scientifiques – des centres hospitaliers et universitaires peuvent continuer à réaliser des activités d’enseignement et de recherche fondamentale et appliquée de haut niveau après nomination par le Conseil national des universités, sans induire une rupture d’égalité de la prise en charge des patients.

L’ordonnance ouvre également une troisième voie pour l’exercice de la biologie médicale dans un domaine de spécialisation par les biologistes non titulaires du DES de biologie médicale.

Il n’y a donc aucune raison de créer une voie nouvelle pour l’exercice de la biologie médicale.

Nous considérons que cet article, en créant une nouvelle dérogation, dévalorise la formation de biologiste médical et nous rappelons que le Sénat a rejeté à de nombreuses reprises des dispositions similaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour présenter l'amendement n° 40 rectifié.

M. Gilbert Barbier. Le Sénat s’est en effet prononcé à plusieurs reprises sur ce texte et l’a rejeté.

J’ai l’impression que l’on se dirige de plus en plus vers l’abrogation de ce qui faisait le fondement de la pratique hospitalo-universitaire, à savoir le triptyque soins, enseignement, recherche. On se contente désormais d’exiger de certains d’entre eux l’enseignement et la recherche, les soins passant à la trappe.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Cet article est le fruit d’un compromis entre les biologistes hospitaliers et les doyens des facultés de médecine.

M. Gilbert Barbier. C’est le projet des doyens !

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Je note que les chercheurs souhaiteraient que nous allions encore plus loin, en ouvrant des postes aux scientifiques et aux vétérinaires. Nous nous limitons aux médecins et aux pharmaciens.

Je suis personnellement convaincu que cette dérogation est nécessaire pour garantir la meilleure formation possible des internes, qui ont besoin d’avoir comme enseignants les meilleurs spécialistes.

Nous avons, en commission, précisé qu’en plus de la recherche et de l’enseignement, les personnes recrutées devront exercer des fonctions hospitalières.

Dès lors, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur ces trois amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. L’avis est également défavorable.

J’entends bien les arguments avancés par plusieurs des sénateurs qui sont intervenus, mais je tiens à préciser que la dérogation prévue à l’article 6 est strictement encadrée.

Il ne s’agit pas d’ouvrir les vannes ou de permettre que tout un chacun puisse, au sein des CHU, pratiquer des actes ou une activité de biologie médicale.

Il s’agit effectivement, en premier lieu, d’établir une différence entre la pratique de ville et celle qui se déroule au sein des CHU.

Monsieur Barbier, vous ne pouvez pas, d’un côté, dire que cet article a été soufflé par les doyens et, de l’autre, regretter que l’intégration entre l’enseignement, la recherche et les soins soit mise en cause. En effet, ce qui fait précisément la spécificité du CHU, et ce à quoi les doyens sont, eux aussi, particulièrement attachés, c’est le fait d’avancer conjointement sur ces trois terrains.

C’est précisément pour respecter cette spécificité du CHU, à savoir que le soin et la pratique sont adossés à l’enseignement et à la recherche, qu’une différence est inscrite dans le texte entre la formation des biologistes médicaux amenés à exercer en ville et celle des biologistes susceptibles d’exercer en milieu hospitalier.

Pour autant, la dérogation, loin d’être largement ouverte, reste strictement encadrée. Le professionnel doit tout d’abord avoir préalablement exercé trois ans au moins dans un laboratoire hospitalier, ce qui représente tout de même l’acquisition de compétences qu’il est difficile de nier. Puis une commission spécialisée intervient et donne un avis, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’automaticité entre l’exercice au CHU et le fait de pouvoir disposer de la dérogation telle qu’elle a été prévue.

Par ailleurs, plusieurs éléments ne figurent pas dans le texte, alors même qu’ils étaient demandés par certains, qui voulaient que l’on aille plus loin dans la dérogation. Ainsi, le texte ne prévoit pas que la dérogation puisse être étendue aux personnels scientifiques qui ne sont ni médecins ni pharmaciens, ce qui aurait pu être envisagé, mais n’a pas été acté. Il arrive que ces personnels scientifiques soient très fortement impliqués dans le fonctionnement d’un CHU ; pourtant, le texte n’a pas retenu cette dérogation.

Je tiens enfin à préciser que les personnels hospitaliers concernés doivent évidemment concourir à l’ensemble des obligations de service public attachées à leur fonction. Il ne s’agit donc pas d’une dérogation accordée sans contrepartie. Ces personnels hospitaliers devront ainsi, au même titre que l’ensemble des autres biologistes, participer à l’organisation de la permanence de soins, c’est-à-dire aux astreintes de laboratoire. Je me permets d’insister sur ce point, car la question de la permanence des soins est clairement posée dans certains de nos territoires. Nous avons donc besoin que l’ensemble de ceux qui participent à ces missions soient également concernés par ces astreintes. C’est aussi un effet favorable de l’article 6 que de garantir cette permanence des soins.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.

Mme Catherine Génisson. Je souscris à l’argumentaire de M. le rapporteur, à savoir qu’il s’agit d’un texte d’équilibre.

J’entends également l’argumentation forte de Mme la ministre, qui indique que si ces personnels sont assujettis à l’ensemble des responsabilités qu’ils doivent assumer en milieu universitaire, notamment en termes de recherche, ils ont aussi l’obligation d’assurer la permanence des soins, ce qui est en effet fondamental.

En revanche, afin qu’aucun sentiment de concurrence déloyale ne s’installe entre les étudiants qui préparent le DES en quatre ans et les professionnels qui travaillent dans ces services hospitaliers, le plus souvent d’ailleurs dans des centres hospitalo-universitaires, je souhaiterais que soit affirmée la possibilité d’accueillir tous les étudiants qui préparent leur DES, ou qui ont l’intention de le préparer, au sein de ces services. Il me semble en effet qu’il s’agissait de l’une des principales inquiétudes des étudiants en biologie et des biologistes, qui se faisaient l’écho des craintes de leurs jeunes confrères. Ils voulaient avoir la certitude qu’ils conserveraient des places dans ces services au cours de leurs quatre années d’études de DES.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. Madame la présidente, je sollicite une brève suspension de séance.

Mme la présidente. Mes chers collègues, à la demande de la commission nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à dix-neuf heures quarante-huit.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 6, 14 et 40 rectifié.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 91 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Majorité absolue des suffrages exprimés 173
Pour l’adoption 186
Contre 158

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l’article 6 est supprimé et les amendements nos 1 rectifié ter et 30 n’ont plus d’objet.

Toutefois, pour la clarté des débats, j’en rappelle les termes.

L'amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Raoul et Kerdraon, Mme Génisson, MM. Daudigny et Teulade, Mmes Emery-Dumas, Printz et Schillinger, MM. Cazeau, Jeannerot et Godefroy, Mme Alquier, M. Labazée, Mmes Demontès, Meunier, Campion et les membres du groupe socialiste et apparentés, était ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

et dans les établissements liés par convention en application de l’article L. 6142-5

par les mots :

, dans les établissements liés par convention en application de l’article L. 6142-5 et dans les centres de lutte contre le cancer

L'amendement n° 30, présenté par Mmes Cohen, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Après le mot :

avis

insérer le mot :

favorable

Article 6
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la biologie médicale
Article additionnel après l'article 6 (interruption de la discussion)

Article additionnel après l'article 6

Mme la présidente. L'amendement n° 50 rectifié, présenté par M. Patriat et Mmes Klès et Bourzai, est ainsi libellé :

Après l'article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Un vétérinaire peut suivre une formation en spécialisation de biologie médicale postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, mais ne peut s’en prévaloir pour exercer les fonctions de biologiste médical.

La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Cet amendement vise à autoriser les vétérinaires non pas à exercer les fonctions de biologiste médical – nous avons bien compris que, compte tenu de l’extension de l’examen de biologie médicale, cela n’était pas possible –, mais à suivre la formation de spécialisation en biologie médicale.

Pourquoi une telle demande ? Tout simplement parce que bactéries, virus, parasites et autres petites bestioles du genre ne se contentent pas de vérifier si l’individu qu’elles vont infester ou infecter est un animal ou un humain.

La santé animale et la santé humaine, notamment en matière d’infectiologie, sont extrêmement liées, aussi bien pour des raisons historiques et culturelles que par souci de cohérence de notre système sanitaire. Les maladies légalement réputées contagieuses, qui font appel tant aux compétences vétérinaires qu’aux compétences médicales, par exemple, font partie de notre environnement et de nos préoccupations de santé publique et de sécurité sanitaire.

Donc, la nécessité, me semble-t-il, pour les vétérinaires de pouvoir, une fois de plus, non pas exercer les fonctions de biologiste médical, mais suivre cette formation est sous-tendue par le fait qu’il faut impérativement que biologistes médicaux et vétérinaires formés en biologie médicale puissent continuer d’avoir les mêmes compétences, de parler le même langage, pour continuer leur travail quand ils sont sur des équipes pluridisciplinaires, pour continuer d’échanger dans les cadres des programmes de recherche, pour continuer à collaborer en matière de lutte contre le bioterrorisme, par exemple. Bref, pour de multiples raisons tenant, une fois de plus, au fait que les virus, les bactéries, tous les microbes de façon générale, l’immunologie, etc. sont vraiment des sciences qui sont communes en matière vétérinaire et en matière humaine.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacky Le Menn, rapporteur. La médicalisation de la biologie médicale en a exclu les vétérinaires. Cet amendement prévoit de leur ouvrir l’accès au DES à des fins de formation et de recherche uniquement.

Je crois comprendre que ceci pose des problèmes pratiques pour les études de médecine et l’organisation de l’internat. Je vous propose donc que nous nous en remettions à l’avis du Gouvernement. (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Merci, monsieur le rapporteur… (Nouveaux sourires.)

Madame la sénatrice, vous avez raison de souligner que, lorsque nous avons à combattre des pathologies et à assurer la sécurité de nos concitoyens, l’origine animale ou humaine du virus, ou du microbe, ne change rien au fait qu’il est susceptible de se propager. Nous le voyons bien avec le débat sur l’antibiothérapie.

Pour autant, faut-il permettre à des étudiants vétérinaires de s’inscrire à une formation dans le cadre de l’internat en médecine ou en pharmacie ? Cela soulève plusieurs problèmes.

En premier lieu, une telle inscription reviendrait globalement à permettre à des étudiants vétérinaires d’accéder au statut d’interne sans suivre le deuxième cycle des études de médecine. Il s’agirait là d’une forme de rupture de l’égalité des études sans garantie que les étudiants vétérinaires aient l’ensemble des qualifications nécessaires pour accéder à ce niveau.

En second lieu, se poseraient également des problèmes en matière d’accès au stage, d’encadrement de la part des seniors et de financement général des études.

Ce que vous nous proposez revient en réalité à un véritable bouleversement des relations entre les professions médicales et paramédicales d’un côté, et vétérinaires de l’autre. Je suis donc amenée à émettre un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Mme Virginie Klès. Madame la ministre, j’entends bien vos arguments. Néanmoins, le terme « bouleversement » ne me semble pas adapté. Il ne s’agit pas d’un bouleversement, compte tenu, d’abord, du nombre de vétérinaires qui seraient concernés, puisque depuis 2004 certains vétérinaires ont suivi cette filière, soit, chaque année, une dizaine de personnes, qui se sont d’ailleurs parfaitement intégrées dans le cursus.

Il me semble que, par voie de décret, tous les problèmes pratiques que vous soulevez pourraient sans difficulté être réglés. Le suivi de cette formation ne conduisant pas à l’exercice des fonctions de biologiste médical doit pouvoir trouver une appellation propre et permettant de reconnaître que la formation suivie a été un petit peu spécifique.

Quant à la coexistence des différentes professions, l’Institut Pasteur, dont la renommée est plus qu’internationale, offre aujourd’hui ce type de formation – bactériologique, virologique, immunologique – à des pharmaciens, des vétérinaires et des médecins sans que cela pose de problème.

Très sincèrement, compte tenu, je le répète, du nombre de personnes qui seraient concernées chaque année, de la culture et de l’histoire que vétérinaires, pharmaciens et médecins partagent en la matière, il me semble que tous les soucis d’ordre pratique peuvent être réglés par voie réglementaire, une fois encore, en affirmant la spécificité de la formation lorsqu’elle est suivie par un vétérinaire.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 50 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que la proposition de loi de M. Jacky Le Menn a été inscrite à l’ordre du jour par la conférence des présidents dans le cadre de l’espace réservé au groupe socialiste, c’est-à-dire pour une durée de quatre heures.

Il est vingt heures. Nous aurions pu poursuivre nos travaux jusqu’à vingt heures six. Néanmoins, pour la cohérence des débats, je vous propose d’entamer l’examen de l’article 7 le mardi 5 février, puisque, je vous le rappelle, le Gouvernement a inscrit la suite de l’examen de cette proposition de loi à l’ordre du jour de ce même mardi 5 février, à quatorze heures trente.

Dans ces conditions, à l’instar de ce que j’ai fait hier pour le texte présenté par le groupe du RDSE dans le cadre de son espace réservé, je vais lever la séance.

Article additionnel après l'article 6 (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de la biologie médicale
Discussion générale

7

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé ce jour le Sénat que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant :

- sur le II de l’article 60 de la loi du 16 décembre 2010 (schéma départemental de coopération intercommunale) (2013-303 QPC) ;

- et sur l’article L. 5211-19 du code général des collectivités territoriales (établissement public de coopération intercommunale) (2013-304 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 5 février 2013 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales

(Le texte des questions figure en annexe.)

À quatorze heures trente :

2. Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et l’Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI) relatif à l’établissement d’un bureau de l’IPGRI en France et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (texte de la commission n° 301, 2012-2013).

3. Projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 187 de l’Organisation internationale du travail relative au cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail (texte de la commission n° 305, 2012-2013).

4. Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Agence spatiale européenne relatif au Centre spatial guyanais et aux prestations associées (texte de la commission n° 309, 2012-2013).

5. Projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à la construction et à l’exploitation d’un laser européen à électrons libres dans le domaine des rayons X (texte de la commission n° 303, 2012-2013).

6. Projet de loi autorisant l’approbation de la convention relative à la construction et à l’exploitation d’une infrastructure pour la recherche sur les antiprotons et les ions en Europe (texte de la commission n° 307, 2012-2013).

7. Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française, le Gouvernement du Royaume de Belgique, le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg concernant la mise en place et l’exploitation d’un centre commun de coopération policière et douanière dans la zone frontalière commune (texte de la commission n° 312, 2012-2013).

8. Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg relatif à la coopération dans leurs zones frontalières entre les autorités de police et les autorités douanières (texte de la commission n° 311, 2012-2013).

9. Suite de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale.

10. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant création du contrat de génération (n° 289, 2012-2013) ;

Rapport de Mme Christiane Demontès, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 317, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 318, 2012-2013).

De dix-huit heures trente à dix-neuf heures trente :

11. Débat, sous forme de questions-réponses, préalable à la réunion du Conseil européen des 7 et 8 février 2013.

À vingt et une heures trente :

12. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant création du contrat de génération.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures une.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART