M. Jean-Claude Lenoir. Vous vous souvenez ? C’était une année d’élection. On aurait pu penser que, à cette occasion, le même gouvernement trouverait opportun d’adopter une disposition en faveur des plus démunis… Même pas !

Il a fallu attendre la nomination à Matignon de Jean-Pierre Raffarin, que je salue, pour que soit enfin mise en application une disposition que vous aviez laissée choir après avoir affiché les meilleures intentions à la tribune du Parlement.

De même, c’est également la droite qui, lors du débat sur l’ouverture du marché du gaz en 2003, a institué un tarif social du gaz.

Mme Delphine Batho, ministre. Voté en 2006 et appliqué en 2008 !

M. Jean-Claude Lenoir. Et c’est toujours la droite, sous le gouvernement de M. Fillon, qui a prévu le principe de l’automaticité du tarif social pour les personnes en situation de précarité.

M. Jean-Jacques Mirassou. Sauf que ça n’a pas été automatique !

M. Jean-Claude Lenoir. Mais le gouvernement de gauche n’avait strictement rien fait.

M. Alain Néri. Les dix dernières années, c’est vous qui étiez au pouvoir !

M. Jean-Claude Lenoir. Toutes les dispositions qui existent aujourd'hui ont été mises en place par les gouvernements qui ont suivi celui de M. Jospin.

Madame la ministre, lors de l’examen du texte en première lecture, je vous avais indiqué qu’il n’était pas nécessaire d’attendre le vote de la loi – l’issue du débat était prévue pour le mois de novembre – pour étendre le bénéfice du tarif social. Je vous avais rappelé qu’il suffisait de prendre un décret ; c’était au mois d’octobre. Il a fallu attendre décembre pour voir un décret élargir le champ et le périmètre du dispositif.

J’appelle donc chacune et chacun à faire preuve d’un peu de retenue. Si des dispositions en faveur des plus démunis existent, c’est grâce à ceux qui siègent sur la droite de l’hémicycle et aux gouvernements qu’ils ont soutenus. Jusqu’à présent, rien n’a été obtenu grâce au gouvernement de gauche.

Vous dites aujourd'hui vouloir faire figurer de telles mesures dans la loi. Mais quand prendrez-vous les décrets d’application ? Échaudés par l’expérience, nous pouvons sérieusement craindre que vous ne vous pressiez pas pour les faire paraître une fois la loi votée…

M. Jean-Jacques Mirassou. Cela s’appelle un procès d’intention !

M. Jean-Claude Lenoir. Au demeurant, et j’y reviendrai lors de l’examen de la disposition concernée, vous faites assez fort : un article adopté à l’Assemblée nationale, loin de se contenter d’étendre le bénéfice du tarif social aux personnes en situation de précarité ou aux bénéficiaires des minima sociaux, va permettre à tout client, quelle que soit sa situation personnelle, de ne pas payer l’électricité et le gaz pendant toute la période hivernale !

Il faudra que vous m’expliquiez si un tel dispositif est cohérent avec l’idée que l’on se fait de la justice et si, d’un point de vue économique, on sera en mesure de contenir les excès qui apparaîtront inévitablement !

M. Jean-Jacques Mirassou. Encore un procès d’intention !

M. Jean-Claude Lenoir. Mon troisième point a trait à l’éolien.

Les conditions dans lesquelles les dispositions qui y sont relatives ont été votées à l’Assemblée nationale nous permettent d’affirmer que ce texte n’est pas le bon véhicule législatif pour aborder ce sujet.

Madame la ministre, un grand débat national sur la transition énergétique a été engagé. Franchement, ne peut-on pas en attendre les conclusions pour savoir quelles décisions prendre ? Ce matin encore, nous nous interrogions en commission sur le nombre de mâts…

Le sujet mérite, me semble-t-il, un peu plus de réflexion. Je suis convaincu que nombre de collègues, par-delà les clivages politiques, pensent exactement comme moi.

Pour conclure, j’aimerais vous faire part de mon impression générale sur la proposition de loi.

Au fond, pourquoi ce texte ? S’agit-il vraiment d’encourager les consommateurs à réaliser des économies d’énergie ? En l’occurrence, ce que je vais dire concerne essentiellement l’électricité, mais cela vaut aussi pour le gaz. À mon sens, le bénéfice à attendre de la mise en œuvre des mesures envisagées est très mince. D’ailleurs, la disproportion entre le mécanisme institué et le résultat escompté est presque un sujet constitutionnel.

Monsieur le rapporteur – puisque vous avez fait preuve de beaucoup d’amabilité à notre égard, je ferai de même en retour –, vous avez indiqué que le dispositif pouvait rapporter 200 millions d’euros. Croyez-vous qu’un tel mécanisme soit justifié pour parvenir à un résultat qui est, certes, non négligeable compte tenu de la situation de nos finances publiques, mais qui est tout de même relativement modeste ?

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est ce qu’on appelle un effet de levier !

M. Jean-Claude Lenoir. En vérité, et je le dis de manière assez solennelle, il y a des intentions cachées de la part du Gouvernement.

Aujourd'hui, le Gouvernement est confronté à deux difficultés.

La première, c’est l’augmentation du prix de l’électricité.

M. Alain Néri. Dans ce domaine, vous êtes des spécialistes !

M. Jean-Claude Lenoir. Beaucoup s’accordent à dire que l’électricité augmentera probablement de 30 % d’ici à 2017. Ce sont en tout cas les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur le coût réel de l’électricité, et je ne crois pas que ce chiffre ait pu être contesté.

En France, le système repose sur les tarifs régulés, et c’est le Gouvernement qui décide des augmentations.

La seconde difficulté, c’est la mise en œuvre des dispositions demandées par la Commission européenne. Bruxelles veut que nous ne gardions le bénéfice du tarif régulé, dont le montant est donc fixé par le Gouvernement, que pour les personnes qui doivent bénéficier du soutien de la Nation.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Alain Néri. Il consomme beaucoup d’énergie ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir. J’ai bientôt terminé, monsieur le président. Certes, je dépasse le temps de parole qui m’est imparti, mais je serai plus bref lorsque je présenterai mes amendements.

M. Jean-Jacques Mirassou. Rien n’est moins sûr ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir. Madame la ministre, vous allez vous retrouver face à l’obligation à la fois de diminuer le nombre de bénéficiaires du tarif régulé et d’augmenter les tarifs. Vous avez d’ailleurs quasiment dévoilé ce que vous alliez faire. Trois tarifs coexisteront : le tarif pour les consommations courantes, qui restera presque inchangé ; un tarif que j’appellerai « de confort », qui sera appliqué à ceux qui ont un peu plus de moyens et se chauffent un peu plus ; et un tarif pour les dépenses extravagantes, qui connaîtra, lui, des augmentations prodigieuses.

Aujourd'hui, vous voulez échapper à la logique qui consiste à équilibrer les comptes, tout comme vous voulez vous soustraire au rôle qui doit être le vôtre en tant qu’actionnaire d’EDF et vous dégager de votre participation dans d’autres entreprises.

Le dilemme face auquel nous nous trouvons est grave. Je vous demande, mes chers collègues, de bien y réfléchir, car la véritable intention qui sous-tend ce texte, c’est d’enfumer les consommateurs sur l’augmentation à venir des tarifs de l’électricité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n’est pas vrai !

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques mois, le Sénat a rejeté en première lecture la proposition de loi instaurant un système de bonus-malus opposable à nos concitoyens dans leur consommation d’énergie. Ce n’est pas sans raison.

La motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui a été adoptée établissait clairement les motifs d’inconstitutionnalité du texte. Certains ont d’ailleurs été pris en compte par l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Je pense, par exemple, à la réécriture de l’article 1er, désormais plus précis, afin de tenir compte de la règle selon laquelle le législateur ne saurait abdiquer ses prérogatives au profit du pouvoir réglementaire dans les domaines qui relèvent de sa compétence.

Madame la ministre, vous avez également saisi le Conseil d’État pour avis sur la question de l’introduction des résidences secondaires dans le dispositif.

Cependant, d’autres griefs restent justifiés. Je pense ici aux cavaliers législatifs sur l’éolien. Je pense aussi au principe de clarté, de qualité et d’intelligibilité de la loi : ce ne sont pas là de simples mots, ce sont des exigences nécessaires. Ainsi, l’article 1er est un chef-d’œuvre de complexité que bien peu de ménages comprendront alors qu’il aura un impact direct sur leur quotidien.

Le bonus-malus remet en cause la péréquation tarifaire et le principe d’un tarif unique sur tout le territoire, fondement de notre service public.

Mme Mireille Schurch. Il apparaît encore contraire à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Mme Mireille Schurch. Le dispositif fait peser une large partie des malus contraints sur les familles dépourvues des moyens de procéder aux travaux d’isolation de leur maison ou encore sur les locataires impuissants à faire engager ces mêmes travaux.

En réalité, si la proposition de loi a souvent changé de nom – d’abord « proposition de loi instaurant une tarification progressive de l’énergie », puis « proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre », enfin « proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes » –, son contenu, lui, est resté fidèle, à la lettre, au premier texte. C’est le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. François Brottes, qui l’affirme quand il déclare à propos de l’article 1er que « le principe général du dispositif est le même ».

Vous ne serez donc guère surprise, madame la ministre, que nous formulions ici les mêmes critiques invoquant l’injustice sociale et l’inefficacité écologique du système.

MM. André Reichardt et Jean-Claude Lenoir. Très bien !

Mme Mireille Schurch. D’autres pays ont, à partir de ce constat, abandonné la tarification progressive, l’Italie par exemple.

M. André Reichardt. Bien sûr !

Mme Mireille Schurch. Dans notre pays, les critiques de techniciens, d’associations, ou de syndicats se multiplient, qui dénoncent l’incapacité de la tarification progressive à répondre à la nécessaire sobriété énergétique et à garantir un droit à l’énergie pour tous.

Nos concitoyens ne gaspillent pas, le rapporteur l’a dit et nous le savons tous : beaucoup doivent d’ailleurs réduire leur confort pour faire face à leurs dépenses de chauffage, de logement et d’alimentation.

C’est pourquoi nous pensons qu’avant toute forme de sanction, car c’est bien de cela qu’il s’agit, il est important de sensibiliser les gens et de les informer. Ce doit être l’une des missions de ce que vous appelez le service public de la performance énergétique, qui devra être un service de proximité. La transition énergétique ne pourra réussir sans l’adhésion du plus grand nombre. Or le malus risque de cristalliser les incompréhensions et les oppositions, et donc de démobiliser nos concitoyens, alors que nous avons besoin de tout le monde !

Le bonus-malus a un autre inconvénient. Les ménages précaires sont en général aussi des mal-logés et font face à des dépenses contraintes incompressibles. C’est d’ailleurs une idée forte que l’on retrouve dans les avis du Conseil économique social et environnemental, le CESE. En effet, le CESE préconise avant tout une clarification de la notion de sobriété et insiste sur l’importance qu’il y a à procéder au préalable aux travaux d’isolation des logements.

M. Daniel Raoul, rapporteur. C’est vrai !

Mme Mireille Schurch. À ce titre, madame la ministre, porter la TVA à 10 % est un bien mauvais signal. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

C’est parce qu’ils ont des revenus insuffisants et vivent dans des logements vétustes que certains de nos concitoyens sont touchés par la précarité. Dans cette situation, il leur est difficile, voire impossible de trouver seuls des solutions. Oui, il faut accompagner l’ensemble des ménages en créant un réel réseau d’aide et de conseil de proximité. Pour lancer cette dynamique vertueuse, il faut des moyens humains et financiers.

Aujourd’hui, mes chers collègues, je peux affirmer sans exagération que les réflexions dans le cadre d’institutions comme le CESE, les débats dans nos territoires ou à l’Assemblée nationale confortent tous nos arguments d’hier et rendent un peu plus incompréhensible l’entêtement à faire adopter cet article sur le bonus-malus.

Cette proposition de loi comporte deux types d’articles : d’une part, les articles urgents, qui ne peuvent plus attendre et qui font consensus, en tout cas à gauche ; d’autre part, les articles qui devraient être versés au débat citoyen sur la transition énergétique que vous avez engagé, madame la ministre.

Nous approuvons entièrement les articles relatifs à l’élargissement des tarifs sociaux, à l’interdiction des coupures et des résiliations de contrat ou encore au service public de la performance énergétique.

Je rappelle que les propositions que nous portons sont plus ambitieuses que celles que prévoit ce texte. Ainsi, nous souhaitons, comme le préconise d’ailleurs le CESE, que le montant des tarifs sociaux soit augmenté. Nous considérons qu’il faut réfléchir à la mise en place d’un chèque énergie plus global pour l’ensemble des modes de chauffage. De plus, l’énergie étant un bien vital, nous considérons qu’il est souhaitable d’étendre l’interdiction des coupures et des résiliations sur l’ensemble de l’année.

Il est également nécessaire de prévoir légalement un opérateur de dernier recours. M. le rapporteur affirme que c’est EDF. Madame la ministre, j’aimerais que vous confirmiez que cela figurera bien dans la loi.

Après le rejet de la proposition de loi par le Sénat en première lecture, les sénateurs du groupe CRC avaient appelé l’ensemble de la majorité sénatoriale à s’associer à leur proposition de loi qui reprenait ces articles pour répondre à l’urgence sociale en matière énergétique. En dépit de ce consensus, nous déplorons que vous n’ayez pas donné suite à cette initiative, madame la ministre, prenant ainsi la responsabilité du retard pris dans l’adoption de ces mesures. Vous l’avez très clairement expliqué : la méthode réglementaire ne va pas assez loin, il faut donc en passer par la loi.

Les autres articles de la proposition de loi devraient être versés, selon nous, au débat citoyen.

L’article 1er est toujours insatisfaisant. Comme cela a été souligné à l’Assemblée nationale, soit le malus est très bas et il est inefficace, soit il est très haut et il est injuste. C’est un peu ce que l’on nous propose aujourd’hui : adopter un dispositif qui ne devrait toucher personne, et certainement pas « alourdir les charges de maintenance du patrimoine », comme l’a affirmé le rapporteur à l’Assemblée nationale. En bref, même les châteaux échapperaient à son application !

Nous continuons à nous opposer au bonus-malus, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord nous estimons qu’il faut avant tout mettre en place un programme de rénovation des logements.

Ensuite, nous pensons que le service public de l’énergie ne doit pas être un service différencié en fonction du lieu d’habitation et, demain, de la distance par rapport au lieu de production de l’énergie. Pourquoi les personnes qui vivent à côté d’une centrale nucléaire ou près d’une ligne à haute tension ne pourraient-elles pas revendiquer un volume de base plus haut ?

M. Jean Besson. Très bon argument !

Mme Mireille Schurch. De plus, la question des locataires reste entière, car elle n’a pas trouvé de solution dans ce texte.

Enfin, comme le dénoncent les associations de consommateurs et les syndicats de l’énergie, on va pénaliser les personnes au regard de leur situation particulière, qu’elles soient inactives, qu’elles travaillent à domicile, qu’elles soient âgées ou malades. En bref, les problèmes de fond demeurent.

J’en viens à l’effacement. Nous y sommes évidemment favorables, mais pas dans n’importe quelles conditions. C’est pourquoi nous avons proposé à l'article 7 bis un amendement visant à garantir un service public de l’effacement et une juste prise en compte de l’usager.

Sur les éoliennes, nous déplorons la méthode qui consiste à imposer sans concertation des dispositions qui seront forcément mal comprises dans nos territoires. Si l’on supprime les zones de développement de l’éolien – ZDE –, il faut revoir l’ensemble de la palette des outils juridiques et les adapter à cette nouvelle situation. Sinon, nous risquons d’opposer les communes entre elles – cela se produit déjà – et de créer des situations conflictuelles préjudiciables au développement des énergies renouvelables, notamment à l’éolien. Il faut tranquilliser nos concitoyens pour que le débat territorial ait lieu dans la sérénité et la transparence.

M. André Reichardt. De toute façon, c’est un cavalier !

Mme Mireille Schurch. Enfin, il est important de dépasser la question du nombre de mâts pour l’obligation d’achat et, dans le respect des territoires, de trouver une limite en termes de puissance. Ce sujet est sensible et doit être intégré dans le débat national sur la transition énergétique afin que nos concitoyens s’en emparent, puisque c’est un problème qui recouvre des difficultés d’ordre technique, environnemental, juridique et politique.

Mes chers collègues, l’incitation à la maîtrise des consommations domestiques d’énergie de réseau, la suppression des zones de développement de l’éolien, la promotion de l’effacement, sont au cœur du débat sur la transition énergétique. Madame la ministre, vous avez rappelé la semaine dernière que la voix des citoyens était essentielle, qu’ils devaient s’emparer de ce débat. Laissons-leur cette opportunité, laissons-leur la parole pour construire avec eux cette transition et portons ensemble dès à présent les avancées sociales que nous offre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UMP. – MM. Didier Guillaume et Jean Besson applaudissent également.)

(M. Jean-Claude Carle remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.

M. Jean-Claude Merceron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le seul avantage d’avoir rejeté cette proposition de loi en première lecture et en CMP aura été de pouvoir en organiser un nouvel et dernier examen, et donc au final de l’étudier autant de fois que s’il n’y avait pas eu de procédure accélérée. Ainsi, avant d’en venir au fond de mon propos, madame la ministre, je me permettrai de vous faire une suggestion : retenez bien ce qui s’est passé pour le prochain projet de loi la fois que vous soumettrez au Parlement et évitez de demander une procédure accélérée non justifiée, qui, au bout du compte, dure aussi longtemps qu’une navette classique.

Nous avons donc à examiner aujourd’hui une nouvelle fois la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. Avec un intitulé aussi long, il est certain que seul le nom de son auteur restera associé à ce texte… Espérons que cela n’en est pas le seul objectif !

La « PPL Brottes », puisque tel est son nom, apparaît comme un texte martyr, du moins au vu du sort que lui a réservé notre assemblée : rejeté trois fois, en commission et en séance, avant même l’examen des lois de finances à l’automne dernier, ce texte illustre à la perfection l’absence de majorité au Sénat, mais aussi le manque de stratégie sur les questions énergétiques.

Je voudrais, dans un premier temps, parler du calendrier rocambolesque d’examen de cette proposition de loi.

Prenant de court le Gouvernement, notre collègue député François Brottes dépose à la fin de l’été cette proposition de loi, qui répond plus ou moins à un engagement du candidat Hollande. Souhaitant reprendre la main, et prétextant l’arrivée de l’hiver, le Gouvernement demande une procédure accélérée, doublement injustifiée, d’abord vis-à-vis du Parlement – cette nouvelle lecture le prouve –, ensuite parce que la question de l’élargissement des tarifs sociaux de l’énergie ne nécessitait pas un passage par la loi.

Mme Delphine Batho, ministre. Bien sûr que si !

M. Jean-Claude Merceron. À l’automne, au moment où le Sénat rejetait le texte, vous lanciez, madame la ministre, le débat national sur la transition énergétique, un débat auquel je participe et qui doit durer encore plusieurs mois. Nous avons cru qu’il témoignait d’une prise de conscience, d’une volonté de mieux réfléchir au contenu de la transition énergétique. Erreur de notre part puisque, fin décembre, toutes affaires cessantes, vous convoquez la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi, CMP nécessairement vouée à l’échec.

Là encore, naïvement sans doute, nous pensions que ce texte serait abandonné au profit de la grande loi de programmation sur la transition énergétique promise à l’automne. Mais vous préférez demander l’examen en nouvelle lecture de cette proposition de loi afin de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale. Début janvier, celle-ci réécrit totalement l’article 1er, qui constitue le cœur du dispositif et repousse d’un an, au 1er janvier 2015, sa mise en œuvre.

Pardonnez-moi, mais je ne comprends plus grand-chose à cette stratégie calendaire. Entre une procédure accélérée, un report de la mise en place de la tarification progressive, le lancement d’un grand débat, la promesse d’une nouvelle loi et un texte qui n’en finit pas d’être rejeté par le Sénat, pourquoi persistez-vous ? Comment articulez-vous tout cela ?

Dans un second temps, je souhaite revenir sur le fond de cette proposition de loi, et principalement son article 1er. Même si le dispositif qui nous revient a été complètement modifié, et apparemment simplifié, il reste néanmoins pénalisant pour les ménages modestes et pour les classes moyennes.

Je regrette le recours à une proposition de loi et non à un projet de loi. Même s’il faut saluer l’initiative parlementaire, elle nous prive en l’occurrence d’une étude d’impact. Or réformer toute la tarification de l’énergie, qui concerne l’ensemble des ménages, sans connaître les conséquences qu’aura cette réforme au regard des finances publiques, du développement durable, et même de la concurrence internationale, est plutôt déstabilisant pour les législateurs que nous sommes.

La tarification progressive est un principe vertueux ; encore faut-il qu’elle s’inscrive dans un ensemble cohérent. Les sénateurs du groupe UDI-UC, en particulier ceux qui sont membres de la commission des affaires économiques, comme Valérie Létard, Daniel Dubois, Jean-Jacques Lasserre et moi-même, souhaitent que des mesures d’accompagnement soient clairement mises en place pour aider les ménages à maîtriser leur consommation d’énergie et à améliorer l’isolation thermique des logements.

À ce stade, je voudrais saluer le travail de notre président-rapporteur, Daniel Raoul, qui, à la suite du non moins méritant Roland Courteau, propose de supprimer le bonus prévu par les députés, de manière à dégager du malus des sommes permettant d’améliorer l’efficacité énergétique des logements.

M. Jean Besson. Il a raison !

M. Jean-Claude Merceron. Malheureusement, cela ne compense pas l’injustice du dispositif global de l’article 1er.

Ce grand chantier de la performance énergétique, nous devons le conduire avec l’aide des principaux acteurs dans ce domaine : l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, qui a l’expérience avec le programme « Habiter mieux », l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, bien entendu, mais également les collectivités territoriales. À la pénalisation des consommateurs nous préférons l’incitation, la pédagogie et l’accompagnement.

La ministre du logement a annoncé un nouveau projet de loi à la fin du premier semestre de 2013. Pourquoi ne pas attendre des mesures concrètes dans ce domaine, avant de voter un tel dispositif pénalisant pour les ménages ? Vous mettez la charrue avant les bœufs !

Par ailleurs, les ménages qui consomment beaucoup d’énergie parce qu’ils vivent dans des logements mal isolés, et qui devront donc payer un malus, sont souvent les mêmes que ceux qui n’auront pas la possibilité financière de faire isoler leur habitation.

MM. Gérard Bailly et Jean-Claude Lenoir. C’est sûr !

M. Jean-Claude Merceron. Ils subissent donc une double, voire triple peine. Le texte est finalement injuste.

On ne peut plus, sans rien faire, laisser les plus vulnérables payer de plus en plus cher une consommation de plus en plus élevée dans des logements énergivores. Or, en l’occurrence, les mesures sont ponctuelles et difficilement applicables, quand il faudrait une action préventive et durable.

Il est un autre effet induit potentiel, attendu celui-ci, de cette proposition de loi : elle pourrait inciter les catégories les plus aisées à se considérer comme exonérées de tout effort pour lutter contre leur surconsommation dès lors qu’elles auraient les moyens de payer le malus.

Sur la forme, nous proposons l’expérimentation et une vraie concertation, et nous croyons à l’incitation plus qu’à la contrainte. Sur le fond, la consommation excessive d’énergie est un vrai problème, contre lequel il faut lutter. Malheureusement, ce texte étant une mauvaise façon d’y répondre, il enterre quasiment le sujet.

En conclusion, je regrette que ce texte desserve l’initiative parlementaire. Je regrette qu’il desserve le travail de fond des sénateurs, quelles que soient d’ailleurs les travées sur lesquelles ils siègent. Je regrette enfin qu’il desserve les futures réformes en vue de la nécessaire transition énergétique. Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, le groupe UDI-UC ne votera pas cette proposition de loi en l’état. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous réexaminons aujourd’hui est censé relever un véritable défi puisqu’il s’agit de préparer, ni plus ni moins, la transition vers un système énergétique sobre. Avec un intitulé aussi ambitieux, il aurait pu être intégré dans la loi de programmation annoncée pour l’automne, ce qui lui aurait certainement assuré un parcours moins chaotique.

Car, mes chers collègues, il en va du travail parlementaire comme de la pratique du sport : il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ! (Sourires.) Et, dans cette affaire, tout laisse penser que la sagesse bien connue des sénateurs et de la Haute Assemblée aura fait défaut à nos collègues députés, emportés par la fougue de la réforme aux lendemains d’une alternance politique tant attendue. Mais enfin, maintenant, nous y sommes ! Il faut donc aller de l’avant et sortir par le haut !

Alors, qu’en est-il vraiment ? Après un premier passage express devant le Sénat, la proposition de loi vise toujours à instaurer ce fameux bonus-malus sur les consommations d’énergie des ménages résidant dans notre pays. Ce couple infernal et asexué du bonus-malus trouve son origine dans une volonté légitime de chasser le gaspillage et de favoriser les économies d’énergie, au lieu de produire toujours plus ! Jusque-là, nous partageons sa philosophie.

Mais ce bonus-malus est remis en cause autant du fait de son excessive complexité – je pèse mes mots ! – qu’au regard du risque d’injustice pesant sur les ménages en situation de précarité énergétique. Il faut toutefois reconnaître que des améliorations ont été apportées au dispositif à l’occasion du second examen du texte par les députés, améliorations auxquelles les efforts déployés par Roland Courteau et le président Daniel Raoul ne sont pas étrangers : c’est bien la preuve que, même lorsque le Sénat rejette un texte, le bicamérisme a des vertus puisqu’il oblige l’Assemblée nationale à revoir sa copie et à présenter un travail un peu plus abouti. Car il faut bien admettre que nos collègues députés ont écouté et entendu certaines de nos préoccupations.

S’il convient de saluer la définition et l’encadrement d’un certain nombre de notions, telles que le « domicile » ou les « unités de consommation », et une prise en compte un peu plus fine des situations particulières, notamment au sein des immeubles collectifs, le système reste trop complexe et pour le moins inéquitable, donc trop éloigné des objectifs affichés. Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, les calculs devront être effectués tous les ans pour l’ensemble des ménages français.

Outre sa complexité, le bonus-malus est intrusif : nos concitoyens vont se sentir surveillés. L’organisme désigné afin de recueillir nos données personnelles aura, si besoin, accès aux données de l’administration fiscale. Si cette nouvelle mesure permet de décharger les services de l’administration fiscale, cette charge ne disparaît pas, mais se transmet à ce nouvel organisme, qui devra procéder à des recrutements.

Comment vérifier l’adresse de chaque personne, notamment des enfants dont les parents sont séparés ? Des agents viendront-ils visiter nos logements, compter les résidents permanents et les visiteurs – ou visiteuses – occasionnels ? Les radicaux sont et seront toujours soucieux du respect des libertés individuelles !

Les malus et les bonus devant s’équilibrer, comment seront financés les frais de gestion ? C’est aussi l’une des raisons qui font que le RDSE n’est pas favorable à l’idée du bonus et présentera un amendement visant à sa suppression.

Il n’est pas nécessaire de récompenser les comportements sobres, qui devraient être la règle, et il ne nous semble pas pertinent d’accorder des bonus aux ménages qui disposent des moyens nécessaires pour acquérir un logement isolé ou pour financer les travaux de rénovation thermique. En outre, l’existence d’un bonus complique le dispositif et le rend encore plus inopérant.

L’objectif du bonus-malus est d’inciter les consommateurs domestiques à consommer moins. Quels résultats peut-on en attendre si, pour être sanctionnée par le malus, notre consommation doit atteindre trois fois celle du premier quartile – j’avoue avoir découvert ce mot à l’occasion de ce texte ! – le plus sobre de la population ?

Si le montant des bonus et malus est si peu significatif qu’il sera indolore, à quoi bon mettre en place un système si complexe ?

Rares sont les ménages qui font le choix de chauffer leur logement les fenêtres ouvertes. Si les consommations sont excessives, notamment en matière de chauffage, c’est que les logements sont mal isolés. On ne peut pas considérer les ménages responsables d’une consommation qui est due à la mauvaise isolation de leur logement alors qu’ils ne disposent pas des moyens pour procéder aux travaux nécessaires à sa rénovation thermique. Il y a là une injustice qui n’est pas acceptable.

Nous risquons de sanctionner d’abord les ménages les plus modestes, qui habitent souvent des passoires énergétiques, et de réduire ainsi leur pouvoir d’achat, déjà bien entamé par la crise.

En dépit des différentes versions de ce texte, force est de constater que, jusqu’à présent, nous ne parvenons pas à équilibrer et à stabiliser un système qui, quand il est intelligible et simple, est aussi inéquitable et qui, lorsqu’il tente d’être juste, devient incompréhensible et beaucoup trop complexe.

Par ailleurs, l’application des bonus et des malus est réalisée sur l’année, ce qui réduit le caractère incitatif du dispositif. Au cours d’une même année, nous partons en vacances, nous invitons des amis à la maison, nous logeons parfois provisoirement de la famille… Comment savoir si l’on est vertueux et, en conséquence, comment réguler sa consommation sur une période aussi longue ?

La meilleure incitation reste la connaissance exacte de nos consommations. Les Français sont sensibilisés aux enjeux énergétiques et le seront de plus en plus : ils n’ont pas besoin d’être sanctionnés et encore moins surveillés. J’ajoute que le prix de l’électricité augmentera de lui-même ; il ne semble donc pas pertinent de l’augmenter davantage. La meilleure économie d’énergie reste la mise en place d’une politique de rénovation massive des logements.

La mise en place d’un bonus-malus serait plus pertinente une fois l’ensemble du parc immobilier rénové, mais il faudrait un minimum de deux ans pour atteindre cet objectif. En attendant, quels recours auront désormais les locataires lorsqu’ils habiteront des passoires énergétiques ?

Si, en première lecture, je m’inquiétais des défaillances du diagnostic de performance énergétique, la suppression de la déduction du loyer est d’autant plus inquiétante que le locataire n’aura d’autre choix que de payer un malus pour des consommations dont il n’a pas la responsabilité.

La présente proposition de loi contient pourtant des mesures susceptibles de faire l’unanimité, telle l’extension du champ des bénéficiaires des tarifs sociaux, qui permet de tenir compte des 4,2 millions de ménages en situation de précarité énergétique. Elle sera compensée par une hausse de la facture de l’électricité et du gaz appliquée sur les autres ménages.

Cette mesure pose le problème du financement de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui, de 10,50 euros par mégawattheure en 2012, et déjà déficitaire de 5 milliards d’euros, a été portée à 13,50 euros en 2013. Pour financer cet élargissement des tarifs sociaux, elle devrait être augmentée de 5 euros, pour atteindre 18,50 euros, soit une hausse de 0,7 % de la facture électrique. Avec des hausses de tarifs limitées à 2 ou 3 % par an, que restera-t-il pour les investissements sur le réseau et les énergies renouvelables ?

L’adoption de cette mesure soulève toutefois la question de la réforme de la contribution ; je pense que nous reparlerons lors de la discussion des articles.

Dans le domaine de l’eau, l’expérimentation de la tarification progressive constitue une avancée, de même que les mesures en faveur de l’effacement électrique, en particulier aux heures de pointe. Nous reviendrons également sur ces questions dans le cours de la discussion.

En ce qui concerne le secteur de l’éolien, nous sommes partisans d’une simplification des démarches administratives. Cependant, il nous semble qu’il aurait peut-être fallu, avant de décider la suppression des zones de développement de l’éolien, attendre la fin du débat national sur la transition énergétique afin de concevoir un nouveau régime d’autorisation plus équilibré.