M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.

M. Michel Boutant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’an passé, la France a célébré le cinquantième anniversaire du traité d’Évian et de la fin de la guerre d’Algérie. De son côté, l’Algérie a célébré le cinquantième anniversaire de son indépendance recouvrée. Durant ces cinquante années, les deux pays n’ont pas vraiment noué de liens de confiance. L’ancien département ou colonie française, comme on voudra, nourrissait beaucoup d’amertume à l’égard de son ex-colonisateur, tandis que celui-ci cultivait un fort ressentiment à l’encontre de l’Algérie.

Pourtant, pendant cette même période, un important mouvement d’immigration algérienne en France a fourni de la main-d’œuvre à bon nombre d’entreprises, tandis que la France a continué à acheter gaz et pétrole à l’Algérie.

Mais qu’en est-il de nos relations avec ce pays ? Elles semblent toujours marquées par le poids de l’histoire, ponctuée de bien des tragédies. De tous les pays qui, à la fin des années cinquante ou au début des années soixante, ont accédé à l’indépendance, l’Algérie est sans doute celui avec lequel il est, ou a été, le plus difficile de rétablir des relations apaisées, sans arrière-pensées d’ingérence, sans méfiance réciproque.

Aussi, à un moment où notre pays est engagé militairement au Mali pour lui permettre de retrouver son intégrité menacée par des bandes armées financées par les trafics en tout genre et les prises d’otages – ces groupes s’en sont aussi pris à l’Algérie, comme récemment à In Amenas –, force est de constater que la France et l’Algérie partagent aujourd’hui un intérêt commun, peut-être même une cause commune, ce qui peut constituer le point de départ d’une relation renouvelée, d’une relation de confiance.

Sans présumer la teneur des propos échangés par le président Hollande et le président Bouteflika, par vous-même, monsieur le ministre, et votre homologue algérien, ou encore par les ministres de la défense des deux pays, il est permis de penser que cet épisode peut être l’occasion de régénérer nos relations. Les signes d’un changement de leur nature existent d’ailleurs : neutralité bienveillante ou constructive, pour ne pas dire plus, s’agissant du contrôle de la frontière sud-algérienne ; échange d’informations, peut-être ; autorisations diverses, sans doute…

On sent que, à la faveur de cette intervention au Mali, les choses sont en train de bouger, au niveau institutionnel, entre la France et l’Algérie. Dans le dialogue indispensable entre les rives nord et sud de la Méditerranée, ne serait-ce que pour le règlement d’un certain nombre de problèmes entre l’Europe et l’Afrique, la France et l’Algérie peuvent – et même doivent – jouer un rôle déterminant.

Une lueur s’est allumée ; il ne faut pas la laisser s’éteindre. Notre histoire commune, aussi tragique soit-elle, peut nous inspirer un printemps franco-algérien, sur le modèle de ce qu’ont su faire la France et l’Allemagne pour surmonter leur funeste relation passée. Comprendre les différences culturelles, les surpasser, s’ouvrir, se rencontrer, travailler ensemble : quelle belle perspective pour nos deux pays !

L’accueil réservé à notre président par la population algéroise, voilà quelques semaines, est également le signe d’un certain réchauffement de nos relations.

Monsieur le ministre, connaissant les défis que vous souhaitez voir notre diplomatie relever en matière économique, d’équilibres démographiques, de sécurité ou de démocratie, je souhaiterais savoir comment vous considérez aujourd’hui les rapports franco-algériens. Quel regard vos homologues algériens portent-ils sur eux ? Comment nos deux pays peuvent-ils tourner une page douloureuse de leur histoire, tout en évitant l’ingérence, et aborder une nouvelle phase de leurs relations, dans l’intérêt partagé de leurs deux peuples ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Daniel Reiner. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les interventions en Libye et au Mali sont des succès opérationnels de l’armée française. Le groupe UDI-UC tient à saluer les efforts et les sacrifices de nos militaires, et particulièrement à rendre hommage au sous-officier du groupe de commandos du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi qui vient d’être tué au Mali.

Un des ressorts de cet engagement est la lutte contre une économie criminelle, faite de trafics de drogue, d’armes et d’êtres humains, qui comble l’absence d’emplois pour des jeunes à la recherche de gains élevés et rapides.

Autour de cette lutte se dessine un enchevêtrement de logiques géopolitiques. Si la France est assez isolée dans son intervention, elle le sera beaucoup moins quand il s’agira de bénéficier des retombées économiques. Nous avons réagi à une actualité brutale, mais avons-nous prévu une stratégie globale sur le plan économique ? Avons-nous anticipé les opportunités que présentera la reconstruction de la société civile et démocratique en Libye et au Mali ?

Le sous-sol saharien renferme de nombreuses matières premières, du pétrole, du gaz naturel, des minerais. Sous l’effet de la mondialisation, les ressources naturelles de la planète deviennent l’objet de multiples convoitises.

Le groupe français Areva a perdu l’exclusivité dont il bénéficiait pour l’exploitation des mines d’uranium au Niger, avec l’intrusion des États-Unis et du Canada, mais surtout de la Chine, qui pratique la diplomatie du cadeau.

En Libye, deuxième producteur de pétrole en Afrique, l’extraction et le raffinage assurent 90 % des revenus du pays. Selon le modèle envié des pays du Golfe, cet État aura sans doute à cœur de rattraper son retard économique et touristique.

La France marque régulièrement sa présence politique sur ce territoire. Monsieur le ministre, vous venez d’adopter un plan de travail promouvant la sécurité et visant à l’instauration de l’État de droit en Libye, phase préalable au développement économique. J’ai bien noté la participation française aux prochains salons commerciaux thématiques libyens dans les domaines du bâtiment, des infrastructures, des hôpitaux, de l’immobilier, mais très peu de nos ressortissants sont présents dans ce pays.

Aujourd’hui, force est de constater que la présence de la France à l’étranger est sans prévalence particulière. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Espagne partagent ce rayonnement, sans exercer plus d’influence. Sur le plan économique, la Chine prédomine.

Si les réformes intervenues dans les États touchés par le printemps arabes n’ont pas répondu aux aspirations des peuples et posent un véritable problème au regard de l’équilibre diplomatique méditerranéen, la Libye peut néanmoins devenir une nouvelle terre d’échange pour le développement du commerce et de l’industrie française.

La France a été capable de déployer et de coordonner un dispositif militaire aérien international, mais n’est manifestement pas encore prête à ouvrir une ligne aérienne civile entre Paris et Tripoli. Ce fait n’a rien d’anecdotique ; les Italiens et les Allemands, quasiment absents du conflit, disposent aujourd’hui de liaisons aériennes régulières avec la Libye, qui leur permettent d’investir et d’entreprendre. Pourquoi la France ne participe-t-elle pas à cette dynamique ?

Avant notre intervention, la Libye représentait près du tiers de notre approvisionnement en pétrole. Ce pays aux portes de la Méditerranée, au croisement du Maghreb, de l’Orient et du Sahel, est riche de potentialités pour nos entrepreneurs. La France doit pouvoir y jouer de son aura, liée au rôle spécifique qu’elle a tenu récemment.

En 2012, le taux de croissance libyen a été de 122 %, à la suite du redressement spectaculaire de l’industrie du gaz et du pétrole. En 2013, la croissance de ce pays devrait retrouver une vitesse de croisière, en s’établissant à 16,5 %.

Sommes-nous impliqués dans le développement de réseaux de distribution d’eau ou d’électricité, de routes ? Avons-nous des perspectives pour l’exportation de nos voitures, de nos Airbus, de notre savoir-faire touristique et culturel, ou est-ce encore un peu trop tôt ?

Le président Hollande, accompagné d’une importante délégation, s’est rendu en Algérie, pays qui entend être la puissance hégémonique au Maghreb et au Sahel. Plus de la moitié de ses échanges commerciaux se font avec l’Europe, mais de moins en moins avec la France. A-t-on d’ores et déjà pu enregistrer des retombées économiques positives à la suite de ce voyage ?

Dans le même ordre d’idées, la France s’est fortement impliquée en Côte d’Ivoire. Pourtant, dans ce pays, nombre de PME françaises sont passées entre les mains de ressortissants libanais.

La vague de démocratisation de l’Afrique subsaharienne conduit à une plus grande ouverture des économies au marché, à un recul de l’inflation et à une discipline budgétaire accrue des pays de cette région. Une meilleure éducation, un système de santé efficace, une réduction de la dépendance et des perspectives d’emploi réalistes, en particulier pour les jeunes, sont, à long terme, les seules bases sûres d’une prospérité durable de l’Afrique.

Or, dans beaucoup de ces domaines, la France dispose d’atouts pour nouer des liens solides avec ce continent d’avenir. Il convient de restaurer la prospérité d’une rive à l’autre de la Méditerranée.

Pour ma part, je suis pour une France de la générosité, mais pas de la naïveté. Doit-on se satisfaire d’intervenir militairement en Afrique, d’y réaliser des coups d’éclat sans préparer et prévoir, dans le même temps, une stratégie de développement de nos échanges commerciaux qui soit favorable au développement des PME et PMI françaises ? À mon sens, le volet humanitaire est important, mais le développement des échanges économiques doit également être un des objectifs à atteindre.

Quels sont les projets de développement avec les pays d’Afrique, au-delà des réflexes liés à l’amitié entre ce continent et la France ? Le Président de la République a fait l’éloge de la démocratie et de la vitalité en Afrique ; comment allons-nous passer des discours aux actes et faire des pays africains de véritables partenaires, dans un esprit de réciprocité ? Tel est le défi qu’il nous faut relever ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.

M. Raymond Couderc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis bientôt deux mois, les observateurs internationaux concentrent leur attention sur les événements du nord de l’Afrique, qu’il s’agisse des opérations au Mali ou des très délicates situations politiques prévalant en Tunisie et en Égypte, qui se sont envenimées. À ces printemps arabes qui n’en finissent plus s’ajoute, depuis mars 2011, la dramatique et inextricable situation syrienne, dont le bilan humain dépasserait les 60 000 morts, selon certaines organisations non gouvernementales.

Par ailleurs, le 12 février dernier, la Corée du Nord a rappelé au monde que la menace terroriste n’était pas le seul péril pour la paix mondiale. Ce nouvel essai nucléaire réussi démontre que le désarmement doit être, plus que jamais, une priorité dans les agendas diplomatiques.

Beaucoup d’analystes qualifieront ce troisième essai nucléaire de nouvelle provocation du régime de Pyongyang. Pourtant, il est différent de ceux de 2006 et de 2009, année durant laquelle six tirs de missiles balistiques ont été le préalable au second essai nucléaire.

Il ne s’agit plus de l’éternel chiffon rouge agité par une Corée du Nord qui troquerait l’abandon de son programme nucléaire contre des aides alimentaires et économiques pour sa population. Selon les sources officielles nord-coréennes, qui, évidemment, sont ce qu’elles sont, ce pays est désormais capable d’équiper ses missiles balistiques d’ogives nucléaires. Ce qu’il importe de retenir de ce nouvel essai, c’est la taille de l’engin et la nature du matériau fissile utilisé. S’agit-il de plutonium issu d’un stock produit ou d’uranium, comme le craignent des observateurs de l’ONU qui s’étaient rendus sur place ? De même, le début de la miniaturisation de la charge témoigne bien de la ferme volonté de mettre en place un arsenal.

Depuis bientôt quinze ans, la République populaire démocratique de Corée ne cesse d’exercer un chantage sur la communauté internationale. Aujourd’hui, la Corée du Nord, largement isolée diplomatiquement, présente une situation économique plus que catastrophique et sa population est exsangue.

Souvenons-nous de la ratification des accords de la KEDO, en 1994 : la Corée du Nord acceptait de mettre fin à son programme de développement de missiles balistiques ainsi qu’à ses activités nucléaires militaires en échange d’une importante aide alimentaire, financée par l’Europe et le Japon, et d’un programme électronucléaire destiné uniquement à la production d’électricité, placé sous le contrôle d’Euratom. À la suite de sa déclaration de retrait du traité de non-prolifération nucléaire, en janvier 2003, de la confirmation officielle de son programme nucléaire militaire, en avril de la même année, et de plusieurs campagnes de tirs de missiles balistiques, en juillet 1998 et en juillet 2006, ces accords sont devenus caducs.

Le 9 octobre 2006, la Corée du Nord a procédé à son premier essai nucléaire souterrain, condamné à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU. Sept ans après, nous sommes confrontés au troisième essai et à la violation des résolutions 1718, 1874 et 2087du Conseil de sécurité.

Si l’on pouvait encore nourrir quelque espoir quant à une inflexion politique du régime à la suite du décès de Kim Jong-il, la suite des événements a montré que cela était vain. Pour la France, cette succession fut l’occasion de rappeler son attachement à la paix et à la stabilité dans la péninsule. En réalité, elle fut une chance manquée pour toute évolution positive du régime, qu’il s’agisse des libertés publiques, de la stabilité de la péninsule ou du respect, par la Corée du Nord, de ses obligations internationales en matière de non-prolifération nucléaire.

Bien sûr, il convient de se féliciter que la Chine, voisine et alliée de la Corée du Nord, ne cautionne pas ces gesticulations nucléaires et qu’elle ait, à son tour, condamné ce nouvel essai, tout comme elle avait condamné les deux précédents. Il paraît cependant difficile d’envisager que la Chine puisse prendre des sanctions contre ce pays qui considère Pékin comme un modèle de développement. Les relations économiques et commerciales entre les deux pays sont excellentes : il est à croire que ce nouvel essai est une marque d’indépendance affichée de la Corée du Nord à l’égard de la Chine.

Évidemment, cette politique ne cesse d’engendrer de profondes inquiétudes et de très vives réactions en Corée du Sud, bien que la nouvelle présidente, Park Geun-hye, semble plus « ouverte au dialogue » que son prédécesseur Lee Myung-bak. Ce nouvel essai de la Corée du Nord serait-il un message à l’adresse du nouveau gouvernement sud-coréen ?

Monsieur le ministre, vous avez condamné cette provocation et annoncé que « la France travaille d’ores et déjà avec ses partenaires du Conseil de sécurité, de l’Union européenne et de la région […] en particulier sur un nouveau renforcement des sanctions à l’égard de la Corée du Nord ». Mais peut-on aller encore au-delà des sanctions actuelles ?

Parallèlement, on peut se réjouir de l’annonce par le président Obama, lors de son adresse au Congrès, le 21 janvier dernier, d’une future réduction de l’arsenal nucléaire américain, même si l’on sait qu’il ne sera toujours pas en mesure de faire adopter par le Sénat américain le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, lequel, de fait, perd de sa crédibilité. Si l’on veut être optimiste, cette déclaration devant le Congrès doit être mise en perspective avec la signature du traité New Start entre les États-Unis et la Russie, et surtout avec le dernier sommet sur la sécurité nucléaire, qui s’est tenu à Séoul du 26 au 28 mars 2012.

Ce sommet a accueilli plus de participants que lors de sa première édition à Washington, en 2010, et les annonces y ont été relativement substantielles. La situation nord-coréenne, qui n’était pas à l’ordre du jour, fut néanmoins l’objet d’entretiens bilatéraux entre Barack Obama et les présidents russe, chinois et sud-coréen. Un an plus tard, que reste-t-il de ces entretiens entre des dirigeants qui, pour certains, ne sont plus au pouvoir ? Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelles seront l’approche de la France et celle de nos alliés lors du prochain sommet sur la sécurité nucléaire qui se tiendra en 2014 aux Pays-Bas ?

Aujourd’hui, les agissements de la Corée du Nord ne font qu’encourager les autres prétendants à l’arme atomique, tels que l’Iran. Ainsi, soit dit sans chercher à faire un mauvais jeu de mots, nous sommes face à une réaction en chaîne : Israël, s’appuyant sur son droit inaliénable à la sécurité, n’aura bientôt plus à faire d’efforts pour cacher sa bombe ; l’Inde et le Pakistan se posent de plus en plus en membres « off » du groupe P5, réunissant les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, détenteurs de l’arme nucléaire.

La Corée du Nord et l’Iran, totalement isolés diplomatiquement, poursuivent le même objectif de développement d’arsenaux nucléaires. Tous deux font l’objet d’embargos et sont soumis à de lourdes sanctions financières et économiques. Le réalisme nous impose d’observer que ces deux pays ont en commun de bénéficier de la diplomatie financière chinoise et de grands investissements, notamment dans les champs gaziers pour l’Iran.

Monsieur le ministre, ne craignez-vous pas que ce qui apparaissait comme une politique de provocation, qu’il s’agisse de la Corée du Nord ou de l’Iran, ne s’avère être en réalité une émulation, alimentée par la faiblesse et les hésitations des pays occidentaux et de l’ONU ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à peine le Président de la République avait-il pris ses fonctions, en mai 2012, qu’il a été plongé dans le grand bain international. Nicolas Sarkozy et certains de ses partisans dressaient de lui un portrait peu amène pendant la campagne électorale, expliquant qu’il ne possédait peut-être pas la carrure nécessaire pour incarner la fonction présidentielle. François Hollande a su prouver le contraire, tant lors des sommets du G8 et de l’OTAN, en mai dernier, que, plus récemment, à l’occasion de l’intervention des armées françaises au Mali.

La France demeure un pays qui compte sur la scène internationale. Le Président de la République l’a montré en parvenant à modifier les dynamiques européennes et à imposer une stratégie de sortie de crise différente, qui ne saurait se limiter à la seule consolidation budgétaire. Alors qu’Angela Merkel souhaitait voir appliquer une politique d’austérité, François Hollande a réussi à faire émerger des programmes de relance, en amenant la Chancelière à céder, lors du sommet européen du 29 juin 2012, face à un axe italo-espagnol soutenu par la France.

Le Président de la République a également illustré la place occupée par la France sur la scène internationale lorsqu’il a pris la décision, le 11 janvier dernier, de lancer une intervention militaire au nord du Mali, afin d’empêcher que ce pays ne bascule tout entier dans le camp des extrémistes. Son action a été saluée par l’ensemble de la communauté internationale, alors que l’intervention en Libye décidée par son prédécesseur n’avait pas recueilli un consensus, l’Allemagne, la Russie et la Chine s’étant abstenues lors du vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Ces bons résultats ne doivent pas nous dissuader de débattre du déclassement stratégique de la France. Cependant, le problème ne peut être abordé par le seul biais du poids des dépenses militaires par rapport au PIB, même si celui-ci ne doit sous aucun prétexte descendre en dessous de 1,5 point de PIB – je suis d’accord sur ce point avec Gérard Larcher –, car cela risquerait de faire perdre à la France sa capacité d’innovation et d’intervention.

L’industrie de défense est un atout essentiel pour l’indépendance de notre pays : il ne faut pas négliger son rôle économique et stratégique ; il ne faut pas non plus oublier que nos exportations de technologie militaire se heurtent à la concurrence acharnée des Américains, ainsi qu’en témoignent les difficultés rencontrées par l’avion de combat Rafale, pourtant l’un de nos plus beaux fleurons technologiques.

L’industrie de défense doit néanmoins être considérée comme un moyen, et non comme une fin. Une analyse du rôle de la France dans le monde ne peut être développée à partir du seul critère des dépenses militaires. En effet, bien plus que de la baisse des budgets, c’est d’une appréciation erronée de nos intérêts et de notre situation ou d’une absence de réflexion stratégique globale que pourrait résulter un déclassement.

À propos de déclassement stratégique, ne serait-il pas utile de réfléchir aux conséquences de notre intégration dans le commandement militaire intégré de l’OTAN ? Sur le fond, cette réintégration n’a pas changé grand-chose par rapport à la situation précédente. Cependant, contrairement à ce qui avait été avancé par le président Sarkozy, elle n’a pas permis le développement d’une européanisation de la défense, à l’heure actuelle toujours au point mort.

En effet, divisés entre démarches multilatérales, prônées par l’Agence européenne de défense et soutenues officiellement par tous les États membres, et démarches bilatérales – je pense au traité de défense franco-britannique et aux accords italo-allemands –, les États européens n’arrivent pas à relancer la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, ni la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD. Or le risque de voir l’OTAN devenir une « sainte alliance », déjà dénoncé dans les années quatre-vingt-dix par François Mitterrand, est toujours d’actualité.

Par ailleurs, la crise de la dette continuant d’affecter les budgets de défense des pays occidentaux, les dépenses militaires de l’Asie seraient désormais supérieures à celles de l’Europe. L’évolution tendancielle devrait donc entraîner un basculement rapide des équilibres militaires : avant 2020, les pays non membres de l’OTAN pourraient représenter plus de la moitié des dépenses militaires, contre seulement 34 % aujourd’hui.

Quelle a été la valeur ajoutée apportée par la France ? Quelle part spécifique notre pays a-t-il prise dans les décisions qui ont été arrêtées, qu’il s’agisse de la conduite de la campagne en Afghanistan ou du choix visant à doter l’Alliance d’une capacité anti-missiles ? Il faut aussi se demander quelle voix particulière la France souhaite faire entendre aujourd’hui.

Il me semble nécessaire de mener cette réflexion globale sur les évolutions stratégiques mondiales et sur le rôle de la France dans un contexte en mutation. Ancrer la France dans le camp occidental a constitué une erreur, diminuant de fait le rôle stratégique de notre pays. Fidèle à son histoire, la France a toujours été le porte-voix des sans-voix : on peut citer, pour la période récente, son opposition à la guerre en Irak ou le soutien qu’elle apporte à la Palestine au sein de l’ONU. C’est cette singularité qu’il nous faut promouvoir.

La France est forte quand elle représente un intérêt général plus important qu’elle-même. De la Révolution française à de Gaulle et à Mitterrand, chaque fois qu’elle a porté les aspirations de ceux qui peinent à peser sur le cours des choses, la France a toujours eu une influence supérieure à son poids réel. Si nous perdons de vue cette spécificité, la France cessera d’être influente sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(Mme Bariza Khiari remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)