Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Une guerre civile en 2002 ?

Mme Éliane Assassi, rapporteur. Je dois avoir la mémoire qui flanche...

M. François Zocchetto. L’amnistie est un geste de pardon, de reconstitution de la concorde sociale et de pacification des mémoires. Elle ne saurait être une autorisation généralisée accordée aux débordements de toute sorte. De nombreux exemples historiques pourraient être cités sur ce sujet.

Le pardon des pouvoirs publics en place intervient quand l’ordre public a failli. Or je ne crois pas que la France en soit arrivée à un tel point – du moins, je ne l’espère pas ! –, mais peut-être votre constat diffère-t-il sur ce point...

Mme la garde des sceaux a rappelé quels étaient le rôle du juge ainsi que l’articulation des pouvoirs entre l’autorité judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Les lois d’amnistie perturbent la lisibilité de cet équilibre des pouvoirs et des autorités.

Certes, nous voyons à l’heure actuelle dans nos départements à quel point nos concitoyens souffrent. La crise frappe toutes les entreprises, qu’elles soient de grande taille et détenues par des actionnaires étrangers, ou petites et de nature artisanale, agricole ou commerciale.

Dès lors, dans cette situation très difficile, une proposition de loi d’amnistie ne serait-elle pas de nature à jeter de l’huile sur le feu et à lancer le signal de la contestation généralisée ? On peut craindre que cette idée n’inspire, non pas les auteurs de ce texte, mais certains de ceux qui les soutiennent. Pensez-vous sincèrement que c’est ainsi que nous parviendrons à apaiser le malaise de nos concitoyens ?

À une certaine époque, sous le régime monarchique, on avait institué la fête des fous. Le rôle du législateur dans la République française n’est pas d’organiser un carnaval pour calmer les foules en octroyant un droit ponctuel à la violence et à la dégradation des biens d’autrui. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est scandaleux !

M. Pierre Laurent. Vous parlez des syndicalistes et d’un droit constitutionnel !

M. François Zocchetto. Le rôle du législateur est de trouver d’autres solutions, mieux inspirées.

Vous l’aurez compris, madame le ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC est par principe hostile à toute loi d’amnistie en dehors d’un contexte historique nécessitant une réconciliation nationale. Nous pensons que de tels textes sont des actes de mauvaise législation et ne doivent plus être proposés. Nous voterons donc contre cette proposition de loi.

Je me permets, en revanche, d’inviter tous ceux et celles qui sont animés par la volonté de lutter contre le malaise social à œuvrer au retour de la croissance en travaillant ici sur d’autres textes,...

Mme Éliane Assassi, rapporteur. Cela n’est pas incompatible !

M. François Zocchetto. ... plutôt que d’accorder un tel droit, manifestement contraire à l’esprit de la République. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Pierre Charon. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les élus de la République que nous sommes ne peuvent être indifférents à la détresse de ceux qui perdent leur emploi, de ceux qui craignent de le perdre ou encore de ceux qui vivent dans l’incertitude quotidienne du lendemain. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas, oublier l’angoisse qui s’abat sur ces familles. La nouvelle hausse du chômage ne fait qu’accroître leur inquiétude. Nous avons tous en mémoire les drames récents qui révèlent le profond malaise ressenti par des milliers de nos concitoyens.

Cette souffrance peut conduire certains d’entre eux à commettre des actes répréhensibles, passibles d’une sanction pénale ou justifiant tout simplement l’application de la loi. Bien sûr, mes chers collègues, nous devons aussi entendre cette détresse. C’est là que l’amnistie prend son véritable sens.

Avez-vous oublié, monsieur Charon, l’amnistie dont a bénéficié M. Chirac en 2002 ? Et les précédentes ?

Les membres de mon groupe ne sont pas opposés au principe même de l’amnistie, synonyme de pardon et surtout de générosité. L’histoire a montré qu’elle pouvait être utile pour cicatriser et panser les plaies, pour apaiser les tensions sociales entre les citoyens, autour de la République.

Si elle a marqué notre histoire au lendemain de périodes douloureuses, conflictuelles et parfois violentes, qui ont clivé ou séparé les Français, l’amnistie, forme de droit à l’oubli, est intervenue plus récemment, sous la Ve République, après chaque élection présidentielle, hormis les deux dernières.

C’est la raison pour laquelle il nous semble important que le présent texte s’inscrive dans cette continuité et maintienne la date de l’élection présidentielle comme limite au bénéfice de l’amnistie.

Depuis 2002, les deux derniers présidents de la République n’ont pas souhaité poursuivre l’usage du recours à l’amnistie. Il faut reconnaître que la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans pose la question de l’opportunité d’une telle loi après chaque élection présidentielle.

Je le répète, la majorité du groupe RDSE n’est pas défavorable à l’idée même du pardon républicain, mais nous devons nous interroger sur ses limites, et donc sur le champ des infractions couvert par l’amnistie.

Autrement dit, quelles infractions la République peut-elle pardonner ? Je dirais même, quelles infractions la République peut-elle pardonner aujourd’hui ? À cette question, nous pensons que les réponses changent et fluctuent en fonction des époques et des évolutions de la société française.

Sur ce point, nous avons quelques divergences avec nos collègues du groupe CRC. J’ai pu m’en entretenir en toute franchise avec sa présidente, Mme Éliane Assassi, dont je respecte les convictions sincères. Je salue sa volonté d’aboutir à un texte de consensus autour duquel se retrouverait la majorité sénatoriale.

Il n’est pas possible, mes chers collègues, de tout amnistier aveuglément.

Le pardon républicain ne peut pas concerner des agissements contraires à l’ordre républicain. Pour nous, héritiers directs de Georges Clemenceau, il est des infractions qui ne peuvent en aucun cas figurer dans une loi d’amnistie. Je pense bien sûr à toutes les violences physiques, qu’elles visent des personnes dépositaires de l’autorité publique, ou tout simplement d’autres citoyens qui défendent d’autres convictions, quelles qu’elles soient.

Pour nous, rien ne peut ni ne pourra justifier des actes de violence ! Nous ne reconnaissons que celle de l’État, détenteur du « monopole de la violence physique légitime », pour reprendre l’expression de Max Weber. Exclure de l’amnistie toutes les violences et limiter l’amnistie aux atteintes aux biens nous paraît une condition indispensable à l’adoption d’un tel texte.

Cette condition est indispensable, mais pas suffisante, car d’autres infractions, de par le quantum de la peine, doivent, elles aussi, être exclues du champ d’application de la loi.

Chères Annie David et Éliane Assassi, votre texte vise les infractions passibles de moins de dix ans d’emprisonnement. Ce n’est pas rien !

S’il est possible d’amnistier certains débordements, nous ne croyons pas devoir le faire pour des peines aussi lourdes. C’est la raison pour laquelle nous proposons de limiter l’amnistie aux infractions passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq ans et moins. Nos collègues socialistes, qui souhaitaient initialement la circonscrire aux infractions passibles d’une peine d’emprisonnement de sept ans, se rallient désormais à notre avis.

Il s’agit pour nous de rappeler que l’action collective ne peut ni cautionner tous les délits ni justifier que l’on enfreigne systématiquement la loi.

Je l’ai souligné en commission : je m’étonne que l’exposé des motifs de la proposition de loi évoque des « sanctions injustes [...] qui ne vis[ent] qu’à éteindre toute velléité de contestation ». Affirmer que les magistrats rendent leurs jugements avec la volonté délibérée d’éteindre des mouvements sociaux n’est guère acceptable et n’est d’ailleurs pas vrai ! C’est remettre en cause l’impartialité de la justice et faire un procès d’intention aux magistrats, qui s’efforcent d’exercer leurs fonctions en toute conscience et dans les conditions difficiles que l’on connaît, n’est-ce pas, madame le garde des sceaux ? Et je ne doute pas que mon objection reçoive le soutien de quelques syndicats comme le Syndicat de la magistrature ou l’Union syndicale des magistrats.

Mes chères collègues, votre proposition de loi a une trop grande portée. Il est important de trouver un juste équilibre entre pardon républicain et refus de l’incivisme. À ce titre, nous approuvons les amendements déposés par Virginie Klès et nos collègues socialistes qui visent à restreindre le champ d’application de l’amnistie et à exclure certaines infractions particulièrement inexcusables dans la période actuelle.

Je pense notamment aux dégradations volontaires ayant pour conséquence de nuire au bon déroulement de travaux scientifiques. Il nous faut tous combattre avec force l’obscurantisme des faucheurs qui commettent des actes irresponsables et réduisent à néant des années de recherche.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Un État de droit comme le nôtre ne doit pas tolérer de telles actions !

Avant de conclure, je tiens à faire part de mon indignation et de celle des membres de mon groupe face aux récentes déclarations du président du Parti de gauche. Comment un homme, un parlementaire, un élu de la République se réclamant des valeurs les plus fondamentales de notre République – liberté, tolérance, laïcité... – peut-il déclarer que « ceux qui ne votent pas la loi ne sont pas de gauche, mais des suppôts du Comité des Forges, du MEDEF et du CAC 40 » et ajouter, faisant toujours preuve d’un grand sens de la nuance, qu’« on les pourchassera jusque dans le dernier village de France » ? Ces propos populistes sont inacceptables.

M. Rémy Pointereau. Scandaleux !

M. Jacques Mézard. En revanche, nous avons davantage apprécié les déclarations d’hier du porte-parole du Parti communiste. « Nous préférons la discussion à la menace », a-t-il dit. Nous aussi !

Mes chers collègues, tel est notre état d’esprit, et c’est à discuter que nous nous emploierons lors de l’examen des amendements. Aussi, vous l’aurez compris, si la majorité d’entre nous apportera son soutien à cette proposition de loi modifiée par les amendements que nous avons déposés, nous prendrons nos responsabilités au moment de nous prononcer sur l’ensemble du texte, car il s’agit aussi d’adresser à ceux qui souffrent dans ce pays et qui sont le plus en difficulté le message des élus de la République. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, amnistier n’est pas gracier. Tradition pluriséculaire dont on retrouve des traces dès l’Antiquité, l’amnistie apaise, pacifie. Elle autorise et même prescrit l’oubli qui réconcilie. Elle se présente périodiquement comme le moyen d’assurer la cohésion d’une société parcourue de tensions et comme l’expression ultime d’une aspiration commune à cette cohésion. Rien n’illustre mieux cette fonction essentielle de l’amnistie que ce décret du 14 septembre 1791 qui instaura une amnistie générale pour tous – révolutionnaires, contre-révolutionnaires ainsi que pour le roi lui-même – dans le but de préserver la Constitution de 1791.

Il n’est pas sûr que la tradition qui s’est imposée au fil du temps pour chaque nouveau Président de la Ve République, à savoir faire voter une loi d’amnistie après son élection, soit réellement en accord avec le véritable esprit de l’amnistie. De fait, depuis une dizaine d’années, de nombreuses voix ont remis en cause ces lois.

Par ailleurs, depuis 2002, aucune loi d’amnistie n’a été votée et chaque candidat à l’élection présidentielle s’est engagé à ne pas en faire adopter.

La proposition de loi dont nous débattons, si elle semble bien s’inscrire dans cette tradition de la Ve République, en diffère pourtant à plusieurs égards. D’une part, elle ne vient pas d’en haut, elle ne résulte pas d’un engagement présidentiel, mais émane directement de notre représentation parlementaire. D’autre part, son champ d’application est circonscrit.

Ainsi que le rappelle notre collègue Éliane Assassi, rapporteur du texte, cette proposition de loi « ne concerne que les infractions commises lors de conflits du travail, à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives ou encore à l’occasion de mouvements collectifs ».

Les débats riches et nombreux auxquels le présent texte a donné lieu au sein de la commission des lois montrent bien que, en dépit du nombre restreint des infractions effectivement visées, cette proposition de loi d’amnistie n’est pas perçue comme anodine. Bien au contraire !

Nous, femmes et hommes de gauche, mais aussi nombre d’autres, attachés aux valeurs de la démocratie, sommes naturellement portés vers une pratique pacifique et non violente de la contestation sociale. Nulle situation, si dure soit-elle, ne peut justifier à nos yeux la violence, particulièrement lorsqu’elle vise les personnes.

Reste que, dans un contexte de profonde crise économique, sociale et écologique, les citoyennes et citoyens sont confrontés à des difficultés majeures, comme le chômage, la précarité, l’absence d’accès au logement, sans oublier les risques environnementaux.

L’action collective est un droit inhérent à toute démocratie, explicitement reconnu par les alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946. Nombreux, pourtant, ont été et sont nos concitoyens qui, s’engageant légitimement dans de telles actions collectives, ont subi des sanctions injustifiées pour avoir osé la contestation : lutte pour l’emploi, opposition à l’EPR et aux lignes à très haute tension, dénonciation des conditions de travail, défense des droits des migrants, refus de prélèvement d’ADN, etc.

Conscient de l’importance de ces combats, le groupe écologiste votera donc le texte dont nous débattons aujourd’hui.

Pour les mêmes raisons, il s’opposera à tout amendement visant à exclure du champ de la présente loi d’amnistie les faucheurs d’OGM ou, par exemple, les personnes libérant les animaux de laboratoire ou s’opposant à certains travaux de recherche, parce que ceux-ci vont à l’encontre de l’intérêt général ou relèvent de la manipulation scientifique.

M. Rémy Pointereau. Quelle catastrophe !

Mme Esther Benbassa. Il votera en revanche l’amendement ayant pour objet d’exclure du champ de cette même loi les violences commises à l’encontre de toute personne physique.

D’une manière générale en effet, pour nous, écologistes, il est clair que ce ne sont pas toutes les infractions qui doivent être amnistiées : seules les moins graves doivent l’être. Nous voterons donc aussi l’amendement tendant à limiter le champ d’application de la loi d’amnistie aux atteintes aux biens passibles de cinq ans d’emprisonnement au plus.

Je tiens pour finir à rappeler ici haut et fort l’attachement des écologistes à la liberté syndicale ainsi que leur rejet de toute utilisation de la loi qui aboutirait à une quelconque discrimination ou répression, fût-elle indirecte, des actions syndicales et collectives.

Il ne serait pas admissible que la gauche, aujourd’hui au pouvoir et qui doit tant à ces militants, syndicalistes ou associatifs, ne considère pas avec empathie l’iniquité du traitement dont ceux-ci ont parfois été l’objet. (M. Rémy Pointereau s’exclame.) C’est bien au nom des valeurs qui nous sont communes, à eux et à nous, et au nom de l’apaisement dont notre pays a besoin aujourd’hui encore plus qu’hier qu’il convient de faire le pas auquel nous convie cette proposition de loi.

Il s’agit avant tout de rompre, et de rompre nettement, avec la décennie qui s’achève. En adoptant cette proposition de loi d’amnistie, il s’agit de lancer le signal d’un renouveau du dialogue social par-delà les rancœurs et les défiances héritées d’hier.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste votera sans hésiter ce texte, une fois qu’il aura été amendé. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – M. le président de la commission des lois et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. Rémy Pointereau. Vive la chienlit !

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, si l’amnistie est un acte qui a pour objet de faire tomber dans l’oubli certaines infractions, elle est avant tout un acte qui résulte d’une volonté politique et qui la traduit.

François Hollande, dans son discours du Bourget, avait évoqué « la France d’hier » dont il fallait tourner la page en faveur de « la France de demain ». Cependant, mes chers collègues, pour écrire cette nouvelle page, il nous faut gommer les restes d’un passé révolu contre lequel les forces progressistes de ce pays ont toujours fait front commun. Il faut refuser toute politique qui écraserait l’expression des solidarités et des luttes sociales.

Nous parlons ici de ceux qui ont été arrêtés arbitrairement pour avoir voulu manifester le jour de la visite d’un personnage public. Nous parlons de l’ensemble des syndicalistes mis au ban, de militants associatifs arrêtés pour avoir fourni une aide humanitaire devenue illégale, de militants du droit au logement, mais aussi de tous ceux qui se sont organisés collectivement pour résister à un capitalisme financier omnipotent et qu’on prétend pourtant insaisissable.

M. Rémy Pointereau. C’est parti !

M. Dominique Watrin. Ce que nous vous proposons en réalité, c’est de poser les fondements d’une autre société où l’action collective ne serait pas criminalisée. C’est un engagement à refuser la facile stigmatisation de l’action syndicale face à des logiques financières de plus en plus brutales.

Il faut privilégier les voies de la vraie négociation. Cela passera aussi par des lois qui imposeront l’examen sérieux des propositions alternatives soumises par les salariés et leurs représentants, particulièrement en cas de conflit social, de menaces de licenciement et de fermetures d’entreprise.

Nous voulons que ceux qui ont préféré l’indignation et la dignité à la résignation et à la peur ne soient pas condamnés de ce seul fait.

Rappelons aussi que beaucoup de poursuites pour des faits commis durant des actions collectives et revendicatives sont souvent perçues, notamment par les intéressés, comme des condamnations pour l’exemple plutôt que comme des sanctions véritablement fondées.

On a pu entendre que cette proposition de loi donnerait un sentiment d’impunité à nos concitoyens. Il faut répondre à cette assertion qui, en plus d’être regrettable, est fausse. S’il est dangereux de confondre sentiment d’impunité et amnistie, il est plus dommageable encore que cette confusion s’exprime en ces lieux.

Nicolas Sarkozy, contrairement à Jacques Chirac, n’avait pas fait le choix de l’amnistie, se justifiant par la « tolérance zéro ». C’était aussi un choix de classe, tout à fait regrettable.

En 1982, le Président de la République demandait, au nom de la « réconciliation nationale », la disparition des dernières sanctions statutaires infligées aux généraux putschistes d’Algérie. Ultime amnistie, car, par extensions successives et en l’espace de vingt ans, par des amnisties de droit ou par celles qui furent subordonnées à des considérations individuelles, ces militaires ont été réintégrés dans leurs droits à pension, dans leurs grades et décorations. Ainsi, l’ensemble des faits qui leur étaient reprochés, quelle que soit leur nature, ont été oubliés : délits et crimes de sang, tentatives d’assassinat, assassinats, atteintes à la sureté de l’État, j’en passe...

Et certains ici chercheraient à restreindre la portée de la présente proposition de loi et refuseraient son application à de simples citoyens qui se battent pour la défense de leurs droits fondamentaux ? Attention à ne pas la vider de son sens !

Mais, fort heureusement, on peut faire le constat que la plupart des lois d’amnistie sont positives.

La loi d’amnistie du 4 août 1981 a ainsi bénéficié aux personnes physiques, aux personnes morales et à l’ensemble des travailleurs sanctionnés des branches nationalisées, à l’exception des mineurs grévistes de 1948 et de 1952 – je reviendrai ultérieurement sur ce point à l’occasion de la défense d’un amendement.

Mme Annie David. Voilà la vérité !

M. Dominique Watrin. Un argument fallacieux est souvent utilisé pour combattre cette proposition de loi : il semble que la vieille représentation des classes laborieuses comme des classes dangereuses ait décidément la vie dure !

Ainsi, l’amnistie de condamnations liées à des activités syndicales ou revendicatives serait d’abord un signal favorable donné au durcissement des conflits sociaux en cours.

J’habite un territoire, l’ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, où de la crête de Vimy l’on voyait, voilà encore cinquante ans, fumer des dizaines et des dizaines de cheminées d’usines, symboles éclatants du dur et douloureux labeur de la classe ouvrière. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Rémy Pointereau. C’est Germinal !

M. Dominique Watrin. Aujourd’hui, tout a disparu ou presque. Une partie de l’activité a été reconvertie vers l’automobile, aujourd’hui en crise. Quelques usines textiles ou métallurgiques ont survécu, avant de péricliter à leur tour.

La violence du capitalisme est passée par là. L’usine Metaleurop, qui représentait 1 500 emplois directs et indirects, a été rayée de la carte par quelques actionnaires dans un bureau doré du paradis fiscal de Zoug, en Suisse. Ceux-là ne seront jamais condamnés et n’attendent aucune amnistie ! Ils ont pourtant laissé à l’État l’entière charge du plan social et, en prime, celui de la dépollution du site, cela en toute impunité !

Là aussi, comme dans beaucoup d’endroits en France, les ouvriers et cadres de l’entreprise ont dû montrer leur détermination, simplement pour se faire entendre, se faire respecter et ne pas être abandonnés. C’est le lot de vérité de tous les conflits sociaux, la lutte du pot de terre contre le pot de fer !

J’étais aux côtés d’Yves Coquelle, vice-président du conseil général du Pas-de-Calais, qui siégea ensuite sur les travées de notre Haute Assemblée, pour accompagner pendant de longs, de trop longs mois ces salariés en lutte.

Il est en effet difficile de faire reconnaître ses droits dans un État qui ne s’est pas encore doté des lois nécessaires pour affronter la violence cynique de la finance… Mais nous ne désespérons pas d’y arriver : le groupe CRC reviendra à la charge sur ce sujet, vous le savez bien, mes chers collègues !

Le souvenir me revient particulièrement d’un après-midi où nous étions, avec les salariés, devant la sous-préfecture de Lens. Soudain, une poussée de la foule menace de faire voler en éclats l’une des portes du bâtiment, provoquant l’irruption des CRS. Sans doute, dans d’autres circonstances, ces ouvriers « indignes » auraient-ils pu être interpellés et condamnés. Mais il n’en a rien été : au premier rang étaient les élus du peuple.

Ce conflit social reste bien vivant dans les mémoires locales. Contrairement à ce qui peut être dit, ce qui a été transmis, ce n’est ni la violence supposée, ni quelques débordements limités, mais bien l’affirmation collective d’une fierté sociale, celle d’appartenir à une classe ouvrière combative, une leçon retenue aujourd’hui par les employés de Sublistatic et de Samsonite, confrontés à la même liquidation financière de leur entreprise, et qui continuent de se battre avec dignité sur le même territoire.

Pour conclure, madame la ministre, mes chers collègues, il y a des amnisties que l’on ne peut oublier. Celle-ci ne sera pas cause d’esclandre, mais elle restera remarquable, parce qu’elle est juste. La clémence, lorsqu’elle épouse le souci de justice, signe la noblesse d’une démocratie.

Ce que nous ferons ensemble, à gauche, en votant cette proposition de loi, ce sera tout simplement de redonner leur honneur à tous ceux qui, victimes de répression, n’ont fait que défendre leurs droits et leur dignité. Nous serons ainsi fidèles à ce qu’il y a de meilleur dans les valeurs de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)