M. Charles Revet. Nous vivons dans deux mondes différents !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Et prenez garde ! Des femmes ont suffisamment réclamé que le père s’occupe des enfants, y compris dans leur plus jeune âge. Certains pères sont d’ores et déjà en train de materner. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Vous mélangez tout !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. De même, certaines mères sont peut-être en train de « paterner ».

M. Jean-Pierre Raffarin. Quelle confusion idéologique !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. L’évolution est telle que la sexualité des parents n’a pas grand-chose à voir avec l’intérêt supérieur de l’enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Vous nous parlez sans cesse d’« altérité », depuis je ne sais combien de journées…

M. Bruno Sido. Depuis quelques jours seulement !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Cependant, l’altérité d’un enfant se conçoit-elle seulement en fonction de l’image masculine et féminine qu’il aurait chez lui ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’en conviens, cela va peut-être l’aider. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Peut-être !...

M. Bruno Retailleau. Et c’est la ministre chargée de la famille qui parle ainsi !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Monsieur Retailleau, je suis la ministre de toutes les familles ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On ne le dirait pas !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je tiens à le dire, ces enfants qui vivent dans des familles homoparentales ont des grands-parents, des cousins, des cousines. Par conséquent, ils savent très bien ce qu’est l’altérité.

M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas pareil !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Vous ne pouvez pas réduire l’altérité à la seule question d’avoir un père et une mère – ou alors, je le répète, les familles recomposées, monoparentales, sont aussi pour vous des victimes.

J’ai bien compris que la PMA et la GPA étaient votre leitmotiv. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Eh bien, je vais vous parler de la GPA. Je ne vous fais pas l’insulte de ne pas avoir compris les propos tenus par le Président de la République, qui étaient d’une clarté absolue,…

M. Jean-François Husson. Cela dépend des jours !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … lors de son intervention télévisée. Il a affirmé que le débat sur le GPA ne serait pas ouvert pendant son quinquennat.

M. Charles Revet. Il a dit qu’il n’en serait pas question pendant son quinquennat !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je souhaite vous rendre attentifs à un élément. Vous parlez de GPA à l’égard des homosexuels.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Or ce sont des couples hétérosexuels, et non des couples homosexuels, qui, en premier, ont eu recours à la GPA. Ne mettez pas sur le dos des homosexuels toutes les réelles interrogations de notre société. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est votre texte qui a cet effet !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Vous voulez un débat serein. Nous aussi !

Je souhaite citer certains de vos propos relatifs au Gouvernement. « Vous bidouillez », avez-vous dit.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. « Vous mentez. »

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et vous avancez masqués !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. « Vous êtes des marchands d’illusions. » (Oui ! sur les travées de l’UMP.) « Vous êtes irresponsables. » (Oui ! sur les mêmes travées.) « Vous êtes hypocrites. » (Oui ! sur les mêmes travées.) Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous vous ridiculisez ! (Non ! sur les mêmes travées.)

M. David Assouline. On n’est pas au cirque !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. « Vous êtes décadents. »

Certes, vous êtes dans votre rôle de membres de l’opposition et, nous, nous avons le cuir tanné. Toutefois, pensez aux homosexuels et aux enfants qui vivent dans des familles homoparentales et qui entendent les propos suivants : « Ces enfants troublés par l’inconnu de leur naissance » ! Mettez-vous à leur place !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Pensez-vous un seul instant qu’ils ignorent d’où ils viennent ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Les deux remarques que je vais formuler maintenant s’adressent indifféremment aux hétérosexuels et aux homosexuels. L’enfant n’est pas un remède pour les couples.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Jean-Pierre Raffarin. Précisément !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. L’enfant n’est pas un bien de consommation. Il n’est pas un objet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Or vous pointez du doigt les familles homoparentales et vous leur dites : « Vous, familles homoparentales, vous considérez l’enfant comme un objet ou comme un bien de consommation. » C’est très choquant ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’avez rien compris au débat !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Vous invoquez le double traumatisme de ces enfants, leurs carences affectives. Mais qu’en savez-vous ? Avez-vous su les entendre lorsqu’ils ont été auditionnés ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Quant à la « normalité », ils apprécieront…

Je vous le dis franchement, vous faites preuve au pire d’un manque de respect, au mieux d’une méconnaissance des projets parentaux des familles homoparentales.

M. René-Paul Savary. Vous mélangez tout !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il serait bien de commencer par respecter…

M. Alain Gournac. La République !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … la force des projets parentaux qui animent souvent les familles homoparentales. Si vous voulez un vrai débat, avec de réels échanges, je vous invite à faire preuve d’un peu plus d’humilité et de modestie vis-à-vis des familles homoparentales et de leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Huées sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Maintenant, on va aller de citation en citation !

M. David Assouline. Un peu de respect !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai que cette ambiance me rajeunit. Elle est en effet assez potache ! Elle nous renverrait presque aux premières années du collège, si le sujet n’était pas extrêmement grave.

M. Charles Revet. Nous sommes d’accord !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, permettez-moi de vous le dire, il arrive à certains d’entre vous de tenir des propos regrettables et tristes, qui ne contribuent à renforcer ni le lien social ni le pacte républicain.

Ne cherchez pas à diviser le Gouvernement sur ce dossier.

M. Alain Gournac. Il y arrive tout seul !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. D’autres ministres s’en chargent !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En chahutant la ministre chargée de la famille et en faisant croire que vous m’accueillez avec plus de cordialité qu’elle, ne croyez pas que vous allez introduire la moindre division au sein du Gouvernement, qui est profondément soudé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Le texte que nous étudions correspond à un engagement du Président de la République, avec lequel nous faisons corps, et nous essayons de le soutenir avec la plus grande dignité possible.

Mme la ministre chargée de la famille a répondu à certaines des questions posées, notamment à celle qui concerne l’altérité sexuelle.

L’altérité ne s’enferme pas, en quelque sorte, dans le couple. Quel qu’il soit, l’autre est l’autre. L’altérité sexuelle n’est donc qu’une forme de l’altérité. C’est le nom que vous donnez, abusivement d'ailleurs, à la simple complémentarité sexuelle pour l’engendrement.

L’altérité authentique, c’est autre chose : c’est l’autre tel qu’il est, dans son individualité, sa singularité, son intégrité humaine. C’est cette altérité-là qui nous préoccupe. Nous pensons qu’elle n’est pas fragilisée par l’ouverture de l’institution du mariage aux couples de même sexe. Au contraire, nous en élargissons l’univers.

Monsieur Revet, je ne me fais aucune illusion : quelles que soient les réponses que nous vous apportons, vous posez en boucle les mêmes questions. Nous ne sommes pas dépaysés. Nous avons affronté cet exercice pendant une quinzaine de jours à l’Assemblée nationale : après la vingt et unième réponse à la même interrogation, les députés, relisant les mêmes fiches, nous reposaient exactement la même !

M. Charles Revet. Moi aussi, je vous reposerai la même question si vous ne me répondez pas !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il fut question de PMA, de GPA, voire de clonage, même si ce dernier thème n’a pas prospéré. Peu importaient les réponses : pour les députés, l’essentiel était de faire durer les débats.

M. Roland Courteau. C’est exactement ça !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour cela, vos collègues de l’opposition à l’Assemblée nationale ont déposé des milliers d’amendements tendant à la suppression de toute une série d’articles du code civil.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous en donne acte, monsieur le sénateur. Si ces amendements avaient été adoptés, le code civil aurait fondu. Toutefois, nous avons veillé à son intégrité.

Vous avez posé des questions sur la PMA et sur la GPA. Nous vous avons répondu. Le périmètre du présent texte est clair, précis : il concerne l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe.

« Tout aurait été tellement plus simple si vous vous étiez arrêtés au mariage », a fait remarquer M. Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. À l’union civile !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Lenoir, il faut faire votre deuil de l’union civile ! Que ce soit douloureux, je peux en convenir, voire compatir, mais le Sénat a adopté l’article 1er du présent projet de loi !

M. François Rebsamen. Avec vingt-deux voix d’écart !

M. Bruno Sido. Il y aura une deuxième lecture.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Or, monsieur Lenoir, de la rédaction du code civil, il résulte que le mariage emporte l’adoption. Le fait d’être marié ouvre le droit à l’adoption pour les couples hétérosexuels et homosexuels.

Si nous n’étions pas allés au-delà du mariage, la préoccupation que vous exprimez avec insistance, monsieur Revet, aurait eu une réalité.

M. Charles Revet. Mais en cas de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, que va-t-il advenir ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai entendu la question, puisqu’elle a été sans cesse posée, malgré les réponses apportées.

M. Charles Revet. Non, vous ne répondez pas !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vais vous répondre, si vous me le permettez. Cela ne vous empêchera probablement pas de reposer cette même question, et je vous répondrai d'ailleurs de nouveau !

La Cour européenne des droits de l’homme pourrait être fondée à prendre une décision à l’encontre de la France, lui reprochant, alors qu’elle ouvre l’institution du mariage, de l’amputer d’une conséquence du mariage inscrite dans le droit français.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La Cour pourrait invoquer une discrimination entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Par conséquent, c’est votre proposition à vous qui pourrait tomber sous le coup de la censure de la Cour européenne des droits de l’homme. (Bien sûr ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Bruno Sido. C’est certain !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous nous interrogez sur la PMA et la GPA. (Brouhaha sur les travées de l'UMP.) Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai pas terminé !

M. Jean-Claude Lenoir. Et l’union civile ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai déjà évoqué le risque que nous courrions si nous obtempérions à vos suggestions présentées avec itération.

M. Charles Revet. Il y a donc bien un risque !

M. Bruno Sido. Pas un risque, une certitude !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai répondu partiellement à votre question, car celle-ci mérite que nous allions plus loin.

Vous voudriez savoir, notamment, quelles seraient les conséquences de la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme. Ne nous contraindrait-elle pas à ouvrir la PMA et la GPA ?

Je vous ferai une première réponse presque factuelle : la France n’est pas le premier pays européen à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe. Que je sache, l’Espagne, les Pays-Bas et le Portugal sont dans ce cas !

À partir du moment où ces couples sont autorisés à se marier, la Cour européenne des droits de l’homme peut-elle imposer la PMA et la GPA ? Telle est la question, madame Des Esgaulx, quelle que soit la différence de législation entre les pays !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Oui, c’est cela !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous le répète, ce serait déjà arrivé dans les pays que je viens de citer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Revet. Cela peut encore arriver !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Peut-être, mais il se trouve que ce n’est pas arrivé ! Et la raison en est simple. Pour la connaître, il suffit de se référer aux propos de M. Gélard sur les engagements de la France au travers des conventions bilatérales et multilatérales, ainsi que sur les risques éventuels en découlant. Comme je l’ai rappelé, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé sans équivoque en 2010 que ces questions relevaient des législations et des autorités nationales.

Souvenez-vous des contestations qui se sont exprimées fortement dans un certain nombre de pays, y compris en Espagne, qui est l’avant-dernier pays à avoir protesté dans la rue. La Cour suprême espagnole a été saisie en 2005 et a rendu sa décision récemment, à la fin de l’année 2012, après mûre réflexion. Or elle a considéré que cette disposition était tout à fait conforme à la Constitution du pays.

Évidemment, ceux qui ont saisi la Cour suprême de l'Espagne auraient aussi porté un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme s’ils pensaient que cette saisine avait des chances de prospérer.

M. Roland Courteau. Évidemment !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Sept ans plus tard, ils ne l’ont toujours pas fait ! Pour quelle raison ? Parce que le droit comme la jurisprudence montrent très clairement que la Cour européenne des droits de l’homme n’a aucun fondement juridique pour imposer l’ouverture de la PMA. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) Il incombe aux pays de le faire s’ils le souhaitent.

Le texte qui nous est soumis concerne, je le rappelle, l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe.

Sur la PMA, Mme la ministre déléguée chargée de la famille vous a répondu – comme à des enfants au collège, oserais-je dire, car on retrouve parfois cette ambiance dans l’hémicycle –, je ne sais combien de fois, qu’elle est chargée d’un projet de loi sur la famille et sur la filiation et que cette question sera traitée.

L’un d’entre vous nous a demandé pourquoi nous n’avons pas tenu compte de l’avis du Conseil consultatif national d’éthique, le CCNE. Je crois que c’est M. Revet…

M. Roland Courteau. C’est lui !

M. Charles Revet. Ce n’est pas moi !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Effectivement, cela ne vous ressemble pas, monsieur Revet.

M. Charles Revet. Je partage néanmoins ces idées ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne vois pas ce que le Conseil consultatif national d’éthique vient faire ici, alors que nous discutons de l’état des personnes figurant dans le code civil !

Par conséquent, le Gouvernement n’avait aucune raison de se préoccuper ni de saisir le Conseil. D’ailleurs, ce dernier ne s’est pas autosaisi de cette question, alors qu’il l’a fait pour la PMA – plus exactement l’assistance médicale à la procréation, l’AMP, dans notre droit en vigueur –, qui figure dans le code de la santé publique et qui vise à apporter une assistance aux couples hétérosexuels, mariés ou non.

La PMA n’étant pas liée au mariage, pourquoi faudrait-il absolument débattre de la PMA, une pratique que l’Union européenne, en l’occurrence la Cour européenne des droits de l’homme, serait censée nous imposer ? Pourquoi ce sujet serait-il inévitable ? La meilleure preuve qu’il ne l’est pas, comme je l’ai indiqué lors de ma première intervention à la tribune, c’est que les pays peuvent s’en saisir.

En outre, ceux qui ont ouvert le droit au mariage et à l’adoption…

M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas partout la même chose !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en conviens, monsieur le sénateur, mais écoutez au moins la fin de ma phrase, au lieu de répéter sans cesse la même chose.

Je disais donc que les pays qui ont ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe n’ont pas tous autorisé la PMA. Ceux qui l’ont fait ont eu recours à deux textes de lois distincts, dans la plupart des cas un texte de bioéthique et, pour les Pays-Bas par exemple, un projet sur l’égalité de traitement.

D’autres pays ont même permis la PMA aux couples de femmes homosexuelles ou célibataires sans ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe. C’est bien l’illustration que le mariage et la PMA peuvent être traités séparément. Consentez enfin que nous avancions dans le débat en procédant de la sorte !

M. Bruno Retailleau. Nous n’avons pas la même lecture des décisions européennes !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Premier ministre, quant à lui, a clairement indiqué que la PMA ferait l’objet d’un texte relatif à la famille et aux modes de filiation et que le Gouvernement, avant d’aviser, attendrait le rapport du Conseil consultatif national d’éthique, qui s’est autosaisi. Or ce document serait disponible, selon le CCNE, au dernier trimestre 2013, probablement au mois d’octobre prochain.

Monsieur Bordier, vous évoquez la circulaire qui, selon vous, vise à attribuer la nationalité française à des enfants nés de la GPA et à transcrire leur identité à l’état civil.

Je me dois, à ce stade, de vous apporter une information qui a pu vous échapper, encore que j’ai eu à l’expliquer onze fois exactement à l’Assemblée nationale ; c’est ainsi que se déroule ce débat : plus nous répondons et plus la question revient !

M. André Reichardt. Vous ne vous êtes pas expliquée ici !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai bien l’intention de le faire, monsieur Reichardt ; je pense d'ailleurs que le Sénat compte parmi ses membres ce que l’on appelle un peu trivialement des leaders d’opinion, qui veilleront à ce que vous ne vous livriez pas au même type d’exercice que les députés.

À qui s’adresse ladite circulaire ? Aux parquets généraux pour attribution, aux parquets pour information et aux greffiers pour exécution, car, en ma qualité de garde des sceaux, c’est à eux que je peux m’adresser.

Cette circulaire demande aux greffiers de ne pas faire opposition à la délivrance du certificat de nationalité à des enfants pour lesquels ils auraient un doute quant à la naissance par suite d’une GPA.

La situation réelle est la suivante. Les enfants obtiennent la nationalité par filiation, en vertu de notre code civil. Des enfants français naissent à l’étranger de couples français et s’adressent au consulat, qui enregistre leur état civil et le transmet, afin qu’il soit transcrit sur le registre national d’état civil. Des dizaines de milliers d’enregistrements de naissances d’enfants français à l’étranger sont ainsi effectués chaque année.

Or il arrive qu’un doute surgisse et que, au moment de l’enregistrement, le consulat se demande si l’enfant concerné ne serait pas né à la suite d’une GPA. Consciencieusement, il alerte – vous le savez, monsieur Mercier, vous qui êtes mon prédécesseur et qui avez publié à ce titre le nombre d’enfants concernés en 2011 – sur les signes, les suspicions qui permettent de penser que cet enfant est né à la suite d’une GPA.

Toutefois, qu’en est-il de la nationalité de cet enfant ? Si ses parents sont français et s’il est établi que c’est bien leur enfant, celui-ci obtient la nationalité française conformément aux dispositions du code civil. Néanmoins, cela n’évacue pas le doute du consulat, qui transmet au service de l’état civil de Nantes. Et ce dernier saisit le parquet pour l’examen de ce cas.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Entre 2008 et 2011, quarante-quatre dossiers ont été examinés, et on en recense onze pour 2012, soit une moyenne stable d’année en année.

Comment les choses se passent-elles ? Tout d’abord, le procureur de la République se prononce sur chaque cas, et dans la plupart d’entre eux, il a confirmé le doute sur la GPA. Pour 2012, par exemple, cela s’est produit huit fois sur onze.

Ensuite, puisque l’enfant, dont la filiation est bien établie, a la nationalité française, il n’est pas question de la lui attribuer. Il se retrouve alors devant les tribunaux, qui lui délivrent son certificat de nationalité française. Et il arrive qu’un greffe de tribunal refuse de lui donner le certificat de nationalité en raison du doute qui subsiste sur la GPA.

Or la nationalité est déjà établie ! C’est un peu comme si, au moment de la délivrance du diplôme du baccalauréat – j’avais déjà pris cet exemple à l’Assemblée nationale –, le fonctionnaire émettait un doute sur une éventuelle tricherie de la part d’un candidat, alors que la preuve de la réussite à cet examen est présentée.

En cas de tricherie, c’est une autre action en justice qui peut éventuellement être intentée. Néanmoins, la reconnaissance officielle du succès au baccalauréat doit emporter la délivrance du diplôme.

De la même façon, le droit de disposer du certificat de nationalité ne peut être contesté. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

L’objet de cette circulaire du mois de janvier dernier est donc, tout simplement, d’interpeller les greffiers sur le fait que, la nationalité française étant établie pour ces enfants, aucun fondement juridique ne les autorise à refuser de délivrer ce certificat de nationalité française.

Au cours des dernières années, les Gouvernements que vous avez soutenus ont fait la même chose : ils n’ont pas osé publier de circulaire, et ils ont eu tort d'ailleurs, car cela aurait été porté à leur crédit.

M. Jean-Pierre Caffet. Évidemment !

M. Michel Mercier. L’indépendance de la justice était en cause ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pardon, monsieur Mercier, ce n’est pas à vous que j’apprendrai que l’indépendance de la justice n’interdit pas les circulaires, bien au contraire !

Plus la justice sera indépendante, plus l’exécutif sera responsable de la politique pénale et des politiques publiques de la justice sur le territoire, plus se fera sentir la nécessité de circulaires impersonnelles et générales. (Vifs applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Pendant cinq ans, le gouvernement que vous souteniez a adopté la même attitude : il a admis que, la nationalité étant établie, les certificats de nationalité devaient être délivrés.

J’en viens à la transcription sur le registre de l’état civil, qui suscite également des discussions.

En effet, un doute étant apparu sur ces quarante-quatre enfants nés entre 2008 et 2011, auxquels s’ajoutent les onze enfants nés en 2012, la transcription de leur nationalité sur les registres de l’état civil pose un problème.

Ces enfants ayant la nationalité française, ils ont le droit d’obtenir leur certificat de nationalité. Mais quid de la transcription ? Puisque la justice énonce un doute sur la GPA, la circulaire ne donne pas consigne de transcrire sur le registre de l’état civil, d’autant qu’elle s’adresse aux greffiers et non aux personnes qui sont chargées de la transcription.

Cependant, nous ne pouvons pas nous en contenter. Vous parlez sans arrêt de l’intérêt supérieur de l’enfant, du souci qui vous anime de ces enfants bien réels, des êtres physiques, de chair,…

M. Bruno Sido. Eh oui, ils sont nés !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … avec toutes leurs qualités et tous leurs défauts. Nous nous soucions de l’avenir de ces enfants-là.

M. Bruno Sido. C’est normal.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ils auront donc leur certificat de nationalité. La circulaire affirme bien qu’il faut le leur donner, car ils y ont droit. En revanche, leurs actes de naissance ne sont pas transcrits sur le registre d’état civil.

Je le rappelle, la reconnaissance de leur nationalité française ouvre tous les effets de droits liés à la nationalité et à la filiation. Ces enfants ne rencontreront donc aucune difficulté pour être inscrits à l’école ; leurs parents percevront normalement les allocations familiales ; l’autorité parentale et les droits successoraux seront préservés. Tout cela est déduit de la filiation.

Cependant, n’étant pas inscrits sur le registre d’état civil, ils feront face à une difficulté chaque fois qu’ils auront besoin d’une pièce d’état civil, car il leur faudra s’adresser au consulat où ils ont été enregistrés. Face à cette complication, nous nous interrogeons. J’ai chargé un groupe de réflexion d’élaborer des solutions afin que ces enfants entrent dans l’état civil français à leur majorité, puisqu'ils sont Français. Il s’agit, convenez-en, d’un acte de justice.

Cette circulaire n’a que cet objet. J’aimerais donc mettre un terme au procès qui m’est intenté sur l’attribution de la nationalité aux enfants nés de la GPA ou sur une prétendue transcription indue sur les registres de l’état civil. Mais je ne suis pas persuadée d’y parvenir !

M. Roland Courteau. Nos collègues auront-ils compris la leçon ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’entendrai certainement de nouvelles interventions à ce sujet… Et, de nouveau, j’y répondrai de bonne grâce ! (Mmes et MM. les sénateurs du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC se lèvent et applaudissent. ― Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)