M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier, sur l’article.

M. Pierre Bordier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons ouvert aujourd’hui avec le mariage et la filiation pose de nouveau, bien entendu, l’ensemble des questions relatives à la filiation elle-même, même si l’on voudrait nous convaincre que ce projet de loi peut être totalement séparé de ces implications.

La GPA est peut-être un fantasme, mais la circulaire du 25 janvier 2013 de Mme le garde des sceaux visant à régulariser la situation des enfants nés d’une GPA à l’étranger semble contredire cette hypothèse.

Mme Esther Benbassa. Cela n’a rien à voir !

M. Pierre Bordier. Vous vous arc-boutez sur une dénégation, sans donner aucune preuve de la fermeté de votre conviction. Or votre position est loin d’être claire sur le sujet.

Les choses sont assez simples : si, aujourd’hui, l’article 16-7 du code civil interdit la gestation pour autrui, il existe cependant, à l’avenir, un risque de sollicitations nouvelles et de pressions, au nom de l’égalité revendicative.

Madame la ministre, si vous voulez vraiment couper court à ce que vous considérez être une suspicion infondée de notre part, vous avez là une très bonne occasion de le faire.

Malheureusement, je me doute bien que vous n’en ferez rien, tant le lien entre mariage, adoption, PMA et GPA est évident, en raison des motivations mêmes de ce texte.

Sur ce point, je partage donc l’avis d’Aude Mirkovic, qui n’est pas dupe et qui, dans son ouvrage Mariage des personnes de même sexe : la controverse juridique, affirme : « La filiation est l’essence même du mariage, comme en témoigne la présomption de paternité qui désigne le mari comme père. Un mariage sans filiation ne serait jamais qu’un sous-mariage. [...] Les personnes de même sexe ne pouvant procréer ensemble, et les enfants adoptables étant peu nombreux, le mariage, comme l’adoption, aboutira obligatoirement à l’insémination artificielle et à la fécondation in vitro pour des femmes fertiles, comme la gestation pour autrui pour des hommes eux aussi fertiles, les uns comme les autres refusant la relation sexuelle procréatrice. Le lien entre mariage et filiation est si évident que le projet gouvernemental comporte déjà, comme découlant ipso facto du mariage, la possibilité de l’adoption. Le lien avec la PMA est tout aussi évident.

« En témoigne le fait que, avant même le début du débat parlementaire, des amendements visant à inclure l’assistance médicale à la procréation pour des femmes fertiles sont annoncés.

« En outre, une fois admise la PMA pour les femmes, on voit mal comment pourrait être évitée la gestation pour autrui pour les hommes, c’est-à-dire “l’esclavage des mères porteuses”, selon l’expression de Sylviane Agacinski. La GPA est déjà réclamée ouvertement, car, sans elle, le projet de loi restera lettre morte en ce qui concerne les couples d’hommes. »

Cette évolution a d’ailleurs déjà été anticipée par le garde des sceaux dans la circulaire de janvier 2013, qui régularise les naissances issues de GPA à l’étranger. Pour transcrire un acte de naissance étranger à l’état civil français, on cherche à connaître la manière dont la filiation a été établie ; dès lors que l’on autorise la transcription pour les enfants nés à l’étranger de gestation pour autrui, on reconnaît implicitement celle-ci.

Ainsi, non seulement cette circulaire permet l’octroi de certificats de nationalité, mais le juge admet aussi, de plus en plus, que les actes d’état civil puissent confirmer une GPA.

Ainsi, c’est en bloc que nous nous opposons à ce projet, parce que mariage et filiation sont liés, mais aussi parce que PMA et GPA sont les conséquences inévitables de ces dispositions.

Mes chers collègues, la discipline de vote dans un groupe politique comme le vôtre ne devrait avoir pour limite, comme dans le nôtre, que celle de votre conscience individuelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu, sur l’article.

M. Christophe Béchu. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour reprendre les mots de quelqu’un qui m’est cher : « Les enfants ont des droits, mais n’en sont pas. »

Mme Hélène Lipietz. Ils ont aussi quelques devoirs !

M. Christophe Béchu. Mes chers collègues, j’aimerais à présent vous lire un texte,…

M. Christophe Béchu. … écrit par un juge des enfants, Jean-Pierre Rosenczveig.

Ces mots ont été écrits non pas voilà dix ou quinze ans, au moment des débats sur le PACS, mais il y a quelques mois, et je crois utile de les porter à votre connaissance.

« Il faut le dire clairement : on ne peut qu’être déçu et choqué de ce que la Gauche au pouvoir ne nous offre rien d’autre aujourd’hui que le texte avancé sur le mariage homosexuel et l’adoption par les couples homosexuels.

« Promesse électorale certes – et encore certains contestent que tout l’engagement pris soit tenu –, mais c’est bien par le petit bout de la lorgnette que ce gouvernement aborde la question majeure pour tous les Français de la condition parentale et de la parentalité. Alors que la problématique est bien aujourd’hui, et depuis deux décennies, de clarifier les responsabilités au sein de la famille avec 2 à 2,5 millions d’enfants élevés par un adulte qui n’est pas leur parent biologique, on affiche comme priorité les revendications de quelques milliers de couples homosexuels ! Ce n’est pas être homophobe que de dire que le sujet n’est pas prioritaire et est maltraité. Bref, on doit y voir une illustration du danger des promesses électorales trop rapides et de la réponse aux intérêts d’un groupe de pression.

« Plus grave, il y a bien longtemps que je n’avais pas eu le sentiment qu’on allait purement et simplement légiférer pour des adultes. Les enfants n’intéressent pas ceux qui nous gouvernent. D’ailleurs, il n’y a pas eu de ministère de l’enfance dans les gouvernements Ayrault – donc l’enfance n’est pas un objet de politiques publiques – et la jeunesse est reliée aux sports, ce à quoi nous avions échappé depuis quelques gouvernements ! »

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Il n’y en avait pas avant non plus !

M. Christophe Béchu. « J’entends que les homosexuels veuillent faire consacrer leur union comme les hétérosexuels : après tout le mariage est un contrat et une institution. Pourquoi leur en refuserait-on l’accès ? Reste à terme une difficulté à régler – et gouverner c’est prévoir ! – : comment, demain, refusera-t-on à un frère et une sœur qui s’aiment la possibilité de se marier quand on aura déjà fait tomber le tabou du mariage homosexuel ? Passons. »

Mme Cécile Cukierman. C’est limite !

M. Christophe Béchu. « En revanche, l’adoption est plus problématique et ne s’impose absolument pas aujourd’hui. Déjà, on sait que les homosexuels seront payés en monnaie de singe. Et ils le savent. Pragmatiquement, peu d’enfants de France délaissés sont adoptables et on s’en réjouira, car c’est la preuve que l’immensité des enfants sont ici désirés, que le statut de la femme célibataire et les aides apportées aux jeunes parents permettent d’élever un enfant. »

J’escamote le passage sur l’adoption internationale et je poursuis la citation : « En vérité, dans le projet de loi, c’est bien l’adoption de l’enfant du “conjoint” qui est visée et en arrière fond une question “politique” majeure sur la filiation s’esquisse. Car en détachant la filiation de la maternité et de la paternité, on touche au système de filiation et d’organisation sociale. […]

« Le nœud gordien implicite du débat actuel est bien celui de la reconnaissance d’un droit à l’enfant […] à travers les procréations médicalement assistées. C’est tellement vrai que le Gouvernement qui se veut responsable refuse de mettre le doigt dans un engrenage non maîtrisé.

« Reste que dans ce débat, tel qu’il est ou tel qu’il est annoncé, on s’inscrit plus que jamais dans un débat d’adultes, nullement dans la prise en compte des besoins de l’enfant né ou à naître. On peut même en arriver à présenter implicitement l’enfant comme un objet de désir, voire comme un produit qu’on fabriquerait à la demande pour satisfaire des besoins identitaires. Quelle régression !

« […] Les enfants d’aujourd’hui ont droit à un exercice clair de leurs responsabilités par les adultes qui les environnent. Si le couple devient très stable, on peut imaginer une délégation d’autorité parentale partielle du parent ayant à charge l’enfant à son compagnon ou compagne [avec la création d’un statut du tiers], solution qui offrirait [au Gouvernement] une sortie honorable et positive aux yeux de tous les Français, jeunes et moins jeunes. »

Mes chers collègues, ces mots émanent non pas d’un sénateur de l’UMP, ni d’un catholique intégriste, ni de ceux que vous voudriez dépeindre comme les seuls adversaires du texte que vous nous présentez, mais d’un homme de gauche, qui considère que les droits de l’enfant doivent primer les droits des adultes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, sur l’article.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, je voudrais m’adresser à nos collègues de gauche pour leur dire que je prends leur texte extrêmement au sérieux. Il s’agit en effet, pour eux, d’un texte fondateur, et cet article l’est également.

Je comprends pourquoi les chefs de file de la gauche sénatoriale, après ceux de l’Assemblée nationale, ont voulu soumettre leurs troupes à une discipline de fer. (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme Cécile Cukierman. Il n’y a pas de « discipline de fer » !

M. Hugues Portelli. Ce texte vise en effet à vous donner une nouvelle base idéologique, à vous enraciner dans une conception individualiste et post-familiale de la société.

Mme Cécile Cukierman. Il faut changer de logiciel !

M. Hugues Portelli. Force est de reconnaître que vous le faites de façon extrêmement efficace.

Bien sûr, sur le plan juridique, c’est un peu bricolé : quand on compare, article par article, le code civil et les greffes que vous tentez d’y faire prendre, on s’aperçoit que votre projet ne tient pas parfaitement la route. Vous aurez assurément droit, au minimum, à de substantielles réserves interprétatives du Conseil constitutionnel sur la plupart des articles de ce texte.

Mais vous en ferez votre affaire, puisque votre but principal est de poser les fondements d’une nouvelle structure culturelle et idéologique.

Vous avez agi de la même manière sur le plan social : vous savez très bien que la classe ouvrière, c’est fini,…

M. Marc Daunis. Et les maîtres de forges ?

M. Hugues Portelli. … que le socialisme à l’ancienne, c’est fini, et qu’il vous faut fabriquer quelque chose d’autre, en vous enracinant auprès des nouvelles classes moyennes des villes.

Mme Cécile Cukierman. C’est M. Wauquiez qui n’arrête pas de parler des classes moyennes !

M. Hugues Portelli. Vous faites aujourd’hui la même chose sur le plan culturel.

Je ne vous cacherai pas que, pour nous, c’est un vrai défi, car nous ne pouvons plus nous contenter de vous opposer la défense de la famille, de la culture et de la religion traditionnelles. Nous devons être beaucoup plus efficaces que cela !

Nous avons commencé à le faire. Vous avez d’ailleurs pu constater que nous n’étions ni complètement ignares ni complètement débiles : nous vous avons proposé des alternatives, que vous avez rejetées, à juste titre, puisque votre but est d’envoyer un message idéologique clair à votre nouvelle base électorale potentielle.

Mme Cécile Cukierman. Qu’avez-vous contre les idéologies ?

M. Hugues Portelli. Nous avons donc commencé à travailler, mais il est vrai que nous ne sommes pas tout à fait au point, car, sur ce sujet, nous sommes meilleurs dans la bataille défensive que dans la bataille offensive.

Je vous rassure toutefois, chers collègues de la majorité, nous avons deux atouts.

Premièrement, votre fameuse base est animée d’une contradiction interne. Ce texte vous permet certes d’afficher, d’une certaine manière, une cohérence culturelle nouvelle. Toutefois, les classes populaires nouvelles des villes, que vous chérissez, et à qui vous voulez accorder le droit de vote pour celles d’entre elles qui ne l’ont pas encore, ne vous soutiendront jamais dans ce domaine. Croyez-moi, nous sommes quelques-uns sur ces travées, maires de banlieue, à bien les connaître.

Elles sont venues nous voir et nous ont demandé de résister, coûte que coûte, car ce texte ne correspond pas à leur conception de la famille ni de la société. Pour elles, il s’agit d’un signe de décadence ! (Protestations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Ces classes moyennes-là, elles ne seront jamais à vos côtés !

Mme Cécile Cukierman. C’est vraiment de la sociologie de comptoir ! Une caricature !

M. Hugues Portelli. Vous pouvez très bien vous fabriquer un nouveau socle idéologique, vous disposez de la majorité politique pour ce faire, à défaut d’avoir la majorité morale. Toutefois, ce n’est pas avec ce genre de texte ou de dispositif que vous conserverez une majorité durable dans le pays !

Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, nous savons très bien, d’autres l’ont dit avant moi, que le dispositif que vous mettez en place, qui repose sur trois articles bâclés, ne marchera jamais !

M. Marc Daunis. Nous verrons bien !

M. Hugues Portelli. Il est fait pour ça : ne jamais marcher ! Son seul but est de permettre de passer à ce que vous voulez vraiment, mais que vous avez été obligés de mettre de côté pour le moment, à savoir la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui. C’est cela que vous voulez ! Et pour cela, il vous faut d’abord démontrer que le système de l’adoption ne marche pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche, sur l’article.

M. Philippe Darniche. Mes chers collègues de la majorité, je sais que vous souhaitiez voir le débat s’accélérer après l’adoption de l’article 1er, qui constitue véritablement le squelette de ce projet de loi. Je l’ai d’ailleurs entendu dire hier, sur l’antenne de Public Sénat, par le rapporteur, Jean-Pierre Michel. Je considère pour autant que le débat n’est pas clos !

Vous n’intervenez à aucun moment pour répondre à nos observations ; nous continuerons néanmoins à dénoncer le mensonge d’État qui caractérise ce projet de loi.

Égalité, égalité, égalité…Vous n’avez que ce mot à la bouche !

M. Marc Daunis. C’est un beau mot !

M. Jean-Pierre Caffet. Vous ne l’aimez pas, ce mot !

M. Philippe Darniche. Qui plus est, vous en avez une interprétation biaisée.

Toujours est-il que, si, au nom d’une sacro-sainte égalité érigée en modèle par le Gouvernement et sa majorité, vous autorisez le mariage homosexuel et l’adoption, alors, d’une part, les couples lesbiens vont demander la PMA au nom de la non-discrimination entre couples hétérosexuels et couples de même sexe – des amendements ont déjà été déposés en ce sens –, et, d’autre part, les couples homosexuels vont demander la GPA au nom de la non-discrimination entre couples lesbiens et homosexuels !

À ce jour, la loi interdit la gestation pour autrui et circonscrit l’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation aux seuls couples dont l’infertilité est d’origine médicale.

Une entorse à ces principes entraînerait des conséquences en cascade, contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant et à la dignité humaine : organisation par la loi de la conception d’enfants privés de père ou de mère, violation des lois fondamentales de bioéthique qui ne peuvent être modifiées sans un large débat préalable et, en cas de GPA, atteinte à la dignité des femmes et au principe fondamental d’indisponibilité du corps humain.

Aujourd’hui, un couple d’hommes peut recourir à la GPA, autorisée dans certains pays. On peut choisir sur catalogue les gamètes d’une femme et trouver une mère porteuse. Il existe déjà, dans certains pays en développement – en particulier en Inde – un véritable trafic dans l’exploitation des mères porteuses. Vous le savez !

Lors des auditions, Claire Neirinck, professeur à l’université de Toulouse, nous disait ceci : « Si vous autorisez la GPA, il devient inutile de réformer l’adoption, car plus personne n’adoptera. Pourquoi s’embêter à demander un agrément et à attendre cinq ans pour avoir un enfant […], alors qu’avec la GPA, vous avez l’enfant qui vous convient ? Et s’il a une anomalie, il suffira de faire avorter la mère porteuse… »

Mme Hélène Lipietz. N’importe quoi !

M. Philippe Darniche. Il en ira de même si les parents sociaux abandonnent leur projet parental, leur désir d’enfant, s’ils se rétractent au cours de la grossesse.

Ces réalités, qui existent à l’étranger, sont à nos portes ! Est-ce le monde que nous voulons ? En tout cas, ce n’est pas celui que mon cœur souhaite.

Autoriser l’adoption d’enfants conçus à l’étranger dans le cadre de pratiques interdites en France reviendrait, in fine, à légitimer et à légaliser ces pratiques.

Or, madame le garde des sceaux, que vous le vouliez ou non, faciliter l’accès à la nationalité française des enfants conçus par GPA à l’étranger, comme vous l’avez fait par circulaire, revient à entretenir le raisonnement selon lequel ce qui est interdit en France ne l’est pas à l’étranger et qu’il est donc possible de contourner la loi.

À l’heure de la dénonciation des niches fiscales partout dans le monde, l’encouragement de l’exploitation des femmes hors de nos frontières sonne comme une violence faite à l’honnêteté intellectuelle.

Mme Cécile Cukierman. Que d’amalgames !

M. Philippe Darniche. C’est la raison pour laquelle mes collègues et moi-même, surpris de ne pas vraiment percevoir les consciences individuelles s’exprimer au travers de vos avis, continuerons à nous battre. Cet article n’est pas acceptable ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais faire trois remarques à partir des grandes thématiques que vous avez développées au cours de vos interventions.

Premièrement, nous pouvons nous réjouir de la tenue de ce débat – et remercier les homosexuels – grâce auquel nous revisitons l’ensemble du droit de la famille : statut du beau-parent, nouvelles filiations, réforme de… (Un brouhaha persistant sur les travées de l'UMP couvre la voix de Mme la ministre déléguée.)

Manifestement, cela ne vous intéresse pas ! Vous souhaitez que l’on vous réponde, que l’on tienne un débat « constructif » et, quand on aborde le fond, cela ne vous intéresse pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Charles Revet. Nous vous écoutons !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. M. Gélard a évoqué, avec beaucoup de justesse, la question de l’adoption. Au regard des évolutions sur lesquelles je reviendrai dans un instant, il est légitime de s’interroger sur une véritable réforme de celle-ci : réduction de l’adoption internationale, existence d’un droit spécifique français se partageant entre adoption simple et adoption plénière, situation des enfants ayant quitté leur famille biologique – M. Gélard l’a rappelé –, dans laquelle ils ne retourneront pas, mais qui ne sont pas adoptables. Ces derniers vont souffrir d’une forme d’errance affective, de famille d’accueil en famille d’accueil, de foyer en foyer. Vous qui êtes tant attachés à l’intérêt supérieur de l’enfant, comment pouvez-vous supporter une telle situation ?

Ces questions devraient faire l’objet d’une loi sur la famille, mais, je l’ai dit et je le redis, tant que des familles, tant qu’une partie de nos concitoyens n’ont pas les mêmes droits ni les mêmes devoirs, comment pourrions-nous parler de réforme ? Nous devons d’abord donner à tous les mêmes droits et les mêmes devoirs !

Il s’agit du principe même de l’égalité. Que cela vous déplaise et que vous préfériez parler d’équité, c’est votre affaire ! Nous, nous préférons parler d’égalité !

Le temps viendra d’une grande loi sur la famille qui s’adressera indifféremment aux familles hétérosexuelles et homosexuelles et qui permettra d’aborder ces questions de nouvelles filiations dans leur grande diversité, qu’il s’agisse de l’accès aux origines ou du droit de l’enfant à connaître son histoire originelle. Cette question fait partie des réflexions en cours.

Je suis pour un ministère de l’enfance. J’irais presque jusqu’à dire que je rejoins, au moins sur ce point, Jean-Pierre Rosenczveig. Depuis des décennies et des décennies, l’enfant est perçu à travers des catégories différentes : écolier, collégien, délinquant ou, malheureusement, malade. Il a été scindé en différents tronçons sans aucune réflexion globale. Pourquoi ne pas me soutenir dans ma demande de création d’un ministère de l’enfance ? Il s’agirait d’une petite révolution !

M. Jean-Pierre Raffarin. Chiche ! Pourquoi ne pas le faire à l’occasion du prochain remaniement ? D’ailleurs, cela ne saurait tarder… (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Absolument ! Je vous prends au mot, monsieur Raffarin. Chiche ! Faisons en sorte qu’il y ait un véritable ministère de l’enfance dont nous définirions ensemble les contours.

Deuxièmement, vous nous accusez d’être dans l’hypocrisie, le mensonge, sur la question de l’adoption. N’est-ce pas plutôt vous qui ne connaissez pas la réalité des familles homoparentales ? Vous me voyez désolée de vous le rappeler, mais, aujourd’hui, entre 30 000 et 300 000 enfants vivent déjà dans des familles homoparentales ! Pour ces derniers, l’adoption par le deuxième parent, qui ne dispose aujourd’hui d’aucune reconnaissance juridique, apportera une véritable sécurisation juridique ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

J’entends dire que la loi permet déjà de répondre à ces situations. Mais si tel était le cas, pourquoi, au sein des familles recomposées, les beaux-parents s’acharneraient-ils à obtenir un véritable statut qu’ils ne possèdent pas ? Et pourquoi, dans le même temps, réclamez-vous l’instauration d’un statut du beau-parent ? Il y a là une contradiction ! Cela revient à dire que la situation est satisfaisante pour les familles homoparentales et qu’il faudrait, pour les familles recomposées, créer un statut du beau-parent ou du tiers !

Nous sommes face à un vide juridique. Les familles homoparentales attendent, grâce à l’adoption par le deuxième parent – ou parent social, si vous le souhaitez –, la mise en place d’une véritable reconnaissance juridique, c’est-à-dire une sécurisation, une protection juridique des enfants présents dans ces familles.

Arrêtez de prendre les homosexuels pour des sots ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

M. Philippe Bas. Nous n’avons jamais dit cela !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Quand vous dites que l’on va laisser croire à ces enfants qu’ils sont nés de deux pères ou de deux mères, c’est une insulte !

Lorsque vous laissez croire que les homosexuels attendent tout de l’adoption internationale, pensez-vous qu’ils ne sachent pas lire les chiffres comme vous ? Ceux qui demanderont un agrément pour adopter à l’international seront placés exactement dans les mêmes conditions juridiques et sociales que les autres couples hétérosexuels !

J’ai entendu des choses, à propos de l’adoption, qui n’étaient pas tout à fait justes. En revanche, il est vrai que les chiffres, en matière d’adoption internationale, ont été divisés par deux entre 2006 et 2011 : nous sommes passés de 4 000 adoptions à un peu moins de 2 000.

Toutefois, le nombre d’enfants adoptables au niveau national est quasi stable, voire progresse légèrement : 698 enfants en 2006 et 761 en 2011.

La réflexion peut porter sur l’adoption internationale. À ce titre, laisser croire que les pays qui se sont déjà engagés dans l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe ont vu les adoptions se raréfier est une idée fausse, que ce soit en Belgique, aux Pays-Bas et, plus encore, en Espagne.

Dans ce dernier pays, depuis 2006 ont eu lieu près de 160 adoptions par des couples homosexuels. Aujourd'hui, l’Espagne est le troisième pays d’accueil d’enfants adoptés, passant devant la France. Ce fait doit nous amener à nous livrer à une véritable réflexion sur ce qu’est devenue l’adoption internationale, afin de mieux informer les parents qui veulent adopter, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels.

Les services de l’adoption du ministère des affaires étrangères n’ont pas trouvé un seul État qui ait pris des mesures de rétorsion à l’égard de couples hétérosexuels souhaitant adopter et qui leur ait refusé l’accès à des enfants adoptables au motif que leur pays a voté une loi relative au mariage de couples de même sexe.

Cessez donc de faire croire, d'une part, à tout un chacun, que les homosexuels pensent pouvoir adopter très facilement à l’international, et, d'autre part, aux familles hétérosexuelles adoptantes, qu’elles ne pourront plus adopter ou que l’adoption se raréfiera en raison de la voie que nous suivons.

Troisièmement, j’en viens à l’intérieur supérieur de l’enfant. Il se résume, tel que vous le concevez et si j’ai bien compris, à avoir un père et une mère.

M. Charles Revet. Personne ne peut dire le contraire !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Toutefois, en raisonnant ainsi, vous mettez de côté les célibataires qui peuvent adopter aujourd'hui. Si vous êtes cohérents, il faut supprimer cette faculté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Non, car il y a une règle générale et des variantes !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Les familles monoparentales et leurs enfants apprécieront…

M. Henri de Raincourt. Vous êtes méchante !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je le répète, vous partez du principe qu’il suffit d’être un géniteur ou une génitrice pour devenir d’emblée un père ou une mère.

M. Henri de Raincourt. Non, on le sait !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Eh bien, c’est beaucoup plus compliqué que cela, monsieur le sénateur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

L’intérêt supérieur de l’enfant ne se résume pas à la conception. Il faut ensuite prendre en compte l’aspect éducatif, affectif, environnemental, qui n’a rien à voir avec la sexualité des parents qui élèvent des enfants. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)